M. le président. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur ce texte ?...

Le vote est réservé.

Personne ne demande la parole ?...

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Mme Laurence Cohen. Le groupe CRC s’abstient.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures cinq, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l'Agence nationale de santé publique et modifiant l'article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
 

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Souhaits de bienvenue au président de l'assemblée de la Polynésie française

Mme la présidente. Mes chers collègues, au moment où nous allons examiner les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune officielle, du président de l’Assemblée de la Polynésie française, M. Marcel Tuihani, accompagné d’une délégation de fonctionnaires. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des outre-mer, se lèvent.)

Comme vous le savez, il y a maintenant plus d’un an, nous avons conclu avec l’Assemblée de la Polynésie française un partenariat destiné, notamment, à développer une meilleure connaissance mutuelle et à partager nos expériences en matière de fonctionnement institutionnel comme d’organisation administrative.

Dans le cadre de son déplacement à Paris, la délégation s’intéresse à deux sujets qui, au Sénat, nous sont particulièrement chers : le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.

Plusieurs réunions de travail sont organisées, certaines sur des sujets assez techniques : la délégation a ainsi souhaité mieux connaître les méthodes et outils que nous utilisons pour la retranscription de nos débats.

Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la bienvenue et forme des vœux pour que son séjour parmi nous soit l’occasion d’échanges fructueux et renforce la coopération entre nos assemblées. (Applaudissements.)

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Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique
Discussion générale (suite)

Égalité réelle outre-mer

Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (texte de la commission n° 372, rapport n° 371).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique
Article 1er

M. Mathieu Darnaud, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il y a une semaine jour pour jour, nous débattions du projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, sur lequel nous avions déposé une motion tendant à opposer la question préalable. J’avais alors expliqué que le Sénat n’avait pas été entendu par l’Assemblée nationale et que cela justifiait notre démarche.

Aujourd’hui, nous examinons les conclusions d’une commission mixte paritaire qui montrent tout l’intérêt et la portée du bicamérisme et illustrent notre vocation d’assemblée représentant tous les territoires, à commencer par les outre-mer.

Madame la ministre, ce texte est le fruit d’une large concertation. Il reprend, au travers notamment de l’adoption de nombreux amendements relatifs à la question foncière présentés par Thani Mohamed Soilihi, certaines des préconisations de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, présidée par Michel Magras et dont je veux saluer le travail. Nous avons voulu agir de façon pragmatique pour répondre à une situation problématique, source de tensions sociales, dans les territoires ultramarins.

Tout en regrettant l’inflation du nombre d’articles qu’a connue le texte à l’Assemblée nationale, nous avons souhaité aborder l’examen de celui-ci avec pragmatisme, pour faire en sorte que l’essentiel des préconisations de nos collègues ultramarins, mais aussi hexagonaux, puisse trouver une traduction, l’objectif étant d’agir utilement pour l’ensemble des territoires ultramarins.

Nous avons ainsi cherché à développer toutes les formes de convergence, car l’ambition sous-tendant ce texte est avant tout de réduire les inégalités qui subsistent entre les territoires ultramarins et l’Hexagone.

Nous avons aussi voulu prendre en compte les atouts de ces territoires, liés à leur statut, à leur environnement direct, à leurs ressources et à leurs potentialités. J’aime à évoquer la différenciation territoriale : il s’agit non pas de créer des différences entre les territoires, mais de s’appuyer sur la diversité des potentialités de ces derniers.

Notre travail de concertation a été utile, car les positions des différents rapporteurs pour avis n’étaient pas toujours identiques et étaient parfois éloignées de celles que traduisait le texte issu de l’Assemblée nationale.

Ainsi, en matière économique, l’expérimentation dans les territoires ultramarins est essentielle, même si elle soulève quelques difficultés d’un point de vue juridique. Nous avons essayé de rendre le texte de l’Assemblée nationale davantage conforme au droit, notamment pour ce qui concerne l’article relatif au Small Business Act. Nous avons procédé de même s’agissant de problèmes du quotidien, notamment en matière d’urbanisme et de foncier ou de dates de commémoration, en nous appuyant sur des travaux accomplis au sein de notre assemblée. Bien sûr, nous avons été confrontés à des sujets compliqués, sur lesquels le débat a parfois été vif. Nous sommes parvenus à nous rapprocher des positions de l’Assemblée nationale, tout en prenant en compte les arguments de l’ensemble des sénateurs, qui étaient inspirés par des situations vécues dans les territoires.

Je citerai, à cet égard, la question de l’eau en Guyane et, plus encore, celle de l’orpaillage illégal. Sur ce dernier sujet, nous avons essayé de trouver avec vous, madame la ministre, une rédaction conforme au droit qui tienne véritablement compte des réalités et permette de traiter ce fléau endémique.

Nous avons aussi dû faire preuve de réactivité, certains sujets nous ayant été soumis tardivement. Je pense bien sûr à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie. En commission paritaire, nous nous sommes efforcés de porter un regard juste et pragmatique sur le dispositif proposé pour corriger les erreurs du passé et faire en sorte que nos concitoyens polynésiens, qui mènent ce combat depuis très longtemps, puissent être entendus.

Enfin, je veux saluer la volonté de converger et de surmonter les obstacles de nos collègues députés, et en particulier de Victorin Lurel, le rapporteur de l’Assemblée nationale. Si nous nous heurtons à un mur pour certains textes, tel n’a pas été le cas pour ce projet de loi. Nous pouvons collectivement nous féliciter de la réussite de cette commission mixte paritaire. J’espère que ce texte répondra aux aspirations de nos concitoyens ultramarins et montrera une fois encore que le Sénat sait entendre la voix de tous les territoires de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », proclame la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, aujourd’hui inscrite au fronton de notre Constitution.

Le combat pour l’égalité est constitutif de l’histoire de la France. Pourtant, dans ce pays au sein duquel l’égalité revêt un sens si particulier et si puissant, d’une manière presque unique au monde, certains citoyens souffrent encore de criantes injustices du simple fait de leur lieu de vie.

Actuellement, le taux de mortalité infantile est en moyenne, dans les départements d’outre-mer, celui qui prévalait dans l’Hexagone il y a vingt-trois ans. Le taux de chômage est deux fois plus élevé en Martinique et trois fois plus élevé à Mayotte qu’en France hexagonale. Le taux de pauvreté est trois fois plus élevé à La Réunion que dans l’Hexagone. Rien ne peut excuser les disparités dont souffrent nos 3 millions de concitoyens ultramarins.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque de pareils écarts sont constatés. De tels retards ne seraient acceptés dans aucun département hexagonal. Il est maintenant temps – plus que jamais temps, et vous serez, je crois, tous d’accord avec moi sur ce point – de garantir à nos concitoyens ultramarins l’égalité réelle, c’est-à-dire, au-delà du droit, l’égalité dans les faits.

C’est une question de dignité, et même, de façon plus fondamentale, plus essentielle, plus vitale, une question de fierté.

Ce projet de loi, support de mesures à la fois importantes et concrètes, permettra d’amplifier ce que les gouvernements successifs de cette mandature se sont acharnés avec conviction à réaliser depuis cinq ans : redonner à nos compatriotes la fierté d’être ultramarins, la fierté d’être Français, la fierté d’appartenir à cette République océanique !

Promouvoir une politique de fierté, c’est poursuivre le combat pour la justice sociale. Cette longue marche vers le respect et la dignité est déjà largement entamée.

Permettez-moi de saluer, en cette journée si particulière, la mémoire de Gaston Monnerville, de Léopold Bissol, de Raymond Vergès et d’Aimé Césaire, qui se sont battus, avec opiniâtreté et passion, pour que les outre-mer participent pleinement à la République. C’est grâce à ces quatre parlementaires que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion sortirent du statut colonial qui était le leur pour devenir des départements français.

Cette belle loi du 19 mars 1946, que nous connaissons tous, fut votée à l’unanimité. Je voudrais souligner le fait, pour moi fondamental, que, en dépit du contexte économique, et notamment budgétaire, très difficile de l’après-guerre, les représentants de la Nation n’ont pas transigé avec les principes de la République : oui, les outre-mer sont la France ! Oui, les outre-mer font la France !

Ce projet de loi vise ainsi à parachever l’égalité sociale dans les quatre départements d’outre-mer, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et à accélérer son avènement pour le département de Mayotte.

Grâce au soutien déterminé du Président de la République, François Hollande, qui s’est engagé à faire adopter et à mettre en œuvre le projet de loi dès 2017, et à celui des Premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, les montants de nombreuses prestations sociales, notamment le complément familial, vont être, comme vous le savez, harmonisés avec ceux de l’Hexagone. Il s’agit là de mesures de justice sociale qui permettront aux familles ultramarines de bénéficier des mêmes droits que les familles de la France hexagonale. C’est une belle et grande avancée qui peut être entérinée aujourd’hui !

Promouvoir une politique de fierté, c’est permettre aux territoires de construire, en lien avec l’État, un nouveau modèle de développement pour les outre-mer.

Les politiques publiques seront désormais différenciées et respectueuses des spécificités et des besoins de chaque territoire : c’est toute l’ambition de ce projet de loi.

Les plans de convergence seront déterminés par les départements et collectivités d’outre-mer, en partenariat avec l’État, afin de définir leurs stratégies de développement au plus près du terrain.

Promouvoir une politique de fierté, c’est combattre les discriminations dont souffrent encore les Ultramarins.

Nous interdisons toute discrimination en raison de la domiciliation bancaire des personnes. Trop souvent, nous le savons, nos un million de concitoyens ultramarins résidant dans l’Hexagone se voient refuser leur demande de crédit en raison d’une domiciliation bancaire dans les outre-mer. Cela doit cesser : chacun doit bénéficier des mêmes droits dans ce pays.

Mais lutter contre les discriminations implique également de s’attaquer aux représentations. Les outre-mer s’avèrent encore trop souvent absents des médias nationaux : en ne montrant pas la vitalité, la dynamique, l’élan pris par ces territoires, nous reproduisons les clichés erronés à leur sujet. Nous demandons donc au secteur audiovisuel public d’accroître, dans son cahier des charges, la visibilité des outre-mer, notamment dans ses programmes dédiés à l’actualité.

Il est en effet crucial que les outre-mer soient mieux connus et reconnus. C’est ainsi que nous parviendrons à lutter contre les clichés dont ils souffrent et à réduire les discriminations intolérables et insupportables dont ils sont trop souvent victimes !

Promouvoir une politique de fierté, c’est poursuivre le combat contre la vie chère.

Concrètement, pour ne prendre qu’un exemple parmi les nombreuses dispositions en la matière, les grandes et moyennes surfaces à Mayotte et en Guyane devront négocier un tarif de gros maximal à l’égard des petites surfaces de détail. Cette mesure permettra de contenir les prix pratiqués par les petits magasins alimentaires – je pense aux doukas, à Mayotte – et de soutenir leur activité si nécessaire.

En Nouvelle-Calédonie, nous allons par ailleurs progressivement aligner les prix des services bancaires sur ceux de l’Hexagone. Cela constituera un gain important pour nos concitoyens calédoniens.

Promouvoir une politique de fierté, c’est renforcer la continuité territoriale au bénéfice des Ultramarins.

Les tarifs d’affranchissement des courriers de moins de 100 grammes seront alignés sur les tarifs hexagonaux. Concrètement, envoyer une lettre depuis Fort-de-France vers Paris coûtera autant qu’expédier un courrier depuis Lyon vers la capitale.

De plus, pour les familles faisant face à un deuil, des aides pourront contribuer à la prise en charge du transport du corps du défunt. Cette question difficile est bien connue des Ultramarins résidant dans l’Hexagone. Il s’agit là d’une revendication ancienne, à laquelle nous répondons avec dignité.

Promouvoir une politique de fierté, c’est combattre le mal-logement, qui porte atteinte à la dignité de nos concitoyens.

Concrètement, nous simplifions les procédures afin de construire davantage de logements sociaux et de permettre à chacun de vivre dans un logement décent. C’était un impératif absolu que de lutter contre l’habitat insalubre. Des dispositifs d’accession à la propriété seront créés pour les logements sociaux.

Nous avançons également en matière de logement intermédiaire, afin d’offrir un parcours résidentiel au sein du parc locatif social et de donner de nouvelles perspectives à nos concitoyens.

Nous créons par ailleurs des aides fiscales destinées à la réhabilitation du parc immobilier, privé comme social, vieillissant dans les outre-mer.

Nous souhaitons ainsi offrir la possibilité à toutes les familles, y compris les plus modestes, de s’inscrire dans un véritable parcours résidentiel et d’accéder à la propriété.

Ces dispositions constituent également un soutien aux TPE-PME et à la filière du BTP, et permettent la création d’emplois non délocalisables.

Promouvoir une politique de fierté, c’est également penser de nouvelles mobilités pour les Ultramarins.

La mobilité est encore trop souvent conçue comme « un départ vers l’Hexagone » ; elle doit désormais être vue comme une mobilité depuis l’Hexagone !

Il faut maintenant encourager les « mobilités retours ». Dans cette perspective, le projet de loi permettra d’aider les jeunes à revenir dans leur collectivité d’origine jusqu’à cinq ans après la fin de leur formation en mobilité. Cela représente un véritable progrès, qui leur permettra de terminer leurs études et d’acquérir une première expérience professionnelle avant de revenir dans leur collectivité d’origine pour y exercer leurs compétences.

Des territoires comme la Martinique ou la Guadeloupe sont en effet confrontés à un vieillissement démographique significatif. La Martinique a perdu pas moins de 12 000 habitants en cinq ans et sera, d’ici à 2030, le deuxième département le plus vieux de France. Face à ces grands enjeux démographiques, nous agissons !

Toujours dans l’objectif d’innerver le tissu économique ultramarin grâce à de nouveaux talents, un dispositif de formation en mobilité avec garantie d’emploi au retour sera également expérimenté.

Ce projet de loi instaure également un « passeport pour la mobilité en stage professionnel », qui permettra de financer les titres de transport nécessaires pour effectuer un stage hors du territoire. Cette disposition est fondamentale, car le tissu économique local n’offre pas toujours des possibilités de stage adéquates. C’est une avancée tant pour les étudiants, y compris ceux de STS ou d’IUT, que pour les élèves de terminale professionnelle ou technologique.

Promouvoir une politique de fierté, c’est, enfin, assumer notre histoire et construire une mémoire apaisée. La Polynésie française fut, chacun le sait, le théâtre de 1966 à 1996 de 193 essais nucléaires, visant à doter la France d’un outil essentiel en période de guerre froide : la dissuasion nucléaire.

Si ces essais permirent à notre Nation d’accéder à l’indépendance stratégique et militaire, aujourd’hui vitale, ils n’en eurent pas moins de terribles conséquences du point de vue sanitaire pour nos concitoyens du Fenua comme pour les travailleurs du Centre d’expérimentations du Pacifique.

En ce moment solennel, même historique, je tiens à ce que nous saluions l’engagement que le Président de la République a formulé à Papeete en février 2016. François Hollande, soucieux que la France regarde son histoire avec courage et lucidité, a non seulement reconnu le fait nucléaire, mais également annoncé une refonte de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

L’État fit déjà preuve de justice lorsque, par exemple, il mit fin à l’inégalité de traitement entre militaires retraités français et étrangers – pour la plupart africains – ayant servi dans l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale.

François Hollande a souhaité favoriser la même prise de conscience nationale au sujet des essais nucléaires menés en Polynésie française. Trop souvent, trop longtemps, les victimes des essais ont vu leurs demandes rejetées du fait de critères trop restrictifs.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Ericka Bareigts, ministre. Conformément aux engagements pris par le Président de la République, le Gouvernement a souhaité apporter une réponse ambitieuse, à la hauteur de cet enjeu historique, en assouplissant considérablement les critères en vigueur.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Ericka Bareigts, ministre. La coconstruction avec les parlementaires, méthode que je me suis attachée à défendre, vous le savez, tout au long de l’examen de ce projet de loi, nous a permis de décider ensemble de supprimer le critère du « risque négligeable » pour permettre à toutes les victimes d’être indemnisées. (MM. Jean Desessard et Guillaume Arnell applaudissent.)

Une commission sera par ailleurs mise en place pour veiller à ce que ces indemnisations profitent le plus efficacement possible aux victimes et pour évaluer le dispositif ainsi modifié.

C’est l’honneur du Président de la République que d’avoir souhaité avancer vers une mémoire apaisée,…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Ericka Bareigts, ministre. … c’est l’honneur de ce gouvernement et du Parlement que d’avoir porté un progrès majeur en faveur des victimes des essais nucléaires, c’est l’honneur, enfin, de notre pays que de regarder son histoire en face et de l’assumer, avec ses ombres et ses lumières. Aujourd’hui, nous en écrivons ensemble, incontestablement, une nouvelle page, et c’est tout l’honneur de la politique que de se mettre à la hauteur de l’histoire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec une certaine émotion, je dois l’avouer, que je vous présente aujourd’hui le projet de loi relatif à l’égalité réelle outre-mer, au terme d’un parcours législatif rapide, intense et dense en échanges. Tout ce travail a été mené en moins d’un an !

Vous le savez, en tant qu’élue locale, députée de la première circonscription de La Réunion, puis secrétaire d’État à l’égalité réelle et, maintenant, ministre des outre-mer, le combat pour l’égalité m’a mobilisée à chaque instant. C’est ma conviction : nous devons assurer un sens concret à cette belle valeur de l’égalité.

Je crois que nous pouvons, toutes et tous, être fiers du chemin que nous avons parcouru ensemble. Comme je l’avais annoncé en commission et comme cela a été réalisé avec vos collègues députés, j’ai souhaité mener avec vous un véritable travail de coconstruction. Le Gouvernement a pris toute sa part dans cette démarche collaborative à laquelle vous avez participé, tant en commission qu’en séance : je m’en félicite ! Voilà la preuve de notre volonté partagée de travailler pour l’intérêt général et pour les outre-mer.

Plusieurs membres de votre assemblée ont plus particulièrement animé cette réflexion commune et méritent, à ce titre, mes remerciements appuyés. Je salue l’écoute constructive et l’implication résolue de Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois, la détermination et l’esprit toujours constructif de Michel Magras, rapporteur de la commission des affaires économiques et président de la délégation à l’outre-mer, l’important travail accompli par Chantal Deseyne, rapporteur de la commission des affaires sociales, Vivette Lopez, rapporteur de la commission des affaires culturelles, Jean-François Mayet, rapporteur de la commission du développement durable, Michel Canevet, rapporteur de la commission des finances, et Thani Mohamed Soilihi, porte-parole du groupe socialiste.

Enfin, je tiens à remercier George Pau-Langevin, avec qui j’ai engagé avec enthousiasme et détermination l’élaboration de ce projet de loi, ainsi que les assemblées locales qui ont été consultées et le Conseil économique, social et environnemental, pour son avis très pertinent.

Je tiens par ailleurs à remercier chaleureusement les quelque 2 000 citoyens qui, au travers de la consultation numérique, ont exprimé des préoccupations et formulé des propositions qui ont permis d’enrichir ce projet de loi.

En ce jour solennel, nous pouvons être heureux, tous autant que nous sommes, de porter au plus haut la fierté des Ultramarins. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires d’outre-mer connaissent, depuis des décennies, de graves difficultés sociales et économiques, des inégalités héritées de l’histoire coloniale que la République peine à résorber.

Les problèmes éducatifs, sanitaires, économiques, les difficultés d’accès aux droits, aux services publics ou à l’emploi sont régulièrement dénoncés par les habitants, les associations et les élus de ces territoires, sans que l’on constate d’amélioration notable de la situation. Ce projet de loi vise à répondre à une partie de ces problèmes, et il est très attendu.

Nombre d’entre nous font part depuis des années de ces difficultés. Nous avons pu échanger récemment à ce sujet avec les communautés amérindiennes – Palikours, Wayanas, Kali’nas, Tekos, Wayampis, Lokonos – ou bushinenguées. Ma collègue Aline Archimbaud a rencontré leurs représentants lors de sa mission en Guyane, en 2015, et ceux-ci se sont déplacés à Paris, au mois de novembre 2016, pour exprimer leur colère devant la lenteur des changements, leurs revendications et leurs attentes.

La République est une tout en étant diverse. C’est à la fois une richesse et une source de difficultés lorsque l’on veut réformer. Il faut, à rebours du jacobinisme uniformisant, mettre en place les conditions de l’exercice effectif des droits en analysant chaque territoire et en prenant en compte ses spécificités.

Le groupe écologiste se réjouit que nombre de ses propositions aient été retenues, qu’il s’agisse de l’information des jeunes en matière de santé, du renforcement de la représentativité et de l’extension du champ de compétences du nouveau grand conseil coutumier, en Guyane, ou de la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, pratique dont nous connaissons les ravages, tant sur la santé des populations du fleuve que sur leur sécurité et sur l’environnement.

Enfin, la notion de « risque négligeable » est supprimée de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite Morin, ce qui représente la fin d’une véritable injustice envers les victimes des essais nucléaires. Les victimes, en particulier civiles, pourront être indemnisées au titre de leur exposition aux retombées des essais nucléaires, dont les radiations, je le rappelle, correspondent, en cumulé, à 9 900 fois la bombe d’Hiroshima !

Nous espérons que la nouvelle commission créée la semaine dernière à l’Assemblée nationale par adoption d’un amendement du Gouvernement ne remettra pas en cause cet acquis fondamental. La loi Morin est une loi de présomption et indique clairement que les personnes concernées par l’indemnisation sont les demandeurs et leurs ayants droit. Par conséquent, qu’entend le Gouvernement par « réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires » ? Cette formulation n’est pas complètement claire et peut susciter l’inquiétude des associations et des victimes.

Cela étant dit, ce projet de loi nous inspire aussi quelques regrets.

Le Sénat avait adopté un amendement tendant à poser les fondements de la création d’un observatoire du suicide en Guyane, afin de s’attaquer enfin à ce grave problème et de créer les conditions d’un « mieux-être » pour tous ces jeunes qui n’ont plus d’espoir en l’avenir.

Contrairement à ce qui a été dit pendant les débats, les représentants des populations autochtones de Guyane sont favorables à la création d’un tel organisme. Cette disposition a été, de façon totalement incompréhensible, supprimée par la commission mixte paritaire. Eu égard à l’importance du fléau que représentent les suicides en Guyane, notamment chez les jeunes Amérindiens – il y a encore eu un suicide la semaine dernière –, cette suppression est, à nos yeux, inadmissible. Elle témoigne de l’absence de prise en compte par les parlementaires de ce problème grave. Avec Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, nous nous étions rendus au Québec pour étudier quelles mesures y avaient été prises pour limiter l’ampleur de ce fléau. Des solutions existent, il est dommage de ne pas traiter cette question en profondeur.

Nous avions également déposé un amendement portant sur l’accès à l’éducation en langue maternelle, qui a été rejeté. Cela nous semble incompréhensible, eu égard au besoin des enfants de pouvoir étudier, au moins en partie, dans leur langue maternelle. En effet, beaucoup ne maîtrisent pas le français en arrivant à l’école. Les langues autochtones doivent être reconnues, surtout si l’on veut lutter contre l’échec scolaire, donner à tous les moyens de réussir et favoriser l’intégration sociale.

Néanmoins, au-delà de ces quelques déceptions, ce texte comporte nombre de bonnes mesures, attendues depuis des années. Aussi le groupe écologiste, tout en souhaitant que le travail se poursuive pour aboutir à une véritable égalité entre les habitants de l’Hexagone et ceux des outre-mer, votera-t-il le texte issu de la commission mixte paritaire. (MM. Hervé Poher et Guillaume Arnell applaudissent.)