M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Nous devons avoir un regard dépassionné.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet, comme la commission, un avis défavorable sur les amendements de suppression sèche de l’alinéa 21, c'est-à-dire les amendements nos 51 rectifié bis, 126 et 164.

Quant à l’amendement n° 215 rectifié bis, il prévoit une expérimentation dans le secteur du numérique.

Qui peut le plus peut le moins, monsieur Assouline, mais je comprends que, pour vous, « qui peut le moins » serait mieux, mais nous souhaitons garder l’épure et supprimer toute restriction à un seul domaine. En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

S’agissant de l’amendement n° 19 rectifié bis, malgré tous ses efforts, M. Savary n’a pas pu convaincre ni la commission ni le Gouvernement du caractère juridique des notions d’opération ou de projet de croissance.

Surtout, la rédaction actuelle recouvre ces notions.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Les auteurs de l’amendement n°205 rectifié envisagent le cas où aucun accord ne serait atteint dans une branche.

Il vaut mieux en rester tout simplement au droit commun, qui prévoit d’ores et déjà ce qu’il advient en cas d’échec des négociations. Rien n’interdirait en effet d’appliquer les dispositions de l’article L. 2261-17 du code du travail aux contrats de chantier, qui permet au ministre du travail de procéder à une extension. Le répéter dans le projet de loi d’habilitation serait redondant.

Alors que j’ai entendu s’exprimer sur ces travées le souhait de ne pas alourdir les pages d’un code déjà très fourni, je propose, par cohérence, le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

L’avis est identique pour l’amendement n° 206 rectifié, qui procède de la même philosophie.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 51 rectifié bis, 126 et 164.

Mme Nicole Bricq. Nous voterons contre ces amendements.

Petit rappel de l’histoire parlementaire : ce contrat, appelé tantôt contrat de mission, tantôt contrat de chantier et qui verra sa dénomination évoluer au terme du travail confié aux branches, porte un nom légal : contrat à durée déterminée à objet défini.

Son application a été assortie d’une expérimentation sur cinq ans dans la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail. Nous ne le découvrons donc pas à la faveur de ce projet de loi d’habilitation.

À l’issue des cinq années d’expérimentation, les règles de ce contrat ont été définies précisément par la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises, présentée par Thierry Mandon, alors secrétaire d'État chargé de la réforme de l’État et de la simplification.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de ce contrat de chantier ou de mission, limité à trente-six mois, non seulement pour l’emploi et les salariés, mais aussi pour les entreprises et l’économie de manière générale, car il donne en même temps souplesse et sécurité.

Ce que je tiens ici à souligner ici, c’est que, à la suite de la loi de 2014, les CDD à objet défini se sont révélés très utiles pour faire appel à des ingénieurs et à des cadres souvent de haut niveau, notamment dans ce qu’on appelle l’industrie du futur et la recherche des nouveaux process qui accroissent la compétitivité de notre industrie.

Il nous faut faire très attention, et c’est pourquoi il faut confier aux branches la définition des secteurs d’activité où ce contrat trouvera le mieux à s’appliquer.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans la pharmacie !

Mme Nicole Bricq. Je l’ai dit, ce contrat ne concerne pas le secteur de la pharmacie, madame Lienemann. Il est utilisé surtout dans des industries de haute technologie et de pointe.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il y a des exemples dans le secteur de la pharmacie.

Mme Nicole Bricq. Je ne crois pas.

Mme Nicole Bricq. Monsieur Watrin, vous préférez passer par la loi. Je le comprends : c’est votre position de principe.

Mme Éliane Assassi. C’est vous qui le dites !

Mme Nicole Bricq. Les branches ont cependant leur utilité en la matière.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Tous ces propos méritent quelques précisions et rectifications.

Si l’ambition est d’atteindre 90 % de CDI, je ne doute pas qu’avec ce système, qui, j’en suis persuadé, aura beaucoup de succès auprès des entreprises, vous parviendrez très vite à ce taux. Vous pourrez ensuite vous glorifier, statistiques à l’appui, d’avoir mis en place un dispositif efficace.

Le problème est et non pas la transformation des CDD en CDI, qui ne présente que des avantages ou, au moins, n’entraîne pas dégradation de la situation, mais la généralisation du CDI de chantier à la place du véritable CDI, car la tentation va être grande.

Je prendrai l’exemple de PSA. À Rennes, le nombre d’employés est passé de 12 000 employés à 4 000 sur une période de sept à huit ans. Aujourd’hui, PSA retrouve un peu d’oxygène, a du dynamisme, de la vitalité, et a par conséquent besoin de créer et crée des emplois.

Antérieurement, le cycle de fabrication d’un modèle voiture et, surtout, de sa mise et de son succès sur le marché étant en général de l’ordre de quatre à cinq ans, PSA ne pouvait se permettre de recruter en CDD. Les ouvriers étaient donc en CDI et, lorsque la voiture ne se vendait plus et qu’il fallait licencier, les licenciements économiques étaient assortis d’avantages financiers assez considérables et de mesures d’accompagnement au reclassement dans le cadre de plans de sauvegarde de l’entreprise.

Je prends le pari que, demain, la facilité et la commodité pour PSA, ce sera d’embaucher sous CDI de chantier plutôt que sous CDI, avec tous les inconvénients que cela entraînera : absence de prime de précarité, de licenciement économique ou encore d’accompagnement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nicole Bricq. Comment pouvez-vous dire cela ?

M. Jean-Louis Tourenne. Je sais ce qui se passe à Rennes !

Mme Nicole Bricq. PSA va investir et recruter à Rennes. Vous devriez vous en réjouir !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur Tourenne, le vrai risque aujourd’hui est que, s’il doit augmenter ses effectifs pour une courte période, en Franche-Comté ou en Bretagne, PSA préférera fabriquer les productions supplémentaires dont il a besoin sur des sites implantés hors de notre territoire national…

M. René-Paul Savary. On aura tout gagné !

M. Jean-Marc Gabouty. … plutôt que de recourir à des CDI. C’est un risque qu’il faut bien prendre en considération. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) C’est comme ça, madame Lienemann !

Mme Éliane Assassi. Il n’y a pas de fatalité !

M. Jean-Marc Gabouty. S’agissant de l’amendement n° 19 rectifié bis, je m’en remets à l’avis de la commission et du Gouvernement.

Une opération ou un projet de croissance peut être une mission, un projet ou un marché. Il ne s’agit pas de la généralisation de ces contrats, car ils ne sont pas adaptés à toutes les activités. Vendre de la quincaillerie et construire un paquebot, ce n’est pas la même chose. Pour construire un nouveau modèle, il y a des à-coups qui peuvent être prévus sur une certaine durée. Puis, s’il y a récurrence de la croissance, il pourra y avoir des CDI « définitifs ».

Les marchés sont cependant de plus en plus fluctuants et la visibilité de plus en plus courte. Dans des PME de fabrication ou de services, à niveau de production équivalent, les plans de charge ont été divisés par deux, trois ou quatre suivant les professions en vingt ans. Même dans des entreprises de plusieurs centaines de salariés, la vision du plan de charge ne dépasse pas la semaine ! Comment être flexible et s’adapter s’il n’y a aucune souplesse sur marché du travail ?

On peut être contre le mode de fonctionnement de certains secteurs d’activité, mais on ne peut pas ne pas être attentifs aux évolutions. Si elles ne sont pas réactives, les entreprises, et avec elles des emplois, disparaissent. Des protections et des garanties sont nécessaires, mais il faut aussi une flexibilité qui permette de répondre aux conditions du marché, qui sont ce qu’elles sont - nous ne pouvons pas les transformer !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. N’a-t-on pas voulu, en qualifiant d’indéterminé ce qui est déterminé, affaiblir le contrat à durée déterminée, qui est assez difficile à rompre et assorti de la prime de précarité ? Ce serait le comble !

Je voudrais souligner qu’il existe de nombreux types de contrats différents. Selon le bilan de l’Inspection générale des affaires sociales, en 2014, les 3,2 millions d’embauches en CDD d’usage correspondaient à 126 000 équivalents temps plein. C’est dire la brièveté de ces contrats !

On me dit que l’amendement que je défends serait quasi irrecevable – il a néanmoins été reçu – et on me demande de le retirer parce qu’aucune expérimentation n’est prévue dans le texte ; je le regrette, d’autant que vous n’avez fait aucune étude d’impact réelle, par exemple sur le nombre d’embauches possibles.

Nous avons soulevé ici les graves dangers du dispositif, mais, si l’on vous prend au mot, pourquoi ne pas dire banco pour une expérimentation ? Mme Bricq a évoqué une expérimentation sur cinq ans. C’est donc légalement possible. Il serait bon parfois de tester les hypothèses en faisant des expérimentations et de tirer le bilan de celles-ci, comme aux Pays-Bas, qui vont revenir en arrière, les essais ayant complètement « foiré » ! Je l’ai dit, le résultat a été la précarisation à l’intérieur des entreprises et aucune embauche à l’extérieur.

Je propose de faire l’expérience dans un secteur, que Mme Bricq a d’ailleurs évoqué, celui du numérique et des start-up, où les contrats de projet peuvent avoir un sens.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Il y a dans l’alinéa dont nous demandons un complet glissement de langage, puisque l’on parle de contrat à durée « indéterminée », qualificatif qui a un sens, mes chers collègues, mais juste « pour la durée d’un chantier ou d’une opération ». On dit une chose et son contraire. C’est se moquer des gens !

Comment pourrait-il s’agir de contrats à durée indéterminée, puisqu’ils sont limités par le temps de la mission ? La précarité sera amplifiée.

Mme Nicole Bricq. Mais non !

Mme Laurence Cohen. En outre, la généralisation du dispositif est prévue, car, a-t-on dit dans cet hémicycle, elle serait positive pour l’entreprise et pour la productivité, le recrutement de cadres de haut niveau ayant été pris en exemple. Ainsi, les entreprises, en particulier les grands groupes, vont pouvoir « piocher », quand et comme ça les arrange, des salariés de haut niveau.

Mais il n’y aura pas que des salariés de haut niveau, mes chers collègues ! En fait, on est en train de construire un modèle de société où les salariés sont traités comme des Kleenex que l’on jette après les avoir utilisés.

Alors que, dans notre pays, le taux de chômage est énorme et qu’il est très difficile de retrouver un travail après une période de chômage, aucun argument développé dans cet hémicycle ne nous apporte la démonstration que ce texte va réduire le chômage et aider les salariés dans les entreprises, d’autant que toutes les barrières disparaissent peu à peu, en particulier avec la fusion des IRP et la suppression de toutes les protections en faveur des salariés. Sous couvert de faire attention à l’entreprise, on s’oriente vers l’explosion de la précarité.

Cet abus de langage est grave, car il dupe nos concitoyens et nous-mêmes, au Parlement.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 51 rectifié bis, 126 et 164.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 215 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Monsieur Savary, l'amendement n° 19 rectifié bis est-il maintenu ?

M. René-Paul Savary. Cet amendement étant satisfait, c’est bien volontiers que je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 19 rectifié bis est retiré.

Qu’en est-il des amendements nos 205 rectifié et 206 rectifié, madame Lamure ?

Mme Élisabeth Lamure. L’amendement n° 205 rectifié étant également satisfait par le droit commun. Dans un esprit de simplification, je le retire donc.

Je retire aussi l’amendement n° 206 rectifié, puisqu’il manque de précision s’agissant du secteur concerné.

M. le président. Les amendements nos 205 rectifié et 206 rectifié sont retirés.

Mes chers collègues, nous avons examiné 37 amendements ce matin ; j’indique qu’il en reste 49.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Discussion générale

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, hier au soir, le journal l’Humanité, daté de ce jour, a révélé des éléments sur l’énorme plus-value que vous avez réalisée le 30 avril dernier à l’occasion de la vente des stock-options que vous aviez obtenues pour vos états de service en tant que directrice des ressources humaines du groupe Danone. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC brandissent des exemplaires de l’Humanité.)

Cette plus-value s’élève à 1,129 million d’euros. Elle a été réalisée grâce à une flambée boursière en faveur de Danone faisant suite à l’annonce de la suppression de 900 emplois.

Ce point est extrêmement grave sur le plan éthique et, peut-être, sur le plan juridique : de par vos fonctions, vous avez organisé ce plan social et vous en avez récolté les fruits pour votre profit personnel. De là à parler d’initié, il n’y a qu’un pas à franchir…

De plus, cette révélation est grave sur le plan politique.

Madame Pénicaud, vous êtes ministre du travail. Or le projet de loi dont vous êtes chargée et dont nous discutons aujourd’hui porte en lui une véritable atomisation du code du travail, dont la conséquence sera la précarisation et l’appauvrissement de milliers et de milliers de salariés. Le plafonnement des indemnités de licenciement en est un exemple concret.

Madame la ministre, cette situation n’est pas supportable. À l’heure où votre gouvernement se livre à des comptes d’apothicaire pour serrer de plusieurs crans la ceinture de notre peuple – réduction des aides personnalisées au logement, les APL, gel des salaires de la fonction publique, casse des services publics –, nous apprenons, alors que vous occupez une fonction ministérielle de premier plan, que vous avez engrangé des bénéfices indécents sur le dos de 900 salariés, au prix de leur souffrance et de celle de leurs familles.

Des explications sont nécessaires, de toute urgence, alors que nous débattons du projet de loi que vous défendez. Nous vous demandons donc de nous apporter les éléments nécessaires en ce début de séance ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, j’entends votre question.

Je pense que nous tous, dans cet hémicycle, sommes d’accord sur ce point : nous sommes ici pour fabriquer la loi, et non pour nous livrer à des approximations, voire à des propos démagogiques, au sujet de faits concernant une personne présente dans cet hémicycle - aujourd'hui moi, demain, il pourrait s’agir de quelqu’un d’autre.

Chacun, chacune peut avoir son appréciation quant au niveau de rémunération…

Mme Laurence Cohen. C’est plus qu’une rémunération…

Mme Muriel Pénicaud, ministre. … des dirigeants des grandes entreprises françaises présentes à l’international et performantes, en France et dans le monde. Chacun est libre d’exprimer son opinion sur ce sujet.

La seule chose que je veux dire ici, très fermement et avec force, c’est qu’il s’agit d’une rémunération décidée des années avant le plan de départs volontaires. Ce plan, qui a concerné 200 salariés chez Danone - au total, 233 solutions ont été trouvées – était donc bien ultérieur.

Par démagogie, laisser interpréter autre chose que les faits me semble aller hors du champ de la discussion sereine qui doit avoir lieu au Sénat. Si j’ai à m’exprimer sur ce sujet, je le ferai dans d’autres lieux et en d’autres temps.

Pour l’heure, je propose d’en rester aux faits, et, les faits, c’est que nous sommes ici pour fabriquer la loi : c’est notre responsabilité collective.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

4

Article 3 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 3

Renforcement du dialogue social

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 3.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article additionnel après l'article 3

Article 3 (suite)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les amendements nos 127 et 157 sont identiques.

L'amendement n° 127 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 157 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 22

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 127.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, avec cet alinéa 22, on continue dans la série des reculs sociaux. Votre gouvernement a toujours la même volonté de nous faire croire que les mesures avancées, toujours aussi floues, vont dans le sens de l’intérêt des salariés, de l’amélioration de leurs conditions de travail.

Ce qui est ciblé ici, c’est le travail de nuit, et le Gouvernement saisit une nouvelle fois l’occasion de déréguler un peu plus le code du travail.

Comme chacun le sait, le travail de nuit est aujourd’hui réglementé et limité par la loi aux cas exceptionnels : continuité du service public, obligation de maintien de la production, etc. Il présente des contreparties obligatoires en matière de repos et de rémunération. La période de travail de nuit correspond aux horaires effectués entre 21 heures et 7 heures du matin.

Le recours au travail de nuit suppose la conclusion d’un accord collectif, et je rappelle que les règles qui l’encadrent ont été considérablement modifiées, successivement par la loi Macron et par la loi El Khomri. Visiblement, ce n’était pas encore suffisant !

Vous essayez de nous rassurer en affirmant que les adaptations que vous proposez seront de portée limitée : il ne s’agirait que d’une fourchette de quinze à vingt minutes liée par exemple au temps d’habillage, de déshabillage ou de comptage de caisses. En définitive, il ne s’agirait là que de mesures assez techniques. Mais pourquoi n’avoir pas envisagé d’élargir ce qui définit actuellement la période de nuit plutôt que de la restreindre ? Cela ne constituerait-il pas une vraie valeur ajoutée pour les salariés ?

Comme vous le savez, dans notre pays, environ 3,5 millions de personnes travaillent de nuit, soit 15,4 % des salariés. Personne ne peut nier l’impact de ces horaires atypiques sur la santé : troubles du sommeil, augmentation du risque du cancer du sein, etc.

Nous sommes fortement inquiets, d’autant qu’avec votre logique, ce qui est aujourd’hui considéré comme exceptionnel et encadré pourra être discuté entreprise par entreprise.

Après l’élargissement du travail du dimanche, mené par l’actuel Président de la République lorsqu’il était ministre de l’économie, ce sont de nouvelles protections des salariés qui sont laminées. Vous comprendrez que nous demandions, au travers de cet amendement, la suppression de cet alinéa 22.

Une vraie mesure sociale aurait été de proposer la limitation du travail de nuit. Ce n’est pas le choix que vous avez fait : dans ce domaine, vous ouvrez encore un peu plus la brèche de la déréglementation, comme l’ont fait avant vous Myriam El Khomri et Emmanuel Macron.

Nous refusons de vous suivre sur ce chemin qui nuit à la santé des salariés. Vous le voyez, on est loin des stock-options. À l’évidence, il y a deux poids, deux mesures…

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 157.

M. Jean Desessard. Des effets avérés sur le sommeil, des effets probables sur la santé psychique, des performances cognitives diminuées, l’obésité, le diabète, les maladies coronariennes, le risque de développer un cancer : voilà, mes chers collègues, la liste des conséquences avérées du travail de nuit sur la santé des salariés.

Si l’Organisation mondiale de la santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, le Conseil économique, social et environnemental, le Centre international de recherche sur le cancer s’accordent pour donner l’alerte sur les risques qu’entraîne le travail de nuit, alors il est de la responsabilité du législateur d’en limiter les cas de recours.

À ces risques sanitaires s’ajoutent des conséquences sociales pour les travailleurs concernés, qui vivent à un rythme décalé de la majorité de nos concitoyennes et concitoyens. Demandez à une infirmière qui travaille la nuit comment elle concilie son métier avec sa vie familiale et sociale ; pourtant, elle est bien obligée de faire avec, elle !

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons fermement à ce que le travail de nuit soit facilité, en particulier s’il s’agit, comme nous le craignons, de répondre à une demande de commerces ouverts tard le soir. Nous estimons que le travail de nuit doit rester exceptionnel et limité à certains secteurs d’activité. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 22.

Madame la ministre, puisqu’il me reste un peu de temps de parole, je me permets de réagir à vos derniers propos.

Effectivement, nous sommes là pour faire la loi. Mais, au sein de cette assemblée, nous sommes un certain nombre à penser qu’il y a trop d’inégalités, et que ces dernières sont justement un facteur de pauvreté dans ce pays. Quel crédit pouvons-nous accorder à quelqu’un qui – certes, tout à fait légalement – a bénéficié d’une prime d’un montant mille fois supérieur à ce que touchent les salariés licenciés ? Ce n’est pas rien ! Cette personne nous écoutera-t-elle lorsque nous critiquerons les stock-options et les parachutes dorés ?

Je comprends qu’alors vos oreilles se ferment ! De fait, vous ne pouvez pas être sensible à nos arguments, puisqu’ils entrent en contradiction avec ce que vous avez pu vivre.

Ce n’est pas votre probité qui est mise en question, mais votre capacité à entendre des remarques de gauche, des remarques sincères sur la détresse des travailleurs. Cette détresse s’aggrave et, dans le même temps, beaucoup bénéficient de droits que, pour notre part, nous trouvons exagérés.

M. le président. L'amendement n° 46 rectifié, présenté par Mme Génisson, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 22

Supprimer les mots :

ainsi qu’en renforçant le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Le travail de nuit est gravement nuisible pour la santé, chacun le sait. Il est démontré depuis longtemps que la durée de vie des personnes qui ont travaillé de nuit est réduite, ainsi que la durée de vie en bonne santé.

À ce titre, permettez-moi de citer deux sources.

En 2007, le Centre international de recherche sur le cancer a ajouté le travail posté à la liste des agents probablement cancérogènes.

De son côté, dans son rapport du 22 juin 2016, l’ANSES affirme que les risques de troubles du sommeil et de troubles métaboliques sont avérés. Il existe des risques probables de cancer, d’obésité, de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, de troubles psychiques, et cette liste n’est sans doute pas complète !

La proposition de soumettre le caractère exceptionnel du travail de nuit à la négociation collective est donc particulièrement inquiétante.

Le travail de nuit n’est déjà que trop répandu. Il a malheureusement en partie perdu son caractère exceptionnel. Mais ce caractère exceptionnel est un élément de la protection sanitaire du monde du travail. À ce titre, il est un principe d’ordre public sanctionné par l’article L. 3122-1 du code du travail.

Vous prenez pour prétexte le fait que certaines cours d’appel ne suivent pas la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle, en application de ce principe, est évidemment restrictive.

Nous connaissons tous l’arrêt Sephora, grande enseigne des Champs-Élysées, en vertu duquel « le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et ne doit être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement ».

En réalité, le Gouvernement entend revenir sur cette jurisprudence en « créant une forme de présomption de légalité du recours au travail de nuit dès lors que l’entreprise peut s’appuyer sur un accord collectif autorisant cet aménagement du temps de travail ».

Je vous rappelle que le Sénat a voté, contre notre avis d’ailleurs, une présomption de légalité de l’accord collectif.

En d’autres termes, il suffirait qu’un accord soit obtenu dans une entreprise, conclu par des délégués du personnel non mandatés ou par référendum sur l’initiative de l’employeur pour que le travail de nuit soit présumé légal. Il est aisé d’imaginer en quels termes la question serait en réalité présentée aux salariés et les conditions dans lesquelles un accord favorable au travail de nuit serait obtenu.

On voit, dans ces conditions, ce qu’il adviendra d’un principe d’ordre public protecteur de la santé des salariés.

Pour ces raisons, nous sommes opposés à l’introduction de cette disposition dans la loi.

Mme Évelyne Yonnet. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 66 rectifié, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat et Joissains et MM. Capo-Canellas, D. Dubois, Kern et Longeot, est ainsi libellé :

Alinéa 22

Après le mot :

exceptionnel

insérer les mots :

ou non

La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Il s’agit là de dispositions rédactionnelles, mais pas uniquement.

Le travail de nuit peut avoir un caractère exceptionnel. Il doit effectivement être encadré en fonction des professions et en priorité par les accords de branche.

Toutefois, si le travail de nuit n’est pas « naturel » – c’est le terme qu’il faut employer –, eu égard au rythme biologique de l’être humain, il n’a pas nécessairement de caractère exceptionnel. Il est inhérent à certaines fonctions, comme la continuité du service public, la sécurité et un certain nombre d’autres activités. Dire que le travail nocturne a un caractère exceptionnel pour un veilleur de nuit, c’est commettre un non-sens : pour lui, ce qui est exceptionnel, c’est le travail de jour.

À mon sens, il faut donc aborder le caractère exceptionnel ou non du travail de nuit.