M. Jacques Grosperrin. Tout ça pour ça !

M. Roger Karoutchi. Incroyable !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je suis heureux de pouvoir porter la position du groupe du RDSE sur ce PLFSS pour 2018, le premier de ce nouveau quinquennat.

Avant toute chose, le groupe du RDSE tient à saluer la qualité et la richesse de nos débats, avec une mention toute particulière pour vous, madame la ministre. Vous avez pris le soin de répondre de manière argumentée à chacune et à chacun d’entre nous, avec la volonté, bien entendu, de convaincre et une sincérité certaine. Nous remercions également les différents rapporteurs de notre commission des affaires sociales.

Toutefois, pour en venir à l’essentiel, s’agissant de l’augmentation de la CSG pour les retraités, la très grande majorité du RDSE n’est pas convaincue qu’un retraité dont le revenu mensuel net atteint 1 394 euros puisse être rangé dans la catégorie des retraités aisés…

C’est la raison pour laquelle le Sénat a adopté plusieurs amendements, dont celui du RDSE, visant à supprimer cette hausse. Si cette mesure devait être rétablie, il nous semblerait opportun a minima de relever le plafond des ressources à environ 1 600 euros par mois.

De même, la mise en place d’un taux progressif pour la cotisation maladie des exploitants agricoles nous semble inappropriée et c’est en ce sens que nous avons produit un amendement visant à supprimer cette disposition. Je rappelle que le taux de 3,04 % était un engagement pris par l’État en 2016. En métropole comme dans les outre-mer, la profession est en pleine crise, et ce taux progressif n’aurait fait qu’amplifier davantage le sentiment de détresse.

Avant le second examen du texte à l’Assemblée nationale et la probable réintroduction de ces deux mesures, le RDSE, si vous le permettez, madame la ministre, vous invite à bien prendre en considération les échanges qui ont animé notre hémicycle ces derniers jours et qui nous avaient conduits à supprimer ces dispositions.

Sur l’initiative de notre commission des affaires sociales, un article additionnel après l’article 11 a été inséré dans le texte, instaurant des mesures exceptionnelles pour les entreprises de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, mon territoire. Il s’agit de mesures légitimes qui vont permettre aux entreprises locales, actuellement en souffrance, de respirer et de relancer l’activité économique au plus vite. C’est essentiel pour nos deux territoires.

Je veux prendre le temps de remercier le Gouvernement d’avoir respecté ses engagements vis-à-vis de ces deux territoires sinistrés et la commission des affaires sociales d’avoir bien voulu porter cet amendement, absent du texte transmis par l’Assemblée nationale.

Au sujet des vaccins, le RDSE a apprécié tout particulièrement la réponse que vous avez faite à notre collègue Véronique Guillotin lorsqu’elle vous a interrogée au sujet du papillomavirus.

Néanmoins, nous serons vigilants, madame la ministre, quant au respect de l’engagement que vous avez pris dans cet hémicycle de saisir la Haute Autorité de santé et de travailler avec Santé publique France pour relancer des campagnes de vaccination.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, madame la ministre, mes chers collègues, a également subi des transformations à l’Assemblée nationale. Je voudrais revenir sur une disposition, fruit d’un amendement du rapporteur général : l’article 13 bis créant la contribution sur les boissons sucrées.

Même si nous souscrivons à l’objectif de ce dispositif tendant à renforcer la lutte contre l’obésité et la surconsommation de produits sucrés, nous considérons qu’il comporte malheureusement un certain nombre de limites : si l’on peut contrôler le taux de sucre dans des boissons sucrées, par exemple, comment s’y prendre pour les pâtisseries et les autres produits ? Et quid des cas où le sucre est présent en faible quantité dans des produits, alors qu’il ne devrait pas s’y trouver, comme dans la vinaigrette industrielle ?

Nous voyons dans cette mesure un énième recours à la fiscalité comportementale, qui regroupe entre autres la hausse des prix du tabac, encore présente dans ce texte, la multiplication des radars ou encore la taxation des véhicules polluants.

Ce type de fiscalité à deux inconvénients majeurs, à notre sens : il n’impacte quasiment que les populations les plus défavorisées, puisque les populations les plus aisées ne seront pas gênées par la hausse des prix ou des taxes ; il ne va pas favoriser une meilleure consommation, puisque les plus défavorisés vont se reporter en grand nombre sur des produits de substitution ou sur le marché noir.

Taxer, d’accord, mais ne devrions-nous pas prioritairement axer nos efforts sur l’éducation ?

L’éducation, madame la ministre, touche équitablement chacun, quel que soit le milieu social ou le niveau de rémunération. Comme de nombreux collègues, nous avons été déçus de voir la réforme du tiers payant, qui aurait bénéficié aux plus nécessiteux et aux plus vulnérables, supprimée avant son entrée en application. Si nous comprenons les problèmes de faisabilité que vous avez soulevés, nous restons convaincus que la suppression pure et simple n’était pas la seule solution possible. Nous verrons avec le recul.

Avant d’en venir aux éléments absents de ce texte que nous aurions aimé voir abordés, nous voulons saluer l’adoption de plusieurs mesures pleines de bon sens : la réflexion sur un organisme financier dédié à l’investissement immobilier des établissements de santé publics ; l’accès aux dossiers électroniques partagés pour les pharmaciens biologistes ; la possibilité d’une tarification pour les dialysés en fonction du patient et non de la prise en charge.

J’en viens maintenant aux mesures qui doivent réformer en profondeur notre système de santé pour répondre à certains défis majeurs auxquels il est aujourd’hui confronté. Citons le financement de nos établissements de santé – la tarification à l’activité, ou T2A, n’a pas atteint son objectif principal –, la lutte contre les déserts médicaux, et enfin, bien sûr, le manque de praticiens. Il faut là aussi une réforme d’envergure.

Nous espérons que le Gouvernement se penchera assez rapidement sur ces problèmes, dont nous n’ignorons pas la complexité. Nous aurons la possibilité d’en débattre dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Toutefois, parce que nous aimons le débat, parce que nous voulons aussi que notre pays avance, le RDSE, dans sa grande majorité, votera le texte amendé par notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains.

J’en profite pour le remercier du travail qu’il a conduit, à la tête de la commission des affaires sociales, avec le rapporteur général. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom de mon groupe, permettez-moi d’abord de saluer le travail du rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, ainsi que de l’ensemble des rapporteurs, Catherine Deroche, Élisabeth Doineau, Gérard Dériot, René-Paul Savary et Bernard Bonne, pour la commission des affaires sociales, ainsi qu’Alain Joyandet, pour la commission des finances. Leurs travaux nous ont permis d’examiner ce projet de loi de financement de la sécurité sociale avec discernement.

Les débats ont confirmé nos points de désaccord, notamment sur la hausse de la CSG, qui entraînera une baisse du pouvoir d’achat pour de nombreux Français.

Nous avons fait le choix, en toute responsabilité, de supprimer cette augmentation lorsqu’elle n’était pas compensée. Ainsi, nous avons exclu de ce dispositif les retraités, les personnes bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap, ou PCH, et les artistes auteurs.

Nous avons peu d’illusion quant au sort de ces propositions, sauf éventuellement pour les bénéficiaires de la PCH. Madame la ministre, nous considérons que le Gouvernement choisit la mauvaise voie : s’attaquer aux 8 millions de retraités, que vous considérez comme des nantis, c’est mettre à mal la solidarité intergénérationnelle.

Je ne reviendrai pas sur toutes les mesures, plus catégorielles, qui ont été adoptées par le Sénat portant sur des baisses ou des allégements de charges. Mais si ces débats ont eu lieu, madame la ministre, c’est bien la preuve que vos réformes ne sont pas abouties.

S’agissant de la suppression du régime social des indépendants, ou RSI, nous avons souligné que cette réforme aurait dû faire l’objet d’un projet de loi distinct, et non d’un simple article du projet de loi de financement de la sécurité sociale – article de 30 pages et de 409 alinéas –, dont les délais d’examen sont contraints.

Nous avons exprimé des motifs d’inquiétude sur les conditions de rattachement des indépendants au régime général et nous avons essayé d’apporter quelques réponses.

Tout d’abord, cette réforme ne doit pas se traduire, pour les travailleurs indépendants, par plus de complexité. Or le passage d’un interlocuteur unique à trois interlocuteurs n’est pas synonyme de simplification. Cela a conduit le Sénat à prévoir des guichets dédiés à l’accueil et à l’accompagnement des indépendants.

Quant au niveau des cotisations, nous avons souligné que les travailleurs indépendants, qui attendaient de cette réforme une baisse des charges, vont être déçus : à prestations égales, l’adossement au régime général conduira, au pis, à une augmentation des charges, au mieux, au statu quo, comme l’affirme le Gouvernement.

Pour notre groupe, la suppression du RSI doit s’accompagner, à court terme, d’une simplification à la fois de l’assiette des cotisations, mais aussi des modalités de leur recouvrement. Nous resterons donc vigilants quant à la mise en œuvre de cette réforme.

Nous avons également dénoncé la continuité avec les années précédentes en matière de politique familiale.

L’an dernier, nous avions combattu la modulation des allocations familiales, qui signe la fin de leur universalité, et la réforme du congé parental. Ces deux mesures, qui représentent, à notre sens, des économies injustes au détriment des familles, n’ont malheureusement pas été remises en cause. Pis, vous poursuivez la casse de notre politique familiale avec la nouvelle baisse de la prestation d’accueil du jeune enfant, ou PAJE.

Notre politique familiale comporte, de longue date, de nombreux dispositifs destinés à répondre spécifiquement aux situations des familles dont les ressources sont les plus modestes. Il n’en demeure pas moins qu’elle accordait aussi à chaque foyer, indépendamment de son niveau de revenus, une forme de compensation des charges familiales. Or, depuis le dernier quinquennat, cet élément constitutif fort de notre politique familiale est désormais dangereusement fragilisé – c’est le moins qu’on puisse dire.

Notre désaccord s’est traduit par le rejet de la nouvelle baisse de la PAJE, qui nous semble injustifiée et inopportune au moment où le Gouvernement souhaite ouvrir un débat « apaisé » sur l’avenir de notre politique familiale.

S’agissant de la branche vieillesse, notre collègue rapporteur René-Paul Savary l’a qualifiée dans son rapport de deuxième « homme malade » de la sécurité sociale. Nous avions contesté, l’an dernier, l’idée selon laquelle le problème des retraites aurait été réglé. Le retour à la réalité ne s’est pas fait attendre, sans pour autant que le Gouvernement en tire de conséquence.

Nous souscrivons à l’objectif d’unification des cotisations et des droits, mais il s’agit d’un objectif de moyen terme, laissant entière la question de l’accentuation à très court terme des déséquilibres. Il faudra donc y répondre rapidement par une réforme paramétrique, sans attendre la mise en place d’une réforme systémique, d’autant que l’exercice sera nécessairement complexe à mener.

S’agissant de l’assurance maladie, madame la ministre, nous avons soutenu les mesures de santé publique et de prévention que vous avez proposées sur le tabac, la vaccination, les consultations de prévention pour les jeunes femmes. La suppression de l’obligation générale du tiers payant témoigne d’un changement d’approche indispensable vis-à-vis des professionnels de santé.

Nous approuvons les mesures en faveur des nouvelles formes de prise en charge des patients, mais elles seront sans doute insuffisantes pour donner corps à cette ambition que nous partageons avec vous, madame la ministre, à savoir préserver l’accès à des soins de qualité sur notre territoire en rendant efficaces les modes d’organisation.

Limiter l’intervention de l’administration à une juste régulation, redynamiser l’exercice libéral de la médecine, donner une plus grande autonomie de gestion aux hôpitaux publics, favoriser le travail complémentaire du secteur public et du secteur privé et réaffirmer le rôle de l’assurance maladie dans le financement de notre système de protection sociale sont autant de mesures illustrant le changement de cap que nous appelons de nos vœux.

Ce changement de cap, nous ne le retrouvons que partiellement dans votre projet de loi. Nous n’avons pas pu illustrer ces mesures par des amendements, mais nous sommes convaincus que des mesures structurelles sont nécessaires.

Permettez-moi de revenir quelques instants sur l’idée de donner plus d’autonomie de gestion aux hôpitaux publics. Le dialogue social mené aujourd’hui dans les hôpitaux souffre à la fois d’un excès de formalisme et d’un manque d’autonomie, ce qui ne permet pas d’adapter des décisions prises au niveau national à l’échelle locale ou d’innover. Cette innovation est cependant indispensable pour l’hôpital dans de nombreux domaines.

Tout d’abord, en matière d’innovation technologique : je pense à la télémédecine, à la robotique, mais aussi à la médecine prédictive grâce au progrès de la génétique, qui contribuera à un parcours du patient plus personnalisé.

Ensuite, en matière d’innovation organisationnelle : l’innovation technologique va, en effet, faire de l’hôpital un lieu de passage gérant les flux de patients. De fait, la mutualisation des équipements et l’approche collaborative doivent s’inscrivent dans cette nouvelle logique.

Enfin, pour garantir la pérennité du système, il est nécessaire de repenser l’hôpital en dépassant les prés carrés, l’individualisme et la dispersion génératrice de coûts. Il faut au contraire développer une vision collaborative et compétitive de l’hôpital, autour de plateaux techniques communs et partagés par différents intervenants en la matière – publics, privés, chercheurs, industriels, etc.

Nous sommes satisfaits de l’adoption de plusieurs mesures dont les bénéfices seront pour les patients. En matière de lutte contre les déserts médicaux, nous avons exonéré partiellement de cotisations vieillesse les médecins acceptant de reprendre ou de continuer une activité, afin qu’ils puissent cumuler activité libérale et retraite.

En matière de dispositifs médicaux à domicile, nous avons supprimé le plafonnement du nombre de prestations fournies aux patients à domicile, qui aurait pour conséquence de les priver de ces prestations et de freiner le développement de l’ambulatoire.

Pour conclure, madame la ministre, mes chers collègues, nous restons très préoccupés par la situation des comptes sociaux. Nous avons tous le même objectif : l’égalité de toutes les Françaises et de tous les Français devant l’accès aux soins. Mais, devant l’ampleur des réponses à apporter, il y a urgence à agir, madame la ministre.

Le groupe Les Républicains votera le texte, tel qu’il a été modifié par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Ouverture du scrutin public solennel

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, modifié.

Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.

Je remercie nos collègues Éric Bocquet, Yves Daudigny et Guy-Dominique Kennel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert et je suspends la séance jusqu’à seize heures quarante-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public solennel

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 28 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 239
Pour l’adoption 204
Contre 35

Le Sénat a adopté le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, modifié.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne prendrai que quelques minutes pour vous faire part de l’immense plaisir que j’ai eu à discuter l’ensemble des articles de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale avec les parlementaires présents dans cette assemblée pendant ces cinq jours.

Les débats ont été très posés, extrêmement constructifs et de très grande qualité. J’ai souhaité et j’ai pu chaque fois exposer mes convictions – essayer de convaincre, comme l’ont dit certains –, parfois avec succès d'ailleurs, puisque nombre d’amendements ont été retirés par différents groupes quand j’ai pu donner des explications nécessaires. D’autres amendements, bien entendu, ont été votés contre mon avis, mais c’est la loi du genre.

Je ne peux que le déplorer, à l’issue de son examen par cette assemblée, le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne ressemble plus tout à fait à ce qu’il était au départ,…

M. Jean-Claude Carle. Il est bien meilleur !

Mme Agnès Buzyn, ministre. … puisqu’il présente désormais un modeste déficit – 7 milliards d’euros, excusez du peu ! (Exclamations amusées.)

M. Alain Milon. Pas du tout, madame la ministre !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Cependant, le travail va évidemment se poursuivre en commission mixte paritaire.

Je souhaitais vous remercier de la qualité de ces débats et de votre écoute. Nous avons pris le temps de discuter de sujets qui concernent de près la vie de nos concitoyens : la vieillesse, la retraite, la santé, la politique familiale. Le débat ne fait que commencer puisque ce premier projet de loi de financement de la sécurité sociale est un texte de transition – cela a été dit par M. Amiel –, qui commence à définir des orientations.

Dans les années à venir, les débats avec vous seront sans doute extrêmement riches. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018
 

5

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale à la prospective a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

Avenir de l’Institut français

Débat organisé à la demande de la commission de la culture et de la commission des affaires étrangères

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de l’Institut français, organisé à la demande de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les commissions qui ont demandé ce débat disposeront d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission de la culture. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes très chers collègues, « il suffit de passer un peu de temps à l’extérieur de notre territoire pour le constater : toutes les puissances renforcent aujourd’hui les moyens de leur politique étrangère. Si nous voulons rester maîtres de notre destin et assurer notre souveraineté, il faut que nous disposions d’un instrument diplomatique efficace, agile et capable de défendre nos intérêts ».

Monsieur le secrétaire d'État, sans doute ces phrases ne vous sont-elles pas étrangères : ce sont celles de M. le ministre Le Drian lui-même, prononcées il y a à peine quelques jours devant l’Assemblée nationale. J’y souscris pleinement.

Toutefois, j’ai malgré tout le regret de vous dire que, en matière de diplomatie culturelle, nous avons depuis de trop nombreuses années été bercées de bonnes paroles, alors que, sur le terrain, nos outils se paupérisaient d’année en année et que, paradoxalement, le besoin et la demande de France n’avaient jamais été aussi importants – après le Brexit, ils sont même plus forts encore. Les propos de M. le ministre des affaires étrangères sont-ils donc d’énièmes vœux pieux ou sont-ils enfin annonciateurs d’un changement d’attitude à l’égard de notre politique culturelle extérieure ?

À l’occasion de chacun de nos déplacements à l’étranger, nous ne manquons pas de visiter l’Institut français, l’Alliance française, le lycée français ou l’antenne de Campus France qui portent nos couleurs et nos valeurs dans le monde. Et nous suivons bien sûr avec attention l’offre audiovisuelle extérieure, qui fait partie intégrante de notre diplomatie culturelle globale.

Tous ces opérateurs qui agissent sur le terrain, parfois dans des conditions difficiles, sont remarquables et je tiens à leur rendre hommage pour leur inaltérable engagement à valoriser la culture et la langue françaises, mais aussi à susciter les échanges et les coopérations interculturelles.

Sachez également, monsieur le secrétaire d'État, que notre commission a créé, sur mon initiative, une mission d’information sur la francophonie au XXIe siècle, qui a publié en début d’année un rapport sous la signature de nos collègues Louis Duvernois et Claudine Lepage. J’espère que ces travaux pourront utilement contribuer aux réflexions en cours dans le cadre du « Plan de promotion de la langue française dans le monde » récemment annoncé par le Président de la République.

Revenons, mes chers collègues, au sujet qui nous réunit ce soir : l’un des fers de lance de notre diplomatie culturelle, l’Institut français.

Le Sénat garde un œil très attentif sur l’Institut, à la création duquel il a contribué en 2010. Vous savez que notre ambition initiale – j’ai une pensée pour Jacques Legendre – était de lui rattacher le réseau des instituts français, mais ce projet a fait long feu et son abandon nous laisse un goût d’inachevé.

Plus grave, depuis sa création, chaque année sans exception, les moyens alloués à l’Institut français se sont réduits comme peau de chagrin. Est-ce ainsi que les gouvernements successifs ont entendu donner son envol au nouvel opérateur ? En 2018, certes, les moyens se stabilisent enfin, mais à quel maigre étiage !

Rendons-nous à l’évidence : l’Institut est aujourd’hui exsangue et ne peut plus assurer l’ensemble des missions qui lui sont confiées, en dépit de l’engagement exemplaire de ses personnels. Arrive un moment où il faut choisir : soit on réduit la voilure, soit on met des moyens au service des ambitions !

Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes en période budgétaire, et vous ne m’en voudrez donc pas de rappeler quelques chiffres qui doivent nous alarmer. Depuis sa création, en 2011, l’Institut a vu son budget fondre de 24 %, ce qui, compte tenu de ses charges fixes, a conduit à diminuer ses crédits d’intervention de 35 %.

Les coupes sont extrêmement alarmantes : 43 % de baisse au cours du précédent quinquennat pour le département du cinéma, 44 % pour le département de la langue française, du livre et des savoirs, et même 55 % a pour le département de la coopération artistique ! S’agissant des collaborations de l’Institut avec les collectivités territoriales que nous représentons, les moyens alloués ont baissé de 35 % en à peine trois ans.

En février dernier, lorsque le contrat d’objectifs et de moyens de l’Institut français nous avait été soumis ici au Sénat, notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication avait émis les plus grandes réserves : d’un côté, des ambitions immenses, auxquelles nous ne pouvions que souscrire ; de l’autre, s’agissant des moyens, des subventions notoirement insuffisantes sans aucune visibilité pluriannuelle, pour un opérateur qui porte pourtant la voix de la France et de la francophonie, qui valorise nos industries culturelles et créatives, qui promeut le français à l’étranger et qui, faute d’une rebudgétisation rapide, devra probablement baisser pavillon.

C’est la raison pour laquelle j’ai demandé l’organisation de ce débat en séance publique, une initiative à laquelle mon collègue de la commission des affaires étrangères, le président Christian Cambon, a bien voulu souscrire, ce dont je le remercie. Je remercie aussi par avance l’ensemble des collègues qui participent ce soir à ce débat.

Ce débat m’a paru utile pour évoquer ensemble les missions, les moyens et les perspectives d’avenir de l’Institut, mais aussi, car il ne faut pas les oublier, des alliances françaises, qui concourent également au rayonnement de la langue et de la culture françaises, avec des moyens toujours plus réduits.

La question d’une nouvelle articulation entre l’Institut français et la Fondation Alliance française devra également être évoquée, mais prenons garde de nous précipiter sur des solutions simplistes dans le seul but de gérer la pénurie.

Mes chers collègues, je vous invite donc à un large débat pour que, collectivement, nous prenions enfin nos responsabilités et réfléchissions à bâtir une politique culturelle extérieure digne du grand pays qui est le nôtre. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, au nom de la commission de la culture. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Claude Kern, au nom de la commission de la culture. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je partage entièrement les inquiétudes de Mme la présidente Catherine Morin-Desailly sur la trajectoire budgétaire de l’Institut français.

Sachez que nous sommes, sur toutes les travées de cet hémicycle, collectivement inquiets de ce décalage grandissant entre les bonnes intentions, la bonne volonté des gouvernements successifs, et le manque criant de moyens.

Nous avons besoin, monsieur le secrétaire d'État, non plus de bonnes paroles, mais d’actes, d’actes « sonnants et trébuchants », si vous voyez ce que je veux dire… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Je n’ignore pas la contrainte budgétaire qui est la vôtre – c’est aussi la nôtre ! Je suis, moi aussi, partisan d’économies courageuses sur le train de vie de l’État, mais taillons dans les dépenses de fonctionnement, et non d’investissement. En effet, je considère que la politique culturelle extérieure est un investissement, qui rapporte ensuite à notre économie culturelle, créative, touristique, mais aussi, tout simplement, industrielle.

Bien souvent, et vous le savez aussi bien que moi, les succès culturels de la France à l’étranger précèdent et préparent ses succès commerciaux.

Pour contourner cette contrainte budgétaire, il faudrait faire preuve d’imagination et développer, ici ou là, des solutions innovantes qui permettront à la culture française de garder sa place dans le monde. Ne pourrait-on, par exemple, envisager des regroupements, des mutualisations, à une échelle soit européenne, soit francophone ?

Les actions conjointes franco-allemandes me semblent, à cet égard, particulièrement intéressantes. Je me suis laissé dire que, à Rangoon, l’Institut français de Birmanie partageait ses locaux avec le Goethe-Institut… Mais peut-être pourrait-on aller plus loin qu’une simple colocation ? Le conseil des ministres franco-allemand de juillet dernier a d’ailleurs évoqué la création d’instituts culturels franco-allemands intégrés dans le monde, peut-être au Ghana, en Mongolie, en Tanzanie…

Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous en dire un peu plus et préciser quelle pourrait être le rôle de l’Institut français dans ces nouveaux dispositifs ?

La piste d’une coopération renforcée avec des équivalents francophones me semble également à étudier : la France porte bien souvent seule la charge financière de promotion de la langue française dans le monde. Nos collègues Louis Duvernois et Corinne Lepage ont d'ailleurs publié l’an dernier un rapport sur la francophonie qui formulait de nombreuses et intéressantes propositions pour une francophonie du XXIe siècle.

L’une de ces propositions était de « mutualiser nos actions, voire nos implantations culturelles et linguistiques, avec d’autres pays francophones ».

En avril 2015, avec la commission de la culture, j’ai eu l’occasion de visiter la Maison Denise Masson à Marrakech. Cet établissement est le fruit d’une coopération non pas seulement franco-marocaine, mais Francophonie-Maroc. Ce qui est bon pour la francophonie l’est aussi pour la France, et je suis persuadé qu’il existe, avec nos partenaires francophones, de belles occasions à saisir pour continuer à faire rayonner la culture et la langue françaises de par le monde.

Une telle proposition ne pourrait-elle pas s’intégrer dans le plan pour la promotion de la langue française dans le monde annoncé par le Président de la République le 2 octobre dernier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)