Mme Florence Parly, ministre. Il s’agit de compléter la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, pour autoriser la mise en place de mécanismes de levée de doute et une meilleure prise en compte des menaces transnationales.

Cet amendement répond à une double nécessité. Tout d’abord, il convient de permettre aux services de n’engager qu’avec discernement la surveillance des communications d’un individu.

Les services doivent traiter quotidiennement une masse d’informations toujours croissante. Faire le tri est une opération essentielle, non seulement pour leur efficacité opérationnelle, mais aussi pour que l’usage de techniques plus invasives prévu par la loi soit aussi proportionné que possible.

Ensuite, nous voulons mieux lutter contre la menace que présentent sur notre sol des individus du fait de leurs liens avec l’étranger. La séparation étanche entre surveillance des communications nationales et internationales pose des difficultés que l’évolution de la menace met au jour.

En 2015, le législateur n’a jeté qu’une passerelle très étroite entre les deux régimes pour permettre un droit de suite quand une personne menaçante quitte notre sol. Mais il n’est pas possible d’exploiter les données légalement recueillies au titre de la surveillance des communications internationales pour apprécier la menace que présente un résident français en France du fait de ses liens hors du territoire national. Il est donc difficilement compréhensible que l’on se coupe ainsi de données légalement recueillies. Par exemple, un résident français qui planifierait un attentat depuis le Yémen peut être surveillé. En revanche, ses complices, qui font des allers-retours entre la France et la Belgique, ne peuvent pas l’être.

L’expérience des trois dernières années nous conduit malheureusement à évaluer très différemment le caractère transnational de la menace, qu’il s’agisse de terrorisme ou de cyberattaques. Cette réflexion, partagée par la CNCTR, justifie de réévaluer la frontière tracée en 2015. Comment allons-nous procéder ? Avec quelles garanties ?

Le Gouvernement ne souhaite évidemment pas, par le biais d’un amendement au détour du projet de loi relatif à la programmation militaire, remettre sur le métier la loi relative au renseignement. C’est un chantier qui nous occupera plutôt en 2020 et auquel il paraît indispensable d’associer étroitement la délégation parlementaire au renseignement, la DPR.

Je vous propose donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de permettre simplement une utilisation plus rationnelle des données légalement recueillies dans le cadre de la surveillance des communications internationale. Nous ne donnons pas aux services de nouveaux moyens de collecte ni ne modifions en profondeur les équilibres retenus en 2015.

La levée de doute prendra la forme d’une vérification ponctuelle sur les données de connexion légalement interceptées dans le cadre de la surveillance des communications internationales.

Il s’agit d’opérations très rapides, non répétées et susceptibles de mettre en évidence un graphe relationnel ou la présence à l’étranger d’une personne, qui pourra alors être surveillée si elle présente une menace. Dès que la vérification fera apparaître la nécessité d’une surveillance, l’exploitation des communications ne pourra être poursuivie que via les techniques de renseignement inscrites dans la loi de 2015, dans le respect des garanties procédurales qui les entourent.

Nous voulons toutefois aller plus loin dans deux cas très particuliers.

D’abord, pour prévenir des menaces terroristes urgentes, les services doivent pouvoir recourir à un tamis plus fin, permettant une orientation plus rapide de leurs investigations. Il est donc prévu que, dans ce cas, les vérifications ponctuelles puissent porter sur des correspondances, avec une obligation de traçabilité renforcée, dans la mesure où des identifiants criblés seront transmis au Premier ministre et à la CNCTR.

Ensuite, pour détecter les cyberattaques majeures, celles qui sont susceptibles de mettre en cause l’indépendance nationale ou les intérêts de la défense nationale, il faut aussi que les vérifications ponctuelles puissent porter sur les correspondances. La démarche proposée est très différente : il ne s’agit pas de mettre en évidence la menace ou la vulnérabilité que présente un individu, mais des marqueurs techniques de flux malveillants circulant entre des machines victimes ou relais de l’attaque.

Le Conseil d’État et la CNCTR ont émis un avis favorable sans réserve sur ce dispositif.

Cet amendement comporte un second volet : pour mieux prendre en compte les menaces transnationales, nous prévoyons deux mesures.

Nous voulons d’abord permettre l’exploitation des données d’un identifiant technique rattachable au territoire national interceptées dans le cadre de la surveillance des communications internationales, alors même que son utilisateur est en France. Aujourd’hui, ce n’est pas possible et c’est une faille importante.

Cette surveillance ne pourra être demandée que pour la promotion et la défense de certains des intérêts fondamentaux de la Nation, ceux que compromettent des menaces transnationales. Elle relèvera d’une autorisation individuelle du Premier ministre, après avis de la CNCTR.

La même démarche d’adaptation de la frontière entre les régimes applicables en France et à l’étranger conduit à prévoir une mesure de moindre portée. Il s’agit de mettre fin à une situation peu cohérente résultant de la rédaction de la loi, afin que certaines techniques de renseignement autorisées sur le territoire national puissent permettre l’exploitation des données strictement correspondantes interceptées dans le cadre de la surveillance des communications internationales.

Ainsi, les interceptions de sécurité donneraient accès pour trente jours au flux des communications mixtes, vers ou depuis l’étranger, et les demandes de « fadettes » permettraient d’obtenir un double relevé de données de connexions nationales et internationales, sur une durée bornée à un an.

C’est donc une clarification importante au plan opérationnel et très cadrée que le Gouvernement soumet, mesdames, messieurs les sénateurs, à votre approbation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Constatant que Mme la ministre vient de donner une explication plus que complète de ces dispositifs, je dirai simplement deux choses.

Tout d’abord, chacun le comprend bien, dans ces moments où nous devons lutter contre le terrorisme international, qui utilise les moyens de communication et de télécommunication, soit avec des numéros français commençant par 33, soit avec des numéros étrangers, mais opérant depuis la France, il faut évidemment donner à nos services tous les moyens pour renforcer la surveillance électronique de ces communications.

Ensuite, nous nous sommes bien évidemment appuyés sur l’avis du 9 mai 2018 de la CNCTR, qui est très vigilante sur ce sujet. L’occasion m’est ainsi donnée de rendre un hommage appuyé à notre collègue Michel Boutant, qui nous représente à la CNCTR et y effectue un travail exceptionnel. (Applaudissements.)

La commission est donc favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, pour explication de vote.

M. Michel Boutant. Le présent amendement vise à introduire une série de garanties, afin de concilier les objectifs de protection de la sécurité nationale, de respect de la vie privée et de secret des correspondances, auxquels le Sénat est particulièrement attaché. En effet, il faudra l’autorisation du Premier ministre après avis de la CNCTR ; la durée de conservation sera plus limitée ; et c’est l’application du droit commun qui permettra de poursuivre l’exploitation des communications. Ce sont autant d’avancées.

Cet amendement est motivé par le constat que la menace est transnationale, comme Mme la ministre l’a fort bien expliqué, et qu’il existe une nécessité opérationnelle d’exploiter des données légalement recueillies au titre de la surveillance des communications internationales pour apprécier la menace que présenterait un résident français en France ou hors de France.

Pour ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à voter cet amendement déposé par le Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 91 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 22.

L’amendement n° 118, présenté par M. Decool, n’est pas soutenu.

Chapitre III ter

Dispositions relatives au contrôle parlementaire du renseignement

Article additionnel après l'article 22 - Amendement n° 91 rectifié
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Article 22 bis

M. le président. L’amendement n° 139, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Dans l’intitulé de cette division, remplacer les mots :

au contrôle parlementaire du renseignement

par les mots :

à la commission de vérification des fonds spéciaux

La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre. Il s’agit d’un amendement de coordination visant à revenir à la rédaction initiale de l’Assemblée nationale, en lien avec l’amendement n° 140, que je serai amené à défendre dans le cadre de l’examen de l’article 22 ter.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Dans la mesure où la commission est défavorable à l’amendement n° 140, elle l’est également à l’amendement n° 139.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 139.

(Lamendement nest pas adopté.)

Intitulé du chapitre III ter
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Article 22 ter (nouveau)

Article 22 bis

(Non modifié)

L’article 154 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001) est ainsi modifié :

1° Au V, les mots : « avant le 31 mars de » sont remplacés par le mot : « dans » ;

2° À la seconde phrase du second alinéa du VI, après le mot : « finances », sont insérés les mots : « , au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat, autorisés à cet effet à connaître ès qualités des informations du rapport protégées au titre de l’article 413-9 du code pénal » ;

3° Le VII bis est abrogé. – (Adopté.)

Article 22 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Article 23 (Texte non modifié par la commission)

Article 22 ter (nouveau)

L’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Après les mots : « À cette fin, elle », la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « peut solliciter tout document, information ou élément d’appréciation nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Lorsque la transmission d’un document, d’une information ou d’un élément d’appréciation est soit susceptible de mettre en péril le déroulement d’une opération en cours ou l’anonymat, la sécurité ou la vie d’un agent relevant d’un service spécialisé de renseignement mentionné à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure ou d’un service autorisé par le décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 811-4 du même code, soit concerne les échanges avec les services étrangers ou avec les organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement, le Premier ministre ou les ministres de tutelle des services mentionnés au présent alinéa peuvent, par une décision motivée, s’opposer à sa communication. » ;

b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sont en outre communiqués à la délégation : » ;

c) Après le 6°, il est inséré un 7° ainsi rédigé :

« 7° La liste annuelle des rapports de l’inspection des services de renseignement ainsi que des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence. » ;

d) Après les mots : « tout ou partie des rapports », la fin de l’avant-dernier alinéa est ainsi rédigée : « mentionnés au 7° du présent I. » ;

e) Le dernier alinéa est supprimé ;

2° Le II est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La délégation peut nommer, parmi ses membres, un rapporteur auquel elle peut déléguer une mission d’évaluation ou de contrôle sur une ou plusieurs thématiques relatives à l’activité des services mentionnés au I. » ;

3° Le premier alinéa du III est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après les mots : « coordonnateur national du renseignement », sont insérés les mots : « et de la lutte contre le terrorisme » ;

b) Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu’elle se rend sur le site de l’un des services mentionnés au I, la délégation peut entendre tout personnel placé auprès de ce service. »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Cet article soulève un double problème, sur le fond et la forme.

Sur le fond, sous couvert de renforcer le contrôle du Parlement sur nos organes de renseignement, il menace en réalité la sécurité de nos agents sur le terrain.

Il vise en effet à étendre la liste des personnes pouvant être entendues par la délégation parlementaire au renseignement, la DPR, à l’ensemble des personnels des services de renseignement. Il prévoit à cet effet que les membres de la délégation pourront se déplacer directement sur le site où ces agents opèrent, de manière à ne pas mettre en péril leur anonymat, autrement dit leur couverture.

Mais c’est justement le contraire qui risque de se produire ! Cet article prévoit en effet l’audition d’agents sur le lieu même de leur action. Une telle mesure est hautement susceptible d’exposer leur identité. La venue d’un groupe de députés ou de sénateurs, dans un pays ou une localité quelconque, ne se fera bien évidemment pas de façon anonyme.

Par ailleurs, une telle mesure individualise le contrôle parlementaire sur le renseignement, ce qui risque, à terme, d’en enrayer l’efficacité. Je tiens à le rappeler, l’objet initial de cette délégation parlementaire est « le suivi de l’activité générale des moyens des services de renseignement ». En aucun cas il n’est fait mention d’une forme de contrôle généralisé.

Enfin, cet article pose également un problème de forme, plus précisément de procédure. La délégation parlementaire au renseignement est un organisme paritaire, c’est-à-dire qu’elle comporte un nombre égal de sénateurs et de députés. Or ce projet de loi étant soumis à une procédure accélérée, l’Assemblée nationale ne sera pas en mesure de se prononcer sur ces dispositions avant la commission mixte paritaire.

Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai contre l’article 22 ter.

M. le président. L’amendement n° 140, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre. Cet amendement a pour objet d’écarter la possibilité d’un contrôle de la délégation parlementaire au renseignement sur l’ensemble de l’activité des services de renseignement.

La loi du 9 octobre 2007, qui a créé la délégation parlementaire au renseignement, permet l’information du Parlement sur l’activité des services de renseignement selon les exigences propres à toute démocratie. Ses possibilités d’audition et d’obtention de documents ont été accrues bien légitimement, à l’occasion d’évolutions législatives successives, la dernière ayant eu lieu en 2015.

Le Gouvernement a naturellement à cœur d’établir et d’entretenir une relation de travail dense entre les services de renseignement et la délégation parlementaire au renseignement. Toutefois, l’article dont nous discutons introduit à notre sens un véritable bouleversement, qui pose d’importantes difficultés juridiques et opérationnelles.

Pour l’exercice de ses missions, la délégation reçoit des informations sur le budget, l’activité générale et l’organisation des services, mais pas sur l’activité opérationnelle des services. Or le présent article remet profondément en cause cet équilibre, en reconnaissant un droit à l’information sur l’ensemble des pans de l’activité des services de renseignement, qu’il s’agisse d’informations relatives aux procédures et aux méthodes opérationnelles, des échanges avec les services étrangers partenaires ou encore d’informations, comme cela a été rappelé à l’instant, concernant les agents des services spécialisés, qui sont pourtant protégés par le droit au respect de l’anonymat.

Il existe donc à ce titre un véritable risque d’atteinte au principe de séparation des pouvoirs et aux prérogatives constitutionnellement garanties au pouvoir exécutif. Le présent article ouvre en effet la possibilité d’une information de la DPR sur les opérations en cours, alors même que le Conseil constitutionnel juge que le contrôle opéré par le Parlement ne peut concerner de telles opérations.

Par ailleurs, cet article vise à conférer à la délégation parlementaire au renseignement une faculté de supervision de l’action des services de renseignement qui ne respecte pas la délimitation du rôle du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, qui a été consacrée par la jurisprudence constitutionnelle, lorsque le pouvoir exécutif intervient dans le cadre de sa mission de défense des intérêts fondamentaux de la Nation.

En outre, un tel droit à l’information sur l’ensemble des pans de l’activité des services de renseignement est de nature à entraver l’efficacité opérationnelle des services et à mettre en péril leur sécurité opérationnelle, ainsi que celle de leurs agents.

L’article tend à fragiliser les méthodes de travail et les modalités d’action des services de renseignement, qui sont fondées sur le principe de cloisonnement de l’information. Ce cloisonnement se traduit par l’octroi d’habilitations et ce que l’on appelle le « besoin d’en connaître », qui restreignent l’accès à l’information au sein même des services. La sécurité des personnels et des opérations est ainsi assurée, aucun agent n’ayant accès à l’ensemble des informations détenues par le service.

L’article 22 ter, tel qu’il est aujourd’hui rédigé, tend aussi à fragiliser le lien de confiance existant avec les services étrangers, alors que l’accord exprès d’un partenaire est requis pour mettre à disposition d’un tiers des informations qu’il a partagées.

Par ailleurs, cet article confère à la DPR, sans aucunement l’encadrer, un droit nouveau : celui de se rendre sur le site d’un service de renseignement et d’y auditionner tout le personnel.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout personnel !

Mme Florence Parly, ministre. Tout personnel, donc tout le personnel !

Une telle évolution est peu compatible avec les avancées législatives récentes, qui ont précisément visé à protéger de façon systématique l’anonymat des agents des services de renseignement.

Par ailleurs, elle contrevient aux dispositions de l’article 20 de la Constitution aux termes duquel le Gouvernement dispose de l’administration.

Je ne l’ignore pas, les promoteurs de cet amendement invoquent des exemples étrangers.

Mme Florence Parly, ministre. Mais on ne peut isoler des dispositions de contrôle des services étrangers des prérogatives de ces derniers ni du contexte politique et juridique de chaque pays. Chaque système repose sur un équilibre différent. On ne peut importer, comme cela, certains éléments parcellaires provenant d’autres législations, sans repenser l’ensemble.

Je voudrais, à ce stade de nos débats, rappeler l’ordonnance de 1958, qui a connu récemment deux importantes modifications, la dernière dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Je l’ai indiqué tout à l’heure, ce texte devrait faire l’objet, en 2020, après cinq années de mise en œuvre, d’une évaluation par le Parlement. C’est donc dans ce cadre, ou à l’occasion de l’examen d’un vecteur législatif dédié, qu’il me semble plus propice d’examiner, conformément à une démarche de concertation entre les services concernés et le Parlement, la question de la réévaluation des pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement, à l’aune de l’expérience de la mise en œuvre des dispositions récentes qui les ont renforcés.

Je ne doute pas qu’une telle évolution sera de nature à consolider la relation nécessaire de confiance avec les services de renseignement, que le législateur a souhaité instaurer lors de la création de la délégation parlementaire au renseignement en 2007.

Inversement, il serait difficilement compréhensible que, sur un sujet aussi important et aussi sensible, qui touche au cœur de la souveraineté de notre pays, un amendement non concerté avec le Gouvernement vienne porter atteinte au bon fonctionnement de nos services de renseignement et à la sécurité de leurs opérations et de leurs agents.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter le présent amendement, afin que nous puissions engager ensemble les travaux qui s’imposent en effet sur ce sujet, mais dans un contexte différent et après une concertation que je crois indispensable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cambon, rapporteur. Monsieur le président, je vous propose de donner la parole à M. le président Bas, d’abord par courtoisie, ensuite parce que j’ai été son modeste vice-président à la DPR, dont il a quitté récemment la présidence. Il est le premier auteur non seulement de cet amendement, mais aussi de la proposition de loi que nous avons cosignée.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la ministre, je vous ai bien écoutée, et vous ne m’avez pas convaincu.

Mes chers collègues, il est toujours plus facile d’inquiéter, comme vient de le faire Mme la ministre, que de rassurer. Néanmoins, je tenterai de vous rassurer.

Aucune des objections qui viennent d’être évoquées ne correspond à des risques que l’article 22 ter soulèverait. Celui-ci a été adopté par nos deux commissions. Il résulte des recommandations délibérées au sein de la délégation parlementaire au renseignement, lorsqu’elle a adopté son rapport au mois d’avril dernier.

Il ne s’agit nullement de nous substituer au pouvoir exécutif. Tout votre raisonnement sur la séparation des pouvoirs est parfaitement hors de propos, madame la ministre. Toutefois, puisque vous parlez de séparation des pouvoirs, vous ne contesterez pas que l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », doit s’appliquer à toutes les fonctions de l’État, y compris à la fonction de renseignement.

Mais elle doit bien évidemment s’y appliquer dans des conditions particulières, car il ne s’agit en aucun cas de fragiliser ni des opérations en cours, ni la coopération avec des services étrangers, ni des agents ou des sources activées par nos services de renseignement.

Je veux également rappeler, madame le ministre, que le Président de la République, le 3 juillet dernier – mais vous n’étiez peut-être pas présente ce jour-là –, a souligné l’importance qu’il attache au renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement. Nous voulons nous aussi contribuer à ce renforcement, mais nous voulons le faire avec discernement.

C’est la raison pour laquelle, en nous inspirant en effet des exemples étrangers, sans pour autant copier la constitution américaine, nous voulons mettre à niveau le contrôle parlementaire et permettre à notre délégation parlementaire au renseignement de franchir ainsi un palier dans l’exercice de sa responsabilité au nom de la représentation nationale, en prévoyant que, au lieu d’être destinataire d’une liste limitative de documents prévus par la loi, la DPR aura désormais accès à toute information qui lui est utile, sauf les informations que la ministre ou le Premier ministre lui refuseront parce que, si elles étaient divulguées, elles pourraient compromettre la sécurité et l’efficacité de nos services.

M. Ladislas Poniatowski. C’est un très bon équilibre !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est dire si nous avons veillé – veuillez excuser mon immodestie – à ce que la responsabilité de l’État dans une fonction aussi vitale pour les intérêts fondamentaux de la Nation soit pleinement respectée, le Gouvernement conservant la clé de l’information qu’il communique.

Quant à la possibilité, reconnue par cet article à la délégation parlementaire au renseignement, de se rendre sur place, dans les services – et non pas sur les lieux d’opération ! –, et d’entendre les agents des services, c’est une exigence bien modeste. Je vous le rappelle, la DPR se rend déjà régulièrement dans les services, fort heureusement, où elle rencontre de très nombreux agents.

Madame la ministre, je tiens à formuler une ultime observation. Selon moi, votre réponse participe d’une méfiance à l’égard de la représentation nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Pour notre part, nous exprimons notre confiance à l’égard des services de renseignement. Mais la confiance n’exclut pas le contrôle ! Ils vont de pair : le contrôle s’effectuera dans un esprit de responsabilité, et les dispositions que nous avons prévues permettront à nos services de renseignement d’avoir la garantie qu’il n’y aura pour eux aucun risque.

D’ailleurs, je vous le rappelle, la délégation parlementaire au renseignement, du fait de la loi elle-même, a accès aux secrets de la défense nationale, et ses membres sont assujettis à ce secret. On ne peut retenir l’idée étonnante selon laquelle les parlementaires membres de cette délégation divulgueraient immédiatement toute information qui leur serait communiquée. Tel n’est pas le cas ; tel n’a jamais été le cas ; et tel ne sera pas le cas après l’adoption de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre. Bien que je ne veuille pas allonger les débats, l’intervention de M. le président de la commission des lois nécessite de ma part, me semble-t-il, une courte prise de parole.

Je répondrai sur le fond, puisque M. Bas considère que mes objections constitutionnelles ne sont pas fondées, puis sur la méthode. Je voudrais rappeler aux membres de cette assemblée qui sont trop jeunes pour s’en souvenir…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est généralement le cas !

Mme Florence Parly, ministre. … un recours devant le Conseil constitutionnel formé en décembre 2001 contre un article de la loi de finances qui créait une commission de contrôle des comptes des fonds spéciaux – j’avais eu l’honneur de défendre moi-même cet article devant cette assemblée.

Je cite le texte de la saisine : « Cet article encourt, sinon la censure, du moins de strictes réserves d’interprétation en ce qu’il enfreint le principe de la séparation des pouvoirs et, en particulier, l’exclusivité des responsabilités du Président de la République et du Premier ministre en matière de défense nationale.

« Tout d’abord, la désignation au sein de la commission n’est pas subordonnée à une habilitation de niveau Très Secret-Défense. […] Ensuite, la commission reçoit communication de l’état des dépenses se rattachant à des opérations en cours, ce qui est susceptible de compromettre la sécurité de celles-ci. Enfin, elle peut déléguer un de ses membres pour procéder à toutes enquêtes et investigations en vue de contrôler les faits retracés dans les documents comptables soumis à sa vérification.

« Toutes ces prérogatives sont excessives et mettent en péril la sécurité des opérations des services secrets, ainsi que, par conséquent, la séparation des pouvoirs elle-même. »

Cette saisine avait été signée par soixante sénateurs qui ne faisaient pas partie de la majorité politique de l’époque. C’est un peu le monde à l’envers, me direz-vous : nous sommes aujourd’hui, en quelque sorte, à fronts renversés. J’ajoute qu’il s’agissait non pas de la délégation parlementaire au renseignement, mais des prémices de cette délégation, à savoir la commission de vérification des fonds spéciaux.

Voici les termes de la décision du Conseil constitutionnel : « Considérant que, selon les sénateurs requérants, cette disposition méconnaîtrait les prérogatives du Président de la République et du Premier ministre dans la conduite des affaires relevant de la défense nationale et mettrait “en péril la sécurité des opérations des services secrets” ; considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article 5 de la Constitution, le Président de la République “est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités” ; qu’en vertu de son article 15, il est “le chef des Armées” ; que son article 21 dispose que le Premier ministre “est responsable de la Défense nationale” ; qu’aux termes de son article 35, le Parlement autorise la déclaration de guerre ; qu’en application de ses articles 34 et 47, le Parlement vote, à l’occasion de l’adoption des lois de finances, les crédits nécessaires à la défense nationale ; considérant qu’il résulte de l’ensemble des dispositions constitutionnelles précitées que, s’il appartient au Parlement d’autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l’usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d’opérations en cours ; qu’il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à la Constitution les dispositions » de l’article instaurant la commission de vérification des fonds spéciaux.

S’agissant de la méthode, monsieur le président, je ne suis pas constitutionnaliste ; en outre, je vous l’accorde, nous étions en 2001, c’est-à-dire à la fin du XXe siècle, et nous sommes aujourd’hui en 2018. Entre-temps, la législation sur le renseignement s’est évidemment considérablement enrichie. Mais la Constitution, elle, reste fondamentalement la même, même si, là aussi, quelques évolutions ont pu intervenir.

S’agissant de la méthode, donc, je pense très sincèrement que ces matières sont suffisamment sensibles pour que nous prenions le temps de les examiner sereinement, sur le fond. Vous dites que la concertation a eu lieu. Je sais ce qu’il en est pour le Gouvernement : elle n’a pas eu lieu ! Et pour ce qui concerne l’Assemblée nationale, je crois comprendre que celle-ci a été, elle aussi, fort peu consultée.

Ne pourrait-on donc pas, à l’issue de ces échanges d’arguments, vifs et passionnés – il s’agit quand même de matières sérieuses ! –, envisager de reprendre ces questions dans un autre cadre, en prenant le temps, car – je le redis – il ne s’agit nullement de contrarier le contrôle parlementaire ? Et je ne souscris pas à certains propos qui ont été tenus tout à l’heure, selon lesquels ce gouvernement serait défavorable au contrôle exercé par le Parlement. C’est le contraire qui est vrai !

Il s’agit d’adapter le contrôle du Parlement à une matière qui est très spécifique – vous le savez mieux que personne.

Je propose donc, de façon raisonnable, me semble-t-il, que nous reprenions ces discussions dans un autre cadre.