compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve,

Mme Françoise Gatel,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 mai 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Hommage à Serge Dassault, ancien sénateur

M. le président. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des armées, se lèvent.) Madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec émotion que nous avons appris, hier après-midi, le décès de notre ancien collègue Serge Dassault, qui fut sénateur de l’Essonne durant treize années, de 2004 à 2017.

Il s’est éteint à l’âge de 93 ans, succombant à un malaise alors qu’il se trouvait, comme chaque jour, à son bureau du rond-point des Champs-Élysées-Marcel-Dassault, où il aura exercé, jusqu’à ses derniers instants, l’ensemble de ses responsabilités avec la passion qui le caractérisait.

Au moment où le Sénat s’apprête à se prononcer, cet après-midi même, sur le projet de loi de programmation militaire, il me revient de saluer la mémoire de notre ancien collègue, qui fut un grand capitaine d’industrie au service de notre défense nationale.

Après une adolescence marquée par la déportation de son père et son incarcération au fort de Montluc, Serge Dassault devint ingénieur. Diplômé de l’École polytechnique en 1946, puis de l’École nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace – Supaéro – en 1951, il gravit ensuite tous les échelons au sein de l’entreprise familiale.

Directeur des essais en vol puis des exportations au sein du groupe Dassault Industries, il devint, en 1987, le président-directeur général de ce groupe fondé par son père, Marcel Dassault.

Il a, dans ces fonctions, obtenu des résultats impressionnants, non seulement dans le domaine de l’industrie militaire, mais aussi en diversifiant les activités du groupe, au travers de Dassault Systèmes et de l’aéronautique civile.

Il fut aussi, suivant là encore l’exemple de son père, un patron de presse important à la tête de la Socpresse, qui détient notamment le plus vieux quotidien de France qu’est Le Figaro.

Serge Dassault a siégé parmi nous, dans cet hémicycle, durant deux mandats consécutifs, exerçant les fonctions de doyen d’âge de notre Haute Assemblée le 1er octobre 2008. Nous nous en souvenons, et moi avec une particulière émotion.

J’ai encore en mémoire les propos de Serge Dassault lorsque, dans son allocution de doyen d’âge, il nous exhortait collectivement à « redonner à la France sa place dans le monde et aux Français, quels qu’ils soient, la croissance et les emplois dont ils ont besoin ». Cet appel est plus que jamais d’actualité ! Il avait alors conclu en ces termes : « je forme le vœu que le Sénat s’associe à cette grande ambition : promouvoir l’union nationale qui, seule, permettra d’obtenir le consensus indispensable, de la gauche à la droite, à toutes les réformes nécessaires ».

C’est cette passion pour l’entreprise qui avait conduit Serge Dassault à s’engager dans la vie de la cité. Tout d’abord, au niveau local, comme maire de Corbeil-Essonnes de 1995 à 2009, après avoir été conseiller régional d’Île-de-France, conseiller général puis conseiller départemental de l’Essonne.

Il fit son entrée au Sénat le 26 septembre 2004. Il aimait à rappeler ce parcours qu’il partageait avec son père : « Mon père et moi – disait-il – ne nous sommes engagés en politique que fort tard, non par ambition, mais par civisme, pour essayer d’apporter à l’action politique nos expériences d’industriels qui connaissent toutes les difficultés des entreprises et qui sont confrontés à la nécessité d’assurer une bonne cohésion sociale avec tous leurs salariés. »

Le sénateur que fut Serge Dassault était un parlementaire actif, qui, malgré ses multiples responsabilités, cherchait toujours à faire partager ses convictions sur toutes les travées de notre hémicycle.

Comme vice-président de la commission des finances et rapporteur spécial de cette même commission, il a constitué une vigie des finances publiques, mettant en exergue la vulnérabilité que constituait, pour l’État, le niveau de la dette.

S’il était convaincu que la relance de l’économie française passait par un allégement de la fiscalité, il n’oubliait pas que les fruits de la croissance devaient être partagés avec l’ensemble des forces productives du pays. Il a inlassablement milité pour la valorisation de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Il y voyait même le socle d’un nouveau contrat social.

Son action à la tête d’une entreprise de référence mondiale, avec son fleuron, l’avion Rafale, ne l’a pourtant pas éloigné du souci des autres, et particulièrement des plus vulnérables. La fondation Serge Dassault, qu’il a fondée en 1993, va poursuivre son œuvre pour accompagner les personnes handicapées et leur insertion dans la société par le travail.

Au nom du Sénat, je voudrais en cet instant assurer la famille de Serge Dassault de notre profonde sympathie, avec une pensée particulière pour notre collègue député Olivier Dassault.

En sa mémoire, je vous propose d’observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, observent une minute de silence.)

3

Article 2 et rapport annexé (précédemment réservés) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Programmation militaire pour les années 2019 à 2025

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (projet n° 383, texte de la commission n° 477, rapport n° 476, avis nos 472 et 473).

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.

Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Franck Menonville et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure même où va se dérouler ici, au Sénat, le vote solennel du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, 8 000 de nos soldats sécurisent nos villes, nos gares et nos aéroports ; 20 000 autres exposent, chaque jour, leur vie pour faire gagner la paix dans les déserts brûlants du Sahel ou dans la poudrière du Moyen-Orient. Avec des moyens parfois vétustes, ils font respecter nos zones de souveraineté, la liberté de circuler dans les détroits et protègent nos intérêts vitaux. C’est à eux que nous dédions ce vote pour que, d’aussi loin qu’ils se trouvent, ils nous entendent et comprennent que la France les protège et les soutient.

Alors oui, madame la ministre, il était temps. Il était temps de mettre un terme à vingt ans d’éreintement de nos armées. Il fallait que la France consente enfin l’effort nécessaire à sa sécurité.

Autant le dire tout de suite, après le mauvais signal donné en juillet dernier, l’exécutif nous a présenté une loi de programmation qui va dans le bon sens et marque un coup d’arrêt salutaire. Un coup d’arrêt à ces régiments qui ferment, à ces 50 000 emplois supprimés en dix ans, alors que l’on a multiplié les surengagements opérationnels.

Mais hélas, selon un calendrier trop tardif et avec des insuffisances et des paris difficiles, cette loi « d’intention » nous apparaît comme bien fragile. C’était donc le rôle du Parlement, particulièrement celui du Sénat, de vous aider, madame la ministre, à tenir vos engagements.

Vos priorités, elles sont les nôtres : une amélioration des conditions de vie de nos soldats, la restauration d’une capacité opérationnelle à bout de souffle, davantage d’innovation, plus de moyens pour le renseignement et la cyberdéfense, ou encore la modernisation de la dissuasion nucléaire ; tout cela contribuera à la préservation d’un modèle complet d’armée, avec des moyens mieux adaptés. Des blindés Scorpion et des canons Caesar pour l’armée de terre, six sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda, quatre sous-marins lanceurs d’engin, huit frégates FREMM, deux frégates FTI, des patrouilleurs et des ravitailleurs pour la Marine, vingt-huit nouveaux Rafale – en cet instant, j’ai une pensée, comme vous, pour notre ami Serge Dassault –, des Mirage rénovés, des avions ravitailleurs et des drones bientôt armés pour l’armée de l’air : ce n’est pas rien et, bien sûr, nous approuvons tout cela.

Malheureusement, cette programmation souffre de fragilités qui nous inquiètent. Plutôt que d’étaler cet effort de manière continue sur la période, comme l’avaient recommandé dans un rapport nos anciens collègues Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, vous concentrez les deux tiers de la programmation sur le dernier tiers du calendrier, après 2022.

M. Christian Cambon. C’est d’autant plus risqué qu’une clause de « revoyure », en 2021, pourrait venir la mettre en danger.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Christian Cambon. De cette programmation trop étalée dans le temps résulteront sûrement de graves tensions sur nombre d’équipements anciens, dont certains resteront en activité encore longtemps, tels les véhicules de l’avant blindé, les hélicoptères Gazelle ou les avions de transport. Quant aux coopérations européennes, le Royaume-Uni est affaibli par le Brexit et le partenariat avec l’Allemagne fait l’objet de belles déclarations, mais bute sur une pratique opérationnelle ou industrielle bien différente.

Dès lors, madame la ministre, la mission de nos groupes au Sénat était de vous aider à tenir vos engagements. Nous l’avons fait dans six directions essentielles.

Il s’agissait, tout d’abord, de protéger les ressources de la défense. Ainsi, le service national universel ne pourra être financé ni en crédits, ni en personnels, ni en infrastructures par les ressources de la programmation militaire. C’était essentiel et vous avez pris des engagements très forts sur ce point. De même, le Sénat a instauré une clause de sauvegarde en cas de hausse des cours du pétrole. Sur les opérations extérieures, le Sénat a souhaité inclure dans leur coût l’usure accélérée du matériel en opérations. Nous avons limité la part de la défense dans le financement des surcoûts résiduels. Nous avons aussi prévu le retour intégral aux armées des produits de vos cessions immobilières : 500 millions d’euros prévus, ce n’est tout de même pas rien !

Pour améliorer les conditions de vie de nos soldats, il fallait les aider à se loger et arrêter les ventes à bas prix du prestigieux patrimoine de votre ministère, à Paris ou en province, sans un retour suffisant pour les armées. La fameuse « décote Duflot » ne s’appliquera donc que si 100 % des logements sociaux sont réservés aux militaires. De même, le Sénat souhaite garder une partie du Val-de-Grâce pour les besoins en logements des soldats de l’opération Sentinelle. (Mme Sophie Joissains applaudit.)

M. Christian Cambon. Nous avons été nombreux à être sensibilisés aux inquiétudes des associations de pensionnés et invalides de guerre, qui risquaient de perdre les garanties dont elles bénéficiaient devant le tribunal des pensions. Le Sénat a prévu que les tribunaux administratifs, auxquels est transféré ce contentieux, appliqueront les garanties existantes pour mieux protéger les droits des requérants.

Le statut des militaires souhaitant se présenter aux élections locales ne pouvait, bien évidemment, qu’attirer l’attention du Sénat. En assouplissant les incompatibilités et en relevant les seuils, le Sénat a évité de faire de ces futurs élus des « demi-soldes » de la démocratie locale.

Afin de favoriser l’engagement, essentiel, dans la réserve, le Sénat a relevé les conditions d’âge des préparations militaires et prévu la possibilité de dons de jours de congés à des réservistes.

Enfin, et c’était l’élément décisif pour notre groupe, le Sénat a introduit de nouveaux pouvoirs de contrôle du Parlement pour aider le Gouvernement, lors de chaque exercice budgétaire, à tenir les engagements inscrits dans ce projet de loi. Nous avons obtenu de connaître vos engagements de livraison d’équipements en 2021. C’était un « point de passage » essentiel pour nous, et je vous en remercie. Nous en contrôlerons donc scrupuleusement le respect.

En revanche, nous avons bien perçu votre hostilité à notre amendement visant à un meilleur contrôle des services de renseignement. Une fois de plus, madame la ministre, et solennellement, je veux vous assurer que les sénateurs veulent protéger les opérations qui sont en cours. Le Gouvernement pourra même s’opposer à la transmission de certains documents, car nous connaissons les compétences qui sont les siennes et nous les respectons. Nous approuvons du reste l’accroissement des personnels – 1 500 agents supplémentaires – pendant la durée d’application de la loi, ainsi que la hausse du budget, soit 4,6 milliards d’euros de crédits supplémentaires pour les services de renseignement. De même, nous vous avons suivie en adoptant l’amendement du Gouvernement pour une meilleure exploitation des données par les services.

En contrepartie, madame la ministre, comment s’opposer à une meilleure information du Parlement, à l’instar de la pratique constatée dans toutes les grandes démocraties ? D’ici à la CMP, je vous propose de poursuivre nos discussions pour tenter de trouver un dispositif qui non seulement respecte l’activité des services, mais nous permette aussi d’exercer les droits du Parlement.

Vous le voyez, le Sénat s’est emparé de ce texte et l’a considérablement amélioré, pour vous aider à en faire une LPM de rupture avec le passé. Car vous le savez, si cette loi ne remplit pas ses objectifs, la désespérance de nos soldats sera grande et nous ne rattraperons jamais le retard accumulé.

Alors, bien sûr, notre groupe votera ce projet de loi, en faisant le pari de la confiance, mais aussi en exerçant un contrôle attentif et annuel sur les engagements pris. Que les dix rapporteurs budgétaires et les deux rapporteurs pour avis qui n’ont pas ménagé leur peine soient ici remerciés, car ils ont apporté une contribution remarquable à ce texte ! Permettez-moi aussi de remercier tous les groupes du Sénat, qui, au cours de la discussion, ont montré combien leur seul intérêt était celui de nos forces armées.

Pour conclure, madame la ministre, je veux vous remercier de votre engagement personnel et de votre écoute, car nous en aurons encore besoin jusqu’à la CMP. Et puis, si, d’aventure, vous voulez témoigner votre reconnaissance pour le travail que notre assemblée a accompli, je vous suggère une idée. Quand, au sein de l’exécutif, on entend poindre des doutes sur l’efficacité ou, parfois même, sur utilité du Sénat, alors vous pouvez leur répondre : « Faites donc confiance au Sénat, car il nous a bien aidés ! » (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mmes Hélène Conway-Mouret et Nelly Tocqueville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous achevons l’examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, dont les enjeux, chacun en est conscient, sont majeurs pour nos armées.

Les travaux en commission, comme en séance publique, ont été fructueux. Nous présentons aujourd’hui au vote un texte qui consacre le redressement de nos armées. Celui-ci leur donne les moyens d’aller vers l’objectif assumé du Président de la République de porter, à l’horizon 2025, notre effort de défense à 2 % du PIB.

Au-delà de l’ambition initiale, le projet de loi de programmation est un point d’équilibre entre la poursuite de la modernisation de nos armées, l’adaptation de ces dernières aux opérations extérieures que nous menons aujourd’hui, le poids de la contrainte budgétaire et la stratégie européenne de notre pays. Ainsi, il décline les engagements pris par le Président de la République à Istres, le 20 juillet 2017.

À la suite des attentats des 23 mars, à Trèbes, et 12 mai, à Paris, nos armées ont montré qu’elles sont des leviers puissants de réassurance face à la grande peur que voulaient imposer les terroristes. Nous disposons d’une armée compétente, servie par des femmes et des hommes d’un professionnalisme de qualité et admiré par tous. Il tient, à nous, de les encourager énergiquement contre des menaces devenant de plus en plus sournoises et massives.

Pour cela, ce projet de loi prévoit des moyens nouveaux.

En premier lieu, il fournit des moyens supplémentaires grâce à un effort budgétaire exceptionnel de 1,7 milliard d’euros par an, puis de 3 milliards en 2023, portant le budget des armées à 39,6 milliards d’euros par an en moyenne, hors pensions, entre 2019 et 2023, soit une augmentation de 23 %. Cet effort financier est d’autant plus crédible qu’il repose intégralement sur des crédits budgétaires pérennes, sécurisant ainsi la trajectoire financière. Concrètement, ce texte montre nos ambitions en garantissant des engagements soutenables et durables, notamment par une augmentation des effectifs sur la période, par un effort en faveur de l’entretien des matériels et des équipements individuels, et par une attention particulière accordée au quotidien des soldats et de leurs familles.

En deuxième lieu, le projet de loi renouvelle nos capacités, pour répondre aux besoins opérationnels immédiats. Il anticipe nos engagements futurs, en accélérant les principaux programmes conventionnels et en renouvelant les programmes liés à la dissuasion et à la modernisation des infrastructures de défense. En cela, ce texte garantit notre autonomie stratégique et encourage la consolidation de l’Europe de la défense, en rééquilibrant les cinq fonctions stratégiques de la doctrine française : dissuasion, connaissance et anticipation, prévention, protection, intervention. Il innove en investissant dans des capacités à forte valeur ajoutée dans les armes de demain.

Enfin, en troisième lieu, le texte nous permet de combler notre retard en matière de cyberdéfense et de lancer des programmes de prospective, notamment sur le porte-avions Charles de Gaulle.

Le projet de loi ainsi modifié sera soumis d’ici à quelques jours à une commission mixte paritaire, dont je ne doute pas de l’issue favorable.

Il restera quelques points à discuter. Le premier concerne la clause qui exclut le ministère de la défense du financement des surcoûts en matière d’opérations extérieures. Comme vous l’avez rappelé lors de la discussion des articles, madame la ministre, les dépassements de la dotation annuelle au titre des OPEX font l’objet d’un financement interministériel. Et pour des raisons évidentes de solidarité avec les autres ministères, le ministère de la défense ne saurait s’en exempter. Il s’agit de respecter un principe constitutionnel datant de la Révolution de 1789, que rien ne justifie de sacrifier aujourd’hui.

En matière de délégation parlementaire au renseignement, je pense qu’il est possible de trouver un compromis, en laissant au Parlement le soin de tirer, en 2020, les enseignements de l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. À cet égard, je vous invite, madame la ministre, dans la mesure du possible, à mener plus tôt qu’en 2020 l’évaluation de cette loi, ce qui faciliterait peut-être certaines choses. C’est dans ce cadre ou lors de l’examen d’un véhicule législatif dédié, plus favorable à une démarche de concertation, que la réévaluation des pouvoirs de contrôle du Parlement devra être examinée. Sur une question si sensible et technique, il serait navrant que les dispositions figurant à l’article 22 ter, non concertées avec le Gouvernement en amont, fassent échouer la commission mixte paritaire.

En conclusion, mes chers collègues, au regard de l’effort consenti à l’occasion de l’examen de ce projet de loi de programmation militaire, c’est-à-dire des moyens financiers en considérable hausse, des équipements supplémentaires et plus modernes, le renforcement du lien entre armée et Nation, le groupe La République En Marche votera résolument ce texte. Nous avons déjà tous dit à plusieurs reprises combien il marque une rupture attendue non seulement par les militaires, mais aussi par la population.

Ce texte redonne de la crédibilité au politique et renforce la légitimité que requiert un effort engageant la Nation entière. Nos débats ont été le meilleur hommage que nous, parlementaires, pouvons rendre à nos armées, qui se battent, au péril de leur vie, en tous lieux et à tout instant, ici comme ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Jean-Marie Bockel et Stéphane Artano applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Christine Prunaud. En préliminaire à mon propos, je tiens, madame la ministre, monsieur le président de la commission, à vous remercier d’avoir placé nos débats sous le signe du respect des avis et opinions parfois divergents.

Ce projet de loi de programmation militaire devait relever deux défis. Le premier, ce que le Gouvernement a appelé « la LPM à hauteur d’hommes et de femmes », devait permettre une amélioration des conditions de vie et d’exercice des militaires. Le second consistait à assurer la place et l’indépendance de la France dans le monde. Qu’en est-il aujourd’hui, après nos débats ?

Sur le premier enjeu, il y a de vrais progrès. Aussi, je me réjouis des recrutements prévus dans les services d’active, et notamment au sein du service de santé des armées, le SSA. Ce dernier fait un travail remarquable, d’excellence, malgré la diminution drastique des effectifs subie ces dernières années. Cette diminution est en partie compensée par la LPM : les arbitrages prévoient un arrêt des déflations des effectifs dès 2019, puis une augmentation sur la période 2019–2025. Idem pour les crédits d’infrastructure alloués au SSA. Pour moi, c’est une très grande avancée.

Autre point positif, la question de la réserve. Demain, à la suite de l’adoption d’un amendement du groupe CRCE, ce dont je me félicite, les réservistes seront mieux protégés des dommages physiques et psychiques qu’ils pourraient subir. Ils seront également mieux valorisés pour leurs actions, via les facilités de promotion et les autorisations renforcées d’absence professionnelle.

Sur ce dernier point, tout en notant le réel progrès apporté par l’article 10 bis, je considère que nous sommes encore au milieu du gué, malgré les 500 conventions signées par le ministère. En effet, certaines entreprises sont réticentes à libérer du temps de travail pour leurs salariés engagés dans la réserve. Ou, pire encore, il faut noter le report de la solidarité de défense sur les autres salariés, via des dons de jours de repos, plutôt que sur les entreprises.

Toutefois, sur l’enjeu de l’amélioration des conditions de vie des militaires, existe un point de désaccord : la question de l’immobilier. Sous couvert de recettes exceptionnelles au profit de l’État, la poursuite des ventes nous semble extrêmement contre-productive, tant les besoins de logements décents sont grands pour nos militaires.

Si le premier défi peut être considéré comme relevé, nous ne partageons pas les ambitions sur le second défi de cette LPM, relatif à la place de la France dans le monde.

L’ambition d’indépendance et de souveraineté pour notre pays nous semble incompatible avec une intégration toujours plus grande dans l’OTAN. L’extension des accords SOFA – Status of Forces Agreement –, s’ils ne visent au final qu’à faciliter la réalisation d’exercices multilatéraux, marque bien une volonté de renforcer notre engagement dans l’OTAN.

On ne peut pas faire comme si les États-Unis, déjà prolixes en matière de décisions contestables, ne prenaient pas un virage inquiétant avec Donald Trump à leur tête. La politique étrangère de Washington s’assimile de plus en plus à la politique du pire.

Et si l’ONU doit être réformée, elle doit avant tout être rétablie comme seule garante de la sécurité mondiale face à l’OTAN.

Comme le notait la semaine dernière Dominique de Villepin à l’occasion d’un entretien à la radio : « Nous ne sommes plus, la France, tout comme l’Europe, qu’une variable d’ajustement, calculée par les États-Unis dans un camp atlantique ».

Mes chers collègues, je me permets de citer une nouvelle fois cet ancien ministre des affaires étrangères, dont nous connaissons tous sur ces travées les positions en faveur de la souveraineté et de l’indépendance de notre pays. Son jugement mériterait d’être largement considéré.

Dans ce cadre, l’Europe de la défense, à ce stade, est loin de constituer une alternative crédible.

Autre point de désaccord : la question du nucléaire. La LPM prévoit 37 milliards d’euros consacrés à un plan de modernisation. Il faudrait, au contraire, engager un processus de diminution de l’armement nucléaire. Que la France ne puisse pas, seule, démanteler l’intégralité de son arsenal, je l’entends parfaitement. Mais nous sommes face à une impasse, puisque chaque puissance nucléaire attend qu’une autre fasse un premier pas…

Une planification de démantèlement, même partielle, aurait été un message international permettant de faire avancer les choses, sans remettre en cause notre sécurité nationale.

Dernier axe stratégique, contestable à mon sens, la question du commerce des armes. Son développement dans la dernière décennie s’est appuyé sur deux objectifs : rééquilibrer la balance commerciale et maintenir l’emploi industriel.

Sur le maintien de l’emploi industriel, la réussite est en réalité très limitée, puisque le secteur de l’industrie de l’armement a vu disparaître 44 000 emplois en dix ans.

La France ne peut pas s’exonérer de ses responsabilités dans la prolifération des armements. Sous la pression de nouveaux conflits, les États se réarment, ce qui alimente en retour les conflits. Ce cercle vicieux, loin d’assurer la sécurité de notre pays, l’éloigne d’autant plus de la culture de la paix que nous souhaitons.

C’est pour ces derniers points, madame la ministre, que notre groupe votera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)