COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

M. Dominique de Legge,

M. Victorin Lurel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 26 juillet a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Remplacement d’un sénateur

Mme la présidente. En application de l’article 32 de l’ordonnance n° 58–1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, une communication de laquelle il résulte que, à la suite de l’annulation de l’élection de M. Jean-Pierre Bansard par le Conseil constitutionnel, M. Damien Regnard, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, est appelé à le remplacer en qualité de sénateur des Français établis hors de France.

Son mandat a débuté le samedi 28 juillet, à zéro heure.

3

 
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Discussion générale (suite)

Liberté de choisir son avenir professionnel

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (projet n° 692, résultat des travaux de la commission n° 694, rapport n° 693).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Question préalable (début)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, cher Alain Milon, mesdames, messieurs les rapporteurs, Michel Forissier, Catherine Fournier, Frédérique Puissat et Philippe Mouiller, mesdames, messieurs les sénateurs, l’adoption par la commission des affaires sociales du Sénat, jeudi dernier, de la motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, motion qui sera présentée dans quelques minutes à cette tribune, m’a fait penser à cette citation de Goethe : « La hauteur nous attire, mais non les degrés qui y mènent ; les yeux fixés sur la lune, nous cheminons volontiers dans la plaine. »

La hauteur, c’est l’objectif commun que nous visons en tant que responsables politiques : lutter efficacement contre la précarité et le chômage de masse, mais aussi contre les discriminations qui en constituent inexorablement le lit.

Parvenir à cette hauteur, c’est rompre avec la résignation à laquelle nous avons cédé collectivement ces trente dernières années. C’est aussi se donner tous les moyens de combattre à la racine les déterminismes de naissance, sociaux ou géographiques. C’est, enfin, établir une société de l’émancipation par le travail et la formation, qui donnera à tous, jeunes, actifs et entreprises, et en conséquence à nos territoires, la capacité de se projeter sereinement dans l’avenir, grâce à des droits nouveaux, garantis par des protections collectives adaptées aux enjeux présents et à venir.

Telle est l’ambition dont est porteur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, texte que j’ai l’honneur de défendre, au nom du Gouvernement, depuis plusieurs mois.

Les dispositions qu’il contient – les degrés qui mènent à la hauteur, comme dit Goethe – sont le fruit d’une méthode pragmatique et résolue, que je tiens à rappeler.

Ce projet de loi est le résultat d’un important travail interministériel, ainsi que de sept mois de concertations et de négociations, de deux accords interprofessionnels conclus entre partenaires sociaux, sur la formation professionnelle et l’assurance chômage, et de trois processus de concertation approfondie, sur l’apprentissage, sur l’égalité entre les femmes et les hommes et le harcèlement sexuel et sur l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap.

Je tiens à saluer de nouveau le travail intense des partenaires sociaux, ainsi que leur volonté d’un agenda social ambitieux à la rentrée ; je veux parler de l’assurance chômage, de la santé au travail, des travailleurs des plateformes et de l’inclusion des plus vulnérables dans l’emploi.

Ces concertations de grande ampleur se sont tenues parallèlement à une cinquantaine de visites et d’échanges avec des acteurs de terrain. En effet, j’ai souhaité partir du terrain, des personnes et des entreprises pour reconstruire les systèmes et donner à nos concitoyens les moyens de réaliser leurs aspirations ; c’est là ma conviction de méthode.

Ma méthode a été la suivante sur chacun des sujets : faire et partager le diagnostic, trouver des solutions pour traiter les causes et pas seulement les symptômes, concerter et négocier ; le quatrième volet va consister à mettre en œuvre et à évaluer.

Les transformations que ce projet de loi comporte reposent, vous le savez, sur trois axes interdépendants et cohérents.

Le premier consiste à créer de nouveaux droits, concrets, facilement mobilisables et adaptés à notre temps, propres à constituer une véritable protection professionnelle, universelle, simple et efficace, au service de l’émancipation individuelle et collective.

Le deuxième axe vise à assurer l’effectivité de ces droits pour le plus grand nombre, ce qui nécessite de lever de nombreux verrous administratifs, réglementaires et financiers.

Enfin, notre troisième axe est l’impératif d’égalité des chances, d’égalité des possibles.

Or, en revenant sur les équilibres internes à ces axes, c’est-à-dire en altérant substantiellement tant la transformation des systèmes de l’apprentissage et de la formation que la réforme de l’assurance chômage, vous avez inévitablement entamé l’ambition de ce texte.

Oui, en adoptant en commission la motion tendant à opposer la question préalable, les degrés dont parle Goethe, vous les avez refusés, en parfaite cohérence, d’ailleurs, avec vos collègues députés Les Républicains, qui ont unanimement voté contre le projet de loi dès sa première lecture.

Ces degrés-là, vous avez logiquement commencé à les diminuer en commission des affaires sociales, notamment en transférant de France compétences à la région la compétence de désigner l’opérateur du conseil en évolution professionnelle pour les salariés. Je pense aussi à la suppression des possibilités de moduler les cotisations patronales selon un système de bonus-malus pour lutter contre la précarité excessive et au durcissement des droits et devoirs des demandeurs d’emploi.

La commission a également supprimé les mesures relatives aux travailleurs des plateformes, qui s’inscrivent pourtant dans une démarche d’universalité progressive, conformément à la volonté du Gouvernement de ne laisser personne s’enfermer dans une activité, ainsi que l’ensemble des dispositions relatives à la mobilité dans la fonction publique.

Seules les dispositions du titre III, à l’exception de celles qui sont relatives aux plateformes et à la fonction publique, n’ont pas été modifiées en profondeur. C’est le cas, en particulier, des dispositions relatives au développement des entreprises adaptées, directement issues de l’engagement « Cap vers l’entreprise inclusive 2018–2022 », un engagement historique, selon les professionnels du secteur, que j’ai signé le 12 juillet dernier avec ma collègue Sophie Cluzel et les responsables du secteur.

S’agissant des autres titres du projet de loi, les degrés dont je parlais, vous avez poursuivi en séance l’affaiblissement de leur potentiel.

Ainsi, vous avez redonné le pouvoir central aux régions sur le système de l’apprentissage, au détriment des jeunes, de leur famille et des entreprises, et contrairement à la pratique de tous les autres pays européens, où l’apprentissage est beaucoup plus développé que dans le nôtre.

Surtout, vous avez écarté l’opportunité d’une réforme globale et cohérente de notre système d’assurance chômage, en refusant d’élargir le champ et de privilégier l’intervention des partenaires sociaux dans une nouvelle convention.

Alors que nous étions parvenus, à deux reprises – loi d’habilitation et loi de ratification –, à un accord sur la loi pour le renforcement du dialogue social, c’est-à-dire l’acte I de l’engagement présidentiel de rénovation de notre modèle social, il n’a pas pu en être ainsi pour l’acte II de cette rénovation, celui de l’émancipation individuelle et collective par le travail et la formation, qui sécurise les parcours professionnels.

Or cet acte II est essentiel pour consolider la croissance et la rendre riche en emplois et inclusive. C’est pourquoi il serait, à mon sens, contradictoire avec notre action de conserver les bases du système actuel, qui, en dépit du volontarisme sincère des acteurs, ne parvient ni à endiguer le chômage de masse, notamment parmi les jeunes, ni à protéger les plus vulnérables contre le manque ou l’obsolescence des compétences, ni à faire en sorte que nos très petites, petites et moyennes entreprises puissent grandir, en trouvant sur le marché du travail les compétences dont elles ont besoin.

Cette occasion manquée avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, symbolisée par l’échec de la commission mixte paritaire, je la déplore.

Mais, puisque, d’une certaine façon, je sais que, comme le Gouvernement, et pour reprendre la citation de Goethe, vous gardez les yeux fixés sur la lune, c’est-à-dire sur les objectifs, je suis sûre de pouvoir compter sur votre vigilance exigeante pour évaluer la mise en œuvre des transformations ambitieuses et profondes que nos concitoyens ont appelées de leurs vœux, pour enfin choisir librement leur avenir professionnel et préparer un monde en mutation.

C’est en effet à l’exécution de ces transformations systémiques, en faveur d’un accès et d’un accompagnement plus simples et plus vastes à l’atout du XXIe siècle, les compétences, que le Gouvernement, en liaison toujours avec les acteurs de terrain, va se consacrer dans les prochains mois.

Certains, vous le savez, ont déjà pris des engagements ; d’autres s’y préparent. Je tiens à les saluer une nouvelle fois. Ainsi, l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat s’est engagée à former, grâce à cette loi, 60 000 apprentis supplémentaires. Dans le même esprit, le Conseil national de l’industrie ambitionne d’augmenter de 40 % le nombre d’apprentis dans ce secteur. De son côté, la Fédération française du bâtiment vient de s’engager à accueillir 15 000 jeunes bâtisseurs.

Quant aux entreprises adaptées, grâce à un modèle modernisé et à un soutien sans précédent de l’État, elles vont créer 40 000 emplois supplémentaires pour les personnes en situation de handicap d’ici à 2022, c’est-à-dire doubler de taille.

Ces emplois, ces projets, ces avenirs sur le terrain, voilà ce qui doit nous mobiliser tous, chacun à notre niveau, pour les rendre possibles.

La mobilisation du Gouvernement est, vous l’avez compris, totale. C’est le sens de ma proposition de travailler dès septembre, avec tous les parlementaires ultramarins, à l’adaptation opérationnelle de la future loi aux différents contextes locaux. Je sais en effet que nous partageons la volonté de faire réussir nos territoires, en particulier les plus en difficulté, dans la bataille mondiale des compétences.

Cette bataille, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons désormais, avec cette réforme d’ampleur, tous les atouts pour la remporter ! (MM. Didier Rambaud et Martin Lévrier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Fournier applaudit également.)

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Je rappelle que nous avons achevé l’examen de ce projet de loi le 16 juillet dernier au matin. La commission mixte paritaire s’est réunie le soir même, ce qui excluait de fait toute possibilité d’arriver à un accord en si peu de temps. L’Assemblée nationale a achevé sa nouvelle lecture mercredi dernier au soir, et la commission des affaires sociales du Sénat a dû se réunir dès le lendemain matin.

Ces délais serrés traduisent le peu de considération que porte le Gouvernement au travail de notre assemblée et une gestion chaotique de l’ordre du jour en cette fin de session.

M. Yves Daudigny. C’est juste !

M. Michel Forissier, rapporteur. Madame la ministre, au cours de votre audition du 20 juin dernier, mes collègues rapporteurs Catherine Fournier, Philippe Mouiller et Frédérique Puissat et moi-même vous avions présenté un certain nombre de griefs quant à la méthode d’élaboration de ce texte. Permettez-moi de les rappeler brièvement.

Tout d’abord, une évaluation préalable, impartiale et publique de la formation professionnelle et de l’apprentissage, ainsi que des effets de la loi du 5 mars 2014, aurait été pertinente avant de réformer l’ensemble du système et de retirer la compétence des régions.

Ensuite, votre annonce d’un « big-bang » en matière de gouvernance et de financement de la formation professionnelle est venue remettre en cause le contenu d’un accord national interprofessionnel conclu le jour même par les partenaires sociaux.

En outre, d’importants aspects de la réforme proposée devront être précisés par des mesures réglementaires, dont les orientations n’ont été que parcimonieusement dévoilées pendant nos débats dans l’hémicycle. Nous estimons que le Sénat doit avoir une lisibilité sur les décisions préparées par le Gouvernement.

Plus grave encore : des volets entiers ont été introduits par voie d’amendement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Ces ajouts, touchant à des sujets aussi divers que l’emploi des travailleurs handicapés, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou encore le travail détaché, n’ont, par hypothèse, fait l’objet ni d’un avis du Conseil d’État ni d’une étude d’impact. Alors que le Gouvernement envisage de réformer la procédure parlementaire pour aller dans le sens d’une plus grande efficacité, cette méthode ne peut qu’être dénoncée !

Au total, il se dégage du parcours de ce texte une impression d’improvisation et de fébrilité, alors que le Gouvernement a disposé d’une année de réflexion pour l’élaborer.

En première lecture, nous avions adopté une attitude pragmatique et constructive, cherchant non pas à nous opposer systématiquement aux propositions du Gouvernement, comme Mme la ministre l’a prétendu, mais à améliorer le texte dans une logique d’ouverture et de compromis.

S’agissant de l’apprentissage, nous avions ainsi souhaité donner aux régions un pouvoir d’impulsion en faveur de son développement, en cohérence avec leur compétence de développement économique et d’aménagement du territoire. Nos travaux avaient également visé à améliorer l’orientation des jeunes et la formation des enseignants, à valoriser la fonction de maître d’apprentissage et à moderniser le statut de l’apprenti.

En matière de formation professionnelle, malgré nos doutes sur l’efficacité de la monétisation du compte personnel de formation, le CPF, nous avions souhaité créer les conditions d’un accord avec l’Assemblée nationale en en acceptant le principe. Nous avions, en revanche, tenté de limiter ses effets pervers, notamment en créant une période de transition pour la conversion en euros et en prévoyant des règles d’actualisation régulière des droits acquis.

Nous avions par ailleurs accepté la création de France compétences, tout en veillant à ce que cette agence soit réellement quadripartite et ne se mue pas en un simple opérateur de l’État.

Enfin, il nous était apparu pertinent que l’opérateur régional du conseil en évolution professionnelle soit désigné par le président du conseil régional et non, depuis Paris, par France compétences.

À l’exception des corrections rédactionnelles, des coordinations et de quelques rares dispositions plus substantielles, tout le travail du Sénat sur les volets « apprentissage » et « formation professionnelle » a été écarté d’un revers de main par les députés, avec parfois des justifications lapidaires, erronées, voire biaisées.

De plus, de nombreux amendements des rapporteurs de l’Assemblée nationale, du Gouvernement ou de la majorité présidentielle ont introduit des dispositions nouvelles ou modifié des dispositifs pourtant adoptés dans les mêmes termes par les deux chambres. Cette méthode de travail nuit à la sincérité des débats parlementaires. Le Conseil constitutionnel aura, s’il est saisi, à se prononcer sur la conformité de ces ajouts à la règle de l’entonnoir.

Surtout, le fait que de nouvelles précisions soient apparues nécessaires jusqu’au stade de la nouvelle lecture suscite des interrogations quant au caractère abouti du texte qui doit être adopté définitivement d’ici à une semaine.

J’en viens au troisième objectif du Sénat, qui était de renforcer les droits et les devoirs du demandeur d’emploi.

Nous avions notamment souhaité définir dans la loi les principes de la radiation et de la suppression du revenu de remplacement en cas de manquement du demandeur d’emploi à ses obligations et rendre plus incitative l’offre raisonnable d’emploi.

Par ailleurs, nous avions supprimé la possibilité pour le Gouvernement d’imposer un bonus-malus, considérant que ce dispositif était complexe, mal ciblé et serait peu efficace pour lutter contre le recours excessif aux contrats courts.

Tout en acceptant les nouvelles règles relatives à la négociation de la convention d’assurance chômage, notre assemblée avait souhaité que le Gouvernement communique au Parlement le projet de document de cadrage au plus tard quatre mois avant la fin de validité de la convention.

Tous ces apports du Sénat ont été supprimés en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.

À l’inverse, nos collègues députés ont adopté l’amendement visant à ouvrir immédiatement la renégociation de la convention d’assurance chômage, annoncée par le Président de la République devant le Congrès. Nous nous étonnons que nos collègues députés, du moins leur majorité, aient pu se plier à une telle injonction, donnée au mépris de leur travail de première lecture et de la répartition constitutionnelle des pouvoirs.

Plus que tout autre point de désaccord entre nos deux chambres, c’est cet amendement qui a provoqué l’échec de la commission mixte paritaire. Nous avions pourtant clairement indiqué à nos collègues notre volonté de chercher des compromis. Il n’est pas normal, même si cela semble devenir habituel, qu’une commission mixte paritaire achoppe sur une disposition qui n’a été adoptée par aucune des deux assemblées en première lecture.

Sur le fond, nous doutons toujours de l’existence d’un motif d’intérêt général suffisant pour justifier la remise en cause par le législateur de l’intégralité de la convention d’assurance chômage signée, et avec difficulté, le 14 avril 2017.

L’emploi des travailleurs handicapés est le seul volet pour lequel plusieurs modifications importantes du Sénat ont été conservées. Je pense notamment à la possibilité pour une personne au handicap irréversible de se voir attribuer de façon pérenne la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

L’Assemblée nationale a maintenu les dispositions pragmatiques que nous avions introduites en matière de transfert conventionnel des contrats de travail, mais elle a supprimé le dispositif proposé par le Sénat pour l’acquittement de l’obligation d’emploi des travailleurs dans les entreprises comportant plusieurs établissements.

Enfin, le Sénat avait recentré le projet de loi sur les objectifs initiaux de celui-ci. C’est pourquoi il avait rejeté l’article qui traite de la responsabilité sociale des plateformes numériques à l’égard de leurs collaborateurs, ainsi que tous les articles relatifs à la réforme du régime de la disponibilité des fonctionnaires et à l’élargissement des recrutements par voie directe, dépourvus de lien avec l’objet du texte.

Sur ces différents sujets, l’Assemblée nationale a rétabli son texte de première lecture, rejetant en bloc les apports du Sénat.

Les délais qui nous sont imposés n’ont pas permis à la commission de mener à nouveau un travail approfondi en nouvelle lecture. Au demeurant, compte tenu de la position de la majorité des députés, il est manifeste qu’il serait vain de persister dans une démarche d’ouverture.

Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez porte une lourde responsabilité dans l’échec de cette commission mixte paritaire. Le peu de considération accordée aux propositions du Sénat et au paritarisme est regrettable et dommageable.

Nous souhaitions une mobilisation générale de tous les acteurs autour d’un grand projet pour les jeunes, coconstruit au service de l’intérêt général ; par ce texte, permettez-moi de vous le dire, madame la ministre, vous vous arrêtez au milieu du gué.

Prenant acte avec regret de cette situation, la commission a adopté une motion tendant à opposer la question préalable, que nous vous demanderons, mes chers collègues, de voter.

Au terme de l’examen de ce projet de loi, vos rapporteurs éprouvent un sentiment de déception. Le lien de confiance que nous avions tenté de tisser avec le Gouvernement depuis un an au sujet des textes portant sur le droit du travail a été remis en cause par l’attitude de la majorité gouvernementale, qui traduit la volonté de ne pas tenir compte du travail de la chambre haute, quand bien même elle adopterait une attitude pragmatique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Fournier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Mme Maryse Carrère et M. Jean-Claude Requier applaudissent.)

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « dans un monde en pleine mutation, avec un marché du travail qui évolue extrêmement vite, chacun doit pouvoir choisir de se former, être acteur de sa vie professionnelle et non plus la subir. La compétence est la meilleure des protections. »

C’est dans cet esprit, madame la ministre, que vous nous avez soumis ce projet de loi, qui porte « l’ambition de l’émancipation sociale par le travail et la formation ».

Le niveau élevé du chômage et un monde du travail en perpétuelle évolution doivent nous conduire à considérer le développement des qualifications et des compétences comme un outil précieux pour l’accès et le retour à l’emploi, ainsi que le maintien dans l’emploi.

Les experts estiment en effet que plus de la moitié des métiers seront profondément transformés d’ici à cinq ans. Dans ce contexte, la formation est indispensable pour préparer les salariés aux changements professionnels qu’ils choisiront ou subiront au cours de leur carrière et pour permettre aux plus fragiles d’acquérir les compétences nécessaires.

Elle doit nous aider à lutter contre l’inégalité des chances qui existe, hélas, de façon inévitable au départ de chaque vie et que l’école ne permet pas toujours de réduire autant qu’il le faudrait.

Malgré un financement considérable – 32 milliards d’euros – et différentes réformes, notre système de formation est toujours complexe, injuste et opaque. Il profite surtout aux salariés qui en ont le moins besoin. Les ouvriers ont ainsi deux fois moins de chances d’être formés que les cadres ; il en va de même pour les employés des très petites entreprises par rapport à ceux des entreprises de 250 salariés et plus.

Aussi, cette réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage, empreinte d’un effort de lisibilité, est la bienvenue.

Est-il besoin de rappeler que l’apprentissage constitue un rempart contre le chômage, notamment celui des jeunes, puisque 60 % des apprentis obtiennent un CDI à la fin de leur contrat d’apprentissage ? Espérons seulement que ce texte permette de transformer cet outil, trop souvent considéré comme une voie de garage, en véritable voie d’excellence !

Ce texte comporte, bien sûr, d’autres dispositions très intéressantes, comme l’assurance chômage étendue aux démissionnaires et aux indépendants, quoique modeste dans son ambition, et les mesures favorisant l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap, encore trop souvent exclues du marché du travail.

Je n’oublie pas non plus les avancées en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles et d’égalité professionnelle, un sujet qui, vous le savez, me tient à cœur. Sur ce point, gageons que ces dispositions seront enfin respectées !

Malheureusement, notre assemblée risque d’abréger l’examen de ce texte en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable qui va nous être présentée. Le groupe du RDSE, qui, par principe, préfère que le débat parlementaire puisse aller à son terme, regrette ce choix.

Certes, le calendrier d’examen était particulièrement contraint, avec une réunion de la commission mixte paritaire quelques heures à peine après la fin de l’examen au Sénat et une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale qui s’est terminée voilà seulement quelques jours. Pour un texte aussi dense, c’est pour le moins regrettable.

J’entends également les arguments avancés par les rapporteurs, lesquels estiment que les députés et l’exécutif ont refusé d’entendre la voix de notre assemblée. Il est vrai que, en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a, sans grande surprise, rétabli la quasi-intégralité du texte adopté par elle en première lecture, supprimant ainsi la plupart des modifications apportées par la Haute Assemblée. À titre personnel, je dois dire que je le regrette, car j’avais trouvé que nous avions bien travaillé dans cet hémicycle en première lecture.

Je pense à la monétisation du compte personnel de formation, dont certains s’inquiètent des effets délétères. Cette mesure suscite toujours autant d’oppositions. Comme ma collègue Véronique Guillotin l’a très justement expliqué en première lecture, nous redoutons un reste à charge dissuasif et, surtout, de nouvelles inégalités pour les salariés. La commission des affaires sociales avait en partie répondu à ces craintes par la mise en place d’une période de transition pour la conversion en euros et de règles d’actualisation régulière des droits acquis.

Nous avons également renforcé la place des régions en matière d’apprentissage par l’élaboration d’une stratégie régionale pluriannuelle opposable aux branches professionnelles et par l’adoption de plusieurs amendements, dont celui du RDSE, visant à confier conjointement aux régions et aux branches professionnelles la politique régionale d’accès à l’apprentissage.

Nous nous félicitions, par ailleurs, de la volonté de la commission de garantir une gouvernance réellement quadripartite du conseil d’administration de France compétences, pour que cet organisme ne soit pas uniquement un opérateur de l’État.

S’agissant enfin, madame la ministre, de votre amendement à l’article 33, visant à confier aux partenaires sociaux le soin de négocier de nouveaux accords d’assurance chômage sans attendre l’échéance de l’actuelle convention, je crois que le Sénat a fait preuve d’une grande sagesse en le rejetant.

Le président Jean-Claude Requier l’avait expliqué au cours des débats : si notre groupe approuve globalement l’objectif de mettre en place une réforme de l’assurance chômage efficace, il désapprouve la méthode. C’est là une question importante, qui nécessitait certainement que notre assemblée l’examine avec le sérieux qui la caractérise, et non au détour d’un amendement déposé, oserai-je dire, dans la précipitation et discuté à une heure avancée, sans que notre commission ait eu le temps de se pencher réellement sur lui.

Pour autant, madame la ministre, notre groupe partage la philosophie de cette réforme majeure pour l’organisation du système de formation professionnelle et la lutte contre le chômage. C’est pourquoi nous regrettons, une nouvelle fois, que cette ultime discussion ne puisse avoir lieu au sein de notre belle assemblée, reconnue pour ses débats apaisés et la richesse de ses échanges. Nous ne pourrons, en conséquence, soutenir la motion tendant à opposer la question préalable. (Mme Maryse Carrère et M. Jean-Claude Requier applaudissent.)