M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, sur l’article.

M. Jean-Raymond Hugonet. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais l’intérêt du débat m’y pousse. J’ai défendu la suppression de l’article 44 lors de l’examen du projet de loi Pacte, et les discussions au sujet de la privatisation d’Aéroports de Paris ont rapproché beaucoup de points de vue dans cet hémicycle.

La proposition qui nous est soumise aujourd’hui, dont on peut comprendre le ressort principal, est jusqu’au-boutiste. Ce qui nous importe ici, toutefois, c’est qu’elle soit également réaliste. Or nous avons vu que, pour des raisons financières, elle serait particulièrement périlleuse.

En revanche, madame la ministre sait bien ce qui s’est passé. Avec nos collègues Laure Darcos, Olivier Léonhardt et d’autres – je le rappelle sous l’œil de Jean-Claude Lagron, président de l’association A10 gratuite, qui est présent dans les tribunes – j’ai eu l’occasion de critiquer les exagérations auxquelles la gestion de ces autoroutes a donné lieu, avec notamment la création d’un péage inique sur l’autoroute A10, à vingt-trois kilomètres de Paris. Cela s’appelle tout simplement faire un cadeau à une entreprise.

Je pourrais m’associer à la proposition qui nous est faite aujourd’hui, mais, encore une fois, elle est économiquement et mécaniquement jusqu’au-boutiste et donc, à mon sens, défavorable. Il faut surtout insister sur les dérives et les relever. Il est en effet insupportable de nous laisser croire, comme on le fait depuis des années, que les entreprises sont toutes-puissantes et que l’État ne peut rien faire. C’est cela, la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Laure Darcos et M. Patrick Chaize applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, sur l’article.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, je faisais partie, en 2014, du groupe d’étude sur la reprise des concessions autoroutières avec Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ et je voudrais apporter quelques précisions, notamment à l’intention de Mme Lienemann.

À l’époque, nous avions auditionné tous les concessionnaires et l’Autorité de la concurrence. Votre collègue, Mme Didier, participait à cette audition et nous avions tous constaté que l’Autorité de la concurrence, qui ne nous avait pas habitués à cela, notamment M. Bruno Lasserre, avait produit un rapport clairement à charge, dans lequel elle avait calculé une rentabilité à l’instant t des concessions autoroutières en occultant le prix de rachat et la reprise de la dette. Bien évidemment, cela a fait un scandale, tout le monde s’est levé pour condamner une telle rentabilité.

Il est facile de créer des scandales, mais, à l’époque, nous avions fait le constat que ce rapport était clairement à charge, qu’il permettait à Mme Royal d’engager le débat sur la reprise des concessions, et qu’il était donc falsifié.

Il faut préciser que l’État touche une redevance sur les autoroutes. Les allongements de concessions découlent de ce que l’État n’a pas honoré ses engagements : il doit entretenir, notamment, les aires de repos. Au lieu de le faire, il prolonge les concessions.

Si l’on met tous les chiffres sur la table, cette activité est certes rentable, mais le scandale n’est pas aussi énorme que cela.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et la Cour des comptes ?

M. Pierre Médevielle. Le rapport de l’Autorité de la concurrence a été complètement démonté en commission…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La Cour des comptes disait la même chose, avez-vous également démonté son rapport ?

M. Pierre Médevielle. Il y a tout de même eu une reculade sur le prix de rachat ! Celui-ci avait été calculé par un cabinet très justement nommé Microeconomix, puisqu’il comptait racheter à 30 milliards d’euros et revendre à 40 milliards d’euros. Dans ces conditions, bien entendu, tout le monde y serait favorable, mais il faut reprendre les chiffres !

Prélever, conformément à l’article 3, près de 50 milliards d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés me semble surtout irresponsable.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Plusieurs de nos collègues dans toutes les travées ont fait valoir l’argument du coût : « C’est trop cher, attendons la fin des concessions. »

Ce n’est pas vrai. Ce rachat, en effet, aurait un coût, mais celui-ci pourrait se négocier, y compris devant les tribunaux, madame la ministre, où l’on pourrait dénoncer des contrats viciés et déséquilibrés.

Quand bien même il faudrait investir, la puissance publique peut s’en donner les moyens, d’autant que ce sont les péages qui financeront le remboursement de cet emprunt.

Mes chers collègues, nous trouvons 40 milliards d’euros cette année pour le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi,…

M. Fabien Gay. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. … et vous nous dites que l’on ne serait pas capable de dégager 50 milliards d’euros pour racheter les concessions autoroutières. Est-ce une plaisanterie ? Vous n’avez pas posé toutes ces questions au moment du vote du CICE !

De l’argent, il y en a, ce qui prouve bien que vos arguments ne tiennent qu’à une chose : les choix politiques que vous défendez. Souffrez que nous avancions des arguments pour les contrer, car, à l’évidence, ils ne sont pas bons ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, sur l’article.

M. Olivier Léonhardt. Je vais vous lire le message que je viens de publier sur un réseau social.

À propos de la proposition de loi sur la nationalisation des sociétés d’autoroutes, présentée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, je refuse le dogmatisme. Cela a toujours été le cas dans ma vie politique, et j’ai toujours prôné l’intérêt public en matière économique.

Ainsi, je ne serais pas choqué que la France ne soit plus actionnaire de Renault, seul groupe automobile mondial à être détenu pour partie par l’État.

En revanche, un réseau autoroutier me paraît beaucoup plus proche de l’intérêt public, et, au demeurant, rentable. Je le reconnais, les signatures des contrats de concession ont été tellement favorables aux entreprises que la nationalisation est techniquement complexe. Toutefois, le signe politique que constitue un soutien à cette proposition de nationalisation devient un moyen, certes discutable à l’infini, entre réalisme économique et volonté d’alerter les Français sur le scandale des péages.

Si elle était adoptée au Sénat, cette proposition de loi ne le serait pas à l’Assemblée nationale,…

M. Pierre-Yves Collombat. On ne sait jamais !

M. Olivier Léonhardt. … que les grands groupes concernés se rassurent !

M. Pierre-Yves Collombat. Ils ne sont pas inquiets !

M. Olivier Léonhardt. Pourtant, voter cette nationalisation m’offre la possibilité d’être, avec d’autres, un lanceur d’alerte et de rester attentif à d’éventuelles questions du même ordre à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. David Assouline et Mme Sophie Taillé-Polian applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les prises de parole sur l’article.

L’amendement n° 1, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Le Parlement vient de rajeunir de quarante ans : nos débats me rappellent l’époque qui a suivi 1981, Charles Fiterman était alors ministre des transports et l’on parlait de nationalisations. Voyez, vous ne vieillissez pas, tant mieux pour vous ! Mon cher collègue Pierre Laurent, à cet instant, j’ai une pensée très personnelle pour votre père, qui était alors un acteur essentiel.

Les assises de la mobilité ont bien montré qu’il fallait apporter des réponses nouvelles aux besoins de déplacement quotidien. Ainsi, les attentes sont fortes pour la réalisation de voiries de contournement adaptées aux évolutions démographiques de nos agglomérations.

J’aurai l’occasion, madame le ministre, de vous parler à de nombreuses reprises de la jonction entre l’A75 et l’A9 à Montpellier, parce que, si l’on va dans le sens où veulent nous emmener nos amis, nous serons tous dans l’autre monde avant que ne soit réalisé le contournement ouest de Montpellier.

Les coûts de telles infrastructures ne peuvent être supportés par l’État et les collectivités territoriales. Aussi, lorsqu’elles constituent des rabattements sur une autoroute, il apparaît opportun qu’elles puissent être réalisées par le concessionnaire, en contrepartie, indolore pour l’usager et le contribuable, du rallongement de la durée de la concession. J’y reviendrai.

Aujourd’hui, gardons à l’esprit des chiffres simples : sur 10 euros de péage, 4,2 euros sont consacrés aux impôts et aux taxes, 1,2 euro à l’exploitation, 2,1 euros au remboursement de la dette et à la rémunération des investisseurs et, enfin, 2,5 euros à la construction et à la modernisation du réseau.

Si la gestion des autoroutes était nationalisée, comme le souhaitent les auteurs de ce texte, le quart des recettes des péages affecté à la construction et à la modernisation tomberait dans le tonneau des Danaïdes de Bercy, au détriment de l’entretien et de l’investissement.

Sur ce point, l’intitulé de la proposition de loi vise à affecter les dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, mais il s’agit d’une affirmation de principe sans base législative.

Il est donc proposé de supprimer cet article, car la concession reste le seul moyen pour que notre réseau autoroutier demeure un modèle de sécurité, de qualité et de confort reconnu dans toute l’Europe.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. Il nous est proposé de supprimer l’article 1er. J’y suis, bien sûr, défavorable à titre personnel.

La commission, quant à elle, s’est logiquement prononcée favorablement sur cet amendement. Permettez-moi de regretter que, s’agissant d’une niche, on ne poursuive pas l’examen de ce texte jusqu’à son terme. Cela aurait été bienvenu.

M. Jean-Pierre Grand. Ce ne serait plus une niche, mais une farce ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. Vous aurez compris que le Gouvernement n’est pas favorable à la renationalisation des sociétés d’autoroutes : il ne peut donc qu’être favorable à la suppression de l’article 1er.

Pour autant, je voudrais souligner que le mécanisme d’adossement pourrait éventuellement être envisagé dans quelques cas particuliers. Comme tout allongement, il serait fortement encadré et nécessiterait une notification à la Commission européenne ainsi qu’un vote du Parlement.

Au vu de nos débats, en particulier des échanges sur l’équilibre des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires, allonger indéfiniment les concessions d’autoroutes ne nous semble pas être une bonne idée.

M. le président. Avant de mettre aux voix l’amendement n° 1, je précise que, s’il était adopté, entraînant ainsi la suppression de l’article 1er, il n’y aurait plus lieu de mettre aux voix les articles 2 et 3 non plus que l’ensemble de la proposition de loi.

La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Je souhaite réagir aux propos de mon collègue Jean-Pierre Grand et adresser un salut amical à notre ancienne collègue Évelyne Didier, qui était une sénatrice de mon département, appréciée et reconnue pour ses compétences. Elle était membre de la commission de l’aménagement du territoire et, si elle nous regarde sur Public Sénat, son sang doit bouillir en entendant les propos tenus ici sur la puissance publique.

Mon cher collègue, je ne partage pas votre avis selon lequel cette dernière ne saurait supporter des investissements importants. L’union fait la force, et nous sommes capables d’assumer des investissements d’ampleur.

Vous prônez, par ailleurs, les logiques d’adossement et de prolongation des concessions, en les considérant comme indolores. Je ne suis pas certain que cela soit le cas pour l’usager.

Observez les deux sociétés publiques autoroutières qui existent encore en France : Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc, ATMB, et la Société française du tunnel routier du Fréjus, ou SFTRF, dont le président est Thierry Repentin. Leur situation est exemplaire : elles sont sous le contrôle total de la puissance publique, au travers de l’État, du département et de la Caisse des dépôts, elles sont contraintes dans le choix des tarifications des péages par des règles étatiques. Or ces autoroutes sont parfaitement entretenues et sont les seules qui pratiquent autant d’innovations qu’il s’agisse de la gestion des péages, avec des offres particulières, ou des voies réservées.

Je souhaite également évoquer notre patrimoine commun, à l’heure où les taux d’intérêt sont si faibles. Dans un tel moment, ce n’est pas une aberration économique que de le développer par l’emprunt. Observez les sociétés privées : puisque l’emprunt ne coûte presque rien et qu’il est beaucoup moins cher que le coût du capital, dès que les sociétés autoroutières ont été en situation de mener des offres publiques d’achat, des OPA, elles ont vidé les caisses. Aujourd’hui, elles n’ont plus que de la dette. Il faut réfléchir sur ce point.

De même, demain, pour financer les mesures du projet de loi d’orientation des mobilités et pour nous réapproprier des biens nationaux, nous pourrions envisager une logique de grand emprunt, qui est possible pour certains financements de long terme. Nous l’avons déjà fait.

Dans la situation actuelle d’un État qui se dit impécunieux pour construire de nouvelles infrastructures, l’alternative qui nous est soumise est la concession ou rien. Nous n’avons donc plus le choix, au détriment de l’usager, c’est la raison pour laquelle je voterai contre cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Grand. J’apprécie que l’on éclaire les débats. On vient de terminer, à Montpellier, le déplacement d’une vingtaine de kilomètres d’autoroute pour 800 millions d’euros. C’est ASF qui a payé, pas l’État, non plus que les collectivités.

Madame le ministre, j’entends une ouverture dans votre réponse. Effectivement, si nous attendons de pouvoir régler les 200 millions d’euros du contournement ouest de Montpellier et les 200 millions d’euros du contournement ouest de Nîmes ainsi qu’une autre obligation, je peux vous dire qu’il en ira de ces projets comme de la ligne à grande vitesse jusqu’à Perpignan : ils ne seront toujours pas réalisés en 2050.

Il n’y a pas trente-six solutions, mais une réalité qui s’impose à nous. Les villes bougent et nous n’avons pas les moyens de construire ces contournements dont nous avons besoin non pas dans dix ou vingt ans, mais dans les cinq ans qui viennent ! Je n’ai pas d’autre idée à proposer pour leur financement.

Madame le ministre, je retiens l’ouverture dans vos propos, avec les réserves juridiques et financières qui s’imposent. Il s’agira, le moment venu, de faire les démarches et d’engager les discussions nécessaires, mais votre réponse me plaît beaucoup.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Il se trouve que je suis rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l’État », donc de la dette. Entendre notre collègue parler de grand emprunt me fait penser à la formule suivante : « Il vaut mieux devoir que ne pas pouvoir rendre ». En l’espèce, toutefois, non seulement on doit, mais on ne peut pas rendre ! Le grand emprunt ne me semble donc pas être le sujet du jour.

M. Pierre-Yves Collombat. Tout est tellement corseté, aujourd’hui, que l’on ne peut plus rien faire !

Mme Nathalie Goulet. Mes chers collègues, nous ne sommes pas obligés d’être en accord avec vos positions !

Dans ce dossier, en particulier, il me semble que comparaison n’est pas raison. J’admets que des erreurs ont été commises sur la privatisation des autoroutes, néanmoins, la solution que vous proposez ne me semble pas être la bonne et je voterai l’amendement présenté par notre collègue Jean-Pierre Grand.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.

M. Sébastien Meurant. Je ne suis pas loin de penser, comme vous, que les autoroutes constituent un bien commun. Toutefois, le principe de réalité, c’est que l’État est aujourd’hui incapable de développer ces investissements, voire de simplement entretenir les autoroutes. La différence entre les autoroutes concédées et celles qui sont gérées par l’État est claire : dans mon département, le Val-d’Oise, il ne vous a pas échappé que le pont de Gennevilliers a été fermé pendant quelques jours, par défaut d’entretien, provoquant des embouteillages monstres. Je le regrette, mais l’entretien des autoroutes laisse à désirer.

Dans un monde parfait, je serais d’accord pour renationaliser, mais la réalité, c’est que l’État en est aujourd’hui incapable.

M. Pierre Laurent. Il faut regarder vers l’avenir !

M. Sébastien Meurant. Nous devrions demander à Mme la ministre comment tout cela devrait fonctionner.

Je voterai donc avec mon collègue Jean-Pierre Grand.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Je suis très dubitative quant aux arguments que nous opposent nos collègues pour justifier le vote de cet amendement. Éliane Assassi l’a fort bien démontré, c’est une question de choix politique !

Le CICE représente deux fois 20 milliards d’euros, soit 40 milliards d’euros, ce qui prouve que quand on veut, on peut.

M. Jean-Pierre Grand. Vous ne cessez pourtant de critiquer ce dispositif !

Mme Laurence Cohen. Ne prétendez pas que l’État est impuissant ou qu’il n’a pas d’argent, le Gouvernement fait le choix, par volonté politique, de ne pas mobiliser l’argent en faveur de ce que nous proposons. Après cela, il faut assumer.

Vous avez raison, ma chère collègue, on peut ne pas être d’accord. Vous n’êtes pas favorable à cette solution, mais je ne sais pas quelle autre solution aurait votre préférence.

M. Patrick Chaize. C’est précisément le sens de tout ce débat !

Mme Laurence Cohen. Continuer à accepter la situation actuelle relève d’une vision à court terme qui dessert l’intérêt des usagers.

Mesurons bien la réalité des choix politiques que nous devons faire et cessons d’affirmer que les caisses sont vides, car elles ne le sont pas pour tout le monde !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La question du mode de financement de la nationalisation fait évidemment débat. Je rappelle tout d’abord que, dans le chiffre du coût estimé, il y a 20 milliards d’euros de dettes. Pour cette somme, il s’agira donc d’un transfert de dette et non de cash à sortir.

Ensuite, notre rapporteur a proposé la constitution d’un établissement public qui, comme l’ont fait les sociétés autoroutières, emprunterait de l’argent qui serait ensuite remboursé grâce aux recettes des péages. Ceux-ci ne seront pas supprimés, c’est vrai, mais nous pourrions mettre en place des politiques tarifaires judicieuses au regard des kilomètres parcourus ou d’autres critères de cette nature.

Les sociétés autoroutières investissent aujourd’hui en empruntant, et non sur leurs fonds propres. Un établissement public spécifiquement consacré à la gestion de ces autoroutes pourra donc faire de même, et n’oublions pas qu’il n’aura pas à verser de dividendes. Je vous rappelle en effet que les sociétés autoroutières ont très peu investi et ont surtout versé des dividendes.

Il apparaît donc clairement que cette solution est techniquement possible, en particulier quand les taux d’intérêt sont bas. Je vous demandais comment vous alliez rendre des comptes dans dix ans, lorsque l’on calculera le total des sommes perdues et de celles que l’on aurait récupérées en nationalisant. Dans quelques années, à quel niveau seront les taux d’intérêt ? Certainement plus élevés qu’aujourd’hui ! Nous avons donc intérêt à agir maintenant.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 247
Contre 93

Le Sénat a adopté.

Mme Éliane Assassi. Quatre-vingt-treize tout de même !

M. le président. En conséquence, l’article 1er est supprimé.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France
Article 3 (début)

Article 2

L’article 1er entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’une année à compter de la promulgation de la présente loi.

Article 2
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Article 3 (fin)

Article 3

Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.

M. le président. L’article 1er ayant été supprimé, il n’y a pas lieu de mettre aux voix les articles 2 et 3.

Je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France
 

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Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre
Discussion générale (suite)

Interdiction de l’usage des lanceurs de balles de défense

Rejet d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l’emploi de la force publique dans ce cadre, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 259, résultat des travaux de la commission n° 346, rapport n° 345).

Compte tenu du temps prévu pour l’espace réservé au groupe communiste républicain citoyen et écologiste et de la suspension de séance qui vient d’intervenir, je lèverai la séance à vingt heures vingt au plus tard.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre
Article 1er

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de notre proposition de loi visant à interdire le lanceur de balles de défense, dit LBD 40, et à proposer une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre intervient à un moment critique de la vie démocratique de notre pays, théâtre d’un mouvement citoyen et social d’une longévité sans précédent et d’un caractère totalement inédit.

Le mouvement des « gilets jaunes », toujours soutenu sur le plan des revendications par une nette majorité de nos concitoyennes et concitoyens, n’a pas reçu de réponse de long terme à des exigences que nous considérons comme légitimes. Dès le lancement du grand débat, en effet, le Président de la République a fermé la porte au rétablissement de l’ISF, l’une des principales revendications, et a éludé la question, cruciale, de la hausse des salaires. Pourtant, la réponse à ce mouvement ne peut être que politique. Elle ne saurait être une réponse d’autorité, d’utilisation de la force. En un mot, la répression ne pourra calmer la colère ni l’exaspération ; tout montre au contraire qu’elle ne peut que les attiser. Or, monsieur le secrétaire d’État, après le constat d’une répression accrue des mouvements sociaux ces dernières années, notamment à l’occasion du mouvement contre la loi El Khomri, nous assistons depuis novembre à une tentative d’utiliser la force brute, symbolisée par les LBD 40, pour canaliser ou éteindre un mouvement populaire.

Avant d’entrer dans le détail de notre argumentation, je souhaite affirmer fortement notre attachement à une police républicaine, à des forces de l’ordre qui mettent tout en œuvre pour assurer la sécurité des biens et des personnes.

Nos forces de l’ordre sont prises au piège de l’entêtement à maintenir une politique profondément impopulaire et rejetée massivement. La stratégie de la tension, du pourrissement, n’est pas la bonne. D’ailleurs, elle n’a pas toujours été celle choisie par les autorités policières : comment ne pas rappeler l’attitude responsable et courageuse du préfet Grimaud, qui, en 1968, n’a pas jeté de l’huile sur le feu et a préservé au maximum Paris d’affrontements sanglants et mortels ?

Il ne s’agit pas pour nous de mettre en cause collectivement les fonctionnaires de police, qui, la plupart du temps et majoritairement, sont piégés entre les exigences insatisfaites des manifestants et les ordres venus d’en haut – de vous, monsieur le secrétaire d’État –, le tout dans un climat d’épuisement.

C’est dans ce cadre que, depuis le 17 novembre, le volume de tir des armes dites intermédiaires atteint un niveau critique. Critique est également le nombre de personnes blessées, souvent gravement, à la suite de l’utilisation de ces armes. Plusieurs décomptes font état de 206 blessures à la tête, dont plusieurs dizaines liées à des tirs de lanceurs de balles de défense. Des tirs qui ont éborgné vingt-deux personnes, mutilées à vie.

Le LBD 40, contrairement à son prédécesseur, est classé arme de première catégorie, à l’instar des armes à feu et armes de guerre. C’est une arme non létale si elle est utilisée dans les conditions préconisées par le constructeur, conditions qui ne sont pas toujours appliquées.

L’impact d’une balle en caoutchouc telle que celle-ci (Loratrice montre une balle de LBD 40.) à moins de dix mètres revient à recevoir un parpaing de vingt kilos lancé à un mètre. À quarante mètres, le choc représente l’équivalent de huit boules de pétanque sur le membre visé. Nous parlons donc bien d’une arme dangereuse, potentiellement létale et qui cause des blessures faisant l’objet d’une documentation étayée par de nombreux médecins – je déplore qu’ils n’aient pas été reçus par Mme la rapporteure dans le cadre de ses auditions.

L’utilisation des lanceurs de balles de défense doit nous poser question. Au-delà des atermoiements de l’exécutif, nous nous interrogeons sur le nombre de victimes qu’il faudra encore avant qu’on légifère sur l’usage de cette arme.

Nous refusons la banalisation actuelle de blessures très graves, des blessures qui atteignent la République de plein fouet. Notre pays peut-il accepter encore ces scènes sanglantes ?

Au cours de nos auditions et tables rondes, nous avons constaté qu’aucune arme ne peut réellement sécuriser les manifestations et ceux qui les encadrent. Il convient, dès lors, de réfléchir à la globalité du dispositif. C’est ainsi que nous proposons un triptyque de mesures.

D’abord, nous demandons l’arrêt immédiat de l’usage des lanceurs de balles de défense, pour cause de santé publique et d’atteintes graves à l’intégrité physique des manifestants.

Ensuite, nous voulons une plus grande transparence des données relatives à l’usage des armes. Sans le travail des journalistes et spécialistes sur la question, nous n’aurions aucun chiffre fiable – l’exécutif ayant attendu des semaines – sur l’utilisation de ces armes. Or le manque de transparence du pouvoir nuit autant à notre démocratie qu’à l’analyse de la situation.

Enfin, il est temps de mener une réflexion poussée sur nos doctrines de maintien de l’ordre et de formation des forces de sécurité. Nous souhaitons que s’engage à cet égard une réflexion à long terme : nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport détaillé et documenté sur les stratégies de désescalade et de pacification à mettre en œuvre dans le cadre du maintien de l’ordre. Nous pouvons nous appuyer sur de nombreux exemples européens pour revoir notre doctrine actuelle, préjudiciable au droit fondamental de manifester.

Au surplus, comme le rapport de la commission le souligne à maintes reprises, le cadre d’utilisation et d’intervention est si peu lisible et si difficile à mettre en œuvre qu’il nuit aux conditions de travail des agents, qui ne sont pas assez formés et se retrouvent démunis face à un climat de tension qui ne cesse de s’intensifier.

Ainsi, l’usage exagéré des lanceurs de balles de défense produit l’effet inverse de sa vocation : il représente le premier obstacle entre forces de l’ordre et manifestants.

Aujourd’hui, il faut donc dire « stop » au LBD 40. C’est une mesure d’urgence ! En effet, même si la doctrine d’emploi de cette arme et son encadrement juridique sont précis, les conditions de son utilisation demeurent sujettes à caution. Son usage est circonscrit en théorie, mais cela, non plus que le caractère d’absolue nécessité, n’est vérifié en pratique ni par les manifestants ni par les journalistes présents.

Les ordres donnés, la désorganisation et le manque de formations sont, pour une bonne part, à la source des difficultés.

Les effectifs de policiers et gendarmes formés aux situations de maintien de l’ordre ne sont pas suffisants. Résultat : on doit recourir à l’emploi d’unités dont ce n’est pas la fonction. Je pense notamment aux unités formées à la lutte contre les violences urbaines, les brigades anti-criminalité : elles sont formées à l’interpellation, non à l’action collective pour circonscrire les débordements de manifestants.

Sur les 13 460 tirs de balles de défense effectués par toutes les unités de la police nationale, 85 % sont dus aux unités civiles présentes sur le périmètre, non aux CRS, dont le maintien de l’ordre et l’utilisation des LBD 40 dans ce cadre sont la fonction. Pis, de l’aveu de certains policiers, des LBD sont mis entre les mains d’agents qui n’ont jamais touché une arme, notamment celle-là… La formation dont nous parlons, hors unités spécifiques de maintien de l’ordre, consiste à tirer cinq balles tous les trois ans, sans mise en situation réelle ni cible mouvante. Nos manifestations sont donc encadrées par des agents qui ne sont pas formés au maintien de l’ordre et dont on peut douter qu’ils maîtrisent l’arme qu’ils portent.

Les unités sont disparates et épuisées ; leur commandement entre compagnies n’est pas unifié, et elles se gênent mutuellement. Des policiers nous ont dit : « On nous fait faire des erreurs », « la BAC nous gêne dans notre action », « sur le terrain, nous n’avons aucune vision d’ensemble », « nous n’avons pas l’impression de commettre des actes illégaux ».

Le manque d’effectifs et de formation des forces de l’ordre perturbe gravement la stratégie traditionnelle d’évitement entre la police et les manifestants.

À cela, un seul bilan : la mise en danger des forces de l’ordre et des manifestants. Ces conditions de travail inadmissibles pèsent sur nos forces de l’ordre et créent des drames dans nos rues.

Nous avons été alertés de nombreuses fois sur l’usage des lanceurs de balles de défense, dès 2009, via une pétition en ligne. Sur le terrain législatif, une proposition de loi, déposée la même année, visait l’interdiction des armes de quatrième catégorie, dont le flash-ball, contre les attroupements et les manifestations.

Nous avons mis en débat, en 2015, notre proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et à interdire leur utilisation par la police et la gendarmerie contre les attroupements ou manifestations.

Nombreux sont celles et ceux qui se mobilisent aujourd’hui pour dénoncer les conditions d’usage et les répercussions du LBD 40. Après plusieurs rapports de la CNDS, le Défenseur des droits recommande d’interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, quelle que soit l’unité susceptible d’intervenir ; il demande la suspension de l’emploi de cette arme dans les manifestations à venir. Le préfet de police de Paris a lui aussi préconisé l’abandon de cette arme.

Devant les ravages massifs causés par cette arme depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », des soignants se mobilisent également. Un professeur de neurochirurgie nous a ainsi alertés sur la gravité des blessures constatées.

Le 14 février, des experts de l’ONU ont dénoncé l’usage excessif de la force lors des manifestations. Le Conseil de l’Europe et sa commissaire aux droits de l’homme ont suivi. Hier, c’est Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies, qui a exigé une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force.

Mes chers collègues, il est grand temps de stopper la dérive actuelle et de restaurer l’image qui doit être celle de la France : la patrie des libertés et des droits de l’homme ! C’est pourquoi je vous propose, avec mon groupe, d’adopter cette proposition de loi, qui, j’y insiste, n’est pas dirigée contre les policiers, mais vise à les protéger eux aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)