Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Faut-il taxer les robots ? Voilà la question que je me permets de poser au Gouvernement ce matin.

J’ai lu avec beaucoup d’attention le rapport de nos collègues, qui fournissent, dans les pages qu’ils consacrent au sujet, quatre arguments pour une telle taxation et quatre arguments contre. La question, en effet, n’est pas facile…

Selon une étude de l’OCDE de 2018, l’essor de la robotique et de l’intelligence artificielle pourrait faire disparaître 14 % des emplois d’ici à 2025. Taxer les robots permettrait de freiner le remplacement du travail humain, donc de limiter le rythme des destructions d’emplois et, comme l’a dit Bill Gates, cité dans le rapport, de « gagner du temps pour adapter les personnels exposés à ce mouvement de substitution ».

Cette taxation pourrait être envisagée comme un moyen de financer les dépenses de protection sociale. D’ailleurs, le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), que vous avez forcément lu, monsieur le ministre, évoque cette question.

Elle permettrait aussi de redistribuer le revenu et de corriger les inégalités, car il n’échappe à personne que la richesse supplémentaire produite grâce à la robotisation du travail ne profite guère qu’aux actionnaires.

La question est de savoir si cela est faisable. Le Parlement européen s’est saisi du sujet et a évoqué « l’éventuelle application d’un impôt sur le travail réalisé par des robots ou d’une redevance d’utilisation et d’entretien par robot. Cela devrait être examiné dans le contexte d’un financement visant au soutien et à la reconversion des chômeurs dont les emplois ont été réduits ou supprimés afin de maintenir la cohésion sociale et le bien-être social. »

Monsieur le ministre, il est clair que, si l’on mettait en œuvre une telle mesure seulement en France, cela pourrait avoir des conséquences négatives en termes de compétitivité. En revanche, si elle était appliquée au niveau de l’Europe, les choses seraient déjà très différentes. J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Sueur, faut-il taxer les robots ? La question, vous l’avez dit vous-même, n’est pas simple, comme le montre très bien le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective.

Vous avez avancé l’idée d’instaurer une telle taxation, dans l’optique notamment de contribuer au financement de la protection sociale. À ce stade, le Gouvernement n’y est pas favorable. Ce sujet est largement abordé dans le rapport de la délégation sénatoriale, mais il n’a pas fait l’objet d’un consensus. Il a également été examiné par le COR, qui a rappelé, dans son dernier rapport, qu’il n’était pas non plus favorable à la mise en œuvre d’une taxe sur les robots.

Avant d’envisager de créer une nouvelle taxe, il faut s’attaquer au défi le plus urgent, à savoir augmenter le taux de robotisation dans notre pays. Il y va de notre souveraineté et de notre compétitivité.

Ensuite, les obstacles juridiques sont nombreux. Pour appliquer une telle taxe, il faudrait déterminer avec précision son champ d’application, ce qui amènerait à établir une définition du robot et à fixer un seuil d’automatisation à partir duquel une machine serait considérée comme un robot. Un ordinateur et un logiciel pourraient-ils ainsi être considérés comme un robot ? De cette difficulté à définir les robots résulte non seulement une difficulté à déterminer la base imposable, mais aussi un sérieux problème de constitutionnalité. En effet, au regard du principe de l’égalité devant l’impôt, la détermination du champ d’application de la taxe doit être fondée sur des critères objectifs et rationnels.

Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence économique d’une hypothétique taxation des robots. De nombreux économistes remettent en cause le postulat de la raréfaction de l’emploi et la taxation des robots poserait un réel problème de compétitivité des entreprises françaises.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est pour cela que j’ai proposé de mener une réflexion au niveau européen !

M. Marc Fesneau, ministre. Effectivement, monsieur le sénateur. Une réflexion sera sans doute engagée à l’échelon européen.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est une ouverture.

M. Marc Fesneau, ministre. Je rappellerai simplement que ni la France ni l’Europe ne sont des îles à l’abri de la concurrence mondiale.

Pour ma part, je ne suis pas d’accord avec Bill Gates quand il dit qu’il faut gagner du temps. Il convient plutôt de rattraper notre retard dans ces domaines cruciaux pour notre économie.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. « Le hasard ne favorise que les esprits préparés », disait Pasteur. Aussi souhaiterais-je tout d’abord remercier nos collègues de la délégation à la prospective de nous aider à nous préparer, grâce à leur rapport d’information.

Il y a cinq ans, cette même délégation nous avait proposé un débat sur le thème : « Quels emplois pour demain ? » J’avais déclaré à l’époque que les emplois de demain se créent aujourd’hui et je m’étais amusé des prévisions catastrophistes d’un cabinet français – cette fois, je ne citerai pas son nom –, qui estimait que, « d’ici 2025, les robots mettraient au tapis plus de 3 millions d’emplois dans l’Hexagone ».

De plus en plus, ce n’est plus l’ordinateur qui assiste l’homme, mais l’homme qui assiste l’ordinateur. Aujourd’hui, comme hier, les robots alimentent les fantasmes les plus noirs, alors qu’ils ne font qu’ouvrir la voie à l’émergence de nouveaux métiers.

En aout dernier, je faisais partie de la délégation française conduite par la ministre Muriel Pénicaud venue défendre à Kazan la candidature de Lyon à l’organisation des Olympiades des métiers en 2023, avec le soutien du Président de la République.

Organiser les WorldSkills à Lyon en 2023 est une merveilleuse occasion de changer le regard porté par les Français sur l’apprentissage et la formation professionnelle. Nos compatriotes verront des jeunes de moins de 23 ans, venus du monde entier, en compétition dans soixante métiers artisanaux, industriels et numériques. Outre que ces olympiades des métiers donnent une image rafraichie et dynamique de métiers traditionnels, ils sont aussi une vitrine de la révolution numérique en cours, qui suscite constamment de nouveaux besoins, et donc de nouveaux métiers.

Lors de la compétition à Kazan, Michel Guisemberg, président de WorldSkills France, et le comité qui l’entoure ont mis en évidence que, si la France était très bien représentée pour les métiers traditionnels, nous n’avions que peu de compétiteurs pour ces nouveaux métiers. Monsieur le ministre, quel est le plan pour que la France soit au rendez-vous de la compétition, en 2023 à Lyon, dans tous les nouveaux métiers ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Merci, monsieur le sénateur, d’avoir rappelé que la France organisera en 2023 les Olympiades des métiers à Lyon.

Vous avez raison, il faut accélérer, former plus et mieux aux métiers nouveaux liés à la révolution numérique. Je pense aux métiers de développeur, de webdesigner ou d’intégrateur. Le Gouvernement est très actif en la matière, depuis l’école jusqu’à la formation continue. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, l’informatique et l’algorithmique font partie des programmes scolaires dès le CP. Depuis la dernière rentrée, tous les lycéens, dès la seconde, suivent un cours d’une heure trente par semaine de sciences numériques et technologiques. Aucun pays en Europe n’a fait un pari aussi audacieux.

Au-delà de la formation initiale, c’est l’ensemble de notre offre de formation que nous réorientons. Pour l’année 2020, le Président de la République a annoncé, en septembre, le lancement d’une gestion prévisionnelle des emplois et compétences au niveau national, construite avec les régions, pour déterminer l’offre de formation, qui devra évoluer en volume et en contenu dans les cinq à dix prochaines années.

Nous œuvrons actuellement avec le ministère du travail à la construction de plans d’action pour une sélection de métiers en tension prioritaires, ainsi que de propositions transverses pour améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande de compétences pour l’ensemble de l’économie.

Il reste encore beaucoup à faire pour relever le défi du recrutement dans l’industrie numérique, qui est un formidable gisement d’emplois. Cela passe par la multiplication des forums sur la « tech » dans les universités et les grandes écoles, afin d’améliorer la visibilité et l’attractivité de ces métiers, et par la mobilisation du service public de l’emploi pour accompagner les start-up dans le recrutement des talents avec l’appui des correspondants « French Tech » de Pôle emploi et de l’APEC.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, j’aurais pu vous interroger sur la formation, mais beaucoup a déjà été dit sur ce sujet ce matin. Je vous poserai donc une question d’actualité, puisqu’elle concerne l’automatisation des transports permise par l’intelligence artificielle.

Il ne vous aura pas échappé que la France connaît une longue période de grèves, particulièrement dans la région d’Île-de-France, où deux lignes de métro fonctionnent en continu tous les jours depuis le début du mouvement : la ligne 14, qui est automatisée depuis son inauguration en 1998, et la ligne 1, qui, elle, l’a été plus récemment, pour un montant de l’ordre de 629 millions d’euros.

Monsieur le ministre, ma question est simple : le Gouvernement compte-t-il accompagner l’automatisation de toutes les autres lignes de métro ? Je suis consciente que cette démarche aurait un certain coût, mais ce coût doit être mis en regard de celui des grèves…

La perte financière, pour la RATP, liée à une journée de grève est de l’ordre de 3 millions d’euros. Au 9 janvier 2020, la facture s’élèverait à 102 millions d’euros, auxquels il conviendra d’ajouter le remboursement des pass Navigo, qui a été décidé hier à la suite d’une négociation conduite par la présidente de la région, Valérie Pécresse.

Au-delà des pertes pour la RATP, il faut encore comptabiliser tous les coûts induits pour les entreprises dont les salariés ne peuvent plus se rendre sur leur lieu de travail.

Monsieur le ministre, quelle réponse pouvez-vous apporter à cette question en somme relativement simple ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je ne suis pas sûr que ma réponse soulève le même enthousiasme que votre question…

Soit dit sans vouloir caricaturer votre propos, vous suggérez d’utiliser la robotisation pour contourner le droit de grève…

Mme Christine Lavarde. Ah non, pas du tout !

M. Marc Fesneau, ministre. … ou du moins restreindre la capacité de faire grève. C’est un élément que je n’avais pas vraiment pris en compte ce matin et qui pourrait susciter quelque indignation sur certaines travées…

Au-delà des circonstances du moment – je suis bien conscient des nuisances réelles subies, notamment en Île-de-France, par celles et ceux qui doivent rejoindre chaque matin leur lieu de travail dans des conditions souvent très difficiles –, je rappelle que c’est au Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) qu’il incombe d’envisager l’automatisation des lignes de métro.

Vous l’avez dit vous-même, madame la sénatrice, l’automatisation d’une ligne a un coût. Le STIF et la RATP réfléchissent à la question, mais il est plus simple d’automatiser des lignes nouvelles. Pour les lignes anciennes, des problèmes d’accessibilité ou de sécurité peuvent se poser. Cela étant, en matière de mobilités, l’automatisation représente souvent la voie d’avenir, dans la région d’Île-de-France comme ailleurs. On le voit bien avec la voiture autonome et le métro autonome.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Je n’ai absolument pas attaqué le droit de grève, monsieur le ministre ! Le fonctionnement d’une ligne automatique requiert d’ailleurs aussi du personnel : de 300 à 350 agents sont nécessaires pour une ligne automatique, contre 900 à 1 000 pour une ligne classique. Si ces agents se mettaient en grève, la ligne automatique ne pourrait pas fonctionner. Nous en rediscuterons…

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Les périodes de ruptures technologiques sont généralement marquées par des bouleversements majeurs de l’organisation du travail et suscitent dès lors de grandes inquiétudes. On se souvient du mouvement des luddites, au début du XIXe siècle en Angleterre, ces ouvriers « briseurs de machines » qui cassaient les nouveaux métiers à tisser introduits par la révolution industrielle.

Si la robotisation massive fait encore débat, l’effet des nouvelles technologies sur les conditions de travail n’est pas neutre. Je pense notamment à ces nouveaux travailleurs « ubérisés », devenus « servants » des machines numériques que sont les plateformes.

À l’instar du taylorisme qui émiettait le travail, la révolution numérique risque, si l’on n’y prend garde, de le déshumaniser. Toutefois, comme toute révolution technologique, elle offre aussi de nouvelles opportunités pour améliorer considérablement les conditions de travail, notamment en diminuant la pénibilité de certains métiers. Cela suppose néanmoins une action des pouvoirs publics pour orienter les investissements en ce sens et encourager l’utilisation de ces nouvelles technologies dans nos PME et TPE, notamment celles du secteur des services, qui concentre des métiers particulièrement pénibles. Bien souvent, ces PME n’osent pas investir, eu égard à une rentabilité qu’elles jugent incertaine. Or il est indispensable que nos entreprises se modernisent et créent de nouveaux emplois qualifiés dans nos territoires.

Monsieur le ministre, compte tenu de la nécessité d’une meilleure diffusion de la robotisation, le Gouvernement a-t-il prévu d’aider les PME et TPE du secteur des services, pour qu’elles ne ratent pas le coche de la modernisation et puissent recourir à des techniques permettant aussi d’améliorer les conditions de travail ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, votre question a trait en définitive à l’impact, positif ou négatif, de la robotisation sur la pénibilité du travail. En fait, chaque rupture technologique suscite des inquiétudes et des interrogations.

Les conditions de travail peuvent évidemment influer sur l’état de santé du travailleur et sur sa capacité à exercer son métier. Or la perspective de l’augmentation du taux d’emploi des seniors soulève la question de leur capacité à travailler plus longtemps.

Parmi les principaux facteurs de pénibilité figurent le travail de nuit, le travail répétitif, les postures pénibles ou les manutentions. Par exemple, en 2017, plus d’un tiers des salariés français étaient exposés aux risques liés à la manutention, en particulier dans les PME du secteur de la logistique. Or ces tâches particulièrement pénibles représentent les principales tâches automatisables.

Aujourd’hui, les entrepreneurs s’évertuent à trouver des solutions pour épargner aux salariés de telles tâches et réduire ainsi la pénibilité du travail. Je pense notamment à la start-up française Exotec Solutions, dans les Hauts-de-France, qui a inventé le Skypod. Ce dispositif est capable d’apporter des produits aux opérateurs qui préparent les commandes, mais aussi de les ranger lors des réassorts.

Afin que l’intégration de ces technologies soit efficace, il faudra accompagner et former les salariés amenés à travailler avec ces robots. Il conviendra par ailleurs effectivement d’accompagner les investissements des PME. Si l’intégration de ces technologies permet de réduire la pénibilité, elle entraînera forcément des évolutions des métiers et des modifications dans les investissements des entreprises. Comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement est pleinement investi sur le sujet de la formation, notamment pour développer des compétences dans le numérique. L’un des objectifs du Pacte productif est d’ailleurs d’atteindre le plein emploi en 2025. À cette fin, une étude prospective des métiers, des qualifications et des investissements nécessaires fournit une grille de lecture utile pour guider la politique de formation initiale et continue et orienter les outils d’investissement, d’orientation et de formation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Merci de votre réponse, monsieur le ministre. J’y insiste, en cas de révolution technologique, seul un réel volontarisme politique permet de définir les normes à imposer pour orienter le progrès technique au profit du plus grand nombre. Cela suppose, je le redis, de soutenir les PME en créant des aides spécifiques et en favorisant leur obtention.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne doit pas faire la même erreur qu’avec l’article 41 de la loi d’orientation des mobilités, censuré par le Conseil constitutionnel, qui permettait aux plateformes numériques de définir elles-mêmes les caractéristiques essentielles du contrat de travail. Autrement dit, il ne faut pas laisser la main au marché et au privé pour réguler les relations de travail dans la nouvelle économie numérique ! Ce n’est pas de cette manière que l’on rassurera les populations qu’inquiète la rapidité des changements technologiques. Je reste cependant convaincue que, si l’on prend les mesures qui s’imposent pour canaliser les innovations, les nouvelles technologies peuvent être source d’amélioration et de progrès social au cœur de nos entreprises.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. En lisant les pages du rapport consacrées à la transformation à venir des emplois de service par des objets intelligents, j’ai pour ma part tout de suite pensé à la situation du Japon. Confronté au vieillissement de la population et à un manque de personnel soignant dans les hôpitaux et les maisons de retraite, le gouvernement japonais a massivement investi, dès 2013, dans des robots d’aide à la personne pour accompagner les malades ou les personnes âgées dans leur quotidien, mais aussi les aidants et les soignants, qui assument une charge souvent très lourde.

Plutôt que d’opposer les hommes et les robots, rendre leurs compétences complémentaires me semble être la voie à suivre pour assurer leur cohabitation à l’avenir. C’est l’un des constats majeurs établis par nos rapporteurs, auquel j’adhère pleinement.

Il me semble que la situation française est assez proche de celle du Japon. Déclarer que les services à la personne sont une mine d’emplois n’accroît ni l’attractivité de métiers pénibles ni des rémunérations peu attrayantes.

Investir massivement dans ces robots aidants permettrait de soulager les personnels et de les valoriser dans leurs tâches. Ils pourraient se concentrer sur l’indispensable dimension relationnelle et émotionnelle de leur mission. Il semble d’ailleurs qu’un certain nombre de structures privées françaises développent des robots similaires, mais leur coût est un frein considérable à leur déploiement massif. Ces initiatives et expériences ne peuvent se limiter à quelques structures privées.

Dans notre pays où les déserts médicaux sont une des principales préoccupations de la population et où le coût d’un hébergement en Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est pour beaucoup prohibitif, comment le Gouvernement compte-t-il agir, monsieur le ministre, pour évaluer et favoriser le déploiement de ce type de technologies ? Quelle est son analyse de l’action du Japon dans ce domaine ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, le Japon représente à lui seul 52 % des ventes de robots industriels dans le monde. Je ne suis pas sûr que la France puisse atteindre ce niveau, et je ne suis d’ailleurs pas sûr non plus que ce soit forcément souhaitable, mais il faut reconnaître que nous sommes en retard, en particulier dans le secteur des services.

Je l’ai déjà dit, un certain nombre d’expérimentations sont en cours. Vous avez raison, madame la sénatrice, de souligner qu’il ne faut pas opposer les robots et les hommes. La robotisation, l’intelligence artificielle, la numérisation permettent de soulager d’un certain nombre de tâches les soignants, les accompagnants à domicile ou dans les Ehpad, de sorte qu’ils puissent se concentrer, comme ils le souhaitent, sur ce qui constitue l’essentiel de leur mission, c’est-à-dire la relation humaine.

C’est donc dans cette perspective que nous agissons par le biais des plans que j’ai évoqués tout à l’heure. Le plan Grand âge s’inscrira lui aussi dans cette démarche.

Enfin, n’étant pas le ministre chargé de ces questions, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur l’analyse de l’expérience japonaise, mais je m’informerai et je m’engage à vous transmettre les éléments dont nous disposons. Il est toujours intéressant d’étudier ce que font les autres pays confrontés aux mêmes difficultés que nous en matière d’accompagnement des personnes âgées ou dépendantes.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Avant tout, je tiens à remercier la délégation à la prospective et son président, M. Karoutchi, d’avoir permis la tenue de ce débat, et à saluer les deux auteurs de ce rapport d’information particulièrement intéressant. L’intelligence artificielle est un véritable sujet d’actualité.

Monsieur le ministre, j’ai bien sûr eu l’occasion d’emprunter les lignes de métro automatisées évoquées par Christine Lavarde. On ne peut qu’être admiratif devant cette réalisation impressionnante : si l’on s’installe tout à l’avant, on a même l’impression de conduire la rame ! (Sourires.)

Pour ma part, toujours dans le domaine des transports sur rails, j’aborderai le cas de la SNCF.

Dans mon département des Ardennes, que vous connaissez un peu (M. le ministre le confirme.), il n’y a pratiquement plus de personnel dans les gares ferroviaires, hormis celles de Charleville-Mézières, de Sedan et de Rethel, et cela pose réellement problème. Personnellement, si je dois acheter des billets de train, je m’adresse au guichet : qu’il s’agisse du personnel en gare ou des contrôleurs à bord des trains, les moyens humains sont irremplaçables !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est récurrente ; on l’a vu lors de la crise des « gilets jaunes ». Comment déployer des outils numériques puissants permettant par exemple d’acheter des billets de train via internet tout en maintenant le nécessaire lien social assuré par chaque service public ou opérateur assumant un service public ?

À propos du transport ferroviaire, je vous apporterai une réponse en trois points.

Premièrement, nous devons envisager, me semble-t-il, de faire des gares des lieux différents de ce qu’elles étaient quand tout reposait sur les guichets. C’est –reconnaissons-le – une question de compétitivité pour l’opérateur. Certaines expériences, menées notamment avec les collectivités territoriales, permettent ainsi de déployer d’autres services.

Deuxièmement, le déploiement des maisons France services, qui commencera cette année, vise précisément à remettre de l’humain au cœur des dispositifs technologiques. Vivant dans une commune de 700 habitants, je vois bien que nombre de nos concitoyens ont le sentiment d’être abandonnés à la technique quand on les renvoie à une plateforme en ligne. Il est donc nécessaire de redonner sa place à la relation humaine : au fond, c’est bien ce que vous demandez en évoquant l’exemple de la SNCF.

Troisièmement, pour les territoires ruraux, l’enjeu essentiel en matière de mobilité est de renforcer les réseaux de transports : c’est tout l’objet de la loi d’orientation des mobilités. Les lignes dites « petites » doivent pouvoir retrouver un niveau de desserte beaucoup plus satisfaisant qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais nous sortons là du champ de notre débat de ce matin.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Monsieur le ministre, nous restons attachés au transport ferroviaire, assuré pour l’essentiel par les TER dans les Ardennes.

J’y insiste, la présence humaine est irremplaçable, que ce soit au guichet, sur les quais ou dans les trains. Beaucoup d’entre nous mènent un combat permanent pour la défense de nos services publics. La machine ne peut pas remplacer l’humain !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Je souhaite apporter mon témoignage de rapporteur des crédits consacrés à la recherche et d’élue d’Île-de-France, territoire qui participe activement au développement de l’intelligence artificielle et de ses usages.

L’Île-de-France – je pense notamment à mon département de l’Essonne – est en effet le premier pôle européen en termes d’accueil des start-up de ce domaine d’activité. Elle rassemble ainsi deux tiers des start-up françaises – 73 sur 109 en 2019 –, les principaux centres de recherche, écoles et universités et 45 % des laboratoires français publics et privés.

Le plan régional IA 2021, présenté en 2018, contient un ensemble très complet d’initiatives visant à faciliter l’usage de l’intelligence artificielle par les entreprises franciliennes, à développer la formation et à lancer des challenges pour des filières prioritaires.

La collaboration entre les collectivités territoriales et les start-up permet d’expérimenter des solutions innovantes dans des champs très variés : sécurité, transports et mobilité, transition énergétique, aménagement, urbanisme, santé… Je pense par exemple à la maintenance prédictive des escalators, à la modélisation du trafic routier, à la réutilisation des déchets du BTP, au calcul de trajets pour les personnes handicapées ou à la création de véritables plateformes de télémédecine, pour lutter contre les déserts médicaux ; la première d’entre elles a été inaugurée à Moigny-sur-École.

Ces nouvelles réponses, reposant sur l’utilisation des données et l’automatisation, ont une incidence positive sur la qualité de vie de nos concitoyens et contribuent à l’attractivité du territoire. Or cette dynamique, particulièrement forte dans ma région, engendre des coûts importants. Il est absolument nécessaire que l’État apporte son soutien financier, d’autant que le rapport de nos collègues Marie Mercier et René-Paul Savary, que je félicite pour leur travail très approfondi, pointe la difficulté, dans notre pays, de passer de la phase de recherche à la mise en application sur le terrain et à faire des avancées technologiques permises par les chercheurs des réussites économiques.

Monsieur le ministre, au-delà de l’aspect budgétaire, comment le Gouvernement compte-t-il amplifier l’apprentissage des technologies numériques à l’école et, dans l’enseignement supérieur, développer les capacités d’adaptation et la créativité des étudiants ?