M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, depuis la diffusion large de l’internet, à compter du début des années 2000, l’usage qui en est fait soulève fréquemment de nouvelles problématiques. Cet espace de création et d’expression, qui s’affranchit volontiers des frontières, connaît naturellement aussi ses dérives et ses excès. Toute forme de régulation y est rendue difficile, tout particulièrement si elle est mise en place de façon isolée sur le plan international.

Ainsi, il apparaît incontournable d’apporter une réponse concertée et coordonnée à l’échelle des États européens, comme le rappelle souvent Mme la présidente Catherine Morin-Desailly au sein de notre commission. Le législateur français a pu en faire aisément le constat lorsqu’il a souhaité s’emparer de problématiques relatives à l’encadrement de l’expression au sein de ce nouvel espace.

La majorité présidentielle a ainsi, à plusieurs reprises depuis le début de la législature, déjà entrepris d’apporter des réponses, qu’il s’agisse de lutter contre la manipulation de l’information ou contre la diffusion de contenus haineux.

Dans le premier cas de figure, sur la majorité des travées de cet hémicycle, nous avons estimé que l’objectif visé n’était pas correctement ciblé par les nouvelles dispositions introduites par les députés de la majorité et que ces dernières pouvaient même, in fine, s’avérer pernicieuses.

Dans le second cas de figure, c’est le Conseil constitutionnel lui-même qui a censuré le principal apport du texte, pointant que l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans les vingt-quatre heures, sous peine de lourdes amendes, les contenus « haineux » qui leur sont signalés risquait de porter « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».

C’est cette fois sur l’initiative de M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, soutenu dans sa démarche par le groupe LaREM, que nous sommes amenés à réfléchir à l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne.

Ces dernières, telles que YouTube, hébergent des chaînes sur lesquelles des mineurs de moins de 16 ans sont mis en scène, la plupart du temps par des membres de leur famille, l’ambition créatrice des vidéos ainsi produites étant généralement toute relative…

En effet, l’unique objectif est souvent tout autre. Les audiences de ces vidéos étant tout à fait significatives, elles sont susceptibles d’engendrer des revenus tout aussi significatifs !

L’intention du législateur, au travers de ce texte, est, d’une part, de faire bénéficier les mineurs filmés des garanties prévues pour les enfants du spectacle en matière de temps de travail et de rémunération, et, d’autre part, de prévenir les conséquences psychologiques de long terme susceptibles d’affecter ces enfants.

Le groupe RDSE partage pleinement la préoccupation de l’auteur de la proposition de loi. Il nous faut globalement mieux appréhender l’éducation au numérique des jeunes générations, mais également celle des moins jeunes.

La prévention peut et doit, par le biais notamment, dans les années à venir, de l’action d’enseignants pour lesquels ce type d’outils sera sans doute plus familier, permettre une utilisation plus raisonnée et modérée de l’internet chez beaucoup d’entre nous, notamment les plus jeunes.

Ces derniers, tout comme leurs parents, doivent pouvoir mieux appréhender les conséquences, tout particulièrement psychologiques, qui peuvent être liées à une surexposition de leur image sur la « toile ».

Cette mobilisation pour donner à chacun les meilleures clés de compréhension d’un outil numérique capable de broyer des individus nous paraît toujours aussi indispensable.

Nous saluons donc l’initiative du président Studer, qui propose d’instaurer un cadre légal équilibré et pionnier en la matière, en opérant notamment un distinguo entre vidéos professionnelles, vidéos semi-professionnelles et vidéos amateurs, et en soumettant chacune de ces catégories à un cadre juridique spécifique.

La responsabilisation voulue par le législateur porte en outre sur les parents, mais également sur les entreprises susceptibles de conclure des contrats de placement de produits, ainsi que sur les plateformes accueillant ces vidéos.

Nous saluons aussi le travail approfondi de notre rapporteur qui, par des précisions opportunes et un renforcement des contraintes appelées à peser sur les plateformes, est venu affiner le caractère opérationnel de cette proposition de loi.

Eu égard aux remarques formulées au début de mon intervention sur l’impérieuse nécessité de trouver une réponse internationalement concertée, au moins à l’échelon européen, qui soit la plus à même d’imposer aux géants de l’internet des garde-fous, nous sommes tentés d’émettre des réserves sur-la portée véritable de ce texte.

Toutefois, cette proposition de loi nous apparaît pertinente et équilibrée sur le plan du droit. Ce ne fut pas toujours le cas des textes relatifs à la régulation du web précédemment présentés par la majorité présidentielle : ils ont pu parfois contenir des dispositions potentiellement pernicieuses.

Nous soutiendrons donc cette initiative qui permet de poser clairement le débat, un débat essentiel puisqu’il a trait à la protection de l’enfance en matière numérique. Le groupe RDSE votera la présente proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à saluer la présence en tribune de Bruno Studer, auteur de cette proposition de loi et président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. Je remercie très chaleureusement notre collègue et ami Jean-Raymond Hugonet pour le travail de grande qualité qu’il a réalisé dans des délais, disons-le, particulièrement courts. Le fait qu’il ait été désigné rapporteur et, surtout, son approche résolument constructive de l’examen du texte en commission témoignent du caractère éminemment transpartisan de cette proposition de loi. Je trouve personnellement essentiel que nos deux chambres, quelle que soit leur coloration politique respective, soient capables d’œuvrer en pleine syntonie lorsqu’il y va de la protection de nos enfants, de leur épanouissement et de leur santé mentale.

La soumission à une mode d’un jour qui perdure dans le temps pour devenir le symbole d’une génération ne doit pas nous faire oublier « la cause des enfants », pour reprendre le titre d’un des plus fameux ouvrages de Françoise Dolto.

Il y a maintenant quinze ans apparaissaient pour la première fois, sur les plateformes de partage de vidéos nouvellement créées, des vidéos mettant en scène des enfants dans leur vie quotidienne.

Il y a quelques années, partout dans le monde, de jeunes enfants, à l’instar du désormais célèbre Ryan Kaji, commençaient à être filmés presque quotidiennement par leurs parents, les vidéos ainsi réalisées totalisant des millions, parfois même des milliards, de visionnages.

L’année dernière, le « jeter de fromage » au visage de bébés, provoquant souvent, hélas ! l’hilarité des parents qui les filment, est devenu un phénomène viral sur ces mêmes plateformes et sur les réseaux sociaux.

Il faut d’ailleurs rappeler que ce type de vidéos prétendument novateur n’est en réalité qu’une reprise au goût du jour, pour ne pas dire au mauvais goût du jour, de l’émission américaine Americas Funniest Home Videos, adaptée en France sous le nom de Vidéo Gag et qui a fait les beaux jours d’une de nos chaînes de télévision pendant près de dix-huit ans. Comme le dit l’Ecclésiaste, « ce qui fut sera, ce qui s’est fait se refera, et il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». J’aurais pu citer les principes d’éducation de Krishnamurti, mais j’aurais eu moins de succès dans cet hémicycle. (Sourires.)

Ce rapide rappel chronologique fait apparaître, vous l’aurez compris, ce que l’on pourrait appeler un « vide juridique » et, surtout, les tristes dérives qui en découlent. Ce vide juridique qu’il faut combler et ces dérives qu’il faut empêcher nous renvoient, nous, parlementaires, à notre responsabilité de législateur.

Le législateur est pleinement dans son rôle lorsqu’il met en lumière des situations de travail qui demeurent inconnues de nombre de nos concitoyens. Il est dans son rôle quand il s’agit d’étendre le régime protecteur des enfants du spectacle et de la mode aux enfants dits « youtubeurs » et lorsqu’il place les plateformes face à leurs responsabilités en les contraignant au retrait des contenus lorsque les diffuseurs de ces derniers font fi de l’obligation d’autorisation préalable. Il est également dans son rôle, chers collègues, quand il instaure un droit à l’oubli que les mineurs peuvent solliciter pour obtenir le retrait des vidéos où ils apparaissent. Il est dans son rôle comme il l’était déjà, il y a près de quatre ans, lorsque vous avez accepté de voter la proposition de loi que je présentais visant à interdire la publicité dans les programmes jeunesse du service public de l’audiovisuel. En somme, vous l’aurez compris, le législateur est dans son rôle quand il protège !

J’aimerais d’ailleurs, à ce titre, rappeler combien ce texte est consubstantiel de l’esprit qui anime notre République, la République des droits de l’homme, la République qui protège les plus fragiles, la République qui montre le chemin à suivre aux autres pays quand il s’agit de garantir les droits de chacun, particulièrement des plus vulnérables. La France est en effet le premier pays au monde à s’emparer de ce sujet. La France est intransigeante quand il s’agit de garantir les droits de tous ; elle l’est a fortiori quand il s’agit de garantir les droits des plus jeunes enfants.

J’entends dire, ici et là, que cette proposition de loi ne sanctionne pas assez, qu’elle ne résout pas tous les problèmes. À cela, je réponds que l’avènement du monde numérique et des plateformes de partage de vidéos a engendré une myriade de problèmes que nous ne réglerons pas d’un seul coup, que ce texte représente une avancée majeure, qu’il faut progresser pas à pas et que notre pays est pionnier en la matière.

Soyons donc fiers de ce texte innovant qui constituera, espérons-le, la première pierre d’un édifice plus vaste et plus protecteur encore, qu’il nous faudra bâtir ensemble.

Les chers collègues, je vous invite, à l’instar des autres membres du groupe LaREM, à adopter l’ensemble des amendements et la totalité de ce texte, déjà excellent en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.

Mme Christine Herzog. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adoption du texte que nous examinons aujourd’hui aura une grande importance pour l’avenir de ces enfants « youtubeurs » ou « influenceurs » de moins de 16 ans.

En effet, il n’existe pas, pour l’heure, de cadre légal les concernant, puisqu’ils ne bénéficient pas des protections en vigueur pour les enfants travaillant dans le cinéma, le mannequinat ou la publicité. Ce vide juridique les expose à des abus, y compris de la part de leurs parents, qui ne maîtrisent pas toujours les dérives liées à la diffusion de ces vidéos.

Plusieurs risques doivent être écartés. Parmi les plus graves figurent les commentaires haineux, l’agressivité et le cyberharcèlement, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur leur santé mentale. Des adolescents sont poussés au suicide par la violence des réseaux sociaux. Nous avons le devoir de prévenir ces tragédies.

Un autre risque doit nous inquiéter, celui du décrochage éducatif. Tous les parents sont aujourd’hui confrontés aux excès dans l’usage du numérique par les adolescents. Le contrôle parental est devenu un combat quotidien, dans lequel les adultes sont de plus en plus démunis, faute de moyens. Là encore, il faut poser des limites, pour éviter que ces enfants ne s’éloignent de la vie scolaire en consacrant un temps excessif aux plateformes en ligne.

Enfin, le traitement des questions relatives aux conditions de travail et aux revenus engendrés par ces activités constitue un pilier essentiel de la future loi. Ce pilier législatif a été largement enrichi par la commission de la culture du Sénat, qui a précisé les responsabilités légales des parents, à la fois « employeurs » et propriétaires des chaînes YouTube de leurs enfants.

Je souscris également au renforcement par le Sénat du droit à l’oubli, qui leur permettra aux enfants eux-mêmes de demander le retrait des contenus les concernant.

La version du texte modifiée par notre commission de la culture constitue une avancée majeure ; je voterai donc pour son adoption. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à combler le vide juridique dans lequel se trouve aujourd’hui l’exploitation commerciale des enfants sur les plateformes numériques. C’est un premier pas que nous saluons, même si nous avons été nombreux à souligner que l’atteinte réelle des objectifs visés au travers de ce texte n’était malheureusement pas complètement garantie.

La transposition de la directive Services de médias audiovisuels et le projet de loi, que je qualifierai de « rétréci », sur l’audiovisuel public doivent également nous permettre d’aller plus loin dans la régulation d’un secteur en développement exponentiel, qu’il s’agisse de la protection des enfants ou des droits et de la rémunération des créateurs et des auteurs.

En effet, malgré la bonne volonté des équipes de YouTube France, les difficultés à faire appliquer le droit français par des entreprises numériques étrangères, qui ont pourtant une audience, des salariés et des utilisateurs, parfois même professionnels, dans notre pays, sont nombreuses.

Cela doit nous amener à redéfinir aussi la fiscalité à laquelle sont soumis les Gafam et YouTube. Chacun sait en effet que le montant des taxes qu’ils acquittent est bien en deçà de ce que l’on pourrait imaginer. Ces plateformes numériques doivent contribuer au financement de la création, puisqu’elles en tirent des ressources colossales.

L’enjeu central de cette proposition de loi est de faire respecter les droits de l’enfant. Le problème est très complexe, nous en avons tous conscience. Cela implique de les protéger des rythmes effrénés de tournage qui leur sont parfois imposés et de contrôler si les contenus dans lesquels ils figurent sont compatibles avec leur âge.

Cela nécessite aussi de réexaminer la nature de ces nouvelles pratiques et leur compatibilité, par exemple, avec l’obligation scolaire. Être filmé déballant des cadeaux d’anniversaire ou visitant un parc d’attractions pourrait devenir du travail déguisé. Cette question du travail caché derrière des activités ludiques est primordiale, comme le souligne la Défenseure des enfants. Vous avez vous-même parlé d’exploitation, monsieur le rapporteur : je ne saurais mieux dire !

Il est légitime d’ouvrir aux enfants acteurs des vidéos diffusées sur les plateformes le régime spécial applicable aux enfants travaillant dans le secteur du spectacle. Ce statut leur permettra d’être encadrés et évitera que leur rémunération ne soit détournée. C’est l’objet de l’article 1er.

Il ne faut pas non plus négliger les risques psychologiques que peut comporter la diffusion des images d’enfants sur les plateformes numériques. Différentes études mettent en évidence de nombreux effets pervers, comme la désocialisation, la déscolarisation, le surmenage, voire des épisodes dépressifs, sans parler de l’impact que peuvent avoir sur des enfants les commentaires et les réactions de « spectateurs ».

Se pose enfin la question de l’« après », quand l’enfant-star devient adolescent ou adulte. L’émergence des plateformes marque l’avènement d’une société où le « succès » arrive aussi vite qu’il repart. Chacun mesure les dommages que cela peut causer sur des esprits en construction. Nous devons continuer à nous interroger collectivement et à construire des réponses concrètes en termes de protection des enfants et des jeunes. C’est un sujet de réflexion dont aurait pu s’emparer la délégation aux droits des enfants que notre groupe avait proposé de créer au Sénat.

Il en va de même s’agissant des contenus diffusés par les plateformes à destination des jeunes. Vous avez eu raison de souligner, monsieur le ministre, que ces plateformes peuvent faire émerger des talents extraordinaires, qui n’auraient peut-être pas pu se révéler via des canaux plus traditionnels. Mais, malheureusement, les contenus ne sont pas toujours épanouissants et éducatifs. Cette réalité n’est d’ailleurs pas l’apanage de ces nouveaux canaux : il suffit de voir les programmes que diffusent parfois aujourd’hui certaines chaînes de télévision !

Face à ce constat, un acteur doit se réaffirmer avec force : le service public. Qu’il offre une alternative éducative, ludique et culturelle, et nous ferons vivre l’exception culturelle française ! À cet égard, la disparition programmée de France 4 du réseau hertzien, que je ne peux manquer d’évoquer aujourd’hui, va affaiblir sa visibilité. S’il est vrai que les jeunes regardent de moins en moins la télévision et passent de plus en plus de temps sur internet, le petit écran reste un repère pour bon nombre d’entre eux.

Pour conclure, nous nous félicitons que la France soit le premier pays à légiférer pour protéger les enfants de l’utilisation commerciale de leur image sur les plateformes numériques. Le groupe CRCE se joint pleinement à cet effort ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (M. André Gattolin applaudit.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la lignée des récentes dispositions adoptées par le Parlement visant à adapter notre législation aux évolutions rapides de notre société.

Qu’il s’agisse de la loi dite « Avia » contre les contenus haineux sur internet, de la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse ou encore de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, l’objectif est toujours d’adapter le cadre législatif existant au monde numérique. Ce processus de mise à jour de notre corpus juridique demande une attention soutenue pour ne laisser aucun domaine sans protection.

La proposition de loi « visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne » offre des réponses adaptées et mesurées au phénomène en pleine expansion des enfants « youtubeurs ».

Des vidéos sont réalisées, parfois quotidiennement, par des parents ou des proches, à un âge où les principaux intéressés ne sont pas en mesure d’apporter un consentement éclairé à la diffusion de leurs faits et gestes auprès de millions d’abonnés dans le monde entier, qui plus est lorsqu’il s’agit de faire la promotion d’un produit ou d’une marque.

Qu’il s’agisse de vidéos monétisées ou visant au placement de produits, certaines situations seraient qualifiables de travail illicite d’enfants, d’autres pourraient donner lieu à des poursuites pour maltraitance. Par ailleurs, nous connaissons encore mal l’impact psychologique d’une exposition aussi précoce, régulière et massive de la vie privée d’un enfant aux regards de tous. Nous sommes d’ores et déjà conscients du risque de cyberharcèlement auquel les enfants filmés sont exposés.

L’autre versant de la question qu’il nous faut considérer, c’est l’impact de ces nouveaux modèles auxquels s’identifient des millions d’enfants. Leurs héros ne sont plus des personnages de la littérature pour la jeunesse – Le Petit Prince, Le Club des cinq, Matilda, Les Malheurs de Sophie –, désormais devancés par Swan et Néo, Kalys et Athena ou encore Josh et Jen. « La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté », disait François Mauriac. La culture du livre se fonde sur une recherche de sens au moyen de la narration. La culture des écrans, elle, repose sur la délivrance immédiate d’une information disponible de façon illimitée. Le passage brutal de l’une à l’autre inquiète un certain nombre de chercheurs, qui craignent l’émergence d’une génération sans repères et sans discernement.

Un certain nombre de dérives et d’incertitudes existent. Il est grand temps de dissiper le flou législatif qui entoure la diffusion de vidéos de mineurs sur des chaînes familiales. Dans cette perspective, ce texte, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale – je remercie le président de sa commission des affaires culturelles et de l’éducation d’être présent en tribune aujourd’hui –, comporte trois avancées importantes en matière de protection de l’enfance.

Tout d’abord, l’article 1er vise à étendre le cadre juridique applicable aux enfants du spectacle aux enfants dont l’image est exploitée commercialement sur les plateformes. Ce cadre prévoit un encadrement des durées et conditions de travail, une demande préalable d’autorisation, ainsi que l’ouverture d’un compte à la Caisse des dépôts et consignations.

L’article 3 tend à mettre en place un dispositif intermédiaire entre le statut amateur et le statut professionnel de parent producteur. Il s’agit d’un cadre semi-professionnel, prévoyant une limitation de la durée des activités à laquelle le mineur participe, ainsi qu’un partage des revenus générés. Ce statut s’appliquera lorsque l’activité en question dépassera un certain seuil en termes de durée ou de rémunération.

Autre avancée importante de cette proposition de loi, l’article 5 vise à étendre l’exercice du droit à l’oubli aux mineurs. Je remercie la commission de la culture du Sénat d’avoir adopté mon amendement tendant à inscrire cette nouvelle possibilité dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978.

Je souhaite remercier le rapporteur, Jean-Raymond Hugonet, de son travail, en particulier sur l’article 2, qui tend à conférer au juge judiciaire la possibilité d’ordonner le déréférencement des vidéos illégales sur signalement de l’administration.

L’adoption de cette proposition de loi est une occasion importante de renforcer notre législation en matière de protection de l’enfance. Notre groupe y est favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, en préparant mon intervention, je suis tombée sur une chaîne YouTube, « Gabin et Lily », mettant en scène un frère et une sœur de moins de 10 ans. Cette chaîne ne compte pas moins de 800 000 abonnés et certaines vidéos de « prestation » des enfants ont donné lieu à plus de 8 millions de visionnages –c’est le nombre d’entrées du film E.T., lextra-terrestre ! Pour comparaison, Titanic, le numéro un au box-office, comptabilise 20 millions d’entrées. Cela permet de mettre en perspective la publicité et les revenus que peuvent générer de telles activités.

Si j’ai parlé de « prestation », c’est bien parce que ces vidéos doivent être considérées comme telles. Les enfants comédiens, qui sont protégés par la loi lorsqu’il s’agit d’activités artistiques de l’« ancien monde » – je veux parler du cinéma, du théâtre, du cirque, de la danse, de l’art vivant en général, mais aussi du mannequinat –, doivent l’être également, et même surtout, quand ils se produisent sur le net.

En effet, un enfant qui tourne dans un film n’est pas en relation directe avec ceux qui vont le voir, tandis que, sur le net, les enfants peuvent communiquer en direct avec leurs followers. J’ai à l’esprit l’exemple d’une jeune fille qui s’enregistrait régulièrement sur TikTok, plateforme sur laquelle des jeunes reproduisent des chorégraphies. Elle a été victime de harcèlement et a dû arrêter ses vidéos.

Je rappelle que les pédocriminels sont friands de ces vidéos. La chaîne de télévision qu’ils regardent le plus en prison, c’est Gulli. Ce n’est pas ma collègue Catherine Deroche, qui a présidé la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions, qui me contredira !

Je m’éloigne du sujet de cette proposition de loi, me direz-vous ? Et pourtant… Le seul fait d’évoquer TikTok nous amène au cœur du sujet !

Nous attendons des plateformes qu’elles régulent la diffusion des contenus qui ne seraient pas conformes au respect de la personne humaine, et de l’enfant particulièrement.

Nous attendons des plateformes qu’elles signalent, à l’avenir, le fait que la diffusion des images d’un mineur génère des revenus sans qu’il ait été procédé à la déclaration prévue par cette proposition de loi.

YouTube semblait, lors des auditions, disposé à s’inscrire dans cette démarche, mais quid des autres ? S’il leur venait la mauvaise idée de ne pas s’y conformer, c’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, qu’il appartiendrait de faire le gendarme, puis au juge si cela ne suffisait pas. Je considère qu’il faut donner ce pouvoir au CSA, mais je redoute que l’on ne découvre rapidement qu’un juge français n’a pas grand pouvoir sur une multinationale dont le siège est implanté bien loin de chez nous !

Une nouvelle fois, ce sujet nous renvoie à la nécessité de traiter la question de la souveraineté numérique au niveau européen, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Cette réflexion européenne a d’ailleurs débuté, elle a même déjà donné de premiers résultats, mais la route est encore longue, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas la poursuivre. À ce titre, nous vous remercions de votre engagement, monsieur le ministre.

Pour autant, ce texte est utile ; il comporte de très bonnes mesures.

Je pense à la création de statuts spécifiques pour encadrer l’exploitation de l’image des mineurs, à savoir un statut professionnel et un statut semi-professionnel correspondant assez bien aux pratiques des créateurs de contenus sur les plateformes numériques.

Je pense aussi à la déclaration obligatoire a priori pour le statut professionnel et a posteriori pour le statut semi-professionnel. Ce système de déclaration a d’ailleurs été amélioré en commission par le rapporteur.

Je pense également à la sécurisation des revenus et à la garantie que les enfants bénéficieront, à leur majorité, du fruit de leur travail. Je salue, au passage, l’amendement de mon collègue Laurent Lafon visant à améliorer l’information des parents à ce sujet.

Je pense à la communication à destination des utilisateurs sur la réglementation en vigueur et les risques associés à la diffusion de l’image d’un enfant. C’est une excellente mesure, qui permettra de faire un peu d’éducation et de prévention au numérique.

Je pense enfin à la reconnaissance comme tel d’un enfant acteur ou danseur, quel que soit le média sur lequel il se produit.

Avec ce texte, la loi intègre les outils du XXIe siècle. De surcroît, elle nous offre, en matière de protection des mineurs, une arme de plus. Le groupe Union Centriste votera ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe Les Républicains.)