M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Je salue les rapporteurs de la délégation aux entreprises, car ils ont bien travaillé. C’est un rapport d’importance, puisque cela fait déjà de nombreuses années que l’on demande à donner la priorité au développement et au monde économique, aux entreprises. On dit souvent que le mérite revient à l’ensemble des chefs d’entreprise, quelle que soit la taille de celles-ci.

Le rapport comporte vingt-quatre recommandations : beaucoup de problèmes que l’on rencontre au quotidien dans les réunions et dans nos départements respectifs ont été abordés. Je prendrai l’exemple des compagnies consulaires où l’on traite souvent de ces sujets, notamment celui des emplois qui ne sont pas forcément toujours attractifs ou difficiles. Cependant, on l’a vu récemment lors de la crise sanitaire, il y a aussi des jeunes qui se sont investis et dévoués.

On sait que la tâche reste immense et que les problèmes existent de longue date. Certains secteurs rencontrent beaucoup de difficultés à recruter, comme le secteur du bâtiment, des travaux publics, des métiers manuels et difficiles alors que, dans le fond, il existe un lien fort, vous l’avez rappelé, entre les régions, les collectivités territoriales et l’État pour mener ces missions, ainsi que tous les partenaires que sont Pôle emploi ou les missions locales. On sait que les acteurs sont très nombreux et que, pour s’y retrouver, ce n’est pas simple.

On peut regretter les lourdeurs juridiques : certains hésitent à recruter à cause de la complexité du code du travail. Je voudrais savoir, madame la ministre, si vous envisagez des avancées ou une simplification de ce code ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Marc Laménie, vous avez soulevé plusieurs questions importantes. Je répondrais à toutes les interrogations auxquelles je peux répondre.

Vous avez donné à juste titre l’exemple du bâtiment : c’est un secteur intéressant, parce que l’on y observe un problème de recrutement, mais aussi un problème de cible de recrutement. C’est l’un des trois secteurs économiques qui aujourd’hui utilisent le plus le travail détaché.

Aujourd’hui, nous avons fait de gros progrès avec la directive sur les travailleurs détachés. La France était en pointe sur ce sujet : nous avons obtenu cette directive, et cela constitue vraiment une victoire de l’Europe et de la France, car, à partir du mois de juillet prochain, on appliquera le principe : « À travail égal, salaire égal » en France. On ne sera pas encore « à coût égal », car les cotisations ne sont pas les mêmes : c’est notre prochain combat au niveau européen, parce que le dumping social se développe là où les coûts diffèrent.

C’est pourquoi les clauses retenues dans le cadre des travaux de rénovation et de construction prévus pour les prochains jeux Olympiques sont importantes pour moi : elles imposent qu’une partie des heures travaillées soient réservées à l’insertion des personnes en difficulté et aux TPE et PME françaises. Ces dispositions sont très importantes : à un moment donné, il faut être cohérent et investir dans nos propres ressources.

L’opération « 15 000 bâtisseurs », conduite avec la Fédération française du bâtiment, qui en était d’ailleurs à l’origine, a montré que l’on pouvait renverser l’image que renvoient les métiers du bâtiment. Ces métiers attirent plus ou moins, mais cette opération a attiré 20 000 jeunes : il y a eu 20 000 recrutements !

Il faut aussi parler des métiers autrement : ce ne sont pas des tâches, ce sont des activités, qui doivent permettre de se réaliser. Cette réflexion rejoint la discussion que l’on avait tout à l’heure sur l’écologie : les jeunes veulent un métier qui ait du sens et dont ils puissent être fiers. Je crois qu’il faut parler des métiers différemment.

S’agissant du code du travail, il ne vous a pas échappé que vous avez déjà voté une loi d’habilitation, puis une loi de ratification en 2017, qui ont simplifié et allégé ce code – certains nous l’ont reproché, d’autres l’ont salué. Cela étant, le vrai sujet est celui du chef d’entreprise, de la TPE ou de la PME : même si le code du travail a été allégé, celui-ci ne passe pas ses journées à le lire, et je le comprends.

L’année dernière, après un an de travail, les services du ministère ont lancé le code du travail numérique. Si vous consultez ce site, vous verrez que l’on n’y trouve pas la copie du texte du code, mais que l’on peut y poser une question. Par exemple, si vous travaillez dans le bâtiment et que vous voulez savoir quel est le nombre d’heures que vous pouvez faire, vous obtenez directement la loi, le décret ou la convention collective qui vous apporte la réponse à votre question.

Ce code s’est enrichi au fur et à mesure des questions. Il faut simplifier le droit, mais surtout le rendre accessible aux citoyens.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Madame la ministre, même si je confesse modestement ne pas être du tout un spécialiste du numérique, je respecte tout à fait cette initiative. Un certain nombre de collègues ont abordé ce sujet : auparavant, les codes étaient des documents papier, mais il est vrai que, à un moment donné, il faut simplifier les choses.

Les parcours de nos chefs d’entreprise sont semés de beaucoup d’embûches.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. C’est vrai !

M. Marc Laménie. Tout le travail et l’engagement de la délégation, ainsi que les recommandations des rapporteurs, ont permis d’éclairer les débats, mais on sait qu’il reste encore beaucoup à faire.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. Madame la ministre, je viens d’un département, l’Orne, qui abrite des pépites de métiers et d’entreprises de toutes tailles, reconnus parfois mondialement pour leur savoir-faire ou leur intelligence. Pourtant, qui, à part, les dirigeants et les salariés, le sait ?

Les entreprises de ce département ont besoin de main-d’œuvre pour exercer tous les métiers, du plus simple au plus spécialisé. Pourtant, même les enfants de nos territoires ignorent ce qu’il s’y passe vraiment. En même temps, je les pardonne : ils n’y sont pour rien ; c’est simplement parce que leur cursus scolaire ne le permet pas.

Je pense que l’orientation est la solution à condition qu’elle se fasse en partenariat avec les entreprises. Dès la troisième, les collégiens devraient découvrir les métiers qui leur sont offerts sur leur territoire, et à plusieurs reprises.

L’éducation nationale ne doit dorénavant plus ignorer la vie économique d’un territoire, et le monde économique doit aussi saisir cette chance. C’était le premier point de mon intervention.

Par ailleurs, je suis chef d’entreprise. Comme mes collègues, nous avons négligé l’accueil des jeunes et la formation à cause des contraintes imposées par l’inspection du travail à une époque, il faut le rappeler. Mais nous sommes conscients qu’une entreprise n’a pas d’avenir si elle ne forme pas. L’alternance et l’apprentissage à tous les niveaux sont donc d’excellentes choses que nous devons encourager.

Pour accélérer ce processus, ne serait-il pas opportun d’appliquer une réduction sur la taxe sur les salaires pour ceux qui forment et qui forment bien, et, inversement, d’appliquer une majoration pour ceux qui ne forment pas ou mal ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur, j’ai habité en Normandie : je suis donc sensible aux charmes de l’Orne. (Sourires.)

Ce n’était pas dans votre question, mais j’ai envie de le dire à cette occasion : avec ce que l’on vient de vivre depuis trois mois, je pense qu’il va se passer des choses en matière d’aménagement du territoire, non pas parce que nous le décidons, mais parce qu’un certain nombre de gens ont décidé qu’ils veulent vivre autrement.

L’expérience du télétravail a créé un quasi-raz-de-marée dans les entreprises. On sait que les deux tiers de leurs salariés ont travaillé en télétravail et que certains voudront en partie continuer de le faire à l’avenir, afin de pouvoir habiter dans une autre région et de ne venir qu’un ou deux jours par semaine à Paris, à Lyon ou à Marseille au siège de l’entreprise. Je le dis, parce qu’il va falloir imaginer des conditions d’accueil innovantes partout sur le territoire, en pensant peut-être à « démétropoliser » le pays, car nous souffrons d’un problème en la matière.

En ce qui concerne l’orientation, je suis pleinement d’accord avec vous. C’est la raison pour laquelle, dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avons donné les clés de l’orientation aux régions. Ainsi, elles doivent pouvoir, avec les entreprises, les branches professionnelles et l’éducation nationale, faire découvrir les métiers.

Effectivement, ce sont 100 % des jeunes de la quatrième à la première, et pas simplement ceux qui veulent s’orienter vers la voie professionnelle, qui bénéficieront chaque année de deux semaines de découverte des métiers.

Il faut être imaginatif : cela peut prendre la forme d’un speed dating ou d’un concours ; cela peut être un apprenti plus âgé qui vient se présenter ; on peut proposer d’aller dans une entreprise. On peut imaginer bien des choses, et certaines régions ont déjà commencé à y réfléchir. Je pense que l’on verra fleurir de nombreux projets intéressants dans les années qui viennent.

Aujourd’hui, les entreprises de plus de 250 salariés qui ne forment pas et ne respectent pas le quota de 5 % de salariés en alternance doivent payer une taxe. Personnellement, je préférerais qu’elles ne payent pas de taxe, mais qu’elles forment. C’est un appel que l’on doit tous lancer aux entreprises : aujourd’hui, le plus utile à faire, c’est d’investir dans la jeunesse. En effet, vous l’avez dit, une entreprise n’a pas d’avenir si elle ne forme pas.

Je suis frappée de constater à quel point la réforme de la formation professionnelle est en train de prendre, et pas seulement dans les grands groupes. Je vois de nombreuses PME s’engager dans cette voie. J’ai visité des PME ayant créé leur propre filière d’apprentissage : certes, cela concerne peut-être douze jeunes, peut-être pour cinq ans, mais ces entreprises créent une solution là où elles ne trouvaient pas de réponse. Parfois, on voit même plusieurs entreprises s’associer dans un bassin d’emploi.

Cette dynamique qui vient du terrain – nous avons juste créé le cadre permettant qu’elle s’enclenche – me donne de l’espoir, parce que c’est aussi de cette manière que l’on apportera des réponses au plus près des besoins et des compétences.

De plus, vous le savez, l’entreprise qui s’est impliquée dans la formation de jeunes a envie de les embaucher par la suite : cette démarche favorise aussi un rapprochement entre l’offre et la demande, ce qui est le but de votre rapport. Cela me permet de remercier à nouveau les rapporteurs pour la qualité de leur travail.

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. J’entends bien qu’il y a un changement des habitudes avec le télétravail. Vous avez raison de soulever ce point : les territoires doivent aussi penser à l’avenir et aménager en fonction de cette nouvelle réalité.

Ma question sur l’orientation concernait votre collègue ministre de l’éducation nationale. Je voudrais savoir si celui-ci partage avec vous cet objectif.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Tout à fait !

M. Vincent Segouin. Dorénavant, l’orientation fera-t-elle l’objet de cours spécifiques à partir du collège ? Les collèges s’organiseront-ils pour faire visiter des entreprises et faire voir les différents métiers ? On parle des entreprises, mais ce sont tous les métiers qui intéressent.

Enfin, je vous ai bien écoutée sur la taxe pour les entreprises de plus de 250 salariés. Je regrette juste que l’on applique toujours des boni aux entreprises de plus de 250 salariés, alors que, en moyenne, une entreprise en France n’a que six salariés. Ce serait une bonne chose que de penser à ces entreprises dorénavant.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le rapporteur.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mon cher collègue rapporteur, mes chers collègues, il est assez frustrant de n’avoir que cinq minutes pour conclure le travail d’une année et j’espère que le président fera preuve de générosité chronométrique ! (Sourires.)

Pour moi, cette intervention est non pas une conclusion, mais une ouverture, un espoir aussi, madame la ministre, celui que nos propositions puissent trouver une traduction au bénéfice des entreprises et, bien sûr, de l’ensemble de notre jeunesse.

Madame la ministre, la clé de nos propositions repose sur la logique de notre action : partir tout simplement du terrain, comme l’ont souligné tous les collègues qui se sont exprimés. Nous sommes partis d’une expérience de terrain ; nous avons observé ce qui fonctionne, pour l’encourager ; nous avons observé ce qui ne va pas ou, en tous les cas, ce qui devrait exister, et nous avons fait des propositions concrètes.

C’est ce que nous essayons de faire au travers des vingt-quatre propositions que vous avez sous les yeux. J’ai compris qu’elles avaient été lues : j’espère qu’elles seront pour certaines entendues, voire traduites dans les faits.

Je voudrais vous donner deux ou trois exemples. Tout d’abord, la délégation est exemplaire, parce qu’elle intègre elle-même un apprenti dans son équipe. Nous avons fait la démonstration que l’apprentissage peut fonctionner. À titre personnel, ayant été directeur d’un centre de formation d’apprentis et inspecteur en charge de l’apprentissage plus généralement, je dois vous dire que je suis heureux que l’on découvre enfin les vertus de l’apprentissage.

J’ajoute que les propositions qui ont été faites ici, dans cet hémicycle, comme la loi sur l’apprentissage de 2016, étaient vraiment concrètes ; certaines ont été reprises par le Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons. Comme quoi, le Sénat peut offrir des propositions intéressantes.

Madame la ministre, vous avez dit qu’un certain nombre d’outils existent déjà.

Je vais parler de l’orientation : j’en suis désolé, mais l’orientation n’existe pas en tant que telle : les 54 heures annuelles d’accompagnement à l’orientation ne sont pas incluses dans l’emploi du temps des élèves, elles sont en plus. Aujourd’hui, à l’évidence, l’orientation est déficiente dans notre pays. Si j’étais immodeste, je vous conseillerais tout simplement de lire le rapport que j’ai fait sur l’orientation en 2016 : il comportait un certain nombre de propositions tout à fait concrètes et réalisables.

Vous évoquez également l’amortissement de l’investissement dans la formation, un thème cher à Pascale Gruny. Nous souhaitons que cet amortissement soit pérenne, d’une part, et soit élargi à d’autres secteurs que ceux qui existent aujourd’hui, d’autre part. Vous le voyez, là encore, les instruments existent, mais ils sont perfectibles, j’en suis intimement convaincu.

Sur ces travées, nous avons tous le souci de la réussite, celle des entreprises, évidemment, celle de nos territoires, mais aussi la réussite de l’ensemble de notre jeunesse. Et si nous proposons, par exemple, que la région prenne la main, ce n’est pas pour que celle-ci devienne le seul opérateur dans ce domaine. Nous souhaitons tout simplement qu’il y ait un pilote dans l’avion pour l’ensemble des opérations, et nous pensons que la région serait probablement l’acteur idoine.

En matière d’orientation, elle dispose déjà d’un certain nombre de compétences, mais elle n’a aucun pouvoir, notamment sur le personnel de l’éducation nationale. Là encore le dispositif existant est largement perfectible. Si nous pouvions donner un peu plus d’espoir à nos jeunes, ce serait une bonne chose.

En conclusion, madame la ministre, je dirai tout simplement : gagnons du temps ! Vous avez sous les yeux vingt-quatre propositions, certes perfectibles, mais faites-en les vôtres, faites en sorte qu’elles se réalisent sur le terrain le plus rapidement possible. Nous nous en réjouirons tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée lundi 29 juin 2020 :

À seize heures et le soir :

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (texte de la commission n° 550, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

 

nomination dun membre dune délégation sénatoriale

Le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Marie-Noëlle Schoeller est membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Martial Bourquin.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication