M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 11
Dossier législatif : projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 12

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 2° de l’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’accès permanent, complet et direct prévu au premier alinéa du présent 2° s’applique notamment aux traitements intéressant la sûreté de l’État dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, y compris lorsque ces traitements comportent des éléments communiqués par des services étrangers ou par des organismes internationaux ; ».

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à donner à la CNCTR un accès permanent, complet et direct aux fichiers de souveraineté. Cet accès s’applique notamment aux traitements intéressant la sûreté de l’État dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, y compris lorsque ces traitements comportent des éléments communiqués par des services étrangers ou des organismes internationaux. Là aussi, il s’agit de permettre à la CNCTR d’exercer sa mission en confiance. Lorsqu’il est question de confiance, on ne peut pas repousser les débats, d’autant qu’il importe en l’espèce d’agir vite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable pour les mêmes raisons.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne peux pas laisser dire que la CNCTR n’aurait pas les moyens de contrôler les éléments permettant à l’autorité exécutive de réaliser ce que le Parlement lui a autorisé de faire. Vous avez salué, monsieur Leconte, l’action de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve. Je m’associe évidemment à votre hommage, d’autant que les moyens de la CNCTR étaient à l’époque un peu moins élevés. Ils ont été accrus, ce dont j’ai été témoin pendant trois ans en tant que ministre de l’action et des comptes publics.

Pour autant, je ne crois pas que, sous l’autorité du Premier ministre Cazeneuve ou sous celle du Premier ministre Valls, il y ait eu de fortes atteintes aux libertés publiques !

Il convient de rappeler, devant le Parlement, s’agissant d’une autorité administrative indépendante, que cette commission est consultée avant toute autorisation. J’ai eu l’occasion de souligner que le Gouvernement a toujours suivi les avis délivrés par la Commission. Le Premier ministre la consulte et suit scrupuleusement les mises en œuvre des techniques de renseignement. Cette instance dispose d’un accès absolument permanent, complet et direct aux relevés, aux registres et aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions, ainsi qu’aux opérations de destruction. Tous ces moyens d’action accordés par le Parlement figurent déjà dans la loi.

Par ailleurs, sur la propre initiative de la CNCTR ou lorsqu’une personne la saisit pour s’assurer qu’une technique de renseignement n’est pas utilisée de manière irrégulière, elle peut également procéder à tout contrôle des techniques invoquées en vue de vérifier si elles ont été ou non mises en œuvre.

Je souligne, monsieur le sénateur – c’est la raison pour laquelle j’ai donné un avis succinct à vos amendements précédents –, que nous sommes profondément en désaccord, comme en atteste la discussion générale. Lorsque le gouvernement que vous souteniez était aux responsabilités, nous avons été nombreux, à commencer par la majorité sénatoriale, à le suivre parce que la situation était grave. Oui, nous avons mis un terme à l’état d’urgence : c’est à mettre au crédit du Gouvernement parce qu’il a fallu, rappelons-nous des débats, beaucoup de courage pour organiser la transition. Il s’agissait en effet de respecter l’État de droit, l’état d’urgence ne pouvant être permanent. Mais nous ne sommes pas non plus naïfs : la menace terroriste demeure extrêmement prégnante, et nous en avons malheureusement un certain nombre d’illustrations aujourd’hui.

Des voix fortes du Parti socialiste qui ont été aux responsabilités – le Premier ministre Cazeneuve et le Premier ministre Valls, qui ont dû mettre en place le système de l’état d’urgence, ou d’anciens ministres de l’intérieur –  s’élèvent. J’ai même entendu Matthias Fekl affirmer que la France avait raison de continuer à s’armer administrativement contre une menace terroriste, sous le contrôle du Parlement et du juge, qu’il soit judiciaire ou administratif.

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord avec les attendus de votre discours, même si je respecte votre liberté de parlementaire. Si je me tiens à la disposition du Sénat pour répondre à vos questions, en tant que membre du Gouvernement, j’ai aussi le droit d’affirmer que je suis défavorable à un amendement : parfois de longues explications la nuit devant le Sénat m’ont démontré que je n’étais pas pour autant convaincant ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je ne vois pas de désaccord : nous avons voté tous vos amendements !

M. Gérald Darmanin, ministre. Votez le texte !

M. Jean-Yves Leconte. Nous avons souligné l’importance de la CNCTR, raison pour laquelle il paraît essentiel de lui donner les moyens d’agir. Je n’ai pas affirmé qu’elle n’en disposait pas, puisque j’ai reconnu, malgré mon scepticisme de départ, avoir été convaincu par cette commission. Simplement, et c’est la Commission qui l’écrit, il arrive qu’elle n’ait pas accès à un certain nombre de données communiquées par les services étrangers. Or il est important que la CNCTR ait accès à tous les renseignements. Donnons-lui les moyens qu’elle demande dans ses rapports d’activité de 2018 et de 2019.

Certes, tout cela est compliqué à mettre en œuvre et vous ne voulez pas voter aujourd’hui une telle évolution législative, mais j’espère que nous pourrons être suivis lors de l’examen du texte législatif plus large attendu sur le sujet, lequel devra également prendre en compte l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez annoncé vous-même que vous ne voterez pas le projet de loi présenté par le Gouvernement : je ne pense pas qu’on puisse être plus en désaccord ! Pour autant, je respecte votre position, mais je ne peux m’empêcher de constater qu’elle n’est pas la même quand vous êtes dans la majorité !

En tout état de cause, ne minimisez pas ce désaccord, que je regrette très profondément. Cela étant, vous reconnaissez désormais qu’une telle mesure est compliquée à mettre en œuvre et vous admettez que l’on puisse vouloir prendre le temps d’en discuter. Dont acte !

Néanmoins, la position du Gouvernement restera la même sur le combat de compétences entre la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et la CNCTR. Sur ce sujet très précis, je veux vous dire à quel point cette commission, indépendante, contrôle ce qu’elle peut déjà contrôler dans le cadre de la loi. Parfois, il nous arrive aussi de considérer que nous pourrions aller plus loin pour la protection du territoire. Mais quoi qu’il en soit, in fine, nous respectons toujours les avis de la Commission.

Enfin, en ce qui concerne l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, je ne m’en satisfais pas, pas plus que le Gouvernement. Cela a été rappelé, notamment par Philippe Bonnecarrère, il s’agit d’un arrêt extrêmement compliqué à comprendre. Il n’est pas aussi simple que la presse ou les écrits de vulgarisation l’affirment. En tant que ministre de l’intérieur, je regrette cette décision qui va handicaper le fonctionnement des services de renseignement – DGSE ou DGSI –, d’autant qu’il s’agit d’un sujet souverain pour les États : la protection de leur territoire.

Contrairement à vous, monsieur le sénateur, je ne pars pas du principe que nous allons simplement tirer dans la loi française les conclusions juridiques d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne !

Certes, nous en débattrons, mais il ne faut pas empêcher le politique, qui ne doit pas se contenter d’appliquer des jurisprudences en les inscrivant dans la loi, de faire son travail ! Le politique peut aller plus loin à l’échelon des instances européennes pour faire évoluer un certain nombre de dispositions à l’origine d’un tel arrêt. Il est très important de rappeler devant le Parlement français que le Gouvernement s’interroge sur cet arrêt qui handicape fortement, s’il devait être conclusif, l’action de nos services de renseignement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 10
Dossier législatif : projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Article 3

M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa du I de l’article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’introduction dans un lieu d’habitation à la seule fin de retirer les dispositifs techniques précités ne peut être autorisée qu’après avis rendu par un membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Il s’agit également d’un amendement de simplification : il paraît surdimensionné que la CNCTR doive se réunir en formation collégiale pour examiner les demandes d’introduction dans un lieu d’habitation à la seule fin de retirer des dispositifs techniques de captation de données.

Monsieur le ministre, je m’étonne de vos propos. Parce que nous sommes socialistes, vous faites mine d’être systématiquement en désaccord avec nous. Parallèlement, vous déposez des amendements qui s’opposent aux propositions du rapporteur, mais vous donnez l’impression de le soutenir ! Force est de constater qu’il existe un hiatus important entre ce que propose la commission des lois du Sénat et ce que vous défendez, au nom du Gouvernement. Pourquoi faire comme si vous étiez d’accord ?

Certes, la CNCTR agit en se conformant à la loi, mais il nous est possible, comme vous l’avez rappelé à l’instant, de changer la loi s’il nous paraît nécessaire de faire évoluer les compétences de cette commission. Tel était l’objet de l’amendement précédent.

Enfin, je ne vois pas pourquoi vous tirez des hyperboles de mes propos sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Cet arrêt s’impose à nous. Je n’ai pas dit que j’étais content, j’ai juste dit qu’il nous fallait trouver des solutions ! Oui, cela rend bien des choses difficiles, ce dont je ne me réjouis ni plus ni moins que vous. Il sera peut-être possible de faire évoluer cette jurisprudence ou de l’interpréter, mais ce ne sera pas chose aisée, raison pour laquelle le projet de loi prévu dans les prochains mois sera encore repoussé. Disant cela, je ne faisais qu’établir un constat, ne construisez pas à partir de mes propos des hyperboles inutiles !

En l’espèce, nous proposons un certain nombre de simplifications pour qu’un maximum de Français ait totalement confiance. Nous voulons couper court à toute théorie bizarre sur la manière dont nos services fonctionnent, afin de pouvoir affirmer haut et fort qu’il existe des dispositions législatives permettant de contrôler de manière complète et totale les opérations de la CNCTR.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Monsieur le Leconte, c’est précisément en raison de l’arrêt de la CJUE que nous nous sommes préoccupés de cette affaire et que nous avons examiné au cours des auditions ce qu’il était possible de faire. M. le ministre vient d’éclairer la situation : si cet arrêt devait s’imposer automatiquement, les actions antiterroristes de la France seraient sérieusement handicapées. Cela ne date pas d’aujourd’hui : le gouvernement d’hier disait déjà la même chose, tout comme celui d’avant-hier !

M. Gérald Darmanin, ministre. Et probablement comme celui de demain !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Par conséquent, si le Gouvernement décidait de ne pas être d’accord avec cet arrêt, il a juridiquement les moyens de le faire, mais c’est très compliqué. Raison de plus pour avoir un débat de fond dans le cadre de la loi Renseignement. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je vous sens un peu jaloux de ma proximité régionale et amicale avec Marc-Philippe Daubresse ! (Sourires.) Nous nous connaissons depuis longtemps : si nous pouvons avoir des désaccords, notre fraternité est faite de bières flamandes et de waterzoi ! (Nouveaux sourires.)

J’ai écouté votre discours avec intérêt et je le respecte. Votre rôle premier est bien évidemment de faire la loi et si vos amendements sont votés j’en prendrai acte. Simplement, j’ai ma propre conviction politique. Et votre point de vue était différent, me semble-t-il, sur ces questions lorsqu’un gouvernement que vous souteniez était aux responsabilités… Mais au demeurant vous n’êtes pas le seul à pratiquer ainsi.

Soyez rassuré au sujet du renseignement et des théories du complot. Certes, les parlementaires, qui exercent une mission de contrôle de l’action du Gouvernement, y compris des services de renseignement, peuvent trouver qu’il existe une certaine opacité. Mais je n’accepte pas d’entendre dire ici ou là que les services de renseignement français pourraient ne pas respecter la loi. C’est faux : ils sont extrêmement contrôlés et les temps lointains où ils pouvaient être aux ordres d’un exécutif, quel qu’il soit, pour mettre en place des écoutes illégales ou réaliser des interventions intempestives, non contrôlées par la loi et relevant du fait du prince, sont révolus, ce qui est heureux pour la démocratie française.

J’espère que les représentants de la Nation sont convaincus que les services de renseignement sont là pour protéger les Français et la souveraineté nationale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je regrette que, quels que soient les échanges avec M. le ministre, nous n’évoquions jamais le fond de ces amendements, qui visent à une simplification ou à une harmonisation. Ces petites discussions retraçant l’historique de l’action des différents gouvernements nous empêchent d’aborder le fond du débat, ce qui est pourtant le cœur du travail parlementaire. Je peux comprendre que nous ne résolvions pas aujourd’hui les trois points que j’ai soulevés, mais il aurait été utile de connaître l’avis du Gouvernement sur le fond.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 12
Dossier législatif : projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3

I. – Le II de l’article 1er et l’article 2 de la présente loi sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

II. – Au premier alinéa des articles L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure, la référence : « l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 » est remplacée par la référence : « loi n° … du … relative à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure ».

M. le président. L’amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les dispositions de la présente loi sont applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet amendement de coordination est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Défavorable, par coordination !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
Dossier législatif : projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure
 

8

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 33 voix pour – à la nomination de M. Philippe Mauguin à la présidence de l’Institut national de la recherche, de l’agriculture et de l’environnement.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Georges Patient.)

PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental
Discussion générale (suite)

Conseil économique, social et environnemental

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental
Article 1er A

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental (projet n° 712 [2019-2020], texte de la commission n° 14, rapport n° 13).

Dans la discussion générale, la parole est M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je vous l’avais annoncé au mois de juillet dernier, j’ai l’honneur de vous présenter ce soir le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Ce texte constitue la concrétisation de l’engagement du Président de la République de raviver le débat démocratique et d’accroître la participation citoyenne à l’action des pouvoirs publics. En effet, malgré les réformes successives qui ont élargi le champ de compétences du CESE, celui-ci n’a pas encore réussi à trouver la place qu’il mérite.

Le Gouvernement entend remédier à cette situation avec un triple objectif : renforcer le rôle et la visibilité du CESE en sa qualité d’assemblée consultative, en faire un puissant levier de la démocratie participative, renouer avec sa vocation originelle de représenter les forces vives de la Nation.

Je voudrais tout d’abord tenter de répondre à certaines de vos inquiétudes : il ne s’agit pas, et il n’a même jamais été envisagé, de faire du CESE une troisième chambre.

Il ne s’agit pas non plus pour le CESE de représenter les collectivités territoriales, rôle que l’article 24 de la Constitution confère au Sénat. Le CESE demeure une assemblée consultative chargée d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre temps.

Le premier objectif de la réforme est de renforcer la fonction consultative et la visibilité du CESE.

Nous partageons, je le pense, un même constat : le CESE est largement sous-utilisé puisqu’il ne rend qu’entre 25 et 30 avis par an. Dans 80 % des cas, il le fait sur autosaisine.

Pour y répondre, le projet qui vous est soumis développe principalement deux outils.

D’abord, il renforce les liens du CESE avec les conseils consultatifs locaux. Actuellement, force est de le constater, il n’existe pas véritablement de liens entre le CESE et les instances consultatives locales, y compris avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), dont le champ de compétences est pourtant assez comparable. Il faut mettre fin à ce cloisonnement et organiser des échanges fluides entre l’échelon national et les organes locaux, afin que le CESE puisse se nourrir des expériences et des connaissances territoriales. C’est l’objet de l’article 1er du projet de loi organique.

Ensuite, le texte entend faire du CESE le carrefour des consultations publiques. Pour cela, il vous était proposé la création d’un nouvel article 6-1 dans l’ordonnance de 1958, prévoyant que lorsque le CESE sera saisi d’un projet de loi par le Gouvernement, ce dernier ne procédera pas aux autres consultations exigées par notre législation. Certaines exceptions étaient prévues, pour conserver notamment la consultation des autorités administratives indépendantes, celle des collectivités territoriales, ou encore celle des instances nationales dans lesquelles elles sont représentées.

J’ai bien noté votre opposition à cette disposition et sa suppression par votre commission. Toutefois, et je ne fais que rappeler l’avis du Conseil d’État rendu sur ce texte, il s’agit d’une mesure de « simplification bienvenue et de nature à renforcer le rôle consultatif du CESE. »

Encore une fois, je crois que nous nous accordons au moins sur le constat du sous-emploi du CESE et du fait qu’il existe aujourd’hui une multitude d’organismes consultatifs qui le concurrencent inutilement.

Pour redonner de l’attractivité au CESE, dont la qualité des avis est toujours saluée, le Gouvernement entend donc lui accorder une place prépondérante en matière de consultation.

Vous craignez également un appauvrissement des études d’impact. Je crois que cette crainte est infondée. Avec le CESE, nous avons la chance de regrouper au sein d’une même institution des profils et des compétences extrêmement variés qui seront pleinement de nature à assurer un avis d’une grande richesse, comme c’est d’ailleurs déjà le cas.

Enfin, la discussion parlementaire à l’Assemblée nationale avait permis d’affiner le périmètre de l’effet substitutif de la consultation du CESE. Un bon équilibre avait ainsi été atteint, car environ la moitié des organes consultatifs ne seraient plus consultés en cas de saisine du CESE, tout en préservant la consultation d’instances éminentes, comme le Comité des finances locales (CFL).

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à rétablir l’article 6 du projet de loi, dans sa rédaction issue de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale.

Le deuxième objectif de la réforme est de renforcer la démocratie participative.

Ce que nous voulons, c’est qu’à côté de la démocratie représentative, qui demeure le socle de notre fonctionnement démocratique, soit ajoutée une dose de démocratie participative, dans des proportions et un cadre maîtrisés.

Pour cela, nous avions actionné deux leviers : le recours aux pétitions ; l’organisation de consultations publiques et la participation directe de citoyens tirés au sort aux travaux du CESE.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à considérer que le droit de pétition est entouré de conditions de mise en œuvre trop strictes, ce qui explique qu’il n’a jamais pu être exercé jusqu’à ce jour. C’est pourquoi le projet de loi prévoit trois modifications essentielles : d’abord, l’abaissement du seuil de recevabilité des pétitions de 500 000 à 150 000 signatures, pour qu’enfin cet outil de démocratie participative fonctionne ; ensuite, la dématérialisation des procédures, car il est temps que nous fassions entrer le droit de pétition dans le XXIe siècle ; enfin, et surtout, l’ouverture de ce droit aux jeunes dès l’âge de16 ans.

À 16 ans, notre jeunesse pétitionne déjà sur des plateformes comme change.org. Elle s’exprime et s’organise déjà sur les réseaux sociaux. Malgré cela, nos institutions continueraient à lui dénier le droit de s’exprimer et d’avoir voix au chapitre ? Ce serait une absurdité !

Ce progrès est non pas une concession faite à la jeunesse, mais un accélérateur de citoyenneté et une reconnaissance de ce qu’elle est capable de nous apporter : sa soif de débat.

Le Gouvernement souhaite élargir le droit de pétition. Il n’est par conséquent pas question de l’assortir de nouvelles contraintes qui complexifieraient sa mise en œuvre, comme l’institution d’une condition de domiciliation. En cela, nous sommes en désaccord – même en désaccord total, madame la rapporteure – avec votre commission.

Le projet de loi pérennise également l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat en consacrant l’organisation de consultations publiques, y compris par l’utilisation du tirage au sort, et prévoit la possibilité pour les citoyens tirés au sort de participer aux travaux du CESE.

Lors de nos débats au mois de juillet dernier, j’ai bien noté votre opposition à cette pratique. Le président Retailleau l’avait d’ailleurs moquée comme un symbole de la « démocratie de la courte paille ». Les jurés de cour d’assises apprécieront !

M. Philippe Bas. Ce n’est pas du même ordre !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comprenez donc que je ne partage pas votre analyse.

Sans remonter à la démocratie athénienne, le tirage au sort existe dans de nombreuses démocraties, notamment à des fins consultatives : en Allemagne, en Irlande, en Islande, en Estonie, ou encore au Canada. En France, les jurés d’assises sont tirés au sort depuis la Révolution ! J’ai quelques raisons de penser qu’il faut défendre leur légitimité.

Je précise, si besoin est, que le tirage au sort n’a pas vocation à supplanter le droit de vote. Il n’y a ni confusion ni concurrence entre, d’une part, l’intérêt de recueillir l’avis de citoyens tirés au sort et, d’autre part, l’exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation élus au suffrage universel.

Mais renforcer la démocratie participative, ce n’est pas affaiblir la démocratie. Je crois au contraire que, plus nos concitoyens seront associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu’ils éliront sera renforcée. C’est une demande de nos concitoyens, exprimée à maintes reprises ces dernières années. Nous devons les entendre.

L’expérience réussie de la Convention citoyenne pour le climat a montré que le CESE pouvait devenir la chambre de la participation citoyenne, et elle peut être de nature à nous rassurer sur l’usage du tirage au sort. Le Gouvernement a, par conséquent, déposé des amendements visant à rétablir les articles 4 et 9 du projet de loi organique.

Enfin, ce texte réforme la composition du CESE.

Cela répond également à l’un des engagements du Président de la République : diminuer de 25 % le nombre de membres du CESE et rendre plus souple la composition de ses catégories. En plus de la suppression des 40 personnalités qualifiées, cette réduction toucherait chaque catégorie, hormis les catégories « vie associative » et « environnement ».

La composition du CESE serait refondue en quatre grandes catégories, afin de conserver l’équilibre des représentations tout en offrant plus de souplesse dans la composition, ce qui permettra au CESE d’être le reflet le plus fidèle possible des différentes forces de la société civile.

La proposition du Gouvernement est le résultat d’un compromis entre tous les intérêts représentés. C’est pourquoi je défendrai la préservation de cet équilibre.

Par ailleurs, l’institution d’un comité indépendant pour conseiller le Gouvernement sur la répartition détaillée des membres à l’intérieur des grandes catégories définies par la loi organique nous paraît propre à apporter plus d’objectivité et d’adaptabilité, au gré des renouvellements, dans la définition détaillée de la composition du CESE.

Et ce projet de loi apporte de véritables avancées en matière de déontologie des membres. Je tiens sur ce point à saluer votre travail, madame la rapporteure, pour les améliorations que vous avez apportées à ce texte sur la question des conflits d’intérêts.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, ce projet de loi organique porte l’ambition d’ouvrir et de moderniser le CESE, tant dans sa composition que dans son fonctionnement, et permet, plus largement, le renforcement de la participation citoyenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)