Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le disons depuis des semaines maintenant : le moment est historique.

Une nouvelle étape est en passe d’être franchie dans le projet d’intégration européenne. Cela ne s’est pas fait sans peine, comme tout grand bouleversement européen. Mais ce bouleversement est aussi l’aboutissement d’un processus engagé depuis plusieurs années, car ni la dette commune ni les pistes de ressources propres ne sont nouvelles dans le paysage européen.

Une fois de plus, à la faveur d’une crise sans pareille, véritable catalyseur de la décision, l’Union s’est dotée d’un instrument autour duquel elle tournait, avec plus ou moins de bienveillance, depuis plusieurs années.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires, résolument européen, votera à l’unanimité en faveur de ce projet de loi. Malgré notre optimisme de principe, notre euroréalisme nous rattrape. Nous sommes conscients des interrogations légitimes que suscite la décision européenne que nous approuvons par ce projet de loi.

Avant de les évoquer, je reviendrai sur trois points du texte européen, à nos yeux essentiels. Le premier concerne bien évidemment les rabais : au moment de les entériner pour une nouvelle période de six ans – pour la dernière fois, je l’espère –, je tiens à souligner qu’ils constituent un échec renouvelé.

Le deuxième concerne l’article 5, cœur de la décision, qui habilite la Commission européenne à emprunter le montant du plan de relance au nom de l’Union. Cet article prévoit aussi la stratégie de gestion de la dette. Monsieur le secrétaire d’État, le Conseil sera régulièrement informé ; le Parlement national devra l’être aussi.

Le troisième renvoie à l’article 9 prévoyant la mise à disposition de ressources par les États membres en dernier recours. C’est notre principale interrogation sur la création des ressources propres. Certaines sont à l’étude depuis des années, d’autres nous demandent une réflexion dans l’urgence. L’unanimité sera en tout cas exigée. Comment ne pas entrevoir les futures tensions et les possibles blocages dans l’adoption de ces ressources propres, à l’image des menaces inadmissibles de veto que nous avons récemment subies de la part de la Pologne et de la Hongrie ?

Cette fois, le volet économique et financier doit s’accompagner d’un volet politique. Il y va de l’idée de l’Europe, du soutien de nos peuples et de notre avenir commun. Il nous faudra assumer collectivement cette décision, qui est politique avant d’être économique. La dette est devenue une réalité à laquelle nous ne pouvons plus échapper. Il nous appartient désormais de décider qui remboursera, et comment.

En choisissant de doter l’Union de ressources propres, nous faisons le choix de la solidarité. Ce choix nous honore, mais nous devons l’assumer comme tel. Pour la France, c’est accepter le fait que nos concitoyens contribueront financièrement davantage au projet européen dans le futur, mais aussi plus que les autres citoyens européens. C’est une lourde responsabilité, que nous assumons.

En Europe comme en France, l’argent magique n’existe pas. Il n’y a pas de dépense publique qui ne suppose une recette supplémentaire. Nous devons être clairs sur ce point, car nous avons un devoir de sincérité à l’égard de nos concitoyens.

Les pistes retenues pour la création de ressources propres nous semblent les meilleures, notamment la juste taxation des géants du numérique et celle des externalités négatives en matière environnementale. Trop d’acteurs ne paient pas encore leur juste part d’impôt. À l’heure où les dépenses publiques explosent pour faire face à la crise, une telle situation d’injustice fiscale est inacceptable.

Tout doit être fait, en cette période de crise économique, pour éviter de nouveaux impôts aux Européens. C’est pourquoi il nous faut voter cette décision, de même qu’il nous faut poursuivre nos efforts de réduction des dépenses publiques afin de renforcer notre souveraineté économique nationale.

Malgré ces points de vigilance, je suis convaincue que cet accord est une bouffée d’air pour l’Europe et pour l’avenir de ses citoyens, mais il nous rappelle que nous avons contracté une dette, en plus de celle qui apparaît déjà dans nos comptes, dette qui obère nos marges de manœuvre budgétaires.

Cet accord nous met face à nos responsabilités françaises et européennes : nous devons recréer de la croissance et nous désendetter pour recouvrer notre souveraineté économique. Il nous engage sur un chemin politique pour les soixante prochaines années : 2021 vient à peine de commencer que nous devons avoir 2022 en ligne de mire, et ce pour plusieurs raisons : la Conférence sur l’avenir de l’Europe n’a jamais paru aussi importante ; la France prendra la présidence du Conseil qui devra aboutir sur la première délibération au sujet des ressources propres ; enfin, nous commencerons à évaluer les premiers effets du déploiement du plan de relance européen.

Rien n’est impossible aux Européens. Comme toute étape décisive, cet accord soulève autant de doutes que d’espoirs. Mais aujourd’hui plus que jamais, nous devons faire le choix de l’Europe pour sauver l’avenir de la France.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre Haute Assemblée doit aujourd’hui décider, à l’instar de la quarantaine d’assemblées des vingt-sept États membres, d’autoriser ou non l’approbation de la décision, qui correspond à un traité signé par tous les États, de s’endetter en commun pour financer le plan de relance.

Il faut pour cela modifier la décision sur les ressources propres, laquelle ne permettait pas d’emprunter et définissait des plafonds qui, en l’état, rendraient impossible le plan de relance. Il faut aussi prévoir l’introduction de nouvelles ressources propres.

Face aux enjeux de la période – nécessité d’agir à la hauteur du péril climatique, d’éviter l’effondrement résultant de la pandémie –, cet engagement européen solidaire dégage notre horizon.

Les élus écologistes au Parlement européen ont donc voté pour. Aujourd’hui, le groupe écologiste du Sénat entend, par son vote, prendre lui aussi ses responsabilités et peser sur cette dynamique. Notre vote n’est pas une bénédiction dévote, une sorte de sautillement de cabri crédule. Il répond au contraire à l’exigence très pragmatique de consolider et d’amplifier la dynamique européenne. La décision dont nous autorisons aujourd’hui l’approbation peut en être une première étape, pour peu que d’autres batailles, d’autres étapes déterminantes, soient réussies.

Ce qui est d’ores et déjà déterminant, c’est que la clé de répartition des dépenses de la relance entre les États membres a été établie en fonction des besoins, alors que la clé de remboursement des emprunts sera de facto fondée sur les capacités.

Le pas d’aujourd’hui est donc important. C’est une avancée nette de la solidarité et, disons le mot, du fédéralisme budgétaire. Pour autant, le chemin n’est pas fait : il nécessitera de mener des combats démocratiques, de faire des choix pas évidents au cours des étapes délicates qui sont encore devant nous.

Le texte soumis à notre approbation ne porte pas précisément sur le contenu du plan de relance, sur les fléchages et les conditions de ses financements. Ce n’est pas pour autant que nous renoncerons à notre exigence sur ces enjeux majeurs.

Nous disons d’abord qu’il faudrait plus d’ambition : compte tenu de l’ampleur et de la durée de la crise, un plan plus volumineux serait nécessaire. La nouvelle administration américaine déploie, pour sa part, une action d’un autre calibre.

Nous disons aussi qu’il serait inacceptable que l’effet levier des financements européens soit immédiatement annulé par le retour d’une rigueur budgétaire tout à fait nuisible à l’investissement public.

Certes, les circonstances de crise ont conduit à suspendre quelque peu les règles budgétaires du semestre européen. La logique de mise en œuvre de réformes structurelles en contrepartie du déploiement de ce plan de relance s’est un peu affaiblie.

Pour autant, ce combat n’est pas gagné. Les écologistes œuvreront au remplacement de ces règles paralysantes par des objectifs particulièrement liés à la transition écologique et à la lutte pour le climat et la biodiversité.

Enfin, il serait intolérable que l’emballage clinquant des grandes ambitions sur les fameuses nouvelles ressources propres se réduise au total au modeste recalcul sur les emballages plastiques et à quelques trop petits pas d’ici à 2026. On sait l’enjeu du déploiement de ces ressources.

Depuis des décennies, du fait des accords de libre-échange, la part des ressources douanières a été drastiquement diminuée, faisant des États les principaux financeurs, les ergoteurs incessants, ce qui a conduit à un amoindrissement de fait de la capacité d’action européenne et à la perpétuation de ces détestables logiques de rabais et autres chantages.

Si nos pays arrivent à instaurer ces nouveaux impôts européens, avec des assiettes et des taux pertinents, c’est autant qu’ils n’auront pas à débourser pour la relance. Quant aux politiques ordinaires de l’Union, elles ne seront ainsi pas rabotées. Il s’agit de faire un peu contribuer ceux qui, comme les géants du numérique, tirent le plus profit du marché européen. Il s’agit aussi, avec l’ajustement carbone aux frontières, d’activer des leviers pour changer la donne au-delà des frontières de l’Union.

Nous avons bien compris comment certains entendent renvoyer aux calendes…

M. Jean-François Husson, rapporteur. Grecques !

M. Jacques Fernique. … et amoindrir la taxe sur les transactions financières. La reporter à une proposition de la Commission en 2024 pour une mise en œuvre après 2026 n’est pas acceptable. Il s’agit d’œuvrer pour qu’avance l’autre scénario possible, celui de la coopération renforcée pour aboutir encore d’ici à 2022.

Déterminé, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour une approbation résolument exigeante. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER – MM. André Gattolin et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous cache pas ma satisfaction de pouvoir m’exprimer, au nom de mon groupe, sur l’approbation de cette décision relative au système des ressources propres de l’Union européenne pour les sept années budgétaires à venir.

Cette phase devant les parlements nationaux constitue l’aboutissement d’âpres négociations budgétaires sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Trouver une issue positive en temps de crise à ce qui n’a pu aboutir en temps normal a été un véritable défi pour la solidité de notre projet européen et pour notre solidarité européenne.

Disons-le, mes chers collègues, le défi a été relevé avec brio. Le budget de l’Union européenne pour 2021-2027 augmente de 12 % par rapport à la précédente période financière, en dépit du départ du Royaume-Uni. Il est de notre intérêt à tous d’œuvrer en faveur de la mise en place de nouvelles ressources propres.

C’est donc sur une décision relative aux ressources propres inédite en tous points que nous nous prononcerons dans quelques minutes.

Premièrement, ce texte est la transcription juridique de l’accord politique trouvé en juillet dernier entre les vingt-sept États membres. Il autorise la Commission européenne à emprunter directement sur les marchés pour financer un plan de relance européen massif de 750 milliards d’euros. Plus que son montant, c’est ce que nous allons faire de cette somme qui importe.

C’est historique : les Vingt-Sept contractent pour la première fois un emprunt en commun. Le montant que l’Europe consacre à la relance est lui aussi historique. La réponse est sans commune mesure avec celle qui avait été apportée à la crise de 2008. Elle permettra ainsi une relance concertée, comme vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, de l’ensemble du marché européen.

Vous l’avez rappelé en commission, monsieur le rapporteur général : personne n’aurait pu l’imaginer il y a quelques mois, mais la réponse économique commune de l’Union européenne sera désormais comparable à celle des États-Unis, grâce aux efforts de l’Union et des États membres.

Disons-le concrètement et sans détour, si cette décision n’est pas approuvée, l’Europe ne pourra pas participer au financement des vingt-sept plans de relance, dont celui de la France à hauteur d’environ 40 %, et notre marché unique ne bénéficiera pas des effets macroéconomiques liés à la relance européenne. Demain, il sera assurément trop tard.

Or, nous l’avons vu, dans ces moments difficiles que nous traversons, l’Europe a été non pas une contrainte, mais une force de négociation. La solidarité européenne est notre meilleure chance pour faire face à cette crise sanitaire qui ne connaît aucune frontière.

Si, comme le disait Jean Monnet, « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », alors l’Europe vient de faire un grand pas.

Deuxièmement, cet accord marque un tournant pour l’Europe, en la dotant d’une nouvelle ressource propre – la contribution sur le recyclage des déchets plastiques – et en gravant dans le marbre la feuille de route qui oblige la Commission à en proposer de nouvelles.

La victoire ne pourra être obtenue qu’au prix de la mobilisation de chacun et avec le soutien de l’ensemble des États membres. Il est dans notre intérêt à tous d’œuvrer en faveur de la mise en place des nouvelles ressources, car elles permettront de rembourser à terme cet effort inédit de l’Europe sans peser sur les budgets nationaux. Pour cela, nous pouvons compter sur la force de notre marché commun.

Cet accord nous permettra enfin d’apporter une réponse forte et homogène aux questions qui occupent depuis trop longtemps nos esprits et nos débats à l’échelle nationale. Parmi ces serpents de mer, je citerai notamment la taxe carbone européenne aux frontières et une ressource issue du système d’échange révisé de quotas d’émissions, qui viendront en soutien de notre politique de transition écologique et climatique.

Je pense aussi à une taxe sur les services numériques et à une harmonisation de l’impôt sur les sociétés pour lutter contre le dumping fiscal et rétablir une forme de justice fiscale.

Je pense enfin à une taxe sur les transactions financières, la fameuse « TTF », sujet bien plus complexe qu’il n’y paraît et sur lequel il faut faire preuve de discernement selon la nature des ordres visés. Cette taxe, qui existe déjà dans différents pays, mérite un travail approfondi d’harmonisation afin de ne pas pénaliser les transactions elles-mêmes.

Et parce que ces différents prélèvements serviront à la relance, à renforcer nos secteurs stratégiques, à consolider notre marché, à mettre en œuvre la transition numérique et le verdissement de nos économies, nous n’aurons plus l’excuse du manque de financement. Nous sommes quelque part condamnés à réussir, mais encore faut-il en avoir la volonté commune, car il y va de notre avenir à tous. Tout l’enjeu se situe désormais dans la mise en œuvre de cet objectif. Les difficultés ne manquent pas, je vous l’accorde.

En ce qui concerne la ressource issue du système européen d’échange de quotas d’émission de carbone, le niveau de sa recette dépendra du niveau de mutualisation des recettes aujourd’hui perçues par les États membres à l’échelon national.

Quant à la taxe sur le secteur numérique, son rendement dépendra de ses modalités d’application et de l’assiette retenue. Rappelons que la Commission européenne avait estimé, en 2018, qu’une taxe sur les services numériques, dans une forme analogue à celle qui a été mise en œuvre en France, pourrait générer entre 1,6 et 7,8 milliards d’euros de recettes annuelles, selon le taux envisagé.

L’Europe a montré sa capacité à résister, à fédérer, à protéger et à dépasser certains de ses dogmes. Pour que ce plan de relance devienne réalité, nous devons approuver la décision relative au système de ressources propres de l’Union européenne. Il est nécessaire que les fonds accordés à la France dans le cadre de son plan de relance soient rapidement engagés et déployés sur le terrain.

Ce plan se traduit concrètement et efficacement dans tous nos territoires, en lien étroit avec les acteurs économiques, les préfets et les élus locaux. Il ne s’agirait pas de nous couper dans notre élan.

Ce plan inédit va améliorer concrètement la vie des Françaises et des Français, dans tous les territoires. Il va aider nos artisans, nos commerçants, nos chefs d’entreprise.

Il permet également de coordonner l’accélération des transitions écologique et numérique, d’engager un grand plan de rénovation thermique des bâtiments, d’accompagner la création d’emplois et d’ouvrir de nouvelles formations.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre vote aujourd’hui est plus qu’une décision économique et financière : il a valeur d’assentiment sur ce que nous voulons vraiment faire de l’Europe. À l’heure où le repli sur soi peut apparaître à certains comme une solution, il n’est point nécessaire de pousser l’analyse pour comprendre que l’Union européenne doit constituer une unité politique.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Ludovic Haye. Je termine, madame la présidente.

M. Ludovic Haye. Victor Hugo écrivait : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. » Eh bien, mes chers collègues, commençons ce matin, à Paris, par voter ce projet de loi de façon à ce que l’Europe tout entière puisse continuer à jouer son rôle. C’est en tout cas ce que votera le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

Mme la présidente. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, mon cher collègue. J’ai été très généreuse… (Sourires.)

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que la pandémie a plongé l’Union européenne dans une crise économique d’une ampleur exceptionnelle, la réponse ne pouvait être, elle aussi, qu’exceptionnelle.

Je n’ose imaginer ce que serait devenue l’Europe si l’accord du 21 juillet 2020 n’était pas intervenu. En approuvant un plan de relance adossé au cadre financier pluriannuel, le Conseil européen a fait reculer la tentation mortifère du chacun pour soi et a ainsi éloigné le risque de fragmentation de l’Union européenne.

Les chefs d’État et de gouvernement ont rendu possible « la solidarité de fait », pour reprendre les mots de Robert Schuman, qui considérait que l’Europe avançait le plus souvent par des réalisations concrètes.

Aujourd’hui, nous y sommes : la solidarité financière, en particulier illustrée par la promesse de subventions à hauteur de 390 milliards d’euros, permettra de soutenir nos partenaires les plus fragilisés par la crise – je pense notamment aux pays du Sud, où la chute du PIB est encore plus rude.

Pour engager cet accord qui porte les dépenses, il nous faut approuver les recettes, soit la décision du 14 décembre 2020 relative aux ressources propres de l’Union européenne.

Le groupe du RDSE votera sans réserve le projet de loi visant à autoriser cette décision. Cela a été dit, son approbation par chacun des États membres conditionne le financement de l’instrument de relance, car elle permettra ensuite à la Commission européenne d’emprunter. Aussi, le plus tôt sera le mieux.

Certes, la question des ressources budgétaires ouvre le débat entre États contributeurs nets et États bénéficiaires nets. Disons-le, la France n’est pas dans une position des plus favorables, en particulier depuis le départ du Royaume-Uni. Notre contribution, au titre de la ressource dite « RNB », un prélèvement sur le revenu national brut, s’élèvera en moyenne à 22,9 milliards d’euros pour les sept prochaines années, contre 15,5 milliards entre 2014 et 2020. Il est donc nécessaire, pour notre pays, d’encourager la diversification des ressources propres. Monsieur le secrétaire d’État, c’est la position de la France et mon groupe la soutient.

Dans le détail, s’agissant du cadre proposé par la décision européenne, nous nous félicitons de la réforme de la TVA, qui ira dans le sens d’une meilleure convergence fiscale. En revanche, l’augmentation des frais de collecte, qui avantage les grands pays importateurs, ressemble à un rabais déguisé qui s’ajoute à ceux qui persistent encore et dont on ne peut que regretter le maintien. Mais nous savons bien qu’ils sont une composante du prix à payer pour rallier les pays dits « frugaux » à l’idée d’un transfert d’argent interétatique.

La principale innovation en termes de ressources concerne les déchets plastiques non recyclés. Cette initiative positive doit être saluée, pas tant pour son rendement, qui va mécaniquement décroître, qu’en ce qu’elle fait écho aux préoccupations environnementales de la politique européenne. C’est un bon signal.

Enfin, mes chers collègues, remercions le Parlement européen d’avoir enfermé, dans un calendrier précis, des projets pour le futur. Certes, un futur un peu trop lointain, mais les échéances fixées forceront néanmoins les propositions de la Commission et les discussions du Conseil européen. Je pense en particulier aux taxes que mon groupe encourage depuis longtemps : la redevance numérique, la taxe sur les transactions financières ou une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés.

La récession économique déclenchée par la pandémie creuse les inégalités entre les personnes et entre les secteurs. Les géants du numérique ne connaissent pas la crise ; la bourse, elle, se porte bien.

La solidarité financière entre les États membres est une chose – sur ce plan, nous avons avancé. La solidarité entre les agents économiques en est une autre, à laquelle l’Union européenne devrait s’attaquer plus frontalement. Les taxes que je viens d’évoquer seraient non seulement un vecteur de rendement budgétaire, mais aussi un moyen d’établir un meilleur partage des richesses.

En attendant, mes chers collèges, comme je l’ai souligné, le groupe du RDSE soutiendra ce texte à double titre : parce que la décision relative aux ressources propres comporte des enjeux fondamentaux pour une relance européenne coordonnée et parce qu’il s’agit d’approfondir un peu plus le projet européen, auquel nous sommes, chacun le sait ici, politiquement très attachés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on a fait assaut de communication sur cet accord, dont on fait grand cas et que d’aucuns présentent à l’envi comme historique, mais il importe, selon nous, d’analyser le présent texte à l’aune de son contenu.

Las, les faits sont têtus, implacables et parfois même inquiétants : nos concitoyens financeront 8 milliards d’euros par an supplémentaires sur la période 2021-2027. Autrement dit, les contribuables s’apprêtent à devoir supporter la lourde charge de financer le Brexit, le plan de relance européen et les effets de la crise sanitaire.

D’abord, les citoyens paieront parce que la seule ressource propre inscrite dans cet accord est la taxe sur les déchets d’emballage plastiques non recyclés, soit une taxe symbolique qui ne rapportera, au mieux, que 14 milliards d’euros. Le faible produit engendré par ce dispositif est dû à ce que le jargon technocratique bruxellois appelle « un mécanisme de correction ». C’est pour cette raison simple, bien loin des enjeux écologiques, que l’Italie, par exemple, échappera à 184 millions d’euros.

Dans le même temps, la France sera le deuxième plus important contributeur de cette taxe, à hauteur de 1,2 milliard d’euros, car nous sommes toujours à la traîne en matière de recyclage. Bien loin d’être pérenne, cette taxe a donc vocation à disparaître lorsque les États membres auront mené les réformes nécessaires. Il est difficile de penser l’avenir avec des ressources éphémères, et ce d’autant qu’il s’agit de la seule mesure arrêtée de la directive.

Ensuite, les citoyens paieront parce que vous refusez manifestement et de manière récurrente de taxer et les dividendes et les gros patrimoines, qui enflent d’année en année. Dans les considérants de l’accord, figurent toutes les ressources que vous peinez à concrétiser, dont la taxe sur les géants du numérique, la mise en place d’une assiette commune et consolidée d’imposition sur les sociétés et la taxe sur les transactions financières.

Aucun accord n’a été trouvé en dix ans sur ces mesures que notre groupe propose à l’occasion de chaque débat budgétaire depuis vingt ans. Ces projets sont encore une fois repoussés aux calendes grecques : rien avant 2025, et encore… Nous allons donc joyeusement nous priver d’au moins 60 milliards d’euros pour la seule TTF, soit plus que le surcoût inscrit pour notre pays dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Avec ces recettes nouvelles, à budget constant, aucune contribution supplémentaire ne serait requise pour la France. Faire payer les Français relève donc d’un choix délibéré.

Par ailleurs, la France financera à elle seule 34 % de ce qu’on appelle les rabais – voire les rabais sur les rabais –, octroyés aux pays frugaux, en bonne santé économique. L’Allemagne, tout comme le Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède bénéficieront de ces « corrections forfaitaires ». Angela Merkel reviendra devant son peuple avec une réduction de 3,6 milliards d’euros de rabais, dont la France s’acquittera à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Autrement dit, même si le Gouvernement fait mine de s’opposer à ces rabais, non seulement ils existent toujours, mais ils augmentent à chaque occasion.

Enfin, les citoyens paieront parce que l’Union européenne se prive, d’année en année, de ressources traditionnelles. Les droits de douane constituent pourtant 15 % des recettes totales de l’Union européenne. On a longtemps cherché dans cet accord mention de ces « ressources propres » sur lesquelles s’est fondé le projet européen. Mes chers collègues, on n’en trouve nulle trace…

La crise sanitaire et les déboires avec Donald Trump auraient dû nous rappeler que les droits de douane sur les importations des pays tiers constituaient une condition sine qua non de l’exercice de la souveraineté de la zone et de ses membres. Les finances de l’Union sont sacrifiées sur l’autel du libre-échange. Dernier exemple en date : en août 2020, la suppression totale, d’ici à dix ans, des droits de douane avec le Vietnam a été actée. Pour accroître les ressources, il ne faut pas commencer par se priver des recettes normalement dues.

« N’en croyez rien ! Non, les Français ne paieront rien pour rembourser le plan de relance européen », disait le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Ce contexte inédit constitue selon nous une magnifique occasion d’engager un débat de fond avec tous les peuples européens, confrontés à la même crise, sur le rôle nouveau que devrait jouer la Banque centrale européenne. Elle ne devrait non plus être au service exclusif des marchés financiers, mais au service des peuples européens. Surtout, elle devrait nous permettre de relever les grands défis qui sont devant nous, notamment la dette, les inégalités et la transition écologique.