PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article additionnel après l'article 17 - Amendement n° 484 rectifié bis (début)
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Discussion générale

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Décès d’un ancien sénateur

Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Bernard Hugo, qui fut sénateur des Yvelines de 1977 à 1986.

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Article additionnel après l'article 17 - Amendement n° 484 rectifié bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Demande de réserve

Respect des principes de la République

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République.

Demande de réserve

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Article 18

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, je demande la réserve, après l’article 55, de l’article 31, ainsi que des amendements portant articles additionnels après les articles 30 et 31.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Favorable.

Mme la présidente. La réserve est ordonnée.

Chapitre IV

Dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne

Demande de réserve
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Rappel au règlement

Article 18

Après l’article 223-1 du code pénal, il est inséré un article 223-1-1 ainsi rédigé :

« Art. 223-1-1. – Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ou d’un journaliste détenteur de la carte de presse, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne mineure, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

« Lorsque les faits sont reprochés à une personne mentionnée à l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le régime de responsabilité et les garanties procédurales prévues par ladite loi lui sont applicables. »

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. Nous abordons de nouveau dans cet hémicycle une discussion sur la liberté de la presse.

Sincèrement, je ne pensais pas, après avoir eu à plaider pour cette liberté au cours des quinquennats de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, qu’elle serait aussi malmenée durant ce quinquennat ! Combien de journalistes ont été empêchés de travailler, voire malmenés dans l’exercice de leur métier et dans la loi ?

L’article 18 du présent projet de loi traite à peu près des mêmes sujets que l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, sans que le Gouvernement nous ait clairement expliqué le lien entre ces deux articles. Ce ne sont pas les mêmes et ils ne recouvrent pas exactement les mêmes périmètres, mais ils ont un périmètre commun.

Avec cette inflation législative, vous remettez en cause la liberté de la presse, contre l’avis de tous ceux qui la font vivre, qu’ils soient éditeurs ou journalistes.

Le spectre des atteintes visé est très large : toutes les atteintes à la personne ou aux biens sont désormais couvertes par la nouvelle incrimination, dont la portée est considérablement accrue. Une clarification est nécessaire sur l’impossibilité d’utiliser cette qualification pour la liberté d’information et d’expression.

Je pense notamment au fait de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public. Il est nécessaire d’exclure la presse explicitement du champ de cet article. Nous avons déposé un amendement à cette fin.

De nombreux syndicats nous ont fait part de leur inquiétude concernant certains articles, qui pourraient poser de véritables problèmes tant pour les journalistes que pour les lanceurs d’alerte. Faire croire que c’est la liberté de la presse qui pose problème en ce qui concerne la montée du séparatisme est une erreur.

La loi est un outil pour lutter contre le séparatisme, mais c’est grâce à la liberté de la presse à la française que nous vaincrons tous ceux qui veulent remettre en cause la démocratie.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cet article est intéressant. Il illustre selon moi une formule assez célèbre d’Albert Camus, qui disait : « Nous ne pouvons plus choisir nos problèmes. Ils nous choisissent l’un après l’autre. Acceptons d’être choisis. »

Au cours de la construction de la République, le choix a été fait de traiter un certain nombre de problèmes, ou en tout cas de grandes questions : la question sociale au tournant du XIXe siècle, la séparation des Églises et de l’État, etc. La République s’est construite et solidifiée progressivement.

Il y a aussi des problèmes qui nous sautent à la figure, un réel auquel nous sommes confrontés. Je pense notamment à l’apparition aujourd’hui d’un nouvel espace public, l’espace public virtuel.

On vivait en République avec une séparation, que Hannah Arendt avait bien établie, en s’appuyant d’ailleurs sur la philosophie grecque, entre vie privée et vie publique. La grande question était : qu’est-ce qui est public en République ?

Ce qui est public en République, c’est l’espace public. L’espace public est réel, physique, mais il est aussi théorique. C’est ce que l’on appelle l’espace public de la délibération, comme le qualifiait Jürgen Habermas, par exemple.

Aujourd’hui, cet espace public est de plus en plus le lieu d’attaques de haine en ligne. Des personnes sont insultées et attaquées en raison de ce qu’elles disent, de ce qu’elles sont, de leur métier, etc. Cet article doit aussi traiter de cette question.

Ce projet de loi est intéressant en ce qu’il conforte les principes de la République dans un monde qui a changé et où sont apparus des phénomènes qui, par essence, n’étaient pas prévus par la République, telle qu’elle s’est construite initialement. Nous aurons évidemment des débats sur ces sujets.

Il est important de fixer un certain nombre de frontières et de principes, mais aussi de rappeler que nous devons faire face à un imprévu : redéfinir l’espace public dans une République au XXIe siècle.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 316 est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

L’amendement n° 555 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 316.

Mme Esther Benbassa. À peine sorties par la porte, les voilà revenues par la fenêtre : les dispositions de l’article 24 de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés, autrement connue sous le nom de proposition de loi relative à la sécurité globale, font leur grand retour.

L’article 18 du présent projet de loi, réécrit de manière partielle par la commission des lois du Sénat, crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion ou la transmission d’informations sur internet, assorti de deux circonstances aggravantes : si la victime est dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou si la victime est mineure.

Cet article élargit considérablement le champ d’application de l’article 24, en visant « l’exposition à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens ». Toutes les atteintes à la personne seraient donc visées par cette nouvelle incrimination, sans qu’il soit nécessaire de prouver le caractère volontaire ou non de cette atteinte.

Cette rédaction imprécise et les nouvelles peines extrêmement sévères qui sont prévues sont contraires tant au principe de la légalité des délits et des peines, selon les dispositions de l’article 111-3 du code pénal, qu’au principe de la liberté d’expression, consacrée aux articles X et XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Par conséquent, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 555 rectifié.

M. Fabien Gay. Monsieur le garde des sceaux, tout acte de haine est répréhensible, y compris en ligne ; nous sommes tous et toutes d’accord sur ce point. Toutefois, le droit aujourd’hui nous permet déjà de condamner de tels actes. C’est la réalité.

Vous le savez – je parle sous le contrôle de M. Ouzoulias –, depuis l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet, dite « loi Avia », nous débattons de ces questions : nous ne voulons pas que les Gafam – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – aient le pouvoir sur nous. Nous considérons que, dans la République française, c’est le juge qui doit condamner.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

M. Fabien Gay. Cela dit, monsieur le garde des sceaux, l’article 18 du présent projet de loi ressemble comme deux gouttes d’eau à l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Vous connaissez la position de notre groupe sur cet article, donc sur l’article 18 sur la diffusion des images. La question qui est posée est la suivante : qui aura le droit, ou pas, de diffuser des images ?

Nous considérons que la liberté de la presse peut être attaquée, autant par l’article 24 que par cet article 18. Et ce n’est pas possible pour nous.

C’est pourquoi nous exigeons, comme le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires, la suppression de cet article attentatoire à la liberté de la presse, telle que nous la concevons, telle que la conçoivent également les lanceurs d’alerte ; il faudrait d’ailleurs aujourd’hui légiférer plutôt pour sécuriser ces derniers.

Monsieur le garde des sceaux, nous nous sommes battus contre l’article 24 et nous avons été battus. Aussi, nous vous interrogeons sur l’article 18.

Tout le monde a raison de le dire, nous assistons à une inflation législative. Alors que le Sénat s’est efforcé il y a quinze jours de réécrire l’article 24, sur lequel pour notre part nous sommes en désaccord, l’article 18 aggrave les choses et en quelque sorte réécrit l’article 24, qui a déjà été réécrit entre deux lectures… Plus personne n’y comprend rien !

Nous, nous voulons avoir la garantie que les images qui seront filmées par des journalistes pourront continuer à être diffusées. Il y va de la liberté de la presse, qui est pour nous constitutionnelle.

Monsieur le garde des sceaux, nous attendons votre réponse à notre interrogation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Cet article permet selon nous de réprimer la diffusion de données destinées à nuire aux personnes, quelles qu’elles soient. Sa rédaction suffisamment précise a, de plus, été complétée en commission pour ne pas attenter à la liberté de la presse.

Nous souhaitons débattre de cet article. La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai deux mots sur cet article 18, et d’abord sur sa genèse, si vous le voulez bien.

Après l’assassinat du professeur Samuel Paty, nous nous sommes demandé si nous aurions pu judiciariser plus tôt et comment. Il est toujours difficile de réécrire l’histoire, mais nous nous sommes demandé : qu’est-ce qui aurait permis d’éviter cela, au regard des données factuelles que nous avions et de la législation ? Si je vous réponds : « rien », c’est désespérant, mais c’est la réalité. C’est la raison pour laquelle nous avons conçu l’article 18, et non pas sans concertation, comme cela a été dit.

Vous vous faites le chantre de la liberté des journalistes, comme si nous en étions les destructeurs ! Vous parlez des syndicats – je les ai reçus.

M. David Assouline. Nous aussi !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous, je ne sais pas, mais moi, c’est sûr. J’ai reçu également les avocats spécialisés dans le droit de la presse, les syndicats et les patrons de presse.

Je tiens à vous rassurer, si tant est bien sûr que vous ayez envie de l’être.

M. Fabien Gay. Ne nous faites pas de procès d’intention !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En effet, si vous faites de l’opposition systématique, c’est autre chose. Vous resterez alors avec vos certitudes.

Pour ma part, j’entends vous parler de choses factuelles et de choses qui sont de l’ordre de la légalité. Si vous souhaitez vous placer sur un autre terrain, notamment sur un terrain idéologique, vous en avez naturellement le droit, et je n’entends pas vous contraindre.

Si l’article 18 avait existé, on aurait pu intervenir plus tôt. Ce travail a été fait en coopération avec le parquet national antiterroriste et naturellement avec les services de la Chancellerie. Cet article, je le revendique !

En effet, il y a toute une période, dans le cheminement devant conduire à l’assassinat du professeur Paty, qui fut une sorte de bulle mortifère, dans laquelle, que vous le vouliez ou non, nous ne pouvions pas intervenir, car nous n’avions pas les textes pour cela. Nous les aurons désormais.

Par ailleurs, je n’ai pas le goût, comme vous sans doute, de l’effort inutile. Si vous ne faites pas la différence entre l’article 24, que vous avez réécrit, et l’article 18, c’est à désespérer de tout !

Je ne veux pas perdre mon temps. Il suffit de lire les deux textes pour se rendre compte qu’ils n’ont rien à voir. Alors, on entretient la confusion, là aussi peut-être à des fins politiques. Vous le savez, l’article 24, avant qu’il ne soit réécrit par le Sénat, a beaucoup fait descendre dans la rue. Vous souhaitez entretenir cette confusion. Libre à vous, mais je le répète, il suffit de faire le simple effort de lire les deux articles pour constater à quel point ils sont différents.

Vous avez fait une grande déclaration solennelle, monsieur le sénateur Assouline. Vous nous avez dit que vous aviez défendu la liberté de la presse, sous Chirac, sous Sarkozy, etc., et que vous étiez aujourd’hui au regret de constater que… Mais faites-vous la différence entre la liberté d’informer et l’intention de nuire ? Celle-ci vient d’être faite il y a quelques jours par la Cour de cassation, dans un arrêt que nous avons tous étudié attentivement.

Naturellement, un journaliste qui s’exprime, il informe ; un haineux, il n’informe de rien, il fait du mal. Faites la différence et vous comprendrez pourquoi je suis défavorable à ces amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je vois que vous entamez ce débat de façon très calme et sereine, monsieur le garde des sceaux…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n’aime pas les idéologues, c’est tout !

M. David Assouline. M. le garde des sceaux n’aime pas les idéologues !

Sachez toutefois que nous défendrons la liberté de la presse et la liberté d’informer contre votre pseudo-pragmatisme, qui se cache derrière un drame nous ayant tous bouleversés, moi particulièrement, en tant qu’ancien professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique.

Si l’on examine les faits, on voit que la plateforme Pharos a été alertée bien en amont, cela a été raconté, mais qu’aucune suite n’a été donnée. Combien de magistrats le ministère de la justice compte-t-il pour pénaliser la haine en ligne et suivre les plaintes qui sont déposées et toutes les attaques informatiques qui ont lieu dans notre pays ? Pharos n’a pas assez de moyens, même si, aujourd’hui, cela va mieux.

Ne nous faites donc pas de procès d’intention. Oui, cet article a ému l’ensemble de la presse, car le délit d’intentionnalité sera très difficile à caractériser pour les juges.

Nous vous demandons une chose : pour être pragmatique, excluez explicitement la presse du champ de l’article 18,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est fait !

M. David Assouline. … comme tend à le proposer un amendement que nous examinerons ultérieurement. Si vous êtes pour, il n’y aura pas de problème ; si vous êtes contre, c’est qu’il y a une difficulté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le problème, dont je souhaiterais que nous puissions débattre tranquillement, c’est qu’il y a deux articles.

Ne faisons de procès d’intention à personne. (M. le garde des sceaux manifeste son agacement.) Nous aurions tous souhaité que les auteurs de l’assassinat de Samuel Paty et des menaces dont il avait fait l’objet puissent être identifiés et arrêtés. Ce n’est pas une question d’idéologie : nous souhaitons tous que cela ne se reproduise pas. Nous sommes donc à tout le moins à la recherche de solutions juridiques, les moyens de Pharos, qui doivent également être évoqués, ne faisant pas l’objet de l’article.

Monsieur le garde des sceaux, comme je l’avais d’ailleurs souligné en commission, la coexistence de l’article 24 de la loi Sécurité globale, utilement réécrit par la commission des lois et par la commission mixte paritaire, et du présent article 18 est problématique. Comment ces deux incriminations pourront-elles cohabiter sans s’anéantir, pour que les parquets puissent qualifier valablement ?

Se pose ensuite la question des personnes concernées. La rapporteure de la commission des lois a fort heureusement introduit un alinéa évoquant des dispositions de la loi sur la presse, tout en prévoyant seulement le respect des procédures, ce qui soulève la question du champ de compétence des articles.

Si je me souviens bien de mes cours de droit pénal, monsieur le garde des sceaux, la loi spéciale prime la loi générale. Nous n’avons donc pas de souci à nous faire concernant les poursuites éventuelles contre des journalistes qui, relevant de la loi de 1881, ne se verraient pas appliquer cet article. Si mon interprétation est erronée, monsieur le garde des sceaux, il est urgent de me le dire, car mon inquiétude est grande.

Je pense donc qu’il faudrait ne garder qu’un seul article sur les deux. Le droit pénal en serait plus clair et, surtout, plus efficace.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le garde des sceaux, il importe de séparer le dogme de l’idéologie. Selon moi, l’idéologie met des idées en système, ce qui assure la cohérence de la pensée et n’interdit nullement sa progression. (M. Julien Bargeton sexclame.) En revanche, comme vous, j’ai la plus grande aversion pour le dogme.

Ce qui a manqué à la procédure, dans le martyre de Samuel Paty, je l’ai dit à plusieurs reprises, c’est le déclenchement systématique de la protection fonctionnelle.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pas seulement !

M. Pierre Ouzoulias. Lorsqu’il a été convoqué pour la première fois au commissariat de police, il était seul. Et il n’est pas normal qu’un fonctionnaire se retrouve ainsi seul confronté aux personnes qui l’accusent. Nous n’ambitionnons pas de refaire l’histoire, mais, dans des affaires similaires, il faudrait absolument que le fonctionnaire se trouve dès le départ aidé par une protection fonctionnelle.

Sans l’article 40 de la Constitution, qui me l’interdit, j’aurais prévu dans ce texte une protection fonctionnelle de droit pour tout fonctionnaire attaqué dans l’exercice de ses fonctions. Cela permettrait d’enclencher beaucoup plus efficacement la riposte des services de l’État.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Monsieur le garde des sceaux, nous voulons dialoguer, et je n’ai pas compris votre réaction. Concernant Samuel Paty, nous sommes tous attristés et cherchons tous des solutions pour que jamais un tel drame ne se reproduise.

Notre groupe a déposé plusieurs amendements pour anticiper et renforcer la protection fonctionnelle. Ils ont été refusés, mais nous avons porté ces questions. Vous connaissez notre attachement aux services publics, dont nous avons souhaité renforcer les moyens, notamment ceux des services de renseignements, pour que les informations puissent remonter plus rapidement.

Monsieur le garde des sceaux, sans vouloir créer la confusion ou être dogmatiques, nous avons du mal à faire la distinction entre l’article 24 de la loi Sécurité globale et cet article 18, notamment sur la question de la liberté de la presse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Eh bien lisez-les !

M. Fabien Gay. Je vais jusqu’au bout de mon raisonnement, monsieur le garde des sceaux, et vous pourrez évidemment me répondre.

La loi de 1881 consacre la liberté de la presse, mais aussi sa responsabilité, on a tendance à l’oublier. Nous sommes passés d’un système de cautionnement à un système de contrôle a posteriori : quiconque s’estime diffamé peut attaquer la presse.

Depuis le début de ce quinquennat, un certain nombre de dispositions, de prises de position, d’actes, de lois, notamment celles qui renforçaient le secret des affaires, viennent contrecarrer la liberté de la presse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais non !

M. Fabien Gay. Laissez-moi aller au bout de mon raisonnement ! On met à mal le droit d’alerte des journalistes et la liberté de la presse de nous informer.

Après le secret des affaires, viennent ces articles 24 et 18. Nous craignons l’autocensure préalable des rédactions, conduisant à ne pas diffuser telle ou telle image. (M. le garde des sceaux lève les bras au ciel.) C’est pour l’éviter que nous demandons la suppression de l’article.

Toutefois, nous entamons un dialogue avec vous, monsieur le garde des sceaux : si vous nous rassurez sur ces questions,…

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Fabien Gay. … nous maintiendrons notre amendement, puis chacun prendra ses responsabilités.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Pour répondre sur la presse, nous avons corrigé le texte en commission pour nous assurer, conformément aux propos de Mme de La Gontrie dont la mémoire est juste, que les journalistes seront effectivement protégés.

Par ailleurs, nous aurions pu en effet nous interroger sur le télescopage des articles 24 et 18 : ils étaient initialement assez proches, mais tel n’est plus le cas depuis l’adoption de la rédaction de l’article 24 élaborée par le Sénat.

L’article 18 pénalise la diffusion, la révélation et la transmission de données identifiantes ou permettant la localisation d’une personne, quelle qu’elle soit, avec un quantum de peines renforcé lorsque ces faits visent une certaine catégorie de personnes.

La rédaction initiale de l’article 24 visait effectivement un cas particulier de ce cas général, en ayant pour objet la diffusion d’images ou de données identifiantes.

Toutefois, la rédaction du Sénat, adoptée en commission mixte paritaire, ne fait plus de l’article 24 un cas particulier de l’article 18. En effet, elle crée une infraction dont le libellé montre qu’elle est sans lien avec la diffusion de données. La provocation à l’identification peut s’opérer sans diffusion de données.

Les deux infractions ne visent donc plus la même chose : soit il y a provocation à l’identification pour les catégories de personnes visées par l’article 24, à savoir les policiers, les gendarmes et les douaniers en opération, et celui-ci s’applique, qu’il y ait ou non diffusion de données identifiantes ; soit, toujours dans le cas restreint des personnes visées à l’article 24, il y a diffusion de données identifiantes sans provocation, et l’article 18 s’applique.

La question pourrait éventuellement se poser dans les cas où il n’y a pas de provocation explicite. Dans les exemples donnés par le ministre de l’intérieur et le directeur général de la police nationale, il s’agit de la diffusion de photos sur un site sans autre mention.

La provocation implicite n’existe pas, c’est la raison pour laquelle la deuxième partie de l’article 24, dans la rédaction du Sénat issue de la commission mixte paritaire, réprime la constitution de fichiers destinée à nuire.

Quand quelqu’un cherchera à nuire aux forces de l’ordre par l’identification des agents en opération, s’il appelle à les identifier ou s’il constitue des fichiers, il tombera sous le coup de l’article 24 ; s’il diffuse leurs identités, adresses ou localisations sans rien dire de plus, mais si le juge parvient à prouver l’intention de nuire, alors il tombera sous le coup de l’article 18.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Pour conclure, compte tenu du concours idéal de qualification, le juge choisira la qualification la mieux ciblée pour atteindre son objectif.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je voudrais tout d’abord dire à quel point il était important, madame la rapporteure, que vous rappeliez les textes.

Monsieur Assouline, je ne dis pas que vous n’avez pas ressenti de l’émotion à l’assassinat de Samuel Paty ; ce serait insupportable, car je n’en ai pas le monopole. Je l’évoque seulement pour vous dire - je n’ai dit que cela, entendez-le - que nous sommes partis des faits en nous demandant comment nous aurions pu intervenir plus tôt, ce qui est une question légitime.

Vous évoquez les choses qui auraient pu, qui auraient dû, qui n’ont pas été faites selon vous,…

M. Fabien Gay. Mais non !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … mais elles ne relèvent pas de mon périmètre, accordez-le moi.

Nous avons examiné, avec des professionnels, avec les services concernés, comment nous aurions pu intervenir plus tôt pour éviter ce drame, sachant, hélas, dans cette matière comme dans d’autres, que l’on ne peut pas réécrire l’histoire. Voilà, c’est ainsi qu’est né l’article 18.

De la même façon, entendez, monsieur le sénateur, que je sois blessé à l’idée que vous considériez que la liberté de la presse est votre monopole. (M. David Assouline sexclame.)

Vous avez commencé fort, vous aussi, avec une tonalité sans doute différente de la mienne, mais il s’agit peut-être simplement d’une question de tessiture de voix… Vous avez évoqué vos combats sous Chirac, sous Sarkozy et pendant ce quinquennat (M. David Assouline rit.), mais je ne suis pas plus liberticide que vous !