M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Alors que le contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, sur lequel nous avions émis, ici, au Sénat, un avis défavorable et que vous aviez signé au mois de février, prévoyait encore la suppression de cette chaîne, nous nous réjouissons que le chef de l’État se soit rallié à notre proposition de maintenir une chaîne dédiée à la jeunesse dans la journée et une programmation culturelle en soirée sur le modèle de Culturebox.

M. Max Brisson et Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Nous espérons maintenant que d’autres rapprochements seront possibles, en particulier concernant l’indispensable rééquilibrage des relations entre les éditeurs de programmes et les producteurs.

Prenons l’exemple du service public de l’audiovisuel. Les chiffres transmis par France Télévisions démontrent que la société publique ne retire quasiment rien des 500 millions d’euros qu’elle consacre chaque année au financement de la création audiovisuelle et du cinéma. Pour une part significative, la contribution à l’audiovisuel public est donc devenue une contribution à la production privée. Je ne suis pas certain que nos concitoyens, qui payent la redevance, soient conscients de financer ainsi des sociétés qui, pour les plus importantes, ne sont même plus détenues par des capitaux français.

Dans le nouveau monde des médias numériques, les chaînes ont besoin de pouvoir continuer à travailler avec les producteurs indépendants – il ne s’agit pas de revenir sur ce point –, mais elles doivent pouvoir conserver des droits à 360 degrés, soit pour développer de nouvelles offres numériques, comme Salto, soit pour se déployer à l’international, comme c’est le cas de Canal+. Le texte adopté en commission vise donc à rétablir l’équité de la concurrence entre les acteurs et à faire confiance à la négociation professionnelle entre ces mêmes acteurs.

Enfin, une troisième mesure très significative, qui figure à l’article 1er du texte, vise à mettre en place une transaction pénale pour les internautes contrevenants. Il s’agit d’une demande qui fait l’unanimité, des ayants droit aux producteurs, en passant par les chaînes. Cette disposition permettra enfin de responsabiliser l’internaute et de bien souligner que le piratage constitue une faute qui n’est pas dépourvue de sanction. J’ai le sentiment que l’adoption de cette mesure donnerait enfin de la densité à ce projet de loi.

Au-delà de ces trois apports majeurs, le texte adopté par notre commission comprend de nombreux ajustements de la loi de 1986 qui visent à rendre plus supportable le report d’une réforme de grande ampleur de cette loi, laquelle ne pourra pas avoir lieu avant 2023, voire 2024.

Plusieurs amendements déposés à l’occasion des échanges en séance publique permettront également d’ouvrir le débat sur des évolutions technologiques en lien avec la TNT.

Le projet de loi tel qu’il pourrait être enrichi à l’issue de nos travaux serait à la fois cohérent et raisonnable compte tenu des attentes des acteurs. Nos propositions constituent une chance pour un secteur qui a de fortes attentes vis-à-vis des pouvoirs publics.

Je forme le vœu que nous puissions faire converger nos analyses, afin de trouver un accord au terme de la procédure législative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme de l’audiovisuel public était très attendue. Depuis trente ans, les pratiques et les contenus culturels connaissent une forte mutation, sous l’effet de la diffusion du numérique dans nos sociétés. Ces mutations sont porteuses de nouvelles opportunités pour favoriser l’accès à la culture, mais présentent aussi un certain nombre de dérives, notamment la diffusion virale de contenus haineux, de fausses informations et le piratage des contenus.

Le projet de loi présenté par votre prédécesseur, madame la ministre, avait pour ambition de réformer la loi dite « Léotard » du 30 septembre 1986, devenue inadaptée à l’ère numérique, afin d’accompagner la transformation des médias et de protéger les acteurs et les consommateurs des dérives constatées. Cette ambition a été contrariée par la crise sanitaire, ce que nous regrettons, car la préservation de notre souveraineté culturelle nécessite une refonte globale de la gouvernance, du financement et des missions de l’audiovisuel public.

Les transpositions en urgence par voie d’ordonnances de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins et la directive sur les services de médias audiovisuels, ou directive SMA, ont permis d’avancer tant bien que mal sur la voie de la protection de la propriété intellectuelle sur internet et du financement plus équilibré de la création française.

Le projet de loi que nous examinons possède un périmètre très restreint par rapport au texte initial. L’essentiel des mesures proposées porte sur la fusion du CSA et de la Hadopi au sein de l’Arcom, nouvelle autorité publique indépendante aux compétences renforcées. L’autorité sera dotée de deux nouvelles missions : d’une part, créer une liste noire des sites ne respectant pas le droit d’auteur et les droits voisins, afin d’assécher leurs ressources financières, sur la base du modèle américain ; d’autre part, mettre en place un nouveau mécanisme pour lutter contre les sites miroirs, en lien avec les dispositions de la loi Avia. Le régulateur pourra ainsi être saisi pour étendre une décision judiciaire aux sites miroirs et pourra agir sur leur référencement par l’intermédiaire des moteurs de recherche. Le texte dote les futurs agents du régulateur de capacités d’action renforcées pour caractériser les sites contrevenants.

La commission de la culture a significativement renforcé la portée de l’action de lutte contre le piratage de l’Arcom, ajoutant une transaction pénale au mécanisme de réponse graduée. Actuellement, le mécanisme de lutte contre le piratage repose essentiellement sur des mesures pédagogiques, en raison, notamment, de l’encombrement des tribunaux. L’instauration d’une pénalité de 350 euros viendrait mettre un terme au sentiment d’impunité des récidivistes. Cette mesure est très attendue de la part des créateurs de contenus.

Je souhaite également appeler votre attention sur la nécessité de maintenir une chaîne dédiée à la jeunesse. C’est la raison pour laquelle je me réjouis de la décision récente en la matière. France 4 a montré son utilité sociale lors des confinements.

J’évoquerai également le problème de l’augmentation artificielle du nombre d’écoutes sur les plateformes. Cette pratique, loin d’être un phénomène anecdotique, fausse la visibilité des artistes, tout en captant de façon indue les rémunérations. Pour lutter contre ce phénomène de fraude dommageable à l’ensemble de la chaîne de valeur, l’Arcom pourrait se voir confier une nouvelle mission. Tel est le sens des amendements que je vous présenterai.

Je défendrai également un ensemble d’amendements en faveur des radios indépendantes. Les transformations profondes au sein du secteur audiovisuel, accentuées par la crise liée au covid, imposent une réflexion sur la protection des droits des radios et de leur valorisation, afin de sortir d’un modèle tout publicitaire pour les radios commerciales privées.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte, tel qu’il est proposé par la commission de la culture du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le numérique bouleverse nos vies. Le monde de la culture ne fait pas exception.

Ce projet de loi présente quelques évolutions, dont certaines sont bienvenues. Toutefois, je ne peux que souligner son manque d’ambition. Il est difficile de se saisir d’un sujet aussi majeur sur la base d’un texte comme celui-ci, qui laisse de côté des questions cruciales, comme l’évolution de l’audiovisuel public et son financement, mais aussi le partage de la valeur ajoutée entre les acteurs du secteur culturel, ainsi que la juste rémunération des artistes et des auteurs.

Ce débat aurait pu être l’occasion de réfléchir à de nouveaux modèles économiques et de soutenir la production culturelle, afin de favoriser l’accès de tous et de toutes à la culture, dans un monde aux usages numériques grandissants. Dix ans après la création de la Hadopi, il aurait été bienvenu de rouvrir le débat sur la licence globale, à l’aune de ce que nous avons appris pendant cette décennie. Malheureusement, nous ne débattrons pas ici d’une grande loi audiovisuelle. C’est une petite loi, qui introduit essentiellement des ajustements au modèle existant, sans vision politique ambitieuse.

La fusion du CSA et de la Hadopi au sein de l’Arcom a du sens. Mais la loi manque d’une véritable réflexion sur l’évolution des missions et des moyens attribués à cette nouvelle agence de régulation.

S’agissant de ses missions, je regrette que la future Arcom reprenne intégralement celles de la Hadopi. L’ambition du texte est de prioriser et de renforcer la lutte contre les sites contrevenants, ceux qui tirent profit du piratage. C’est plus efficace et plus juste que le ciblage d’internautes individuels.

Les nouveaux moyens prévus dans ce texte pour améliorer la réactivité concernant le blocage des sites sont tout à fait bienvenus. Dès lors, pourquoi conserver le système de la réponse graduée et les « avertissements de la Hadopi » au sein de la nouvelle Arcom ? Ce système est contraire à la philosophie du texte et coûtera plusieurs millions d’euros par an. Surtout, il est inefficace : le nombre de téléchargements en peer to peer détecté par la Hadopi a diminué. Pourquoi ? Parce qu’il est contourné par les internautes avertis et largement compensé par le boom d’autres méthodes de piratage. Nous pourrions être honnêtes, mes chers collègues, et admettre que la réponse graduée de la Hadopi était déjà dépassée au moment de sa création. C’est un système qui prend le problème par le mauvais bout et dont les effets réels sur les revenus du secteur culturel sont, au mieux, très incertains.

Ce projet de loi ne s’attaque pas au problème de la concentration des médias et risque au contraire de le renforcer. Un amendement déposé en commission a relevé le seuil de diffusion des chaînes locales à 30 millions d’habitants, ce qui permettra à certaines chaînes d’information en continu de s’imposer sur la majorité du territoire. Peut-on encore parler de chaînes locales à ce niveau ?

Alors que nous assistons aujourd’hui au projet de fusion entre TF1 et M6, alors que la majorité des médias sont possédés par une poignée de milliardaires, alors que la diversité et l’indépendance sont essentielles pour la démocratie, ce texte n’offre aucune réponse. C’est une occasion manquée.

J’espère que nous en retirerons pourtant quelques évolutions positives, notamment au travers des amendements portant sur l’audiovisuel public, telles que le renforcement de la visibilité des chaînes publiques et, surtout, la pérennisation de la seule chaîne de l’audiovisuel public consacrée à la jeunesse, à savoir France 4, dont la disparition aurait été dommageable pour notre service public.

Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin d’une chaîne publique dédiée à la jeunesse. L’idée de pérenniser le programme Culturebox sur le même canal en soirée est également un geste fort à l’égard des acteurs culturels, particulièrement sinistrés par la crise sanitaire.

Je remercie M. le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, ainsi que M. le rapporteur, Jean-Raymond Hugonet, d’avoir été à l’initiative d’une tribune transpartisane demandant le maintien de France 4. Il semble que cet appel ait été entendu par le Président de la République. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir confirmé aujourd’hui son maintien.

Quoi qu’il en soit, en l’état actuel du texte, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’oriente vers une abstention sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certes, le texte que nous examinons aujourd’hui ne réforme pas la gouvernance ou le financement de l’audiovisuel public, mais imputer ce fait à un manque de volonté politique du Gouvernement me paraît relever d’une injustice. Au départ, le texte comprenait bel et bien une telle réforme. La crise sanitaire a chamboulé l’agenda parlementaire, nous contraignant à le repenser.

La crise sanitaire a eu pour conséquence d’amplifier certaines tendances et certaines pratiques. Elle a notamment engendré une augmentation inédite des usages du numérique, qu’il s’agisse de l’utilisation de services de streaming, d’achats en ligne ou de recours au télétravail.

Parallèlement, on a observé une hausse sans précédent du piratage audiovisuel. Le 6 mai dernier, une étude de la Hadopi révélait que 12,7 millions d’internautes avaient visité, en 2020, chaque mois, des sites proposant des contenus manifestement contrefaisants. Cela représente, mes chers collègues, près d’un quart des internautes. Le pic a été atteint en mars, lors du premier confinement, avec 14,2 millions d’internautes, soit 27 % du total.

Ces chiffres éloquents témoignent malheureusement de l’incapacité de la Hadopi à lutter contre les nouveaux vecteurs du piratage des contenus audiovisuels.

En d’autres termes, la crise sanitaire nous a conduits à reconsidérer l’ordre des priorités, pour sauver le secteur de l’audiovisuel, dans le cadre d’un calendrier parlementaire fortement contraint.

C’est là précisément l’objet de ce projet de loi, qui fait de la lutte contre le piratage audiovisuel une priorité. Ce texte est donc à la fois un texte d’urgence et un texte pragmatique, qui apporte des solutions innovantes et concrètes. Je pense au dispositif des listes noires que pourra dresser l’Arcom ou à la possibilité pour cette autorité de demander le blocage ou le déréférencement d’un site miroir sur saisine d’un ayant droit lorsqu’il existe une décision passée en force de chose jugée. Vous le savez, les sites miroirs, c’est-à-dire la reproduction exacte d’un autre site pour contourner une décision judiciaire, sont aujourd’hui un fléau contre lequel nous ne parvenons pas à lutter, faute d’instrument législatif adéquat.

Je citerai également, sans prétention à l’exhaustivité, le dispositif spécifique du référé que crée ce projet de loi pour lutter contre le piratage sportif, ainsi que les dispositions sur les droits voisins et sur la protection de nos catalogues : une série de dispositions à la fois efficaces, utiles et attendues par le secteur.

La commission de la culture a enrichi ce texte ; certains ajouts nous paraissent bienvenus. C’est le cas, par exemple, des dispositions qui maintiennent l’attractivité de la TNT. D’autres ajouts nous semblent au contraire inopportuns, comme l’instauration d’une transaction pénale. Nous aurons certainement un débat tout à l’heure sur ce point : notre volonté est de sanctionner, d’empêcher, de prévenir l’existence des sites contrevenants, les sites miroirs notamment, mais pas de nous en prendre aux internautes eux-mêmes.

De la même manière, l’éviction des deux magistrats initialement prévus par le projet de loi dans le collège de l’Arcom ne nous paraît pas pertinente. J’ai proposé à ce titre un amendement de compromis. Monsieur le rapporteur, vous avez bien voulu le mentionner, affirmant qu’un chemin existait ; proposer une solution, pour la Haute Assemblée, cela me paraît bénéfique. Certes, nous en sommes à la première lecture, mais cela n’empêche pas le Sénat d’avancer de manière équilibrée sur ce sujet en proposant dès maintenant une solution qui pourra être reprise par l’Assemblée nationale. Je souhaite que nous y parvenions, et j’en accepte l’augure.

J’aimerais rappeler enfin que ce texte s’adresse évidemment d’abord et avant tout aux créateurs, aux artistes, à la production intellectuelle et artistique, qu’il faut protéger. Coco Chanel disait, d’une formule fameuse : « Volez mes idées, j’en aurai d’autres. » Mais, en l’espèce, il ne s’agit pas d’idées : il s’agit d’œuvres. Une idée, on la lance, elle peut être reprise. Là où il s’agit d’œuvres et de création, en revanche, à défaut d’une protection renforcée, il existe, dans un monde qui fait la part belle au piratage audiovisuel, un risque d’appauvrissement : appauvrissement de la qualité artistique, de la diversité et du rayonnement audiovisuel, artistique et même intellectuel de la France.

Pour lutter contre un tel risque d’appauvrissement, ce texte, en ce qu’il renforce la lutte contre le piratage, est extrêmement utile ; il est en outre extrêmement attendu par tous les créateurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication demeure la grande référence du cadre régissant la défense des libertés de communication, le pluralisme de l’information ou encore la qualité des contenus audiovisuels. Entre-temps, cependant, la révolution numérique est passée par là, avec ses incroyables possibilités mais aussi ses dangers. En effet, d’un côté, le monde numérique a ouvert un potentiel immense en matière de diffusion et d’accès à l’information. De l’autre, il a ouvert la porte à de nouveaux acteurs dont il faut réguler l’activité, ainsi qu’au développement d’usages malveillants qu’il faut contrer.

Dans ce nouveau monde, l’équilibre des industries culturelles est bouleversé. Je pense en particulier à la question du droit de la propriété intellectuelle, qu’il faut régulièrement adapter et protéger face aux évolutions technologiques. Ce droit est essentiel : son respect est une condition tant de la viabilité économique de certains médias que de la survie de la création française.

Nos collègues rapporteurs l’ont rappelé : le Parlement attendait un grand projet de loi concernant l’ensemble du secteur audiovisuel. Las, le premier confinement est venu stopper cette ambition. Dans ces conditions, on pourrait regretter la modestie du texte qui nous est soumis aujourd’hui. Considérons néanmoins qu’il constitue une étape, d’autant plus que le numérique a la particularité de générer des mutations en permanence et d’attirer chaque jour un peu plus son public. Près d’un Français sur six pratique déjà le « tout numérique » en matière culturelle. Netflix compte aujourd’hui plus d’abonnés que Canal+, et ce n’est sans doute qu’un début…

Par ailleurs, cela a été dit, je rappellerai que la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins et celle du 14 novembre 2018 sur les services de médias audiovisuels, dont nous avons approuvé la transposition en droit français, offrent des avancées notables, parmi lesquelles la contribution des plateformes en ligne à la production d’œuvres européennes.

Aussi, mes chers collègues, le RDSE se réjouit-il des différents dispositifs proposés dans le cadre du présent projet de loi, qui renforceront l’arsenal existant. Nous accueillons notamment de manière favorable la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, qui va donner naissance à l’Arcom ; pourvu que cette nouvelle autorité dispose des moyens nécessaires de sa politique. À cet égard, je relève que la commission est allée dans le bon sens en prévoyant l’élargissement des pouvoirs d’enquête des agents de l’Arcom. Un tel élargissement est nécessaire au regard de modes de piratage toujours plus astucieux, tels que les sites miroirs.

Si l’on observe globalement une baisse du piratage grâce à la mobilisation des pouvoirs publics, on sait que les pratiques illicites concernant le sport sont en revanche en hausse. Je salue à ce titre le travail effectué par la commission dans le domaine du sport, la consolidation de l’article 3 visant à lutter contre le piratage des retransmissions en direct. Nous savons combien le sport a souffert des conséquences de la pandémie, entre la disparition des recettes de billetterie et la baisse du nombre d’adhésions – et je ne parle pas de la crise des droits TV, qui affecte particulièrement le football français.

Le dispositif de protection de l’accès du public aux œuvres audiovisuelles et cinématographiques est également une bonne chose. Le nécessaire équilibre entre droit de propriété et conservation du patrimoine français semble trouvé.

Il est en revanche regrettable que la question de l’audiovisuel public soit absente du texte, malgré les quelques apports de la commission. Il faudra s’attaquer au problème de la place du service public, de son organisation, de son contenu et de son financement, si l’on souhaite que celui-ci survive dans un paysage audiovisuel de plus en plus pléthorique.

Mes chers collègues, en attendant d’autres réformes qui seront inévitables, ce projet de loi apportera quelques outils qui permettront de mieux garantir la souveraineté et l’exception culturelle de notre pays. Le groupe du RDSE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, du projet de loi déposé par le Gouvernement à la fin de l’année 2019 et discuté à l’Assemblée nationale l’an dernier, il ne reste plus grand-chose. Je sais que la majorité sénatoriale – elle a commencé à le faire en commission – va intégrer certaines dispositions du projet de loi présenté par le précédent ministre de la culture. Il reste donc principalement trois éléments.

Premièrement, la fusion du CSA et de la Hadopi au sein de l’Arcom est logique à bien des égards, puisque le CSA se voit confier une mission de régulation d’internet.

Toutefois, trois doutes persistent.

Tout d’abord – c’est une rumeur persistante –, cette fusion pourrait n’être qu’une étape avant la création d’un super-régulateur médiatique, l’Arcep ayant déjà été enrichie voilà deux ans. Une telle usine à gaz poserait des problèmes pratiques et logistiques, mais aussi philosophiques.

Ensuite, il me semble dangereux de transférer au CSA un outil qui fait toujours l’objet de recours devant le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne.

Enfin, la régulation d’internet par le CSA n’est pas sans poser question, le CSA ne délivrant pas d’autorisation préalable de diffusion.

Deuxièmement, concernant la création d’un mécanisme de protection des œuvres culturelles françaises, la directive européenne SMA va obliger les plateformes comme Netflix à participer à la création ; c’est une bonne chose. Cela ne doit pas pour autant leur servir d’excuse pour multiplier les droits exclusifs sur les contenus sans en assurer l’exposition. Si le dispositif prévu va dans le bon sens, il pèche selon moi à deux égards.

Tout d’abord, je regrette que le Conseil d’État ait dissuadé le Gouvernement d’aller plus loin en l’autorisant à bloquer une vente par un mécanisme d’autorisation préalable. Ensuite, me semble-t-il, il faudra bien que l’on pose, à un moment, la question de l’accessibilité des contenus.

Troisièmement, concernant la lutte contre le piratage, plus que celui du piratage en tant que tel, c’est bien le problème du manque à gagner financier qui doit être traité. J’avais évoqué ce sujet en commission en prenant l’exemple de la NBA, qui a décidé d’arrêter sa lutte contre le piratage, faisant le calcul que cette pratique lui rapportait en définitive de l’argent.

Nous avons conscience d’être à la croisée des chemins. La télévision connaît aujourd’hui ce qu’ont connu jadis, en leur temps, le théâtre et, dans une moindre mesure, le cinéma : l’arrivée de concurrents féroces et le détournement d’une partie de son audience.

Le service public de l’audiovisuel, victime de coupes budgétaires de plus en plus importantes, se retrouve en grande difficulté face à ces nouveaux acteurs, mais aussi face à un secteur privé bien mieux armé. Tout communiste que je suis, je ne peux d’ailleurs que regretter que le secteur privé de l’audiovisuel soit lui aussi aux abois devant les coups de boutoir qu’il subit.

On le voit bien, les choses avancent, et pas dans le bon sens. Certains pensent qu’en se réunissant ils constitueront des empires à même de concurrencer les nouveaux acteurs de l’audiovisuel. Ainsi, Vincent Bolloré veut se rapprocher d’Europe 1 ; la fusion entre TF1 et M6, ces derniers jours, va dans le même sens.

Cette stratégie est perdante sur tous les tableaux, et ce d’autant plus que des initiatives de coopération pourraient tout à fait exister. Salto, bien que largement perfectible, en est un parfait exemple.

Elle est perdante face aux géants Netflix, Discovery ou Disney+, qui auront toujours la puissance financière pour écraser ces empires. En 2021, Netflix va investir 19 milliards de dollars dans ses productions, soit cinq fois plus que le chiffre d’affaires cumulé des groupes TF1 et M6…

Elle est perdante face aux nouveaux acteurs comme YouTube et Twitch, qui, par ailleurs, appartiennent aux géants financiers Google et Amazon, et elle l’est pour deux raisons. Ces acteurs attirent une nouvelle audience, la jeunesse, et ont su se renouveler. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si toutes les chaînes de télévision possèdent aujourd’hui une chaîne YouTube. Surtout, ces plateformes sont venues combler pour partie le vide qu’on ne peut que regretter dans l’audiovisuel traditionnel, ou y apporter un coup de frais. Arte et France Télévisions ont été en la matière précurseurs en intégrant tout récemment à leur grille de programmes des vulgarisateurs et vulgarisatrices scientifiques et historiques reconnus et en leur laissant une liberté de ton.

La volonté acharnée d’aseptiser l’audiovisuel en créant des empires unis par une seule ligne éditoriale va totalement à contre-courant de ce que recherche aujourd’hui la majorité de nos concitoyens, sans donner pour autant aux intéressés les moyens de lutter économiquement.

Au vu de tous ces éléments, et sous réserve du sort qui sera réservé à nos amendements, notre groupe s’abstiendra en retenant notamment, parmi les dispositions du texte, la protection des catalogues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)