PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il était attendu depuis longtemps ! C’était un engagement du Président de la République, et, après bien des difficultés, Franck Riester avait fini par convaincre de le faire inscrire à l’ordre du jour. Pourtant, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, à même d’armer notre audiovisuel, public comme privé, pour lui permettre de relever les défis générés par le nouveau monde, numérique a été abandonné au milieu du gué, en pleine procédure parlementaire. Bien sûr, on peut arguer de la crise sanitaire ; mais, précisément, les conséquences de celle-ci sur les usages et l’accélération observée des mutations en cours dans le secteur audiovisuel n’ont fait que renforcer le besoin de se remettre à jour par rapport à la loi du 30 septembre 1986, texte conçu pour le monde hertzien.

Lors du colloque que notre commission avait organisé en juillet 2018, intitulé « Comment réenchanter l’audiovisuel public à l’heure du numérique ? », alors que la réforme, celle de la redevance notamment, avait déjà été menée dans leurs pays respectifs, les représentants des audiovisuels publics européens, peinant à comprendre le retard pris chez nous, nous avaient dit attendre beaucoup de la France, jugée comme une référence dans son combat pour l’exception culturelle. Quelle déception !

Si, par esprit de responsabilité devant l’urgence à laquelle était confronté le secteur, madame la ministre, nous avons accepté l’été dernier, avec l’ensemble de mes collègues, la transposition des directives européennes SMA et sur le droit d’auteur et les droits voisins, c’était bien dans la perspective d’un vrai débat, que nous estimons nécessaire, sur l’avenir de l’audiovisuel et de la création. Je salue à cet égard l’implication forte des sociétés d’auteurs, qui a permis la mobilisation organisée à Bruxelles aux côtés des parlementaires pour faire adopter ces directives.

Avec l’abandon de la réforme de la gouvernance, le groupe Union Centriste regrette le retard qui va continuer à être pris alors que la concurrence s’intensifie, que les nouveaux formats et offres se multiplient, que partout le paysage se recompose pour mieux aborder les défis du siècle. L’actualité récente, marquée par le rapprochement de TF1 et de M6, nous le rappelle encore, si besoin était !

Plus encore, nous réprouvons l’abandon de la réforme de la contribution à l’audiovisuel public que Franck Riester avait pourtant promise pour 2021 au plus tard. Cette réforme différée est non seulement nécessaire pour faire évoluer l’assiette d’une redevance devenue injuste, les supports de diffusion ayant considérablement évolué, mais aussi pour prévenir la chute attendue de son rendement. Tout cela, je le disais déjà en 2011 dans un rapport sur l’avenir du financement de France Télévisions, et mes collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin ne disaient pas autrement en 2015.

Pour couronner le tout, avec la suppression de la taxe d’habitation, nous n’avons plus aucune visibilité sur une ressource pérenne qui constitue par ailleurs la principale garantie d’indépendance, nécessaire pour développer des projets dans la durée. Franchement, il aurait été raisonnable d’assurer le modèle économique de notre audiovisuel public, qui concerne cinq entreprises et des milliers d’emplois directs et indirects, avant les échéances électorales de l’année prochaine.

Vous comprendrez donc que je ne puisse que joindre ma voix à celle de notre rapporteur, dont le constat est alarmant.

Bien entendu, nous souscrivons aux dispositions du texte portant création de l’Arcom. Ce projet de loi contient en effet des dispositions fondamentales et attendues afin de mieux lutter contre le piratage et pour la protection des auteurs. Je fais partie des parlementaires qui ont vécu, ici même, les balbutiements d’une législation visant à protéger les auteurs et la création à l’ère du numérique, à savoir la loi Dadvsi et les lois Hadopi 1 et Hadopi 2, qui semblent presque, aujourd’hui, relever de la préhistoire.

Alors que la technologie continue à déployer sa puissance transformatrice et que l’ingéniosité des contrevenants n’a pas de limites, il paraît naturel d’améliorer notre législation et de faire évoluer nos autorités de régulation, promises à de plus larges missions. Nous entretenons d’ailleurs des échanges réguliers avec les présidents de ces autorités, qui sont souvent auditionnés, ne serait-ce qu’à l’occasion de leur bilan annuel. À plusieurs reprises, les présidents de la Hadopi et du CSA, mais également de l’Arcep et de la CNIL ont été entendus ensemble afin que nous puissions mesurer les convergences et rapprochements souhaitables pour plus d’efficacité. Je profite de cet instant pour saluer le remarquable travail de l’ancien président de la Hadopi, Denis Rapone, dont le mandat parvenait à échéance en janvier dernier.

Compte tenu de l’évidence de certaines synergies, je regrette, comme notre rapporteur, que le lien avec l’Arcep ne soit pas sanctuarisé dans ce texte.

Notre groupe aura contribué à plusieurs améliorations visant à rendre l’Arcom plus efficace en matière de lutte contre le piratage. Celui-ci demeure en effet un fléau eu égard au manque à gagner pour la création, mais également à la perte afférente d’investissements dans le sport ; sur ce sujet, rappelons que la commission a été précurseur en organisant très tôt des tables rondes sur le piratage sportif et en émettant des propositions fortes. C’est ainsi qu’en commission, avec mes collègues Pierre-Antoine Levi, Michel Laugier et Claude Kern, nous avons souhaité, par nos amendements, compléter utilement le texte initial.

S’il y aura, bien sûr, quelques points de divergence entre nos groupes sur certains sujets, je me réjouis que nous nous soyons retrouvés sur un certain nombre de propositions importantes, notamment pour renforcer l’effectivité des droits d’auteur et des droits voisins ; pour faciliter l’accès aux œuvres et aux catalogues ; pour préserver l’attractivité de la TNT. Sur ce sujet, je vous proposerai d’aller plus loin aujourd’hui en donnant pouvoir à l’Arcom d’autoriser l’utilisation de formats d’images améliorés, permettant ainsi l’usage de l’ultra haute définition ; il y a en effet, j’y insiste, des échéances à ne pas manquer !

Je me félicite également que nous nous soyons accordés pour assurer le maintien de France 4. L’ensemble de notre commission s’était mobilisé sitôt l’annonce de sa suppression, entendant défendre la filière du cinéma d’animation, mais surtout une offre publique exempte de toute publicité, s’agissant de la chaîne de l’éducation, de la culture et de la citoyenneté, véritable alternative, pour nos jeunes, aux plateformes commerciales. Alors que, ces dernières années, conseil d’administration après conseil d’administration de France Télévisions, je n’ai cessé de redire l’importance de France 4, je suis heureuse que le Président de la République ait opportunément tranché en faveur de son maintien, donnant quitus à la proposition du Sénat impulsée par notre collègue Jean-Raymond Hugonet.

Je voudrais dire quelques mots sur Culturebox, louable initiative en une période où les lieux de culture étaient contraints à la fermeture. Proposer une forme de pérennisation en soirée me paraît une très bonne chose.

Partageant avec vous, madame la ministre, et avec notre rapporteur le goût pour la musique, je ne saurais trop insister sur la part qui doit lui être faite sur nos chaînes. J’en profite pour inviter à la réflexion sur ce qui pourrait être fait en région dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens passés entre les collectivités régionales et les antennes de France 3. Encore une fois, les initiatives prises pendant le confinement méritent d’être pérennisées et développées. Elles permettent notamment de toucher des publics empêchés de se rendre dans les salles de spectacle. C’est cela aussi, la mission de l’audiovisuel public : assurer le respect des droits culturels de chacun.

Nous ne saurions trop insister sur les moyens alloués à l’Arcom ; l’examen du prochain projet loi de finances sera une nouvelle fois l’occasion de souligner, à l’ère du « presque tout numérique », la nécessité de renforcer les missions des autorités de régulation. Pour ma part, j’étais déjà intervenue en ce sens pour le CSA à la suite du vote de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, mais également à plusieurs reprises en faveur de la CNIL et de l’Anssi, faiblement dotées. Il est vrai que, pour assurer le nécessaire financement de celles-ci, il est fondamental de recouvrer le juste impôt dû par ces plateformes, qui justement favorisent les problèmes que nous devons nous attacher à résoudre, mais qui pratiquent, comme chacun le sait, l’évasion fiscale.

Je conclurai en félicitant notre rapporteur pour la qualité de son travail. Ce débat sera d’autant plus important que, comme Jean-Raymond Hugonet l’a rappelé, compte tenu du calendrier électoral, aucune nouvelle loi consacrée aux médias ne pourra être examinée avant au mieux 2023. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quatre ans pour faire une loi qui devait réformer en profondeur l’audiovisuel français – certains parlaient même de « révolution » –, l’audiovisuel public en particulier. Je vous épargne les citations qui allaient dans ce sens, du Président de la République et des différents ministres… Et nous voilà saisis d’un projet de loi au titre ronflant, qui vise essentiellement à ce que nous entérinions ce qui est déjà largement engagé, à savoir la fusion du CSA et de la Hadopi.

Comme souvent quand il s’agit d’audiovisuel, on commence par parler de grande loi et on finit par du petit. En l’occurrence, pour du petit, c’est vraiment du petit ! Merci à M. le rapporteur et à M. le président de la commission d’avoir encouragé une lecture plus large de l’objet de ce texte pour nous permettre d’avoir quelques débats nécessaires.

Chacun sait que le paysage audiovisuel a été totalement bouleversé depuis 1986. La TNT a élargi l’offre accessible à toutes et à tous à quatorze, puis à dix-huit chaînes – aujourd’hui, vingt-sept chaînes. Les offres par câble et par satellite et, parallèlement, la révolution numérique et l’accès de tous à un débit toujours plus important ont permis la disponibilité courante de centaines de chaînes du monde entier.

Les nouvelles technologies ont bouleversé les conditions mêmes de la création et de la production audiovisuelles et ont révolutionné les usages, ce phénomène étant amplifié par l’arrivée dans notre paysage de grandes plateformes américaines qui, échappant aux régulations essentielles voulues par les législateurs de 1986, ont contourné les obligations de financement et de fiscalité imposées aux acteurs traditionnels. Elles se sont imposées en chamboulant notre système de financement de la création, la chronologie des médias, mais également les accords existants entre les chaînes de télévision et les producteurs.

Cette situation nécessitait au moins que nous en débattions globalement, que nous y répondions tout aussi globalement et que nous cessions de nous contenter de boucher les trous dans la raquette, pour enfin imaginer ensemble le paysage audiovisuel que nous voulons et réfléchir au sens que nous voulons donner à notre action législative. Or l’occasion est encore manquée de discuter de tous les enjeux actuels selon une vision éclairée !

Le paradoxe est que notre discussion a lieu deux jours après l’annonce d’une fusion entre les groupes TF1 et M6, qui pèseraient 44 % des audiences et 70 % du marché publicitaire. Cette fusion, elle, va bel et bien révolutionner notre paysage médiatique en le concentrant comme jamais, lui qui l’est déjà tant et trop, face à un audiovisuel public privé de recettes publicitaires mais démuni également du côté de sa ressource publique, qui est en baisse : l’État ne se décide pas à lui permettre d’en vivre.

Je sais bien que les chaînes de télévision privées sont elles aussi affaiblies par la baisse de leurs recettes publicitaires due à une captation croissante du marché par les GAFA : 36 % en 2017, 49 % à l’horizon de 2022. Mais la réponse ne viendra pas d’une concentration encore plus grande des grands groupes privés, achevant les autres chaînes privées, mettant en danger la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias consacrés à l’article 34 de notre Constitution.

La première conclusion que nous devons vite en tirer, c’est de renforcer notre audiovisuel public. Face à ce nouveau géant du privé, celui-ci devra avoir les moyens de faire rayonner toutes ses missions d’intérêt général : l’information libre, l’exception culturelle, l’éducation et le financement à un haut niveau de la création.

Cela passe par la réforme tant attendue et repoussée de la redevance, qui doit devenir universelle, mais aussi par l’arrêt des baisses budgétaires que ce gouvernement s’est entêté à renouveler année après année, et ce malgré les efforts inouïs que les sociétés de l’audiovisuel public et leurs personnels ont consentis depuis de nombreuses années.

D’ailleurs, je ne peux que me réjouir que le Président de la République ait enfin renoncé à supprimer France 4,…

M. Patrick Kanner. Très bien !

M. David Assouline. … même si, au regard de la nécessaire indépendance des médias, je trouve tout aussi curieux que ce soit lui qui annonce ce revirement, comme je trouvais inadmissible qu’il nous impose cette suppression.

Ainsi que chacun le sait, j’ai mis beaucoup d’énergie à essayer de convaincre de la nécessité du maintien de cette chaîne de la jeunesse en proposant d’y revenir à chaque débat, comme lors du dernier budget. J’étais seul au début avec mes collègues socialistes, puis nous avons été utilement rejoints par la commission dans son ensemble. Jusqu’à hier, on nous opposait une logique comptable.

C’est une victoire, qui doit nous encourager à ne jamais rien lâcher quand la cause est juste, même lorsqu’on nous dit qu’il n’y a plus rien à faire.

Une autre conclusion, c’est qu’il est urgent d’avoir un vrai débat et de voter un texte s’opposant à la concentration excessive des médias entre les mains d’une poignée de milliardaires. Il y va maintenant de notre démocratie.

Pendant que nous tergiversons, les grands acteurs avancent et nous imposent leurs cadres derrière lesquels nous courons ensuite pour réguler, avec de petites lois, des ordonnances pour transposer des directives – je pense aux ordonnances tout à fait bienvenues sur les SMAD et les droits d’auteur – ou des décrets. Voilà quel est le scénario depuis de nombreuses années !

Bref, il aurait été souhaitable de proposer une nouvelle loi aussi fondatrice que celle de 1986 pour moderniser la réglementation à l’heure du numérique, sans pour autant remettre en cause les principes de cette loi de 1986, à savoir la nécessaire régulation et l’aide à la création, essentielle pour maintenir notre exception culturelle.

Cela étant, il y a cette petite loi dont je ne peux que saluer l’intention : créer l’Arcom, fusionnant ainsi le CSA et la Hadopi, ce que j’appelle de mes vœux depuis 2013 puisque j’avais tenté de faire adopter une telle mesure. À l’heure de la révolution numérique, cantonner le CSA au contrôle et à la régulation de la télévision ainsi que de la radio, en laissant la diffusion audiovisuelle sur internet sans réelle instance de contrôle et de régulation, était un contresens.

Cependant, nous, sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, n’étions pas d’accord avec la volonté du Gouvernement d’affaiblir une fois encore le Parlement en lui supprimant deux nominations dans la composition de la future Arcom – nous y reviendrons au cours du débat, puisque des compromis semblent se dégager.

Par ailleurs, cette loi cherche à s’attaquer au piratage. Sur ce point, nous étions d’accord avec le texte initial du Gouvernement, qui tendait à se consacrer à la lutte contre les sites pirates et les sites miroirs, qui tirent profit d’œuvres proposées illégalement en streaming. En revanche, nous sommes opposés à la modification introduite par la droite sénatoriale, qui a intégré une transaction pénale en remplacement du dispositif actuel de réponse graduée.

En tout état de cause, le piratage du sport est symptomatique du problème. Si cette pratique n’est pas justifiable et si les sites pirates doivent être poursuivis, l’ampleur de cet usage par les jeunes peut néanmoins s’expliquer par le scandale que constituent des offres toujours payantes et plus chères de sports populaires, dont est maintenant privée la grande majorité de nos concitoyens, qui n’a pas les moyens de s’offrir les abonnements. C’est pourquoi je me suis permis d’en profiter pour poser plus globalement la question de la diffusion du sport à la télévision en vous proposant plusieurs des préconisations du rapport que j’ai remis au Gouvernement il y a quatre ans, car il semblait faire consensus.

M. Patrick Kanner. Excellent rapport !

M. David Assouline. Elles concernent la diffusion gratuite d’événements majeurs, la diffusion du sport féminin et du handisport.

Le Gouvernement a aussi décidé d’aborder dans ce texte de loi le sujet des reventes de catalogues. Cette mesure est nécessaire, et nous la soutiendrons en lui conservant sa force initiale. Il est important de protéger les œuvres audiovisuelles et cinématographiques françaises. Le risque existe surtout pour les ventes à des acteurs étrangers qui n’ont pas la même exigence que nous quant à notre patrimoine.

Nous regrettons que la stratégie choisie finalement, à la suite de la décision du Conseil d’État, soit si molle. Nous tenons à une version plus contraignante. C’est pourquoi nous avons amendé le texte en ce sens.

Enfin, à l’heure où les négociations entre Google et les éditeurs et agences de presse bloquent sur l’application de la loi que j’ai initiée concernant les droits voisins de la presse, et dans l’attente également d’une décision de l’Autorité de la concurrence, j’ai souhaité, avec le soutien unanime de la commission, dont je remercie tous les acteurs, muscler la loi pour obliger les plateformes à négocier et à rémunérer les contenus de presse que d’autres produisent et qu’elles utilisent gratuitement, tout en bénéficiant des revenus générés par la publicité.

J’espère que ces améliorations bénéfiques pour le secteur que nous défendons seront adoptées et maintenues jusqu’au vote définitif du texte et qu’elles ne seront pas détricotées par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne suis pas le premier à le dire cet après-midi, l’examen de ce projet de loi suscite en moi des sentiments partagés. Mais c’est la déception qui prédomine. Comment un texte annoncé, attendu, peut-il passer sous silence l’essentiel, c’est-à-dire les enjeux liés aux affrontements concurrentiels dans le paysage audiovisuel ?

Le Gouvernement justifie son inaction par la crise sanitaire. Pourtant, l’engouement suscité durant cette période par les plateformes américaines a bien montré l’urgence de défendre l’ensemble de la chaîne de création audiovisuelle française. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le cadre fixé par la loi de 1986 n’est plus adapté au contexte actuel. Certes, on l’a compris, tout cela obéit à la volonté politique de ne pas ouvrir un dossier sensible à un an de l’élection présidentielle. C’est infiniment regrettable !

Je m’alarme plus particulièrement pour l’audiovisuel public, dont il faudra bien un jour moderniser l’offre, revoir les moyens et repenser l’organisation ainsi que la gouvernance. Nous prônons depuis plusieurs années, au Sénat, la création d’une société mère unique, à même de définir une stratégie globale et d’affirmer une identité spécifique. L’audiovisuel public doit plus que jamais se concentrer sur ses missions et marquer sa différence.

C’est ce modèle d’une « BBC à la française » qu’envisageait le rapport de nos collègues Leleux et Gattolin en 2015. Le premier projet de loi, malheureusement avorté, en reprenait les conclusions essentielles. Il n’en est, hélas ! aujourd’hui plus question.

Il est donc bien clair que le Gouvernement a renoncé à traduire dans la loi l’engagement de campagne du candidat Emmanuel Macron pour l’audiovisuel public. Il ne souhaite pas davantage s’impliquer sur des projets susceptibles de faire débat dans le paysage audiovisuel privé.

Bref, le projet de loi gouvernemental est maigrelet : création de l’Arcom, adaptation de la lutte contre le piratage, contrôle de la cession de catalogues d’œuvres françaises. Certes, ce sont là quelques mesures utiles, mais bien limitées dans leur ampleur.

Fort heureusement, figurent désormais dans ce texte des propositions ambitieuses de notre rapporteur Jean-Raymond Hugonet, qui y a introduit plusieurs marqueurs essentiels.

Concernant l’audiovisuel public, notre rapporteur a proposé qu’une des chaînes du groupe France Télévisions soit consacrée à des programmes dédiés à la jeunesse. Le Sénat est ainsi fidèle à sa volonté de pérenniser France 4, que le Gouvernement voulait fermer en août.

Nous pouvons nous féliciter, cher Jean-Raymond Hugonet, que le Président de la République se soit finalement rallié à notre position il y a trois jours, en retenant précisément notre formule de programmation jeunesse en journée et culturelle en soirée.

Nos autres propositions, en revanche, ne rencontrent guère l’enthousiasme du Gouvernement. Je le regrette.

Parmi celles-ci, nous proposons au sujet du piratage d’élargir les pouvoirs de l’Arcom en instituant la possibilité d’une transaction pénale. Plusieurs années de pratique de « réponse graduée » nous montrent combien il est nécessaire de responsabiliser davantage les internautes.

Notre commission a également veillé à la protection des droits d’auteur dans le contexte d’utilisation des contenus par les plateformes. Je pense, notamment, aux accords que nous souhaitons voir conclure avec le secteur de la presse. Nous écouterons attentivement vos remarques sur ce sujet, madame la ministre.

Enfin, notre rapporteur propose de rééquilibrer les rapports entre distributeurs et producteurs. C’est nécessaire, car les chaînes françaises sont aujourd’hui contraintes de financer des programmes dont elles ne maîtrisent pas les droits par la suite, et elles ne peuvent ni contrôler leur revente à des concurrents ni en attendre de recettes. Or le contrôle de l’exploitation des œuvres dans un environnement désormais mondial devient déterminant pour les ressources des chaînes et, donc, pour leur capacité à rester des opérateurs forts du financement de la création.

Nous espérons que les propositions de notre rapporteur seront finalement entendues et marqueront l’architecture définitive du texte, sachant, par ailleurs, que nous avons toute confiance dans la négociation professionnelle entre les acteurs.

À la suite des travaux de notre commission et des propositions de notre rapporteur, ce projet de loi, largement amendé, a donc pris une nouvelle dimension. Aussi le groupe Les Républicains lui apportera-t-il tout son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Toine Bourrat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces derniers mois, plusieurs big-bangs annoncés par le Gouvernement se sont transformés en mesurettes.

Concernant l’audiovisuel, ce sont les aléas épidémiques et calendaires qui ont eu raison du projet de loi structurel que notre assemblée aurait dû examiner. À défaut, c’est un texte à l’épure plus limitée qui nous est présenté. Pourtant, la covid n’a pas eu raison du piratage et n’a pas fait disparaître les attentes d’un secteur audiovisuel constitutif de notre patrimoine commun.

À rebours de ce qui se fait habituellement à cette tribune, je tiens à souligner ce que ce projet de loi ne dit pas, ne crée pas et ne prévoit pas, en dépit des bouleversements induits par la société de l’écran. Les enjeux du numérique impliquent, en effet, de faire évoluer un cadre législatif et normatif par trop dépassé. Nous pensons aux lois de 1986 et 2009, mais également aux instruments qui assurent actuellement la régularisation qu’une grande nation culturelle doit à ses créateurs.

Cette déception sur le cadre restreint de la loi se double d’une inquiétude légitime, car les crédits de l’Arcom dépendront d’un budget dont nous ne savons rien et qui, cette année, revêtira deux caractéristiques particulières. Il s’agira de la dernière loi de finances de ce quinquennat et celle-ci s’inscrira dans un contexte de crise dont nous savons la rudesse pour le monde culturel.

J’insisterai sur trois éléments du projet de loi originel que notre rapporteur et plusieurs de mes collègues ont eu à cœur de gommer.

Le texte initial ne traitait pas, hélas ! des disparités réglementaires qui obèrent les capacités d’investissement des acteurs historiques. Je pense au dispositif anti-concentration mentionné à l’article 41 de la loi Léotard, dont le CSA estime lui-même qu’il est obsolète face aux évolutions démographiques, économiques et technologiques du secteur. Je pense aussi aux limites imposées aux groupes en matière de rachat des chaînes de la TNT et au manque d’incitations à l’intégration verticale indispensable au financement de programmes de flux, qui contribuent également au dynamisme de la création française.

Le texte initial ne traitait pas non plus, hélas ! des difficultés d’un secteur radiophonique en crise structurelle, alors que nous célébrons les cent ans de ce média et les quarante ans de la libération de la bande FM. Nous aurions pu intégrer à nos discussions la question du régime des mentions légales ou des quotas. En effet, le développement des plateformes de streaming audio, qui échappent à cette régulation, devra nous conduire tôt ou tard à répondre à un dilemme fondamental : étendre ces quotas au service de musique à la demande ou réviser les trois régimes existants. Nous savons que l’enchevêtrement des critères bride parfois la liberté éditoriale des professionnels.

Le texte initial ne traitait pas non plus, hélas ! de la modernisation d’une TNT que nous savons économique, écologique et surtout vectrice d’un maillage territorial indispensable à l’égalité devant l’offre audiovisuelle.

En somme, nous débattons principalement d’une loi antipiratage, dont la mesure phare demeure la création de l’Arcom. Sur ce point aussi, pourquoi ne pas être allée plus loin, madame la ministre, en vous inspirant du modèle britannique et de son puissant office des communications ? Je rappelle que, chez nos voisins, qui ont eu plus de dix ans d’avance sur la directive SMA, ce sont cinq entités fusionnées et des capacités d’enquête qui garantissent l’effectivité des missions de cette super-autorité de contrôle.

Madame la ministre, c’est avec la saine exigence qui caractérise cette assemblée, son esprit d’ouverture et sa technicité que nous saluons les intuitions d’un texte dont le cadre nous apparaît toutefois trop restreint. Permettez-moi de citer l’un de vos illustres prédécesseurs pour vous dire notre bienveillante déception et l’esprit constructif qui nous guide, sous l’impulsion du rapporteur Hugonet. Ainsi que l’écrivait Maurice Druon, « la critique nous est profitable, quand elle nous aide à travailler dans le sens de l’amélioration ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)