M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons arrive à la fin d’un quinquennat que certains ont d’ores et déjà qualifié de « quinquennat du malaise » des élus locaux, exprimant ainsi leur colère à l’égard du Gouvernement et de la majorité présidentielle. Souvenons-nous de la suppression des emplois aidés lors des premières semaines et, quelques mois plus tard, des contrats dits « de Cahors », qui ont illustré les difficultés des élus locaux à être entendus et à voir leur rôle reconnu par le Gouvernement, comme ce fut le cas tout au long des différentes crises qui ont suivi.

Vous l’avez dit, madame la ministre, l’objectif de ce texte n’est pas de tout bouleverser, car il existe une aspiration à une véritable pause institutionnelle, mais, entre détricoter et ne rien tricoter, il y a une marge.

Nous nous trouvons dans une situation héritée de la décennie précédente. Quelques collectivités territoriales sont effectivement devenues plus fortes, plus puissantes, plus compétitives, mais beaucoup d’autres ont besoin d’un accompagnement renforcé pour pouvoir satisfaire les besoins de leur population.

Cela a été dit, ce sera bientôt la date anniversaire des quarante ans de la décentralisation, laquelle visait à renforcer la démocratie tout en consolidant et en développant les libertés locales, en rapprochant la prise de décision publique de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Or, j’y insiste, depuis dix ans, principalement avec les lois Maptam, NOTRe ou celle sur la fusion des régions, à la place du renforcement des collectivités locales, de la clarification et de la simplification auxquels nous aspirions, nous avons assisté à une rigidification et à une incapacité à innover territorialement. Je veux le dire ici à celles et ceux qui défendront bientôt, lors de l’examen des premiers articles, la différenciation : si l’on continue en ce sens, seules quelques collectivités territoriales pourront réellement choisir demain de se différencier, quand beaucoup d’autres devront continuer à subir.

Depuis le dépôt de ce projet de loi, un phénomène nouveau est advenu : les élections départementales et régionales, avec – j’oserai le dire – la victoire de l’abstention, qui est de plus en plus forte, élection après élection. Certains ont parlé d’une « grève des urnes », mais ce n’est pas une fatalité. Cette abstention nous invite, y compris au travers de ce projet de loi, à repenser le pacte républicain et à en assurer l’efficacité, avec une volonté de renforcer les libertés locales dans l’esprit des lois de décentralisation. Mais ces libertés locales ne peuvent pas prendre toute leur place si elles ne s’inscrivent pas dans le cadre de l’égalité républicaine.

Vous nous parlez de simplification. Oui, elle est possible ! La clause générale de compétence était une mesure de grande simplification, mais elle a été retirée aux départements et aux régions. La possibilité pour les communes de gérer la compétence « eau et assainissement » serait une garantie de simplification efficace et immédiate. Nous attendrons donc de voir les suites qui seront données aux prises de position du Sénat.

Vous nous parlez de déconcentration, qui est le corollaire inévitable de la décentralisation. Oui, il y a besoin non pas d’un État censeur, mais d’une présence de l’État pour accompagner, faciliter la prise de décision ! Oui, il y a besoin de davantage de services publics !

Ce n’est pas simplement en renforçant le rôle du préfet de département que l’on répondra à ce besoin de « plus d’État » pour accompagner nos collègues élus, notamment en matière d’ingénierie financière. Ce ne sont pas non plus les maisons France Services, qui finiront par rassembler le peu de services publics encore présents dans les territoires, qui répondront à ce besoin de proximité et d’incarnation de la République, quel que soit le lieu où l’on habite. C’est évidemment avec plus d’agents dans les préfectures et dans les sous-préfectures que l’on y parviendra. Je tiens d’ailleurs à saluer ces agents, qui, lors de l’entre-deux-tours des dernières élections, ont tenté fortement et sans compter leurs heures d’enrayer la catastrophe liée à la diffusion de la propagande électorale.

En l’état, la différenciation renforcera inévitablement ceux qui ont des moyens – les métropoles et les grandes régions – alors que, pour développer la proximité, il faudrait au contraire affermir le triptyque formé par la commune, le département et la région.

Madame la ministre, face à ces enjeux, votre texte, que certains ont qualifié « de fourre-tout » – je reprendrai cette expression à mon compte, tant la diversité des articles nous empêche d’en voir la cohérence –, répond par une logique libérale, laquelle vise à détruire davantage encore l’équilibre que, dans notre histoire, par-delà nos appartenances politiques, nous avons toujours cherché à renforcer. Cet équilibre procède, d’une part, de la res publica romaine, le domaine commun, la chose publique qui appartient à tous, et, d’autre part, de la dêmokratia grecque, la capacité du peuple et des territoires à commander.

Vous l’aurez compris, le groupe CRCE se place dans une tout autre logique, celle de la construction d’une République demeurant décentralisée, garantissant les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Il sera constructif au cours des nombreux jours de débat, convaincu que la discussion se poursuivra et que ce projet de loi de fin de mandat aboutira d’ici à la fin du quinquennat.

Nous resterons constructifs, au travers des différents amendements que nous avons déposés, parce que, s’il faut garantir les missions régaliennes de l’État, il faut également renforcer les libertés locales, lesquelles ne sauraient s’opposer à l’égalité de tous ni justifier la destruction des services publics qui incarnent, in fine, la fraternité républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. Philippe Bas. Madame la ministre, il faut bien le dire, le texte que vous nous présentez est un peu rébarbatif. (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est d’ailleurs difficile d’avoir une discussion générale sur un texte ne comportant que des mesures particulières ; à force de ne pas vouloir de grande réforme, on finit par en faire de trop petites, qui se limitent à des réglages techniques et à des ajustements juridiques, sans véritable ligne directrice.

Je m’adresse à vous avec respect, non seulement pour votre personne, mais aussi pour votre travail. Ne prenez donc pas ce reproche pour vous, car nous savons bien que vous êtes allée le plus loin possible dans ce que vous pouviez faire, tout en respectant le cadre étroit qui vous était fixé par le Président de la République et le Premier ministre. C’est peut-être là que réside finalement tout le problème…

L’état des lieux de la décentralisation est sombre – cela ne date pas de l’élection de M. Macron –, mais ce n’est pas avec ce texte que l’horizon va s’éclaircir.

Le Sénat avait fait au Président de la République et au Gouvernement 50 propositions ; les voici ! (Lorateur brandit le document.) Elles ont été ignorées ; pourtant, le Président de la République et le Premier ministre les ont reçues le 2 juillet 2020, comme vous-même, madame la ministre.

Voilà quarante ans, les Français ont voulu mettre fin au centralisme, mais, au fil des décennies, les administrations de l’État n’ont eu de cesse que de récupérer leurs pouvoirs, en multipliant les normes (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.),…

M. Philippe Pemezec. C’est scandaleux !

M. Philippe Bas. … en organisant la dépendance financière des collectivités, en bouleversant la structure de celles-ci et en éloignant les principaux centres de décision des territoires.

Aucune décision n’est parvenue à donner un véritable coup d’arrêt à cette frénésie centralisatrice, y compris la révision de la Constitution voulue par Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, qui proclamait, en 2003, l’« organisation […] décentralisée » de la République.

Aujourd’hui, les collectivités territoriales sont tenues la bride courte, les maires sont parfois traités comme des subordonnés, à qui on adresse des instructions, les ressources propres des collectivités se sont réduites, au fil des années – particulièrement des dix dernières –, comme une peau de chagrin. Même l’État « local » est devenu plus rigide, en étant atteint dans son autorité, son unité, sa proximité et ses moyens d’action.

Vous venez pourtant nous parler de décentralisation.

M. Philippe Pemezec. Et de simplification !

M. Philippe Bas. Il fallait oser !

Eh bien, parlons-en puisque vous le souhaitez !

Au chapitre de la décentralisation, je constate que vous ne consacrez pas, comme nous le demandions, le pouvoir réglementaire des collectivités. Je vois également que, en matière d’urbanisme, avec le projet de loi Climat, vous restreignez toutes les capacités des élus à planifier les constructions dans leur ressort. Cela porte en germe la révolte – je vous le dis solennellement – des habitants et des élus de nos territoires.

En matière d’emploi, vous refusez la cohérence qui s’impose entre formation, emploi et action économique. Cette cohérence, vous l’instaurez pour la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, mais pas question de la transposer à l’échelon local, sous l’autorité des présidents de région !

Dans le secteur de la santé, vous voulez vous défausser de vos responsabilités en matière d’investissement hospitalier sur les collectivités, tout en refusant toute décentralisation du pouvoir au soin des autorités régionales de santé.

En matière sociale, vous avez, comme vos prédécesseurs, fait des départements les guichets des politiques nationales ; ces collectivités sont de plus en plus dépourvues de toute marge de manœuvre. Comment voulez-vous que la France avance, alors que se multiplient les entraves aux libertés locales, qui assèchent l’esprit d’initiative ?

Enfin, se pose malheureusement la question – sans doute la plus grave – de l’autonomie financière.

M. Philippe Bas. Qu’avez-vous fait pour la rétablir ? La réalité est là : à cet égard, vous n’avez cessé d’aggraver la situation. Le bricolage désastreux auquel le pouvoir actuel s’est livré, par la suppression progressive de la taxe d’habitation, remplacée par la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui encourt exactement les mêmes reproches quant à l’inadéquation de son assiette,…

M. Laurent Duplomb. Tout à fait !

M. Philippe Bas. … restera longtemps gravé dans la mémoire des élus. Les malheureux départements qui perdent une ressource fiscale sont maintenant placés dans une dépendance accrue à l’égard de l’État.

M. Laurent Duplomb. Totalement !

M. Philippe Bas. Certes, vous avez calculé justement les dotations de compensation, mais qui nous garantit que ce sera encore le cas à l’avenir ?

Les dotations de l’État, après avoir diminué de 30 % sous le précédent quinquennat, ont encore perdu 10 % de leur pouvoir financier, en raison du gel des dotations que vous avez imposé ; 10 % en cinq ans, c’est tout de même beaucoup, alors que nous avions déjà franchi, à la baisse, un plancher qui n’aurait jamais dû l’être.

On voit par ailleurs se multiplier des subventions affectées. Très bien, les élus sont contents, mais, voyez-vous, la subvention affectée à un projet négocié avec le préfet n’équivaut pas tout à fait au libre exercice de la faculté de décision des élus. Ceux-ci préfèrent financer leurs projets sur leurs propres ressources plutôt que de devoir tendre la main à l’État, lequel exige toujours, naturellement, des contreparties… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Si seulement la déconcentration était, quant à elle, plus fournie que la décentralisation ! Les territoires veulent des interlocuteurs qui s’engagent pour l’État, non des interlocuteurs demandant la permission à Paris, aux agences et aux services régionaux de l’État. La régionalisation des services de l’État et la multiplication des guichets d’agence à l’échelon régional constituent une forme insidieuse de recentralisation, par les ministères, de ce qui pourrait relever du pouvoir de décision du préfet.

Nous voulons – nous l’avons demandé dans notre rapport sur le plein exercice des libertés locales – que le préfet soit, même si la décision est instruite à l’échelon régional, l’autorité de décision de l’État dans le département. Cela nous paraît très important.

Pauvres préfets de département, peu à peu dépouillés de leurs responsabilités, alors qu’il serait si simple de les leur rendre ! Ce serait, pour les collectivités, un avantage considérable si les besoins qui émergent du terrain pouvaient être davantage pris en compte dans les décisions de l’administration, qui se réfugie maintenant – commodément, puisqu’elle est lointaine – derrière des normes auxquelles on ne peut jamais déroger.

M. Laurent Duplomb. Elle les interprète !

M. Philippe Bas. Puisque j’utilise ce vocable, je veux vous indiquer que nous avons également proposé de faciliter l’octroi, sous l’autorité du préfet, d’un certain nombre de dérogations, afin de permettre la réalisation de projets d’intérêt général. Je n’en vois pas trace dans ce texte.

Il y a aussi le chapitre de la différenciation, qui est réduite à la portion congrue ! Vous n’explorez pas toutes les possibilités ouvertes par l’excellent avis du Conseil d’État de décembre 2017 et, bien sûr, vous ne reprenez pas non plus la proposition du Sénat ; vous me direz que ce n’est pas le lieu, s’agissant de dispositions de nature constitutionnelle, mais que ne faites-vous pas cette révision constitutionnelle, vous qui les aimez tant ? (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il s’agirait de garantir constitutionnellement un droit à la différenciation, ce qui permettrait au législateur d’aller plus loin qu’on ne peut le faire actuellement.

Peut-être trouvera-t-on dans le « S » ajouté à la dernière minute – la simplification – un quelconque soulagement après un tel inventaire ?

M. Laurent Duplomb. Même pas !

M. Philippe Bas. Malheureusement, j’ai le regret de vous dire que, en ce qui me concerne, je n’ai pas ressenti ce soulagement. Cette dénomination m’a au contraire semblé n’avoir pu être utilisée que par antiphrase, par ironie, tant le projet que vous nous présentez est touffu, technique et protéiforme. Il eût été plus exact de parler de complexification…

Il faudrait donc beaucoup plus que ce texte pour remédier à ce mal français : l’étatisme. Un catalogue de mesures ne constitue pas ni ne peut inverser une politique. Nos rapporteurs, que je salue, ont eu bien du mérite d’essayer de donner consistance à ce texte. Si nous y parvenons ensemble, ce sera toujours ça de pris, mais il faudra une tout autre ambition pour remédier à la situation créée par deux quinquennats d’incompréhension des territoires. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les parlementaires se plaignent parfois de textes de circonstances ou de projets de loi examinés dans la précipitation, poussés par une actualité brûlante. Assurément, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’appartient pas à cette catégorie. Ce serait même plutôt l’inverse : voilà des mois que nous entendons parler du projet de loi 4D, devenu au dernier moment 3DS,…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Non !

M. Loïc Hervé. … des mois que les concertations avec les élus se multiplient.

Nous avons pu craindre, au printemps dernier, que le projet ne soit pas inscrit à l’ordre du jour, mais nous y voici enfin, en grande partie grâce à votre opiniâtreté, madame la ministre.

Ainsi, vous imaginez bien que, après une telle attente, nous espérons un grand texte pour les collectivités territoriales. Nous n’attendons pas un big-bang – ni les élus locaux ni nous n’en voulons, car les grandes régions, la loi Maptam et la loi NOTRe ont tellement bouleversé le paysage institutionnel local qu’il n’est pas question de se lancer dans un nouveau chamboule-tout –, car nos collectivités ont besoin de stabilité. Néanmoins, ce texte arrive à la fin d’un mandat présidentiel et, comme nombre d’élus, nous sommes assez déçus du résultat ; même le Conseil d’État n’a pas été tendre dans son avis sur votre texte…

Pourtant, en apparence, tous les ingrédients sont bien présents : un zeste de différenciation, un soupçon de décentralisation, une pincée de déconcentration… mais ça manque de simplification. Une lecture plus attentive des différents items fait apparaître une succession de mesures aux effets trop limités, même si tout n’est pas à jeter, tant s’en faut.

Ainsi, dans une période où se manifeste, de plus en plus bruyamment, la grève des isoloirs, il faut saluer l’initiative visant à encourager les nouvelles formes de participation à la vie politique locale, via l’abaissement des seuils de saisine directe par les citoyens de la collectivité de toute affaire relevant de sa compétence. Certaines compétences des collectivités sont par ailleurs renforcées dans des domaines variés : l’environnement, le logement ou encore la mobilité.

Toutefois, si le projet de loi étonne par son éclectisme, il déçoit par ce qu’il tait. En effet, pas un mot des finances locales ! Or il n’y a pas de pouvoir de décision sans réel pouvoir fiscal. Pusillanimité pour ne froisser personne ou tentative sincère de créer le consensus, au risque d’en décevoir beaucoup ? Quoi qu’il en soit, il est temps de développer de nouvelles solidarités financières vertueuses.

Que demandent les maires ? De la souplesse et de la proximité dans l’action publique ! Ce message a été entendu par notre commission des lois et par leurs rapporteurs, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, que je veux saluer et dont je tiens à souligner la qualité des travaux au nom du groupe UC. Nos deux collègues sont, depuis plusieurs années maintenant, les garants et les gardiens d’une « doctrine sénatoriale » sur le sujet, laquelle est régulièrement alimentée par les travaux de la commission des lois et de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, mais pas seulement : le nombre de commissions saisies pour avis sur ce texte démontre que ce texte touche une grande quantité de sujets.

Nous espérons, madame la ministre, que les nombreuses initiatives de la majorité sénatoriale au cours des deux prochaines semaines de débat ne resteront pas lettre morte.

Ainsi, le texte adopté par la commission prévoit de nouveaux transferts de compétences, tels que le transfert, aux régions, du service public de l’emploi ou encore le renforcement de la compétence de solidarité des départements.

En matière financière, je salue l’adoption de l’amendement sur la DSIL (dotation de soutien à l’investissement local), qui visait à reprendre une position que j’ai défendue avec constance, depuis plusieurs années, en tant que rapporteur pour avis de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». En vertu de ce dispositif, les subventions de l’État au titre de la DSIL sont principalement attribuées par le préfet de département et non par le préfet de région.

Je souhaite maintenant dire quelques mots du titre III du présent projet de loi.

Dans la lignée du rapport d’information de nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard sur l’évaluation de la loi SRU, la commission des affaires économiques a accompli un travail important sur ce texte.

Sur le fond, le groupe Union Centriste partage l’analyse de la commission, qui considère qu’il faut sortir de la dimension infantilisante de l’application de cette loi. Cela implique la suppression des sanctions contre-productives dont la Cour des comptes a démontré l’inutilité dans un rapport récent. Appauvrir les communes par des sanctions financières est une véritable erreur ; faisons-leur confiance, au contraire, en fléchant ces sommes vers le logement social sur le territoire, au moyen d’une consignation des pénalités de carence sous le contrôle du préfet.

Je veux dire un mot, enfin, sur un sujet qui empoisonne la vie de nombreux élus ces derniers temps, à savoir le risque juridique qui pèse sur les représentants d’une collectivité au sein d’une entreprise publique locale.

Depuis février dernier, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique recommande aux élus locaux de se déporter lorsque leur est soumise une décision relative à une SEM (société d’économie mixte) ou une SPL (société publique locale). La menace est sérieuse : on parle d’un risque de condamnation pénale pour prise illégale d’intérêts. Il s’agit d’un sujet en soi, qu’il conviendrait de résoudre au-delà de la simple question soulevée incidemment, car il y a de quoi effrayer de nombreux élus. Pourtant, en réalité, cette interprétation paraît « très éloignée de l’esprit de la loi », comme l’ont relevé nos rapporteurs.

Ainsi, afin d’apporter aux élus locaux la sécurité juridique indispensable à l’exercice serein de leur mandat, notre commission a adopté un amendement bienvenu. Celui-ci ne règle pas tout ; il nous restera à réfléchir, demain, à une rédaction renouvelée du délit de prise illégale d’intérêts, au sens de l’article 432-12 du code pénal. Le Sénat a déjà été force de proposition sur cette question par le passé. L’examen de la réforme de la justice à la rentrée nous permettra, je l’espère, d’avancer sur ce point.

Je ne peux passer sous silence, avant de conclure, le sujet du cumul des mandats, en particulier du cumul du mandat de parlementaire avec toute fonction exécutive locale. Nous sommes très nombreux à convenir que le législateur est allé trop loin, en privant le Parlement de notre pays de la présence, en son sein, de maires, notamment de communes rurales.

Il est regrettable que ce texte ne permette pas, là encore, d’introduire de la souplesse dans l’application d’une règle qui s’est finalement révélée néfaste pour la démocratie parlementaire. D’ailleurs, je crois que le Président de la République lui-même convient de cette difficulté qui se pose à notre démocratie parlementaire.

Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, nous avons ressenti une certaine déception à la lecture de la copie initiale du Gouvernement. Toutefois, celle que nos commissions ont rendue offre des perspectives beaucoup plus encourageantes.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Formidable !

M. Loïc Hervé. Je souhaite que les nombreuses heures de débat qui sont devant nous permettent d’aboutir à un texte plus ambitieux. Surtout, j’espère que le Gouvernement soutiendra cette ambition lorsque le texte sénatorial arrivera au Palais-Bourbon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plus d’un an de concertations et d’hésitations, d’atermoiements, sur l’inscription à l’ordre du jour de ce texte, nous entamons enfin l’examen du projet de loi 3DS. Ce texte devait traduire la vision qu’avait le chef de l’État de la République territoriale, en réponse notamment à la crise des « gilets jaunes », en s’inspirant du débat avec les maires, dont le Président de la République avait redécouvert l’utilité.

Las, comme l’a précédemment indiqué mon collègue Didier Marie, ce texte est une succession de mesures. Si c’était un animal, ce serait un invertébré… C’est, au bout du compte, la désillusion qui l’emporte, sur toutes les travées et chez les élus locaux. Par ailleurs, ce texte ne tire pas les conséquences de la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, il s’agit d’un texte « nid-de-poule » : il répare des choses de-ci, de-là, parfois à juste titre, parfois non, mais il ne trace aucun itinéraire, ne porte aucun souffle. Résultat : un nombre d’articles doublé et de nombreux amendements, en dépit des déclarations d’irrecevabilité, le tout à examiner dans un délai record, ce gouvernement ne voyant aucun intérêt à créer les conditions requises pour un examen serein des textes. Nous pouvons donc remercier les services du Sénat et les collaborateurs de groupe.

Pourtant, il y avait des propositions, émanant tant de la majorité sénatoriale que de notre groupe, auteur de la proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation.

Nous examinons un texte portant sur la différenciation. L’État français a réussi sa construction par la centralisation, mais cette réussite s’est traduite par la méfiance à l’égard des territoires, souvent considérés comme immatures. L’intitulé du titre I du présent projet de loi laissait augurer une petite révolution en la matière, mais celle-ci a été démentie par son contenu. C’est parce que le Gouvernement refuse d’assumer une véritable logique de différenciation que des difficultés demeurent, par exemple avec la compétence « eau et assainissement ». Ainsi, si l’annonce d’une différenciation marque l’amorce d’un changement de référentiel, l’exécutif se contente de faire la charité d’une parcelle de liberté en matière de pouvoir réglementaire…

L’article 1er bis a été opportunément introduit par les rapporteurs. Il représente, il faut le souligner, un changement de mentalité pour la majorité sénatoriale, qui s’était opposée à cette évolution, proposée par des parlementaires socialistes dans le cadre de l’examen du projet de loi NOTRe. Nous proposerons d’ajouter d’autres dispositions, afin de garantir une réponse de l’exécutif aux demandes d’adaptation législative et réglementaire des collectivités.

Nous serons en revanche en désaccord avec certaines évolutions proposées par la majorité sénatoriale, notamment celle, scandaleuse, qui consiste à autoriser les départements à poser une condition de patrimoine pour pouvoir bénéficier du RSA.

Nous serons également en désaccord avec le rétablissement de la notion d’intérêt communautaire pour des compétences qui constituent le cœur de l’intercommunalité ; cela n’a aucun sens. Les modifications apportées par la loi Engagement et proximité ainsi que la possibilité, que nous avons également proposée, de transférer des compétences facultatives à la carte suffisaient.

Nous aurions pu nous retrouver sur les dispositions concernant les CTAP, car il s’agit d’interterritorialité, mais votre approche est trop instrumentale, mes chers collègues, dans la mesure où elle repose sur des délégations de compétences. La rédaction initiale de cette disposition était floue, et, en ce qui concerne les délégations « ascendantes », l’accord des communes membres d’un EPCI nous semble indispensable.

En matière de décentralisation, les compétences transférées sont résiduelles et les modalités de transfert soulèvent des interrogations ; je pense par exemple aux routes nationales. Pour ce qui concerne la transition écologique, l’incompréhension domine, puisque nous sortons à peine de l’examen du projet de loi Climat, qui n’a même pas été promulgué. Quel est l’intérêt de cette méthode, madame la ministre ?

Malgré tout, nous défendrons quelques amendements, notamment pour sécuriser les droits des salariés lors du transfert des petites lignes ferroviaires ou pour faire avancer la question du fret ferroviaire. Nous sommes par ailleurs favorables – nous l’avions également proposé – au transfert aux régions du service public de l’emploi.

En matière de logement se pose encore la question de la quasi-concomitance des examens de ce texte et du projet de loi Climat. En outre, l’exécutif ne répond pas au problème principal, celui de la cherté du foncier et de la production de logements sociaux, qu’il a mise en péril depuis 2017. Ce sont la préservation et l’application de la loi SRU qui ont guidé nos propositions, la tentation de la droite de cet hémicycle étant de l’entailler…

La même tentation hante nos collègues à propos des questions de justice sociale, quand ils souhaitent contrôler davantage encore les bénéficiaires du RSA. Pour notre part, nous défendrons la lutte contre les non-recours aux prestations sociales.

La déconcentration consiste à optimiser les services territoriaux de l’État et à les faire mieux travailler avec les collectivités territoriales. Or le texte n’aborde pas réellement cette dimension. On y traite davantage de recentralisation dans les mains du préfet, notamment des compétences des agences de l’eau, disposition sévèrement critiquée par le Conseil national d’évaluation des normes et que nous proposons de supprimer.

Je ne m’étendrai pas sur France Services, grossière tentative de récupération de ce qui a été réalisé par les collectivités locales.

En matière de simplification, si certaines mesures peuvent sembler utiles, il s’agit plutôt – étonnamment – de complexification, si possible par voie d’ordonnances.

Face à tout cela, nous avons essayé de tenir une ligne, une gageure avec un texte aussi désarticulé. Cette ligne, c’est celle de l’option sociale et écologique dans une République des territoires, mais aussi celle de l’orientation démocratique et féministe.

J’en finirai avec un « D », qui nous manque cruellement, la grande absente du texte : la démocratie locale. Ce texte devait constituer, normalement, une réponse à l’éloignement démocratique. Nous avions déposé de multiples amendements visant à réparer ce manque, mais la plupart d’entre eux ont été déclarés irrecevables. Pour autant, il en reste quelques-uns : budget participatif, questions orales citoyennes, référendum local d’initiative partagée, rétablissement des conseils de développement, abaissement du seuil de signatures pour solliciter une consultation du public. Tout cela paraît mineur à la majorité,…