M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour commencer, comme l’a fait M. le rapporteur, je souhaite dire à quel point notre capacité collective – Assemblée nationale, Sénat et Gouvernement – à répondre vite et de manière adaptée à la situation spécifique des outre-mer est, au fond, la première des attentes de nos concitoyens. Il est clair que le pont sanitaire de plus de 2 000 soignants est sans précédent dans l’histoire récente. C’est ainsi, au-delà de l’action du Gouvernement, la solidarité de la Nation tout entière qui s’est exprimée pour montrer que, les outre-mer, c’est la République, c’est la France !

Lorsqu’une partie du territoire de la République, peu importe le nombre de kilomètres qui la sépare de Paris, subit un coup dur, nous savons y répondre en employant tous les moyens. Je parle bien évidemment des moyens qui sont à notre disposition, pas de ceux qui n’existent pas. En disant cela, je pense à un certain nombre de messages que j’ai pu lire sur les réseaux sociaux, qui, malheureusement, comme le président Malhuret l’a mentionné, contiennent suffisamment d’inepties ou de choses curieuses pour qu’il soit nécessaire d’y revenir. (Mme Catherine Conconne applaudit.)

Un certain nombre de questions précises m’ont été posées. Au moment où, malheureusement, le Parlement va de nouveau autoriser des restrictions de liberté, il est bien naturel que, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi et des fonctions de contrôle qui sont les siennes, j’y réponde. Je commencerai par les questions de Philippe Bas.

À Saint-Barthélemy, je m’engage à ce que le préfet délégué, sous l’autorité du préfet de la Guadeloupe, desserre, dans les meilleurs délais mais très progressivement, les mesures de freinage. Après dix-huit mois de crise, nous commençons à avoir quelques éléments de référence.

Je le disais dans mon intervention liminaire, la première difficulté est que les îles du nord s’appuient, d’un point de vue sanitaire, sur la Guadeloupe. Il ne s’agit pas de dépendance d’une île vis-à-vis d’une autre : quiconque ayant séjourné à Saint-Barthélemy comprend très bien qu’on ne va pas y construire un CHU… Il existe des capacités d’évacuation sanitaire entre les îles du nord et le territoire de la Guadeloupe. Malheureusement, quand on a un cluster à Saint-Barthélemy, cela peut représenter quinze ou vingt malades d’un seul coup.

Saint-Barthélemy est le premier territoire de la République à avoir été déconfiné. Nous y avions d’ailleurs expérimenté un certain nombre de mesures, notamment de jauge dans les hôtels et les restaurants. Cela a donné lieu à des opérations de contrôle assez significatives pour identifier celles et ceux qui ne jouaient pas le jeu. Grâce au retour d’expérience que nous avons réalisé avec Bruno Magras, président de la collectivité territoriale, nous disposons désormais de suffisamment d’informations pour réussir le déconfinement. Il s’agira de nous appuyer sur cette expérience, en nous adaptant, mais en privilégiant toujours les libertés. Je crois donc qu’on peut prendre l’engagement de rapidement desserrer certaines mesures.

À Mayotte – je salue la présence du sénateur Abdallah Hassani –, la situation est fragile et sous surveillance. Le préfet a annoncé les premières mesures de freinage. La vaccination y demeure timide. Je crains que, malheureusement, l’épidémie ne reprenne assez rapidement. Des clusters ont déjà été identifiés. Certes, la population est très jeune, mais elle est inégalement testée. (M. Abdallah Hassani opine.)

Je me suis rendu dans différents bangas il y a deux ou trois semaines. Il est évident que, dans ces habitats particulièrement insalubres, situation tout à fait unique dans la République, nous devons adapter notre politique d’« aller vers ». Notre vigilance est totale : on observe un début de tension à l’hôpital, tant pour les lits de médecine que de réanimation.

Avec le variant delta, la situation en Polynésie française le montre – je parle sous le contrôle de Lana Tetuanui et de Teva Rohfritsch –, les taux d’incidence s’envolent de manière spectaculaire en seulement quelques jours. C’est là qu’est la véritable différence avec le début de l’épidémie, où l’incidence augmentait très progressivement. C’est ce que nous avons vécu par exemple à Mayotte et en Guyane : cette pente très douce permettait alors d’agir graduellement.

La situation en Polynésie comme dans les Antilles nous a appris que les taux d’incidence peuvent augmenter chaque jour de 150 à 200 points. Les courbes de la Polynésie, de la Martinique ou de la Guadeloupe montrent qu’un taux d’incidence de 50 peut s’élever le lendemain à presque 300 et le surlendemain pratiquement à 600. Ces chiffres désorientent complètement la boussole que nous avions l’habitude de connaître. C’est un élément nouveau à prendre en compte, y compris par le législateur lorsqu’il examine les lois d’adaptation relatives aux mesures de restriction de liberté ou de freinage, ainsi qu’on les appelle, que le Gouvernement peut mettre en œuvre.

Je redoute à Mayotte une évolution extraordinairement exponentielle du taux d’incidence. Inversement, à La Réunion, les courbes descendent enfin, car la vaccination progresse. En Guyane – je m’exprime sous le contrôle du président Patient –, le plateau épidémique reste élevé, mais les courbes ne s’envolent pas ; la gestion de l’épidémie est très différenciée territorialement. La Guyane étant grande comme le Portugal, la circulation du virus sur le Maroni n’est pas la même qu’à Cayenne.

Cette situation est très difficile pour les ARS et les préfets, parce qu’à certains endroits du territoire les chiffres sont désormais exponentiels et évoluent à des vitesses très importantes. Le taux de tension des services de réanimation est l’autre variable qui permet au représentant de l’État, le cas échéant, de prendre ces mesures.

Concernant la Nouvelle-Calédonie, qu’il me soit permis de faire un point précis devant la Haute Assemblée, particulièrement attachée à ce territoire pour des raisons institutionnelles anciennes.

Ce territoire est exempt de covid depuis le début de la pandémie. Un premier confinement général et préventif a permis de conforter ce statut, quasiment unique sur la planète. Nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont pu vivre comme nous vivions avant, c’est-à-dire sans masque, sans mesures barrières, sans jauges.

Le blocage des frontières a permis d’éviter que ce virus ne pénètre dans l’archipel. Il a pourtant pénétré une première fois, il y a maintenant plusieurs mois de cela. Nous avions alors pu effectuer un tracing permettant l’isolement des premiers cas ayant partagé un même vol. Ces personnes ont dû respecter un confinement très dur, qui, de mémoire, a duré quinze jours ou trois semaines. Ce cluster ayant été identifié et isolé, la Nouvelle-Calédonie a pu retrouver son statut de territoire exempt de covid.

Depuis le début de cette semaine – c’est l’occasion pour moi d’indiquer devant le Parlement ce que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre –, la difficulté est que nous sommes confrontés pour la première fois à une multiplication particulièrement significative des cas. Ce matin, une cinquantaine de cas était annoncée. Ces cas sont diffus sur l’ensemble du territoire – ils se trouvent à Maré, à Lifou et à Nouméa –, mais, surtout, le tracing ne permet pas de faire un lien entre eux.

Un confinement a bien sûr été décidé. Sans présager de votre vote, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous apprêtez, si j’en crois les propos tenus lors de la discussion générale, à nous doter de la base légale qui permettra de prendre des mesures. Nous sommes donc à la croisée des chemins en Nouvelle-Calédonie : un confinement dur permettra peut-être de retrouver ce statut exempt de covid – malheureusement, les chiffres peu encourageants de ce matin ne laissent guère envisager un tel scénario – ; un confinement moins dur permettrait de diminuer la circulation du virus, mais pas de retrouver un statut exempt de covid. C’est en fonction de cette décision qu’il nous faudra bâtir toute notre stratégie.

Le gouvernement et le congrès de Nouvelle-Calédonie ont opté pour la vaccination obligatoire de tous les citoyens majeurs. Je rappelle devant la Haute Assemblée que cette décision relève de la compétence des autorités du pays. De par les lois organiques et les dispositions de la Constitution, ni le Gouvernement ni le Parlement de la République ne sont compétents en la matière.

Cette vaccination obligatoire doit avoir lieu d’ici au 31 décembre pour l’ensemble de la population générale, certains métiers ou certains secteurs particuliers devant respecter des délais plus courts. Des débats sont en cours pour savoir si les autorités locales doivent ou non accélérer ce calendrier. Puisque le territoire connaît maintenant une circulation du virus et que les doses suffisantes sont disponibles, faut-il aller plus vite ?

Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie ont été les premiers territoires de la République à recevoir des livraisons de vaccins. Je crois que des demandes pour des livraisons d’AstraZeneca émanent du territoire, afin d’offrir le choix – pardonnez-moi cette expression – entre les différents vaccins. Nous allons y donner suite pour que les autorités sanitaires locales ne manquent de rien.

Se posera la question de la vaccination des voyageurs qui arrivent en Nouvelle-Calédonie – vous m’avez interpellé sur ce sujet. Avant l’existence du vaccin, un voyageur qui entrait en Nouvelle-Calédonie devait s’acquitter – j’en sais quelque chose (Sourires.) – de quatorze jours de privation de liberté, une mise à l’isolement incroyablement stricte sur un territoire de la République. Le gouvernement local avait décidé de modalités – surveillance dans un hôtel, prise de température deux fois par jour, protocole sanitaire précédant et suivant l’isolement – créant en clair un véritable sas, une frontière quasiment fermée.

L’apparition de la vaccination a permis de mettre en place un système différencié : maintien de la quatorzaine pour les personnes ne disposant pas d’un schéma vaccinal complet, contre sept jours, désormais, pour les personnes disposant d’un schéma vaccinal complet ; septaine que je m’apprête à observer au mois d’octobre prochain, car je retourne en Nouvelle-Calédonie.

Faut-il rendre obligatoire la vaccination de tous les voyageurs entrant en Nouvelle-Calédonie, par cohérence avec la décision des autorités locales de rendre la vaccination obligatoire pour l’ensemble de la population générale ? Pour le coup – c’est une subtilité –, il s’agit d’une compétence de l’État, puisque cette mesure est relative à la circulation des voyageurs. Le Gouvernement peut donc prendre une telle décision par décret. J’y suis prêt, moyennant toutefois un certain nombre d’échanges avec les autorités locales.

La vaccination obligatoire, si elle a été décidée par ces autorités, ne fait pas l’unanimité pour autant. J’ai suffisamment entendu les appels à la conviction et au dialogue pour qu’un tel dialogue ait lieu en Nouvelle-Calédonie. Il faut également être attentif au calendrier. Ce n’est pas tout de rendre obligatoire la vaccination pour les voyageurs qui pénétreraient sur le territoire. Une telle mesure doit être prise en fonction du calendrier que le pays va adopter définitivement concernant sa stratégie vaccinale.

Quelques éléments de coordination avec les autorités locales s’imposent. Je n’y vois pas d’objection, mais je répondrai à la sénatrice Lana Tetuanui que le partage des compétences nous conduit, avec beaucoup de bon sens, à entendre le point de vue de l’autorité locale compétente en vertu de la loi organique ou de la Constitution de la République pour faire en sorte que les choses s’harmonisent. Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de sujet majeur du côté du Gouvernement.

J’en viens à Saint-Martin et Sint Maarten, territoires au sujet desquels j’ai été interpellé par Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et par Philippe Bas.

Soyons bien clairs, une coordination a lieu en permanence à l’échelle locale entre le préfet délégué et les autorités de Sint Maarten. Pour être honnête, je me dois de dire que, si les différentes interventions de la République, de l’État, des autorités diplomatiques vis-à-vis du royaume batave produisent des effets, Sint Maarten est un territoire très décentralisé et très déconcentré. Mes interlocuteurs et mes homologues ministres m’expliquent souvent que tout est local et que, dans la plupart des cas, ce sont non pas les interventions d’État à État qui permettent d’assurer cette coordination, mais les initiatives locales. Je ne peux pas donner d’instructions à des territoires qui ne sont pas français. Cela serait très inamical et pourrait créer un incident majeur.

Il est clair que nous coordonnons tout ce que nous pouvons coordonner, jusqu’au moment où les autorités de l’autre côté de la frontière ne souhaitent pas le faire ou ne veulent pas s’aligner sur ce que nous proposons. Nous faisons à chaque fois en sorte de nous aligner, jusqu’au moment où nous considérons que l’abaissement du standard sanitaire va trop loin pour nos concitoyens. Sur ces sujets très précis, madame la sénatrice Petrus, je demeure évidemment à votre entière disposition.

Monsieur le sénateur Benarroche, comparer la progression de la vaccination dans les outre-mer et en métropole me semble un mauvais critère pour parler d’un abandon des outre-mer. Je répondrai également au ministre Lurel sur la question de l’offre de soins en outre-mer, qui doit être regardée en face, sans démagogie aucune.

Je le redis, les stocks de vaccins sont là, en nombre, et ils sont arrivés en général très tôt. Dans un autre territoire que je connais bien, l’Eure, les doses de vaccins sont arrivées bien après celles des territoires d’outre-mer. Je ne veux pas comparer ces deux situations : nous avons fait un choix de bon sens en commençant par les territoires de la République les plus éloignés, pour les doter tout de suite en super-congélateurs et, donc, de stocks suffisants.

Si l’État peut être critiqué ou critiquable en tout, il n’est pas vrai que les chiffres de la vaccination sont le marqueur d’un abandon des territoires d’outre-mer. Il y a des bras pour vacciner, il y a des vaccins, mais, ce qui nous manque – nous y reviendrons, car c’est un problème plus global –, ce sont des bras à vacciner.

Vous êtes nombreux à avoir abordé le problème des retards en matière d’offre de soins, publique ou privée. Regardons les choses en face : il y a eu un abandon, ou du moins un retard ou un recul des investissements concernant le système de soins en outre-mer – la mission commune d’information, dont Roger Karoutchi est rapporteur, se penchera sans doute sur le sujet. C’est une absolue évidence, et le problème ne date pas d’hier. Les 2,4 milliards d’euros qui ont été alloués à la suite du Ségur de la santé paraissent à la fois beaucoup et dérisoires au regard des deuils dus à la situation sanitaire.

En tant qu’élus, s’il nous appartient de gérer les situations, nous devons aussi avoir une approche humaine. Il nous faut reprendre le chemin de stratégies hospitalières et de santé publique beaucoup plus adaptées aux territoires d’outre-mer. Une agence régionale de santé a-t-elle vocation à fonctionner de la même manière dans un territoire monodépartemental tel qu’une île et dans une région hexagonale ? La réponse de bon sens est non.

Il s’agirait de réelles avancées sur lesquelles, si vous en êtes d’accord, le Gouvernement peut travailler avec le Sénat. En tout cas, nous mettons de l’argent sur la table : l’enjeu tient ensuite dans l’art d’exécution et les délais.

Le CHU de Pointe-à-Pitre est un symbole. Il est en construction – le sénateur Théophile s’est suffisamment battu pour faire avancer ce dossier, comme M. Lurel dans ses anciennes fonctions de ministre des outre-mer. Malheureusement, il n’a pas pu être livré avant que la pandémie de covid n’arrive. Que voulez-vous que je vous dise ? Nous avons tous été des élus locaux. Il arrive de manquer de chance. La même pandémie avec un CHU tout neuf aurait été tout autrement gérée par nos personnels soignants. Il faut voir l’état actuel du CHU de Pointe-à-Pitre ! Nous y reviendrons longuement, mais ce sujet est absolument majeur.

Madame la présidente Assassi, il existe effectivement des comités qui permettent aux autorités sanitaires, d’une part, et aux préfets, d’autre part, d’associer le monde médical, public comme privé – y compris d’ailleurs les pharmaciens, qui ont un rôle encore plus particulier en outre-mer que dans l’Hexagone –, et l’ensemble des élus locaux. J’ai entendu à l’Assemblée nationale la même demande de les voir renforcés.

Pour éviter que des gens ne se sentent mis de côté, nous pouvons, sans qu’il soit besoin de passer par la loi, donner instruction aux préfets d’indiquer qui est invité à ces comités, voire de rendre publiques les listes d’émargement. Parfois, ceux qui râlent et m’expliquent qu’ils ne sont au courant de rien sont les mêmes qui ne participent pas à ces réunions. Je n’accuse personne ; seulement, il faut encourager les gens qui travaillent et souligner que beaucoup participent à ces réunions. Le contrôle démocratique s’exercera ensuite comme il se doit. Quoi qu’il en soit, je me tiens à votre disposition pour avancer sur le sujet.

Madame la sénatrice Lana Tetuanui, nous avons tous partagé votre émotion, comme celle de Teva Rohfritsch. Tant qu’on n’est pas allé en Polynésie française, on ne peut avoir conscience de l’échelle. Si la Guyane est grande comme le Portugal, la Polynésie française est grande comme l’Europe tout entière : en raison de l’importance de l’éloignement, la circulation d’un virus aussi violent dans les archipels provoque évidemment un sentiment d’isolement et d’abandon.

Il faut aussi adopter une approche particulièrement humaine et prendre en compte l’aspect culturel. En effet, dans l’histoire des peuples polynésiens et mélanésiens, les épidémies occupent une place tout à fait singulière. Dans la mémoire de ces peuples premiers, ces épidémies réveillent des choses beaucoup plus profondes et douloureuses qu’on ne le croit. Il me semble important de le dire, car la manière dont cela s’est passé est extraordinairement violente pour tout un chacun.

La vaccination est évidemment un sujet important, là comme ailleurs. Je vous remercie tous les deux d’avoir dit des choses très claires en la matière.

Comme je l’ai déjà dit, je me suis senti un peu seul sur ce sujet au mois de mai lors de mon déplacement, qui a précédé le déplacement présidentiel. Je ne dis pas cela vis-à-vis de vous, car vous étiez bien là, de même que les autorités du pays. Certains ne nous ont pas crus, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons. Reste que je passais des messages en boucle sur la vaccination, avec le sentiment d’être quelque peu isolé.

Vous m’avez interpellé sur trois points.

Le dispositif permettant au pays de recourir à l’automatisation du système d’information, prévu dans une loi précédente, n’a été étendu ni à la Polynésie ni à la Nouvelle-Calédonie. Le rapporteur Bas m’a également interpellé sur ce sujet. Je m’engage à ce qu’une ordonnance soit prise sur le fondement de l’article 74-1 afin de répondre aux attentes du territoire.

Concernant les questions financières, sachez que l’engagement pris par le Président de la République d’un second prêt accordé par l’AFD sera tenu. Le comité d’engagement de l’AFD sera amené à se prononcer dans ce sens, et l’État apportera évidemment les garanties nécessaires.

La question de la documentation de certaines sommes complètement exceptionnelles dans la gestion de la crise sanitaire se posera ensuite. Je vous propose, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, de renvoyer cette question à une équipe technique, qui pourra y répondre en détail. Nous sommes seulement au début de l’automne budgétaire, et nous disposerons, chemin faisant, d’autres véhicules pour traiter cette question.

Enfin, se pose la question des compétences. Elle est très importante, car elle renvoie à la Nouvelle-Calédonie et intéresse l’ensemble des parlementaires qui se passionnent pour ces sujets.

Le statut d’autonomie a été imaginé, pour le dire très vite, selon l’idée qu’à l’État revenait le régalien, alors que les autres compétences étaient attribuées aux pays – globalement, aux collectivités d’outre-mer, notamment en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, même si la Nouvelle-Calédonie obéit à un autre régime, pour des questions institutionnelles bien connues. À l’époque, nous étions loin de nous douter que la gestion d’une crise due à une pandémie pourrait tout de même relever du domaine régalien.

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je le dis pour l’ensemble des sénatrices et des sénateurs : le statut sanitaire d’une Polynésienne ou d’un Polynésien relève de la compétence du pays ; mais la restriction d’une liberté individuelle relève des compétences de l’État, sur la base d’une loi de la République, sous le contrôle du juge – c’est ce que nous faisons depuis dix-huit mois. En clair, en Nouvelle-Calédonie, le pays décide de la mise en place d’une quatorzaine et de la manière dont elle se fait comme des modalités de la vaccination, mais la décision de placer quelqu’un à l’isolement est une mesure de privation de liberté qui reste donc de l’autorité du haut-commissaire. Une telle situation n’avait pas été imaginée, et pour cause : elle relève de l’extraordinaire !

Pour ces collectivités, comme le sait le président Larcher, la question est intéressante pour l’avenir : lors de catastrophes environnementales, qui peuvent malheureusement aussi survenir, ou lors de catastrophes sanitaires, comment fonctionne la répartition des compétences entre l’État et les collectivités ? Je n’ai aucun a priori sur la réponse à apporter, je le dis comme je le pense, mais cette question est importante.

Heureusement que le haut-commissaire et le président Fritch ont mené un dialogue permanent. La situation inverse aurait pu se présenter. En d’autres temps, d’autres formations politiques, peut-être plus indépendantistes, étaient à la tête de la Polynésie française, et le dialogue avec l’État était par définition plus difficile. Comment gère-t-on une crise lorsque personne ne se parle ?

Ni le législateur ni les exécutifs de l’époque n’avaient imaginé de tels cas de figure. Le Parlement peut se saisir d’une telle réflexion globale. Mathieu Darnaud en sait quelque chose pour avoir travaillé sur les statuts de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie.

En revanche, madame la sénatrice, il n’est pas exact de dire que l’état d’urgence sanitaire écrase les compétences de la Polynésie. En tant que pays, la Polynésie est, en droit, l’autorité compétente en matière de santé. (Mme Lana Tetuanui fait signe quelle en doute). L’état d’urgence sanitaire n’a pas modifié la répartition des compétences, qui relèvent de la loi organique.

De fait, quand l’État envoie des vaccins et autant de soignants, il participe aux mesures sanitaires et à la mission des soins avec vous. Même si vous ne l’avez pas exprimé ainsi, je précise, afin que cela figure dans le compte rendu, qu’il n’est pas juste de dire que l’état d’urgence sanitaire modifie la répartition des compétences. Nous devons réfléchir sur ce sujet, et, une fois de plus, j’y suis particulièrement ouvert.

Monsieur le ministre Lurel, vous avez dit que la parole de l’État suscitait la méfiance. L’ayant vous-même incarné quand vous étiez ministre, vous savez à quel point il est difficile de la porter aux Antilles. Vous avez raison, l’histoire explique beaucoup de choses. Pour m’être beaucoup mobilisé sur le scandale du chlordécone, je sais le poids de ce dossier. Mais il ne résume pas tout non plus, comme on l’entend trop souvent. Dans certains territoires d’outre-mer, comme la Polynésie, il n’y a pas eu de chlordécone, ce qui n’empêche pas la résistance à la vaccination de se développer. Surtout, la pandémie est mondiale, tout comme le vaccin. Il me semble donc difficile de voir dans le chlordécone la seule explication au fait que la vaccination n’avance pas, même si je sais que cet avis est difficile à défendre dans le cadre de cette réponse globale.

En revanche, vous avez raison, la parole de l’État suscite la méfiance. J’en arrive donc à la conclusion qu’il ne faut pas laisser l’État porter seul le message de la vaccination. (Mme Catherine Conconne applaudit.) Vous l’avez d’ailleurs vous-même relayé sur les réseaux sociaux dès le début, avec le courage et le tempérament qu’on vous connaît, ainsi que votre collègue Catherine Conconne. C’est l’éternel débat entre responsabilité collective et individuelle.

Beaucoup d’élus ont été pour le moins taiseux pendant cette période – je vous vois sourire derrière votre masque, monsieur le ministre Lurel, et j’en déduis que nous sommes d’accord… On voit bien aussi que certaines élites locales ont parfois été timides sur la vaccination. Le sénateur Rohfritsch a parlé du rôle des autorités religieuses, par exemple, mais nous ne sommes pas là pour distribuer les bons et les mauvais points.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ils n’ont pas été associés !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ils l’ont été, madame…

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai véritablement foi en ce ministère, et, le moment venu, je tiendrai à la disposition de tout un chacun les courriers, mails, SMS, coups de téléphone et agenda des rencontres avec les églises. Moi-même, je vous assure que j’ai mouillé la chemise comme jamais !

Je vous prie de croire que l’obligation de moyens a été largement remplie, même si le résultat n’est sans doute pas encore au rendez-vous. Quant à ceux, notamment les députés de la France insoumise, qui veulent changer la stratégie d’« aller vers », nous n’en sommes pas là… La sénatrice Conconne peut en parler, elle qui s’est mobilisée. On a malheureusement affaire à des groupes qui allient désinformation et récupération politique. Les réseaux sociaux, dans ces territoires insulaires, prennent aussi une part qui n’a rien à voir avec ce que l’on peut connaître dans l’Hexagone. Les explications sont multiples, mais, malheureusement, quand les choses sont mal parties, tout est ensuite plus compliqué. Je voulais le redire et répondre par cette occasion à Mme Conconne.

Monsieur le ministre Roger Karoutchi, vous avez raison, la question de l’après est essentielle. Je ne fais pas mon deuil de la vaccination à court et moyen terme. D’autres variants peuvent arriver, et plus la population sera protégée, plus on s’assurera que de nouvelles vagues ne produiront pas les mêmes effets. Nous devons donc collectivement continuer à porter le message de la vaccination, ce qui nous permet aussi d’ailleurs, dans cette coproduction du texte avec le Parlement, de sortir Saint-Pierre-et-Miquelon du statut d’état d’urgence sanitaire. Cela montre que la vaccination produit des effets, y compris dans le champ des libertés.

Ensuite, vous l’avez dit, le système de soins et de santé devra être mieux adapté, d’autant que l’argent est là. L’enjeu, c’est aussi d’avoir une bonne doctrine d’emploi de ces fonds. Il nous faudra également apporter des réponses sur la médecine de ville, la médecine libérale, le paramédical et les autres médecines. Celles-ci existent dans la culture ultramarine et antillaise, et le mépris que certains leur portent a aussi pu créer des affrontements inutiles.

Je l’ai dit publiquement : la réponse, c’est le vaccin. Il n’y en a pas d’autres. Ce n’est pas la peine de commencer à faire croire que telle herbe ou telle plante peut se substituer au vaccin. Mais il ne faut pas non plus se moquer des médecines traditionnelles, parce qu’on touche alors au cœur et à la culture de nos concitoyens d’outre-mer.

Enfin, il faut bien entendu s’interroger sur la réponse de l’hôpital public, avec la question des interdépendances par zones. Les Antilles ne sont pas le Pacifique ni l’océan Indien, qui disposent d’autres connexions avec l’Hexagone, pour les raisons que vous connaissez. Autant de sujets sur lesquels nous devrons évidemment nous pencher…

Pardonnez-moi, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été un peu long, mais je souhaitais apporter les réponses les plus précises possible à l’ensemble des questions qui m’ont été posées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. M. Pierre Louault applaudit également.)