Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Deux dispositifs sont à l’étude.

Le premier est un prix plafond pour tout le gaz consommé. Le second est un élargissement à toute l’Europe du dispositif qui a conduit à diviser par trois le prix de l’électricité en Espagne. Ce « dispositif ibérique » permet de plafonner le prix du gaz servant à produire de l’électricité. Il pourrait utilement servir de base à une mesure européenne.

En France, nous travaillons en parallèle à d’autres mécanismes pour ramener les prix à des niveaux raisonnables.

Plus largement, enfin, cette crise nous invite à réformer rapidement et en profondeur le marché européen de l’électricité. Nous devons trouver des solutions durables pour offrir aux Européens des prix raisonnables et proches des coûts de production, mais ne soyons pas naïfs : les années à venir seront difficiles, notamment en matière d’approvisionnement en gaz.

Toutes ces mesures sont donc essentielles pour que notre pays et l’Europe affrontent dans la durée la situation sur le front de l’énergie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous répondons avec force à l’urgence, nous devons aussi, dès maintenant, préparer notre avenir.

Nous le savons, les énergies fossiles provoquent des ravages sur la planète. Elles nous exposent à des fluctuations de prix majeures et sont une source de fragilité dans notre quête de souveraineté nationale et européenne. Cependant, comme nous en sommes dépendants dans notre quotidien, nous continuons à les consommer. Nous devons en sortir !

Nous voulons être la première grande nation industrielle à s’émanciper des énergies fossiles. C’est le cap fixé par le Président de la République, au début du mois de février dernier, à Belfort, avant même le commencement de la guerre.

C’est une question de souveraineté, car nous serons moins dépendants de l’approvisionnement d’autres pays et davantage maîtres des prix.

C’est un impératif climatique. Sortir des énergies fossiles, c’est le levier majeur pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

C’est une protection pour les ménages, les collectivités et les entreprises, à qui nous pourrons offrir des énergies propres et compétitives.

Pour atteindre cet objectif, il faut un plan, des moyens et des points de rendez-vous. Il faut la mobilisation de tous, car c’est de la responsabilité collective que vient le succès. Tel est le sens de la planification écologique dont j’ai la charge. Et c’est ainsi que nous construirons notre transition énergétique.

Pour réussir, notre stratégie repose sur trois piliers : la sobriété énergétique, d’abord ; une production d’électricité décarbonée, ensuite, autour du nucléaire et du renouvelable ; et enfin, le développement de nouveaux vecteurs énergétiques, comme l’hydrogène décarboné.

Le premier axe de notre stratégie, c’est la sobriété énergétique.

Avec les crises que nous traversons et l’appel du Président de la République en juillet dernier, la sobriété a fait son apparition dans le débat public.

La sobriété n’est pas le choix de la décroissance. C’est baisser un peu la température, décaler ses usages et éviter les consommations inutiles. Ce sont aussi des actions structurelles, comme la décarbonation de notre industrie, la rénovation énergétique massive de nos bâtiments ou encore le renouvellement de notre éclairage public.

Je pourrais égrener longuement les exemples, mais je me contenterai de répéter que la sobriété est efficace et source d’économie pour tous. État, collectivités, entreprises, particuliers, chacun doit prendre sa part et agir à la hauteur de ses moyens.

Sous l’égide de la ministre de la transition énergétique, des travaux ont été menés, secteur par secteur, pour identifier les économies d’énergie possibles sans impacter l’économie. Grâce à ce travail et à la mobilisation de tous, nous avons été en mesure de présenter, la semaine dernière, un plan de sobriété complet et ambitieux, qui permettra de réduire notre consommation énergétique de 10 % d’ici à deux ans.

J’entends certains se plaindre de l’absence de mesures coercitives. Ce plan est la preuve que la responsabilité collective marche. C’est notre meilleur chemin pour réussir. J’y crois pour notre transition énergétique et notre transition écologique. C’est ainsi que chacun pourra identifier les actions les plus efficaces et que nos décisions pourront emporter l’adhésion.

Je le répète, la sobriété ne s’arrêtera pas à la fin de l’hiver. Nous visons une baisse de notre consommation d’énergie de 40 % d’ici à 2050. La sobriété est une manière de penser et d’agir qui doit s’inscrire dans la durée. Ce plan est le point de départ d’un long chemin.

Le deuxième axe de notre stratégie, c’est le développement du nucléaire et du renouvelable.

Le rapport demandé par le Président de la République à RTE, et remis l’année dernière, nous a éclairés sur les différents scénarios possibles. Pour remplacer les énergies fossiles, même si nous consommerons moins d’énergie globalement, nous devrons produire plus d’électricité pour satisfaire nos nouveaux usages, notamment la mobilité électrique ou les chauffages plus performants. Concrètement, nous devrons être en mesure, en 2050, de produire jusqu’à 60 % d’électricité de plus qu’aujourd’hui.

Face à ce défi, beaucoup préconisent des solutions toutes faites. Certains ne jurent que par le nucléaire. D’autres, au contraire, voudraient fermer nos centrales et ne s’appuyer que sur les énergies renouvelables. Ce sont, au demeurant, parfois les mêmes qui s’opposent à la réalisation concrète des projets.

Nous, nous choisissons de suivre les experts, pas les idéologues. Nous cherchons ce qui est efficace pour notre production d’énergie, bon pour notre économie et protecteur pour la planète. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Vous êtes dans le brouillard !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. La crise actuelle nous montre l’urgence de la diversification. Elle prouve que nous ne devons pas être dépendants d’une seule ressource. Elle révèle que, dans les moments de tension, même les apports énergétiques que l’on peut juger faibles sont parfois décisifs.

Un mix diversifié est une chance, une protection. C’est pour cela que nous devons avancer sur deux jambes, renouvelable et nucléaire. Alors oui, nous allons développer massivement les énergies renouvelables. C’est un choix pragmatique, la seule manière de répondre à nos besoins immédiats, quand il faut quinze ans pour construire un réacteur nucléaire.

M. François Bonhomme. Une révélation !

M. Jean-François Husson. Vous avez perdu beaucoup de temps !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est un choix écologique, car décarboné.

C’est un choix économiquement rationnel, car la production d’électricité renouvelable permet désormais de dégager des recettes pour l’État. Alors que les moyens de production renouvelable coûtaient 6 milliards d’euros de subventions en 2021, ils rapporteront 10 milliards d’euros en 2022, qui seront intégralement redistribués aux consommateurs d’électricité.

C’est un choix de souveraineté, aussi, parce que nous allons continuer à investir dans les filières industrielles. Nos parcs éoliens en mer, comme celui de Saint-Nazaire, ont permis de construire en France une véritable filière.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Il en est de même pour le solaire. Je souhaite que nous puissions réinvestir pour installer en France et en Europe la production et l’assemblage des panneaux et développer une nouvelle génération de panneaux solaires.

Nous nous sommes donc fixé un objectif : doubler les capacités de production d’électricité renouvelable d’ici à 2030.

M. Franck Menonville. C’est impossible !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Nous avons donc décidé d’augmenter le rythme. D’ici à la fin du mois, vous examinerez un projet de loi qui permet d’accélérer le développement de ces énergies renouvelables. Notre objectif est de lever les obstacles administratifs et d’aller deux fois plus vite qu’aujourd’hui. Notre démarche devra naturellement s’inscrire dans le respect des riverains et de l’environnement. Nous miserons principalement sur le photovoltaïque et l’éolien en mer, mais, pour réussir, nous aurons aussi besoin de l’éolien terrestre.

Je connais votre attention à ce sujet, mais je connais aussi votre sens des responsabilités. Et je le dis devant vous, nous devons améliorer l’intégration dans les paysages et mieux planifier les installations pour rééquilibrer le développement de l’éolien sur le territoire et éviter l’implantation anarchique des parcs.

Enfin, nous allons aussi promouvoir l’hydroélectricité. Nous vous proposerons un nouveau cadre législatif qui permettra de relancer rapidement les investissements dans nos barrages sans passer par une remise en concurrence. (M. Olivier Cigolotti exprime son scepticisme dun mouvement de tête.)

En parallèle, nous allons moderniser notre parc nucléaire. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Notre premier défi, c’est le devenir des réacteurs existants. Nous prolongerons tous les réacteurs qui répondent à nos standards de sûreté.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est pourquoi EDF conduit actuellement les études nécessaires avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour identifier les réacteurs qui ne pourraient être prolongés au-delà de cinquante ans.

C’est la raison pour laquelle, conformément aux engagements du Président de la République, nous avons lancé un ambitieux programme de nouveaux réacteurs nucléaires.

Le premier volet de ce programme, c’est la construction de six réacteurs EPR 2 (European Pressurized Reactor), dont le premier doit être mis en service à l’horizon 2035.

Nous devons faciliter et accélérer le développement de ces projets, notamment en allégeant certaines procédures administratives. C’est le sens du projet de loi sur le nucléaire, qui sera présenté en conseil des ministres au début du mois de novembre prochain. Je connais la qualité et l’implication des salariés de la filière nucléaire. Je sais pouvoir compter sur eux. C’est de l’engagement et de la responsabilité de chacun que viendra notre réussite.

La deuxième étape de notre programme nucléaire consiste à étudier la construction de huit réacteurs supplémentaires. Nous devons notamment donner de la visibilité au secteur pour embaucher et former nos chercheurs, ingénieurs et techniciens de demain.

Enfin, le troisième volet de notre programme nucléaire, c’est l’innovation pour bâtir des réacteurs de nouvelle génération.

M. François Bonhomme. Le projet Astrid par exemple !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. La France a pris des engagements forts. Ainsi, avec France 2030, nous avons décidé d’investir 1 milliard d’euros dans le nucléaire du futur, notamment pour la construction d’un prototype de SMR (Small Modular Reactor) en moins de dix ans.

Le développement du nucléaire doit s’appuyer sur un pilotage rigoureux et un suivi précis.

C’est pourquoi nous avons choisi de reprendre le contrôle à 100 % d’EDF.

C’est pourquoi nous allons installer une délégation interministérielle pour le programme de « nouveau nucléaire ». Cette délégation sera conduite par l’ancien délégué général pour l’armement, Joël Barre. Son expertise en matière de direction de grands programmes sera précieuse pour garantir notre performance industrielle et le respect des délais.

C’est pourquoi, enfin, nous travaillons à nous doter d’une filière nucléaire plus intégrée et nous soutenons l’acquisition par EDF des activités nucléaires de General Electric. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, le troisième axe de notre stratégie, c’est l’investissement dans les vecteurs énergétiques d’avenir, notamment l’hydrogène, au service de la décarbonation de l’industrie, des transports et du bâtiment.

L’hydrogène allie transition énergétique et industrielle. Il permettra une décarbonation massive et efficace de notre économie, même dans les secteurs les plus consommateurs, comme la sidérurgie et les mobilités lourdes. Il fera émerger une nouvelle filière, avec 100 000 à 150 000 emplois durables à la clé. Il sera enfin un atout précieux pour notre souveraineté énergétique.

Nous voulons faire de la France le leader de l’hydrogène décarboné et nous nous en donnons les moyens. Via France Relance et France 2030, nous allons investir 9 milliards d’euros dans les prochaines années. Nous construirons une filière hydrogène complète sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Il y a quinze jours, dans l’Oise, j’ai annoncé un investissement de 2,1 milliards d’euros qui permettront de bâtir les dix premières gigafactories françaises.

J’insiste sur l’hydrogène, mais elle n’est pas la seule filière sur laquelle nous travaillons. La décarbonation de notre industrie, de nos services et de nos usages passera également par la biomasse, la géothermie, le biogaz et les biocarburants.

Nous le savons, certaines industries ne pourront pas tout électrifier et devront continuer à utiliser du gaz. Pour elles, le biogaz sera un levier précieux pour décarboner, mais celui-ci bénéficiera à notre économie et à nos territoires bien au-delà de l’industrie. C’est une chance pour nos agriculteurs, qui pourront y trouver une source de revenus complémentaires, tout en valorisant leurs déchets et en produisant des engrais naturels. C’est enfin une opportunité pour le développement économique de nos territoires ruraux, puisque cela créera des emplois locaux et non délocalisables.

Aussi, nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux pour la méthanisation. Nous les soutiendrons par des mesures législatives et réglementaires, afin d’en faciliter et d’en accélérer le déploiement.

Enfin, je voudrais dire un mot de l’agrivoltaïsme, qui – je le sais – suscite un grand intérêt, ici, au Sénat.

Il n’existe pas aujourd’hui de véritable cadre au développement du photovoltaïsme sur le foncier agricole et forestier, ce qui est un problème, car cela crée parfois une concurrence entre agriculture et production d’énergie. On relève aussi des abus qui nuisent à l’ensemble des filières. Cela suscite de l’inquiétude dans les territoires. Pour autant, il peut être une source de revenus supplémentaires et un moyen de faire baisser les dépenses des agriculteurs.

Je sais qu’une proposition de loi sur l’agrivoltaïsme est en cours de discussion dans cette chambre. Je souhaite que nous puissions travailler ensemble pour converger vers une définition commune. Notre objectif est d’établir un cadre adapté pour le développement de la filière sur le foncier agricole et forestier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour être réussie, notre transition énergétique doit être pensée et construite en Européens.

Nos économies sont interdépendantes et nos réseaux sont connectés les uns aux autres. Les nations européennes sont nos alliées, et nous partageons avec elles des défis et des valeurs. Notre souveraineté énergétique doit donc être européenne.

À Versailles, lors de la présidence française du Conseil européen, nous avons franchi un grand pas dans cette direction. Les Vingt-Sept se sont mis d’accord pour sortir au plus vite de notre dépendance aux hydrocarbures russes et pour accélérer notre sortie des énergies fossiles. Il s’agit d’une étape historique.

La sortie du charbon et du gaz se fera avec l’Europe. C’est ainsi que nous ferons baisser massivement notre empreinte carbone et que nous pourrons donner plus de moyens aux énergies décarbonées de demain. Ainsi, nous pourrons mieux résister aux chocs énergétiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je viens de vous présenter les grands traits de notre stratégie énergétique : le cap qu’a fixé le Président de la République depuis son discours de Belfort et que nous devons suivre pour aller vers la neutralité carbone et la souveraineté. De ce cap, qui suppose la mobilisation et la responsabilité de tous, nous allons débattre dans quelques instants.

Ce débat sera suivi d’action et d’effets, avec, au cours des prochaines semaines, l’examen de deux projets de loi, portant l’un sur le renouvelable et l’autre sur le nucléaire. En outre, après les concertations qui s’engagent sous l’égide de la Commission nationale du débat public, nous vous présenterons le projet de loi de programmation énergie-climat, cadre de notre programmation pluriannuelle de l’énergie.

Pour atteindre nos objectifs, nous devrons avancer avec méthode, en planifiant nos actions, en les inscrivant au plus près des territoires et en les concevant en Européens.

Enfin, je tiens à le souligner, cette transition énergétique sera radicale et rapide. Elle impose des changements dans nos manières de penser, de consommer et de produire.

Je veux conclure en partageant deux convictions avec vous.

Tout d’abord, la transition énergétique sera synonyme d’un meilleur niveau de vie. La sobriété et l’électrification changeront nos usages et notre quotidien, c’est vrai, mais ce sera pour le mieux, car elles nous protégeront des chocs énergétiques et des crises à venir et elles permettront de diminuer nos factures. En consommant moins, nous dépenserons moins, et je veillerai à ce que la transition énergétique soit une transition juste.

Ensuite, la transition énergétique sera source de croissance et créatrice d’emplois. Elle constituera un levier pour réorienter nos formations et nos compétences vers des secteurs d’avenir. La décarbonation et les rénovations créeront des emplois durables dans de nombreux secteurs, et la transition énergétique sera un soutien de notre réindustrialisation, avec de nouvelles filières françaises et européennes, par exemple pour le stockage d’énergie.

La transition énergétique est une nécessité et une chance. Nous devons pleinement la saisir et pleinement la mener. Nous y sommes résolus, en Français et en Européens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – MM. Pierre Louault et Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, un débat sur la politique énergétique, sans vote et à une heure tardive, est-ce à la hauteur des enjeux ?

Depuis l’été dernier, tout a été fait à l’envers. En juillet, on nous a demandé de délibérer sur le principe de la construction d’un terminal méthanier visant à stocker du gaz de schiste importé des États-Unis et sur la réouverture d’une centrale à charbon à Saint-Avold. Dans quelques jours, nous examinerons un texte sur les énergies renouvelables. Puis, d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, nous délibérerons sur un texte relatif à l’énergie nucléaire. Enfin, nous déterminerons une stratégie globale en nous prononçant sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui posera le cadre général.

Ainsi, tout aura été fait à l’envers et le Parlement aura dû examiner une stratégie à la découpe, sans en avoir de vision d’ensemble, en avançant dans le brouillard !

Vous proposez un débat pour éclairer les Français. Soit, mais, pour cet hiver, il est déjà trop tard, parce que les mauvaises décisions prises voilà quelques années risquent de susciter dans les mois qui viennent, même si je ne le souhaite pas, des coupures de courant qui étaient pourtant prévisibles.

Voilà presque deux ans, avant la crise ukrainienne, j’avais écrit un livre intitulé Aurons-nous encore de la lumière en hiver ? Si nous avions des coupures de courant dans quelques mois, ce ne serait donc pas la faute du covid-19 ni du tsar rouge ou de qui sais-je encore : ce serait le fait de vos propres décisions, madame la Première ministre, ainsi que de celles du Président de la République.

Il ne saurait y avoir de stratégie et de politique énergétiques sans un constat préalable. On ne peut apporter de remède sans partir d’un diagnostic. Or le constat est celui d’un échec et même, je le dis calmement, d’un Waterloo énergétique. (Tout à fait ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il faudra en effet nous expliquer comment un pays comme la France, grand producteur et exportateur d’énergie, notamment électrique, peut en arriver à manquer d’électricité.

Si les Français payent cher, dès maintenant, leur électricité, malgré tout l’argent public déversé et malgré le bouclier tarifaire, c’est parce que cette énergie est rare, car nous avons accompli un bond en arrière d’une trentaine d’années. Le niveau actuel de notre production équivaut à celui de 1990, alors qu’il y a des millions de Français en plus et que les nouveaux usages de notre économie feront de plus en plus appel à l’électricité.

Vous parliez d’EDF, madame la Première ministre. Voilà un fleuron national dont l’endettement atteindra sans doute 60 milliards d’euros et qui est totalement fragilisé, notamment par le mécanisme – ce n’est pas seulement à vous que nous le devons, d’ailleurs – de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), en vertu duquel il aura subventionné ses concurrents, lesquels, pour la plupart, ne produisent pas un watt d’électricité.

Votre projet pour EDF est plus une étatisation qu’une nationalisation. Selon moi, il eût pourtant mieux valu apporter de l’argent frais, c’est-à-dire recapitaliser l’entreprise, plutôt que la renationaliser. Vous renationalisez pour désintéresser les minoritaires, mais, si vous aviez utilisé l’argent de la renationalisation non à racheter les 16 % de parts détenues par des minoritaires, mais à accroître la force économique et la puissance financière d’EDF, cela aurait conforté cette entreprise.

La centrale de Flamanville constitue une blessure à la fierté nationale. Ce n’est pas votre faute, madame la Première ministre,…

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. J’espère bien !

M. Bruno Retailleau. … mais c’est une blessure à notre ambition. On devait l’ouvrir en 2012, et elle n’est toujours pas finie. Elle va coûter trois ou quatre fois plus que prévu et il aura fallu faire venir des ouvriers américains pour en faire les soudures… C’est une blessure pour la fierté française, et je suis sûr que vous partagez ce sentiment.

En outre, c’est une injustice pour les Français, qui devront payer les conséquences des inconséquences de la politique d’Emmanuel Macron. Et ce n’est pas la « politique de la doudoune » qui vous permettra de vous dédouaner de cette responsabilité. Ce n’est pas au président d’EDF que l’on doit la décision, en 2017, de fermer 14 réacteurs nucléaires : c’est au Président de la République. Ce n’est pas non plus au président d’EDF que l’on doit la signature du décret d’avril 2020, que vous avez cosigné avec le Premier ministre de l’époque.

Il faut que ceux qui ont pris les décisions soient mis en face de leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cet échec énergétique, quels en furent les ressorts ? Ces décisions ont-elles été fondées sur une véritable stratégie ? Je ne le crois pas. Elles ont le plus souvent reposé sur de la politique politicienne. Emmanuel Macron et ses gouvernements ont été en quelque sorte les exécuteurs testamentaires d’un accord passé entre Mme Duflot et Mme Aubry pour permettre l’accession au pouvoir de M. Hollande. Puis, est intervenue la politique de M. Macron, avec la nomination au Gouvernement de M. Hulot, éphémère ministre de l’écologie, qui a continué sur cette lancée. C’était bien de la politique politicienne ; ces décisions ne sont pas tombées du ciel.

Vous avez beaucoup parlé d’Europe, madame la Première ministre. Pour ma part, j’ai été scandalisé lorsque Emmanuel Macron a voulu justifier, voilà quelques semaines, la fermeture de la centrale de Fessenheim ; vous l’avez tous entendu, mes chers collègues.

Le Président de la République indiquait que cette centrale se trouvait tout près de la frontière avec l’Allemagne, qui avait choisi une autre politique – la fermeture des centrales nucléaires –, ce qui exigeait cette décision. Telle était exactement la justification invoquée, mes chers collègues – je vous invite à relire le verbatim de l’intervention du Président de la République !

M. Bruno Retailleau. Or c’est inacceptable !

Autre remarque sur l’Europe : quand on n’a pas de stratégie, la seule stratégie que l’on a, c’est celle des autres, c’est-à-dire celle de Bruxelles et, à l’arrière-plan, celle de l’Allemagne. Vous en appelez à la solidarité, mais croyez-vous vraiment que l’Allemagne fait montre, aujourd’hui comme hier, de solidarité en matière énergétique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.) Et je ne parle même pas des 200 milliards d’euros du bouclier énergétique !

M. Pierre Louault. Vous êtes antieuropéen !

M. Bruno Retailleau. Non, je suis Européen, justement !

Mme Patricia Schillinger. Bien sûr que non !

M. Bruno Retailleau. Jamais l’Allemagne n’a cessé de défendre ses intérêts et jamais la France n’a défendu les siens ! Voilà le problème, mes chers collègues.

L’Allemagne s’est mise dans la main de la Russie en achetant à bon marché le gaz de ce pays et elle a voulu exporter ses voitures vers la Chine. Ce faisant, elle a handicapé l’ensemble de l’Europe, et nous avons suivi, parce que nous croyions à la solidarité et au couple franco-allemand.

J’aimerais y croire, moi aussi, mais j’attends un certain nombre de garanties de nos amis allemands et de l’Europe. Ce que l’on demande à un Président de la République, qui n’est pas celui de la République fédérale d’Allemagne, c’est d’abord de défendre à Bruxelles les intérêts de la France et des Français ! C’est un point capital.

Maintenant, il faut une stratégie, donc une politique énergétique. Cette dernière, tout d’abord, doit avoir une constance et une cohérence. Elle ne peut s’accommoder du « en même temps », qui est tout sauf une boussole ou un cap.

Ensuite, il faut agir sur l’ensemble des leviers : premièrement, la production, c’est-à-dire l’offre ; deuxièmement, la demande, avec la sobriété ; troisièmement, la tarification, autrement dit les prix.

Commençons par les prix, puisque je critiquais la politique européenne. Souvenez-vous, madame la Première ministre, en juillet dernier, nous étions à la même place, vous au banc du Gouvernement et moi ici, à la tribune, répondant au discours de politique générale que vous veniez de prononcer. Je vous invitais alors à faire ce que l’Espagne et le Portugal venaient de faire. Vous nous le proposez aujourd’hui, mais en ayant perdu plus de trois mois ! La tarification européenne est stupide. Elle a avantagé l’Allemagne et elle dessert la France.

J’écoutais avant la séance le Président de la République, car, mes chers collègues, en plus de notre débat de ce soir, il y en a un autre à la télévision sur la stratégie énergétique de la France. Or le Président de la République expliquait qu’il faut évidemment décorréler le prix de l’électricité et celui du gaz. Mais il aurait fallu le faire plus tôt ! Il existait déjà des dispositifs nous permettant, à nous, Français, de reprendre la main. Hélas, on veut toujours favoriser la solidarité européenne et, ce faisant, on pèche par naïveté, car la solidarité suppose la réciprocité…

Nous vous demandons donc de découpler, une fois pour toutes, le prix de l’électricité de celui du gaz, madame la Première ministre.

Il faudra sans doute aller plus loin. Le groupe Les Républicains vous prie de revenir sur la suppression des tarifs réglementés, qui doit avoir lieu le 30 juin prochain. Un véritable bouclier ne doit pas consister simplement en un déversement d’argent public sur les ménages ou dans l’économie. Il y a des décisions à prendre. Or je n’ai pas entendu une seule intervention sur ces tarifs réglementés, alors que c’est fondamental.

De même, il faudra pousser EDF, une fois le pic tarifaire passé, à conclure des contrats de long terme avec ses clients. L’Europe s’y est souvent opposée au nom de la concurrence pure et parfaite, mais, au nom de ce principe, que de problèmes n’avons-nous pas connus dans les années 2000 et 2010 : démantèlement d’EDF, tarification du gaz, et j’en passe !

Je veux bien défendre la solidarité européenne, mais à condition qu’elle ne nous mène pas dans le mur, mes chers collègues ! Je ne suis pas naïf. Pour moi, construire l’Europe ne consiste pas, comme le disait le général de Gaulle, à sauter sur sa chaise comme un cabri. Pas du tout. Il s’agit de défendre les intérêts du pays et, en même temps du reste, ceux de l’Europe.