M. Alain Richard. Un autre « en même temps » ?…

M. Bruno Retailleau. J’en viens au sujet de la demande, avec la sobriété. Le col roulé, l’étendoir à linge tancarville et le télétravail, ce sont sans doute des leviers, mais tout cela ne constitue pas une politique.

Expliquez-moi comment nous avons pu, en vingt ans, régresser autant en matière de flexibilité de la demande et de sobriété. Voilà vingt ans, l’effacement pratiqué auprès des particuliers – je ne parle pas des entreprises – rapportait jusqu’à 6 gigawatts par an. Aujourd’hui, on est à 0,6. On a donc divisé l’ampleur de cette action par 10 !

Honnêtement, Tempo – j’en suis moi-même un usager –, cela ne fonctionne pas bien. Il faut donc, comme je le proposais, mettre en place un grand dispositif national d’effacement, rémunéré et volontaire de l’énergie. Où en êtes-vous sur ce sujet ? Il faut accorder ses volontés aux nouvelles technologies. Soyons modernes, madame la Première ministre !

Je terminerai en évoquant l’offre. Il faut produire davantage. Notre énergie doit présenter quatre caractéristiques : elle doit être abondante, décarbonée, pilotable et bon marché, car l’on ne réindustrialisera pas la France sans une énergie compétitive, un avantage que l’on a malheureusement abandonné.

Ainsi, il convient de réviser la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ; de déplafonner l’électricité nucléaire dans notre mix énergétique ; de prolonger les réacteurs nucléaires, si la sécurité le permet ; enfin, de donner de la visibilité à EDF. Je veux donc que vous vous engagiez ce soir à préserver l’unité d’EDF. De grâce, pas de projet Hercule ni de démantèlement sur dix ans. Et dites-le-nous franchement, vous nous rassurerez ! (Bravo ! sur les travées du groupe CRCE.)

En outre, écoutez les recommandations du rapport de Daniel Gremillet, car ce sont 14 et non 6 réacteurs qu’il faut lancer dès maintenant.

Les énergies renouvelables…

M. Bruno Retailleau. … ont leur rôle à jouer, bien évidemment, mais c’est un rôle d’appoint. En effet, l’Allemagne a montré que, quand on produit 40 % d’énergies renouvelables, on doit aussi investir dans l’énergie fossile. Or, nous, nous voulons une énergie décarbonée.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bruno Retailleau. L’énergie doit donc être pilotable et comporter une part d’énergies renouvelables, mais il faut savoir raison garder.

Je conclus en rappelant que, en 2017, celui qui vous a nommée, madame la Première ministre, avait eu un slogan : « Pensez printemps ». Après une crise sanitaire et une crise géopolitique, il semble découvrir maintenant que l’hiver existe aussi et qu’être souverain pèse… (Marques dimpatience sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Votre temps de parole est écoulé !

M. Didier Rambaud. C’est fini !

M. Bruno Retailleau. Ce que nous vivons, c’est ce que le progressisme a oublié : la souveraineté nationale est l’horizon indépassable des nations. Je souhaite donc que le Gouvernement reconstruise cette souveraineté énergétique, pour le pouvoir d’achat des Français et pour la réindustrialisation de notre pays. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la politique énergétique nationale exige cohérence, constance et résolution. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que, depuis trop longtemps, les gouvernements n’ont pas eu cette exigence pour notre pays.

Je ne développerai pas les tergiversations et les atermoiements du Président de la République en matière de politique nucléaire.

En revanche, alors qu’il nous faut actualiser rapidement la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l’énergie, vous nous présentez un projet de loi, nécessaire au demeurant, mais technique, centré sur les procédures. Quelle est votre logique ? Pourquoi ce saucissonnage, alors que les Français et leurs élus ont besoin de lisibilité et de partage des objectifs pour s’engager eux aussi dans la transition énergétique ?

Nous devons collectivement réussir une transition de civilisation, car c’est bien de cela qu’il s’agit, avec la fin de l’usage des énergies fossiles carbonées et la mise en œuvre de modèles de développement fondés sur la notion de durabilité, dans un cadre de justice sociale et d’équité.

Toutefois, cet impératif de long cours, beaucoup trop négligé jusqu’ici malgré de nombreuses alertes, doit être conjugué avec des réponses immédiates et financièrement accessibles aux besoins actuels des entreprises et de tous nos concitoyens. En effet, les Français doivent être soutenus davantage qu’ils ne le sont actuellement par les mesures que vous proposez, et ils ne comprennent pas que la France ne puisse pas les aider, comme l’Allemagne s’apprête à le faire pour son peuple, avec un plan de 200 milliards d’euros.

Sur les marchés de l’énergie, des mesures structurelles fortes doivent aussi être prises ; j’y reviendrai en fin de propos.

Au regard des enjeux climatiques et environnementaux, des techniques de production énergétique disponibles, de leurs impacts identifiés et de leurs coûts, des incertitudes et risques qu’elles présentent, le débat de ce soir doit prendre appui sur les données scientifiques et les études techniques dont nous disposons. C’est donc en m’appuyant sur le dernier rapport du Giec et sur l’étude de RTE sur les futurs énergétiques de la France à l’horizon de 2050 que je vous présenterai les analyses et les préconisations du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Selon nous, il faut réaffirmer le rôle majeur que le groupe EDF doit jouer, dans l’intérêt national ; nous vous questionnerons sur votre projet pour cette entreprise, qui sera d’ici peu publique à 100 %.

Mon groupe souhaite que vous nous disiez ce soir les hypothèses et les orientations que vous retenez pour engager sans tarder le pays vers le futur énergétique dont il a besoin, pour lui-même et à l’égard de ses partenaires européens et mondiaux.

Dans la perspective de la neutralité carbone à l’horizon de 2050, la future loi énergie-climat devra confirmer la trajectoire d’extinction des sources d’énergie carbonées. Cela signifie la fin du pétrole et des gaz d’origine fossile importés, donc la substitution de l’électricité et du gaz décarbonés à ces ressources.

D’après la SNBC, l’électricité doit représenter, à terme, 55 % de l’énergie finale consommée, contre 25 % aujourd’hui. Faites-vous vôtre cet objectif ou entendez-vous le réviser ? Et dans ce cas, à quel niveau ?

Dans le cadre de l’hypothèse d’une électricité représentant 55 % de l’énergie finale consommée, RTE propose six scénarios, du plus sobre, avec une production de 555 térawattheures, au plus élevé, avec 754 térawattheures, lié à une production d’hydrogène décarboné en grande quantité et à la réindustrialisation profonde de notre économie. L’électrification plus ou moins rapide des filières et des usages existants constitue un facteur déterminant de la production électrique nécessaire.

À partir de ces scénarios, quel mix de production électrique décarbonée entendez-vous proposer au Parlement lors de la mise à jour prochaine de la PPE en cours ? Les scénarios de RTE recouvrent en effet des choix très différents de politique industrielle, du « 50 % nucléaire » au « 100 % renouvelables ».

Le Président de la République a décidé voilà peu, après avoir fixé des orientations inverses il y a quelques années, de commander 6 réacteurs de type EPR 2 et de lancer des études pour 8 autres EPR 2 et des petits réacteurs modulaires SMR. EDF a engagé le programme de grand carénage, c’est-à-dire de prolongation des réacteurs nucléaires existants, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Faut-il comprendre, sur le fondement de ces décisions, que le Gouvernement s’engage résolument vers un mix électrique à 50 % d’énergies renouvelables et 50 % de nucléaire ? Je vous le demande, madame la Première ministre. Pouvez-vous nous dire, pour la clarté de notre débat et la compréhension de vos propositions, quels ont été les facteurs ayant conduit à ce choix ?

Selon mon groupe, le mix énergétique doit résulter d’une approche pragmatique, s’inscrivant bien entendu dans l’objectif zéro carbone de 2050.

En réalité, incertitudes et risques doivent être pris en compte dans les choix à opérer. Par exemple, au regard des difficultés rencontrées dans de nombreux territoires pour développer des projets éoliens, photovoltaïques ou de méthanisation, l’accélération du nombre de projets nécessaires aux scénarios à très forte proportion d’énergie renouvelable nous paraît de plus en plus problématique.

J’indique en outre qu’un scénario avec 100 % d’énergies renouvelables exigerait de multiplier par 21 la puissance installée en photovoltaïque et par 4 celle de l’éolien terrestre. Pour obtenir 100 gigawattheures d’électricité photovoltaïque supplémentaire, il faudra aller 10 fois plus vite. Ces rythmes sont très supérieurs à ce qu’ont fait nos partenaires européens les plus actifs depuis plus de dix ans. En sommes-nous capables ? Je vous pose la question…

Autre incertitude dans le domaine du nucléaire : l’affaiblissement de cette filière industrielle en France au cours des décennies passées ; je parle non pas de l’exploitation, mais de la construction. Les difficultés techniques rencontrées aujourd’hui soulèvent des interrogations quant à notre capacité à mener à bien les programmes de prolongation de la durée de vie des réacteurs existants ou de construction et de mise en service dans les temps impartis des nouveaux réacteurs annoncés.

L’analyse doit intégrer les coûts complets de réalisation, c’est-à-dire les coûts de production, d’acheminement et de flexibilité nécessaires au fonctionnement du réseau en toutes circonstances, l’impact environnemental des installations de production, notamment en ce qui concerne les sols. En outre, elle doit tenir compte de l’objectif – ni fait ni à faire ! – de zéro artificialisation nette des sols issu de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, mais également les émissions de gaz à effet de serre, en cycle de vie, des systèmes électriques envisageables.

Dans la perspective, hautement souhaitable, du renforcement de notre souveraineté énergétique, les risques liés aux approvisionnements, ainsi que l’existence de filières industrielles nationales, doivent être également intégrés. La question de l’emploi local, pour la construction, mais aussi et surtout pour l’exploitation, doit être prise en compte et orienter le choix de notre mix.

S’il fallait faire le choix d’un scénario parmi ceux qu’a proposés RTE, les critères d’évaluation que je viens d’évoquer nous amèneraient à faire le choix d’un mix à 50-50 : 50 % de nucléaire et 50 % d’énergies renouvelables.

Nous considérons cependant que la situation énergétique dans laquelle se trouve notre pays, indépendamment, je tiens à le souligner, des conséquences de la guerre en Ukraine, justifie que le Gouvernement pousse tous les curseurs dans le sens d’un développement accéléré de l’ensemble des modes de production d’énergie décarbonée.

Pour réussir la transition énergétique, en situation d’incertitude, voire de risque, comme je viens de le dire, il faut que nous nous donnions des marges en matière de puissance installée. Nous devons industrialiser les procédures de réalisation des projets, de la concertation publique à la mise en service.

Comment allez-vous, pour cela, mettre en ligne les acteurs, de l’État aux collectivités locales, en passant par les comités régionaux de l’énergie et les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), qui doivent être adaptés aux besoins ? Sur quels principes concrets votre planification repose-t-elle ?

À ce stade, le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, nécessaire, ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux et des difficultés rencontrées dans les territoires. Dans ce cadre, et pour que l’agriculture contribue à la production énergétique renouvelable française sans réduire sa fonction nourricière première, une définition de l’agrivoltaïsme devra être inscrite dans la loi, comme le Sénat s’apprête d’ailleurs à le faire. Nous souhaitons connaître la position du Gouvernement sur ce point.

Nous devons également aborder avec vous la question de l’avenir du groupe EDF, du projet que le Président de la République et le Gouvernement entendent donner à cette entreprise, dans un contexte énergétique pour le moins instable et qui ne date pas de la crise ukrainienne…

Dans les faits, et le départ du président-directeur général, Jean-Bernard Lévy, en atteste, le Président de la République et ses gouvernements, après avoir passé cinq ans à ne prendre aucune décision à la hauteur des enjeux, sont restés muets sur le rôle qu’ils entendent faire jouer à EDF, dont la situation actuelle est pourtant extrêmement difficile. Jamais, depuis sa création en 1946, cette grande entreprise nationale n’avait été autant affaiblie, faute d’un pilotage politique pertinent. C’est à se demander si tout cela n’était pas voulu !

De manière significative, l’ancien président de la Commission de régulation de l’énergie, qui est aujourd’hui membre de votre gouvernement, madame la Première ministre, indiquait lui-même : « Depuis dix ans, EDF a été la vache à lait de l’État ». Je précise que le personnel, qui est dévoué aux missions d’intérêt général de l’entreprise, n’y est pour rien ; la responsabilité est politique, exclusivement politique. Nous souhaitons que vous vous en expliquiez dans le cadre de ce débat.

Madame la Première ministre, pouvez-vous nous présenter les conséquences institutionnelles et juridiques de l’offre publique d’achat (OPA) que vous avez lancée ?

Le statut actuel de l’entreprise est-il amené à évoluer, par exemple vers un établissement public à caractère industriel et commercial (Épic) ? Quel rôle exact l’État actionnaire unique jouera-t-il ? Une OPA ne constitue pas un projet industriel. Quel est donc votre projet industriel, social et environnemental pour EDF ? Avez-vous, comme c’est hautement souhaitable, renoncé au découpage de l’entreprise ? Comment financerez-vous les investissements d’EDF nécessaires au grand carénage, aux énergies renouvelables et aux réseaux de distribution et de transport ?

Pouvez-vous nous expliquer comment et dans quel cadre juridique vous comptez financer le nouveau parc nucléaire commandé par le chef de l’État ? Ce financement sera-t-il réalisé dans le cadre du groupe EDF ou en dehors de celui-ci ? Quelle place entendez-vous donner à la production hydraulique ? Comment envisagez-vous de préserver dans la durée le caractère public de ce parc de production ?

Pour terminer, je voudrais aborder la dimension européenne du sujet.

Si le mix est une prérogative nationale des États membres, le marché de l’énergie est placé sous la responsabilité de l’Union européenne. Cette contradiction interne explique en grande partie les difficultés que rencontrent de nombreux consommateurs français et européens, et cela ne date pas de la crise ukrainienne !

Quelles propositions le gouvernement français va-t-il défendre auprès de la Commission européenne et de sa puissante direction générale de la concurrence pour que le marché et les prix payés par les consommateurs, particuliers et industriels, reflètent au plus près les coûts complets sur long terme des mix énergétiques nationaux ?

Nous souhaitons que les tarifs régulés de l’électricité perdurent et que ceux du gaz soient maintenus au-delà de la date de suppression annoncée.

Nous vous demandons de faire en sorte que les petits consommateurs obtiennent des prix stables dans le temps et que les chefs d’entreprise aient de la visibilité en matière de prix de l’énergie sur le moyen et le long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant que d’évoquer la politique énergétique de la France, il nous faut établir ce que nous sommes en droit d’attendre d’un système énergétique.

Je pense tout d’abord à la sécurité. Derrière ce concept, je vise surtout les questions d’approvisionnement, afin d’éviter délestages, rationnements et blackout.

La deuxième exigence, c’est le maintien de notre souveraineté. Notre système énergétique doit le moins possible dépendre de puissances étrangères, surtout quand elles sont potentiellement instables ou hostiles.

Enfin, troisième exigence, pour atténuer le changement climatique en cours, nous devons tendre vers la neutralité carbone.

À l’heure actuelle, force est de constater que notre système énergétique présente malheureusement des lacunes sur les trois tableaux. La plus visible aujourd’hui concerne l’insécurité d’approvisionnement, avec le spectre d’une pénurie d’énergie qui ressurgit. Pour l’électricité, cela tient notamment au vieillissement des centrales nucléaires. Quant au gaz, il fait désormais défaut aux Européens du fait de la guerre en Ukraine, même si la France en souffre moins que nombre de ses voisins.

Ces déficiences nous rendent dépendants de l’étranger, qu’il s’agisse de notre voisin allemand pour l’électricité en période de pointe ou bien de la Norvège et du Qatar pour le gaz.

Enfin, notre mix énergétique n’est pas assez décarboné, car plus de 60 % de nos besoins énergétiques sont encore satisfaits par du gaz et du pétrole. En cela, il est vrai que nous faisons mieux que bien d’autres pays. Mais c’est encore largement incompatible avec les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat. Il nous faut donc réformer notre système énergétique, à la fois pour répondre aux enjeux immédiats et pour garantir les générations futures.

À court terme, le Gouvernement semble avoir bien saisi les enjeux depuis plusieurs mois. Il était effectivement nécessaire de sécuriser l’approvisionnement en gaz de notre pays en trouvant de nouveaux fournisseurs, ce qui a permis de remplir nos stocks au maximum avant l’hiver.

À moyen terme, il faudrait toutefois envisager de produire ce gaz sur le sol national, par exemple avec la méthanisation.

De même, il fallait organiser la sobriété pour réduire les tensions sur notre système électrique. C’est l’intérêt du plan dévoilé jeudi dernier, rappelant que les efforts en la matière doivent concerner tout autant l’État et les entreprises que les particuliers et les collectivités locales.

Madame la Première ministre, je salue votre mobilisation constante et celle de votre gouvernement auprès de la Commission européenne, pour faire en sorte que celle-ci propose des solutions collectives aux États membres. C’est à ce niveau que les actions seront les plus efficaces en matière énergétique, car c’est à l’Union européenne de régler le problème central posé par cette crise : celui de la formation du prix de l’électricité.

Ce prix correspond au coût marginal du dernier opérateur connecté au réseau, c’est-à-dire, aujourd’hui, les centrales à gaz, dont le coût de production tire l’ensemble des prix vers le haut. Aussi faut-il découpler au plus vite le prix de l’électricité de celui du gaz.

Pour ce faire, deux voies existent : soit par le haut, soit par le bas. Par le haut, c’est-à-dire en créant un grand service européen de l’énergie, public et monopolistique. Hélas, cela relève actuellement de l’utopie. Nous n’arrivons déjà pas à nous mettre d’accord sur la taxonomie…

L’autre voie, la plus réaliste, est une sortie par le bas, c’est-à-dire une forme de renationalisation du système. C’est ce qu’ont fait l’Espagne et le Portugal avec l’aval de la Commission européenne. Ils ont ainsi le droit, durant un an, de déconnecter le prix du gaz de celui de l’électricité. De fait, cela leur réussit : à la fin du mois d’août dernier, le prix du mégawattheure s’élevait à 660 euros en France et en Allemagne et à 240 euros en Espagne et au Portugal.

Cette dérogation leur a été accordée pour deux raisons : une très faible interconnexion avec le reste de l’Europe et une électricité très décarbonée.

Symétriquement, cela signifie que l’on doit envisager la solution ibérique pour les pays européens dont l’électricité est déjà largement décarbonée, comme la France. Les choses ne peuvent en effet plus continuer ainsi : une fois nos centrales remises en ordre de marche, notre situation énergétique serait meilleure en faisant cavalier seul avec le monopole d’EDF, plutôt qu’en restant dans le marché de l’électricité communautaire.

Dans le même ordre d’idées, l’ouverture du marché de l’énergie n’a pas donné des résultats satisfaisants. Revenir sur cette réforme nous permettrait de supprimer cette absurdité qu’est l’Arenh. Ce dispositif a constitué une belle aubaine pour des opérateurs qui se sont comportés comme de simples négociants, engrangeant des profits sur l’argent du contribuable investi dans les centrales.

Il est temps désormais de cesser de considérer l’énergie comme une simple marchandise. Il faut la prendre pour ce qu’elle est réellement : un bien public de première nécessité. À ce titre, il convient de s’interroger sur la pertinence d’un éventuel retour aux tarifs réglementés de vente de l’électricité et même du gaz.

À plus long terme, c’est d’une vision stratégique dont nous avons besoin, à l’instar de celle qui a été présentée par le Président de la République dans son discours de Belfort, en février dernier. Cette stratégie repose sur le triptyque sobriété, nucléaire et renouvelable. Nous ne pouvons qu’y souscrire.

Néanmoins, si l’on regarde plus en détail ce beau tableau, les choses se compliquent singulièrement.

Tout d’abord, les projections relatives à la sobriété nous semblent irréalistes. Certes, nous pouvons renforcer nos efforts sur de nombreux plans, comme l’isolation des bâtiments ou l’autoconsommation. Mais réduire nos besoins énergétiques de 40 % d’ici à 2040, alors même que nous serons plus nombreux et 20 % plus riches si la croissance moyenne annuelle n’est que de 1 % sur cette période, qui peut y croire ? C’est pourtant sur une telle anticipation que reposent la stratégie nationale bas carbone et tous les scénarios de RTE.

En adoptant des hypothèses plus réalistes, ce sera déjà une très belle performance que d’arriver à maintenir, et non augmenter, nos besoins énergétiques d’ici à 2040. Mais dans ce cas de figure, ce n’est pas 60 % d’électricité en plus qu’il nous faudra produire au milieu du siècle, mais le double ou le triple. C’est la raison pour laquelle les annonces faites jusqu’ici en matière de nucléaire, même si elles vont incontestablement dans le bon sens, nous semblent bien trop insuffisantes.

À Belfort, le Président de la République a déclaré qu’aucun réacteur en état de produire ne devait être fermé. Mais le plan de fermeture de 12 réacteurs d’ici à 2035 est toujours en vigueur. Va-t-il enfin être officiellement abandonné ? Dans l’affirmative, va-t-on prolonger nos réacteurs au maximum ? C’est une question clé, car le nombre d’EPR à construire en dépend.

De plus, aucun plan de développement de SMR n’a été annoncé, alors que le petit nucléaire semble une solution d’avenir prometteuse.

Ensuite, la recherche et l’innovation dans le nouveau nucléaire semblent relancées. Mais à quelles fins précisément ? Fermeture du cycle du combustible ? Réacteurs de quatrième génération au thorium ? Il faut un plan et des objectifs.

Enfin, pour ce qui est des renouvelables, je ne veux pas ici empiéter sur nos débats à venir lors de l’examen du projet de loi Énergies renouvelables (EnR), mais je puis déjà dire que le groupe Union Centriste plaidera en faveur de l’essor de l’agrivoltaïsme, de la géothermie et de la biomasse.

Plus globalement, chacun des trois volets du plan français se heurtera à un grave problème de ressources humaines. Il faut former dès maintenant de vrais professionnels du nucléaire, des réseaux électriques intelligents, de l’isolation des bâtiments et des EnR. Avons-nous un plan de formation digne de ce nom pour faire face à ces besoins ? Si oui, il nous faudra le connaître.

Les événements, autant que le sens de l’histoire, nous invitent à un big-bang énergétique. Montrons-nous à la hauteur de ce rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’énergie occupe une place dans le débat public qu’elle n’a sans doute jamais eue auparavant. Et pour cause : guerre en Ukraine, contexte d’inflation, tensions autour des carburants, dérèglement climatique… Autant de défis qui nous rappellent que l’énergie abondante et à bas prix n’existe plus.

Préparer l’avenir tout en apportant des réponses à l’urgence, c’est au fond, madame la Première ministre, la double stratégie de la France pour répondre à ces défis majeurs. D’une part, à court terme, pour sauver notre approvisionnement ; d’autre part, à long terme, pour assurer la souveraineté énergétique de la France et sa neutralité carbone.

Pour ce qui est de notre approvisionnement, cela n’a échappé à personne : dans un contexte d’inflation, Poutine utilise l’énergie pour faire la guerre.

Nous affrontons, comme nos voisins européens, une situation extrêmement délicate. Le Gouvernement fait donc le choix d’impulser une nouvelle solidarité européenne : agir collectivement pour s’entraider et s’alimenter en électricité pour l’hiver ; agir avec solidarité, pour que nous évitions les coupures.

En matière de gaz, il a été décidé de faire appel à d’autres fournisseurs, ce qui nous a permis de remplir nos stocks à hauteur de 99 %. Par ailleurs, le Parlement a voté, en juillet dernier, l’accélération du projet de terminal flottant au large du Havre. Des décisions prises avec rapidité, à la hauteur de la crise géopolitique, qui nous permettront de passer le prochain hiver avec le moins de difficultés possible.

Néanmoins, soyons lucides : si l’approvisionnement de nos stocks est nécessaire, réaliser des économies d’énergie n’en reste pas moins indispensable. Et cela de manière collective, à commencer par l’État, qui doit être exemplaire, sans oublier les collectivités, les entreprises et l’ensemble des Français.

C’est tout l’esprit du plan de sobriété que vous avez présenté jeudi dernier, madame la Première ministre. Un plan qui prône l’incitation et la responsabilité collective. Pas de privations ni de textes de loi ; tout simplement des gestes de bon sens, des gestes du quotidien, que parfois nos aïeux faisaient déjà.

« Sobriété » ne signifie pas « décroissance ». Et tant que nous le pouvons, saisissons l’option de la sobriété choisie plutôt que d’attendre la sobriété subie. Reconnaissons, au passage, qu’il s’agit aussi d’une occasion pour lutter contre le gaspillage énergétique et la surconsommation.

Le groupe RDPI soutient totalement cette stratégie, qui ne doit pas nous faire perdre de vue que, face à l’urgence, l’État doit aider les acteurs les plus en difficulté. Je rappelle que le Gouvernement et le Parlement n’ont pas été inactifs en la matière. Pensons au bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie, qui sera reconduit en 2023. Pensons également aux 430 millions d’euros votés en juillet dernier en loi de finances rectificative pour 2022 à destination des collectivités, afin notamment d’offrir un peu d’air à une part significative du bloc communal.

Après le « quoi qu’il en coûte », qui a permis de sauver notre économie, les Français, les PME et les collectivités resteront protégés face à l’inflation. C’est la promesse de ce gouvernement, qui est toujours à l’offensive pour conserver nos emplois et notre pouvoir d’achat.

Mes chers collègues, notre pays n’en reste pas moins confronté à deux défis de taille : assurer la souveraineté énergétique et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

Rien ne serait pire que de penser, une fois l’hiver passé, que la crise énergétique deviendrait un mauvais souvenir à oublier. Les défis liés à l’énergie seront au cœur des débats politiques des années à venir.

Renforcer notre souveraineté, c’est tout d’abord investir dans le mix énergétique. Il nous faut prendre conscience que l’éolien en mer, le photovoltaïque, l’agrivoltaïsme et l’hydraulique sont autant d’énergies renouvelables qu’il nous faut développer, en concertation avec les élus locaux.

Renforcer notre souveraineté, c’est aussi admettre que le nucléaire doit prendre toute sa part dans le mix énergétique. Aujourd’hui, il représente environ 70 % de la production électrique française. Notre modèle étant fondé sur l’électronucléaire, il serait déraisonnable de se passer de cette énergie. Les Allemands, qui ont souhaité faire ce choix, sont aujourd’hui largement dépendants du gaz.

Bien évidemment, la part du nucléaire doit être complémentaire de celle des énergies renouvelables. Mais le nucléaire est une force historique que nous devons conforter. Toujours est-il que notre parc est vieillissant et qu’il requiert beaucoup de maintenance. On ne peut se satisfaire que 26 réacteurs sur 56 soient actuellement indisponibles. Nous récoltons les fruits des mauvais arbitrages passés.

La nationalisation d’EDF est un mal nécessaire pour réarmer et consolider notre ancien fleuron. Un projet de loi sera justement présenté dans les prochains mois, afin de simplifier les procédures et de faciliter la création des nouvelles générations d’EPR.

Renforcer notre souveraineté, c’est aussi réduire les délais administratifs pour accélérer sur les énergies renouvelables. Là encore, un projet de loi permettra, en novembre prochain, de débattre en profondeur de ces questions.

Examinons les choses avec lucidité : le tout-nucléaire ne fonctionnera pas, non plus que le tout-EnR. Pour atteindre nos objectifs, nous devons diversifier, réduire les délais administratifs, simplifier les procédures, libérer du foncier et encourager le partage territorial de la valeur… Autant d’objectifs qui seront au cœur du projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. Encore une fois, mon groupe sera au rendez-vous de ce travail parlementaire.

Renforcer notre souveraineté exige également de se réindustrialiser. C’est l’objectif du plan France 2030, avec 2 milliards d’euros dédiés à l’innovation dans les énergies renouvelables et le nucléaire.

La France peut se donner les moyens, par exemple, de construire le premier avion bas carbone. Mais notre pays peut également être en mesure de réindustrialiser avec des énergies décarbonées telles que l’hydrogène ou encore le gaz provenant de déchets organiques. En Isère, dans mon département, neuf sites injectent déjà du biométhane dans les réseaux ; deux autres sont en chantier et devraient en injecter d’ici à la fin de l’année.

Enfin, notre souveraineté requiert une solidarité européenne. Ne confondons pas souveraineté et protectionnisme. En matière d’énergie, nous devons penser en Européens. L’histoire nous rappelle que l’ancêtre de l’Union européenne était la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), créée en 1951 par six États, dont la France.