M. Jérôme Bascher. Comme les projets de loi du Gouvernement !

M. Julien Bargeton. Vous l’avez d’ailleurs dit vous-même : cette proposition de loi se veut clivante. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) De fait, vous avez annoncé la couleur, si j’ose dire.

À partir de là, comme elle ouvre beaucoup de débats sur l’école, il y a eu beaucoup d’amendements : sur Parcoursup, sur les AESH, sur la formation continue, notamment venant du groupe UC, sur l’éducation sexuelle à l’école.

Le problème, c’est que ce texte prétend en vain embrasser l’ensemble des sujets. C’est un peu dommage, car je pense que nous aurions pu avancer ensemble sur certains points précis.

Ce faisant, il a eu pour conséquence de revenir sur certains débats récents : neutralité pour les accompagnants scolaires, enseignement en famille, port de l’uniforme à l’école. Je note que nos collègues de l’Union Centriste veulent supprimer l’article sur ce dernier sujet. À trop vouloir cliver, vous divisez aussi la majorité sénatoriale.

M. Max Brisson. C’est sûr, ce n’est pas du « en même temps » !

M. Julien Bargeton. Autre défaut de cette proposition de loi : elle n’attend pas les évaluations ou les concertations pour avancer, ce que vous regrettez habituellement à juste raison. C’est le cas sur l’autorité fonctionnelle issue de la loi Rilhac, que nous venons de voter, ou sur l’autonomie pédagogique des établissements, qui fait actuellement l’objet d’une expérimentation à Marseille. On pourrait attendre d’avoir les premiers résultats avant de revenir sur ces dispositifs.

D’ailleurs, notre rapporteur, dans sa grande sagesse, s’est senti obligé de restreindre la portée du texte dans ces deux cas, puisqu’il a réservé l’autorité fonctionnelle à certaines écoles, et qu’il a prévu d’associer les élus locaux sur l’autonomie, ce qui avait été oublié. Cela montre bien que ce texte veut trop en faire !

En outre, cette proposition de loi arrive dans un timing particulier. Le ministre l’a rappelé, un plan vient d’être annoncé pour les écoles rurales. Par ailleurs, le Sénat a lancé une mission d’information sur l’autonomie des établissements. Peut-être aurait-il fallu attendre…

M. Max Brisson. Cela fait cinq ans qu’on attend !

M. Julien Bargeton. Mon cher collègue, vous-même étant membre de cette mission d’information, vous auriez pu attendre les conclusions de vos propres travaux ! On a quand même l’impression que cette proposition de loi cherche à préempter, jalon après jalon, tous les sujets sur l’école, et ce de façon un peu précipitée et brutale, même s’il y a des choses intéressantes dans le texte.

Enfin, celui-ci ne répond pas à son objet.

Le titre mentionne l’égalité des chances, mais il y a quand même peu de dispositifs sur ce thème. Où est la mixité sociale ?

M. Max Brisson. Et le soutien scolaire !

M. Julien Bargeton. Certes, il y a un article sur le soutien scolaire. D’ailleurs, nous ferons des propositions sur ce sujet intéressant.

Au-delà, il n’y a rien dans vos propositions sur la mixité sociale dans l’urbain. D’autres sujets, comme l’enseignement privé, ne sont pas du tout abordés. Aussi, nos collègues déposent des amendements sur ces sujets, démontrant ainsi que le texte de la proposition de loi ne correspond pas à l’objet affiché.

Je voudrais juste rappeler, sinon personne ne le fera, que le dédoublement des classes dans les REP et REP+ en CP et en CE1 a concerné 300 000 élèves, et va se mettre en place dans les grandes sections de maternelle. Le programme « devoirs faits »…

M. Max Brisson. Pour quel résultat ?

M. Julien Bargeton. Le résultat, c’est dix points d’amélioration sur les mathématiques et le français dans les zones concernées !

M. Max Brisson. Seulement en CP !

M. Julien Bargeton. Nous avons aussi travaillé sur l’école inclusive, avec 430 000 porteurs de handicap concernés, contre 320 000 au début de 2017. Les « cordées de la réussite » permettent d’accompagner 200 000 élèves de la quatrième à la terminale.

Mes chers collègues, il faut bien évidemment toujours chercher à améliorer notre système scolaire, mais il est bon de rappeler ce qui a été fait et de partir de ce qui existe.

Je le répète, cette proposition de loi a une vocation politique. Elle est là pour ouvrir des débats, parfois des polémiques, alors que l’école mérite à mon sens de la confiance et de l’efficacité. C’est dans cet esprit que nous entrerons dans la discussion. Vous avez voulu faire de l’école un sujet clivant, mais nous devons plutôt faire en sorte qu’elle soit un lieu de rassemblement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 avril 1870, Jules Ferry prononçait les mots suivants dans l’enceinte du Palais-Bourbon : « Ma prétention est de vous montrer que l’égalité d’éducation n’est pas une utopie ; que c’est un principe ; qu’en droit, elle est incontestable, et qu’en pratique, […] cette utopie apparente est dans l’ordre des choses possibles. »

C’est d’abord à cette exigence d’égalité que nous devons nous attacher quand nous évoquons l’école de la République, et non pas à celle de la performance, trop souvent portée aux nues, comme si l’école était une entreprise.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est un condensé des propositions mises en avant par la droite depuis des décennies pour transformer une institution qu’elle estime défaillante : autonomie des établissements scolaires, renforcée jusqu’à l’extrême, autorité hiérarchique des directeurs d’école, remise en cause du cadre de la fonction publique pour les recrutements d’enseignants, uniforme obligatoire.

Je souhaite en premier lieu rappeler que, loin des discours alarmistes sur le sujet, la dernière étude de l’Insee, publiée en 2022, établit à 74 % le pourcentage de la population ayant confiance dans l’institution scolaire.

Bien sûr, tout ne va pas bien, mais nous considérons pour notre part que, pour bien fonctionner, notre école a besoin non pas de telles mesures, qui ont vocation à la faire basculer dans une logique libérale et concurrentielle, bien loin des principes républicains, mais de moyens à la hauteur de ses ambitions.

J’entends déjà mes collègues, du côté droit de cet hémicycle, me répondre que l’on donne déjà bien assez de moyens. Je souhaiterais à cet égard partager quelques éléments de comparaison.

À l’échelle européenne, d’abord : dans son rapport consacré à l’Europe de l’éducation, publié en décembre 2022, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) relève que la France est le pays de l’Union européenne dont les effectifs par classe sont les plus élevés. Les élèves scolarisés en élémentaire en France sont en moyenne 22 par classe, contre 19,3 dans le reste de l’Union européenne.

Au collège, l’effectif moyen approche 26 élèves, alors que la moyenne européenne se situe sous la barre des 21.

La France est aussi l’un des pays de l’Union européenne où les enseignants doivent assurer un nombre d’heures de cours parmi les plus élevés, et ce alors que leur salaire est inférieur à la moyenne européenne.

L’évolution de nos dépenses en matière d’éducation mérite également d’être scrutée avec plus d’attention, dans un contexte où l’on entend dire qu’il s’agit d’un puits sans fond.

La dépense intérieure d’éducation a atteint un pic à 7,7 % du PIB au milieu des années 1990. Elle évolue aujourd’hui en moyenne autour de 7 %, mais, depuis les années 1980, l’État s’est progressivement désengagé des dépenses au profit des collectivités territoriales, dont la part dans les dépenses d’éducation est passée de 14 % en 1980 à 23 % en 2021.

Quitte à nous poser des questions sur l’efficacité du budget alloué à l’éducation nationale, nous pourrions aussi nous interroger sur les sommes attribuées spécifiquement à l’enseignement privé sous contrat, financé à 73 % par de l’argent public. Est-il bien normal que, dans une ville comme Paris, les établissements privés disposent de plus d’heures d’enseignement rapportées au nombre d’élèves que ceux du public ?

J’en viens au détail des articles que contient ce texte. Plusieurs d’entre eux constituent pour notre groupe une ligne rouge. Aussi, nous aurons à cœur de défendre leur suppression tout au long de cet examen.

L’article 1er, qui prévoit l’expérimentation d’une autonomie renforcée des établissements scolaires des premier et second degrés, va à l’encontre de notre vision républicaine de l’école, qui doit être la même pour tous les élèves sur l’ensemble du territoire, et répondre aux mêmes programmes et objectifs. Le cadre expérimental dans lequel il s’inscrit est par ailleurs fragile juridiquement. En effet, il me semble impossible que les établissements publics autonomes de l’éducation puissent être créés pour une durée limitée.

L’article 2 vise à instaurer une autorité hiérarchique pour les directeurs d’école. Cette possibilité a été limitée en fonction du nombre de classes lors de l’examen en commission. Nous avions déjà eu l’occasion de l’affirmer lors de l’examen de la loi Rilhac : nous sommes attachés au fonctionnement collégial des écoles du premier degré. C’est le principe des « pairs parmi les pairs ». Nous reviendrons d’ailleurs par voie d’amendement sur la notion d’autorité fonctionnelle, votée dans cette loi, et qui a introduit une première brèche dans ce principe.

La mise en place des contrats de mission entre recteurs et enseignants, proposée à l’article 3, s’inscrit dans un cadre dérogatoire au droit commun de la fonction publique, ce qui n’est pas acceptable. Un tel dispositif, qui aura un impact sur l’ensemble du bassin de recrutement, bien au-delà des seuls établissements concernés, ne résoudra en rien le manque d’attractivité de certains établissements ou territoires.

L’article 10 étend le principe de neutralité et l’interdiction de port ostensible de signes religieux aux participants occasionnels du service public de l’éducation. Mon groupe s’est toujours opposé à une extension de ces obligations aux accompagnateurs et accompagnatrices de sorties scolaires.

J’ajouterai que le sujet de la laïcité à l’école mérite une autre approche, visant une meilleure adhésion de nos élèves à ce principe fondamental. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la formation des enseignants.

D’autres dispositions de ce texte, moins clivantes, ont le mérite de soulever des problématiques pertinentes, même si nous différons parfois sur les réponses apportées.

Si nous considérons que la formation initiale des enseignants du premier degré peut être revue et améliorée dans son déroulement, il ne nous semble pas opportun de mettre fin à la culture professionnelle commune entre premier et second degrés que permettent les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) et d’éloigner la formation des enseignants du premier degré du monde universitaire et de la recherche.

L’article 6 pose les jalons d’un service public de soutien scolaire : c’est un signal positif répondant à un besoin social fort, qui ne peut être laissé à la main du privé. Nous aurions souhaité l’encadrer davantage, afin de garantir la qualité de l’accompagnement proposé aux élèves : au regard des exigences de continuité dans les apprentissages nécessaires, nous considérons en effet qu’il doit être, pour le second degré, assuré uniquement par des professeurs, avec une intégration de ces heures dans leurs heures de service. Nos amendements en ce sens ont malheureusement été jugés irrecevables, en raison des charges supplémentaires engendrées. Il est vrai que tout bon service public nécessite un investissement de la part de l’État…

L’article 7, qui prévoit la mise en place d’une réserve éducative pour nourrir ce service public, nous paraît redondant avec la réserve citoyenne de l’éducation nationale déjà existante, dont il conviendrait plutôt de dresser le bilan.

L’article 8, fortement remanié en commission, porte sur les difficultés propres aux élèves scolarisés en milieu rural. Si son périmètre et sa portée sont devenus flous, il a le mérite d’aborder un sujet rarement évoqué, et pourtant crucial.

Nous partageons par ailleurs la préoccupation exprimée à l’article 9 : dans l’ensemble de nos territoires ruraux, les alertes se sont multipliées concernant les fermetures de classes prévues à la prochaine rentrée. Dans la Drôme, nous comptons plus de quarante fermetures, et les plus douloureuses sont dans des communes rurales.

Je ne peux que rejoindre mes collègues qui regrettent ces fermetures en raison de l’application d’une logique purement comptable. Je le répète, les choix faits en loi de finances ont des conséquences. J’espère donc pouvoir compter sur eux lors du vote du prochain budget pour revenir sur les suppressions de postes d’enseignant survenues ces dernières années.

Enfin, en ce qui concerne l’article 11, qui prévoit l’obligation d’une tenue vestimentaire uniforme, nous considérons qu’il n’est pas la bonne réponse à apporter aux inégalités sociales et scolaires : si nous souhaitons nous attaquer sincèrement à ces sujets, la mixité sociale constitue la bonne porte d’entrée.

Je me réjouis toujours de débattre au sein de notre hémicycle sur l’école, mais ce texte me laisse un goût amer. Il me semble que ses propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels est aujourd’hui confrontée notre école de la République, pourtant essentielle pour nos enfants et l’avenir de notre pays. Si nous souhaitons réellement être dans une approche moins verticale et plus proche du terrain, nous devrions en premier lieu écouter les préoccupations des personnels qui s’efforcent de la faire vivre au quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Esther Benbassa et Monique de Marco applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le seul et maigre mérite de cette proposition de loi est de montrer que de véritables projets de société sous-tendent la vision de l’école dans notre pays.

Pour notre part, nous portons une vision clairement de gauche : celle d’une école ayant pour objectif l’égalité des chances et la justice sociale ; celle d’une école qui offre le plus haut niveau de connaissances à des enfants, qui deviendront ainsi, quel que soit leur parcours ultérieur, des citoyens et des travailleurs conscients et responsables ; celle d’une école qui apporte plus à ceux dont le patrimoine culturel est moindre, ce qui est intrinsèquement lié à la condition sociale.

Et le temps n’émousse pas cette conviction, au contraire !

Face aux bouleversements technologiques et scientifiques, qui peut résumer l’éducation à un socle minimal de connaissances ? Face aux enjeux démocratiques, qui peut raisonnablement considérer que nos jeunes doivent être formés à l’obéissance plutôt qu’apprendre à développer leur esprit critique et leur capacité à se forger une opinion solide, éclairée par l’Histoire, par exemple ? À l’évidence, les auteurs de cette proposition de loi, dont la vision est clairement de droite, et même réactionnaire (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) : la blouse devient uniforme ; l’autorité devient hiérarchique ; le recentrage sur le lire-écrire-compter frappe jusqu’à la formation des enseignants.

La « main invisible du marché », son cortège de mises en concurrence, et l’idée selon laquelle seul ce qui relève du privé serait efficace ont également pris toute leur place dans ce texte.

Mes chers collègues, vous n’êtes pas à une contradiction près, votre proposition consistant, de fait, à créer une forme de séparatisme, alors qu’il faudrait renforcer l’école de la République. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

De même, vous dites vouloir libérer les énergies, susciter les innovations, alors que vous vous acharnez à encadrer les pratiques professionnelles des enseignants jusque dans les moindres détails.

Même à titre expérimental, la contractualisation que vous envisagez conduirait inévitablement à une école à la carte.

D’un service public national motivé par une obligation de moyens alloués par l’État, nous basculerions vers une myriade d’écoles sur le modèle des écoles privées, avec des objectifs particuliers qui conditionneraient programmes, moyens, horaires et recrutement des enseignants.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous voulons des obligations de résultat, ce n’est pas la même chose !

Mme Céline Brulin. Si l’on y ajoute votre obsession d’une réduction massive de la dépense publique, alors qu’il faudrait considérer l’éducation comme un investissement d’avenir, cela ne pourra que conduire à une mise en concurrence des établissements, ainsi que des disciplines.

Mais la France ne veut pas plus d’école à la carte que d’une République à la carte. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio sexclame.)

Contradiction, toujours : vous écartez la hausse des moyens comme réponse au besoin de renforcer l’école de la République, en pointant par exemple l’éducation prioritaire, pour finalement la revendiquer en ruralité. Ou encore, vous considérez que les sorties scolaires sont des temps de classe hors les murs afin de brider la liberté religieuse de parents de confession musulmane – pour les autres, cela vous gêne beaucoup moins –, mais refusez systématiquement nos propositions pour que ces sorties soient encadrées par des personnels pédagogiques.

En même temps, plutôt que de faire du soutien scolaire un objectif de l’éducation nationale, avec des moyens de rattrapage, des dispositifs individualisés, vous entendez le laisser dans les mains d’une réserve éducative. Inévitablement, cette mission pèsera sur les collectivités territoriales, tout particulièrement sur celles qui en font déjà beaucoup plus que d’autres en la matière, leurs habitants rencontrant davantage de difficultés sociales, culturelles et scolaires.

Vos prétendus remèdes sont finalement pires que le mal.

Depuis 1989, l’autonomie des établissements publics locaux d’enseignement ne cesse de croître. Cela a-t-il permis de résorber les inégalités ? Absolument pas ! La réforme du lycée, conduite récemment au nom de cette volonté d’offrir des marges de choix et de liberté, la renforce au contraire.

Vous le savez, vous qui avez, comme moi, dans vos départements, des lycées offrant tous les enseignements de spécialité ou presque, quand d’autres se contentent du minimum. Les uns sont plutôt situés dans l’hypercentre des grandes métropoles, les autres se trouvant plutôt dans les quartiers populaires ou les zones rurales.

Pensez-vous vraiment que c’est en faisant porter les responsabilités de l’ensemble de l’institution sur les agents de première ligne que l’on parviendra à faire face à la crise de recrutement des enseignants que nous connaissons aujourd’hui ? Poser la question, c’est déjà y répondre !

Quant aux contrats de mission, censés amener les enseignants les plus expérimentés dans les zones les plus difficiles, leur échec risque d’être aussi patent que celui du dispositif « Éclair »,… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Céline Brulin. … d’autant que le mouvement « postes à profil » ne semble rien résoudre, lui non plus. Cette proposition de loi est dangereuse et nous la combattrons comme il se doit. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, je voudrais tout d’abord remercier l’auteur du texte, Max Brisson, ainsi que le rapporteur, Jacques Grosperrin, du travail précis et riche qu’ils ont conduit. Celui-ci nous donne l’occasion d’avoir un débat de fond sur l’éducation.

Ce texte témoigne toute l’attention que nous portons à l’éducation nationale. Il traduit notre volonté d’élever notre école, nos élèves, nos enseignants.

Nous en avons bien besoin !

En effet, alors que les dépenses en matière d’éducation sont supérieures à la moyenne des pays de l’OCDE, le système éducatif français peine à produire des résultats satisfaisants. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social. Elle ne lisse plus, ne corrige plus les inégalités. Pire, elle les creuse parfois.

Sur le niveau des élèves, l’étude internationale TIMSS 2019 – Trends in Mathematics and Science Study – permet de constater que les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles : au lieu des 25 % attendus dans le quartile inférieur, ils sont 45 % en mathématiques et 41 % en sciences.

Par ailleurs, 15 % des élèves français, soit un sur sept, ne maîtrisent pas les compétences élémentaires en mathématiques, alors qu’ils sont seulement 6 % au niveau européen.

En janvier 2023, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé : Mobiliser la communauté éducative autour du projet détablissement. Le bilan d’égalité du système éducatif, les rapports sur la mixité scolaire dans les établissements tout comme les analyses des résultats aux examens nationaux démontrent à quel point l’uniformité nationale peut s’accommoder de larges inégalités.

L’institution scolaire est en souffrance et de nombreuses interrogations persistent sur sa capacité à répondre aux objectifs qui lui sont assignés.

Selon le rapport de notre collègue Jacques Grosperrin, plus d’un Français sur deux et trois enseignants sur quatre pensent que l’école fonctionne mal. Deux Français sur trois et huit enseignants sur dix sont pessimistes sur l’avenir de l’école.

Dans notre rapport d’information sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, avec mes collègues Marie-Pierre Monier et Max Brisson, nous avions déjà tiré le signal d’alarme, notamment sur la crise d’attractivité que connaît le métier d’enseignant, appelé encore voilà quelques années « le plus beau métier du monde ». Lorsque nous avions rendu nos conclusions, près d’un enseignant sur quatre se demandait s’il n’aurait pas dû choisir une autre orientation professionnelle.

Le constat est rude, et le texte que nous examinons aujourd’hui se veut une réponse à cette problématique.

Il tend à faire évoluer les dispositions sur de nombreux sujets, avec pour objectif, sinon pour ambition, de résoudre les difficultés de l’école et donner plus de liberté aux équipes éducatives.

Par exemple, il est proposé que l’autorité fonctionnelle des directeurs dont l’établissement compterait moins d’un certain nombre de classes soit transformée en autorité hiérarchique. Cela permettrait à l’école de mieux s’adapter à ses besoins spécifiques.

Les contrats de mission proposés à l’article 3 donneront plus de souplesse aux affectations d’enseignants et permettront aux établissements de répondre à des besoins qui leur sont spécifiques.

La formation des enseignants est également abordée.

La proposition de loi prévoit de séparer la formation des professeurs du second degré de celle de leurs collègues du premier degré, et ce afin de mieux préparer ces derniers aux apprentissages des savoirs fondamentaux.

Nous saluons également l’amélioration et la meilleure prise en compte des collectivités territoriales, avec la redéfinition de leur rôle dans l’élaboration des politiques relatives à l’éducation prioritaire.

Certains territoires ruraux, particulièrement en zone isolée ou subissant une crise industrielle ou postindustrielle, voient se cumuler des difficultés sociales, qui peuvent avoir des répercussions en matière scolaire.

Ces difficultés ont été accentuées par la crise sanitaire que nous avons traversée. Ces territoires ont des besoins spécifiques. Aussi, nous saluons la création par le rapporteur du dispositif de « territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers ». C’est d’ailleurs une revendication que notre commission émet depuis plusieurs années.

Le rôle des collectivités locales est également réaffirmé à l’article 9 du texte, qui tend à proposer une réflexion commune lorsque des classes doivent être fermées dans les territoires.

Nous nous réjouissons des améliorations apportées au texte au cours de son examen en commission. Nous avons notamment proposé qu’une condition de diplôme soit ajoutée aux critères de recrutement du personnel qui formera la réserve éducative. Désormais, le niveau baccalauréat sera requis.

Par ailleurs, nous avons souhaité renforcer le dispositif de formation des professeurs du premier degré, afin de l’aligner sur celui des professeurs du second degré.

De plus, nous souhaitons que les étudiants bénéficient, comme leurs homologues, d’actions de formation complétant leur formation initiale.

Le modèle des jardins d’enfants va perdurer, grâce à l’adoption en commission d’un amendement défendu par le président Hervé Marseille, visant à supprimer les dispositions de la loi de 2019 pour une école de la confiance.

Enfin, nous avons renforcé le rôle des collectivités locales en modifiant l’article 9 du texte. Nous avons transformé le moratoire d’un an initialement prévu en une période de trois ans pendant laquelle aucune fermeture de classe ne pourra intervenir si le conseil municipal vote contre la fermeture de classes.

Pour l’examen du texte en séance, nous avons déposé un amendement visant à supprimer l’article 11, qui est relatif au port de l’uniforme dans les établissements scolaires. La majorité de notre groupe n’est pas favorable à une telle disposition.

L’uniforme est souvent présenté comme l’un des leviers à actionner pour répondre au problème des inégalités sociales et pour favoriser la mixité scolaire. Or aucune étude ne vient confirmer ce postulat. Le port de l’uniforme n’est pas forcément la réponse à la bonne tenue, si je puis dire, de notre école !

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste, je le répète, est, dans sa majorité, opposé à ce dispositif.

Toujours est-il, mes chers collègues, que, convaincus de l’importance de ce texte, ses membres voteront en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Franck Menonville et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, nous discutons de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, issue, vous l’avez compris, de la droite sénatoriale. Si l’intitulé semble être porteur d’espoir et de renouveau, le contenu l’est moins.

Ainsi, dès l’article 1er, le ton est donné. Il est proposé d’accroître l’autonomie des établissements scolaires sous contrat, en leur offrant la possibilité de recruter leurs élèves, de choisir leur organisation pédagogique et de donner une liberté quasi totale au directeur d’établissement.

En proposant un tel mode de sélection des élèves, vous réduisez les chances de certains d’entre eux d’accéder à l’établissement scolaire de leur choix.

Par ailleurs, les inégalités entre élèves ne cessent de s’accentuer, et le poids de l’origine sociale se reflète inévitablement dans les résultats scolaires.

Le système éducatif français ne parvient plus à prendre en charge les élèves les plus faibles. Selon la dernière enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), parmi les pays membres de l’OCDE, la France affiche un très grand écart de réussite entre les enfants les plus défavorisés et ceux qui sont issus des familles les plus aisées et les plus éduquées.

Il est urgent de travailler sur ce chantier. Pourtant les mesures proposées sont insuffisantes et ne semblent pas répondre à cet impératif de réduction des inégalités scolaires.

D’autres marqueurs indélébiles de la droite sont intégrés dans ce texte, comme l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices scolaires à l’article 10 et le port obligatoire de l’uniforme à l’article 11. Encore une fois, le principe de laïcité est déformé. Aujourd’hui, la laïcité serait menacée partout en France et l’école serait mise en grave danger dans les assiettes servies à la cantine, lors des sorties scolaires, dans les cours de récré ou encore à la piscine… (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)

Tout prétexte est bon pour redéfinir le principe de laïcité à sa sauce et encourager le marché électoral – que vous avez fait vôtre – de l’islamophobie ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette stigmatisation permanente ne fait que renforcer le repli communautaire. C’est un engrenage vicieux que l’éducation nationale devrait endiguer à force de pédagogie, de formation à la laïcité, de dialogue entre professeurs et élèves, entre professeurs et parents.

Emmanuel Macron a déclaré le 16 mars dernier qu’il ferait de l’école sa priorité, de sorte qu’elle soit ouverte à tous, émancipatrice, libératrice et inclusive. Ce texte ne répond visiblement pas à cette ambition !

Je voterai contre celui-ci, clin d’œil fait à l’extrême droite et dont le contenu est suranné ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)