Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’article L. 744-9 du Ceseda dispose que « l’étranger maintenu en rétention bénéficie d’actions d’accueil, d’information et de soutien, pour permettre l’exercice effectif de ses droits et préparer son départ ».

Intuitivement, sans connaître dans le détail le droit des étrangers, on pourrait parfaitement se dire que cette mission est assurée par un organisme public, tel que l’Ofii. Ce n’est pas le cas et cette proposition de loi, juridiquement améliorée en commission, traite précisément de ce sujet.

Dans le système actuel, ce sont les associations, choisies dans le cadre d’un marché public, qui assurent la première partie de l’information, analysent la situation personnelle du demandeur, le conseillent juridiquement, rédigent le recours et, le cas échéant, la demande d’aide juridictionnelle.

Puis, ces associations passent le relais à l’avocat, qui se charge surtout de représenter son client devant les juridictions compétentes avec, il est vrai, une maîtrise inégale des dossiers. Sa rémunération peut être couverte par l’AJ depuis la loi du 10 juillet 1991.

Dans le texte issu des travaux de la commission des lois, le système proposé est tout autre. Les associations disparaissent et il reviendrait désormais à l’Ofii de donner le premier degré d’information sur leurs droits aux personnes retenues au sein des CRA.

L’Ofii est déjà présent dans les centres de rétention administrative. Distribuer aux personnes retenues une documentation basique sur leurs droits, en plusieurs langues, ne semble pas une charge très lourde. La direction de l’Ofii a d’ailleurs assuré au rapporteur qu’elle était prête à le faire.

Après cette phase d’information, nous passerions directement à la mise en relation avec l’avocat. Celui-ci ferait alors l’analyse particulière et personnelle de la situation, rédigerait les recours potentiels et représenterait son client devant le juge. C’est là que le système proposé devient problématique.

Le rapporteur a commencé par relever la faiblesse actuelle de l’aide juridictionnelle. Il faudrait donc avant tout savoir si le Gouvernement est prêt à la revaloriser.

En effet, aucun avocat, s’il n’a pas une conviction profonde de l’intérêt de ce qu’il réalise – donc s’il n’est pas lui-même un peu militant –, ne voudra assurer le conseil et la défense d’une personne retenue administrativement, car ce n’est pas intéressant sur le plan financier.

Surtout, ce texte me pose vraiment problème en ce qu’il traduit une profonde méconnaissance du fonctionnement concret de l’accès au droit.

Le droit des étrangers est un contentieux aride, technique et particulier. Pour le maîtriser correctement, il faut avoir de la pratique. A minima, il faudrait inclure le droit des étrangers dans la formation obligatoire des avocats et demander à chacun de faire des stages dans des permanences juridiques.

Ceux qui possèdent l’expertise technique aujourd’hui, ce sont non pas les avocats, sauf pour une minorité d’entre eux, mais les associations. Ce sont elles qui, depuis des dizaines d’années, ont développé cette expertise qui appelle une disponibilité et une présence très importante.

Cette proposition de loi, qui ne repose sur aucune étude d’impact, part du principe que les associations conseillent mal et qu’elles sont à l’origine de l’augmentation massive du nombre de recours contre les OQTF : c’est faux !

Les membres de ces associations sont des juristes. Ainsi, ils ont bien plus tendance à conseiller correctement la personne retenue en fonction des chances qu’aura le recours d’aboutir et sont beaucoup plus réticents à former un recours inutile, tout simplement parce qu’ils connaissent mieux la matière.

Pour évaluer la qualité du travail des associations, il faut se référer à un chiffre important, celui du taux d’acceptation des recours introduits contre une décision de l’administration. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, qui a déjà été évoqué. On ne peut pas dire que les associations fassent n’importe quoi : les chiffres montrent au contraire que leur intervention est pertinente.

Le système adopté par la commission des lois respecte en théorie les droits de la défense des étrangers en situation irrégulière, mais pas en pratique.

Évincer du jour au lendemain les associations qui disposent d’une expertise en droit des étrangers provoquerait un bouleversement immense. La date choisie pour reporter l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, soit le 1er janvier 2026, ne saurait suffire ni pour former à temps tous les avocats ni pour que les juristes des associations passent leur certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa).

Pour les comptes publics, il n’est pas du tout certain que cette formule soit plus économique, bien au contraire. Je vous invite à regarder la rémunération des intervenants des associations ; dans certains cas, ils sont simplement bénévoles.

Je comprends que l’on s’interroge sur la place des associations, mais la réalité est qu’on ne peut pas faire sans elles aujourd’hui.

Par ailleurs, penser que les membres de ces associations sont tous des militants politiques est une grave erreur. Veillons à ne pas faire de généralisations : ce sont surtout des personnes confrontées tous les jours au désespoir d’êtres humains, qui, pour partie, n’ont commis aucun délit, si ce n’est de vouloir vivre en France.

Aujourd’hui, un quart des personnes retenues au sein des CRA sortent directement de prison. Mais quid du trouble à l’ordre public que vous évoquiez, monsieur le ministre ? J’aimerais que vous puissiez apporter des détails sur ce sujet, qui demeure pour le moins flou.

Les personnes qui interviennent au sein des CRA méritent toute notre considération.

Adopter cette proposition de loi, c’est, à l’heure actuelle, accepter un considérable recul de l’accès au droit des étrangers en France. Parce que le groupe RDSE est profondément humaniste et républicain, il ne la votera pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord féliciter l’auteure de la proposition de loi, qui est aussi rapporteure spéciale de la commission des finances. Pour rappel, le rapport de la Cour des comptes, qui sert en partie à étayer le présent texte, a été élaboré à la demande de notre commission des finances, après les observations particulièrement pertinentes de Mme Ciuntu.

Je tiens également à adresser mes sincères félicitations au rapporteur de la commission des lois. La valeur n’attend pas le nombre des semaines dans cet hémicycle. Je vois dans son travail un signe d’efficacité de notre Basse-Normandie. (Sourires.)

Passons au fond du texte. La proposition de loi qui nous est ici présentée ne supprime aucun droit. Elle vise simplement à transférer un certain nombre d’opérations et de missions à l’Ofii. La description qui en a été faite par certains de nos collègues ne semble pas conforme au texte.

Celui-ci constitue un premier pas vers une amélioration des conditions de lisibilité. La Cour des comptes a mis en lumière un certain nombre de dérives. Elle rappelle ainsi que l’assistance juridique est définie dans un cahier des clauses techniques particulières, issue d’un marché public national piloté par la direction générale des étrangers en France (DGEF). L’assistance juridique porte sur l’analyse de la situation de la personne retenue, le conseil et l’orientation, l’aide à la rédaction des demandes et des recours et la mise en contact avec des avocats.

La réalité est plus confuse, comme l’a rappelé le rapporteur. Les avocats interviennent de moins en moins au sein des CRA, en particulier au moment de la rédaction des recours. Il n’est pas rare qu’ils se présentent devant une juridiction avec des recours prédigérés, sans même en avoir pris connaissance.

Le rapporteur a également évoqué des recours formés pour le compte d’étrangers retenus, sans que ceux-ci en aient été informés.

M. Guy Benarroche. C’est faux !

Mme Nathalie Goulet. Je ne dis pas que c’est systématiquement le cas, mais ce sont des choses qui arrivent. (M. Guy Benarroche proteste.) Nous ne serons pas d’accord sur ce texte clivant, cher collègue : we agree to disagree.

Je compte sur mon groupe, le groupe Union Centriste, qui est profondément républicain et humaniste, et absolument en accord avec le texte proposé. (Mme Marie-Carole Ciuntu applaudit.)

Nous préférons que les gens dangereux soient renvoyés dans leur pays, que les CRA soient bien utilisés et que les missions concernées soient transférées à l’Ofii. C’est notre choix et c’est celui de la proposition de loi qui vous est soumise avec une force tranquille, sans énervement ni excès. J’y insiste, le texte ne va pas plus loin qu’un transfert de mission : vous ne pouvez lui reprocher d’en faire davantage.

Le rapporteur comme la Cour des comptes relèvent des manquements à l’obligation de neutralité. Nous en avions d’ailleurs parlé lors du débat budgétaire. Le 2 décembre dernier, j’avais déposé des amendements visant à diminuer les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », dans l’espoir que les missions des associations soient mieux contrôlées.

La commission des lois devait lancer une mission flash sur cette question. Il n’y a aucun problème à vouloir contrôler l’argent public quand il est confié à des associations.

Les chiffres sont tout de même impressionnants : plus de 1 milliard d’euros sont alloués aux associations et l’aide juridictionnelle représente un coût total de 7 millions d’euros.

M. Guy Benarroche. Le milliard d’euros, c’est avec l’hébergement !

Mme Nathalie Goulet. Il n’est pas question de supprimer cette aide, cher collègue. Encore une fois, nous ne serons pas d’accord sur ce texte, que je continuerai de soutenir.

Je profiterai du temps qu’il me reste pour parler de phénomènes connexes, dont celui du trafic d’êtres humains et de migrants, qui est devenu un véritable business. Le montant du blanchiment d’argent en ce domaine est désormais compris entre 5 milliards et 7 milliards d’euros.

Le 7 février dernier, le ministre de l’intérieur et le ministre des comptes publics ont signé avec Tracfin un accord pour contrôler et mieux suivre les filières de blanchiment d’argent. C’est une action extrêmement importante, qui s’effectuera en amont du dispositif que nous sommes en train d’examiner.

En effet, si nous asséchons les filières, moins d’individus se trouveront en situation irrégulière et nous aurons réglé un certain nombre de questions.

J’appelle votre attention sur l’arrestation, il y a quelques semaines, à la frontière entre la Pologne et l’Allemagne, de passeurs syriens, afghans et iraniens. Elle a permis de remonter la filière et de déterminer la provenance des fonds servant à alimenter ce trafic. Sur les 531 millions d’euros ainsi identifiés, 31 millions d’euros ont été versés au Hezbollah et 10 millions au Djihad islamique.

Je ne vais pas passer le reste de mon intervention à radoter et à invoquer éternellement les mêmes chiffres. Je vous propose de travailler sur les questions d’asile et d’immigration – nous pourrons ainsi assécher les filières d’immigration irrégulières, qui sont extrêmement importantes – et de poursuivre l’action engagée avec Tracfin.

En outre, il conviendrait que la commission des lois lance la mission flash que nous avions demandée, en complément du rapport de la commission des finances.

Il ne nous a pas échappé que la Cour des comptes, dans un excès de pudeur, ou par manque de moyens, n’a pas fait l’évaluation de la performance des programmes. Ainsi, il faudrait que nous complétions le rapport de la Cour, qui est un pur état des lieux, par un rapport sur la performance des associations. Nous serons ainsi encore plus contents de voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est loin d’être un détail. Elle jette l’opprobre sur des associations, avec un seul objectif : interdire l’accès au droit des personnes retenues au sein des CRA.

Après que la majorité de cette assemblée a voté l’allongement de la durée de rétention, c’est à présent à un droit fondamental qu’elle s’attaque. Cela tourne à l’obsession !

Cette proposition de loi est grave, car, en vérité, elle remet en cause l’équilibre du dispositif de rétention. En confiant à l’Ofii une mission d’information, la distance qui sépare celui qui retient de celui qui défend se trouve réduite jusqu’à l’effacement.

Doit-on priver les Restos du Cœur de la possibilité de nourrir, parce qu’ils manqueraient de neutralité ? Doit-on empêcher la Fondation pour le logement des défavorisés d’offrir un toit pour ce même motif ? Doit-on également refuser à l’association Solidarité Femmes l’abri qu’elles assurent à celles qui fuient la violence ? Refuserions-nous cela ? Non, bien évidemment !

Pourtant, cet argument est ici transposé à l’Ofii, soudain proclamé arbitre impartial, alors qu’il dépend de la même autorité qui programme l’expulsion.

Notre justice impartiale et neutre doit être accessible à tous sur notre territoire, pour que chacun ait droit à un recours effectif. C’est là un fondement de notre État de droit, auquel les associations veillent au sein des centres de rétention.

Pourquoi reprocher aux associations leur manque de neutralité, alors même qu’elles ne prennent aucune décision juridique et ne font qu’exercer la mission qui leur est demandée ?

Dans les centres de rétention, cinq structures conventionnées – Forum réfugiés, France terre d’asile, le groupe SOS de l’Assfam, la Cimade et Solidarité Mayotte – rencontrent chaque personne enfermée, analysent la situation, rassemblent pièces et liens familiaux, saisissent le Défenseur des droits et indiquent aux tribunaux les failles qui, trop souvent, entachent la décision.

Leur présence ne crée pas le dysfonctionnement, elle le dévoile. Le regard extérieur constitue l’oxygène du droit.

L’article unique de la proposition de loi substitue à cette médiation vivante un livret multilingue rédigé par l’Ofii, dont l’absence est sans conséquence sur la validité de l’éloignement. Une main détient alors le pouvoir de priver, d’informer ou d’omettre sans risque, tandis que la personne enfermée dispose de quarante-huit heures pour former un recours.

Ce texte crée une asymétrie totale : l’administration acquiert la faculté de commettre une erreur, alors que l’étranger conserve l’obligation de perfection.

Il est évident que la simple mise à disposition de documents d’information par l’Ofii ne peut combler les tâches accomplies par les associations, pourtant essentielles dans un État de droit. De plus, sans moyens humains et financiers supplémentaires pour l’Ofii, qu’adviendra-t-il de ses agents, abandonnés eux aussi ?

Quant aux avocats, ils n’ont pas vocation à remplacer les associations. Au contraire, la profession rappelle qu'elle travaille main dans la main avec elles. Les avocats n’ont pas pour mission d’exécuter toutes ces tâches, sans permanence quotidienne au sein des CRA et sans augmentation significative des montants de l’aide juridictionnelle.

Enfin, derrière les mots, la logique économique reste lisible. Maintenir la menace permanente d’un éloignement sert de rappel à une main-d’œuvre précaire : plus la pression demeure proche, plus le salaire se contracte et plus la rentabilité se dilate. Chaque texte qui réduit le contre-pouvoir renforce ce mécanisme discret.

Refuser ce texte, c’est dire qu’une démocratie tient à la pluralité des voix, même marginales, et qu’aucune logique d’efficacité ne justifie d’éteindre la lampe qui éclaire la procédure.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera bien évidemment contre cette proposition de loi, parce qu’il défendra toujours l’État de droit et le respect de la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, pour commencer, je me propose de citer l’auteure de cette proposition de loi, dans une interview accordée à Paris Match mercredi dernier : « Dans les centres de rétention administrative, des associations sont à demeure et assurent l’assistance juridique des personnes retenues. Elles ont des options politiques et sont militantes. Elles sont financées par de l’argent public pour, en fait, venir contrer la politique d’immigration définie par le gouvernement. Elles sont financées à hauteur d’un milliard d’euros. […] Nous devons sortir les militants pour y mettre des professionnels. »

Cette citation constitue le véritable exposé des motifs de cette proposition de loi ; elle relève d’une vision stigmatisante, partielle et en grande partie mensongère, dont plusieurs points peuvent être contredits.

Tout d’abord, il est vrai que les associations interviennent dans les CRA, depuis leur création. C’est la seule affirmation exacte que comporte cette citation.

Depuis 2010, leur rôle a évolué : elles garantissent l’accès effectif aux droits des personnes enfermées, dans le cadre d’une mission prévue par la loi, notamment par les articles L. 744-9 et R. 744-20 du Ceseda, et relevant de marchés publics contractés avec le ministère de l’intérieur.

Leurs intervenants sont des professionnels dotés de compétences juridiques spécifiques, qui informent de manière personnalisée sur les droits, les décisions et les procédures, et alertent les autorités sur les dysfonctionnements constatés dans les CRA. Ces missions requièrent une expertise, une présence effective et une indépendance, garanties par le cahier des charges du marché public.

Pour autant, l’affirmation selon laquelle ces associations auraient des opinions politiques et seraient militantes est sans objet, dès lors que personne ne constate de manquement dans l’exercice des missions qui leur sont confiées dans le cadre strict du marché public au sein duquel elles agissent. Elles rendent compte régulièrement de leurs actions aux responsables des centres et à la direction générale des étrangers en France.

Prétendre qu’elles entraveraient les politiques en aidant les personnes à exercer leur droit constitutionnel au recours est un non-sens, sauf à considérer que faire respecter le droit est incompatible avec la bonne marche des politiques publiques.

Point suivant, ces associations financées par l’argent public prendraient le contrepied de la politique d’immigration définie par le Gouvernement. Si l’accès aux droits et l’action en justice qu’elles facilitent contrent les décisions de l’administration, c’est bien souvent parce que ces décisions elles-mêmes sont entachées d’illégalité et d’irrégularité. Confier ces missions à un opérateur chargé lui-même de mener la politique d’éloignement porte en soi le germe du recul des droits des personnes retenues.

Le nombre important de personnes libérées par les juges chaque année – 44 % en 2024 – démontre l’utilité de l’action en justice et l’existence de nombreuses irrégularités dans les procédures d’interpellation ou d’éloignement et non une action militante des associations. La massification du contentieux ne résulte pas d’un mouvement volontaire des associations, comme le sous-entend ce texte, elle est la conséquence directe de l’inflation législative permanente sur ces questions, qui a complexifié le droit et l’a conditionné à une politique du chiffre.

La Cour des comptes elle-même, dans son enquête de décembre 2024, reconnaît que les associations remplissent bien leurs missions d’assistance juridique. Celles-ci jouent un rôle essentiel dans ces lieux fermés au public que sont les CRA ; elles sont la principale source de données publiques non gouvernementales sur l’enfermement et permettent de constater et de dénoncer les indignités, les abus et les violations des droits. Mettre fin à leur présence, c’est vouloir occulter la réalité des conditions de rétention administrative.

L’affirmation selon laquelle ces associations seraient financées à hauteur de 1 milliard d’euros, reprise par notre collègue Nathalie Goulet, relève, quant à elle, d’un détournement de la vérité. Le budget global de la mission « Immigration, asile et intégration » dans son ensemble s’élève, certes, à plus de 1 milliard d’euros pour 2025, mais cette mission couvre des dépenses bien plus vastes, incluant notamment l’hébergement des demandeurs d’asile.

En réalité, le coût de l’assistance juridique aux personnes retenues dans les CRA par les associations n’est que de 7,4 millions d’euros en 2024, soit un rapport de 1 à 135 avec le chiffre avancé. Excusez l’ampleur de l’approximation ! Rien de mieux qu’une grosse « manip » pour faire passer un texte aussi bancal.

Enfin, vous affirmez qu’il faudrait « sortir les militants pour y mettre des professionnels ». C’est une insulte au travail des associations. En France, le secteur associatif emploie plus de 1 million et demi de personnes. Les intervenants dans les CRA sont des professionnels dotés de l’expertise et des compétences juridiques nécessaires pour cette mission complexe.

La solution proposée, qui consiste à confier ces tâches à l’Ofii, soulève d’énormes difficultés et apparaît profondément irréaliste, au-delà des conflits d’intérêts évidents. Je rappelle que le schéma d’emploi global de l’Ofii, voté dans le projet de loi de finances pour 2025, est en diminution de vingt-neuf équivalents temps plein (ETP). Qui, dès lors, va accomplir les nouvelles tâches prévues dans le présent texte ?

En conclusion, cette proposition de loi est justifiée par des approximations, des erreurs factuelles, des contresens juridiques et des biais politiques manifestes. Elle vise à museler les voix indépendantes dans les CRA, à réduire l’accès aux droits des personnes retenues et à affaiblir le rôle crucial d’observation et d’alerte des associations.

Nous apportons tout notre soutien aux associations ainsi prises pour cible et nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons malheureusement une fois de plus pour évoquer ce qui est devenu la passion de la droite sénatoriale : l’immigration.

Cette fois-ci, vous tentez de faire d’une pierre deux coups : pour vous en prendre de nouveau aux droits des migrants, vous nous proposez de nous attaquer aux associations qui jouent un rôle de soutien et d’accès au droit au sein des centres de rétention administrative.

Mes chers collègues, nous pouvons dresser une bien triste liste de vos textes anti-étrangers, qui ne font que stigmatiser une partie de la population et qui alimentent un ressentiment au sein de notre société. Tous les étrangers seraient donc des ennemis, des gens dangereux ; et c’est bingo pour ceux qui sont à la fois étrangers et musulmans, que l’on pourrait ainsi mettre au ban de notre société.

Je le dis avec gravité, cette attitude, la banalisation du rejet de l’autre et la propagation de ce type de discours peuvent conduire aux drames les plus atroces comme l’assassinat barbare d’Aboubakar Cissé, parce que musulman. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Les autres personnes assassinées ne comptent pas ?

Mme Corinne Narassiguin. Ce texte est symptomatique d’une droite qui se croit encore républicaine, mais qui s’éloigne pas à pas de ses principes, après une proposition visant à créer une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, une autre tendant à interdire le mariage avec une personne en situation irrégulière, une troisième revenant sur le droit du sol à Mayotte. Voilà un beau mélange, ponctué par les déclarations et la surenchère de notre ministre de l’intérieur, qui s’est découvert une passion pour les circulaires.

Vous nous proposez donc d’exclure les associations des actions d’aide à l’exercice de leurs droits par les étrangers placés en CRA et de les remplacer par l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

L’article L. 744-20 du Ceseda prévoit : « Le ministre chargé de l’immigration conclut une convention avec une ou plusieurs personnes morales ayant pour mission d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. À cette fin, la personne morale assure, dans chaque centre dans lequel elle est chargée d’intervenir, des prestations d’information, par l’organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. »

La désignation de ces associations passe par un marché public. Elles sont actuellement au nombre de cinq à intervenir au sein des CRA : Assfam-Groupe SOS Solidarités, France terre d’asile, Forum réfugiés, la Cimade, Solidarité Mayotte. Elles doivent respecter un cahier des charges précis et rendre compte régulièrement de leurs actions auprès du ministère de l’intérieur.

L’auteure de cette proposition de loi ne se soucie pas d’assurer un accompagnement juridique de qualité des personnes retenues, mais s’inquiète au contraire de sa trop grande qualité, qui conduirait à une baisse des renvois vers les pays d’origine. On reprocherait donc aux associations de trop bien faire appliquer le droit. C’est original !

Vous vous affolez d’une massification des recours, mais sans avancer de chiffre ni justifier d’une quelconque corrélation. Permettez-moi de vous rappeler que si les recours augmentent, c’est parce que nous assistons à une massification des OQTF, bien souvent infondées et qui sont par la suite annulées.

Si vous souhaitez voir le nombre de recours baisser, il suffit d’arrêter de délivrer à l’aveugle des OQTF, sans discernement.

M. Roger Karoutchi. Ben voyons !

Mme Corinne Narassiguin. Si vous souhaitez voir le nombre de recours baisser, il suffit que l’administration cesse de contester les décisions qui lui sont défavorables. Simple, basique, mathématique.

En 2024, 44 % des personnes placées en CRA ont été libérées par le juge après que celui-ci a constaté l’illégalité des conditions d’interpellation ou de procédure d’éloignement. Si les recours existent, c’est bien parce que le droit l’impose ; ce n’est en rien le fait des associations. Dans leur rôle de conseil, ces dernières peuvent même parfois déconseiller un recours si celui-ci n’est pas opportun et n’a pas de chance d’aboutir.

Dans l’exposé des motifs, l’auteure du texte s’inquiète du manque de neutralité des associations, révélant une totale méconnaissance de la liberté d’association, principe fondamental de notre République.

La liberté d’expression va de pair avec la liberté d’association : dans ce cadre, les associations peuvent participer librement au débat public et prendre des positions. Pour autant, lorsqu’elles sont mandatées par le ministère de l’intérieur dans le cadre d’un marché public, leur seul objectif est de garantir le respect des droits fondamentaux et de l’État de droit.

Madame la sénatrice Ciuntu, vous citez votre propre rapport, réalisé au nom de la commission des finances, qui relèverait une alerte de la Cour des comptes sur l’action des associations. Or la seule phrase que contient le rapport de la Cour des comptes à ce sujet, à la page 44, est la suivante : « Il n’est pas douteux que les associations remplissent effectivement leur mission d’assistance juridique. » Permettez-moi de ne pas faire la même interprétation que vous de l’expression « il n’est pas douteux », qui signifie que les associations remplissent bien leur mission d’assistance juridique.

Un autre argument original, qui fera sourire ceux qui connaissent bien le milieu associatif, est avancé : l’intervention de l’Ofii en lieu et place des associations permettrait de mieux coordonner la gestion et les dépenses associées, et ce sans aucune évaluation budgétaire.

Je peux vous l’affirmer, l’intervention de l’Ofii sera bien plus coûteuse que celle des associations…