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Amélioration du dispositif de protection temporaire
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France, présentée par Mme Nadia Sollogoub et plusieurs de ses collègues (proposition n° 233, texte de la commission n° 596, rapport n° 595).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi.
Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le président du Sénat et les présidents de groupe – particulièrement Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste – d’avoir accepté d’inscrire dans cette niche transpartisane un texte qui peut sembler quelque peu technique, mais qui clarifiera et simplifiera la situation de ceux qui relèvent aujourd’hui du dispositif très particulier de la protection temporaire et de ceux qui en bénéficieront peut-être demain, ainsi que le travail des différents services et associations qui instruisent ces dossiers et de tous ceux qui aident et accompagnent les bénéficiaires.
Je remercie également Isabelle Florennes, rapporteure du texte, la présidente de la commission des lois et les membres de ladite commission de leur découverte bienveillante d’une réalité particulière, de leur maîtrise du dossier et de leurs apports pondérés et équilibrés.
Je rappelle que, le 3 mars 2022, à la suite de l’agression de l’Ukraine par la Russie, le Conseil de l’Union européenne a, pour la première fois, enclenché le dispositif de la protection temporaire.
La protection temporaire concerne les étrangers non européens contraints à l’exil en raison de conflits armés, de violences ou de graves violations des droits de l’homme dans leur pays d’origine. Il s’agit de gérer le cas très particulier des mouvements migratoires temporaires.
Devant l’afflux de populations fuyant les bombardements, l’Europe a estimé que les conditions exceptionnelles étaient pour la première fois réunies pour que chaque pays de l’Union, selon ses modalités propres, accueille les Ukrainiens sous le régime de la protection temporaire.
Ainsi, la France a mis en place un « panier » de droits correspondant à ce statut.
Unanimement, les Ukrainiens ont exprimé leur reconnaissance et leur profonde gratitude pour tout ce qui a été organisé en urgence et leur a permis de trouver la sécurité dont ils avaient un besoin vital.
Je vous remercie également, mes chers collègues, d’avoir légiféré en urgence, afin que le dispositif soit rapidement opérationnel.
Personne n’imaginait – ni nous, ni vous, ni eux – que ce conflit durerait aussi longtemps. En 2025, force est de constater que le dispositif de la protection temporaire n’est pas adapté dans la durée et que, dans l’intérêt de tous, il doit être ajusté. Le recul nous donne cette expérience et nous permet de dresser un constat.
La tendance est claire et elle s’accélère : les bénéficiaires de la protection temporaire se tournent massivement vers des demandes d’asile, ce qui est totalement contraire à l’esprit du dispositif, lequel doit rester transitoire !
Aujourd’hui, la France est au sein de l’Union européenne le neuvième pays d’accueil des Ukrainiens, mais elle reçoit près de 50 % des demandes d’asile formulées par des ressortissants ukrainiens au sein de l’Union.
Les demandes de sortie du dispositif de la protection temporaire vers l’asile deviennent systématiques. C’est un phénomène qui s’accélère et qui est propre à la France : 3 250 demandes ont été formulées en 2023, puis 12 031 en 2024 ; et l’on compte déjà près de 5 000 demandes en 2025.
Ces demandes reçoivent généralement une réponse positive. Il y a urgence à enrayer ce phénomène, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, parce que les Ukrainiens et Ukrainiennes de tous âges, arrachés brutalement à leur patrie, souhaitent dans leur grande majorité y retourner, et il faut absolument que cette possibilité leur reste toujours offerte.
Ensuite, parce que la France n’a pas vocation à garder sur son territoire ces populations fragilisées, auxquelles elle a proposé, avec une immense générosité, un abri temporaire.
Enfin, parce que nos services administratifs sont déjà embolisés par les demandes d’autres réfugiés, dont certains ont un besoin urgent de leurs papiers, il est ridicule de les surcharger avec les dossiers de protégés qui demandent l’asile par défaut, mais qui souhaitent au fond pouvoir retourner chez eux.
Mes chers collègues, je vous le répète, ce texte traite de l’exemple ukrainien, mais ce n’est pas un texte pour les Ukrainiens. Il s’appuie sur notre expérience récente afin d’améliorer un dispositif qui, demain, hélas ! bénéficiera peut-être à d’autres peuples fuyant la barbarie et la guerre.
Plusieurs causes étant à l’origine des demandes d’asile massives que l’on constate actuellement, plusieurs pistes d’amélioration existent.
Tout d’abord j’ai souhaité, à l’article 1er, améliorer la reconnaissance des diplômes, en particulier médicaux, afin de permettre des retours à l’emploi dans des métiers en tension.
Une autorisation d’exercice temporaire avait été accordée aux Ukrainiens jusqu’au 27 décembre 2023 seulement. Cette possibilité leur avait été donnée au début de leur séjour en France, alors qu’ils ne maîtrisaient ni les procédures ni la langue et qu’ils se trouvaient en état de choc. Très peu étaient alors en capacité d’en bénéficier.
Un amendement du Gouvernement, adopté hier lors de l’examen de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires, non seulement rétablit pour les réfugiés et apatrides la possibilité d’exercer temporairement, dans l’attente de leur réussite aux épreuves de validation des compétences (EVC), mais accorde la même possibilité aux bénéficiaires de la protection temporaire. C’est une volonté que je salue.
J’aborde ensuite les problématiques traitant de la mobilité.
Je profite de la présence de M. le ministre pour évoquer un problème récurrent qui, bien qu’il ne soit pas de nature législative, doit faire l’objet d’une attention particulière et trouver une solution rapide : la non-reconnaissance du permis de conduire ukrainien est choquante, alors que le permis de conduire russe est reconnu en France à la suite d’accords bilatéraux.
Alors que le gouvernement ukrainien a réalisé de gros efforts de dématérialisation des procédures afin de sécuriser la délivrance des titres, rien ne semble s’opposer à la signature d’un accord bilatéral sur ce point entre la France et l’Ukraine. La reconnaissance du permis de conduire ukrainien non seulement constituerait un signe diplomatique fort envoyé par la France à ce peuple ami, mais permettrait de nombreux retours à l’emploi, particulièrement dans les territoires ruraux.
Monsieur le ministre, je reçois chaque semaine de tous les collègues et de tous les départements, des demandes pressantes à ce sujet. Je vous sollicite en présence, dans notre tribune, de M. le consul d’Ukraine en France, que je salue. Je vous remercie de comprendre mon insistance et de nous aider.
Par cette proposition de loi, je souhaite contribuer à lever les difficultés de mobilité que rencontrent les bénéficiaires de la protection temporaire en France. Il est à noter que les problèmes d’assurance seront automatiquement réglés lorsque le permis ukrainien sera reconnu en France.
Le troisième volet du texte traite de la couverture sociale des bénéficiaires de la protection temporaire.
Comme je vous l’expliquais plus tôt, la très grande majorité des protégés ukrainiens, dans un contexte de tension budgétaire, de désinformation et d’inégalité de traitement selon les départements, basculent actuellement vers des demandes d’asile. Ces demandes sont accordées dans 98 % des cas et ouvrent droit à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), au revenu de solidarité active (RSA), à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et à l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
La solution la plus coûteuse pour le budget des collectivités et de l’État, c’est de laisser faire ! En effet, dans tous les cas, ces bénéficiaires obtiendront une prise en charge sociale. Si nous ne changeons rien, ils obtiendront l’asile, de façon difficilement réversible et donc probablement définitive. En revanche, si nous rendons le statut de la protection temporaire suffisamment protecteur pour que les Ukrainiens le conservent jusqu’à la fin du conflit, leur prise en charge restera limitée dans le temps et sera donc moins coûteuse.
Ma proposition, monsieur le ministre, mes chers collègues, vise à éviter que la protection temporaire ne soit, pour les réfugiés qui arrivent sur notre territoire, que l’antichambre de l’asile. Bien entendu, elle ne réglera pas tous les problèmes. Des difficultés administratives subsisteront, mais elles sont inévitables en pareille situation. Plusieurs dispositions sont d’ordre réglementaire et ne peuvent donc être traitées ici.
Je ne peux conclure sans évoquer la question absolument essentielle de l’apprentissage de la langue. Des moyens suffisants doivent être prévus pour permettre l’intégration des populations concernées le temps de leur séjour.
J’entends les craintes qui sont exprimées. Aussi, je le redis, améliorer le dispositif de la protection temporaire en France, ce n’est en aucun cas créer une charge supplémentaire.
Améliorer ce dispositif en France, c’est clarifier, simplifier la tâche administrative, permettre une insertion temporaire.
Améliorer ce dispositif en France, c’est aider ceux qui sont arrivés chez nous bien malgré eux à rester debout, en attendant la paix et le jour tant espéré de leur retour. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)
Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a expliqué Nadia Sollogoub, que je remercie vivement pour la qualité de nos échanges, cette proposition de loi vise à améliorer le régime de la protection temporaire.
Celui-ci a été introduit par une directive européenne du 20 juillet 2001, qui laisse aux États membres une importante marge d’appréciation pour préciser ses modalités pratiques. Il a été appliqué pour la première fois à l’occasion de l’invasion du territoire ukrainien par la Russie et sur l’initiative de la France.
J’insisterai sur un point en guise de préambule : il s’agit, dans l’ensemble, d’une réussite dont nous pouvons nous féliciter. Toutes les personnes que j’ai auditionnées, qu’il s’agisse du consul d’Ukraine à Paris, que je salue, des associations représentant les Ukrainiens en France, des administrations centrales compétentes ou encore du préfet de région d’Île-de-France, ont souligné la qualité de cette politique publique et, plus largement, de l’accueil offert par la France aux Ukrainiens.
Cette mobilisation a permis de leur apporter l’accompagnement dont ils avaient besoin, en termes de logement, de travail et de scolarisation. Nous devons nous réjouir de la mobilisation de nos services, des associations et de la société tout entière.
Il s’agit désormais, au regard de ce premier bilan, d’améliorer ce régime dans la perspective de futures crises.
La commission a pu constater que certaines évolutions avaient déjà permis de satisfaire plusieurs des objectifs du texte – j’y reviendrai. En tout état de cause, cela témoigne du fait que la volonté d’améliorer le dispositif est partagée : gageons que cette démarche sera poursuivie.
L’article 1er étend, au profit des bénéficiaires de la protection temporaire qui exercent une profession médicale, un dispositif dérogatoire aujourd’hui applicable aux réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire qui appartiennent à la catégorie des professionnels de santé diplômés hors de l’Union européenne, que l’on appelle couramment les Padhue.
Ces professionnels de santé doivent en principe passer avec succès des épreuves de vérification de connaissances spécifiques à leur profession. Suivant ce dispositif, le nombre maximum de candidats susceptibles d’être reçus dans le cadre de ces épreuves n’est pas opposable aux réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire. L’article 1er prévoit qu’il ne le sera pas non plus aux bénéficiaires de la protection temporaire.
Cette mesure a semblé opportune à la commission, dans la mesure où elle favorisera l’intégration des professionnels de santé qui disposent de ce statut.
L’article 2 visait à faciliter la souscription d’une assurance automobile par les bénéficiaires de la protection temporaire. Ces derniers auraient rencontré de nombreuses difficultés, le permis ukrainien n’étant pas reconnu par la France. Pour surmonter ce problème, le dispositif permettait au propriétaire d’un véhicule immatriculé à l’étranger de le faire immatriculer en France, même s’il ne possède pas de permis de conduire reconnu par la France.
Cet article n’a pas semblé judicieux à la commission dans la mesure où ses conséquences potentielles dépassent tant la question de l’assurance des véhicules que la situation des bénéficiaires de la protection temporaire. Par ailleurs, un tel dispositif ne relève pas du domaine de la loi.
La commission a donc supprimé cet article, considérant qu’il incombe au Gouvernement, en concertation avec les assureurs, de trouver une solution à ce problème.
L’article 3 visait à faciliter le passage du permis de conduire par les bénéficiaires de la protection temporaire, qui peinaient à attester d’une résidence normale, comme le requiert le code de la route.
Si la commission a évidemment accueilli favorablement ce dispositif, puisque le permis de conduire est bien souvent un facteur important d’intégration dans notre pays, où la circulation en voiture est généralement nécessaire pour obtenir un emploi, il apparaît que son objectif est déjà satisfait par le droit actuel. En effet, l’arrêté du 10 février 2025 prévoit expressément que l’autorisation provisoire de séjour permet de justifier d’une résidence normale.
La commission a donc supprimé cet article.
J’en viens à l’article 4, qui constitue le dispositif central de cette proposition de loi et résulte d’un constat préoccupant : les bénéficiaires de la protection temporaire sont de plus en plus nombreux à se détourner de ce dispositif au profit du régime de l’asile.
Les chiffres sont édifiants : les Ukrainiens ont déposé près de 2 000 demandes d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) en 2021 et en 2022. En 2023, ils en ont déposé 3 250, puis plus 12 000 en 2024. Il s’agit donc presque d’une multiplication par six depuis 2021.
Et cette tendance se poursuit : alors que l’Ukraine était le dixième pays de provenance des demandes d’asile en 2023, le deuxième en 2024, derrière l’Afghanistan, elle est désormais le premier au premier trimestre de cette année.
Il s’agit d’une exception à l’échelle de l’Union européenne. La France, qui est le dernier pays d’accueil de l’Union en proportion de sa population, reçoit la moitié des demandes d’asile formulées par des Ukrainiens au sein de l’Union. L’Ofpra accueille favorablement ces demandes, dans plus de 92 % des cas, et accorde en principe la protection subsidiaire. Or ce régime n’est pas adapté à la population ukrainienne. Il suffit de songer au fait qu’un bénéficiaire de la protection subsidiaire ne peut, en principe, regagner son pays d’origine durant quatre ans. Les autorités ukrainiennes et les associations représentant les Ukrainiens en France sont donc très inquiètes de voir leurs concitoyens engager en si grand nombre cette procédure.
Les personnes que j’ai auditionnées ont identifié plusieurs facteurs pouvant expliquer cette tendance, à laquelle nous devons remédier. Je citerai les quatre principaux.
Le premier tient à la fréquence des démarches administratives attachées à l’autorisation provisoire de séjour, celle-ci devant être renouvelée en préfecture tous les six mois. Un amendement avait été déposé sur ce sujet, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Des travaux doivent néanmoins être conduits sur le dispositif actuel afin de l’adapter. La commission a remarqué que le Gouvernement pourrait procéder à une telle adaptation par décret.
Le deuxième résulte de l’incertitude qui plane quant aux modalités de sortie du dispositif. En effet, l’échéance actuelle a été fixée au 4 mars 2026. Les États membres devraient bientôt s’entendre sur une prolongation, assortie d’un plan de sortie du dispositif, mais les bénéficiaires du régime cherchent un statut pérenne du fait de l’incertitude actuelle.
Le troisième découle de la difficulté que certains auraient pu rencontrer à se loger. Ils se dirigeraient donc vers l’asile pour bénéficier du dispositif national d’accueil.
Enfin, le quatrième provient de l’éventuelle insuffisance de la couverture sociale associée à la protection temporaire.
L’article 4 repose sur cette dernière hypothèse. Il vise donc à étendre au profit des bénéficiaires de la protection temporaire plusieurs prestations et aides sociales. Il s’agit de l’allocation personnalisée d’autonomie, des allocations aux personnes âgées que sont l’allocation de solidarité aux personnes âgées et l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), et de l’allocation aux adultes handicapés.
La commission vous propose d’étendre la couverture sociale garantie par ce régime à l’APA, à l’Aspa, à l’ASI et à l’AAH. Elle a cependant décidé d’écarter le RSA du dispositif, dans la mesure où cette prestation n’apparaît pas appropriée au régime de la protection temporaire. Celle-ci a en effet une vocation provisoire et se caractérise par la mobilité de ses bénéficiaires. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion de l’amendement qui vise à le réintroduire.
Je terminerai en soulignant que la question des aides sociales n’épuise en rien ce sujet d’importance. La situation actuelle prouve qu’il faut agir dès maintenant pour prévenir le report des bénéficiaires de la protection temporaire vers l’asile. Il faut les informer de la prolongation vraisemblable du régime, voire, s’ils souhaitent s’installer durablement en France, les orienter vers des titres de séjour de droit commun, qui apparaissent bien plus adaptés à leur situation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de trois ans, la guerre, que nous pensions reléguée au musée de l’Histoire, frappait de nouveau notre continent.
Des centaines de milliers d’hommes ont été jetés les uns contre les autres par la violence des combats, qui continuent malheureusement au moment où je vous parle. Des familles ont été décimées et une grande partie de la population ukrainienne, des femmes, des enfants, des vieillards, des hommes parfois, ont été contraints à l’exode et obligés de quitter l’Ukraine.
Souvent critiquée, l’Union européenne a su, en cette heure grave de notre histoire collective, être au rendez-vous de notre destin commun, en faisant bloc pour dénoncer l’agresseur, en faisant corps avec l’agressé, en entravant, par des sanctions, l’effort de guerre du premier et en permettant au second, par l’envoi d’armes, de maintenir le sien, en accueillant, surtout, ces hommes et ces femmes contraints de quitter leur foyer.
Au 19 février 2025, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), près de 6,4 millions d’Ukrainiens avaient dû fuir leur terre pour trouver refuge sur les nôtres, en Pologne et en Allemagne, bien sûr, qui accueillent, et de loin, le plus grand nombre d’Ukrainiens, mais partout ailleurs aussi, de Chypre jusqu’en Irlande, en passant par la France. Notre pays en hébergeait près de 115 000 en décembre 2024.
En activant, le 4 mars 2022, pour la première fois de son histoire, la directive relative à la protection temporaire, le Conseil de l’Union européenne a permis d’assurer à des millions de personnes une protection efficace sans que celle-ci ne désorganise profondément les régimes d’asile nationaux.
Trois ans plus tard, ce sont près de 4,3 millions de personnes qui bénéficient de ce statut dans l’un des vingt-sept États membres de l’Union.
Trois ans plus tard, nous devons nous féliciter de tout ce que nous avons accompli, mais également mesurer ce qu’il nous faut améliorer. Car si le dispositif de protection temporaire a constitué une réponse souple et agile face à la fragilité et à la précarité de ces familles, il révèle aujourd’hui un certain nombre de limites, notamment en France.
Tel est l’objet de la proposition de loi que présente aujourd’hui Mme la sénatrice Nadia Sollogoub, dont je veux saluer l’infatigable engagement en faveur de ces personnes injustement chassées de leur foyer.
En effet, à peine plus de 56 000 ressortissants ukrainiens, mineurs accompagnants non compris, bénéficient en ce moment même de ce dispositif en France. Ce chiffre relativement faible s’explique par l’augmentation du nombre d’Ukrainiens qui demandent, et obtiennent, l’asile en France. L’an dernier, les ressortissants de ce pays ont ainsi représenté 10 % des premières demandes d’asile.
Or, il faut le dire, les bénéficiaires de la protection temporaire n’ont pas vocation à devenir des bénéficiaires de la protection internationale, parce qu’ils n’ont pas vocation à s’implanter durablement en France. Ils sont destinés, lorsque la guerre sera terminée, à retrouver leur foyer. Leurs familles et leurs proches les y attendent. Eux-mêmes y aspirent, dans leur immense majorité. Leur gouvernement le souhaite. Je peux en témoigner pour avoir reçu il y a quelques semaines mon homologue ukrainien au ministère. Nous faisons évidemment clairement passer ce message.
Si le refuge transitoire que devait offrir à ces civils la protection temporaire tend à se transformer en étape vers l’installation pérenne, c’est parce que ce mécanisme semble inadapté aux besoins qu’exprime aujourd’hui cette population.
Plus de trois ans après le déclenchement de cette protection, nous disposons dorénavant d’assez de recul pour l’ajuster et interrompre ce jeu de vases communicants qui est, il faut le redire, contraire à l’esprit de ce mécanisme et coûteux, notamment pour nos collectivités territoriales. Je rappelle en effet que le statut de réfugié ne permet pas seulement une installation durable ; il donne aussi droit à de nombreuses prestations sociales, comme le RSA, sans délai de carence.
C’est précisément l’ambition de la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui. Je remercie la rapporteure Isabelle Florennes, ainsi que tous les membres de la commission des lois, pour leur sens de l’écoute et du dialogue. Les échanges que nous avons eus, ainsi que les modifications qui ont été apportées, ont permis d’aboutir à un texte qui améliore sensiblement le dispositif de la protection temporaire en renforçant l’autonomie de ses bénéficiaires.
Je rappelle que la reconnaissance des permis de conduire relève soit du domaine réglementaire, soit du domaine supranational, et non de la loi. Le ministre ukrainien que j’ai rencontré a évoqué cette difficulté et des démarches sont engagées pour trouver une solution pragmatique.
Nous l’avons dit, les Ukrainiens ont vocation à retourner dans leur pays lorsque la guerre aura pris fin. C’est pourquoi nous devons d’ores et déjà préparer leur retour. Pour cela, il importe que nous leur permettions de conserver la même autonomie que celle dont ils disposaient dans leur pays d’origine, à savoir une autonomie professionnelle et familiale.
La France a déjà consenti de nombreux efforts en favorisant l’intégration au marché du travail des bénéficiaires de la protection temporaire, la scolarisation de leurs enfants, la socialisation des familles. Ce texte prévoit d’autres dispositifs encore, notamment pour les professionnels de santé, auxquels le Gouvernement est favorable.
A contrario, nous nous opposons à tout ce qui peut constituer une trappe à inactivité. Je veux de nouveau remercier la rapporteure et les membres de la commission, qui ont entendu nos préventions sur le droit au RSA en particulier.
En renforçant l’intégration professionnelle de nos amis ukrainiens et en adoptant un équilibre subtil dans l’octroi des droits sociaux qui améliorent le quotidien des plus précaires et des plus éloignés de l’emploi, cette proposition de loi vise juste. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est tout à fait favorable à son adoption.
Cette proposition de loi traduit bien l’engagement du Sénat, qui soutient les efforts que nos amis ukrainiens doivent fournir durant cette période difficile. Tous ceux qui sont présents dans cet hémicycle s’en souviennent, le Sénat avait reçu au mois de février 2023 Ruslan Stefanchuk, président de la Rada, qui avait eu le rare privilège de s’exprimer à cette tribune. Nous avions apprécié son intervention.
Ce symbole a illustré bien plus que les liens de confiance et d’amitié entre la Rada et le Sénat, il a rehaussé la solidarité profonde qui existe entre nos deux peuples. Cette solidarité ne se démentira jamais. Le texte que vous allez adopter aujourd’hui, et que le Gouvernement soutient, permet de confirmer cet engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.)
M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, il y a plus de trois ans, la Fédération de Russie a déclenché une guerre d’agression totale contre l’Ukraine, en violation flagrante des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies et du droit international.
Dès les premiers jours du conflit, des centaines de milliers de civils ont été contraints de fuir leur pays pour échapper aux bombardements et aux exactions de l’armée russe. Les citoyens européens se sont spontanément mobilisés en manifestant leur soutien à nos voisins ukrainiens, traduisant la solidarité européenne et internationale.
En Pologne, en Roumanie, en Allemagne massivement, et dans l’ensemble des pays européens, les États, les collectivités territoriales et les citoyens se sont organisés pour accueillir au mieux les personnes déplacées. En France, de très nombreuses initiatives ont été prises dans nos communes. Cette forte mobilisation ne s’est jamais démentie.
Confrontée à une situation d’urgence, l’Union européenne a fait preuve de responsabilité en activant, pour la première fois de son histoire, la directive 2001/55/CE instituant un régime de protection temporaire.
Ce mécanisme exceptionnel, conçu pour faire face à des afflux massifs de personnes déplacées, garantit un accès immédiat à une autorisation de séjour, au logement, à l’emploi, aux soins de santé. Initialement prévu pour une durée d’un an, renouvelable une fois, puis prorogeable à titre exceptionnel, ce régime a été reconduit à deux reprises, compte tenu des circonstances.
Trois ans après son activation, alors que la guerre se poursuit, plusieurs difficultés opérationnelles ont été identifiées quant aux conditions d’accueil : difficulté d’accès à certains droits sociaux, obstacles à la reconnaissance des qualifications professionnelles, situations d’incertitude prolongée pour les familles.
Ce décalage entre le droit en vigueur et la réalité du terrain conduit de plus en plus de bénéficiaires de la protection temporaire à solliciter l’asile. Déjà sous tension, l’Ofpra fait face à un afflux de très nombreuses demandes : 12 000 en 2024, contre 3 000 en 2023. Chacun est conscient des mécanismes qui aboutissent à cette évolution.
La quasi-totalité de ces demandes émanent de personnes déjà sous protection temporaire, ce qui contribue bien évidemment à cet afflux. Cette pression fragilise la qualité du traitement des demandes et compromet l’efficacité de notre politique d’accueil, déjà sous tension.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la proposition de loi de notre collègue Nadia Sollogoub, que je salue pour la constance de son engagement, notamment en tant que présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, pour sa mobilisation, son enthousiasme et sa détermination à préserver très concrètement ici, au Sénat, les liens profonds qui nous unissent à nos amis ukrainiens.
Cette initiative, présentée dans un esprit transpartisan, vise à améliorer le fonctionnement du dispositif de protection temporaire en prenant appui sur les retours d’expérience de ces trois dernières années. Elle répond à un besoin identifié par de nombreux acteurs de terrain, visant à adapter le cadre juridique.
Le texte initial comportait cinq articles. Il prévoyait d’ouvrir l’accès à certaines prestations sociales aujourd’hui réservées aux réfugiés et de lever les freins liés à la mobilité, notamment en matière d’immatriculation et de permis de conduire. Il s’agissait ainsi de corriger plusieurs angles morts du droit actuel, sans remettre en cause la logique transitoire du régime européen.
La commission a examiné la proposition de loi dans un souci de dialogue, en lien avec le Gouvernement, pour aboutir au texte qui nous est aujourd’hui soumis. Les articles 1er et 4 ont été maintenus. Ils contiennent les dispositions les plus adaptées aux situations les plus critiques que nous connaissons.
L’article 1er permet aux professionnels de santé bénéficiant de la protection temporaire de se voir reconnaître le statut de praticien associé, facilitant ainsi leur intégration dans les établissements de soins. Nous en avons très objectivement grandement besoin dans un certain nombre de nos territoires.
L’article 4 ouvre plus largement aux bénéficiaires de la protection temporaire l’accès à plusieurs aides sociales – je n’y reviens pas.
L’élargissement au revenu de solidarité active, initialement envisagé, n’a pas été retenu. J’entends les différents arguments qui ont été avancés, même si nous considérons que les conséquences seront assez marginales. Nous regrettons cette exclusion.
Pour autant, nous demeurons très favorables à ce texte, qui apporte des réponses concrètes et pragmatiques aux difficultés constatées dans l’application du régime de protection temporaire. Il traduit également une volonté claire : celle de faire évoluer notre droit en cohérence avec les engagements européens et internationaux de la France et les principes d’humanité qui ont toujours guidé notre politique d’accueil, qui ne valent pas que pour l’Ukraine, mes chers collègues.
Enfin, si ce texte vise à mieux encadrer un dispositif, il ne saurait clore la réflexion. En effet, trois ans après leur arrivée en France, certaines personnes ont fondé une famille, inscrit leurs enfants à l’école, appris la langue, trouvé un emploi. Devant ces situations, nous savons déjà qu’il nous faudra imaginer d’autres évolutions et revenir sur le sujet. Ce n’est pas le petit-fils de réfugiés politiques espagnols, dont la famille a connu un parcours semblable l’ayant mené à l’intégration républicaine dans notre pays, qui vous dira le contraire.
Ce texte positif est bienvenu, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le voteront. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, RDSE et UC.)