M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe UC.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite avant tout exprimer l’espoir constant de notre groupe d’un retour à la paix sur notre continent.
Nous nous retrouvons dans cet espace transpartisan afin d’étudier une proposition de loi qui est chère à mon groupe à bien des égards, car elle touche à la fois à l’accueil des migrants et au processus d’évaluation des lois.
Oui, ce texte vise à améliorer une situation après en avoir évalué les écueils, que l’on n’avait pas forcément perçus au premier abord. Il traite du sujet de la protection temporaire, que notre pays a su si justement et rapidement mettre en place pour les Ukrainiens dès le début de l’agression russe.
Ce dispositif représente à la fois un modèle de coopération européenne et la preuve que nous savons organiser un accueil digne pour les personnes en détresse, forcées de s’éloigner de leur pays. Il faudrait simplement en étendre le bénéfice à d’autres personnes et à d’autres situations…
La France s’est honorée d’accueillir près de 55 000 Ukrainiens sous ce statut. Tout comme les auteurs de ce texte, nous pensons que cette protection temporaire et ses modalités ont vocation à être mises en œuvre pour d’autres personnes qui fuient les conflits partout dans le monde.
Au vu de la situation en Ukraine, qui semble enlisée, ce dispositif temporaire perdure, hélas. Le texte européen qui lui sert de base a déjà été prorogé à deux reprises et devrait expirer, à ce stade, au début du mois de mars 2026.
Cette pérennisation du conflit n’est pas sans conséquence pour les bénéficiaires de la protection temporaire, qui sont de moins en moins nombreux à exprimer une intention de retour dans leur pays.
Le nombre de demandes d’asile, ce statut individuel plus protecteur sur le temps plus long, est en forte hausse. En 2024, 11 800 dossiers ont été déposés ; c’est quatre fois plus qu’en 2023. Les Ukrainiens sont aujourd’hui la deuxième nationalité pour le nombre de demandes d’asile en France, derrière les Afghans.
L’autorisation provisoire de séjour de ceux qui sont placés sous protection temporaire n’est que de six mois. Notre groupe avait proposé de porter cette durée à un an, et certains orateurs viennent de défendre cette idée. En effet, la fréquence des démarches administratives attachées au régime de la protection temporaire est l’un des facteurs explicatifs de la hausse du nombre de demandes d’asile. Si les concernés bénéficient, contrairement aux demandeurs d’asile, et malgré nos demandes répétées en faveur de ces derniers, d’une autorisation temporaire de travail, la précarité de leur situation demeure problématique.
Nous avons regretté l’interprétation de l’article 40 de la Constitution, qui a conduit à une déclaration d’irrecevabilité. La démarche que nous proposions aurait au contraire permis des économies. Nous joignons nos voix à celle de Mme la rapporteure pour demander au Gouvernement de se saisir rapidement du sujet.
C’est aussi à une problématique financière que sont confrontées les personnes ayant fui la guerre en Ukraine. L’accompagnement social est essentiel pour leur vie sur notre territoire.
L’amélioration du dispositif de protection temporaire via une meilleure protection sociale des bénéficiaires est salutaire : les Ukrainiennes et les Ukrainiens présents en France sont de plus en plus soumis à des difficultés économiques, dans un contexte de hausse du coût de la vie. Cette précarisation a des conséquences dramatiques : plus de la moitié des personnes qui retournent en Ukraine le font en raison de pressions économiques – loyers impayés, dettes, frais de santé, etc. –, et 27 % de ces retours s’effectuent même dans des zones proches de lignes de front, en dépit des risques pour la vie des rapatriés.
C’est pourquoi notre groupe regrette la suppression par la commission de l’ouverture du revenu de solidarité active pour les Ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire ; cette décision nous semble aller à rebours de l’objectif du texte. Nous proposerons un amendement tendant à rétablir cette possibilité.
Autre problématique majeure sur laquelle nous n’avons de cesse d’alerter : le logement. Ainsi que le rappellent les auteurs de la proposition de loi dans l’exposé des motifs, les aléas budgétaires empêchent d’avoir de la stabilité et de la visibilité à long terme en la matière.
Comme souvent, notre groupe alerte sur le besoin de sécuriser et de pérenniser de tels financements dans le domaine de l’accueil, comme dans tant d’autres.
Vous l’aurez compris, nous saluons la démarche de notre collègue Nadia Sollogoub, dont le texte s’appuie sur un retour d’expérience de terrain pour améliorer la situation de ceux qui ont dû fuir leur pays.
L’inconditionnalité de la dignité de l’accueil pour le plus grand nombre est un objectif permanent du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires : droit au travail, droit au logement, droit à la santé et droit à l’école. Nous voterons donc en faveur de la présente proposition de loi, qui va dans ce sens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi de Mme Nadia Sollogoub, que je salue, visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France dont bénéficient les ressortissants ukrainiens.
Cette initiative, inscrite dans un cadre transpartisan, mérite une attention particulière.
Depuis le début du conflit en Ukraine, la France a su répondre avec solidarité et efficacité à l’afflux des déplacés ukrainiens.
Le 4 mars 2022, le mécanisme de protection temporaire a été déclenché par l’Union européenne, accordant ce statut aux 4 millions d’Ukrainiens fuyant leur pays en guerre. En France, ce sont 111 299 ressortissants qui ont été accueillis. Les modalités d’accueil ont été précisées par une instruction ministérielle du 10 mars 2022 : séjour, accès au marché du travail et logement, assistance médicale et sociale et accès des enfants à l’éducation. Les efforts déployés sont indéniables et témoignent de notre engagement humanitaire.
Cependant, malgré ces avancées, des difficultés subsistent. Dans les démarches à suivre, il faut obtenir l’autorisation provisoire de séjour portant la mention « bénéficiaire de la protection temporaire », d’une durée de six mois, renouvelable dans la limite de trois ans maximum. L’échéance actuelle de la protection temporaire a été établie au 4 mars 2026. Et c’est là que réside tout le problème…
En effet, deux options s’offrent à eux : faire une demande d’asile pour continuer de bénéficier de toutes les prestations ou rentrer dans leur pays.
Si l’Union européenne n’apporte pas une solution coordonnée et collective, les systèmes d’asile peuvent se retrouver submergés après le mois de mars 2026, en France comme dans les autres pays.
Cela peut conduire à une approche fragmentée, avec des personnes qui tomberont dans l’irrégularité faute d’avoir demandé le droit d’asile, parce que souhaitant pouvoir retourner un jour dans leur pays.
Les mesures proposées visent à maintenir le soutien aux bénéficiaires de la protection temporaire et à limiter ainsi le recours à la demande d’asile, et ce en leur conférant les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux bénéficiaires de l’asile.
Les auteurs de la proposition de loi cherchent également à améliorer, dans le cadre d’une future crise, le régime de la protection temporaire. Il s’agit de répondre aux enjeux en étendant l’accès à certaines prestations sociales telles que les allocations personnalisées d’autonomie, l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation de solidarité aux personnes âgées et l’allocation supplémentaire d’invalidité.
Il est toutefois essentiel de rappeler que la protection temporaire est, par définition, un statut provisoire. Accorder un accès élargi aux prestations sociales pourrait remettre en cause le principe de temporalité inhérent à ce statut.
Le revenu de solidarité active a quant à lui été exclu de cette extension. C’est une décision prudente, mais qui soulève la question de la cohérence d’ensemble du dispositif.
De plus, la proposition de loi ne prend pas suffisamment en compte les enjeux budgétaires et les conséquences sur notre modèle social. Alors que la France fait face à une situation économique complexe, il est crucial de veiller à ce que l’élargissement des droits sociaux ne mette pas en péril la solidarité nationale.
En tant que sénateurs, notre responsabilité est de veiller à l’équilibre entre solidarité et responsabilité. Nous devons nous assurer que les mesures prises soient adaptées, proportionnées et compatibles avec les principes fondamentaux de notre République.
Tout en reconnaissant la volonté d’accompagnement des auteurs de cette proposition de loi, nous pensons qu’il est impératif de procéder avec prudence et discernement. Nous devons nous assurer que les mesures envisagées soient véritablement adaptées aux besoins des bénéficiaires de la protection temporaire et qu’elles ne compromettent pas l’équilibre de notre budget. Mais, vous le savez, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en france
Article 1er
Au troisième alinéa du I de l’article L. 4111-2 du code de la santé publique, après le mot : « apatrides », sont insérés les mots : « , bénéficiaires de la protection temporaire ».
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au quatrième alinéa de l’article L. 4221-12 du code de la santé publique après les mots :« apatrides », sont insérés les mots : « , bénéficiaires de la protection temporaire ».
La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre. Un aménagement de la procédure de droit commun d’autorisation d’exercice est prévu pour les praticiens bénéficiant du statut de réfugié, d’apatride, de l’asile territorial, de la protection subsidiaire ainsi que pour les Français ayant regagné le territoire national à la demande des autorités françaises.
Afin de faciliter l’accès de ces publics au plein exercice, les épreuves de vérification des connaissances prennent la forme d’un examen, et non d’un concours. L’article 1er de la proposition de loi élargit cette disposition dérogatoire aux bénéficiaires du statut européen de la protection temporaire pour les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes, mais pas pour les pharmaciens, qui dépendent d’un autre article du code.
L’amendement a donc pour objet d’intégrer les pharmaciens dans la liste, dans un souci de cohérence des politiques publiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. La rectification proposée par le Gouvernement nous paraît très opportune : avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
(Supprimés)
Article 4
I. – Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° À l’article L. 232-2, après le mot : « régulière », sont insérés les mots : « ou bénéficiant de la protection temporaire » ;
2° (Supprimé)
II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le 2° de l’article L. 816-1 est complété par les mots : « ou de la protection temporaire » ;
2° Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Peuvent bénéficier de l’allocation aux adultes handicapés les personnes bénéficiaires de la protection temporaire. »
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
2° Au a du 2° de l’article L. 262-4, après le mot : « subsidiaire, », sont insérés les mots : « de la protection temporaire, ».
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement, que j’ai évoqué en discussion générale, tend à rétablir l’ouverture du RSA aux bénéficiaires de la protection temporaire qui figurait dans la version initiale du texte, mais qui a été supprimée par la commission des lois.
Comme je l’ai indiqué précédemment, les personnes concernées connaissent des difficultés financières de plus en plus importantes, qui aboutissent parfois à des demandes d’asile ou à des retours au pays.
Le rétablissement que nous proposons nous paraît à la fois justifié dans son principe et peu coûteux pour les finances publiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. Ainsi que nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, le RSA ne nous paraît pas adapté aux bénéficiaires de la protection temporaire, qui se caractérisent par leur grande mobilité au sein de l’Union européenne. De surcroît, ce régime est en principe, comme son nom l’indique, temporaire.
J’insiste sur un autre point : conformément à la volonté de Mme Sollogoub, la présente proposition de loi ne concerne pas seulement les Ukrainiens. Le régime juridique pourrait malheureusement être de nouveau activé dans les années à venir, dans des conditions dont vous conviendrez avec nous qu’elles sont, à l’heure actuelle, inconnues : nous ne pouvons préjuger des crises à venir.
La commission considère qu’il convient de laisser au Gouvernement une marge d’appréciation dans la détermination de la prestation de base. C’est pourquoi elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Le Gouvernement ne saurait dire mieux que la commission, dont il partage totalement l’analyse : avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du II est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre. Cet amendement vise à lever le gage. Après une analyse un peu fine du texte, il nous est apparu que, compte tenu notamment de la suppression de certains articles, nous restions dans l’enveloppe disponible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 279 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté. (Vifs applaudissements.)
La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi.
Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis à la fois comblée et très émue.
Au mois de septembre 2020, lorsque je suis devenue présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, jamais je n’aurais imaginé que nous aurions un jour à défendre la cause d’Ukrainiens accueillis en France. Jamais je n’aurais imaginé qu’un cauchemar aussi épouvantable, pire que tout ce que nous aurions pu concevoir, viendrait bousculer ce qui aurait dû être une relation paisible.
Notre amitié a grandi dans un contexte difficile, mais elle n’en est que plus forte. Et je tiens à remercier tous ceux qui ont été à nos côtés dans ces moments. Malgré tous les écueils, c’est dans un esprit lucide et dépassionné que j’ai voulu défendre devant vous ce texte, qui se veut également technique.
Je voudrais remercier tous ceux qui sont en première ligne depuis le mois de février 2022 dans ce que l’on appelle le « deuxième front », c’est-à-dire le front humanitaire.
Je le souligne devant celui qui est devenu mon ami, Serhii Esaulov, le consul d’Ukraine, présent en tribune ; lui et tous les services de l’ambassade ukrainienne en France font un travail – j’ose le dire – héroïque ! (Applaudissements.)
Je salue aussi l’expertise, l’engagement constant et la bienveillance dans les travaux que nous menons ensemble au quotidien du préfet Joseph Zimet, ici présent. (Nouveaux applaudissements.)
J’adresse un très grand merci aux nombreuses associations engagées, chaleureuses, et à tous ceux qui sont devenus mes amis.
Mes remerciements vont également à la rapporteure Isabelle Florennes, à l’oratrice du groupe Union Centriste, Olivia Richard, et aux orateurs de tous les groupes, qui m’ont témoigné leur amitié et leur soutien.
Merci aussi à tous les membres du groupe d’amitié France-Ukraine, qui est toujours très mobilisé et dont la secrétaire exécutive encadre toujours nos travaux avec amitié, constance et professionnalisme.
Monsieur le ministre, votre analyse objective et constructive nous permet aujourd’hui de faire un grand pas en avant.
J’espère évidemment que ce texte pourra à présent être rapidement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et qu’un vote conforme nous permettra d’avancer.
Enfin, je vous indique en guise de clin d’œil que, demain, ce sera la Vyshyvanka, la fête des chemises brodées. Grâce à vous tous, nos chemises brodées ukrainiennes seront un peu plus légères sur nos épaules. (Applaudissements.)
7
Création d’un groupe de vacataires opérationnels de sécurité civile
Discussion et retrait d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant création d’un groupe de vacataires opérationnels et encourageant le volontariat pour faire face aux défis de sécurité civile, présentée par M. Grégory Blanc et plusieurs de ses collègues (proposition n° 691 rectifiée bis, texte de la commission n° 598, rapport n° 597).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Grégory Blanc, auteur de la proposition de loi.
M. Grégory Blanc, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’exprimer mes pensées les plus émues au sergent-chef Niccolo Scardi, à sa famille et à l’ensemble de ses camarades. Nous sommes tous abasourdis par ce drame en Haute-Savoie. Rien ne justifie qu’un homme engagé au service des autres soit la cible d’actes sans nom.
Monsieur le ministre, dans ce contexte tendu, nous manquons de moyens humains. La culture de la sécurité doit être davantage ancrée dans nos territoires. Face aux enjeux, qu’il s’agisse de tranquillité publique, de sécurité publique ou de sécurité civile, les dangers s’accroissent. Cela requiert du Gouvernement, du Parlement et de l’ensemble des responsables politiques qu’ils ouvrent le débat pour clarifier les horizons.
Notre modèle de sécurité civile fonctionne. En France, les personnes qui ont besoin d’assistance sont secourues. Cela résulte d’une construction patiente, au fil de l’histoire, articulant engagement citoyen et savoir-faire professionnel. Néanmoins, si cela fonctionne bien, des fragilités existent et s’aggravent.
C’est le débat que nous posons : alors que la société change et que nos modes de vie évoluent, comment devons-nous adapter notre modèle de sécurité civile aux défis qui viennent, ceux de 2030, ceux de 2040, dans dix ans, dans quinze ans ? Je ne parle pas seulement du passé ou du présent ; nous devons nous projeter dans les défis qui sont devant nous.
En un peu plus de vingt ans, 2 400 casernes ont fermé ; c’est plus d’une caserne sur cinq. Pourquoi, alors que le nombre de volontaires stagne, notre maillage territorial se réduit-il, fragilisant l’ancrage dans quelques territoires de notre culture de la sécurité civile ?
À nos yeux, l’adaptation de notre modèle ne peut être seulement, d’un côté, une évolution du pilotage des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) et, de l’autre, toujours plus d’argent et de subventions, a fortiori dans le contexte de crise des finances publiques que nous connaissons.
Si nous voulons passer les caps, il nous appartient de réfléchir à notre organisation et à un éventail d’évolutions en la matière. Disons-le clairement, il nous faudra à l’avenir à la fois plus de sapeurs-pompiers professionnels et plus de sapeurs-pompiers volontaires. Mais cela ne doit pas nous dispenser d’une réflexion sur les moyens d’avoir un service public plus efficient, y compris financièrement.
Monsieur le ministre, il y a quand même un sérieux problème. Je prends les chiffres, les vrais, ceux du ministère, ceux de l’inspection générale de l’administration et ceux qui figurent sur le site de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Tous convergent : il a fallu douze ans pour passer de 196 825 volontaires en 2009 à 200 000 en 2023, soit une augmentation de 3 000 personnels, et seulement deux ans, de 2021 à 2023, pour recruter 1 600 sapeurs-pompiers professionnels, afin de sécuriser la réponse opérationnelle. Pourtant, dans cet intervalle, les délais d’intervention se sont allongés.
À quels défis ces réalités d’aujourd’hui font-elles face ?
Le premier défi concerne l’évolution des modes de vie et de nos modes de production. En l’occurrence, je crois qu’il nous appartient de dresser un constat partagé. Aujourd’hui, de nombreux volontaires travaillent très souvent à vingt kilomètres, à trente kilomètres ou à quarante kilomètres de leur domicile, quand le modèle économique reposait auparavant davantage sur l’emploi agricole ou artisanal, ce qui permettait aux volontaires de travailler à côté de chez eux. Cette situation crée des problèmes de disponibilité en journée dans certains territoires, et seulement dans certains territoires.
Pour y répondre, on installe désormais dans certaines casernes de manière permanente des professionnels en journée pour n’assurer que deux ou trois sorties quotidiennes. Ce modèle, qui se développe, n’est pas viable financièrement.
Il faut surtout constater que les entreprises fonctionnent désormais en flux tendu. J’étais moi-même chef d’entreprise dans le secteur de la santé : impossible de laisser partir une infirmière si son départ n’était pas anticipé et programmé. Si la seule réponse consiste à financer ou à indemniser davantage les entreprises qui permettent le système de l’astreinte, cela ne résoudra pas tous les problèmes : le système productif ne fonctionne plus comme il le faisait cinquante ans en arrière.
Le deuxième défi, juridique celui-là, est bien évidemment l’épée de Damoclès de la directive européenne sur le temps de travail. Il est indispensable de sécuriser le système d’astreinte au cœur du modèle du volontariat.
Parallèlement, la garde postée s’est développée dans certains départements. Toutefois, lorsque des sapeurs-pompiers professionnels sous statut volontaire assument de nombreuses heures de garde postée, cela fragilise – et nous devons savoir faire preuve de clarté à cet égard – juridiquement la garde postée pour l’ensemble des volontaires. À nos yeux, nier ce risque, c’est hypothéquer l’avenir.
Le troisième défi, à savoir le changement climatique, est sans doute le plus important. Nous sommes à +1,7 degré. En 2030, nous atteindrons les +2 degrés, sachant qu’en passant de +1,5 à +1,7 nous avons assisté à une augmentation significative de la sinistralité. Le coût des sinistres liés aux dégâts climatiques est chiffré à 143 milliards d’euros sur la période 2020-2050 par l’État lui-même au travers du plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc 3). Nos systèmes assurantiels sont mis sous tension ; nous savons qu’ils ne résisteront pas au-delà de 2,5 degrés. Concrètement, 50 % des forêts seront plus sensibles aux départs de feux d’ici à 2050. Et les précipitations vont augmenter de 15 % à 30 %, voire de 40 % selon les territoires. Or nous ne sommes toujours pas en mesure de voter dès à présent un pacte capacitaire « inondations ».
Je tiens à le rappeler ici, le budget consacré par l’État à la sécurité civile est en baisse en 2025 de 5,6 % par rapport à 2024, alors que les aléas climatiques progressent. Parallèlement, je ne le dis pas pour polémiquer, mais il faut tout de même mettre les chiffres les uns en face des autres, le budget de la police de l’immigration est en hausse. Mon propos n’est pas d’ouvrir ici le débat sur l’immigration : je veux juste souligner que la faible place de la sécurité civile dans le débat public produit mécaniquement des effets politiques et budgétaires.
De ce point de vue, alors que le projet de loi de finances pour 2026 est en préparation, le report de l’inscription du Beauvau de la sécurité civile à l’automne au mieux nous paraît inquiétant.
Face à de tels défis, il nous faut tester, innover et inventer un éventail de solutions pour être prêts le moment venu. Pourquoi aurions-nous peur d’expérimenter ? Dans sa version initiale, le texte ne prévoyait rien d’autre que d’apporter une simple pierre à l’édifice des solutions à construire. Il s’agissait, en l’occurrence, d’une expérimentation sur deux ans, dans cinq départements seulement, des groupes de volontaires mobilisables dans le cadre d’une activité programmée, dans un cadre sécurisé juridiquement, sans aucun autre contrat. Force est de le reconnaître ici, cette proposition d’expérimentation soulève des réactions et des blocages pour le moins étonnants.
Ce travail, je l’ai conduit comme n’importe quel parlementaire : humblement, proprement, consciencieusement, avec l’accord des principaux intéressés et dans un esprit transpartisan. Il a fait l’objet d’un colloque dans ces murs. Chacun s’est exprimé librement. Les paroles ont été enregistrées. Elles ne s’envoleront donc pas. Mais il est clair que certaines d’entre elles ont évolué. Être constructif, c’est tenir compte des blocages pour avancer, mais c’est aussi être capable de compromis pour dépasser ces mêmes blocages. Or le constat est là : tout le monde n’est pas prêt à s’engager dans le compromis.
Compte tenu des évolutions extérieures, j’ai souscrit à l’amendement de M. le rapporteur, dont l’adoption permet d’enrichir la démarche engagée. Le texte de la commission est un texte utile et équilibré.
Je termine sur un point : parce que nous sommes au deuxième rendez-vous de cet espace transpartisan qui se crée au Sénat, l’enjeu du vote que nous allons exprimer ne se réduit pas seulement à l’objet du texte ; ce sera aussi une indication sur notre volonté collective de faire vivre cette niche transpartisane. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. Gilbert Favreau applaudit également.)