M. Loïc Hervé. C’est clair !

M. Ronan Dantec. Je ne suis pas certain que la cour administrative d’appel aujourd’hui et, demain, le Conseil constitutionnel apprécieront l’intervention de la main, même tremblante, du Sénat. Vous me pardonnerez cette métaphore footballistique, qui, sur ce projet situé en pays de rugby, n’était sans doute pas du meilleur goût, mes chers collègues ! (Sourires.)

Voulez-vous d’autres arguments juridiques ? Savez-vous par exemple que le Conseil constitutionnel refuse les lois de validation totale ? Si la cour d’appel voulait se montrer chafouine après cette intervention du pouvoir politique – qui n’a, heureusement, pas qualifié sa décision d’ubuesque (Sourires.) –, pourrait donc évoquer d’autres motifs pour maintenir l’annulation de l’autorisation environnementale. J’espère que l’on vous a informés de cette petite difficulté supplémentaire, mes chers collègues.

Comme il me reste un peu de temps, je ferai enfin un peu de publicité pour le bassin économique de Castres-Mazamet. (Sourires.)

Je citerai tout d’abord le document de référence que constitue le jugement du tribunal administratif : « Le bassin de Castres-Mazamet ne saurait être qualifié, sur le plan du dynamisme démographique, comme étant en situation de décrochage. […] Si le bassin de Castres-Mazamet est le seul de cette importance à ne pas être relié à la métropole toulousaine par une infrastructure de type autoroutière, il résulte de l’instruction qu’il dispose de tous les services des gammes de proximité et intermédiaire, d’un centre hospitalier, de formations primaires à universitaires, d’équipements de tourisme, d’hypermarchés, de laboratoire de recherches, notamment, qui lui permettent une certaine autonomie. […] Dans ces conditions, le bassin de Castres-Mazamet dispose de services et d’équipements de qualité, qui, s’ils ne sont pas du niveau de ceux offerts au sein de la métropole toulousaine, ne sont toutefois pas, sur un plan qualitatif, significativement moindres. »

Sans la campagne de dénigrement systématique orchestrée par les partisans de l’autoroute A69 dont ce bassin d’emploi fait l’objet, on aurait presque envie d’y vivre ! Mais il faut dire qu’avec autant de promoteurs, ce territoire n’a pas besoin d’ennemis ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Folliot. C’est scandaleux !

M. Ronan Dantec. Bien que seule une route départementale aussi peu goudronnée que les ribines des courses cyclistes du Tro Bro Leon relie Castres à la civilisation toulousaine, il ne semble pas, au vu des chiffres de l’Insee, que cette commune soit en situation d’effondrement économique et démographique. Nous voilà donc rassurés !

M. Philippe Folliot. Quelle honte !

M. Ronan Dantec. En bref, en rejetant tout de suite ce texte dangereux et mal ficelé, nous gagnerons du temps, de l’énergie et de la sérénité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, contre la motion.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien entendu, je m’opposerai à cette motion déposée par les sénateurs du groupe écologiste, et, pour ce faire, je répondrai de manière très factuelle, en quatre points, aux arguments avancés par ses auteurs.

Ces derniers affirment premièrement que, par cette proposition de loi, il serait procédé à un détournement de la fonction des lois de validation, lesquelles ne viseraient en principe que des motifs d’annulation de minime importance, tels que des vices de forme.

Si, traditionnellement, les lois de validation ont en effet été fréquemment utilisées pour prévenir des annulations résultant de vices de procédure, il est tout à fait admis qu’elles puissent porter sur des motifs de fond. La jurisprudence du Conseil constitutionnel compte d’ailleurs de nombreux exemples de cet usage des lois de validation, y compris en matière de projets d’infrastructures.

Une disposition de validation relative à la déclaration d’utilité publique du projet de tramway de Strasbourg avait par exemple été adoptée dans la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Le juge administratif avait alors prononcé l’annulation de cette déclaration d’utilité publique pour des motifs tenant notamment aux insuffisances pointées dans le travail de la commission d’enquête publique.

S’agissant du motif d’intérêt général devant justifier l’intervention du législateur, il va de soi que le juge constitutionnel examine avec une exigence renforcée les dispositions de validation relatives à des motifs de fond. J’y reviendrai ultérieurement, mais il me semble qu’en l’espèce la robustesse de ces motifs est bien démontrée.

De manière plus générale, le recours à des lois de validation est une pratique courante qui permet, dans certains cas particuliers et à condition de respecter strictement les exigences fixées par la Constitution, de conforter la sécurité juridique de situations déjà constituées et de prévenir les conséquences dommageables d’annulations contentieuses.

Le deuxième argument des auteurs de la présente motion a trait à l’articulation de cette proposition de loi avec la procédure juridictionnelle en cours.

Le texte proposé n’a nullement pour but d’influer ou de faire pression sur le dénouement du litige devant le juge d’appel, comme le soutiennent les auteurs de la motion, que ce soit au fond ou dans le cadre du sursis à exécution sollicité par l’État.

Comme cela a été rappelé, le législateur ne saurait substituer son analyse à celle du juge d’appel, et j’estime qu’il est en l’occurrence pleinement dans son rôle, puisqu’il s’efforce de prévenir la mise en péril d’un intérêt public majeur en cas d’arrêt définitif du projet d’A69, d’une part, et de concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement et le développement économique et le progrès social, d’autre part.

La réalisation du projet d’A69 s’inscrit en outre pleinement dans le cadre fixé par le législateur dans la LOM.

J’ajoute que si la disposition en cause neutralise le motif tiré de l’absence présumée de raison impérative d’intérêt public majeur du projet d’autoroute A69, l’autorisation préfectorale dont il fait l’objet demeure attaquable devant le juge administratif pour tout autre motif, y compris les deux autres conditions exigées par le code de l’environnement au titre de la dérogation « espèces protégées ». Le contrôle juridictionnel de l’acte validé demeure donc possible, comme l’exige la jurisprudence constitutionnelle.

Enfin, le Conseil constitutionnel n’interprète pas le principe de séparation des pouvoirs comme proscrivant par principe le recours à des lois de validation lorsqu’une annulation a été prononcée en première instance. En effet, sa jurisprudence est constante : ce principe interdit au législateur de remettre en cause des décisions de justice ayant force de chose jugée. Or ce n’est pas le cas de cette proposition de loi.

Je reviens à la décision du Conseil constitutionnel relative au chantier du tramway de Strasbourg : la disposition en cause a finalement été censurée au motif que sa portée était trop large et que les motifs d’intérêt général invoqués étaient insuffisants, et non pas parce qu’une procédure d’appel était pendante.

Troisièmement, comme le soulignent les auteurs de la motion, seuls d’« impérieux motifs d’intérêt général » peuvent justifier le recours à une loi de validation. Or, en l’espèce, ces motifs sont bien démontrés, tant du point de vue des bénéfices attendus du projet qu’au regard des conséquences dramatiques qu’emporterait son abandon définitif pour l’intérêt général.

Ces motifs sont avant tout d’ordre démographique. Nous ne sommes pas tous d’accord sur la question, mais, pour ma part, j’ai plutôt tendance à croire les sénateurs qui vivent sur le territoire concerné.

M. Pierre Jean Rochette. Le chantier de l’autoroute A69 est un projet structurant. Il répond à un objectif de développement équilibré et de désenclavement du sud du Tarn et produira des effets bénéfiques sur le long terme.

Le phénomène de métropolisation est connu : les métropoles telles que Toulouse exercent une forte attraction. Les territoires dits périphériques ont donc besoin de leur être raccordés.

Comme l’a souligné le rapporteur, le sud du Tarn est lésé par le manque de fiabilité et de rapidité des infrastructures de transports desservant actuellement Toulouse. Il faut une heure dix pour rejoindre la capitale régionale en voiture depuis Castres via la RN 126. Certains prétendent réaliser ce trajet beaucoup plus vite ; je les invite à respecter les limitations de vitesse – et je sais de quoi je parle ! (Sourires.)

Ce temps de trajet place la population de Castres à l’écart des grands équipements toulousains. Il en résulte un décrochage démographique du bassin de Castres-Mazamet, qui ne s’observe pas dans les autres pôles de cette région, notamment Albi, Montauban et Gaillac, lesquels disposent de solutions de mobilité fiables et régulières depuis et vers la métropole. (M. Philippe Folliot surenchérit.)

Naturellement, les entreprises et les établissements publics de Castres-Mazamet pâtissent également de cet enclavement, qui engendre d’importantes difficultés de recrutement. Chacun sait que les problèmes de mobilité sont un frein à l’emploi.

Comme l’a rappelé un précédent orateur, le projet d’A69 répond également à des impératifs de sécurité : entre 2021 et 2024, dix-huit accidents ont causé la mort de six personnes sur la RN 126. Je rappelle que 60 % des accidents de la route ont lieu sur le réseau hors agglomération. Seuls 8 % des accidents interviennent sur les autoroutes, qui sont plus sécurisées et plus sécurisantes.

Mes chers collègues, les conséquences d’un arrêt définitif du chantier de l’A69 seraient dramatiques à la fois pour le territoire de Castres-Mazamet et pour les pouvoirs publics. L’indemnisation d’Atosca s’élèverait à 500 millions d’euros. J’espère que nous n’aboutirons pas à cette extrémité, mais le coût total d’un tel arrêt pourrait ainsi atteindre le milliard d’euros. Dans le contexte actuel, je vois mal comment nous pourrions justifier auprès de nos concitoyens que nous nous apprêtons à dilapider une telle somme pour mettre fin à un projet qui est déjà réalisé à plus de 80 %… (M. Thomas Dossus sexclame.)

Au-delà de ses répercussions sur nos deniers publics, un arrêt de ce projet aurait des conséquences socioéconomiques très préjudiciables. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Écoutez-moi, mes chers collègues, il y a des choses intéressantes !

M. Ronan Dantec. Enfin ! (Sourires.)

M. Pierre Jean Rochette. Le territoire de Castres-Mazamet se prépare à accueillir cette infrastructure depuis des années. Je rappelle que ce projet répond à une demande des élus locaux et que ce n’est pas une décision parisienne… Les acteurs du territoire, publics comme privés, ont lourdement investi en conséquence.

Pour les acteurs économiques qui misaient sur l’amélioration de la connexion avec Toulouse, l’arrêt du chantier constituerait une véritable perte de chances, a fortiori à seulement quelques mois de son achèvement. Cela fragiliserait l’attractivité économique du territoire ; surtout, cela remettrait en cause le maintien du tissu économique existant. En effet, il est malheureusement prévisible que de nombreuses entreprises quitteraient Castres-Mazamet au profit de territoires voisins mieux desservis.

Quatrièmement, la reconnaissance par la loi de la raison impérative d’intérêt public majeur à laquelle répond un projet n’est pas inédite : le législateur a déjà adopté ce type de disposition en 2023 dans le cadre de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et dans celui de la loi relative à l’industrie verte.

Dans sa décision du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel a admis la possibilité de reconnaître la raison impérative d’intérêt public majeur indépendamment de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, dans la mesure où la réduction de l’incertitude juridique pesant sur certains projets constitue « un objectif d’intérêt général » et où cette reconnaissance ne concerne que des projets précisément identifiés et revêtant une importance particulière.

En l’espèce, ces critères semblent bien respectés : il s’agit d’une mesure ciblée, qui vise à préserver un projet d’importance nationale, que ce soit par sa nature, par ses dimensions ou par les enjeux qu’il revêt pour l’aménagement du territoire.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je vous invite à rejeter massivement cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, ce qui nous permettra de poursuivre l’examen de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Dhersin, rapporteur. Mes chers collègues écologistes, en défendant cette motion, vous souhaitez mettre fin à l’examen de cette proposition de loi. (Marques dapprobation sur les travées du groupe GEST.) Jusqu’ici, je suis sûr d’avoir tout bien compris.

Comme l’a très justement rappelé notre collègue Pierre Jean Rochette, ce texte ne constitue pas un détournement de la pratique des lois de validation et, contrairement à ce que vous indiquez, il ne vise pas à faire pression sur le dénouement judiciaire de l’appel et de la demande de sursis à exécution qui sont en cours.

Vous nous accusez de nous prendre pour le juge administratif ; tâchez de ne pas vous prendre pour le juge constitutionnel ! Les lois de validation ne sont pas une entorse à l’État de droit. Cette pratique est à la fois reconnue par le Conseil constitutionnel et rigoureusement encadrée par sa jurisprudence, et ce depuis 1980 !

Le juge constitutionnel a défini cinq conditions, sur lesquelles je ne reviendrai pas, pour apprécier la conformité d’une loi de validation à la Constitution.

M. Ronan Dantec. Justement, revenez-y, car il y a un sujet !

M. Franck Dhersin, rapporteur. Or il me semble, comme l’expose le rapport de la commission, que ces cinq conditions sont bien respectées en l’espèce.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Franck Dhersin, rapporteur. Il nous appartient, en tant que législateurs, de répondre à un double impératif. D’une part, nous nous devons d’améliorer, grâce à l’A69, la desserte du bassin de Castres-Mazamet depuis Toulouse dans un objectif d’équité territoriale. « Équité territoriale » : ces mots ont-ils un sens pour vous ? D’autre part, il nous faut éviter le préjudice pour l’intérêt général d’une mise à l’arrêt définitive de ce chantier de grande ampleur, qui était très proche d’être achevé et pour lequel des moyens considérables ont déjà été engagés.

La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Tabarot, ministre. En plus de donner mon avis sur cette motion, je répondrai à quelques points soulevés lors de la discussion générale.

Tout d’abord, je tiens à souligner la compétence de mes anciens collègues auteurs de ce texte, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, qui connaissent très bien le droit et qui sont compétents sur ces questions.

M. Thomas Dossus. Et nous non ?

M. Philippe Tabarot, ministre. De même, les députés Jean Terlier et Philippe Bonnecarrère, qui défendront le texte à l’Assemblée nationale, sont des juristes reconnus. Je tiens à rappeler que ce dernier était reconnu comme une figure importante de la commission des lois du Sénat et l’un des meilleurs juristes de cette assemblée jusqu’à récemment. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)

M. Philippe Tabarot, ministre. Ensuite, si nous devions attendre la fin de tous les recours pour engager un chantier, la situation deviendrait impossible : les gens en déposeraient en permanence et l’autorisation environnementale deviendrait caduque avant que le Conseil d’État n’ait pris l’ultime décision au bout de plusieurs années. En l’occurrence, les habitants du sud du Tarn attendent l’autoroute depuis trente ans !

Monsieur Dantec, je ne veux pas croire que nos débats soient de nature à influencer les magistrats de la cour administrative d’appel de Toulouse.

M. Guy Benarroche. On tente de les influencer !

M. Philippe Tabarot, ministre. Ceux-ci jugeront sans tenir compte de quelque pression que ce soit.

M. Ronan Dantec. Bien sûr…

M. Philippe Tabarot, ministre. Je précise qu’hier le rapporteur public du Conseil d’État a demandé de rejeter l’une des autres nombreuses requêtes des opposants au projet d’A69 qui concerne notamment la durée de la concession.

Monsieur Gillé, il est assez extraordinaire de vous entendre m’accuser de ne pas me positionner sur le sujet, alors que votre groupe ne prendra pas part au vote ! (Rires sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Philippe Tabarot, ministre. Du reste, nous ne parvenons toujours pas à comprendre votre position sur le fond du projet.

M. François Bonhomme. On est perdus ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Tabarot, ministre. De Faure à Delga et de Delga à Faure, il ne faudrait pas que d’autres considérations viennent troubler votre positionnement sur le sujet…

Je suis en revanche d’accord avec vous sur un point : le législateur n’a pas été suffisamment clair sur la définition de la raison impérative d’intérêt public majeur. Le Gouvernement tâchera de clarifier les choses lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de simplification de la vie économique.

Si la décision du 27 février dernier n’est pas ubuesque, la situation qu’elle a créée l’est bel et bien. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse défavorable sur cette motion.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote.

Mme Marie-Claude Varaillas. Mon collègue Jean-Pierre Corbisez ayant indiqué que je voterai pour cette proposition de loi, il me semble important d’apporter quelques explications.

La juridiction administrative a déjà annulé à plusieurs reprises une décision administrative nécessaire à la réalisation de travaux d’infrastructure. Toutefois, ces décisions sont généralement intervenues alors que le projet en était au stade de la déclaration d’utilité publique, et rarement au moment où les travaux sont sur le point de s’achever, comme c’est le cas de l’A69.

Ce dossier me remémore bien sûr l’annulation par la cour d’appel de Bordeaux de l’arrêté de la préfète de la Dordogne autorisant la réalisation des travaux d’aménagement du contournement du village de Beynac-et-Cazenac, sur le territoire des communes de Castelnaud-la-Chapelle, Vésac et Saint-Vincent-de-Cosse, arrêté qui avait pourtant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique.

La cour avait alors enjoint au département de la Dordogne de procéder à la démolition des travaux déjà réalisés et de remettre les lieux en état. Les coûts de ces opérations ont été respectivement évalués à 40 millions d’euros et à plus de 20 millions d’euros. (MM. François Bonhomme, Philippe Folliot et Laurent Somon renchérissent.)

Comme vous, mes chers collègues, je suis très attachée à la séparation des pouvoirs. Ce fut mon métier toute ma vie. Mais je pense que nous avons le devoir de faire évoluer la loi, car, derrière ces situations quelque peu inédites, il y a l’argent des contribuables. Or, dans un contexte plus que contraint, nous sommes comptables des derniers publics.

M. Philippe Folliot. Très juste !

Mme Marie-Claude Varaillas. Alors que des chantiers en cours ont dû être arrêtés, il devient évident que la raison impérative d’intérêt public majeur doit intervenir plus tôt dans la vie des projets et, en tout état de cause, avant le lancement des travaux. De plus, les critères d’application de cette notion issue du droit européen n’ont pas été suffisamment précisés pour encadrer la décision du juge.

Enfin, je ne doute absolument pas de la nécessité de réduire l’artificialisation des sols pour préserver, notamment, l’agriculture – et je m’y emploie. Toutefois, nos départements ruraux sont amenés à résoudre des problèmes de sécurité routière, ce qui implique des déviations. C’est ce qui s’est passé pour Beynac-et-Cazenac, qui fut, en son temps, classé « plus beau village de France »…

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Claude Varaillas. Par ailleurs, ils doivent se projeter en matière de développement économique, sauf à ce que nous considérions qu’ils soient condamnés à n’être rien de plus que le poumon des métropoles.

M. le président. Veuillez conclure !

Mme Marie-Claude Varaillas. Ces territoires ruraux, qui sont en première ligne pour engager la transition écologique, entendent légitimement rester innovants et attractifs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gueret, pour explication de vote.

M. Daniel Gueret. La présente proposition de loi vise à reconnaître clairement la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) du projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, après l’annulation par le tribunal administratif de Toulouse des autorisations environnementales délivrées.

Cette annulation, fondée sur l’absence de RIIPM, a brutalement interrompu un chantier dont 60 % des travaux étaient déjà réalisés, pour un investissement de près de 300 millions d’euros.

Pourtant, compte tenu de la nécessité d’améliorer l’accessibilité et la sécurité routière de ce bassin, mais aussi de renforcer l’attractivité économique du sud du Tarn, ce projet a fait l’objet d’un soutien massif et constant des collectivités locales, des acteurs économiques et de la population.

Ce texte vise non pas à contourner le droit, mais à remédier à une insécurité juridique qui met en péril un projet d’intérêt général dont le Conseil d’État a déclaré l’utilité publique et la LOM a reconnu le caractère prioritaire. Il s’agit de garantir la cohérence de l’action publique et de respecter la volonté démocratique qui s’est exprimée localement par le biais de nombreux votes et marques de soutiens.

Enfin, refuser d’examiner ce texte, ce serait ignorer des enjeux de désenclavement, de développement territorial et de sécurité routière qui concernent directement des milliers d’habitants et d’entreprises de la région Occitanie.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. Daniel Gueret. Il n’est nullement question de nier les enjeux environnementaux, mais il importe de trouver un équilibre entre la protection de la biodiversité et la nécessité de répondre à l’intérêt général dans un cadre légal et transparent.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Nous appelons à un débat parlementaire serein et responsable sur le fond de ce texte essentiel pour l’avenir des territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Tout d’abord, je tiens à m’adresser aux sénateurs du territoire concerné par le chantier de l’A69 : si vous ne voulez pas de l’avis des parlementaires issus des grandes métropoles, ne présentez pas de proposition de loi devant le Parlement ! Nous sommes des élus nationaux, et il est normal que nous défendions notre position sur les textes qui nous sont soumis.

Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas détaillé les cinq critères qui justifient une loi de validation, et pour cause : vous ne le pouvez pas, car ce texte ne les remplit pas !

Mes chers collègues, vous n’avez eu de cesse de nous appeler à faire preuve de crédibilité. Mais comment être crédibles en tant que parlementaires en piétinant aussi radicalement la séparation des pouvoirs ? Comment être crédibles en lançant de si coûteux travaux sans attendre que les recours soient purgés ? Le fait accompli n’est pas une politique crédible !

Par ailleurs, les conséquences financières que vous répétez vouloir éviter sont le fait des promoteurs qui ont lancé ce chantier à marche forcée.

Enfin, nous vous entendons régulièrement regretter l’affaissement de l’autorité et sa remise en cause permanente dans notre société. Pourtant, en tenant, en tant que législateurs, des propos extrêmement durs envers les juges, vous affaiblissez gravement la parole politique, l’État de droit et la République.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour explication de vote.

M. Serge Mérillou. Ce texte dépasse le seul projet d’infrastructure autoroutière qui nous intéresse aujourd’hui. Il cristallise un difficile équilibre entre deux exigences fondamentales de notre République : d’un côté, la justice environnementale ; de l’autre, le respect de la parole des élus locaux, la continuité de l’action publique et la reconnaissance des territoires ruraux comme parties prenantes du destin national. Ces deux impératifs ont pour dénominateur commun le respect de l’état de droit.

La notion de raison impérative d’intérêt public majeur, issue de la directive européenne dite Habitats, nous invite à assurer cet équilibre. Il ne s’agit pas d’opposer les défenseurs de l’environnement aux élus de terrain comme s’ils représentaient deux France inconciliables. Il s’agit de trouver le point d’équilibre, celui où la République tient parole et tient ensemble.

Dans bien des territoires – comme, Marie-Claude Varaillas l’a rappelé, à Beynac-et-Cazenac, en Dordogne –, l’incompréhension est forte. Il s’y propage la lourde impression que tout projet d’infrastructure d’ampleur et ses millions d’euros d’investissement sont voués à des contentieux intarissables, systématiquement défavorables et sans égard pour les habitants ni pour ceux qui les représentent. Ce sentiment d’abandon nourrit la défiance et creuse le lit des populismes.

M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !

M. Serge Mérillou. Oui, ce texte peut en effet apparaître comme le dernier sursaut d’une République qui aménage ses territoires plutôt que de les figer. À nous de faire en sorte qu’il ne soit pas un simple baroud d’honneur et qu’il envoie un signal à ceux que nous n’avons pas le droit d’oublier ! À nous de modifier la loi – c’est notre mission ! – et de préciser et d’encadrer cette notion de raison impérative d’intérêt public majeur pour ne pas la laisser à la seule appréciation du juge.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. Serge Mérillou. « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. » Vous l’aurez compris, cette phrase n’est pas de moi, elle est de Montesquieu.

Je voterai en faveur de la proposition de loi, mais je ne prendrai pas part au vote sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.