M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Colombe Brossel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte touchant directement à l’avenir éducatif des enfants à Wallis-et-Futuna. Il est donc essentiel de lui accorder toute l’attention qu’il mérite.
Il nous est demandé d’autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance, afin d’intégrer le corps professoral du premier degré présent à Wallis-et-Futuna à la fonction publique d’État, comme partout ailleurs sur le territoire de la République.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est, bien évidemment, favorable à une telle mesure, qui était attendue de longue date. Pour ses membres, elle représente une avancée significative, tant pour les élèves que pour les personnels.
L’intégration doit répondre à plusieurs objectifs, à commencer évidemment par celui de la normalisation d’une situation atypique trouvant ses racines dans l’histoire du territoire.
Par ailleurs, la réforme doit être non une fin en soi, mais un premier jalon permettant d’améliorer la scolarité des élèves.
Nous enjoignons donc au Gouvernement, à qui reviendra la charge de rédiger le contenu des ordonnances, de prendre toutes les mesures utiles, y compris en dégageant les moyens nécessaires, afin que cette réforme soit aussi celle de l’amélioration des conditions d’apprentissage dans un territoire où les différents tests de niveau, tant en français qu’en mathématiques, révèlent des écarts parfois très importants avec l’Hexagone.
À la seule lecture du projet de loi, j’aurais pu me contenter de regretter que, comme trop souvent, les sujets ultramarins fassent l’objet d’ordonnances, dessaisissant ainsi les parlementaires de leurs compétences de législateur, et arrêter là mon propos.
Toutefois, grâce à la qualité des auditions et du travail menés par la rapporteure Evelyne Corbière Naminzo et à notre collègue sénateur de Wallis-et-Futuna Mikaele Kulimoetoke, deux éléments sont assez rapidement apparus : d’une part, le sujet est bien plus complexe que ce que laisse entrevoir la simple lecture du texte ; d’autre part, de nombreuses interrogations ou problèmes resteront en suspens une fois que nous aurons voté le projet de loi.
Certains d’entre eux pourront néanmoins être réglés par les ordonnances que le Gouvernement prendra, complétées par les décrets d’application. Permettez-moi donc de prendre quelques minutes pour les évoquer ; ils sont importants.
Je pense d’abord à la question des personnels non enseignants, qui n’ont pas de perspective claire dans le projet de loi, dans le premier comme dans le second degré. Le projet de loi est l’aboutissement du protocole de sortie de crise à la suite de la longue grève de 2023, faisant elle-même suite à de nombreux autres mouvements de grève. Les droits ont été chèrement conquis à Wallis et Futuna ! Si l’État doit assumer ses responsabilités pour les personnels enseignants en les intégrant enfin, il doit également prendre ses responsabilités vis-à-vis de tous les personnels, afin de ne pas recréer de sous-catégorie. Sans cela, la seule ordonnance prise sur le fondement du présent projet de loi ne suffira pas à apaiser les tensions.
Par exemple, les agents chargés de l’entretien des bâtiments concourent au bien-être des personnels et des enfants. Ce sont donc des acteurs importants de la réussite scolaire. J’ai entendu les propos que vous avez tenus à la tribune, madame la ministre ; ils sont importants. Nous devrons les uns et les autres être vigilants quant à l’avenir des personnels non enseignants.
Je pense également aux conditions d’intégration et à leurs conséquences individuelles et collectives. Les enseignants du premier degré doivent avoir les mêmes droits que l’ensemble de leurs collègues ; or les auditions nous ont permis de mettre en lumière des difficultés, tant sur les indices des grilles que sur l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (Isae). Là aussi, il est nécessaire que l’État aille au bout de ses engagements. Des propositions ont été faites en ce sens, afin que l’égalité soit réelle. Je songe par exemple à l’application du coefficient 2,05 sur les rémunérations, auquel les personnels sur place prétendent de plein droit – il y va de l’égalité de traitement entre fonctionnaires.
Veillons à ne pas oublier que l’égalité des droits n’a pas été une évidence pour les personnels enseignants de Wallis-et-Futuna. Par exemple, comme notre collègue de Wallis-et-Futuna nous l’a rappelé, le congé maternité n’est mis en œuvre pour les enseignants que depuis 1987.
Si son contenu nous paraît positif, ce texte ne saurait répondre en lui-même à tous les enjeux qui se posent concernant l’éducation à Wallise et à Futuna. Nous souhaitons donc que le Gouvernement s’attelle, une fois ces ordonnances prises, à d’autres mesures, d’ordre réglementaire cette fois.
En effet, si elle constitue une avancée, l’intégration des personnels à la fonction publique d’État ne remplace ni ne garantit un traitement égal à celui de l’Hexagone. C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement de s’assurer qu’un pilotage de proximité, assuré par l’éducation nationale elle-même, soit réalisé, afin que des mesures simples, mais essentielles, soient bien mises en œuvre. Je pense notamment à la création d’une circonscription scolaire ; c’est notre collègue rapporteure qui a fait émerger le sujet lors des auditions. De cette mise en œuvre devra découler une gestion équivalente, par exemple grâce à des entretiens réguliers avec les personnels concernant leur carrière et son évolution.
Au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous demandons que le Gouvernement aille au bout de la démarche et assume l’ensemble de ses responsabilités – ce qui dépasse le cadre des ordonnances dont nous nous apprêtons à voter l’habilitation. Madame la ministre, nous vous demandons de garantir, en respectant les particularismes et l’histoire de Wallis-et Futuna, que l’école publique soit sur ce territoire, comme partout ailleurs en France, une école laïque, gratuite et obligatoire. Nous souhaitons que la neutralité du service public y soit garantie et que l’État assume ses responsabilités, en donnant les moyens, sans compter sur la bonne volonté des parents pour faire fonctionner certains aspects des établissements, notamment en ce qui concerne le bâti, comme cela a pu nous être rapporté lors d’une audition.
Madame la ministre, soyez-en assurée, nous serons extrêmement vigilants, tant sur le contenu des ordonnances que nous aurons à ratifier d’ici quelque temps, comme le prévoit l’article 2 du projet de loi, que sur les mesures infralégislatives, mais impératives, qui devront être prises pour accompagner le changement de statut. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte majeur : le projet de loi relatif au transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.
Cette réforme est attendue depuis longtemps. À nous, législateurs, d’être au rendez-vous pour répondre aux attentes légitimes de la communauté éducative locale.
Avant toute chose, je tiens à saluer le travail de la rapporteure Evelyne Corbière Naminzo, ainsi que l’implication de notre collègue Mikaele Kulimoetoke, sénateur de Wallis-et-Futuna, mobilisé depuis très longtemps sur le sujet.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
Mme Laure Darcos. Au lendemain du référendum de 1959, les îles de Wallis et Futuna sont devenues des territoires d’outre-mer. La loi du 28 juillet 1961 leur a conféré un statut spécifique qui les dote d’une organisation institutionnelle toute particulière.
Cette organisation repose sur un subtil équilibre entre les trois grandes composantes de l’identité de ce territoire : la République, les chefferies coutumières et l’Église catholique.
L’article 7 de la loi de 1961 pose un principe pour le moins unique en France : l’État concède l’exercice de la compétence de l’enseignement du premier degré à la mission catholique par le biais d’une convention renouvelable tous les cinq ans.
Au printemps 2023, un vaste mouvement de grève, sans doute l’un des plus importants qu’aient connus les deux îles depuis le référendum de 1959, a remis en cause ce principe. Les enseignants du premier degré se mobilisent, demandant à être intégrés à la fonction publique de l’État.
En réalité, cette revendication est bien plus ancienne que les grèves de 2023. Selon le rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sur l’évolution du statut des maîtres d’école à Wallis et Futuna, qui a été publié au mois de mars 2024, elle remonte au début des années 1980.
Cette contestation s’est accrue ensuite par le maintien d’un important différentiel de rémunération entre les maîtres d’école et les professeurs du secondaire. Alors que les premiers bénéficiaient d’une majoration de traitement au coefficient de 1,7, les seconds, en tant que fonctionnaires de l’État, bénéficiaient d’une indexation au taux de 2,05.
L’ampleur des grèves de 2023 a donné une tout autre dimension à cette remise en cause. La nécessité d’offrir aux enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna un nouveau statut fait aujourd’hui quasiment consensus, comme le montre le contenu du protocole d’accord de fin de conflit validé à l’issue des grèves au mois de juillet 2023.
L’article 1er de cet accord prévoit ainsi que l’État s’engage à mettre fin à la convention de concession de l’enseignement du premier degré à la mission catholique et à ce que les personnels concernés soient transférés vers les services de l’État.
C’est tout le sens du présent projet de loi, qui habilite le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance à cet effet. Les ordonnances permettront aussi aux enseignants de choisir pour leur retraite entre le régime spécial dont relève leur corps d’intégration et celui qui est géré par la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna.
En conséquence, en responsabilité, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. Néanmoins, ses membres regrettent qu’une telle réforme passe dans un délai aussi court, quelques semaines avant la fin du contrat de concession actuellement en vigueur.
Les enjeux relatifs à l’enseignement du premier degré de Wallis-et-Futuna sont immenses.
Les évaluations en français et en mathématiques à l’entrée en sixième ont montré des écarts importants, autant avec la métropole qu’avec les autres territoires d’outre-mer.
Ainsi, 40 % des élèves de ces deux îles n’atteignent pas le niveau de maîtrise satisfaisant en français, contre 11 % à l’échelle nationale. En mathématiques, 65 % des élèves ont un niveau insuffisant, contre 28 % à l’échelle nationale.
Au-delà de l’intégration des maîtres d’école dans la fonction publique d’État se pose la question de l’organisation de l’enseignement primaire.
Nos concitoyens de Wallis-et–Futuna font partie intégrante de la République. Nous leur devons d’être mobilisés pour un fonctionnement efficace de l’école, dans le respect de leurs spécificités locales, au service de l’ensemble de la communauté éducative de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer et de remercier notre rapporteure Evelyne Corbière Naminzo du travail réalisé, qui a permis d’aboutir à une rédaction équilibrée, consensuelle et, surtout – c’est là l’essentiel –, respectueuse des spécificités de Wallis-et-Futuna.
En effet, depuis plusieurs années, le système de la concession à la mission catholique, qui avait jusqu’alors fait ses preuves, est à bout de souffle et est l’objet de nombreuses remises en cause. Ainsi, les enseignants, qui officient en tant qu’agents de droits privés, ne sont pas éligibles au régime de rémunération des fonctionnaires de l’État en service dans les outre-mer et ne bénéficient pas de l’accès à la grille nationale des professeurs des écoles.
En outre, si la concession a initialement été conçue pour préserver les équilibres locaux, il n’en demeure pas moins que l’État ne respecte pas une obligation pourtant constitutionnelle, celle d’organiser un enseignement primaire, public, gratuit et laïque.
Enfin, la concession passée entre l’État et la mission catholique prend fin au mois de juin 2025. L’urgence commande donc un nouveau statut pour garantir la continuité du service public de l’éducation dès la prochaine rentrée. L’urgence est là. Par conséquent, ce texte est indispensable.
Bien sûr, nous pouvons déplorer ici la procrastination des gouvernements successifs, qui ont mis plusieurs mois, sinon des années, à construire un texte adéquat alors qu’ils étaient pleinement conscients des difficultés rencontrées et de l’échéance à venir de ladite concession.
Bien sûr, nous pouvons regretter aussi la conséquence de cette procrastination, en l’occurrence le recours par le Gouvernement aux ordonnances, donc la mise à l’écart du Parlement sur une décision aussi importante pour un territoire de la République.
Comme je le disais précédemment, l’urgence est là. Il est donc nécessaire d’y répondre dans les plus brefs délais.
C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui propose une évolution du système scolaire wallisien en prenant en considération – c’est fondamental – l’héritage ancien dans lequel celui-ci s’inscrit, qui exige une approche respectueuse des personnes et de l’histoire.
Aujourd’hui, un consensus existe quant à cette évolution.
Les enseignants considèrent que leur intégration met fin à une situation perçue comme injuste et qu’elle sécurise leur statut juridique.
Le vice-rectorat souhaite reprendre la main sur l’enseignement primaire pour mieux le piloter au bénéfice de la réussite des élèves.
La direction de l’enseignement catholique pointe la dégradation de ses relations avec les enseignants, qui rend difficile toute discussion.
Les parents d’élèves espèrent que ce transfert permettra l’amélioration de l’école à Wallis-et-Futuna et la fin des conflits sociaux qui la secouent trop souvent.
Le contexte est donc favorable au déploiement de ce projet de loi.
Néanmoins, je souhaite ici rappeler combien ce dernier doit suivre un tempo adapté et faire preuve d’un certain doigté dans sa mise en œuvre, qui doit être progressive, pragmatique et respectueuse de l’ensemble des acteurs du territoire.
C’est la raison pour laquelle je tiens à insister sur quelques points de vigilance que nous devons garder en tête si nous souhaitons que ce projet de loi puisse s’appliquer sans tension.
D’abord, ce transfert doit concerner l’ensemble des enseignants, dont les dix agents non titulaires du baccalauréat. À ce sujet, je m’associe pleinement à l’initiative de notre rapporteure d’étendre ce transfert à ses agents. Madame la ministre d’État, vous avez salué ce travail.
Ensuite, les professeurs doivent être classés en fonction de leurs salaires actuels dans la grille des professeurs des écoles, et non pas par la transposition de la grille ad hoc, au risque de créer une distorsion avec les autres territoires français du Pacifique. Bien entendu, il s’agit de maintenir et même de faire progresser les rémunérations des professeurs, mais en rapport avec ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie et en outre-mer.
En outre, l’objectif de la laïcité, s’il est partagé, doit se construire progressivement. Son pilotage doit être assuré en proximité, afin de pleinement tenir compte du particularisme de Wallis-et-Futuna et de son histoire singulière.
Enfin, et surtout, il faudra régler – vous y avez fait référence, madame la ministre d’État – la question des personnels non enseignants qui ne peuvent être laissés sur la touche. Cela sera dit avec force dans un instant par le sénateur de Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre d’État, je vous sais consciente des enjeux que revêt ce texte. Si son déploiement se doit d’être rapide pour répondre à l’urgence qui s’impose à nous, il doit aussi être adapté aux spécificités du territoire et déployé en proximité. Oui, c’est une école publique, gratuite et laïque qu’il faut instaurer à Wallis-et-Futuna, mais dans le respect de l’histoire, des personnes et des particularités !
Ce sera donc la responsabilité du préfet et du vice-recteur de mener avec doigté cette réforme, attendue et nécessaire. À en juger par les déclarations des uns et des autres au cours de cette discussion générale, je pense que nous serons nombreux à nous prononcer en sa faveur. Pour sa part, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke. (Applaudissements.)
M. Mikaele Kulimoetoke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier chaleureusement Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, d’avoir accepté au pied levé d’être rapporteure de ce projet de loi. Je remercie aussi les membres de la commission de la culture de leur écoute et de leur intérêt pour ce dossier. Je vous remercie tous de votre attention.
Vous imaginez bien la complexité des spécificités de Wallis-et-Futuna. En effet, notre collectivité ne ressemble à aucune autre de l’Hexagone ou des outre-mer, avec, pour commencer, l’existence de nos royautés au sein de la République. À l’heure où la Nouvelle-Calédonie cherche à trouver un accord consensuel pour son avenir et où, parallèlement, la Polynésie française a acté la reconnaissance des actions de ses tavana auprès des populations, je prends à mon tour la parole, pour Wallis-et-Futuna, afin de demander à l’État d’assumer ses responsabilités concernant l’enseignement primaire, comme cela est prévu dans le code de l’éducation et dans notre loi statutaire de 1961.
Je le rappelle, le pouvoir exécutif est encore assuré par le préfet, représentant de l’État, notre assemblée territoriale se limitant à voter des délibérations que le préfet rend exécutoires.
M. Pierre Ouzoulias. Il faut changer cela !
M. Mikaele Kulimoetoke. Il s’agit donc d’un territoire administré directement par l’État français depuis soixante-quatre ans. Malgré cela, nous sommes également inscrits sur la liste de l’OCDE comme pays éligible à l’aide publique au développement. Cela veut dire que nous sommes non pas considérés comme Français, mais classés comme pays du tiers-monde et que nous n’avons pas les mêmes droits que l’ensemble des Français.
Les premiers enseignements ont été dispensés par les missionnaires catholiques, qui sont arrivés en 1837. C’est ensuite, avec l’aide de la population, que les écoles ont été construites sur le foncier cédé gracieusement par les chefferies coutumières.
Pour autant, la décision de l’État de concéder en 1969 l’enseignement primaire à la mission catholique n’est pas prévue par le code de l’éducation. Un jugement du tribunal du travail de Wallis a également confirmé que la direction de l’enseignement catholique n’avait aucune personnalité juridique.
Nous avons attendu le 7 juin 2023 pour que le ministre de l’éducation nationale d’alors reconnaisse devant le Sénat, à ma demande, que les personnels du premier degré pouvaient accéder au statut d’agent public de l’État. Pendant soixante-deux ans, ils ont été considérés comme des agents de droit privé régis par le code du travail de 1952 du temps des colonies.
Il était déjà difficile d’arriver à un consensus sur la réforme, mais ne pas respecter les accords conclus autour de la table des négociations est assimilé à une atteinte à l’honneur de nos autorités coutumières, qui, par leur présence, ont scellé officiellement la parole donnée.
C’est pour cela que j’ai déposé un amendement visant à élargir le périmètre du projet de loi d’habilitation au personnel non enseignant. Il a été déclaré irrecevable par la commission de la culture et il n’aurait pas eu plus de chances d’aboutir aujourd’hui en séance publique.
Madame la ministre, vous avez proposé d’attribuer le statut d’agent contractuel de l’État au personnel non enseignant sous le régime de l’arrêté 76, au motif qu’il existait encore des agents de l’État réglementés par ce texte dans le secondaire et au vice-rectorat. Permettez-moi de vous dire que c’est une aberration, car c’est juridiquement illégal. L’arrêté 76 a été institué pour régir les agents permanents du territoire sous un statut de droit privé, ce qui n’est pas applicable pour les agents publics de l’État.
Ma préoccupation est aussi d’éviter de créer une rupture d’égalité dans le traitement des personnels enseignants et non enseignants. Le préavis de grève illimité déposé le 1er avril par le syndicat Force ouvrière Enseignement a été suspendu dans l’attente de nos travaux.
C’est pour cela que je vous demande, madame la ministre, d’intégrer les personnels non enseignants qui ont un corps d’attache existant dans la fonction publique et de créer des corps spécifiques à Wallis-et-Futuna pour ceux qui n’en ont pas. Face à situation exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles.
Mes chers collègues, compte tenu de ce que je viens de vous exposer, je garde la foi et j’espère que l’État tiendra sa parole et s’engage sur un calendrier permettant d’intégrer également dans la fonction publique de l’État les personnels non enseignants du premier degré.
Le groupe RDPI votera le projet de loi d’habilitation. (Applaudissements.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ruel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. Jean-Marc Ruel. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, comme cela a déjà été évoqué, les îles de Wallis et Futuna ont été intégrées à la République en 1959.
Depuis 1961, l’État dispose de la compétence éducative du territoire, même si la mission catholique l’assure depuis 1969 via les conventions quinquennales successives – la dernière prend fin au mois de juin prochain.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à permettre, à terme, l’intégration des personnels enseignants du premier degré au sein de l’éducation nationale. Rappelons qu’il résulte d’une forte mobilisation des enseignants locaux au mois de mai 2023, paralysant les écoles des deux îles pendant deux mois et demi. Celle-ci a abouti à un protocole d’accord signé le 20 juillet 2023 entre l’État, les autorités territoriales, les représentants syndicaux et la mission catholique.
En 2024, une mission interinspection a été mandatée pour évaluer les conditions de mise en œuvre du protocole d’accord. Elle a confirmé l’impossibilité de pérenniser un recrutement des enseignants en qualité de contractuels et a recommandé leur intégration dans le corps national des professeurs des écoles. Cette mission a aussi mis en avant la possibilité pour les enseignants de choisir entre le régime local de retraite et celui qui est applicable à leur corps d’accueil.
Madame la ministre, en prolongement de ces recommandations consensuelles, que nous retrouvons dans votre projet de loi, permettez-moi d’ouvrir la discussion sur la question du particularisme au sein de la République en citant la première phrase de l’article 1er de notre Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Le cas de figure de nos compatriotes de Wallis et de Futuna est très spécifique. Ce projet de loi, qui a pour objectif de rétablir l’équilibre, questionne en réalité la laïcité, l’un des principes centraux de notre République.
En plus du prérequis essentiel de la maîtrise des langues vernaculaires, les enseignants revendiquent la conservation de l’enseignement catholique au sein des écoles du premier degré de Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous connaissez l’attachement du RDSE, plus largement des radicaux, à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Portant la voix de mon groupe aujourd’hui devant vous, je ne peux que m’interroger sur la possibilité d’une telle mesure.
J’ai bien conscience des spécificités des îles de Wallis et Futuna et de l’importance de la religion catholique sur ce territoire. Cependant, le particularisme autorisé ici nous contraint à voter aujourd’hui une loi sur les revendications locales légitimes et essentielles tout en mettant entre parenthèses une valeur centrale de notre pays.
Au regard de ces différents éléments, le groupe RDSE votera donc en faveur de ce texte, afin d’habiliter le Gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances les mesures nécessaires relevant du domaine de la loi.
Nous resterons cependant vigilants quant au contenu du projet de loi de ratification qui sera défendu devant le Parlement et des mesures qui y seront inscrites. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Georges Naturel. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, il est des textes qui, malgré leur apparente brièveté, ne revêtent pas moins une grande portée humaine, historique et symbolique. Celui qui nous réunit aujourd’hui relève de ces textes essentiels.
M. Pierre Ouzoulias. C’est vrai !
M. Georges Naturel. Permettez-moi tout d’abord de remercier Mme la rapporteure Evelyne Corbière Naminzo de son engagement éclairé et de son écoute attentive.
Je salue également nos collègues de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, qui ont su, dans l’examen de ce projet de loi, tenir compte des réalités singulières du Pacifique, souvent éloignées du regard parisien, mais jamais de l’esprit républicain.
Ce texte marque une étape importante pour les enseignants de Wallis et de Futuna. Il consacre un changement de statut attendu, légitime et, désormais, consensuel. Il vise à mettre un terme à un système original, celui de la concession à la mission catholique, qui a structuré pendant plus d’un demi-siècle l’enseignement primaire dans les îles : un système aujourd’hui obsolète et à bout de souffle.
Ce changement, aussi nécessaire soit-il, ne saurait toutefois effacer l’histoire. En effet, avant la République, ses lois et ses règlements, ce sont les missionnaires qui ont ouvert les écoles et les dispensaires dans nos îles du Pacifique, particulièrement à Wallis et à Futuna. Ils ont formé, soigné, évangélisé. Ils ont tissé les premiers liens entre les savoirs venus d’ailleurs et les cultures locales.
Cette mémoire existe ; elle vit encore dans les murs de nos écoles, dans les chants de nos enfants, dans les récits des familles. Il est important de la respecter sans imposer aux forceps une laïcité importée aux relents de néocolonialisme, parce qu’elle ne serait pas comprise.
M. Pierre Ouzoulias. Non ! On ne peut pas vous suivre sur cela !
M. Georges Naturel. À Wallis et à Futuna, comme ailleurs dans le Pacifique, la République ne s’est pas imposée par effraction. Elle s’est enracinée dans un terreau déjà ancien fait de royauté, de coutume, de foi et de respect. Elle a su – du moins, je le crois – composer avec ces équilibres, parfois complexes, mais toujours porteurs d’une identité forte.
La République reconnaît des rois à Wallis. Elle ne leur demande pas de renier leur couronne pour devenir citoyens. Pourquoi demanderait-elle à des enseignants d’oublier ce qu’ils sont, d’où ils viennent et ce qu’ils portent ?
L’intégration dans la fonction publique d’État doit donc être plus qu’un changement administratif : une reconnaissance, de leur engagement, bien sûr, mais aussi de leur insularité, de leur culture et de leur ancrage pacifique.
En tant que sénateur de Nouvelle-Calédonie, je mesure pleinement cette responsabilité. Car une partie importante de la communauté wallisienne et futunienne vit aujourd’hui chez nous. À Dumbéa, ma commune de cœur, nombreux sont les enseignants, les parents et les enfants issus de ces îles sœurs, qui contribuent à la vie de la cité et à la richesse de notre identité océanienne.
Il est donc naturel – c’est le cas de le dire (Sourires.) – que je m’exprime aujourd’hui pour leur témoigner, au nom de la solidarité du Pacifique, tout mon soutien.
Sur le principe, je voterai ce texte, non seulement parce qu’il est attendu, mais aussi parce qu’il est juste, parce qu’il rétablit une égalité de traitement et parce qu’il met fin à une ambiguïté juridique devenue intenable.
Toutefois, je veux ici exprimer solennellement un vœu : que les ordonnances à venir ne soient pas rédigées depuis une tour d’ivoire ministérielle, dans un entre-soi métropolitain qui méconnaîtrait les lagons, les palabres et les chefs coutumiers ; qu’elles soient le fruit d’une vraie concertation avec les élus, les enseignants, les représentants des chefferies et tous les acteurs du territoire. Car on ne gouverne pas Wallis-et-Futuna comme on administre un département de l’Hexagone. Le droit y a sa place, bien sûr, mais le dialogue y est la clé.
Aussi, que cette loi d’habilitation soit l’occasion d’un nouveau départ : un départ républicain, mais respectueux, un départ national et pacifique. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, à l’exception de celles du groupe CRCE-K.)
M. le président. La discussion générale est close.