Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, cinq mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, nous sommes de nouveau appelés à nous prononcer sur un projet de loi concernant Mayotte. Si le précédent texte visait à accélérer sa reconstruction, celui-ci porte un projet de refondation de l’archipel.
Néanmoins, cette ambition ne doit pas occulter la réalité du terrain : le chemin de la reconstruction est encore long. Le cyclone Chido, suivi de la tempête Dikeledi, a causé plus de 3 milliards d’euros de dommages.
Une délégation de la commission des affaires économiques, conduite par notre présidente Dominique Estrosi Sassone, s’est rendue sur place il y a quelques jours. Elle nous a fourni un éclairage précieux sur les articles dont notre commission est saisie, portant sur l’habitat informel, la politique de la ville et l’agriculture.
L’article 10 vise à faciliter la lutte contre l’habitat informel, fléau structurel pour Mayotte. Celui-ci concernait près de 100 000 personnes avant le passage du cyclone Chido, dans des conditions sanitaires extrêmement précaires, avec une forte exposition aux risques naturels. Or près de 90 % de ces habitations de fortune ont été reconstruites aujourd’hui.
Les outils actuels pour y faire face sont très insuffisants : ainsi, en 2023 et 2024, dix-neuf opérations ont permis l’évacuation de 3 000 personnes… C’est vider l’océan à la petite cuillère.
Dans ce contexte, la commission a confirmé les orientations proposées par le Gouvernement à cet article, qui portent sur la réduction des délais d’exécution volontaires et l’extension du champ des agents pouvant constater l’installation sans droit ni titre. Elle partage aussi l’objectif d’assouplir l’obligation de reloger les personnes à évacuer, mais a souhaité sécuriser le dispositif.
En effet, à Mayotte, cette obligation est matériellement impossible à respecter. Avec seulement 1 241 places et un taux d’occupation de 130 %, le parc d’hébergement est totalement saturé.
Pis, dès qu’un arrêté d’évacuation est pris, des places sont gelées, provoquant une vacance injustifiée et, au vu de la situation, insensée. Néanmoins, le Conseil d’État a émis des réserves sur la conformité à la Constitution de cette disposition. Nous avons donc tenté de la sécuriser en l’encadrant dans le temps et en la conditionnant aux circonstances locales.
La commission a par ailleurs souhaité accélérer les délais d’exécution d’office en limitant le recours suspensif au seul référé-liberté, sur lequel le juge statue en quarante-huit heures, afin de garantir l’effectivité à la fois des évacuations et des droits fondamentaux.
Toutefois, seule une approche articulant sécurité, politique migratoire, urbanisme et production de logements permettra de lutter efficacement contre les bidonvilles. En l’absence d’approche globale, nous ne ferions que poser un pansement sur une plaie ouverte.
J’en viens maintenant à l’article 23, qui vise à classer tout Mayotte en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) jusqu’en 2030. Cette mesure est justifiée au regard de l’aggravation brutale de la situation économique et sociale de l’archipel, alors que la révision de la géographie prioritaire intervenue à la fin de l’année 2024 n’a pas permis d’intégrer les conséquences de Chido et de Dikeledi sur les infrastructures, l’habitat ou l’activité.
Néanmoins, cette disposition aura probablement un effet limité sur le développement de Mayotte : département le plus pauvre de France, il est également d’ores et déjà le plus concerné par la politique de la ville. En effet, les trois quarts de la population de Mayotte sont déjà situés dans un QPV. J’insiste donc sur l’importance des financements, au-delà du nombre des communes prioritaires.
En outre, je souhaite alerter le Gouvernement sur les effets de bord potentiels du classement QPV sur le logement social. Ainsi, il ne faudrait pas que des impératifs de mixité sociale, pensés pour l’Hexagone, mais peu adaptés à Mayotte, limitent la construction de logements sociaux dans les QPV de l’archipel.
Monsieur le ministre d’État, je vous invite à prendre, avec vos collègues Valérie Létard et Juliette Méadel, les mesures dérogatoires nécessaires par voie réglementaire.
Enfin, je rappelle que le succès de la politique de la ville repose sur les contrats de ville : il est indispensable que ceux des dix-sept communes de Mayotte soient signés d’ici au 31 décembre prochain.
Notre commission a également eu à connaître de l’article 24, visant à permettre à la chambre de l’agriculture et de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (Capam) de déléguer ses compétences en matière de pêche et de conchyliculture. Cette démarche se ferait au profit d’une association préfiguratrice d’un comité régional des pêches maritimes et des élevages marins.
En effet, Mayotte est le seul territoire d’outre-mer à ne pas disposer d’un comité des pêches à même de représenter les intérêts de cette filière pourtant essentielle. La raison en est une insuffisante organisation des acteurs locaux, laquelle a conduit à aménager les compétences de la chambre d’agriculture pour y accueillir un collège de pêcheurs. Cette situation n’est pas satisfaisante, puisque ces derniers aspirent à disposer de leur propre organisation collective, tandis que le cœur de métier d’une chambre d’agriculture est de représenter les intérêts agricoles.
Aussi, c’est sans modification que notre commission a adopté cet article consensuel et attendu par la profession. Je défendrai, à titre personnel, un amendement visant à compléter le rapport annexé pour faire explicitement mention de l’objet de la création d’un comité des pêches. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous le savons, la situation à Mayotte reste très fragile : 77 % de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, contre 14 % dans l’Hexagone. Par ailleurs, la démographie de l’archipel est très atypique : 50 % des habitants ont moins de 20 ans et le territoire connaît un afflux très important d’immigrés en situation irrégulière.
Après le temps de l’urgence, il nous revient donc, désormais, d’œuvrer pour une reprise pérenne de l’économie mahoraise, ainsi que pour une amélioration durable des conditions de vie de nos concitoyens.
Les quatre articles dont notre commission a reçu délégation au fond y contribuent. Ainsi, l’article 15 consiste en une demande d’habilitation à légiférer par ordonnance en vue d’accélérer le projet de convergence sociale, lequel concerne l’alignement des droits et prestations sociales, mais également du montant des cotisations finançant le système de protection sociale.
Si la technicité du chantier justifie pleinement le fait que nous laissions le Gouvernement œuvrer au rapprochement du système de sécurité sociale mahorais du droit commun, la commission a toutefois adopté deux amendements tendant à encadrer davantage cette demande d’habilitation. Ils visent à exclure de son champ l’aide médicale de l’État (AME), ainsi que les « dispositifs fiscaux contribuant à l’amélioration de la compétitivité et de l’emploi ».
En effet, la situation migratoire critique que connaît l’archipel justifie que nous ne prévoyions pas d’étendre l’AME à Mayotte, afin de ne pas créer un effet incitatif supplémentaire. Quant aux dispositifs fiscaux de l’habilitation que nous proposons de supprimer, ils ne relèvent pas de la convergence sociale. Si le Gouvernement souhaite prendre des mesures permettant un plus grand rapprochement dans ces deux domaines, il lui est loisible de le faire par d’autres vecteurs législatifs.
La commission a voté l’article 16 étendant à Mayotte le régime de retraite complémentaire de l’institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec).
L’article 17 vise, quant à lui, à faciliter l’ouverture de pharmacies d’officine à Mayotte. Il permet ainsi au directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) d’autoriser une ouverture pour chaque tranche de 7 000 habitants recensée au niveau communal ou – c’est là que réside la nouveauté – au niveau intercommunal.
Fondé pour l’essentiel sur des seuils communaux, le cadre actuel présente en effet plusieurs limitations majeures. Il s’appuie, tout d’abord, sur des données démographiques obsolètes, datant du recensement de 2017. Il ne permet, ensuite, de tenir compte ni de la réalité démographique de certains bassins de vie ni des contraintes d’insularité et d’accessibilité spécifiques à Mayotte.
Si l’augmentation du nombre d’officines répond à un besoin réel, un passage durable du critère communal au critère intercommunal risque toutefois de fragiliser le tissu existant. Ainsi, l’ensemble des syndicats de pharmaciens, ainsi que l’ordre national des pharmaciens, que j’ai auditionnés, ont exprimé leur opposition à cet article et leurs craintes d’une déstabilisation durable du réseau.
C’est pourquoi la commission a adopté un amendement visant à trouver une voie de compromis. Cette proposition tend à limiter l’application du critère intercommunal aux situations dans lesquelles le recensement, datant de plus de cinq ans, est ancien et dépassé. Par ailleurs, elle soumet les ouvertures décidées sur le fondement de ce critère dérogatoire à un avis conforme de l’ordre national des pharmaciens.
Ainsi réécrit, cet article permettra d’anticiper partiellement l’augmentation de la population que révélera le prochain recensement. Les acteurs seront donc contraints de s’entendre localement sur la nécessité d’une ouverture. Je vous proposerai d’adopter le dispositif dans cette version.
Enfin, l’article 18 réforme les conditions de représentation des professionnels de santé mahorais au sein des unions régionales des professionnels de santé (URPS) de l’océan Indien. Il permet, notamment, la présence de plusieurs professionnels mahorais au sein d’une même URPS.
Toutefois, ces dispositions ne semblent pas convaincre les principales parties prenantes. Les syndicats de professionnels comme l’ARS, que nous avons interrogés, nous ont indiqué souhaiter une instance de représentation propre aux professionnels mahorais, susceptible de prendre en compte les spécificités de l’archipel. Le Gouvernement, au contraire, juge le nombre de professionnels concernés insuffisant pour l’envisager.
Afin d’inciter l’exécutif à poursuivre la concertation, la commission a adopté un amendement visant à garantir la consultation des syndicats dans l’élaboration du décret d’application.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ces dispositions ne régleront pas toutes les difficultés observées à Mayotte. En les votant, nous ferions toutefois œuvre utile en soutenant la reprise économique de l’archipel et l’accès aux soins. La commission vous invite donc à les adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Stéphane Fouassin, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je m’exprime également au nom de Georges Patient, corapporteur pour avis de ce texte.
La commission des finances a examiné plus particulièrement l’article 22, pour lequel elle a reçu une délégation au fond, ainsi que les articles 1er, 9, 23, 26 et 27, dont elle s’est saisie pour avis. Elle a émis un avis favorable à l’adoption de l’ensemble de ces articles, tels qu’ils ont été modifiés en commission.
Comme vous le savez, ce projet de loi s’inscrit dans une démarche plus large que la seule réponse aux catastrophes naturelles de décembre 2024, dont les dégâts sont estimés à 3,43 milliards d’euros. Il vise avant tout à répondre, dès aujourd’hui, aux besoins urgents et structurels de la population mahoraise, dans des domaines essentiels comme les infrastructures, les services publics, l’économie locale ou encore la jeunesse.
Il s’agit non seulement d’une reconstruction, mais encore d’un engagement fort en faveur de l’amélioration concrète des conditions de vie à Mayotte.
Tout d’abord, l’article 1er porte l’approbation d’un rapport annexé. Il consiste en une programmation des investissements de l’État à Mayotte pour la période s’étendant de 2025 à 2031, à hauteur de 3 176 milliards d’euros. Loin d’un simple affichage budgétaire, il s’agit d’une stratégie d’investissement ambitieuse, pensée pour répondre aux besoins concrets du territoire.
Près de 38 % du montant des investissements concerne la construction d’un aéroport à Bouyouni, en Grande-Terre, laquelle doit avoir lieu d’ici à 2036. En effet, la piste de l’aéroport actuel, sur Petite-Terre, est trop courte pour permettre l’atterrissage des avions capables de transporter du fret.
Par ailleurs, 730 millions d’euros seront consacrés à la gestion de l’eau et de l’assainissement. En effet, actuellement, près de 30 % de la population mahoraise n’a pas accès à l’eau potable.
Enfin, 407 millions d’euros sont destinés à la construction d’un deuxième hôpital, ainsi qu’à la modernisation du site hospitalier de Mamoudzou.
La pertinence de ces investissements ne nous paraît pas, à mon collègue Patient et à moi-même, faire débat. Nous avons, toutefois, deux observations principales. D’une part, la plupart de ces investissements proviennent d’engagements passés de l’État, par exemple dans le cadre du plan eau Mayotte. D’autre part, le chiffrage des dispositions du présent projet de loi n’est pas complet, comme le relève d’ailleurs le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 30 avril 2025.
J’en viens à l’article 22, dont l’examen a été délégué au fond à la commission des finances. Il introduit un élargissement ambitieux du dispositif de zone franche globale d’activité. Concrètement, il prévoit une exonération totale pour Les TPE et PME mahoraises, pendant cinq ans, de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, ainsi que de la cotisation foncière des entreprises et de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Les retombées attendues sont loin d’être anecdotiques : pas moins de 18 millions d’euros d’impôts seront ainsi économisés par les entreprises locales sur l’ensemble de la période. C’est là un signal fort que l’État envoie en faveur du développement économique de ce territoire.
L’article 23 prévoit de zoner toutes les communes de Mayotte en quartiers prioritaires de la ville jusqu’en 2030. Si, actuellement, 75 % du territoire mahorais est déjà situé en QPV, ce n’est pas le cas du sud de l’île. Ainsi, même si la portée directe du dispositif peut sembler limitée, celui-ci reste pertinent, car il ouvre la voie à d’autres mécanismes d’accompagnement public comme l’obtention du label Cités éducatives.
Sur un autre sujet, l’article 9 conditionne les transmissions de fonds à l’étranger, c’est-à-dire les transferts d’argent effectués grâce à des espèces, à la vérification par les établissements financiers de la régularité du titre de séjour du client souhaitant effectuer la transaction. L’objectif affiché est la lutte contre le blanchiment de capitaux, notamment le financement des filières de passeurs aux Comores.
Sur ce point, j’émettrai deux remarques. Tout d’abord, par nature, les flux illégaux de capitaux sont très difficiles à évaluer. Ensuite, nous tenons à souligner que ce n’est pas forcément le rôle des banques que de suppléer l’État dans une fonction régalienne de contrôle des flux migratoires. Cette mesure semble donc relever plus de la lutte contre l’immigration que contre le blanchiment de capitaux, même si elle pourrait se justifier au vu de la situation très particulière de Mayotte.
Enfin, la commission des finances est favorable à l’adoption des articles 26 et 27.
L’article 26 étend le bénéfice du passeport pour la mobilité des études aux lycéens de Mayotte, lorsque la filière d’enseignement souhaitée n’est pas proposée localement.
L’article 27, quant à lui, crée un fonds de soutien au développement des activités périscolaires. En effet, plus de la moitié des élèves mahorais n’ont accès à l’école que par demi-journées. Dans ces conditions, le soutien à une offre périscolaire est pertinent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le texte que nous allons étudier aujourd’hui s’intitule projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. L’on pourrait donc s’attendre à ce qu’il tende à programmer la refondation de Mayotte, à tracer un avenir meilleur pour un territoire ravagé par les inégalités, les carences de l’État, les catastrophes climatiques et l’indifférence.
En effet, les cyclones Chido, puis Dikeledi, qui ont frappé l’île n’ont fait qu’aggraver très durement une situation dont l’État est responsable depuis longtemps. Ainsi, les manques y sont ancrés, les besoins essentiels inassouvissables, la précarité et les inégalités plus fortes que n’importe où en France.
Mayotte est le département le plus jeune et le plus pauvre de France. Jeune et pauvre : voilà deux indices, deux pistes claires pour un projet de refondation.
Alors qu’il manque 1 200 classes et que jusqu’à 10 000 enfants ne sont pas scolarisés, qu’il n’y a pas assez de transports, pas de cantines, que les classes sont en rotation, qu’il faudrait mettre fin aux classes itinérantes, un investissement massif dans l’école aurait dû être une priorité.
Alors que l’hôpital est saturé, les équipements insuffisants, les médecins beaucoup trop rares et l’AME absente, il aurait fallu améliorer les conditions de travail des soignants, soutenir la médecine de ville et ouvrir l’accès à I’AME.
Alors que l’habitat informel est la norme, dans un territoire qui compte neuf fois moins de logements sociaux par habitant que la moyenne nationale, il aurait fallu organiser la construction de logements sociaux en grand nombre, dignes et résilients.
Alors que l’eau potable est inaccessible pour une part considérable de la population, il aurait fallu ouvrir une réflexion sur la tarification sociale de l’eau et accélérer très fortement la rénovation des réseaux hydrauliques.
Alors que la convergence des prestations sociales est encore repoussée et que les prestations familiales en sont exclues, il aurait fallu donner aux Mahorais et aux Mahoraises l’égalité des droits.
Pourtant, sur quoi les priorités et les moyens concernés par ce texte sont-ils, pour l’essentiel, concentrés ? En réalité, 80 % du projet de loi visent à rendre encore plus répressive et plus dérogatoire une politique migratoire déjà ultra-répressive et ultra-dérogatoire du droit commun.
Or cette politique n’a donné jusqu’à aujourd’hui, il faut bien le dire, aucun résultat : ni sur les conditions de vie à Mayotte ni même sur les flux migratoires. En effet, la réalité, c’est que les personnes concernées migrent, non pas en raison de l’absence de répression, mais pour fuir la pauvreté et la misère.
Bien sûr, nous ne nions ni la pression migratoire, ni sa complexité, ni ses conséquences. Mayotte fait face à des difficultés réelles de gestion administrative et à des tensions sociales profondes. Nous ne disons pas qu’il ne faut rien faire. Mais ce que nous dénonçons, c’est une incapacité à construire une politique globale respectueuse des droits et qui apporte des réponses de long terme, à la hauteur des besoins du territoire.
En effet, de votre approche, tous seront victimes, les étrangers comme les Français. La politique d’accueil et d’intégration des étrangers est déjà pratiquement inexistante. L’aide matérielle, qui s’élève à 30 euros par mois, est bien inférieure au montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) versée en métropole, alors même que le coût de la vie sur l’archipel est bien plus élevé. Il n’existe d’ailleurs à Mayotte ni centre d’accueil ni réelle allocation pour demandeurs d’asile.
En durcissant l’accès au séjour et en refusant le développement des titres pluriannuels, vous condamnez plus de personnes à l’illégalité et à la précarité, pour le malheur de tous les habitants de l’île. En outre, vous empêchez d’alléger de façon notable la charge qui pèse actuellement sur les services de la préfecture.
Votre politique envers les enfants – les « unités familiales », présentées comme des avancées –, n’est en réalité qu’un enrobage humanitaire de pratiques de privation de liberté interdites ailleurs.
Les restrictions que vous portez aux droits finissent par irriguer notre droit commun. Je ne suis pas la seule à le dire ; sur ce point, je vous renvoie aux constats qui ont été dressés par la Défenseure des droits. Quand vous touchez au droit du sol, retirez un titre de séjour à un parent pour le comportement de son enfant et enfermez des enfants en rétention, vous ne touchez pas seulement aux droits des Mahorais : vous touchez au cœur de nos principes républicains.
La vérité, c’est que ce texte n’a pas été conçu prioritairement pour répondre aux attentes les plus pressantes des Mahorais. Il est une brèche visant à généraliser des politiques d’exception.
Certes, il y a quelques mesures que nous ne contestons pas, bien que, pour la plupart, elles soient une redite d’engagements déjà pris, sans réelle garantie d’application. Je pense notamment à la promesse de mettre fin à la rotation scolaire d’ici à 2031, au développement de l’offre périscolaire et à la création d’un deuxième hôpital.
Ces mesures sont une très bonne chose, mais l’absence d’une stratégie globale, d’une vision sur le long terme et d’une priorisation des vrais enjeux rend ce texte inapte à ce qu’il aurait dû faire initialement : refonder Mayotte.
Au contraire, il aggrave la vulnérabilité des Mahorais et abîme les principes républicains qui s’appliquent à tous. C’est la raison pour laquelle le groupe GEST ne votera pas en sa faveur.
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili.
M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà plus de cinq mois après la catastrophe causée par le cyclone Chido et près de deux mois après la promulgation de la loi d’urgence pour Mayotte.
Aujourd’hui, force est de constater que le compte n’y est pas. Les Mahorais sont fatigués des effets d’annonce et d’attendre la mise en œuvre, sur le terrain, des mesures proposées. Prenons ce simple exemple : cinq mois après la catastrophe naturelle qui a dévasté notre territoire, les prêts à la reconstruction n’ont toujours pas été délivrés par les banques.
Aujourd’hui, la population mahoraise souffre. Le Premier ministre, en visite sur l’île après le passage du cyclone Chido, a certes annoncé le plan Mayotte debout, mais, pour les Mahorais, il s’agit plutôt d’un plan Mayotte débrouille. Oui, c’est : « Mayotte, débrouille-toi ! »
Le tissu économique est fragilisé, les entreprises qui sont le fer de lance de la reconstruction bloquent en ce moment l’accès à une collectivité, faute de règlement de leurs travaux. Le secteur de la pêche, fortement touché par le cyclone, a déposé des dossiers pour redémarrer la filière. Les redevances des armateurs seychellois, d’un montant de 1,6 million d’euros, sont disponibles, mais les pêcheurs attendent encore les réponses de la préfecture.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voulais aborder les conditions dans lesquelles le présent projet de loi a été préparé. Il est parfaitement anormal que les parlementaires aient reçu la partie du rapport de la mission interinspections sur les dégâts du cyclone Chido une semaine avant la discussion du texte. Je demandais la transmission de ce document, ainsi que le bilan des contrats de convergence, depuis la fin du mois de février !
On peut s’interroger sur la façon dont a été préparé ce projet de loi, ainsi que sur le rôle qui a été laissé aux élus. Faut-il croire à l’esprit prétendument éclairé des administrations centrales et aux fonctionnaires qui ne font que passer dans notre territoire pour savoir ce qui est bon pour nous ?
Le rapport annexé constitue la véritable feuille de route de la reconstruction de Mayotte. Toutefois, elle ne pourra être concrétisée avec succès qu’à deux conditions.
Premièrement, il est impératif que les mesures contenues dans ce projet de loi soient mises en œuvre et que les fonds publics soient à la hauteur des enjeux. Selon le premier calcul, que j’ai effectué en me fondant sur les chiffres du rapport de la mission intersinspections, le montant des aides versées à Mayotte devrait atteindre 6,7 milliards d’euros.
Deuxièmement, il faut un suivi de la mise en œuvre de ces mesures, comme la Cour des comptes le recommande. Je tenais à remercier la commission des lois du Sénat d’avoir adopté l’amendement de mon groupe visant à mettre en place un comité de programmation et de suivi des dispositifs détaillés dans le rapport précité.
C’est dans le même état d’esprit que mon groupe a déposé trente amendements sur le rapport annexé. Les Mahorais craignent que les effets d’annonce ne se concrétisent pas. Le rapport annexé est pavé de bonnes intentions, mais il ne saurait rester lettre morte.
Concernant la partie normative, trois priorités guident notre action.
Tout d’abord, la classe politique mahoraise demande de façon unanime la fin des titres de séjour territorialisés pour les étrangers en situation régulière.
Nous sommes au Sénat, la chambre qui représente les territoires. J’invite donc mes collègues du groupe Les Républicains et les centristes à relayer les demandes exprimées très fortement par leurs représentants locaux, qui exigent la fin de cette disposition coloniale assignant à Mayotte 100 000 personnes en situation régulière.
Ensuite, nous souhaitons supprimer l’article 19 relatif à l’allègement des procédures d’expropriation, comme le demande la population mahoraise de façon unanime. Il faut avoir conscience des réalités concernant le foncier : les textes de droit commun relatifs à la propriété foncière sont récents dans notre territoire et la réforme du foncier patine.
Enfin, nous rejetons le système électoral, reposant sur une circonscription unique découpée en cinq sections, proposé pour l’élection de l’assemblée de Mayotte. La question du déséquilibre entre la population recensée et le nombre d’inscrits sur les listes électorales fausse le scrutin, en favorisant les communes qui accueillent le plus d’étrangers. C’est un argument supplémentaire pour mettre fin aux titres de séjour territorialisés.
Après la catastrophe causée par le cyclone Chido, la population de Mayotte attend du Gouvernement qu’il propose des dispositions législatives fortes.
Monsieur le ministre, ne nous décevez pas. Les Mahorais ne demandent qu’une seule chose : que Mayotte soit « la France jusqu’au bout », jusqu’à eux.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Elles ne sont certainement pas toutes agréables à entendre, ni même faciles à admettre, mais, en politique, il est de la responsabilité du Gouvernement et des élus que nous sommes de dire la vérité aux Français. C’est une nécessité absolue, car accepter la réalité est l’unique façon d’apporter des solutions adéquates aux problèmes qui se posent.
À Mayotte, il y a une réalité, qui est surtout difficile à vivre pour les Mahorais. J’en profite pour leur témoigner notre solidarité, notre respect et notre reconnaissance. Étant élu d’un département modeste, les Ardennes, je sais combien la solidarité est importante. Il faut maintenant qu’elle s’exerce entre la métropole et les territoires ultramarins, en particulier Mayotte.
La réalité vécue par les Mahorais est d’ailleurs si peu agréable à regarder qu’il aura fallu les ravages d’un cyclone et ses conséquences dramatiques pour que deux projets de loi voient le jour : un projet de loi d’urgence, promulgué le 24 février dernier, et le présent projet de loi de programmation.
Nombre de mesures ont déjà été prises pour essayer de régler les problèmes propres à Mayotte, mais trop peu ont été effectivement mises en œuvre, en dépit de la gravité de la situation. D’où l’importance de la solidarité et des textes que je mentionnais.
Quelle est la réalité de Mayotte ? C’est celle d’un territoire marqué par la pauvreté, le chômage, une pression migratoire massive et un habitat informel incontrôlable.
Pourtant, ce territoire ne se résume pas à ces seuls éléments. Il constitue un atout géostratégique, en plus d’être caractérisé par une biodiversité exceptionnelle, parmi les plus importantes du monde, une culture particulièrement riche et un potentiel touristique sous-exploité. Ces formidables atouts sont cachés par des maux qui, jusqu’à aujourd’hui, le dépassent.
C’est surtout la réalité d’un département français à qui nous devons la même considération, le même respect qu’à n’importe quel territoire hexagonal. Cette considération doit d’ailleurs nous appeler à la mesure.
Ce projet de loi, comme son rapport annexé auquel renvoie l’article 1er, est ambitieux. Vous nous demandez de consentir à des investissements très importants, à hauteur de 3,17 milliards d’euros, comme l’a rappelé le rapporteur pour avis de la commission des finances.
Il est notamment question de réaliser un nouvel aéroport en Grande-Terre, de construire une cité judiciaire et un second centre hospitalier, de renouveler la flotte de gendarmerie maritime et de former 300 gendarmes et policiers auxiliaires.
En outre, 730 millions d’euros sont destinés à l’assainissement de l’eau – près de 30 % des Mahorais ne sont pas raccordés à l’eau potable, comme nous l’avons rappelé en commission des finances, mardi dernier – et 24 000 logements doivent être construits au cours des dix prochaines années.
Vous le savez, ce texte est porteur d’espoir pour les Mahorais. Les promesses sont nombreuses, mais beaucoup d’entre elles sont déjà formulées depuis des années. Il faut désormais qu’elles se concrétisent. C’est pourquoi nous nous réjouissons que la commission des lois ait adopté les amendements visant à instaurer une programmation annuelle des investissements présentés et leur évaluation régulière.
J’y insiste, il est indispensable que les promesses deviennent des objectifs. Qu’il s’agisse de lutter contre l’immigration illégale, l’habitat informel et l’insécurité ou d’accélérer la convergence sociale, le projet de loi porte des mesures fortes, mais strictement nécessaires face à l’ampleur de la situation.
Tout d’abord, allonger la durée de résidence pour bénéficier d’une carte de résident et conditionner l’obtention d’un titre de séjour à une entrée régulière sur le territoire apparaissent comme des mesures proportionnées dans un département où la moitié des étrangers sont en situation irrégulière.
Ensuite, réduire le délai d’exécution volontaire de l’ordre d’évacuation des bidonvilles nous semble justifié, alors que plus du tiers de la population mahoraise vit dans ce genre d’habitat.
Enfin, renforcer l’autorité du préfet sur l’ensemble des services de l’État à Mayotte nous paraît indispensable pour coordonner les actions et progresser en matière de reconstruction de logements, d’infrastructures et d’éducation prioritaire, notamment via le dispositif de zone franche globale.
Ce projet de loi s’attaque aux problèmes réels de Mayotte. Il contient des solutions adaptées, mais il sera malheureusement inutile si toutes les actions qu’il promet ne sont pas menées de front.
Parce que la clarté du statut et des compétences d’une collectivité est le préalable indispensable à son action et à son développement, nous soutiendrons ce texte. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage l’esprit du projet de refondation qui nous est proposé. Nous resterons cependant attentifs aux évolutions qui surviendront au cours de l’examen du texte.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)