Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, qui s’est réunie le 6 mai dernier.
Ce texte, initialement composé de quatre articles, en comporte désormais trente-sept. Une telle manière de légiférer, par propositions de loi « gonflées » lors de leur examen en commission et en séance publique, n’est guère satisfaisante.
Sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État, nous ne disposons pas d’une pleine capacité d’expertise. Celle-ci nous fait particulièrement défaut au moment d’examiner des amendements du Gouvernement.
Je suis bien évidemment favorable aux dispositions qui visent à lutter plus efficacement contre les fraudes aux aides publiques, mais légiférer dans l’urgence au moyen d’une proposition de loi téléguidée par le Gouvernement n’est pas la meilleure façon de procéder.
Autre regret, ce texte ne s’attaque pas à la fraude fiscale, qui coûte entre 80 milliards et 100 milliards d’euros par an, ni à la fraude aux cotisations sociales, qui représente entre 5 milliards et 7 milliards d’euros, ni à la fraude aux prestations sociales, estimée à 3 milliards d’euros.
Le groupe des sénateurs socialistes a toujours été favorable à la protection du consommateur et à la lutte contre la fraude aux aides publiques. C’est un impératif pour renforcer l’acceptation de l’impôt chez nos concitoyens.
Je suis aussi très favorable aux dispositions interdisant le démarchage téléphonique, sauf si le consommateur donne son consentement, tant nos compatriotes ne supportent plus les sollicitations permanentes dont ils sont assaillis. Je salue l’apport décisif du Sénat sur ce sujet. La date du 11 août 2026 me semble laisser un délai réaliste pour permettre aux entreprises de s’adapter à cette nouvelle législation.
Je suis également favorable aux dispositions permettant de mieux lutter contre la fraude aux travaux de rénovation énergétique et d’adaptation à la perte d’autonomie. En ce qui concerne la limitation du nombre de rangs de sous-traitance dans les chantiers aidés pour la rénovation énergétique ou l’adaptation des logements au handicap, le compromis trouvé me semble correct.
Les grandes enseignes ne pourront être donneuses d’ordre que si elles sont titulaires d’un label RGE ou équivalent. En effet, les sénateurs du groupe socialiste ont veillé à préserver le réseau des petites entreprises et des artisans locaux, gage de qualité et acteur précieux du développement économique des territoires.
Le renforcement de la lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergie est un axe fort de cette proposition de loi. Le texte sécurise l’action du Pôle national des certificats d’économies d’énergie lors de ses contrôles, facilite la détection de fraudes lors de l’instruction des demandes et renforce la sanction que le Pôle peut prononcer.
Selon une récente enquête de l’UFC-Que Choisir, il est très difficile pour les consommateurs d’obtenir les C2E. Cette enquête, qui traite plus largement des dispositifs d’aide à la rénovation énergétique, souligne que l’accès aux aides reste trop complexe et peu efficace pour nos concitoyens. Il s’agit là de données que nous ne pouvons ignorer.
Nous sommes favorables au renforcement du partage d’informations entre la DGCCRF et la CRE afin de mieux lutter contre la recrudescence de la fraude dans ce secteur.
De même, nous approuvons les mesures qui renforcent les échanges de données entre la DGCCRF, l’Ademe, l’Anah, les organismes de qualification et le ministère de la justice.
Je salue la volonté de conforter les missions des fonctionnaires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, mais il faut renforcer les moyens humains. Nous avions déposé un amendement en ce sens, que nous avons retiré à la suite des engagements de Mme la ministre. Nous serons attentifs à leur concrétisation.
J’approuve les dispositions relatives aux contrôles à distance des compteurs communicants. Il est important de lutter contre leur destruction et leur dégradation. Ces dispositions sont très attendues par Enedis, Gaz réseau distribution France (GRDF), la CRE et le médiateur national de l’énergie.
Notre groupe votera en faveur des conclusions de cette commission mixte paritaire, la lutte contre la fraude aux aides publiques étant un impératif pour consolider notre État de droit. Toutefois, je suis convaincu que ce texte n’épuise pas le sujet… (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Nous n’avons jamais prétendu le contraire !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fraude, qu’elle soit fiscale, sociale ou aux aides publiques, constitue une atteinte directe aux comptes de l’État et affecte ses capacités d’action.
Notre pays connaît un niveau très élevé de prélèvements obligatoires. Certains pensent qu’il en faut encore plus ; d’autres, et c’est plutôt mon cas, que c’est bien assez. Mais nous sommes tous d’accord pour dire que les détournements de fonds opérés par les fraudeurs développent un sentiment d’injustice auquel nous devons répondre.
Le texte issu des débats en commission mixte paritaire s’attaque particulièrement aux fraudes dans les domaines de la rénovation et de l’efficacité énergétique. La version finale de cette proposition de loi vient utilement lutter contre la fraude aux aides publiques en renforçant notre arsenal législatif. Le texte permettra notamment de suspendre l’instruction d’une aide publique en cas de suspicion ou de renforcer les sanctions à l’encontre des fraudeurs.
J’en viens au sujet du démarchage téléphonique. Sans chercher à refaire une fois de plus l’histoire, je tiens à remercier Olivia Richard, rapporteure de la proposition de loi pour un démarchage téléphonique consenti et une protection renforcée des consommateurs contre les abus, que le Sénat avait adoptée en novembre dernier.
Je salue également l’action de notre collègue Olivier Rietmann : sans son implication, sa détermination, son savoir-faire politique et sa capacité à convaincre, en séance publique comme en commission mixte paritaire, nous ne nous prononcerions pas ce soir sur la même version du texte. (M. Antoine Lefèvre marque son approbation.)
Cette rédaction est la plus aboutie que nous pouvions espérer. La proposition de loi pourrait considérablement endiguer le démarchage téléphonique en ce qu’elle tend, contrairement à toutes les mesures votées jusqu’ici, à changer le cadre, à inverser les choses.
À l’heure où nous parlons, chacun d’entre nous est considéré comme consentant à être appelé dans le cadre d’une démarche commerciale. Quand le texte s’appliquera, aucun Français n’aura plus le droit d’être contacté sauf s’il a expressément donné son accord. Aujourd’hui, c’est l’entreprise qui peut démarcher le consommateur ; demain, c’est le consommateur qui démarchera l’entreprise.
Élément essentiel, cette loi ne comporte aucune dérogation pour aucun secteur d’activité. Nous le savons, pour qu’une loi soit comprise, pour qu’elle ait une chance d’être efficace, elle doit être simple, claire et précise. C’est le cas.
La date d’entrée en vigueur du texte, en août 2026, paraît lointaine. Comme beaucoup, j’aurais préféré une application dès janvier prochain, mais l’État est tenu par son contrat avec Bloctel. Ce délai permettra aux entreprises concernées de s’adapter et au Gouvernement de prendre les décrets nécessaires pour que nos concitoyens voient la différence dès la mise en application de la loi.
Sur un plan législatif – je le dis humblement, car ce texte est le fruit du travail des rapporteurs et de tous les parlementaires –, il me semble difficile de faire mieux ou d’aller plus loin. Au Gouvernement désormais de prouver sa volonté politique sur ce sujet qui fait consensus. Si l’on s’en donne les moyens, cette proposition de loi permettra d’obtenir des résultats. Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous apporter quelques précisions.
Monsieur le sénateur Cabanel, je vous le confirme, le budget de Tracfin a bien augmenté de 1 million d’euros entre 2024 et 2025. Sinon, le Gouvernement ne serait pas cohérent et ne tiendrait que des propos d’estrade sans se donner les moyens d’agir. Le budget de Tracfin est bien en hausse.
M. Henri Cabanel. Vous avez raison, madame la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur le sénateur Grégory Blanc, les inspections générales des ministères ne font que ce qui est permis dans des cadres juridiques préétablis, dont nous n’avons pas changé la nature. Elles peuvent mener des enquêtes pour contrôler des organisations ou des réseaux ou pour alimenter notre propre compréhension des mécanismes.
Laisser penser que nous aurions mis à mal le cadre de protection des données personnelles au travers de ce texte me semble dangereux. N’inquiétons pas les Français en leur faisant croire qu’une inspection générale ministérielle remettrait en question la protection de leur vie privée.
Vous avez aussi évoqué une forme de doute ou de crainte à l’égard de l’article 2 : les préfets pourraient, au prétexte de politiques migratoires, mettre fin à certaines aides sociales. Permettez-moi de rappeler clairement ce dont il est question.
Précédemment, les organismes de protection sociale pouvaient demander aux préfectures de vérifier l’authenticité des pièces d’identité qu’ils recevaient, afin de s’assurer qu’il n’y avait ni faux ni usurpation d’identité. Cette proposition de loi vient inverser la logique, en permettant aux préfectures de signaler aux caisses d’assurance maladie les pièces d’identité frauduleuses de manière proactive, ce qui permet des échanges réciproques.
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il ne s’agit pas de permettre aux préfets de suspendre les aides sociales d’untel ou untel, mais plutôt d’informer l’ensemble des caisses pour que plus personne ne puisse faire usage de pièces d’identité frauduleuses pour percevoir des aides publiques.
Il n’y a pas de ciblage. Lorsque l’on détient une fausse pièce d’identité, il est normal de ne pas avoir accès aux aides publiques. Il n’y a donc pas de remise en cause des politiques sociales sous couvert de politiques migratoires.
Je tiens à le préciser, pour ne pas inquiéter nos honnêtes concitoyens. Si le Gouvernement avait eu de telles intentions – et nous ne les avons pas, j’y insiste –, il ne serait pas passé par une proposition de loi visant à lutter contre les fraudes !
Madame la sénatrice Goulet, avant de vous retrouver dans quelques instants pour une audition de la commission d’enquête dont vous êtes le rapporteur, je vous réaffirme, ainsi que je l’ai précisé aujourd’hui même en réponse à une question d’actualité, que le Gouvernement et moi-même sommes bien évidemment prêts à travailler dès que les opportunités juridiques se présentent, qu’il s’agisse de propositions ou de projets de loi.
Comme vous l’avez souligné, le Conseil constitutionnel considère depuis des années que les dispositions antifraude adoptées dans la plupart des lois de finances sont des cavaliers législatifs. Il faut donc réaliser ce travail au moyen d’autres vecteurs législatifs. Un certain nombre des propositions que vous faites méritent d’être examinées. Il faudra progresser, car la fraude est très imaginative et créative.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur une proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques. Le Gouvernement fera le maximum pour l’appliquer, mais je peux d’ores et déjà vous assurer que, dans un, deux ou trois ans, nous aurons besoin de prendre de nouvelles dispositions, car les fraudeurs cherchent en permanence la moindre brèche dans nos dispositifs. Nous sommes très engagés, mais nous ne sommes pas infaillibles : c’est bien pour cette raison que notre corpus législatif doit régulièrement être remis à jour.
Enfin, monsieur le sénateur Michau, si un texte n’a pas été téléguidé par le Gouvernement, c’est bien celui-là : il a été déposé le 15 octobre dernier, alors que le présent gouvernement n’était pas encore en fonction. Une fois installé, le Gouvernement a repris le travail très activement, pour s’assurer que l’examen de cette proposition de loi se poursuive, car elle est utile pour les Français. C’est comme cela que nous travaillons.
Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifiée par les amendements du Gouvernement.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 27 mai 2025 :
À dix-huit heures trente :
Explications de vote des groupes puis scrutins publics solennels sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 613 rectifié, 2024-2025) et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée ; texte de la commission n° 614, 2024-2025).
À vingt et une heures :
Débat sur le thème « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? » ;
Débat sur le thème « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER