Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Sonia de La Provôté.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur est parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
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Programmation pour la refondation de Mayotte et Département–Région de Mayotte
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (projet n° 544, texte de la commission n° 613 rectifié, rapport n° 612) et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (projet n° 545, texte de la commission n° 614, rapport n° 612).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ces deux scrutins s’effectueront depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier sincèrement l’ensemble des rapporteurs du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte – rappelons que pas moins de quatre commissions permanentes ont été saisies : la commission des lois, la commission des finances, la commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales –, ainsi que l’ensemble des services de notre institution.
Alors que nous sommes appelés à nous prononcer sur ce texte essentiel, je vais tout de suite lever le suspense : notre groupe le votera unanimement. Il s’agit en effet d’un projet de loi important – je dirais même fondamental – pour Mayotte, tant il comporte des mesures fortes visant, enfin, à refonder l’archipel.
Les débats que nous avons eus mardi dernier étaient fort intéressants. Face à une situation particulièrement grave, il est crucial que les parlementaires de métropole soutiennent leurs collègues ultramarins, notamment mahorais, et les populations.
Dans ce texte, l’État s’engage financièrement, à hauteur de plusieurs milliards d’euros, pour les années à venir. Cet engagement prend notamment la forme d’un programme d’investissements de 3,17 milliards d’euros. Le présent projet de loi crée également un cadre dérogatoire notable en matière de sécurité et d’immigration.
Ce sont autant de sujets qui résonnent ou devraient résonner chez les représentants de la Nation que nous sommes.
Durant son examen en séance, ce projet de loi n’a pas été profondément modifié. Au vu de ces trente-quatre articles et des nombreuses mesures qu’il comprend, il l’a même été très peu. Cela montre que ce texte est à la fois complet et équilibré : complet, car il s’attaque à l’ensemble des fléaux qui touchent Mayotte ; équilibré, car, même si plusieurs mesures peuvent choquer une partie de l’hémicycle, celles-ci sont strictement nécessaires et adaptées à la situation mahoraise.
Force est de constater l’impuissance actuelle à endiguer le développement de l’habitat informel et l’inadéquation des mesures en vigueur avec la réalité de Mayotte. Par son ampleur, un tel phénomène ne s’observe dans aucun autre département.
En réduisant le délai applicable aux ordres d’évacuation des bidonvilles et en assouplissant l’obligation faite au préfet de proposer un relogement, le présent texte donnera au représentant de l’État les moyens de faire face à la gravité de la situation.
Le projet de loi a aussi pour ambition de soutenir la construction de 24 000 nouveaux logements au cours des dix prochaines années. Là encore, le renforcement de l’autorité du préfet sur l’ensemble des services de l’État à Mayotte permettra de coordonner leur action pour accélérer la production de ces constructions indispensables.
Concernant la pauvreté, l’article 15 renforce la convergence sociale du territoire par rapport à l’Hexagone. Il permettra de combler un retard considérable, alors que le niveau de vie médian des Mahorais est sept fois plus faible qu’en France métropolitaine.
Le texte assortit cette mesure de dispositifs visant à dynamiser le développement économique du territoire, tandis que le taux d’emploi à Mayotte n’est que de 23 %. Offrir des perspectives d’emploi aux Mahorais est certainement la meilleure façon de lutter contre la pauvreté.
Sur ce point, le chantier est vaste : aujourd’hui, il faut en effet développer la filière du tourisme, de la pêche et de l’aquaculture, renforcer l’attractivité de certaines professions sur le territoire, amplifier la coopération régionale avec la Tanzanie, le Kenya, l’Afrique du Sud ou le Mozambique, ou encore orienter l’offre de formation vers l’enseignement, la sécurité, le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), la pêche et les métiers des soins. Voilà tout ce que prévoit ce texte.
Pour lutter contre l’immigration illégale, le projet de loi prévoit plusieurs mesures fortes et nécessaires. Alors que 80 % des titres délivrés en 2024 correspondent à des titres de séjour « parent d’enfant français » et « liens personnels et familiaux », il contribuera notamment à mieux lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.
Le texte crée par ailleurs une condition de résidence de sept ans pour l’obtention d’une carte de séjour « liens personnels et familiaux » et porte à cinq ans la durée de résidence pour la délivrance de la carte de résident « parent d’enfant français ».
Toutes les mesures de ce projet de loi sont indispensables pour, enfin, créer les conditions nécessaires au développement de Mayotte, cent unième département français, mais aussi département le plus pauvre de France.
J’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, Mayotte ne pourra avancer que si toutes les causes qui sont à l’origine de ses difficultés sont traitées en même temps. On mesure tout le chemin qu’il reste à parcourir…
Les Mahorais comptent sur vous, monsieur le ministre d’État. Ils comptent aussi sur nous. Surtout, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, cela fait maintenant près de six mois que le cyclone Chido a frappé Mayotte, causant de terribles dégâts matériels et, surtout, humains.
Très rapidement, dans les heures qui ont suivi, toutes les institutions de la République se sont mobilisées pour venir en aide au département. Deux mois plus tard, le 24 février 2025, la loi d’urgence pour Mayotte était promulguée. Le Sénat, chambre des territoires, avait apporté sa pierre à l’édifice, en prêtant une attention toute particulière à l’archipel.
À présent, nous allons prolonger cette contribution à l’effort de reconstruction et de refondation au long cours de Mayotte. Car il ne s’agit plus désormais de traiter les urgences, mais bien de répondre aux problématiques de fond affectant ce morceau de France dans l’océan Indien.
Permettez-moi, en cet instant, de faire mienne la formule employée par nos collègues et anciens collègues François-Noël Buffet, Stéphane Le Rudulier, Alain Marc et Thani Mohamed Soilihi dans l’intitulé du rapport d’information qu’ils consacraient à Mayotte en 2021 : il est plus que temps de « conjurer le sentiment d’abandon des Mahorais ».
C’est dans cette perspective que le Gouvernement a présenté ces deux projets de loi et que le Sénat les a renforcés, afin de mieux contrôler l’exécution des promesses et de faciliter leur mise en œuvre par une meilleure organisation des pouvoirs du préfet.
Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte comporte quatre grands axes.
Le premier correspond à la programmation de la refondation de Mayotte à proprement parler, une programmation proposée par le Gouvernement et figurant dans un rapport annexé sans valeur normative. Ce document, feuille de route de l’exécutif pour la période 2025–2031, décline l’ensemble des priorités, en termes tant d’investissements que de réformes structurelles.
Si 4 milliards d’euros d’investissements sont prévus, nous avons souhaité que le Gouvernement détaille le calendrier de leur déploiement d’ici à la loi de finances pour 2026.
La construction de la piste longue, d’équipements garantissant l’accès à l’eau, d’une troisième retenue colinéaire et d’une nouvelle station d’épuration, d’écoles pour résorber un déficit des 1 200 classes, d’une nouvelle cité judiciaire, ainsi que d’une seconde prison, ne suffira pas pour refonder l’île, mais permettra au moins d’assurer une remise à niveau des équipements de base tant promis et attendus par les Mahorais.
Pour que ces engagements prennent tout leur sens et contribuent réellement à rétablir la confiance des Mahorais, le Sénat a précisé le contenu de certains d’entre eux. Surtout, il a élaboré des mécanismes de suivi et d’évaluation de leur mise en œuvre, qui semblent indispensables pour que de tels programmes ne restent pas lettre morte et ne risquent pas d’être une source de déception.
Enfin, en introduisant une mesure visant à confier au préfet de Mayotte une autorité particulière sur les différentes administrations de l’État dans l’archipel pendant la période de reconstruction, nous espérons pouvoir avancer plus rapidement et efficacement sur le terrain. Cette disposition est en parfaite cohérence avec certaines des propositions formulées de longue date par notre assemblée.
Cela étant, aucune évolution positive ne sera possible à Mayotte sans une véritable maîtrise de l’immigration. Actuellement, la population de l’archipel est estimée à 321 000 habitants, dont une moitié d’étrangers. Sans aucune mesure de contrôle de l’immigration, la population doublera d’ici à 2050.
C’est pourquoi le texte prévoit un renforcement des outils de lutte contre l’immigration illégale et l’insécurité – c’est le deuxième axe d’action.
Nous saluons l’ensemble des dispositions qui permettront de freiner les flux illégaux, notamment dans le cadre de l’immigration familiale. Nous nous sommes du reste attachés à les renforcer : je pense notamment à la délivrance des titres de séjour des parents d’enfants français, aux transmissions de fonds en espèces ou encore à la fin de la prise en compte de l’habitat informel parmi les critères du regroupement familial.
De même, nous approuvons les mesures destinées à faciliter l’action des forces de l’ordre, en particulier dans les zones d’habitat informel, et les décisions prises en matière de contrôle des armes.
Troisième axe, le texte prévoit des mesures de consolidation économique du territoire et de convergence sociale. Ces dispositions visent à la fois à accélérer le redémarrage de l’économie insulaire après le passage du cyclone et à favoriser son développement et sa convergence avec l’Hexagone.
La facilitation des opérations de résorption de l’habitat informel sera cruciale pour réduire l’exposition des habitants de l’île aux risques climatiques et améliorer la situation sanitaire et sociale.
En matière sociale et sanitaire justement, les réponses doivent prendre en compte les particularités du territoire mahorais : les ajustements effectués par mes collègues rapporteurs en matière d’installation des officines et pour exclure l’aide médicale de l’État (AME) du champ de la convergence sociale répondent à cet impératif.
Le quatrième et dernier axe de ces projets de loi organique et ordinaire consiste à prévoir une réforme institutionnelle de Mayotte.
Le dispositif proposé permettra de clarifier le statut du territoire et de le rapprocher du modèle de collectivité unique en vigueur pour la Guyane et la Martinique.
Notre assemblée s’est avant tout appliquée à remanier les modalités d’élection de la nouvelle assemblée territoriale, afin de garantir le maintien d’une représentation équilibrée des Mahorais et d’assurer une continuité avec le découpage actuel des cantons.
Quoi qu’il en soit, nous saluons la décision du Gouvernement de ne pas se borner à renvoyer la question institutionnelle à une ordonnance, comme il l’envisageait initialement, et d’inscrire cette ambition dans le dur de la loi.
Tout en reconnaissant que ces deux textes ne régleront pas l’ensemble des problèmes de Mayotte, notre groupe approuve les orientations retenues, dont nous espérons qu’elles seront confortées au terme de la navette parlementaire.
Nous ferons preuve d’une grande vigilance et d’une grande exigence quant à la réalisation des engagements pris : il n’y a désormais plus de droit à l’erreur pour ce qui concerne Mayotte.
Pour toutes ces raisons, le groupe LR votera en faveur de ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, que nous allons voter aujourd’hui, constitue une étape utile sur une route encore longue pour les Mahorais.
Soyons clairs, ce texte n’épuise pas le sujet. Mais il pose un cadre pour Mayotte, une base à partir de laquelle nous pourrons continuer à construire.
Avec près de 4 milliards d’euros annoncés, ce texte traduit un engagement financier d’ampleur. Mayotte les accueille avec responsabilité, car préparer l’avenir, c’est aussi reconnaître les efforts consentis. Mais nous devons reconnaître que tous ces financements ne sont pas nouveaux et que la sincérité de cette programmation dépendra de sa mise en œuvre réelle, et, surtout, de son impact sur le quotidien des Mahorais.
Je tiens à souligner plusieurs des avancées permises par les débats qui se sont déroulés ici, au Sénat, ainsi que par nos échanges avec M. le ministre d’État, qui s’est montré à l’écoute de Mayotte : tout d’abord, l’inscription dans la loi d’une stratégie de reconstruction post-Chido donne un cadre clair à la réponse de l’État après la catastrophe que nous avons vécue ; ensuite, l’extension à toute l’île du zonage en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) permet à l’ensemble du territoire de bénéficier des outils de cette politique ; enfin, la création du Département-Région de Mayotte amorce une nouvelle étape institutionnelle.
Cette approbation n’empêche pas une certaine lucidité. En tant qu’élue de terrain, je souhaite vous faire part à la fois de l’adhésion et de la frustration que ce texte suscite, mes chers collègues. Car les attentes sont immenses à Mayotte, notamment de la part du monde économique, qui ne doit pas être le grand oublié de cette refondation.
Quand on parle de refonder Mayotte, il n’est pas question uniquement de sécurité et d’immigration : il s’agit aussi de parler de capacité productive, de travail et de relance locale.
Je veux saluer ici la création d’une zone franche globale. Permettez-moi néanmoins de souligner que celle-ci ne suffira pas : certes, cette zone franche globale exonérera les entreprises de l’impôt sur les bénéfices, mais encore faut-il que celles-ci en réalisent… Aujourd’hui, à Mayotte, combien de sociétés y parviennent-elles encore, après le cyclone, après des années de contraintes, d’isolement et de déséquilibres structurels ?
Cette exigence est d’autant plus légitime que Mayotte est le seul territoire ultramarin à ne pas bénéficier du dispositif de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom), qui offre ailleurs des exonérations de charges sociales renforcées et des avantages fiscaux pour soutenir certains secteurs.
C’est d’ailleurs pourquoi j’ai défendu avec constance l’adaptation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) à Mayotte. Il s’agissait d’aider nos entreprises à embaucher et à absorber le choc du coût du travail, mais aussi d’accompagner la montée en charge de la convergence sociale sans sombrer.
Mes amendements ont été rejetés, ce que je regrette. Mayotte a besoin d’un véritable levier de relance, qui n’oppose pas attractivité et justice sociale. Nous devons donner aux acteurs économiques mahorais les moyens d’être les artisans de la reconstruction.
J’ai également proposé la suppression du titre de séjour territorialisé. Ce dispositif est devenu un piège, car il enferme Mayotte dans un statut d’exception. Il empêche la circulation des étrangers en situation régulière et crée une enclave migratoire que nous ne pouvons plus gérer. Résultat, ce sont les Mahorais eux-mêmes qui partent. Et ce sont ceux à qui l’on refuse toute mobilité qui restent sur place, sans perspectives. C’est un cercle vicieux que nous devons oser briser.
Enfin, j’ai alerté, comme d’autres ici, sur la procédure d’expropriation accélérée. Si ce dispositif existe dans le droit commun, il n’est pas transposable tel quel à Mayotte, où la régularisation foncière reste lacunaire. En l’état, cette mesure suscite encore l’inquiétude et la méfiance de beaucoup : elle ne favorise ni la paix sociale ni l’adhésion des Mahorais au projet de refondation.
Autre point d’incompréhension, la modification de la localisation de l’aéroport, en contradiction totale avec la délibération des élus locaux favorables à la création d’une piste longue sur l’aéroport actuel. Il s’agit d’une décision prise contre leur gré, actée en marge des échanges du comité de pilotage (Copil) qui s’ouvrira demain. Ce projet de piste longue, tant attendu, change de site d’implantation et repart de zéro, au prix de la destruction de terres agricoles et sans réelle concertation.
Le débat doit maintenant se poursuivre à l’Assemblée nationale. Je forme le vœu que nos collègues députés portent plus haut encore les attentes des Mahorais.
Refonder Mayotte, ce n’est pas simplement traiter l’urgence, renforcer l’administration ou acter des principes. C’est aussi permettre aux Mahorais de rester, de travailler, d’entreprendre et de bâtir leur avenir sur place.
C’est avec exigence et vigilance que le groupe RDPI soutiendra ce texte. Certes, celui-ci répond à des revendications légitimes des Mahorais et trace une perspective, mais refonder Mayotte sans refonder son économie revient à reconstruire sur du sable.
Si je devais vous adresser un dernier message, ce serait celui-ci : les Mahorais veulent rester debout, dignes, acteurs de leur avenir. Ils ne veulent pas uniquement être protégés ou encadrés : ils désirent être soutenus ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en quelques semaines, Mayotte a connu le passage de deux cyclones, dont le premier, Chido, a fait des ravages épouvantables, avec des dégâts estimés à 3,5 milliards d’euros.
Après la phase des mesures immédiates et celle des dispositions d’urgence, nous abordons désormais l’acte III, celui de la refondation de l’archipel, une refondation particulière, puisque Mayotte est un territoire pour le moins singulier.
En effet, 77 % de ses habitants vivent actuellement sous le seuil de pauvreté ; plus de la moitié se trouve en situation d’insécurité alimentaire, et un Mahorais sur deux renonce à se soigner par manque d’accès aux soins ou de moyens. La commission des lois a d’ailleurs d’emblée écarté la possibilité d’instaurer l’aide médicale de l’État à Mayotte, par crainte d’un appel d’air migratoire.
À ce triste bilan statistique s’ajoute le fait que, dans ce département français, 25 000 jeunes de moins de 30 ans se trouvent actuellement sans emploi, sans formation et sans diplôme… Au-delà des tempêtes tropicales, il y a donc de sérieux problèmes de développement à Mayotte.
La Cour des comptes ne décrit pas autre chose lorsqu’elle indique que l’économie mahoraise est « sous perfusion ». Les infrastructures de distribution d’eau, d’électricité ou de traitement des déchets sont largement insuffisantes. La gestion de crise mise en œuvre, plus ou moins réussie, ne change rien à cette réalité.
Cette situation est pourtant connue, et depuis longtemps. Déjà, en 1986, Jacques Chirac, premier chef de gouvernement, puis premier chef de l’État à se rendre à Mayotte, la résumait ainsi : « Le problème de votre appartenance à la France ne se pose pas. Le problème qui se pose, c’est celui de votre avenir, celui de vos enfants, celui de votre île ». Quarante ans plus tard, nous faisons face aux mêmes défis. Il serait pourtant erroné de dire que rien n’a changé.
Les habitants de Mayotte, territoire français depuis 1841, ont confirmé à de multiples reprises, et sans jamais vaciller, leur volonté d’être et de rester Français. Ils se sont tout d’abord employés à être reconnus comme Français à part entière. Le Sénat a joué un rôle déterminant dans ce rattachement à la France, en insistant, à travers la voix de son président de l’époque, pour que la consultation de 1974 se fasse « île par île ».
Le combat pour cette appartenance, mené avant tout par les élus mahorais, a abouti, en 2003, à l’inscription de Mayotte dans notre Constitution, et, en 2011, à la départementalisation de l’archipel.
Le projet de loi organique sur lequel nous allons nous prononcer ce soir concerne la transformation de Mayotte en Département-Région. Ce texte donnera à l’île le plein exercice de certaines compétences aujourd’hui exercées par l’État. Mon groupe le votera sans réserve.
Cela étant, ces questions de statut ne résoudront en rien les problèmes structurels de l’archipel.
Tels sont en revanche l’objet et l’ambition du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, lequel contient des mesures que nous approuvons, notamment les dispositions dites de convergence sociale, qui reposent sur un engagement clair, celui de garantir une plus grande égalité avec les Français de métropole, et qui se traduiront par l’alignement progressif, d’ici 2031, du montant des prestations sociales, ainsi que du Smic, sur celui qui s’applique dans l’Hexagone.
De même, nous ne pouvons qu’approuver les 4 milliards d’euros d’investissements consentis, une somme colossale qui permettra de financer de nouvelles infrastructures, dont un second hôpital.
De manière générale, toutes les mesures qui permettent de développer Mayotte nous paraissent à la fois urgentes et nécessaires. La feuille de route tracée par le Gouvernement constitue un espoir, et nous espérons vraiment qu’elle sera respectée.
Pour autant, certaines dispositions de ce projet de loi suscitent davantage de perplexité chez les membres du groupe du RDSE.
Bien sûr, nous connaissons la problématique migratoire à Mayotte. Elle n’est pas nouvelle : Édouard Balladur l’avait déjà bien identifiée, lorsque, en 1995, il instaurait une exigence de visa pour les Comoriens. Depuis lors, des dizaines de milliers de personnes sont mortes en tentant de rejoindre Mayotte à bord de petits bateaux de pêche, les fameux kwassa-kwassa.
Les Comores, c’est le pays voisin, un peuple frère. Autant dire qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne pourra jamais faire cesser les solidarités et les habitudes séculaires.
Si Mayotte fait partie intégrante de la France, nous ne pouvons ignorer que cette île se trouve à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, en plein milieu de l’océan Indien, et que, bien qu’il s’agisse de notre département le plus pauvre, elle est l’île la plus riche de l’archipel.
Nous ne croyons donc pas qu’un nouveau durcissement du droit des étrangers viendra endiguer l’attrait exercé par Mayotte. Nous ne croyons pas qu’autoriser la rétention administrative d’enfants ou qu’enlever les titres de séjour de parents de mineurs délinquants permettra, d’une façon ou d’une autre, de tarir le flux des personnes toujours aussi désespérées qui cherchent à rejoindre leurs proches ou à améliorer leurs perspectives de vie.
Le groupe du RDSE estime, à l’inverse, que cette ambition exige de réguler les impressionnants écarts de développement entre Mayotte et ses voisins. Cela passe nécessairement par un renforcement de l’aide publique au développement aux Comores, mais aussi dans les pays d’Afrique de l’Est et de la région des Grands Lacs. Cela passe aussi par des accords migratoires, qui ne pourront être conclus si l’on ignore l’intégration politique des pays de l’océan Indien.
Un quart de la population de Mayotte se compose actuellement de personnes étrangères en situation irrégulière. Un quart !
Imaginer que c’est en créant davantage de sans-papiers que l’on parviendra à les faire fuir ou qu’on les dissuadera de revenir n’est pas seulement illusoire : c’est aussi dangereux ! Cela nous dispense en effet de nous attaquer aux problèmes de fond, ceux dont nous savons pourtant, depuis des décennies, qu’ils sont structurels, et pour lesquels il n’existe aucune solution miracle.
En faisant de Mayotte un département français, nous avons pris un engagement, celui d’aller vers toujours plus d’égalité entre ce territoire et la métropole. Or je ne suis pas certaine que ce soit l’exigence d’égalité qui guide désormais notre action au service des Français de Mayotte.
Autrement, nous ne voterions pas pour nos compatriotes mahorais ce que nous nous sommes interdit de voter pour nous-mêmes dans le cadre de la loi du 28 janvier 2024. Je veux bien sûr parler de l’enfermement de mineurs dans la perspective de l’expulsion d’une famille.
Les Mahorais n’ont pas changé depuis le vote de 1974 : ils sont toujours autant attachés à la France et à ce qu’elle incarne.
Nous, en revanche, nous avons changé, parce que nous avons abandonné plusieurs de nos politiques consensuelles, comme l’aide publique au développement, et parce que notre obsession répressive nous a conduits à multiplier les exceptions, à l’opposé de ce qu’a pu signifier la France par le passé et de ce qu’elle continue à signifier pour beaucoup.
Parce que l’égalité est un grand principe républicain que mon groupe n’a pas oublié, et parce que le présent projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte marque un nouveau renoncement à cet idéal, la majorité du groupe du RDSE s’abstiendra lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de cinquante ans après le référendum par lequel Mayotte a fait le choix de la France et quatorze ans après la départementalisation de ce territoire, les textes soumis aujourd’hui au vote du Sénat ont une double ambition : donner une dimension concrète à la promesse républicaine à Mayotte et répondre durablement aux défis de l’archipel.
Ces défis sont bien connus : saturation des infrastructures et des services publics, gestion de l’eau, faiblesse du tissu économique, pauvreté, immigration et insécurité. À bien des égards, le cyclone Chido n’a fait qu’aggraver une crise déjà ancienne.
Une autre forme de crise préexistait à cette catastrophe : une crise de confiance envers l’État, causée par les nombreuses promesses qui restent très largement à tenir.
Le projet de loi, notamment grâce à son rapport annexé, donne une feuille de route à ce territoire. Il s’agit de la feuille de route du Gouvernement, bien sûr, mais aussi et surtout de l’État dans sa continuité.
Ce texte assure plus de 4 milliards d’euros d’investissements qui visent à mettre à niveau les infrastructures de l’île, notamment par la création d’un nouvel aéroport à Grande-Terre, par la modernisation du port de Longoni, par la construction d’un nouvel hôpital et par le renforcement des infrastructures d’eau.
Pour restaurer la confiance du territoire envers l’État, il faudra tenir, donc suivre de près, ces nombreux engagements. La rédaction initiale du Gouvernement a ainsi été complétée, afin de mettre en place un comité de suivi, un bilan d’étape devant être dressé à mi-parcours.
En outre, à la demande du Sénat, le Gouvernement a quelque peu précisé les engagements financiers. Nous lui en sommes reconnaissants. Par voie d’amendement, nous avons toutefois manifesté la volonté qu’il aille plus loin, en présentant une programmation financière annualisée et détaillée d’ici à la fin de l’année 2025.
J’en viens à présent à la question sociale. Le projet de loi accélère, à l’horizon 2031, la trajectoire de la « convergence sociale », c’est-à-dire l’alignement des droits sociaux et des prestations, ainsi que la convergence du Smic. Un tel programme est très ambitieux.
Ce texte vise également à relancer l’activité économique en étendant à Mayotte le dispositif de zone franche globale.
L’affirmation de cette programmation s’accompagne de dispositions législatives censées favoriser l’atteinte des objectifs de développement.
Ainsi, dans un contexte qui reste fondamentalement une situation de crise, le Sénat a souhaité faciliter la coordination des services de l’État : sur l’initiative de sa commission des lois, il a introduit l’article 1er bis, qui consacre l’autorité du préfet de Mayotte, pour la durée du plan de refondation, sur l’ensemble des services de l’État œuvrant dans l’archipel.
En parallèle, ce texte modernise le fonctionnement institutionnel du territoire par la création du Département-Région de Mayotte, dont le statut de collectivité unique est confirmé. Grâce au renforcement de ses prérogatives et de ses moyens, cette collectivité territoriale pourra participer pleinement à l’exercice des politiques publiques nécessaires au développement de l’archipel. Ce choix s’inscrit dans une logique plus large, qui doit s’appliquer à tous les territoires de la République : tout ne saurait toujours venir que de l’État.
Nous ne pouvons que nous réjouir que le Gouvernement ait, en réponse à la demande du Sénat, inscrit directement cette réforme dans le projet de loi, plutôt que de passer par une ordonnance.
Ce texte comporte plusieurs mesures visant à lutter contre l’immigration clandestine et ses conséquences, qu’il s’agisse de l’insécurité, de l’habitat informel ou du travail illégal.
Contrairement à ce que nous avons pu entendre au cours de nos débats, ces dispositions ne traduisent pas une quelconque « obsession migratoire » : leur seul but est de répondre à ce qui, de l’avis unanime des élus locaux, constitue le principal facteur de déstabilisation de Mayotte et la source d’un grand nombre de ses maux.
L’Insee prédit que, sans inflexion des flux migratoires, le nombre d’habitants à Mayotte pourrait plus que doubler d’ici à 2050. Nous ne pouvons refuser d’agir !
Il faut le dire clairement : alors que Mayotte connaît une crise sans précédent, la situation de l’archipel et de ses habitants ne pourra pas s’améliorer sans réduction de l’immigration. Les magistrats de la Cour des comptes n’affirmaient pas autre chose, en 2022, lorsqu’ils constataient que « la maîtrise de l’immigration est un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique ».
C’est pourquoi ce projet de loi comporte plusieurs mesures adaptant notre droit aux spécificités mahoraises. Il tend ainsi à restreindre les conditions de délivrance de certains titres de séjour pour motif familial, ainsi qu’à lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.
Le Sénat a approuvé ces mesures. Il les a même renforcées, notamment en durcissant les conditions de délivrance de certains titres de séjour ou en précisant les conditions de logement pour le regroupement familial.
À l’écoute des élus du territoire et engagé dans un dialogue exigeant avec le Gouvernement – M. le ministre pourra en témoigner –, le Sénat a apporté de nombreuses améliorations aux textes dont il a été saisi. À mon sens, il a pleinement joué son rôle.
J’en suis bien conscient, nos compatriotes mahorais ne seront pas pleinement satisfaits. Je pense notamment au maintien de l’article 19, relatif à la prise de possession anticipée. Toutefois, cette inquiétude me paraît procéder très largement d’un malentendu quant à la portée des dispositions considérées.
Le maintien du « visa territorialisé » est la source d’une autre insatisfaction, exprimée par de nombreux élus. Le Sénat a en effet considéré que, en l’état de la situation migratoire, sa remise en cause serait contraire tant à l’intérêt général qu’à celui des Mahorais.
Toutefois, il ne s’agit pas là d’un refus définitif : en vertu de l’article 2 bis, introduit par le Sénat, un bilan des mesures dérogatoires en matière d’immigration et de nationalité doit être réalisé dans un délai de trois ans. Ce sera l’occasion de réévaluer la pertinence du titre de séjour territorialisé et, si les conditions sont réunies, d’envisager éventuellement sa suppression.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune loi ne pourra à elle seule répondre aux défis auxquels est confrontée Mayotte. Il nous faudra une politique résolue, s’inscrivant dans la durée, qui associera à la fois la population mahoraise et ses représentants. Il faudra également, sans aucun doute, une politique plus exigeante à l’égard des Comores.
Les élus que nous avons rencontrés nous ont alertés quant au sentiment d’abandon qu’éprouvent les Mahorais, et ce avant même le cyclone Chido, du fait de l’incapacité de l’État à améliorer durablement la situation. Il est urgent d’obtenir des résultats concrets. Nous le devons à nos compatriotes mahorais !
Pour ces raisons, les élus du groupe Union Centriste voteront ces deux textes. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)