M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures dix.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures dix, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau.

Mme Marie-Lise Housseau. Madame la présidente, lors du scrutin n° 292 sur l’ensemble du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, ma collègue Catherine Morin-Desailly aurait souhaité voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? »

La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe Les Républicains et son président de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur les zones rurales.

Les défis de la ruralité sont toujours aussi nombreux. Ils s’accroissent, même. Et les politiques publiques mises en place par l’État semblent encore insuffisantes pour faire face aux enjeux et résoudre les problèmes des zones rurales.

Aussi, il y a huit ans, lorsque je suis devenu sénateur du Puy-de-Dôme, zone rurale par excellence, j’ai déposé, avec mes collègues Philippe Bas et Jacques Genest, sénateur de l’Ardèche, une proposition de loi visant à reconnaître la ruralité comme grande cause nationale de 2019.

Depuis lors, la cause de la ruralité reste certaine, mais sa considération nationale incertaine. En effet, les zones rurales font face à de nombreux défis qui perdurent et sont parfois source d’enlisement. En d’autres termes, elles sont confrontées aux enjeux de leurs spécificités et ont donc besoin d’un traitement particulier.

Or les lois qui s’appliquent de manière uniforme sur l’ensemble du territoire sont généralement préjudiciables aux zones rurales. En effet, si la République est une, les territoires de la France sont multiples, avec des contraintes, des difficultés ou, au contraire, des avantages qu’il faudrait valoriser.

La loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, dite loi zéro artificialisation nette, ou loi ZAN, en est un exemple récent : l’on ne peut pas imposer à la campagne ce qui est nécessaire à la ville. L’on ne peut condamner nos territoires ruraux à ne plus se développer, à rester des cartes postales de la diagonale du vide, au prétexte que les zones urbaines sont trop urbanisées. Ils sont aussi des territoires habités, avec des problématiques différentes de celles des villes, et nos politiques publiques doivent en tenir compte.

C’est le sens du travail que j’ai mené, avec ma collègue Amel Gacquerre, sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), présentée par nos collègues Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier. Nous demandons aujourd’hui au Premier ministre la poursuite de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, sans quoi, une fois de plus, nos maires ruraux devront continuer à gérer des contraintes imposées au nom des politiques publiques de l’État.

Tenir compte des spécificités, c’est aussi définir une politique publique qui accorde de l’importance à tous les territoires.

Les zones rurales sont aussi confrontées au défi de l’éducation. La politique éducative est un exemple prégnant de ce qui leur est préjudiciable. En effet, elle demeure trop centrée autour de deux éléments : l’échec scolaire et la situation socio-économique des parents.

Aussi la donnée territoriale et les besoins des territoires, dépendants de la géographie, ne sont-ils que trop peu pris en compte, voire méconnus. Ce n’est le cas que dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP), ce qui crée de fait une dichotomie entre l’éducation au sein et à l’extérieur de ces réseaux.

Il faudrait une approche prenant en compte les établissements qui sont hors REP, mais qui connaissent de réelles difficultés, dont celles des zones rurales. Il convient aussi de sortir de la logique comptable qui aboutit à des fermetures de classes que les ruraux ne récupéreront jamais.

Tenir compte des spécificités, c’est encore considérer les moyens de développement et les capacités d’innovation propres à nos communes rurales et soutenir ces dernières.

Je pense notamment à l’apport de la médecine thermale à la santé humaine, dont nos territoires ruraux sont généralement le lieu d’exercice. L’activité thermale est une source essentielle du développement économique, humain et sanitaire des zones rurales où elle s’exerce. La mettre à mal soumettrait des territoires ruraux à une fracture territoriale supplémentaire.

Les zones rurales sont aussi face au défi de l’accessibilité, problématique essentielle pour la survie de ces territoires. Ainsi, ces derniers sont trop nombreux à y être confrontés. Sans vouloir tomber dans le chauvinisme, le Puy-de-Dôme est un exemple de cette accessibilité de plus en plus dégradée, d’autant plus à une époque où l’on promeut les transports en commun pour protéger notre planète.

Or comment laisser sa voiture au garage si les dysfonctionnements du train s’accumulent, alors que les solutions à ces derniers sont défaillantes, à l’image des « wagons-secours » qui ne fonctionnent pas eux-mêmes !

La politique publique à mettre en œuvre serait, tout d’abord, d’appliquer toute la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) et de consacrer les moyens financiers nécessaires à sa mise en œuvre. Sans cela, nous, les ruraux, nous sommes condamnés à rester de vilains pollueurs qui ne prennent pas les transports. Nous sommes condamnés à l’enclavement. Nous sommes condamnés à ne pas nous développer économiquement.

Nos entreprises nous rappellent ces défis, à l’exemple du président de Michelin, Florent Menegaux, lequel a déclaré : « Clermont-Ferrand, c’est le tiers-monde en matière de transport ferroviaire », tout en déplorant la « médiocrité » de la desserte aérienne.

De plus, les zones à faibles émissions (ZFE) marginalisent encore plus nos ruraux dans leur accessibilité aux zones urbaines et accentuent leur enclavement. Outre l’éducation de la jeunesse, les zones rurales sont aussi confrontées au défi du vieillissement, accompagné d’une désertification médicale qui persiste. Cette problématique va au-delà de la ruralité, mais prend une acuité forte chez nous.

Ainsi, le rapport sénatorial de novembre 2024, Inégalités territoriales daccès aux soins : aux grands maux, les grands remèdes, traite de ce « sujet de préoccupation majeure des Français » : y est constaté le manque d’équité territoriale en matière d’accès aux soins et un renforcement des inégalités en la matière.

« La situation ne s’est malheureusement pas améliorée : la démographie médicale continue de stagner, alors que la transformation de la pyramide des âges – baisse de la natalité et vieillissement de la population – modifie et accentue continûment les besoins d’accompagnement médical », lit-on dans le rapport. Il faut favoriser des formes de regroupement médical permettant de mutualiser les tâches administratives et de libérer du temps médical au bénéfice des patients.

Les zones rurales sont confrontées à un autre défi majeur pour nos élus ruraux. Ainsi, les communes doivent y être favorisées et soutenues plus efficacement. En premier lieu, il convient de les accompagner plus fortement en augmentant la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), au bénéfice de leurs projets d’investissement.

En second lieu, il faut légiférer sur un statut de l’élu, afin que celui-ci soit accompagné en matière de formation, d’assurance, de responsabilités, d’indemnités, de retraite, etc.

Nos zones rurales font aussi face au défi de l’accès aux services publics. Si les maisons France Services (MFS) ont répondu partiellement au retrait progressif des services de l’État, il convient d’améliorer encore la couverture numérique des territoires les plus éloignés.

Le défi de l’accueil des néoruraux, plus nombreux depuis la crise du covid, représente un autre enjeu pour la ruralité, avec le respect des traditions et de la vie rurale. C’est tout l’objet de la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, présentée en 2019.

Enfin, un défi majeur, qui est d’actualité, consiste à redonner de la compétitivité à l’agriculture française. C’est là tout le bon sens et la nécessité qui sous-tendent la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, présentée par notre collègue Laurent Duplomb, que nous connaissons bien dans cette assemblée et qui mérite notre mobilisation et notre soutien.

M. Jean-Marc Boyer. Rappelons que, selon The Economist, « l’agriculture française est la plus vertueuse au monde ».

En conclusion, le défi de l’avenir de la ruralité est de réduire les fractures territoriales entraînées par des dispositifs pénalisants tels que le ZAN et les ZFE, qu’il convient d’amender, voire de supprimer.

Madame la ministre, mes chers collègues, la ruralité est imprimée au plus profond de notre être et de notre vie de tous les jours. En effet, nous tous, dans cette assemblée, avons des parents et des grands-parents issus de cette France des villages, des campagnes, de la terre, de la mer, de la montagne et de la nature ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la ruralité représente 22 millions d’habitants, 88 % de nos communes et 31 % de l’industrie française, ce qui est considérable. Pourtant, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur Boyer, il arrive souvent qu’elle soit réduite à quelques clichés et que l’on manque son potentiel. Je me réjouis donc que le groupe Les Républicains ait inscrit ce débat à l’ordre du jour du Sénat ce soir.

Ce potentiel tient tout d’abord à la complémentarité qui existe entre les villes et la campagne. Celles-ci ne doivent pas être pensées en opposition.

Ce potentiel tient aussi au fait, comme vous le savez tous ici, que les ruralités sont de fabuleux lieux d’innovation, où foisonnent les « trucs qui marchent », de l’exceptionnelle rénovation du bâti à Tréguier jusqu’à l’épicerie solidaire de Saint-Yrieix-la-Perche, en Haute-Vienne.

Pourtant, là où la ville semble être une évidence, la ruralité, ou plutôt les ruralités, tant elles sont diverses, ont longtemps été les grandes absentes de nos politiques publiques. Depuis quelques années, toutefois, nous avons parcouru bien du chemin, comme en témoigne la création d’un ministère dédié.

Grâce à votre engagement, mesdames, messieurs les sénateurs, et à celui de tous les élus, nous avons contribué à remettre la ruralité au cœur du débat public, au travers de dispositifs ambitieux comme l’agenda rural, suivi par le plan France Ruralités en 2023. Je pense aussi au travail de qualité de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, présidée par Bernard Delcros, ainsi qu’à celui du groupe d’études Ruralités présidé par Jean-Jacques Lozach.

Dans la ruralité, tout – accéder à un professionnel de santé, se déplacer, trouver un logement, aller à l’université – peut relever du défi. L’objectif de France Ruralités, sur l’initiative d’Élisabeth Borne, était d’y répondre. Ma visite de trente-six départements, depuis mon arrivée au ministère, m’a permis de m’en rendre compte.

Avec François Rebsamen et l’ensemble du Gouvernement, j’ai déjà engagé des actions concrètes, à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, en matière de santé, le plan France Ruralités a déjà permis de renforcer l’offre de soins, avec plus de 1 700 maisons de santé en ruralité et près de 90 % du territoire couvert par une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Nous devons également inciter les jeunes médecins à s’installer en ruralité. C’est tout l’objet de la création d’une quatrième année d’internat. Celle-ci sera effective à la rentrée prochaine, avec l’arrivée de 3 700 docteurs juniors.

Néanmoins, nous devons aller plus loin. Tel est le sens du pacte pour lutter contre les déserts médicaux, annoncé par le Premier ministre le 25 avril dernier. Je tiens à saluer le travail du Sénat sur ce sujet. Je pense particulièrement à la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires du président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, ainsi qu’au travail de la rapporteure générale de la même commission, Élisabeth Doineau.

Ensuite, en ce qui concerne l’éducation, les inquiétudes des élus locaux concernant les fermetures de classe sont légitimes et doivent être entendues.

Cela étant, la création de 203 territoires éducatifs ruraux (TER) au bénéfice de près de 200 000 élèves a été très bien accueillie sur le terrain. Ce dispositif répond aux besoins des familles et des équipes éducatives, mais aussi des collectivités. En outre, nous avons voulu donner aux territoires une visibilité à trois ans de l’évolution démographique, en y associant les élus locaux. Je connais l’engagement de chacun d’entre vous sur ces sujets.

Par ailleurs, lors de mes déplacements, j’ai constaté l’émergence de la question du logement. Nous travaillons sur plusieurs fronts, afin de faciliter l’accès au logement pour tous, d’accélérer les rénovations énergétiques et de lutter contre la vacance.

Ainsi, l’extension du prêt à taux zéro (PTZ) sur l’ensemble du territoire est une avancée notable en vue de faciliter l’accès à la propriété en zone détendue.

MaPrimeRénov’ a permis de rénover, en une année, 270 000 logements en zone rurale. Pas moins de 78 % des communes sont couvertes par un programme de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

Afin de lutter contre la vacance des logements, qui pénalise nos centres-bourgs, une prime de sortie de la vacance propre aux territoires ruraux a été dotée de crédits s’élevant à 12,5 millions d’euros.

Enfin, comme chacun le sait et comme vous l’avez dit, monsieur Boyer, rien n’est possible sans la mise en œuvre de solutions de mobilité dans nos territoires ruraux, la mobilité du premier kilomètre comme celle du dernier kilomètre.

La mesure Développement des mobilités durables en zones rurales du fonds vert a ainsi été dotée de 90 millions d’euros sur trois ans. Le 5 mai dernier, lors de la conférence Ambition France Transports, pilotée par le ministre Philippe Tabarot, j’ai rappelé l’importance de ce sujet et formulé quelques suggestions qui, je l’espère, vous conviendront.

Au-delà de ces mesures concrètes, d’autres dispositifs permettent, aujourd’hui, d’améliorer et de faciliter la vie des habitants.

Je pense ainsi aux 2 800 maisons France Services : il y en a une présente à vingt kilomètres de chacun de nous. Elles sont cruciales pour les particuliers. Je pense aussi aux 2 888 Villages d’avenir et aux 1 650 Petites Villes de demain (PVD), qui offrent un soutien essentiel et extrêmement apprécié en matière d’ingénierie à toutes nos petites communes. Celles-ci peuvent ainsi développer un projet de territoire porteur d’avenir.

Toutefois, je suis convaincue que nous devons aller plus loin. C’est la raison pour laquelle j’ai entrepris, dès septembre dernier, un tour de France des ruralités, afin d’évaluer ce plan avec ceux, que vous connaissez bien, qui le font vivre chaque jour sur le terrain et qui sont en mesure de formuler des suggestions.

Dans la continuité de ces actions, un comité interministériel à la ruralité sera réuni très prochainement pour dresser le bilan de France Ruralités, mais aussi pour poursuivre l’action engagée au travers de nouvelles propositions.

En effet, pour nos ruralités, je crois plus – et c’est la marque du Sénat – au sur-mesure du jardin à l’anglaise qu’à l’uniformité du jardin à la française. Ce n’est pas à Paris que nous pouvons déterminer une politique publique adaptée à nos territoires. Les réalités plurielles de nos territoires ruraux, comme les formidables initiatives locales, doivent inspirer le Gouvernement, mais aussi le législateur, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je suis convaincue que c’est seulement ensemble – État, parlementaires, élus – que nous construirons l’avenir de la ruralité. Un avenir où la ruralité pourra rester l’endroit d’où l’on vient, que l’on choisit de quitter, parfois pour mieux y revenir, mais aussi le lieu où l’on choisit de rester ou de s’installer même quand on n’en vient pas.

Monsieur le sénateur Boyer, pour compléter vos propos, si nous sommes tous des enfants de ruraux, je souhaite que nos enfants puissent être également des ruraux heureux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Antoinette Guhl et MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum, y compris pour l’éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)

M. Daniel Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans nos territoires ruraux, la mobilité n’est ni un luxe ni une option. Elle est une condition de l’égalité des chances et de l’accès à l’emploi, aux soins, à la formation et à la culture. Elle est un droit et elle doit redevenir une priorité nationale.

À ce titre, une étude publiée l’an dernier par l’Institut Terram, avec Chemins d’avenirs et l’Ifop, était sans appel : les jeunes ruraux passent en moyenne deux heures trente-sept minutes par jour dans les transports, contre une heure cinquante-cinq minutes pour les urbains.

Pas moins de 69 % d’entre eux dépendent de la voiture au quotidien, et plus d’un sur deux a déjà renoncé à une activité ou à une formation faute de transports adaptés. Dans le même temps, 63 % déclarent vouloir construire leur avenir en milieu rural. Mais comment le pourraient-ils, quand 70 % des formations postbac sont en métropole, à plusieurs heures de route ?

Dans le secteur ferroviaire, la réalité est implacable : petites lignes et trains supprimés, gares désertées, réseaux dégradés, temps de trajets allongés, usagers découragés. L’absence d’une stratégie de l’État pour la régénération et la modernisation des lignes aggrave encore cette fracture.

Un territoire sans train est un territoire à l’arrêt ! Depuis le début de mon mandat, en 2008, j’ai interpellé une dizaine de ministres des transports sur ce sujet. Je le redis ici, les régions, même volontaristes, ne peuvent assumer seules la relance du ferroviaire rural.

Quant à l’Afit France, elle reste sous-dotée face aux enjeux. M. Farandou, président du groupe SNCF, a alerté sur les besoins financiers, estimés à 1 milliard d’euros par an, pour maintenir en état le réseau. Il a suggéré de profiter de la prochaine négociation sur les concessions autoroutières pour y intégrer une part de financement du réseau ferré et relancer l’écotaxe sur les camions étrangers.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Laurent. Alors que la conférence nationale Ambition France Transports vient de s’ouvrir sous la présidence de Dominique Bussereau, qui connaît bien notre territoire et nos attentes, comptez-vous enfin inscrire la mobilité rurale dans un plan national de financement ambitieux, lisible et équitable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Laurent, je l’ai rappelé dans mon propos introductif, la mobilité est un enjeu essentiel pour les territoires ruraux.

Nous savons que le ferroviaire fait partie de ces outils de mobilité. De Beillant à Rochefort, deux communes de votre département, la desserte ferroviaire reste vitale pour assurer l’attractivité des territoires ruraux et lutter contre l’assignation à résidence.

Vous l’avez dit, les régions sont des acteurs moteurs pour préserver les lignes ferroviaires, mais elles ne sont pas les seules. Ainsi, dans le cadre du contrat de plan État-régions Mobilités 2023-2027, l’État a investi 104 millions d’euros en 2023, une enveloppe allouée de nouveau en 2024.

Tout en maintenant la plupart des lignes ferroviaires, nous devons aussi penser à des solutions de substitution sur des lignes ferroviaires à fréquentation trop faible. Je pense notamment à des projets de ligne légère, qui permettent de réutiliser des voies avec des normes assouplies et des contraintes adaptées. Un projet existe dans la région Grand Est avec la ligne Nancy-Contrexéville.

Préserver ce qui fonctionne, développer une vision stratégique avec les AOM et inventer le ferroviaire de proximité, comme vous le souhaitez : tel est le sens de la démarche défendue par Philippe Tabarot, qui m’a donné l’occasion d’exprimer la vision nécessaire pour la mobilité en ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la ministre, les territoires ruraux de notre pays et leurs habitants sont confrontés à de multiples défis. Les plus jeunes sont les premiers exposés, l’accès à l’enseignement supérieur restant un parcours semé d’embûches.

En effet, la répartition géographique du taux de diplômés révèle des inégalités territoriales d’accès à l’enseignement supérieur. Ce taux diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes. En témoignent les résultats d’une analyse menée il y a quelques semaines par le professeur des universités Olivier Bouba-Olga.

Cette étude, qui se concentre sur l’accessibilité de l’offre de formation de première année de l’enseignement supérieur, à l’exception des formations d’apprentissage, indique ceci : sur l’ensemble de la France hexagonale, l’exploitation des données de Parcoursup pour 2023 révèle que l’offre de formation s’élève à 77 % dans les pôles urbains majeurs de notre pays.

Le maillage territorial des sites de formation supérieure constitue un levier majeur d’augmentation du niveau de formation, démontrant ainsi des liens forts entre les politiques d’aménagement du territoire et celles qui sont liées à l’enseignement supérieur.

Certains acteurs associatifs agissent quotidiennement pour lutter contre l’autocensure des jeunes ruraux, à l’image de la fédération Des Territoires aux Grandes Écoles.

Néanmoins, force est de constater que des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur persistent. Les campus connectés, lancés en 2020 sous l’impulsion du Président de la République, en réponse au mouvement des « gilets jaunes », devaient permettre de réduire les fractures sociales et territoriales.

Si le dispositif a montré son utilité dans certains territoires, comme à Nevers, il peut encore être amélioré, selon les recommandations d’un rapport publié il y a quelques jours par la Banque des territoires.

Madame la ministre, au-delà des campus connectés, quelles actions envisagez-vous pour renforcer l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les jeunes issus de la ruralité ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Vous posez une question essentielle, monsieur le sénateur, celle de l’accès des jeunes à un chemin professionnel et à un chemin de vie choisi. L’accès à l’enseignement supérieur reste un vrai sujet.

Jusqu’au collège, certains élèves des zones rurales réussissent aussi bien que les élèves des villes. Ensuite, les choses changent, car nombre d’enfants des zones rurales s’orientent vers des voies professionnelles, et trop peu accèdent à l’enseignement supérieur.

Face à cette réalité indéniable, il est impératif d’organiser les choses différemment. La ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, le ministre de l’enseignement supérieur, Philippe Baptiste, et moi-même avons lancé un travail important sur ce sujet, car nous partageons la nécessité d’avancer.

Tout d’abord, le Premier ministre a exprimé son souhait d’ouvrir une première année d’accès aux études de santé dans chaque département. C’est une première réponse aux difficultés que vous soulevez.

Ensuite, nous avons lancé une expérimentation des options santé et médecine dans certains lycées, qui devrait pouvoir être élargie.

Enfin, il conviendrait de développer de premiers cycles d’université dans des villes moyennes et des chefs-lieux de département.

Vous avez parlé des campus connectés. Je me suis rendu à celui de Nevers, qui est assez remarquable, les résultats des étudiants de première année de médecine étant supérieurs à la moyenne nationale. Les campus connectés doivent, pour certains, être améliorés, même si ce ne peut être une solution unique.

Pas plus tard que cet après-midi, Élisabeth Borne et moi-même avons discuté de la possibilité d’installer dans des lycées une première année de formation supérieure. L’idée est de proposer, au plus près des jeunes des territoires, une palette de formations supérieures qui leur ouvre une voie vers l’avenir et attire les habitants et les entreprises dans nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la ministre, je me satisfais de ce débat sur la ruralité. Je connais votre attachement à ce sujet, comme vous connaissez celui du groupe RDSE.

J’appelle votre attention sur un sujet central, déjà évoqué il y a quelques instants, celui de la mobilité en milieu rural.

Vous le savez, les déplacements en transports en commun sont très marginaux chez nous, dans nos circonscriptions rurales. Bien que nous défendions le maintien des petites lignes de train, les trajets en voiture restent incontournables au quotidien pour se rendre sur son lieu de travail, déposer ses enfants à l’école, faire ses courses, accéder aux services publics ou aller chez le médecin, soit autant d’actions indispensables à la vie locale.

C’est la raison pour laquelle la voiture, donc le permis de conduire, représente toujours pour nous l’autre nom de la liberté.

Dans le Lot-et-Garonne, nous faisons face à un manque patent d’examinateurs. Cette situation relègue notre jeunesse et tous les candidats à des listes d’attente à rallonge et réduit le nombre d’inscriptions dans les auto-écoles, qui sont à leur tour durement affectées. Je veux donc tirer la sonnette d’alarme pour enrayer la désertification des mobilités en milieu rural, qui s’ajouterait à la désertification médicale, entre autres.

Ce problème doit faire l’objet d’une réelle prise de conscience, afin de ne pas entraver l’essor de nos ruralités, qui souffrent déjà du manque de services publics.

Madame la ministre, avez-vous identifié cette problématique précise ? Et quelles mesures d’urgence envisagez-vous de prendre en faveur de la mobilité ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de laménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Masset, je vous remercie d’avoir posé cette question essentielle. Vous avez raison de le rappeler : la voiture reste et restera dans nos territoires ruraux le mode de déplacement majoritaire, même si nous devons aller vers des modes de covoiturage et d’autopartage.