M. Daniel Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans nos territoires ruraux, la mobilité n’est ni un luxe ni une option. Elle est une condition de l’égalité des chances et de l’accès à l’emploi, aux soins, à la formation et à la culture. Elle est un droit et elle doit redevenir une priorité nationale.
À ce titre, une étude publiée l’an dernier par l’Institut Terram, avec Chemins d’avenirs et l’Ifop, était sans appel : les jeunes ruraux passent en moyenne deux heures trente-sept minutes par jour dans les transports, contre une heure cinquante-cinq minutes pour les urbains.
Pas moins de 69 % d’entre eux dépendent de la voiture au quotidien, et plus d’un sur deux a déjà renoncé à une activité ou à une formation faute de transports adaptés. Dans le même temps, 63 % déclarent vouloir construire leur avenir en milieu rural. Mais comment le pourraient-ils, quand 70 % des formations postbac sont en métropole, à plusieurs heures de route ?
Dans le secteur ferroviaire, la réalité est implacable : petites lignes et trains supprimés, gares désertées, réseaux dégradés, temps de trajets allongés, usagers découragés. L’absence d’une stratégie de l’État pour la régénération et la modernisation des lignes aggrave encore cette fracture.
Un territoire sans train est un territoire à l’arrêt ! Depuis le début de mon mandat, en 2008, j’ai interpellé une dizaine de ministres des transports sur ce sujet. Je le redis ici, les régions, même volontaristes, ne peuvent assumer seules la relance du ferroviaire rural.
Quant à l’Afit France, elle reste sous-dotée face aux enjeux. M. Farandou, président du groupe SNCF, a alerté sur les besoins financiers, estimés à 1 milliard d’euros par an, pour maintenir en état le réseau. Il a suggéré de profiter de la prochaine négociation sur les concessions autoroutières pour y intégrer une part de financement du réseau ferré et relancer l’écotaxe sur les camions étrangers.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Laurent. Alors que la conférence nationale Ambition France Transports vient de s’ouvrir sous la présidence de Dominique Bussereau, qui connaît bien notre territoire et nos attentes, comptez-vous enfin inscrire la mobilité rurale dans un plan national de financement ambitieux, lisible et équitable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Laurent, je l’ai rappelé dans mon propos introductif, la mobilité est un enjeu essentiel pour les territoires ruraux.
Nous savons que le ferroviaire fait partie de ces outils de mobilité. De Beillant à Rochefort, deux communes de votre département, la desserte ferroviaire reste vitale pour assurer l’attractivité des territoires ruraux et lutter contre l’assignation à résidence.
Vous l’avez dit, les régions sont des acteurs moteurs pour préserver les lignes ferroviaires, mais elles ne sont pas les seules. Ainsi, dans le cadre du contrat de plan État-régions Mobilités 2023-2027, l’État a investi 104 millions d’euros en 2023, une enveloppe allouée de nouveau en 2024.
Tout en maintenant la plupart des lignes ferroviaires, nous devons aussi penser à des solutions de substitution sur des lignes ferroviaires à fréquentation trop faible. Je pense notamment à des projets de ligne légère, qui permettent de réutiliser des voies avec des normes assouplies et des contraintes adaptées. Un projet existe dans la région Grand Est avec la ligne Nancy-Contrexéville.
Préserver ce qui fonctionne, développer une vision stratégique avec les AOM et inventer le ferroviaire de proximité, comme vous le souhaitez : tel est le sens de la démarche défendue par Philippe Tabarot, qui m’a donné l’occasion d’exprimer la vision nécessaire pour la mobilité en ruralité.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la ministre, les territoires ruraux de notre pays et leurs habitants sont confrontés à de multiples défis. Les plus jeunes sont les premiers exposés, l’accès à l’enseignement supérieur restant un parcours semé d’embûches.
En effet, la répartition géographique du taux de diplômés révèle des inégalités territoriales d’accès à l’enseignement supérieur. Ce taux diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes. En témoignent les résultats d’une analyse menée il y a quelques semaines par le professeur des universités Olivier Bouba-Olga.
Cette étude, qui se concentre sur l’accessibilité de l’offre de formation de première année de l’enseignement supérieur, à l’exception des formations d’apprentissage, indique ceci : sur l’ensemble de la France hexagonale, l’exploitation des données de Parcoursup pour 2023 révèle que l’offre de formation s’élève à 77 % dans les pôles urbains majeurs de notre pays.
Le maillage territorial des sites de formation supérieure constitue un levier majeur d’augmentation du niveau de formation, démontrant ainsi des liens forts entre les politiques d’aménagement du territoire et celles qui sont liées à l’enseignement supérieur.
Certains acteurs associatifs agissent quotidiennement pour lutter contre l’autocensure des jeunes ruraux, à l’image de la fédération Des Territoires aux Grandes Écoles.
Néanmoins, force est de constater que des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur persistent. Les campus connectés, lancés en 2020 sous l’impulsion du Président de la République, en réponse au mouvement des « gilets jaunes », devaient permettre de réduire les fractures sociales et territoriales.
Si le dispositif a montré son utilité dans certains territoires, comme à Nevers, il peut encore être amélioré, selon les recommandations d’un rapport publié il y a quelques jours par la Banque des territoires.
Madame la ministre, au-delà des campus connectés, quelles actions envisagez-vous pour renforcer l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les jeunes issus de la ruralité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Vous posez une question essentielle, monsieur le sénateur, celle de l’accès des jeunes à un chemin professionnel et à un chemin de vie choisi. L’accès à l’enseignement supérieur reste un vrai sujet.
Jusqu’au collège, certains élèves des zones rurales réussissent aussi bien que les élèves des villes. Ensuite, les choses changent, car nombre d’enfants des zones rurales s’orientent vers des voies professionnelles, et trop peu accèdent à l’enseignement supérieur.
Face à cette réalité indéniable, il est impératif d’organiser les choses différemment. La ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, le ministre de l’enseignement supérieur, Philippe Baptiste, et moi-même avons lancé un travail important sur ce sujet, car nous partageons la nécessité d’avancer.
Tout d’abord, le Premier ministre a exprimé son souhait d’ouvrir une première année d’accès aux études de santé dans chaque département. C’est une première réponse aux difficultés que vous soulevez.
Ensuite, nous avons lancé une expérimentation des options santé et médecine dans certains lycées, qui devrait pouvoir être élargie.
Enfin, il conviendrait de développer de premiers cycles d’université dans des villes moyennes et des chefs-lieux de département.
Vous avez parlé des campus connectés. Je me suis rendu à celui de Nevers, qui est assez remarquable, les résultats des étudiants de première année de médecine étant supérieurs à la moyenne nationale. Les campus connectés doivent, pour certains, être améliorés, même si ce ne peut être une solution unique.
Pas plus tard que cet après-midi, Élisabeth Borne et moi-même avons discuté de la possibilité d’installer dans des lycées une première année de formation supérieure. L’idée est de proposer, au plus près des jeunes des territoires, une palette de formations supérieures qui leur ouvre une voie vers l’avenir et attire les habitants et les entreprises dans nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la ministre, je me satisfais de ce débat sur la ruralité. Je connais votre attachement à ce sujet, comme vous connaissez celui du groupe RDSE.
J’appelle votre attention sur un sujet central, déjà évoqué il y a quelques instants, celui de la mobilité en milieu rural.
Vous le savez, les déplacements en transports en commun sont très marginaux chez nous, dans nos circonscriptions rurales. Bien que nous défendions le maintien des petites lignes de train, les trajets en voiture restent incontournables au quotidien pour se rendre sur son lieu de travail, déposer ses enfants à l’école, faire ses courses, accéder aux services publics ou aller chez le médecin, soit autant d’actions indispensables à la vie locale.
C’est la raison pour laquelle la voiture, donc le permis de conduire, représente toujours pour nous l’autre nom de la liberté.
Dans le Lot-et-Garonne, nous faisons face à un manque patent d’examinateurs. Cette situation relègue notre jeunesse et tous les candidats à des listes d’attente à rallonge et réduit le nombre d’inscriptions dans les auto-écoles, qui sont à leur tour durement affectées. Je veux donc tirer la sonnette d’alarme pour enrayer la désertification des mobilités en milieu rural, qui s’ajouterait à la désertification médicale, entre autres.
Ce problème doit faire l’objet d’une réelle prise de conscience, afin de ne pas entraver l’essor de nos ruralités, qui souffrent déjà du manque de services publics.
Madame la ministre, avez-vous identifié cette problématique précise ? Et quelles mesures d’urgence envisagez-vous de prendre en faveur de la mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Masset, je vous remercie d’avoir posé cette question essentielle. Vous avez raison de le rappeler : la voiture reste et restera dans nos territoires ruraux le mode de déplacement majoritaire, même si nous devons aller vers des modes de covoiturage et d’autopartage.
Nous le savons, l’outil de la liberté, c’est le permis de conduire, car il permet aux jeunes de ne plus être assignés à résidence. Or nous déplorons aujourd’hui un engorgement extrêmement fort, lié à une hausse des inscriptions dans les auto-écoles et au retard pris pendant la crise covid.
Compte tenu de ces éléments, les postes budgétaires pour les inspecteurs du permis de conduire ont été priorisés. Nous avons ainsi recruté successivement 15 équivalents temps plein (ETP) en 2023 et 38 en 2024. Ils ont été répartis dans les départements où l’urgence était la plus forte.
Nous avons également autorisé, au titre de l’année 2025, l’ouverture exceptionnelle d’une seconde session de concours externe et interne pour le recrutement des inspecteurs.
D’autres leviers sont utilisés à l’échelon local. Ainsi, des inspecteurs retraités peuvent continuer à réaliser des examens sous couvert de conventions, tandis qu’un dispositif d’examen supplémentaire permet aux inspecteurs d’effectuer des examens pratiques en heures supplémentaires le samedi.
En 2024, ces mesures concrètes ont permis d’assurer 125 550 examens supplémentaires. Nous devons toutefois veiller à retrouver un flux plus accessible, afin que la situation ne se dégrade pas de nouveau.
Soyez assuré de notre attention sur ce sujet, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset, pour la réplique.
M. Michel Masset. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’appelle votre attention sur un document stratégique à mes yeux, qui devrait devenir la boussole de l’action publique locale et nationale en faveur de la ruralité : le schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP).
Ce document, introduit par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, présente un diagnostic territorial des services publics et privés sous-utilisés. Il devrait, selon moi, devenir un outil de pilotage des politiques publiques, afin que les territoires ruraux relèvent les défis qui se présentent à eux.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Le temps m’étant compté, je ne serai pas longue. Vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur ; le plan de développement des maisons France Services fait d’ailleurs partie de ce schéma.
Je suggérerai que, après les élections municipales, dans chaque département, un échange se tienne de nouveau avec collectivités et le préfet pour déterminer la manière dont ce document doit être mis en œuvre et peut évoluer.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame ministre, vous le savez, la ruralité a toujours été au cœur de mon engagement.
Récemment, nous avons saisi le Conseil constitutionnel d’une proposition de loi dont nous redoutions l’inconstitutionnalité. Ce texte, qui étend l’application du scrutin paritaire à l’ensemble du bloc communal, est désormais promulgué.
Si l’objectif est louable, son application en milieu rural suscite de vives inquiétudes, car nos collectivités locales, premiers échelons de la République et véritables poumons de la ruralité, risquent l’asphyxie. Nous en avons pleinement conscience dans cet hémicycle, mais, reconnaissons-le, nos efforts demeurent insuffisants. Le défi est immense, et certaines mesures mal calibrées fragilisent ce tissu local.
Samedi dernier, lors de l’assemblée générale des maires du Doubs, plus des trois quarts des élus étaient absents. Parmi les présents, nombreux sont ceux qui ont exprimé leur incompréhension, voire leur rejet de ce texte.
À l’inverse, une autre initiative, d’origine sénatoriale, fait consensus : la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local. Ce texte porte en germe une réponse concrète à l’érosion de l’engagement que nous observons sur le terrain. Cette initiative, c’était la vôtre, madame Gatel, avant que vous ne deveniez ministre !
Comment étions-nous supposés agir ? Voilà plus d’un an que vous avez répondu à cette interrogation. Aujourd’hui, il reste une question essentielle : quand ?
Quand serons-nous capables de redonner vie aux territoires et de représenter la République dans chaque village ?
Quand votre proposition de loi sera-t-elle inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ?
Quand, en l’absence de procédure accélérée, la deuxième lecture de ce texte aura-t-elle lieu au Sénat ?
Si nous voulons rassurer les élus à la veille des élections municipales, nous devons leur faire confiance. Surtout, cessons de leur opposer un certain nombre d’obstacles : vu ce qu’on leur demande déjà, nous les mettrions davantage en difficulté, notamment dans les petites collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Vous connaissez ma franchise, monsieur le sénateur. Elle ne m’a pas quittée quand je suis entrée au Gouvernement.
Vous me posez deux questions précises : l’une sur la proposition de loi visant à généraliser le scrutin de liste paritaire à l’ensemble des communes dans le cadre des élections municipales, l’autre sur la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local.
Commençons par le premier texte, cher Jean-François Longeot. Nous en avons débattu et avons saisi le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, les choses sont ce qu’elles sont.
Pour ma part, je respecte l’avis de chacun sur ce sujet, qui ne peut pas recueillir d’unanimité. Depuis mon entrée en fonction, j’ai visité trente-six départements et rencontré tous les élus à chacun de mes déplacements. Certains d’entre eux m’ont dit que l’extension du scrutin de liste paritaire constituait encore une complication, à un an des élections municipales.
Je comprends leurs inquiétudes, mais, dans le même temps – je vous le dis avec ma conviction profonde –, j’ai accepté de défendre au banc des ministres cette proposition de loi, déposée par une députée, car je connais la souffrance des élus au sein du conseil municipal dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Le scrutin de liste paritaire, bien qu’il semble difficile à mettre en place, m’est apparu comme une bonne solution ; les communes de moins de 1 000 habitants ne changeraient pas d’avis.
Ensuite, concernant le statut de l’élu local, je serai rapide et claire. Je vous remercie de m’avoir posé votre question aujourd’hui, plutôt qu’il y a trois semaines, car je sais désormais que la proposition de loi sénatoriale, votée ici à l’unanimité, sera examinée à l’Assemblée nationale du 30 juin au 3 juillet – je précise bien qu’il s’agira de juillet 2025 ! (Sourires.) Et elle sera probablement de retour au Sénat en septembre prochain.
J’espère que ce texte prospérera, par respect pour tous les élus locaux, comme vous l’avez justement souligné. (M. Bernard Buis applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, les territoires ruraux couvrent 75 % du territoire métropolitain et comptent 22 millions d’habitants, soit près du tiers de la population française. Ils concentrent 80 % des communes et sont au cœur des transitions démographiques, écologiques, économiques et sociales.
Pour éviter les exclusions et le sentiment d’abandon qui nourrissent le populisme, nous devons renforcer les services publics – transports, santé, éducation, nouvelles technologies – et permettre l’égal accès de chacun aux besoins élémentaires, quel que soit son lieu de vie.
C’est en agissant sur le réel des habitants, pour réduire les inégalités, que nous trouverons le chemin du développement, car, au-delà de leurs paysages, les territoires ruraux sont des acteurs majeurs de l’aménagement du territoire.
La crise sanitaire a révélé le désir de campagne d’une partie de la population. L’enjeu, à l’avenir, serait de concilier le potentiel de développement, qui résulte notamment de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), avec le respect des aménités rurales, qui doivent être correctement rémunérées.
Aujourd’hui, les territoires ruraux fournissent alimentation, eau potable et forêts aux autres territoires, y compris les métropoles. Sont-ils rémunérés à leur juste valeur, alors qu’ils contribuent à la qualité de vie globale des habitants ?
Grâce à la commande publique, les collectivités en zone rurale peuvent soutenir l’agriculture, les circuits courts, la production et la consommation locale, ainsi que l’économie et le logement, par la réhabilitation des friches et du bâti ancien dans nos bourgs.
Nous devons renouer avec une stratégie nationale d’aménagement du territoire, en n’excluant pas les territoires ruraux d’un système concentré qui n’a pas produit le ruissellement attendu.
Il est urgent de redonner du sens au mandat des élus du dernier kilomètre et de prévoir les moyens adéquats pour faire de l’espace rural, non pas un oublié de la République, mais le fer de lance des transitions qui sont devant nous.
Aussi, madame la ministre, que pensez-vous d’une nouvelle loi d’aménagement du territoire, qui prendrait précisément en compte ces nouveaux défis et qui, bien sûr, serait assortie de moyens et d’une réforme de la fiscalité locale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice, votre philosophie de la ruralité soulève de nombreuses questions. Aujourd’hui, je m’occupe de la ruralité avec beaucoup de conviction et de passion. Je pense, comme vous, qu’elle est la clé du développement durable et une chance pour notre pays.
Nous devons à la fois faire face aux difficultés et nous convaincre qu’il n’y a pas de fatalité. La ruralité doit être forte et vivante ; autrement dit, elle doit être productive et accueillir de nouveaux habitants.
On l’a dit, plusieurs difficultés se posent, notamment en matière d’accès aux soins, de mobilité et de logement. Toutefois, de nombreuses initiatives permettent d’y faire face. Encore une fois, chez les élus des trente-six départements que j’ai visités, je n’ai jamais entendu de résignation.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. J’entends les difficultés, et nous devons les écouter, mais je vous invite à vous rendre, à mes côtés, à toutes les réunions organisées avec les élus locaux. Vous verrez qu’ils sont attachés à leur territoire et qu’ils se battent.
M. François Patriat. Très bien !
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Il faut que nous les aidions, et c’est précisément ce que nous faisons. En effet, on compte désormais 2 888 programmes Villages d’avenir et 1 650 programmes Petites Villes de demain. Les maisons France Services et l’ingénierie que l’État a mise à disposition des collectivités rurales sont autant de changements de politique qu’il nous faut accompagner et poursuivre.
Nous avons aussi reconnu l’importance de la ruralité et ce qu’elle nous apporte avec les aménités rurales, que l’on appelait avant la dotation biodiversité. Entre 2023 et 2025, leur valorisation est passée de 40 millions à 110 millions d’euros. C’est la preuve que nous reconnaissons la valeur de nos territoires ruraux.
Je ne crois pas au père Noël, je ne suis pas naïve et je n’ignore pas les difficultés. Néanmoins, je sais l’énergie déployée par certains et j’ai conscience de la nécessité d’avancer ensemble.
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Quant à la fiscalité locale, je pense qu’elle doit être débattue, rebattue et peut-être même rabattue.
C’est un chantier qui, vu l’ordre du jour parlementaire, me semble difficile à envisager, mais il y a toujours un lendemain.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, alors que nous avons fêté, le 17 janvier dernier, les cinquante ans de la loi Veil, et un an après la constitutionnalisation de la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG), l’accès à ce droit fondamental reste largement inégal sur le territoire.
Pour les 11 millions de femmes vivant en zone rurale, il n’est toujours pas garanti. En juillet 2024, une étude de l’Ifop commandée par le Planning familial rappelait que plus de la moitié des femmes vivant en zone rurale et ayant eu recours à l’avortement faisaient part d’inégalités d’accès à l’IVG.
En 2021, l’excellent rapport d’information Femmes et ruralités, élaboré en partie par ma collègue Raymonde Poncet Monge, au nom de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, pointait déjà ces inégalités : déficit d’offres de soins en milieu rural, difficultés d’accès à l’IVG, impact préjudiciable sur la santé des femmes, etc.
Avorter en zone rurale se révèle encore aujourd’hui un véritable parcours de la combattante. Selon le Planning familial, 131 centres d’IVG ont fermé leurs portes sur le territoire au cours des quinze dernières années. Résultat, un allongement des délais entre la première demande de rendez-vous et la réalisation de l’IVG, une méthode d’avortement parfois imposée ou encore un allongement du temps de trajet.
En 2022, quelque 17 % des femmes ayant eu recours à l’avortement se sont rendues hors de leur département. Dans les Hautes-Alpes ou dans l’Indre, départements limitrophes de l’Isère, ce taux dépasse les 40 %.
Le département de la Drôme a voté, en mars dernier, la fermeture de sept centres de santé sexuelle, dans un territoire qui en compte dix-huit au total, et acté la baisse de 20 % des budgets alloués aux onze autres centres. La stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030, lancée par le Gouvernement, avait pourtant érigé la proximité comme principe d’action.
Alors que les 11 millions de femmes vivant en zone rurale portent nos territoires et qu’elles pallient chaque jour le désengagement croissant de l’État, elles sont les grandes oubliées de vos politiques publiques.
Aussi, madame la ministre, qu’allez-vous donc faire pour que le droit à l’avortement puisse être garanti partout et pour toutes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le président Gontard, vous avez raison de rappeler que fêtons les cinquante ans de la loi Veil et que nous avons inscrit dans la Constitution le droit des femmes à recourir à l’IVG.
Votre question porte sur un sujet particulier, qui, de manière générale, doit être rattaché à la question de l’accès aux soins. Je rappellerai un seul chiffre : en France, on compte en moyenne 2,6 gynécologues pour 100 000 femmes en âge de consulter, ce qui est absolument insuffisant. La fin du numerus clausus permettra sans doute d’améliorer les choses. Notez que 77 départements sont en dessous de cette moyenne et que 13 ne comptent aucun gynécologue aujourd’hui.
Face à ces réalités, le Gouvernement n’est pas resté inactif, puisqu’il a apporté des réponses concrètes.
Depuis 2016, les sages-femmes, qui sont d’ailleurs désormais plus nombreuses à s’installer dans des territoires ruraux, peuvent prescrire et pratiquer l’IVG médicamenteuse. Depuis 2023, elles sont même autorisées à pratiquer l’IVG en établissement. Quant à la téléconsultation, elle permet désormais d’accéder à une IVG médicamenteuse sans se déplacer dans les délais légaux.
Ces mesures renforcent un réseau de proximité essentiel, grâce à l’engagement des sages-femmes et des pharmaciens.
Je souhaite également saluer une initiative exemplaire, le « gynécobus » des Ardennes. Ce dispositif mobile, piloté par une sage-femme et une auxiliaire de puériculture, propose un accès direct à la contraception, au dépistage et à l’information de l’IVG, dans un territoire sous-doté en professionnels de santé.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Madame la ministre, je souhaite vous interpeller sur une injustice criante de notre fiscalité, qui affecte gravement les communes rurales : la suppression de la taxe d’habitation (TH) et son corollaire, le coefficient correcteur.
Après la suppression de la TH, le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) a été transféré des départements aux communes. Toutefois, il n’est pas égal au montant de la ressource de TH perçu par la commune. Si ce montant est supérieur, on parle de communes surcompensées ; s’il est inférieur, de communes sous-compensées.
Le coefficient correcteur a pour objectif de compenser ces écarts communaux, mais il a des effets de bord regrettables. En effet, dans les départements ruraux, les montants de la taxe foncière dépassent en volume ceux de la suppression de la taxe d’habitation.
L’excédent collecté par les communes rurales se retrouve donc affecté à d’autres collectivités, essentiellement urbaines, où les revenus sont plus élevés.
En Dordogne, 498 communes sont dites surcompensées et 5 sous-compensées. La part de la taxe foncière reversée est donc très élevée : plus de 57 millions d’euros pour mon département, payés par les contribuables locaux et réaffectés à d’autres secteurs. Ainsi, Neuilly serait l’heureuse bénéficiaire de 6 millions d’euros !
L’Union départementale des maires et l’Association des maires ruraux de France (AMRF) dénoncent un mécanisme injuste et inéquitable, qui a accentué encore la fracture territoriale.
Avant d’envisager un nouvel impôt local, ne serait-il pas plus opportun de revenir sur ce mécanisme qui prive les territoires de moyens importants et rompt le lien fiscal entre l’habitat et sa commune ?
Madame la ministre, je souhaiterais savoir quelles mesures correctives le Gouvernement entend prendre à ce sujet.