Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis d’autant plus heureuse de débattre avec vous de l’avenir du groupe La Poste qu’il y a quelques années, alors que j’étais députée, je siégeais – à vos côtés, monsieur Chaize – au sein de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP).

Je m’efforcerai de répondre rapidement mais clairement aux deux questions que vous m’avez posées.

Philippe Wahl a mené un travail remarquable à la tête du groupe La Poste, qui a vu le volume de son activité principale, la distribution du courrier, être divisé par deux en dix ans. Si l’élaboration de la feuille de route de son successeur n’est pas tout à fait terminée, les axes en sont connus et attendus : l’amélioration de la qualité des missions de service public ; l’amélioration de la couverture territoriale ; la consolidation de la soutenabilité de la trajectoire financière ; l’amélioration de la rentabilité des nombreuses activités qui ont été développées ; la capitalisation sur le développement des activités qui génèrent de la valeur, notamment la livraison de colis et les activités bancaires.

Je souhaite insister sur la couverture territoriale. Jusqu’à nouvel ordre, la loi postale fixe à 17 000 le nombre de points de contact et d’accès aux services postaux. Le respect de ce cadre sera une exigence forte pour la prochaine équipe dirigeante.

Vous m’interrogez par ailleurs, monsieur le sénateur, sur la forme que prendra la délégation du service universel postal. Il est fâcheux que du fait de ce que j’appellerai pudiquement des péripéties politiques, nous n’ayons pas pu débattre de cette question au second semestre 2024, comme le prévoyait le calendrier initial. Avec le soutien du député Stéphane Travert, le Gouvernement a récemment proposé qu’une disposition soit introduite dans le projet de loi de simplification de la vie économique, mais pour des raisons légistiques, celle-ci n’a pas pu prospérer.

Afin d’assurer un service universel postal au 1er janvier 2026 pour les Français, il nous faut prendre des dispositions avant le 1er juillet 2025. De manière pragmatique et un peu contrainte, le Gouvernement prévoit donc de le faire par décret. Pour autant, nous n’entendons nullement contourner le Parlement – c’est du reste la raison de notre présence ici ce soir –, et nous sommes évidemment conscients que les parlementaires doivent être en mesure de contrôler et d’évaluer cette mission essentielle.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. S’il est exact que nous avons siégé ensemble au sein de la Commission supérieure du numérique et des postes, je tiens à préciser que le présent débat a été organisé à la demande non pas du Gouvernement, mais de la commission des affaires économiques du Sénat.

J’entends que des péripéties politiques ont contrarié le calendrier et qu’il faut aller vite, mais j’attends du Gouvernement qu’il nous assure que le débat viendra. S’il faut pour l’heure garantir l’effectivité du service public de la distribution postale au 1er janvier 2026, ce débat n’en est pas moins impératif pour la survie même de La Poste, oserai-je dire. Je ne suis en effet pas convaincu que le budget de l’État pourra continuer de compenser financièrement les déficits chroniques qu’emportent les délégations de service public. Un jour ou l’autre, l’équation deviendra impossible.

Je souhaite donc que vous vous engagiez devant nous, madame la ministre, à déposer un projet de loi dont le Parlement pourra débattre.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la création des relais de poste, au XVe siècle, le groupe La Poste n’a cessé d’évoluer.

Aujourd’hui, La Poste est chargée de quatre missions de service public indispensables au bon fonctionnement de notre société : le service universel postal, le transport et la distribution de la presse, l’accessibilité bancaire et l’aménagement du territoire. Ainsi, alors qu’elle connaît une profonde mutation de son système économique, sa présence dans tous les territoires demeure l’un de ses aspects les plus stratégiques, qu’il faut préserver.

En effet, l’accès de tous les Français à des services publics de qualité et de proximité est un principe fondamental de notre République, et c’est justement ce à quoi La Poste contribue avec ses 17 000 points de contact situés à moins de vingt minutes en voiture pour 97 % de la population française, comme en atteste le dernier rapport d’accessibilité présenté à l’Observatoire national de la présence postale (ONPP) en janvier 2023.

La Poste incarne donc ce lien quotidien entre le service public et les citoyens, dans nos villes comme dans nos territoires ruraux, à Valence comme à Die, à Luc-en-Diois comme à Buis-les-Baronnies ; cette présence permet de garantir un service postal à l’ensemble de la population et de faciliter la distribution du courrier six jours sur sept, une exception en Europe.

Néanmoins, ce modèle est désormais sous tension. La fréquentation du réseau diminue, tandis que le coût des missions de service public augmente. Dans le même temps, les métiers historiques de La Poste, notamment ceux qui sont liés à la distribution du courrier, ont vu leur poids s’effondrer : alors qu’ils représentaient plus de 50 % du chiffre d’affaires en 2010, cette proportion était tombée à 15 % en 2023.

Par conséquent, si nous souhaitons préserver ce service public indispensable dans nos villes comme dans nos territoires ruraux, il est impératif de repenser le financement du service public postal. Avec un chiffre d’affaires de 34 milliards d’euros en 2023, selon une lettre de la Cour des comptes publiée le 5 décembre 2024, force est de constater que, grâce à de nouvelles acquisitions, le groupe La Poste connaît encore une relative croissance. Toutefois, sa rentabilité, elle, diminue.

Dans ce contexte financier, le groupe ne peut s’exonérer de réaliser des économies. Néanmoins, la coupe budgétaire de 50 millions d’euros sur le budget de La Poste pour les territoires, annoncée en 2024, menace les agences communales, à l’image de la commune de Souleuvre en Bocage, dans le Calvados, qui risque de perdre son dernier bureau de poste.

Or, je le répète, les économies budgétaires ne doivent pas remettre en cause le maillage territorial de La Poste et sa présence dans les zones rurales. Rappelons que les compensations publiques ne couvrent plus entièrement le coût des sujétions de service public. Par ailleurs, l’expiration du mandat du service universel postal, le 31 décembre 2025, nous impose une réflexion urgente et lucide sur l’avenir du groupe.

Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de renouveler le mandat du service universel postal au-delà de 2025 ? Quelles solutions pouvons-nous envisager pour financer durablement les missions de service public de La Poste, afin de préserver le rôle de celle-ci dans l’aménagement du territoire et sa présence dans les zones rurales ? Compte tenu des difficultés financières du groupe, ne faut-il pas renforcer la part de l’État à son capital ?

Enfin, comment évoquer l’avenir du groupe La Poste et la diversification de ses missions sans penser à la révolution numérique et technologique du XXIe siècle ? À l’heure où l’intelligence artificielle se développe dans nos entreprises et dans nos modes de vie, cette révolution doit être pleinement intégrée aussi dans les services publics.

La Poste a pris part à cette dynamique, en lançant des initiatives ambitieuses. Je pense à la messagerie sécurisée Dalvia Santé, un outil innovant développé par Docaposte, la filiale numérique du groupe, qui permet aux professionnels de santé d’échanger des données sensibles dans le respect de la confidentialité et des exigences réglementaires strictes. Je pense également à l’automatisation du tri postal et du suivi des colis, rendue possible grâce à l’intelligence artificielle (IA) et à l’exploitation des données en temps réel.

Ces innovations permettent à la fois d’améliorer la traçabilité et la rapidité des livraisons, source d’importants gains de productivité, mais aussi d’apporter une réponse aux attentes des citoyens en matière de qualité de service et de suivi individualisé. L’intelligence artificielle peut optimiser la productivité, améliorer l’expérience de l’usager et renforcer l’efficacité opérationnelle. Elle peut aussi être stratégique dans le développement de nouvelles activités, notamment dans le numérique et les services de confiance, tout en renforçant la cybersécurité et la fiabilité des services bancaires.

Toutefois, cette transformation ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : avant d’être une entreprise, La Poste est un service public. L’intelligence artificielle doit non pas remplacer l’humain, mais être à son service, afin de permettre au groupe de se recentrer sur ses missions fondamentales.

En ce sens, madame la ministre, comment garantir le développement et l’usage de l’intelligence artificielle dans les activités de La Poste sans que cela nuise à l’emploi et à l’humain ? Plus globalement, l’usage de l’IA dans ces services publics permet-il d’engendrer des économies durables, sans pour autant dégrader leur qualité ?

Madame la ministre, mes chers collègues, il nous revient collectivement de garantir la pérennité de La Poste dans ses missions historiques, tout en l’accompagnant vers l’avenir. Pour y parvenir, trouvons ensemble le juste équilibre entre innovation technologique et ancrage territorial. (Mme Guylène Pantel applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Beaucoup de questions dans votre intervention, monsieur le sénateur !

La première chose positive que l’on peut dire, c’est que La Poste s’est diversifiée et qu’elle a réussi à rentabiliser son réseau unique – ses 17 000 points de contact – en développant de nouvelles activités, notamment de proximité, au service par exemple des personnes âgées ou dépendantes.

En ce qui concerne le numérique, Docaposte, filiale – remarquable – du groupe, a développé des offres dans le numérique de confiance, via des services que beaucoup de nos concitoyens connaissent, comme l’identité numérique sécurisée, ou au travers des services liés à la santé, que vous avez évoqués. Le meilleur moyen de défendre collectivement l’aménagement du territoire, la présence locale, consiste à soutenir la diversification et la rentabilité des activités du groupe.

Par ailleurs – je le sais d’autant mieux que je suis également ministre chargée des comptes publics –, l’État s’engage à stabiliser son financement ; il n’y a pas de projet visant à réduire notre soutien à ces missions essentielles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 21 mai dernier, La Poste organisait dans quelques-uns de ses bureaux la Fête de l’écrit, une initiative aussi poétique que symbolique destinée à remettre en lumière le lien entre les mots, les citoyens et l’acte d’écrire, dans un monde désormais saturé de numérique. Cette manifestation nous rappelle une vérité fondamentale : la mission de La Poste dépasse le simple transport d’objets ou de messages ; La Poste est un vecteur de lien social, de proximité et de continuité républicaine.

Dans un contexte de transformation profonde de ses activités, La Poste est confrontée à une tension structurante : concilier adaptation économique et maintien de son activité, capitale, de service public. Cette tension prend un relief particulier dans nos territoires ruraux, que je souhaite aujourd’hui placer au centre de notre réflexion.

J’ai travaillé pendant plus de trente ans à La Poste. Tout au long de mes années dans cette maison, j’ai assisté sur le terrain aux premières grandes transformations de l’entreprise : réorganisations, restructurations, numérisation, diversification ; j’ai aussi vu des agents s’adapter et des territoires se battre pour garder leur bureau.

La Poste est plus qu’un opérateur, elle incarne une certaine idée de la République au quotidien. C’est pourquoi je remercie la commission des affaires économiques de cette demande de débat. C’est un signal fort adressé aux élus locaux, aux agents et à l’ensemble de nos concitoyens attachés à ce service public de proximité.

En 2024, le groupe La Poste a réalisé un chiffre d’affaires de 34,6 milliards d’euros, ce qui traduit une progression de 1,5 % par rapport à l’exercice précédent. Le résultat net atteint 1,4 milliard d’euros, principalement grâce aux bons résultats de CNP Assurances et à la cession de La Poste Mobile à Bouygues Telecom.

Parallèlement, selon la Caisse des dépôts et consignations, le volume du courrier a poursuivi sa baisse structurelle, avec une diminution de 8,2 % en 2024. Le volume des colis a quant à lui augmenté de 2,7 %, grâce à la croissance de Geopost et de Colissimo. Je ne m’étendrai pas davantage sur les données chiffrées, mais celles-ci nous permettent de prendre la mesure de l’activité du groupe et de la bonne exécution des missions de service public, comme la distribution du courrier et de la presse ou l’accessibilité bancaire.

Toutefois, l’activité du groupe ne s’arrête pas là, puisque La Poste assume aujourd’hui d’autres missions, que nous souhaitons saluer ici. Elle est, par exemple, un pilier du maintien à domicile en zone rurale. En Lozère, près de 6 000 repas sont livrés chaque mois, ce qui contribue au maintien à domicile de nos seniors. Les facteurs, formés à la relation avec ces publics, jouent en outre un rôle de veille sociale. Nous soutenons donc les ambitions du groupe visant à développer ces services.

Cependant, derrière l’enthousiasme relatif à la diversification des activités se cachent des fragilités, ponctuellement évoquées par les directions générales successives et les agents. Nous nous souvenons tous de l’annonce de M. Wahl, à la rentrée 2024, concernant la possible réduction de 50 millions d’euros du budget alloué au contrat de présence postale territoriale, qui finance notamment les agences postales communales et les relais commerçants. Cette annonce avait suscité l’inquiétude des élus locaux, mais ceux-ci ont ensuite été rassurés quand l’État a décidé de maintenir sa contribution financière pendant quelques années.

Ces épisodes se sont également accompagnés de quelques suppressions d’effectifs et de fermetures partielles de bureaux de poste, affectant la qualité du service public, l’atmosphère de travail et le maillage actuel de services. À ce sujet, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen réaffirme son attachement aux agences postales communales ou intercommunales, ainsi qu’aux points de contact labellisés France Services. Ces dispositifs répondent aussi au besoin de présence humaine.

Le groupe du RDSE souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la question de la suppression des boîtes aux lettres de rue. Dans le département des Hautes-Pyrénées, par exemple, sur 913 boîtes aux lettres de rue, 137 sont susceptibles d’être retirées en raison du faible nombre de courriers déposés. Si nous comprenons les motifs de cette décision, nous demandons que le maillage de ces boîtes reste dense.

Le groupe La Poste est une entité précieuse à préserver et à renforcer. L’État doit donc compenser à l’euro près ses dépenses de service public.

Dans ce contexte, le Gouvernement entend-il garantir un financement pérenne du service universel postal, à la hauteur des besoins, y compris dans les territoires peu denses ?

Quel est l’avenir du fonds de présence postale territoriale au-delà de 2025 ? Madame la ministre, allez-vous maintenir, voire renforcer, son enveloppe ?

Enfin, comment entendez-vous associer les représentants des postiers et les élus territoriaux à la définition des missions futures du groupe ? (Applaudissements sur les travées des groupes du RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, je le dis et je le répète avec force, nous ne projetons aucun coup de rabot ni aucune économie de bouts de chandelle sur le soutien à La Poste. Ce groupe assure quatre missions de service public essentielles et notre objectif est que chacun des 17 000 points d’accès aux services postaux définis par la loi, qu’il s’agisse d’une agence postale à proprement parler ou d’une agence communale – une réflexion est également en cours pour mieux valoriser les maisons France Services –, soit un lieu connu, visité, utile et servant au mieux les Français.

La Poste a beaucoup d’idées sur le sujet, et les élus aussi. Beaucoup d’actions ayant suscité quelques doutes lors de leur lancement se sont révélées être, dans nombre de territoires, des modèles efficaces et répondant, je crois, aux besoins. C’est ce mouvement que nous voulons accompagner.

Vous dites également, et cela me semble très pertinent, que nous devons prêter une attention particulière aux activités de transport de colis, qui ont permis à La Poste de gagner en rentabilité, ce qui est très utile pour l’équilibre de son modèle économique.

Or je suis aussi chargée de la tutelle des douanes, qui suivent tous les enjeux liés aux petits colis. Vous avez tous entendu parler dans cet hémicycle de la submersion des petits colis en provenance d’Asie, qui font concurrence à nos commerces mais également à notre logistique. Ainsi, dans un secteur où La Poste a construit, comme de très nombreux opérateurs ailleurs en Europe, un modèle viable et rentable, nous devons nous prémunir contre une forme de dumping ou de concurrence déloyale de la part d’entités localisées à l’étranger et reposant sur des circuits de financement très complexes.

Je coiffe maintenant ma casquette de ministre chargée des comptes publics : nous suivons tout cela de très près avec Tracfin et le renseignement douanier, parce qu’il serait regrettable que cette tendance déstabilise nos commerces, nos industries et notre chaîne logistique. En effet, de premiers signaux nous indiquent une très forte pression sur le « dernier kilomètre », qui constitue un enjeu fort pour la stabilité financière de La Poste.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour la réplique.

Mme Guylène Pantel. Je vous remercie de vos propos rassurants, madame la ministre, mais n’oublions pas les agents de La Poste, qui constituent l’entreprise et dont les habitants sont très proches. Ils assurent une forme de lien social.

Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier la commission des affaires économiques d’avoir demandé la tenue de ce débat de circonstance, puisque nous sommes dans la dernière année couverte par le sixième contrat de présence postale territoriale. Ce contrat, conclu entre La Poste, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et l’État pour la période 2023-2025, fixe le cadre permettant à La Poste de contribuer à la mission de service public d’aménagement du territoire.

À ce titre, il prévoit les règles prévues pour l’adaptation de son réseau, censé compter 17 000 points de contact. Il détermine également les règles de gestion du fonds de péréquation territoriale, conçu pour bénéficier de manière prioritaire aux zones qui en ont le plus besoin – zones rurales, zones de montagne, quartiers prioritaires de la politique de la ville et territoires d’outre-mer. Enfin, il prévoit un financement à hauteur de 177 millions d’euros par an.

Or, tandis que ce contrat approche de sa fin, il me paraît nécessaire d’en souligner les limites. En effet, La Poste peine à atteindre son objectif de 17 000 points de contact. Ainsi en février 2025, elle n’en comptait que 16 829. Cette différence de 171 points de contact peut sembler anecdotique, mais je pense que ce n’est pas ainsi que la perçoivent les communes qui ont perdu le leur ou qui en attendent un…

De même, alors que le seuil de 17 000 points de contact n’est pas atteint, on ne peut que s’étonner d’entendre, dans nos départements respectifs, des maires nous faire part de menaces de fermeture du bureau de poste de leur commune. De telles décisions risquent d’éloigner encore un peu plus La Poste des objectifs qui lui ont été assignés et qu’elle s’est engagée à respecter.

Par ailleurs, La Poste argue souvent de la chute de la fréquentation des bureaux pour justifier leur fermeture, le plus souvent en milieu rural. Il me paraît aujourd’hui nécessaire de pondérer ce critère en fonction de la densité de population, afin que La Poste prenne mieux en compte la réalité des communes de moins de 2 000 habitants.

Je m’interroge aussi sur la lente érosion en 2024 du nombre de points relais de La Poste, alors que ce dispositif est souvent montré comme une solution permettant le maintien d’un service postal. J’espère qu’il ne s’agit là que d’un phénomène conjoncturel.

De même, si les maisons France Services peuvent constituer une solution de remplacement positive, en proposant des services postaux dans certains endroits, il paraît difficile d’en créer une partout où le besoin existe.

Il serait donc utile d’éclairer la représentation nationale sur le futur contrat de présence postale territoriale : qu’attend l’État de La Poste en matière d’aménagement du territoire pour les trois prochaines années ? Êtes-vous, madame la ministre, en mesure de nous rassurer sur le maintien de ces 17 000 points de contact ? Ou leur diminution est-elle déjà actée, sous prétexte – justification facile – des difficultés budgétaires du pays ?

En réalité, l’État a aussi sa responsabilité dans cette situation, puisqu’il a sous-compensé historiquement le coût des missions de service public qu’il a confiées à La Poste ; du reste, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), la CSNP et l’ONPP l’ont établi à plusieurs reprises.

Dans ces conditions, je comprends que La Poste cherche à tout prix à diversifier ses activités, en proposant de plus en plus des services tournés vers l’inclusion numérique et sociale. Mais à trop se diversifier, un autre risque apparaît, celui de l’éparpillement. Si je suis curieuse d’entendre sur ces sujets le candidat – ou la candidate – qui sera proposé par le Président de la République pour succéder au président-directeur général Wahl, le Gouvernement détient néanmoins une partie des réponses et j’espère que vous serez en mesure de nous les donner, madame la ministre.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, je veux vous rassurer sur trois points.

D’abord, il n’y a pas de fermeture massive de bureaux postaux. S’il y en avait, il n’y aurait pas 16 850 bureaux de poste et nous ne pourrions pas atteindre l’objectif légal des 17 000 points de présence. Il faut être lucide à cet égard : il peut y avoir des fermetures, mais elles sont toutes compensées par des ouvertures. Sans cela, l’objectif fixé par la loi ne pourrait être atteint. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de réorganisation, je ne vais pas prétendre que rien ne change, que rien ne bouge.

Ensuite, il y a aujourd’hui 3 000 maisons France Services dans le pays. J’ai eu la grande fierté de soutenir, avec Jacqueline Gourault, la politique qui a conduit à la création de ces établissements, quand nous étions toutes les deux ministres du même gouvernement, après notamment l’épisode des « gilets jaunes ». Ce réseau fonctionne très bien. Il est vrai que, dans 2 000 communes de France, il y a à la fois un espace – maison ou bus – France Services et des services postaux séparés. Je ne suis pas en train d’annoncer que, dans ce cas, il n’y aura plus que l’un ou l’autre, mais cela peut être un élément de réflexion intéressant, en faveur de la mutualisation, là où les élus veulent le faire évoluer.

Enfin, sur le contrat de présence postale territoriale 2023-2027 contenant une clause de revoyure en 2025, il se trouve que le changement de gouvernance à la tête de La Poste ainsi qu’un un certain nombre d’éléments dont je n’ai pas le détail ont amené l’AMF – l’un des signataires de ce contrat tripartite – à demander le report d’un an de l’application de cette clause de revoyure, qui est donc décalée à 2026. Le contrat sera donc révisé un peu plus tard, une fois la nouvelle direction installée.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à me montrer digne, à l’occasion de ce débat, de l’héritage culturel et politique que nous a légué Alexandre Glais-Bizoin, élu député des Côtes-du-Nord en 1831.

Ce député, issu d’une famille de négociants en toiles, siégeait sur les bancs situés à gauche de l’hémicycle. Très actif sous la monarchie de Juillet puis sous le Second Empire, il s’est notamment illustré dans la constitution du système postal. Il est ainsi connu pour avoir proposé l’adoption d’un tarif unique d’envoi d’une lettre, indépendamment de la distance. Il s’engagea entre 1839 et 1847 pour l’adoption du tarif postal unique, finalement adopté en 1848. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le principe de l’égalité d’accès au service public, devenu un principe constitutionnel.

Ce bref rappel historique, que chacun connaît ici, peut paraître décalé. Pourtant, cette grande ambition publique, destinée à favoriser la communication et les échanges entre les hommes, a permis à la fois l’acheminement de la lettre à J+1 et, plus tard, la réalisation des systèmes de communication par satellite.

J’ai pour ma part en mémoire la première liaison intercontinentale établie entre les États-Unis et Pleumeur-Bodou, inaugurée par le général de Gaulle le 19 octobre 1962. Il s’ensuivit l’implantation, à Lannion, du Centre national d’études des télécommunications (Cnet), qui, entre autres activités, mit au point un autocommutateur grand public et le premier central numérique grand public de type E10 – prototype Platon –, inauguré à Guingamp en 1972. Cette grande ambition publique partagée, à l’ère du gaullisme, nous a permis non seulement de rattraper notre retard mais encore de nous hisser au premier rang mondial des technologies et modes de communication.

Depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts. Il est loin le temps – c’était en 1963 – où notre maman écrivait régulièrement à sa cousine habitant à Rouen et savait que, si elle la postait à l’agence de Plufur avant seize heures, sa lettre serait assurément distribuée dès le lendemain à Rouen. (Sourires.) Désormais, les choses vont beaucoup plus vite, mais l’acheminement du courrier, lui, prend de plus en plus de temps… (Nouveaux sourires.)

Cela dit, le contexte de ce débat, c’est aussi l’annonce de la fermeture, chez nous comme ailleurs, d’un certain nombre de bureaux de poste et de restructurations, sur le fondement de décisions prises sans tenir compte de l’avis des collectivités.

Tout cela me conduit à vous interroger sur trois points, madame la ministre. D’abord, quel sera l’avenir des 17 000 bureaux de poste ? Ensuite, quel statut envisagez-vous de donner aux salariés de La Poste et où en sommes-nous à ce sujet ? Enfin, quelle ambition de développement nourrissez-vous pour les métiers de la communication ?