Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez parlé d’histoire et de ce qui nous lie, vous avez expliqué comment l’écrit créait des liens.

Moi aussi, je vais vous raconter une histoire, celle de ma fille de 14 ans qui écrit régulièrement à son arrière-grand-mère, qui en a presque 110. Ses lettres mettent certes trois jours à arriver, mais ce lien-là a une grande valeur sentimentale.

Sans doute, à côté de ces courriers ayant une valeur sentimentale, il y a aussi les nombreuses lettres que nous continuons d’envoyer – vingt par personne et par an en moyenne –, qui ont une valeur administrative, formelle ; donc, il ne s’agit pas de minimiser la valeur de ce qui est écrit et inséré dans nos boîtes aux lettres. Simplement, je trouvais utile de souligner moi aussi l’aspect humain du sujet : derrière l’entreprise, la logistique et la rentabilité se trouvent aussi des valeurs humaines.

L’État, La Poste, croient-ils aux métiers de la communication numérique ? La réponse est oui, mille fois oui !

J’ai reçu, voilà à peine quelques jours, l’équipe dirigeante de Docaposte. Cette filiale conduit des missions essentielles pour l’État : fournir des services de cloud sécurisé, faciliter la lutte contre la fraude, faciliter la sécurisation des documents, fournir une identité numérique de qualité, etc. Je ne vais pas vous faire la liste des projets dont nous avons traité, mais je souhaite souligner l’importance du champ du numérique en santé – je ne doute pas que les questions d’actualité au Gouvernement de demain seront l’occasion d’y revenir –, dont nombre d’acteurs français, publics et privés, perçoivent le potentiel d’efficacité, de performance, pour améliorer le système de santé sans dégrader l’accès aux soins et la qualité des soins pour les Français.

Je vous remercie donc de votre rappel historique, monsieur le sénateur. Je vous ai fait part d’un peu d’humanité familiale ce soir et vous pouvez compter sur moi, en tant que ministre, pour accompagner le progrès sans jamais oublier l’humain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le service universel assuré par La Poste constitue un pilier essentiel de notre service public, mais – cela a été dit – l’aménagement du territoire, l’accessibilité bancaire ou encore le transport et la distribution de la presse sont des missions tout aussi importantes, et même fondamentales, dans le maintien du lien social et la garantie de l’égalité territoriale.

Cela dit, nous le savons, ces missions sont aujourd’hui fragilisées. Depuis la privatisation de 2010, la qualité du service s’est dégradée, les horaires se sont restreints, des bureaux ont fermé, des emplois ont disparu, le métier de facteur s’est précarisé, avec une sous-traitance de plus en plus courante, qui affaiblit les droits et la protection des travailleurs. Je vous interrogerai sur ce point dans quelques minutes, madame la ministre.

Les mesures d’austérité budgétaire, telles que la fin de l’offre « Livres et Brochures », menacent aussi, par ricochet, la librairie indépendante, l’édition et le rayonnement de la culture française. Nos concitoyens à l’étranger s’en plaignent également.

Vous parliez de fermeture de bureaux. En tant qu’élue du 20e arrondissement de Paris, je me suis engagée contre les fermetures de bureaux de poste sur le territoire. Vous évoquiez le chiffre de 17 700, madame la ministre ;…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. 17 000 tout court !

Mme Antoinette Guhl. … il s’agit de points de contact. En ce qui concerne les bureaux de poste de plein exercice, voici les chiffres : 9 300 en 2015, contre moins de 7 000 aujourd’hui.

Je sais à quel point ces espaces sont vitaux pour les habitants, et notamment pour les plus âgés et les plus isolés. Je tiens à affirmer ici notre attachement au maintien de l’accueil physique et du contact humain, qui ne sauraient disparaître sous prétexte de rentabilité.

Madame la ministre, j’ai donc plusieurs questions à vous poser.

Face à l’ubérisation constatée du métier de facteur, pouvez-vous nous confirmer qu’il n’existe plus à La Poste de contrats GEL (groupement d’employeurs logistique) pour les emplois de facteur, ainsi que nous l’avions demandé il y a quelque temps ici même ?

Par ailleurs, Shein et Temu – vous y avez fait allusion tout à l’heure – représentent 22 % de l’activité colis de La Poste. La fin des exonérations douanières sur les petits colis risque de fortement réduire cette activité. Cette évolution a-t-elle été anticipée ? Quelles mesures sont-elles prévues pour en limiter les conséquences ?

Nous assistons sur tous les territoires, disais-je, à des fermetures de bureaux de poste qui traumatisent les habitantes et les habitants. Serait-il possible – c’est l’élue locale qui vous parle – que La Poste, qui détient un capital immobilier sans égal, informe les élus locaux en cas de vente ou de fermeture de locaux, et qu’une concertation ait lieu avec eux sur l’avenir du lieu ?

Le service universel postal étant attribué à La Poste jusqu’à la fin de 2025, je souhaiterais savoir également ce qui adviendra après cette date, mais vous avez déjà largement répondu à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Premier point, l’offre « Livres et Brochures », destinée aux particuliers, était formidable : elle permettait d’envoyer des livres à l’autre bout du monde et de bénéficier pour ce faire d’une tarification spéciale en deçà d’une franchise qui fut d’abord fixée à 5 kilogrammes, avant d’être réduite à 2 kilogrammes.

Ce qui était beaucoup moins formidable, c’est que 90 % des pays dans le monde ont progressivement arrêté de prendre en charge, comme ils le faisaient auparavant, les livres et brochures qui arrivaient chez eux par ce biais. Nous pouvions donc nous faire plaisir en envoyant des livres à l’étranger, mais, une fois arrivés sur place, soit ces colis n’étaient pas très bien traités, soit ils l’étaient dans des délais très longs, soit l’opérateur postal qui réceptionnait ces enveloppes lourdes considérait qu’il n’était pas payé au bon tarif pour les distribuer.

Autrement dit, ça ne marchait pas bien. La Poste a donc souhaité privilégier les envois groupés, qui coûtent moins cher et sont de surcroît beaucoup plus fiables.

Je redis qu’il n’y a là aucun enjeu pour les librairies : nous parlons là d’envois non marchands par des particuliers.

Deuxième point : les contrats dits GEL relèvent d’une décision managériale interne à La Poste ; je ne dispose donc pas d’éléments à ce sujet. Vous pourrez lui poser la question quand vous recevrez le prochain président ou la prochaine présidente du groupe.

En revanche, sur Shein et sur Temu, nous avons une divergence de vues assez forte. J’essaie bien sûr de tout anticiper. Mais mon objectif n’est pas que l’on maximise le nombre de livraisons pour que La Poste ait des colis à transporter. Mon objectif est que l’on arrête de faire entrer chaque année dans notre pays 800 millions d’articles expédiés par ces plateformes, dont 80 % sont non conformes :…

Mme Antoinette Guhl. Nous sommes d’accord !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … non conformes du point de vue de la sécurité des Français, parce qu’il s’agit par exemple de jouets dangereux pour les enfants ou de produits cosmétiques allergènes ; non conformes aussi parce qu’il s’agit bien souvent d’articles de contrefaçon ; non-conformes, enfin, car la sous-déclaration est massive.

Constatant que Shein et Temu représentent 22 % de l’activité de La Poste, je suis très loin d’y voir une nouvelle formidable. Bien au contraire, si nous ne faisons rien, nous allons fragiliser nos commerçants et nos industries. C’est pourquoi la France a pris le leadership, comme on dit en bon français, d’une coalition européenne dont l’objectif est de financer, dès l’année prochaine, les contrôles que manifestement ces plateformes n’opèrent pas elles-mêmes, ce qui suppose de mobiliser des douaniers et des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour effectuer le travail de contrôle et faire en sorte que la tendance actuelle s’interrompe. Je le rappelle, le nombre d’articles expédiés dans notre pays par ces plateformes a doublé en 2024 – 800 millions – par rapport à 2023 – 400 millions.

Que l’on me comprenne bien : je suis ravie que ces livraisons de colis occupent La Poste et Geopost, mais je serais plus ravie encore si les Chinois et un certain nombre d’acteurs asiatiques ne pratiquaient plus de dumping sur la filière.

J’y insiste, mon objectif est non pas de maximiser le nombre de colis livrés par La Poste, mais de protéger nos industries, de protéger les Français et de nous donner les moyens de contrôler. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour la réplique.

Mme Antoinette Guhl. Sur ce dernier point, madame la ministre, tel n’était pas du tout le sens de mon propos : nous nous passerions bien, en effet, de tant de colis émanant de ces deux grandes marques chinoises. Toujours est-il que la décision que j’évoquais va fragiliser un peu plus La Poste. Comme il s’agit du sujet du soir, telle était bien la question que je voulais vous poser.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier la Haute Assemblée pour l’organisation de ce débat ô combien nécessaire sur l’avenir du groupe La Poste, à quelques mois d’échéances structurelles pour ce service public fondamental.

Nous sommes à quelques jours du départ annoncé de Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, dont je veux saluer le très bon travail, sans que la question de sa succession soit encore clarifiée. Si aucun nom n’est proposé rapidement, nous le savons, il faudra recourir à un intérim ; ce flou à la tête du groupe ne rassure pas, d’autant qu’il coïncide avec une période charnière pour l’avenir des missions de service public confiées à La Poste. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quand le remplaçant – ou la remplaçante – du président sera nommé ?

Le contrat de présence postale territoriale, pilier de l’aménagement du territoire, arrive à échéance le 31 décembre 2025. Une prolongation d’un an serait évoquée pour laisser au futur dirigeant le temps de renégocier ; mais pouvons-nous nous contenter d’un simple sursis ?

Je suis élu d’un département rural, l’Ariège, où le bureau de poste ou l’agence communale n’est pas seulement un lieu de service : c’est souvent le dernier repère républicain, le dernier visage humain du service public dans nos villages. C’est parfois ce lieu qui permet aux habitants âgés ou isolés d’être accompagnés dans leurs démarches, de recevoir leurs médicaments ou simplement d’échanger un mot avec le facteur.

Les salariés de La Poste font d’énormes efforts pour s’adapter au nouveau contexte dans lequel le groupe évolue. Leurs tournées changent ainsi constamment, comme leurs missions, avec à la clé un alourdissement significatif de leur charge de travail. Toutes ces évolutions dans les conditions de travail ont parfois pour conséquences une augmentation de la souffrance au travail et une augmentation des arrêts de travail.

Madame la ministre, le statut des salariés va-t-il évoluer ? Si la Cour des comptes, dans sa note publiée en février dernier sur la trajectoire financière de La Poste, identifie avec justesse les tensions économiques auxquelles le groupe est exposé, elle adopte une lecture comptable et suggère de revoir la fréquence de distribution, de recentrer les activités dites non rentables, donc d’interroger l’avenir même du service universel postal, dont La Poste est opérateur jusqu’à la fin de 2025.

Le Gouvernement, dans sa réponse à la Cour, parle de « réforme structurante », de « rationalisation », d’« adéquation entre coût et usage ». Ces mots, nous les entendons souvent dans la bouche de ceux qui veulent justifier un retrait progressif de l’État dans nos territoires ; j’espère que telle n’est pas votre intention en l’espèce.

Je le dis avec gravité et conviction, il ne saurait y avoir de République à deux vitesses, une République des métropoles bien pourvues et une République des campagnes reléguées.

À l’heure où l’inflation ralentit et où les résultats financiers de La Poste repartent à la hausse, comment accepter que ce redressement serve à préparer le retrait du service postal en zone rurale ? Tel n’est peut-être pas l’objectif, mais la réponse du Gouvernement au référé de la Cour peut être lue ainsi.

Les agences postales communales, qui représentent une solution équilibrée de proximité, risquent de ne survivre que dans les communes les plus riches. Il y aurait là une rupture d’égalité que nous ne saurions accepter.

Madame la ministre, quel sera le processus de redéfinition du service universel postal pour 2026 ? Le Parlement y sera-t-il pleinement associé ? Pouvez-vous nous garantir que les agences rurales seront pérennisées et accompagnées ?

Le Sénat, représentant des territoires, doit être pleinement acteur de cette réflexion stratégique. La Poste – cela a été dit par tous mes prédécesseurs – n’est pas une entreprise comme les autres : elle est un acteur de la cohésion nationale. Si, demain, elle perd son ancrage territorial, non seulement les lettres ne seront plus distribuées, mais des morceaux entiers de la République ne parviendront plus jusqu’à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Antoinette Guhl applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux vous rassurer. Beaucoup de choses que vous dites donnent l’impression qu’il y aurait un plan de réduction de la présence postale. Je vais répondre par la même occasion au sénateur Chaize, qui nous dit en substance que le Sénat aimerait redonner un cap au groupe La Poste par un débat parlementaire et par une loi. Je ne dis pas qu’un tel débat ne va pas avoir lieu. Mais ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui la loi c’est la loi ; or la loi dit : 17 000 points de contact.

Vos craintes pourraient être fondées si cette loi n’existait pas. Mais la loi, précisément, personne n’est en train de la changer !

Le contrat de présence postale vise à organiser cette présence sur le territoire des 17 000 points et à définir leur nature, leurs missions, les nouveaux services qui y sont déployés. Je veux donc vraiment vous rassurer : La Poste n’est en effet pas une entreprise comme les autres. Très peu d’entreprises voient la magnitude et la typologie de leur réseau inscrites dans la loi française ; c’est même la seule entreprise qui y est ainsi définie. (M. Guillaume Gontard sexclame.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne définissons pas avec vous le nombre de points de présence sur le territoire des services des impôts ou des caisses d’allocations familiales : seule La Poste répond à un tel objectif.

Encore une fois, je veux vraiment vous rassurer : il n’y a pas de plan caché. Et ce n’est pas parce qu’un nouveau président-directeur général sera nommé avant le 25 juin qu’un tel plan existe ! En tout état de cause, vous aurez la chance d’auditionner le candidat proposé pour occuper ces fonctions avant le 25 juin, puisqu’il faut qu’à cette date le nouveau président-directeur général soit en place.

Il n’y a pas, disais-je, d’agenda caché : cela fait longtemps que les nouveaux embauchés sont des salariés de droit privé et il n’y a pas de transition à effectuer ni de réforme à faire. Je veux donc vraiment, par ces quelques mots, rassurer – je le répète. Monsieur le sénateur, vous faites état d’inquiétudes qui pourraient être légitimes, mais qui ne correspondent à rien de ce qui est aujourd’hui sur la table, puisqu’il n’y a tout simplement pas de table pour négocier quoi que ce soit de cette nature.

Oui, les agences communales sont maintenues. Oui, évidemment, nous allons continuer de les faire bien fonctionner là où les maires en accompagnent l’activité. Reste qu’il y a certainement des évolutions intelligentes à mettre en œuvre. Un exemple : dans les 2 000 communes où coexistent un bureau de poste et une maison France Services, ces structures ont des choses à faire ensemble. Mais l’objectif des 17 000 points de contact ne changera pas : si l’on modifie la présence postale quelque part, cela signifie qu’il devient possible d’ouvrir ailleurs un autre point de contact.

Dernier point : votre collègue vient de dire qu’il n’était pas facile de compter sur un bureau de poste ouvert dans le 20e arrondissement de Paris. Il n’y a donc pas de France à deux vitesses : il n’y a pas la France des villes et celle des campagnes. Il y a la France tout court et la loi pour tout le monde !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.

M. Jean-Jacques Michau. Madame la ministre, je vous remercie de ces mots, qui sont susceptibles de me rassurer pour partie.

Je précise néanmoins, à titre d’exemple, que les conventions passées entre La Poste et les communes pour la création des agences postales communales étaient auparavant d’une durée de neuf ans, contre trois ans désormais. Les élus se demandent donc comment les renouvellements vont se dérouler une fois les conventions échues.

Voilà un exemple des craintes des territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 1989 est une date doublement historique. Ce fut le jour, bien sûr, de la chute du mur de Berlin, mais ce fut aussi et surtout, pour votre serviteur, une journée qui débuta à cinq heures du matin par le tri du courrier et qui finit à dix-huit heures par la fin de ma tournée.

Le 9 novembre 1989, j’avais 20 ans et c’était mon premier jour en tant que facteur dans l’administration des PTT, pour ce qui n’avait donc rien à voir avec un petit travail tranquille.

J’avais terminé la distribution tellement tard que, par-dessus le marché, un usager parisien m’avait demandé avec mépris et condescendance s’il ne s’agissait pas du courrier du lendemain ! Comment, dès lors, ne pas supporter l’Inter Milan samedi prochain ?…

Épuisé, piqué dans mon orgueil de Marseillais, fallait-il que je m’accroche au guidon de mon vélo pour ne pas craquer ; mais j’ai tenu bon, porté par l’exemple des anciens dont je constatais l’investissement personnel, qui se concrétisait au quotidien, au-delà de leur activité purement professionnelle, par des services rendus au public, aux gens – on ne les appelait pas encore des « clients ».

À l’époque, les facteurs prenaient des nouvelles des personnes âgées ou isolées, remplissaient leur paperasse, acceptaient de prendre quelque argent pour l’achat de timbres, ne déposaient pas d’avis de passage en cas d’absence, mais présentaient à nouveau les recommandés au domicile le lendemain pour leur éviter de se déplacer au bureau de poste.

L’oiseau bleu évoquait non pas un réseau social numérique américain, mais un service postal enraciné dans nos villes et villages et dont la promesse, reposant sur le lien et sur le service, était la transmission, la rapidité et l’efficacité.

C’est ce qui avait convaincu Michel Audiard d’affirmer, par la bouche de Jean Gabin dans le film Le Cave se rebiffe, en 1961, que l’administration des PTT nous était enviée dans le monde entier car ses agents étaient les seuls qui ne perdaient jamais rien, quand le service public rimait encore avec rigueur et proximité.

Depuis, cette administration a été démantelée sous la houlette du ministre socialiste – socialiste ! – Paul Quilès. En défaisant son statut, la gauche a déboulonné une statue. Si le timbre est passé du rouge au vert, la confiance et la fiabilité, elles, ont fait le chemin inverse.

La disparition progressive des services postaux, la fermeture des bureaux ou la réduction des horaires, la distribution aléatoire participent du grand recul des services publics dans nos communes.

Aussi suis-je régulièrement aux côtés des maires et des Provençaux qui ne se résignent pas à ce déclassement et à cette inégalité d’accès.

La Poste s’est transformée en multinationale, elle délocalise, elle fait désormais son chiffre d’affaires grâce à l’assurance et à la banque, La Banque postale se réservant même le droit de virer sans raison et sans appel ses clients parlementaires ! À la recherche de parts de marché, cette société au capital 100 % public se désengage de pans entiers de nos territoires.

C’est pourquoi, madame la ministre, je vous pose la question suivante : alors que la multinationale américaine Amazon a investi en France 1,2 milliard d’euros l’année dernière et vient d’annoncer 300 millions d’euros d’investissement cette année, avec 1 500 emplois à la clé, pour mailler le territoire et développer son réseau, comment la France prévoit-elle de faire face souverainement ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. J’ai du mal, monsieur le sénateur, à vous suivre complètement. Je ne sais pas bien ce que La Poste délocalise : elle ne délocalise pas les 17 000 points de contact, ni les 60 000 facteurs, ni non plus le chiffre d’affaires de son activité de transport de colis. Je ne sais donc pas très bien de quoi vous parlez.

En revanche, je tiens à remercier les agents actuels du service postal, car on a l’impression, à vous entendre, que les facteurs d’antan étaient tous formidables et que ceux d’aujourd’hui le seraient beaucoup moins.

Pour ma part, je ne connais pas beaucoup de facteurs qui seraient vus par nos concitoyens comme ne faisant pas leur travail sérieusement ou qui distribueraient « aléatoirement » – je vous cite – le courrier. Qu’il y ait des difficultés, je ne le nie pas – j’ai été députée d’une circonscription où est implantée, à Wissous, la plus grande plateforme de tri de La Poste. Il y a évidemment des difficultés, celles que rencontrent tous les services qui gèrent de telles masses.

Reste qu’il serait aujourd’hui malvenu de critiquer le travail des agents. Que La Poste ait vécu des moments où il lui a fallu innover, investir, changer ses modèles, c’est certain. Mais nous ne pouvons pas dire ce soir, devant le Sénat de la République, que La Poste est une entreprise qui serait en train de délocaliser et de perdre ses racines et son âme. De tels propos ne correspondent ni à ce que l’on vit et voit sur le terrain ni à l’expression collective qui ressort de notre débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.

M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour certains, probablement les plus anciens d’entre nous – moi le premier –, ce sont les premières lettres d’amour ; pour d’autres, c’est un livret A ou une ligne de téléphone ; pour les plus jeunes, ce sera peut-être, demain, le code de la route. Je pourrais continuer longtemps : pour certaines communes, c’est le dernier distributeur de billets, le seul prestataire qui veut bien venir distribuer le journal, ou la seule personne qui passe s’assurer que l’un de nos proches va bien.

Bref, La Poste fait partie de la vie de chacun des Français, au gré des évolutions de notre époque et des évolutions du service. Je crois pouvoir dire ici que nous y sommes tous attachés, tant La Poste fait partie du patrimoine de notre pays. Grâce à nos postiers, un peu d’humanité circule dans nos campagnes et dans nos villes. C’est bien pourquoi il est bon de débattre aujourd’hui de ce que La Poste devrait être demain.

La transition est ainsi toute trouvée avec le débat précédent, qui fut l’occasion de nous interroger sur la manière dont nos politiques publiques peuvent contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays. Pour nos campagnes, en effet, ce débat sur l’avenir de La Poste peut apporter sa part de réponses, mais pas seulement, bien entendu.

Depuis qu’elle est née, il y a cinq siècles, La Poste s’est adaptée à chaque époque pour acheminer des courriers toujours plus nombreux. Aucun autre service public – aucun autre service public ! – ne s’est autant adapté pour les besoins de la population.

Récemment, La Poste a dû évoluer dans sa chair, avec la réforme des PTT, en 1990, puis la libéralisation des services postaux, le changement de statut étant acté en 2010. Et, depuis une quinzaine d’années, le défi s’est inversé. Nous envoyons de moins en moins de plis postaux : 18 milliards en 2008, 6 milliards en 2023, 5 milliards en 2024. Nul besoin d’avoir un prix Nobel d’économie pour comprendre que, financièrement, si rien ne bouge, ça va coincer… Dans le privé, la situation qui résulte d’une telle tendance pourrait s’appeler un dépôt de bilan.

La Poste s’est donc livrée, dans cette période, à une recherche effrénée de croissance externe, afin de justifier son existence dans son format actuel. Je veux le dire clairement – c’est un préalable impératif, me semble-t-il, à tout débat sur l’avenir de La Poste : l’État doit lui garantir une compensation intégrale pour qu’elle puisse continuer d’exercer son cœur de métier, à savoir un service universel postal, dans tous nos territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains. On ne peut pas lui reprocher de s’éparpiller et, dans le même temps, constater qu’on ne lui donne pas les moyens de remplir sa mission originelle et principale.

Aujourd’hui, La Poste, c’est la distribution du courrier et de la presse, le portage de repas à domicile dans nos campagnes, mais aussi trois banques, des assurances, de la prévoyance, de la finance, de la téléphonie mobile, la possibilité de passer des examens, et probablement encore d’autres choses.

Mes chers collègues, modernité ne rime pas toujours avec diversité, n’en déplaise à certains. Il est parfois bon de se recentrer sur l’essentiel. Pour ma part, je suis fermement convaincu que l’avenir de La Poste n’est pas dans la multiplicité des activités en tout genre. Partie intégrante du patrimoine qu’est le service public, elle doit au contraire revenir à sa mission première, qui est de faire le lien entre les gens.

Nos postiers, dans nos campagnes, dans nos villes, sont des femmes et des hommes extrêmement appréciés et choyés. Dans nos campagnes comme dans nos villes, ce que La Poste fait de mieux, c’est cogner aux portes des gens où qu’ils habitent, car elle a la confiance de tous pour apporter le service public à ceux qui ne peuvent pas y accéder : elle est en définitive une autre forme de mobilité. C’est ce qui fait son ADN, être un acteur du contact humain en rendant des services de proximité.

Madame la ministre, proximité et ruralité ne doivent-elles pas être au cœur de la stratégie de La Poste de demain ? Comment recentrer les missions de La Poste pour développer son rôle de facteur de lien dans nos villes et dans nos campagnes ? Quels moyens humains et financiers pour valoriser cette belle entreprise ?