compte rendu intégral
Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
Mme Catherine Di Folco.
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Résolution sur la prévention de la pollution des mers
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l’article 6 du protocole de Londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et autres matières (texte de la commission n° 622, rapport n° 621).
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Folliot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est pas par la volonté du Sénat que nous nous retrouvons cet après-midi : ce protocole a été adopté à l’unanimité par notre commission et voté en séance en procédure simplifiée.
Toutefois, les débats parlementaires ont fait que l’Assemblée nationale l’a rejeté. La commission mixte paritaire, quant à elle, l’a adopté de manière quasi unanime – sur quatorze membres, douze ont voté pour, un s’est prononcé contre et un s’est abstenu –, c’est pourquoi nous nous retrouvons cet après-midi pour valider cette convention.
Voilà qui nous donne l’occasion de mieux expliciter certains enjeux relatifs à ce texte.
Tout d’abord, la convention de Londres de 1972 sur la protection des océans est un traité important, qui constitue l’un des premiers textes à vocation internationale porteurs d’une vision environnementale ; chacun sait combien c’est essentiel, à bien des égards.
Ce protocole permettait d’enfouir sous les océans certaines substances, mais uniquement après autorisation. En 1996, on a voulu inverser le principe, en quelque sorte, donc passer d’un régime d’autorisations ponctuelles à une interdiction générale, sauf exception déterminée. Cette évolution fut, au demeurant, une excellente chose. Les océans sont en effet importants pour la biodiversité et pour l’équilibre climatique planétaire, puisqu’ils couvrent 70 % de la surface du globe.
Au reste, je rappelle que notre pays possède le premier domaine maritime au monde, avec plus de onze millions de kilomètres carrés, et porte donc une responsabilité importante à cet égard.
Par cette ratification, nous souhaitons permettre l’enfouissement du CO2. Nous avons tous en tête la convention de Paris et souhaitons tous être proactifs en la matière. Mais nous savons bien que, pour certains secteurs industriels tels que la cimenterie, la chimie et d’autres, il sera difficile, voire quasiment impossible, de se passer d’énergies carbonées.
Dans ce cadre, il convient donc tout d’abord de capter le carbone, et la France est l’un des pays au monde qui maîtrise le mieux les savoir-faire en la matière. Ensuite, il faut le transporter et, dans ce domaine encore, la France possède des atouts importants. Pour autant, une fois le carbone capté et transporté, il faut l’enfouir. Or notre pays ne dispose pas de site pour cela.
Par la ratification de ce texte, il s’agit donc d’autoriser notre pays à ratifier cette convention internationale et à user de capacités de stockage qui se situeront essentiellement dans des pays voisins, plus particulièrement en mer du Nord.
À ce titre, je reprends à mon compte les propos qui avaient été tenus concernant les enjeux de souveraineté en la matière : un groupe français, TotalEnergies, dispose des savoir-faire et des capacités nécessaires pour stocker ce gaz carbonique, notamment en Norvège.
Dans ce cadre, après avoir réfléchi et travaillé sur cette question, la commission est convenue unanimement que ce texte allait dans le bon sens. C’est pourquoi, en séance plénière, je me contente de répéter ce qui a été dit en commission, afin de faire part à l’ensemble du Sénat de l’intérêt de voter ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte sur lequel il vous est demandé de vous prononcer aujourd’hui est important. Stocker et exporter le carbone est en effet une absolue nécessité pour l’avenir de nos industries et de l’emploi dans nos territoires.
La production de ciment sur le site industriel de Vicat, à Montalieu-Vercieu, dans l’Isère, ou celle de chaux à Rety, dans le Pas-de-Calais, libère du dioxyde de carbone. C’est vrai aussi pour les produits azotés et d’engrais à Gonfreville-l’Orcher ou encore à Grand-Quevilly, en Seine-Maritime.
Cette réalité concerne des dizaines de sites industriels représentant des milliers d’emplois dans notre pays. Même si ces usines cessaient d’utiliser des énergies fossiles, elles émettraient toujours du CO2 : on appelle cela le CO2 fatal, qui est lié aux procédés de production eux-mêmes. Ces émissions ne peuvent pas, par conséquent, être réduites autrement que par la capture et le stockage du CO2. Tel est l’enjeu qui nous réunit aujourd’hui.
Vous le savez, la France s’est engagée à réduire ses émissions industrielles de moitié en dix ans et vise la neutralité carbone en 2050.
La décarbonation de l’industrie représente un double défi, pour l’environnement, bien sûr, mais aussi pour l’emploi, car c’est bien la compétitivité de nos filières et de nos sites industriels qui est en jeu. Nos concurrents internationaux ne sont en effet pas soumis aux mêmes obligations, notamment en matière de quotas d’émissions.
Vous le savez, cette concurrence est aggravée par des pratiques agressives et parfois déloyales qui mettent en risque l’avenir de ces filières stratégiques pour notre souveraineté. Il y va donc de la survie de nos sites industriels, donc de l’emploi dans nos territoires ; des milliers de salariés comptent sur nous pour agir.
Agir pour la décarbonation de l’industrie passe, bien sûr, par des mesures structurelles en matière d’efficacité énergétique, d’électrification ou encore de recyclage. Mais, lorsqu’une partie importante des émissions ne peut pas être réduite à la source, la capture et le stockage du carbone interviennent comme solution de dernier recours.
Tous les industriels le savent : si nous entendons encore produire du ciment, de la chaux ou des engrais en France en 2035, il est impératif d’accélérer le développement des technologies de capture, de stockage et de valorisation du carbone.
De nombreux projets sont en cours dans ce domaine, en France et en Europe, comme dans l’usine Lhoist de Rety, où je me suis rendu en janvier dernier. Néanmoins, il n’existe pas, dans notre pays, d’infrastructures de stockage du carbone, et aucun stockage français, sous terre ou en mer, ne saurait être opérationnel avant 2030.
L’Europe du Nord est dotée, pour sa part, d’importantes infrastructures de stockage du carbone, notamment en Norvège et au Danemark, avec les projets Northern Lights et Greensand, en mer du Nord. L’export de CO2 est donc essentiel pour décarboner au plus vite nos sites industriels et pour préserver l’emploi.
J’ai d’ailleurs moi-même noué des contacts avec des industriels et avec mes homologues norvégiens lors du récent forum franco-norvégien sur l’industrie verte, ainsi qu’avec mon homologue danois dans le cadre de la visite d’État danoise en France au mois de mars dernier. Nous avons aujourd’hui des partenaires qui sont prêts, qui savent faire et avec lesquels nous entretenons des relations très étroites.
À présent, nous avons besoin d’autoriser l’exportation du carbone pour passer à l’action. C’est tout l’enjeu de ce texte relatif au protocole de Londres, porté par le Gouvernement et très attendu par les acteurs du secteur.
En France, les sites les plus directement concernés sont les trois hubs industriels portuaires de Saint-Nazaire, avec les cimenteries de Heidelberg et de Lafarge, du Havre, avec les usines chimiques de Lhoist et de Yara, et de Dunkerque, avec notamment Aluminium Dunkerque, Eqiom et Lhoist.
Plusieurs de ces entreprises ont déjà signé des contrats de stockage de CO2 en Europe du Nord, ont obtenu des soutiens publics européens ou nationaux et comptent sur la ratification de cette convention diplomatique pour lancer leurs projets de décarbonation. Ne les faisons pas attendre.
Les Pays-Bas, la Belgique ou encore le Royaume-Uni ont déjà autorisé l’exportation des flux de carbone. La course est lancée en Europe et dans le monde, et nous devons impérativement accélérer, au risque, à défaut, d’être distancés. Pour cela, nous devons permettre à nos industriels d’investir sereinement, dès maintenant, dans les technologies de capture et de stockage du carbone.
Si nous ne prenons pas aujourd’hui la décision d’avancer, nos sites industriels risquent de fermer et nos entreprises de partir s’installer à Anvers ou à Rotterdam. Il s’agit aussi d’un enjeu de finances publiques : 439 millions d’euros de financements européens sont conditionnés au démarrage à court terme des projets de captation et de stockage du carbone, donc à l’autorisation, par le Parlement français, de l’exportation du carbone. Cette décision relève de notre responsabilité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je connais votre engagement en faveur de la prospérité et de la cohésion de nos territoires. Je sais aussi que la capture et le stockage du carbone suscitent parfois des interrogations, en particulier localement, à proximité des futures infrastructures de stockage et de transport.
Je tiens à vous rassurer ici au sujet de la sécurité de ces installations. Les technologies de transport et de stockage sous-marins sont éprouvées et maîtrisées ; elles ont fait leurs preuves pour le gaz naturel et le pétrole, et de récentes études scientifiques ont confirmé leur fiabilité. Par ailleurs, nous n’exporterons le CO2 que vers des pays qui respectent des standards environnementaux de haut niveau.
Pour conclure, nous partageons tous ici l’ambition de faire de la France un champion de la transition énergétique et écologique, avec l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Pour atteindre cet objectif, nous devons commencer à stocker du carbone en 2030. À court terme, dans un premier temps, il est essentiel d’autoriser l’exportation des flux de carbone dès aujourd’hui. Ainsi, nous poursuivrons notre combat en faveur de la décarbonation de nos industries, c’est-à-dire en faveur de l’emploi et de l’avenir de nos territoires.
C’est la raison pour laquelle je vous appelle, au nom du Gouvernement, à voter en faveur de ce projet de loi.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue d’abord sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
projet de loi autorisant la ratification de la résolution lp.3(4) portant amendement de l’article 6 du protocole de londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et autres matières
Article unique
Est autorisée la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l’article 6 du Protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et autres matières, adoptée le 30 octobre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je vais donner la parole, pour explications de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enfouissement du CO2 en mer du Nord est souvent présenté comme une technologie phare pour réduire les émissions industrielles, notamment dans le cas de la capture et du stockage du carbone (CSC).
Si cette méthode peut constituer un levier partiel et utile pour certaines industries comme la cimenterie, où les émissions résiduelles liées à la calcination du calcaire sont difficiles à éliminer autrement, son efficacité et sa pertinence restent très limitées pour l’ensemble des secteurs industriels. En effet, pour des industries lourdes comme la sidérurgie, la chimie ou encore la métallurgie, l’enfouissement sous-marin ne peut offrir qu’une solution ponctuelle, qui ne saurait détourner les industriels de l’impératif fondamental : investir massivement dans la décarbonation de leurs procédés.
Il est grand temps de mettre en œuvre une transformation profonde de l’industrie française et lui permettre de véritablement renaître en devenant socialement et écologiquement responsable. La clé d’une telle évolution réside dans la réindustrialisation portée par l’électrification massive, dans l’usage ciblé du biogaz, dans le développement de l’hydrogène décarboné et, surtout, dans l’innovation technologique au travers de la recherche et du développement.
Ces voies permettront de réduire de manière draconienne les émissions territoriales, avec un objectif ambitieux de 91 % de décarbonation d’ici à 2050, tout en limitant la dépendance aux énergies fossiles importées.
À l’inverse, miser sur le stockage géologique sous-marin pour compenser les émissions actuelles, surtout en dehors du secteur cimentier, revient à repousser le traitement de ce problème à plus tard, car on ne s’attaque pas ainsi à sa racine même, à savoir la dépendance aux énergies carbonées et la persistance de procédés industriels polluants.
Le risque est ainsi d’entraver la transformation structurelle des industries en favorisant des investissements dans des technologies dites faciles, mais peu durables, voire porteuses de risques à long terme, de possibles fuites pouvant emporter des conséquences environnementales en mer.
À nos yeux, le discours politique et industriel autour de la CSC révèle une tendance inquiétante consistant à faire prévaloir la permanence des activités humaines sur la nécessité de les réadapter aux limites planétaires.
Transformer d’anciens puits pétroliers ou des réservoirs géologiques en décharges sous-marines, comme cela se profile avec les projets en mer du Nord, traduit une fuite en avant technologique. Cette approche n’est pas sans rappeler les techniques utilisées depuis des décennies pour extraire plus de pétrole grâce à l’injection de CO2. Elle est aujourd’hui remaquillée en solution vertueuse, sous l’étiquette CSC.
Selon l’Institut pour l’économie de l’énergie et l’analyse financière (IEEFA), entre 70 % et 90 % des projets actuels de séquestration servent principalement à prolonger l’exploitation des hydrocarbures, non à réduire durablement les émissions.
Par ailleurs, la rentabilité économique et l’efficacité réelle de ces projets restent incertaines : le coût du stockage avoisine les 200 euros la tonne de CO2, bien au-delà du prix du quota sur le marché carbone européen, ce qui pousse les industriels à préférer la compensation à bas coût à une transformation structurelle.
Même avec les subventions massives issues des plans climat, comme l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, les risques de fuite et les échecs techniques se multiplient, comme l’ont démontré le projet pilote de Lacq en France ou encore la catastrophe invisible d’Aliso Canyon en Californie.
Le stockage du CO2 devient ainsi une condition de survie pour les industries fossiles ; il permet de maintenir l’illusion d’un progrès technologique capable de neutraliser les effets de l’obsolescence des modèles industriels, sans en remettre en cause les fondements.
Le soutien politique croissant à cette solution, en France comme ailleurs, témoigne d’un glissement préoccupant dans les politiques climatiques : il s’agit non plus de réduire la consommation de combustibles fossiles, mais simplement d’en masquer les conséquences.
Ainsi, la méthode d’enfouissement en mer du Nord ne doit pas être perçue comme une panacée pour la décarbonation industrielle. Si le technosolutionnisme peut accompagner certains secteurs à court terme, notamment la cimenterie, il ne saurait remplacer une stratégie ambitieuse de décarbonation intégrale.
La transition énergétique industrielle passe impérativement par la réindustrialisation, la relocalisation, l’électrification et l’innovation, pour répondre aux enjeux climatiques et sociaux de demain. Miser sur des technologies d’enfouissement revient à prolonger l’ère des fossiles sous un nouveau masque, alors qu’il faut en sortir définitivement.
C’est la raison pour laquelle notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révision de la convention internationale que nous examinons aujourd’hui n’est qu’un bel écran de fumée : le CO2 étant invisible à l’œil nu, vous avez sans doute pensé que cette réforme du protocole de Londres, autorisant le transport de CO2 pour l’enfouir dans les zones maritimes étrangères, passerait inaperçue !
En engageant la procédure simplifiée sur ce texte, vous avez tenté de le faire adopter discrètement, pour ensevelir nos émissions loin des regards. Je remercie donc nos collègues de l’Assemblée nationale de leur vigilance, ce retour à la procédure normale nous permettant de sortir de ce brouillard.
Avec ce texte, vous cherchez à exporter notre CO2 à l’étranger, notamment dans les anciens gisements de pétrole et de gaz ou dans les aquifères salins profonds.
Plutôt que de réduire les émissions à la source, certains gros émetteurs préfèrent ainsi les exporter vers d’autres pays pour les enfouir à vingt mille lieues sous les mers. Les projets de ce type, déjà au nombre de quarante-cinq dans le monde, se multiplient, comme sous les eaux norvégiennes et danoises, prochainement, ou sous l’Adriatique, avec le projet franco-italien Callisto, qui ambitionne de stocker seize millions de tonnes de CO2 d’ici à 2030.
Certes, certaines activités industrielles rencontrent plus de difficultés que d’autres à décarboner leur production et ce stockage du carbone peut constituer un outil de dernier recours et de court terme, en attendant de nouvelles techniques de décarbonation.
Pour autant, derrière les promesses technosolutionnistes, le développement de la capture et du stockage de carbone présente un risque évident : privilégier une solution technologique très coûteuse et incertaine à une véritable décarbonation.
Le projet Callisto en est un exemple éloquent : il prévoit de construire un carboduc de plusieurs centaines de kilomètres de la région lyonnaise au port de Fos-sur-Mer. Le CO2 y serait alors liquéfié à grand renfort d’énergie pour être chargé sur des navires gaziers qui feraient le tour de l’Italie, avant d’être enfoui au large de Ravenne. Soit un trajet de plusieurs milliers de kilomètres, extrêmement énergivore, au nom de l’écologie. Quoi de plus logique ? (Sourires sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)
De surcroît, ce procédé n’est pas exempt de dangers. La région de Ravenne présente en effet un fort risque sismique. En cas de fuite dans les poches de CO2, tous ces efforts partiraient en fumée.
Le reste du parcours soulève également des interrogations : une fuite de CO2 très concentré du carboduc exposerait les personnes à proximité à un risque d’asphyxie. En 2020, un accident dans le Mississippi a causé l’évanouissement de vingt personnes, qui en ont toutes conservé des séquelles neuronales, pulmonaires et gastriques. Enfin, une nappe phréatique touchée serait gravement polluée.
Outre ces risques, ces projets ont un coût exorbitant et reposent sur des milliards d’euros d’argent public. En 2023, quelque 3,3 milliards d’euros ont été attribués par l’Union européenne à des projets de capture et de stockage de carbone ; le seul carboduc de la vallée du Rhône pourrait coûter jusqu’à 1,5 milliard d’euros.
À l’heure où les budgets alloués à la transition écologique sont rognés de toutes parts, ces choix d’investissement envoient un mauvais signal aux industriels, en les encourageant à continuer de polluer.
Au lieu de financer ces projets gigantesques et hasardeux, notre priorité doit être d’accélérer la décarbonation des industries en accompagnant les entreprises volontaires, mais aussi en contraignant celles qui sont récalcitrantes.
ArcelorMittal bénéficie ainsi d’aides publiques massives pour enfouir son CO2 en Norvège et électrifier ses fourneaux, mais préfère supprimer des emplois, plutôt que d’honorer ses engagements. Il est temps de mettre un terme à cette naïveté et de nationaliser cette entreprise stratégique pour planifier sa transition écologique.
Comme le soulignait l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2020, le stockage de carbone ne doit intervenir qu’en dernier recours, après la décarbonation, et les sites de stockage géologique doivent être situés au plus près de la source de CO2, dans un rayon de 200 kilomètres maximum.
Écoutons les scientifiques, investissons dans des technologies qui réduisent les émissions à la source. Si nous devons enfouir le CO2, faisons-le sur notre territoire, plutôt qu’à l’étranger. Ayons le courage de nous opposer à TotalEnergies, à Lafarge et à ArcelorMittal, qui réclament toujours plus d’aides publiques, mais qui rechignent à décarboner leurs activités.
Face à l’urgence climatique et à notre retard considérable en matière de décarbonation, miser sur la capture et le stockage de carbone comporte bien plus de risques que d’opportunités. Nous refusons de cautionner cette fuite en avant qui permet aux industriels de persister dans l’inaction.
À une semaine de la conférence onusienne sur l’océan à Nice, amender le protocole de Londres, qui constitue un excellent texte de protection des espaces marins, est particulièrement malvenu.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Darras, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jérôme Darras. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur la ratification de la résolution portant amendement de l’article 6 du protocole de Londres sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets.
Il s’agit d’autoriser l’échange transfrontalier de dioxyde de carbone capté en vue d’une séquestration dans des formations géologiques sous-marines.
Concrètement, cela permettra à la France d’exporter le dioxyde de carbone capté sur son territoire et de le stocker de manière sécurisée dans des fonds marins relevant d’États partenaires comme la Norvège, disposant de capacités opérationnelles et de technologies efficientes, notamment en mer du Nord.
La capture et le stockage de CO2 sont indispensables pour atteindre nos objectifs climatiques. Rappelons-le, dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, il s’agit de réduire de 35 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et de parvenir à la neutralité carbone en 2050.
Pour le moment, les émissions suscitées par certains secteurs industriels, tels que la production de ciment ou de chaux, qui sont dites incompressibles, ne peuvent être réduites par d’autres moyens que la capture et le stockage du CO2. Ces procédés sont donc indispensables à notre stratégie de décarbonation globale, en complément des moyens de réduction des émissions.
Par ailleurs, notre pays ne dispose pas encore des capacités de stockage nécessaires, et aucun site français ne sera opérationnel avant 2030, au plus tôt. La ratification de cette résolution permettra donc aux sites industriels français concernés d’exporter le CO2 vers des pays proches disposant d’infrastructures de stockage.
Des projets de décarbonation, via la capture, le transport et le stockage de CO2, sont déjà en cours de réalisation. J’en citerai deux qui concernent des entreprises situées dans mon département, le Pas-de-Calais : la cimenterie du groupe Eqiom à Lumbres et l’usine de production de chaux du groupe Lhoist à Rety.
Leurs projets de décarbonation, lauréats du Fonds pour l’innovation du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne, permettent une réduction des émissions de dioxyde de carbone d’environ 1,5 million de tonnes par an.
Le projet D’Artagnan, qui doit démarrer en 2028, vise à mettre en place des infrastructures de transfert, de liquéfaction et de conditionnement du CO2 émis par ces deux sites industriels pour l’export vers des lieux de stockage en mer du Nord depuis le port de Dunkerque.
La poursuite et la concrétisation de ces projets, qui sont fortement liés aux financements européens, sont conditionnées à la ratification de l’amendement, lequel vise à garantir un cadre strict et sécurisé, puisque les pratiques de stockage sont soumises à plusieurs conditions : un accord ou un arrangement entre les pays concernés doit être conclu, des permis doivent être délivrés et les conditions de stockage doivent respecter les exigences environnementales imposées par le protocole de Londres.
Cette ratification ne signifie pas que l’on privilégie la capture et le stockage du carbone, ni même que l’on favorise ces techniques. Le projet de loi ne choisit pas entre le stockage offshore et les autres solutions de décarbonation. Il ne se substitue pas aux leviers dont nous disposons pour réduire les émissions, comme l’électrification, l’efficacité énergétique, le recours à la biomasse ou le recyclage et il ne nous exonère pas de poursuivre nos efforts en matière de sobriété et de transition écologique.
Pour résumer, le captage et le stockage du carbone sont nécessaires pour lutter efficacement contre la pollution atmosphérique, garantir le respect de nos engagements environnementaux et atteindre la neutralité carbone à l’échéance de 2050.
Ils constituent une option qui complète, par exception, la palette des outils disponibles et sont aujourd’hui indispensables pour certains secteurs qui ne disposent pas d’alternative pour se décarboner. Ils s’imposent donc tant que d’autres solutions techniquement, économiquement et écologiquement viables ne sont pas opérationnelles et assurent, par là même, la pérennisation des activités concernées.
Dès lors, il faut donner à cette technique un cadre juridique adapté. C’est précisément l’objet de la ratification de cet amendement au protocole de Londres, laquelle permettra de poursuivre et d’achever les projets en cours et facilitera le développement d’une indispensable filière nationale de captage et de stockage du CO2.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc pour ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Cédric Chevalier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1972, alors que l’écologie n’occupait pas encore le cœur des politiques publiques, la signature de la convention de Londres marquait l’un des premiers jalons internationaux en matière de protection du milieu marin. Ce texte pionnier posait alors un cadre à l’immersion de déchets en mer.
En 1996, le protocole de Londres a approfondi cette ambition en inversant la logique, passant d’une interdiction partielle à une interdiction de principe, sauf exception strictement encadrée.
Ces instruments ont permis de définir un cadre rigoureux pour la séquestration des déchets dans les formations géologiques sous-marines. Ils ont également instauré les principes d’une gouvernance environnementale moderne fondée sur la précaution, la transparence et la coopération entre États.
Le défi climatique impose aujourd’hui d’aller plus loin. La France s’est engagée à réduire de 35 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, avec pour horizon la neutralité carbone en 2050.
Pour atteindre ces objectifs, la réduction des émissions reste la priorité absolue pour l’État comme pour les industriels, mais elle doit être complétée par des solutions de captage, de valorisation et de stockage du carbone. Ces technologies sont non pas des échappatoires, mais des leviers indispensables à une stratégie globale de décarbonation.
Dans ce contexte, la ratification de l’amendement à l’article 6 du protocole de Londres prend tout son sens. Adopté en 2009 et appliqué à titre provisoire depuis 2019, cet amendement vise en effet à autoriser, sous réserve d’un accord entre les parties, l’exportation de carbone à des fins de stockage sous-marin vers un autre pays. En mars 2024, la France a d’ores et déjà conclu un tel accord avec le Danemark.
Ce projet de loi importe donc à plusieurs titres : pour notre stratégie climatique, pour notre trajectoire bas-carbone et pour la préservation des écosystèmes marins. Il constitue non pas une solution de rechange, mais une option complémentaire à explorer dans le cadre de notre transition écologique.
Il s’inscrit par ailleurs dans un constat lucide. Dans sa stratégie nationale sur le CCUS (Carbon Capture, Utilisation and Storage), publiée en juillet 2024, la France indique n’avoir à ce jour identifié aucune capacité souveraine de stockage exploitable. Des études sont en cours, mais à court, voire à moyen terme, la très grande majorité du carbone capté sur notre territoire devra être exportée, en particulier si celui-ci n’est pas valorisé dans la production d’e-méthanol.
Si l’accord avec le Danemark est donc utile, voire nécessaire, il met en lumière le retard que nous avons pris. Comment expliquer que la France, qui dispose du deuxième domaine maritime mondial, n’ait pas encore lancé de véritables projets de stockage offshore, contrairement à la Norvège, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas ?
Ce texte, que nous soutenons pleinement, ne saurait donc être une fin en soi : il doit être un déclencheur, un levier pour accélérer le développement d’une filière nationale, structurée et ambitieuse. Il nous faut développer des projets concrets sur notre propre territoire, notamment en mer. Il y va de notre crédibilité et, surtout, de notre avenir collectif, mes chers collègues.