Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Dumas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’adoption de la loi européenne sur le climat, notre feuille de route collective est claire : parvenir à la neutralité climatique d’ici à vingt-cinq ans. L’objectif, désormais incontournable, est toutefois aussi simple à énoncer que complexe à mettre en œuvre.
Pour notre secteur industriel, il se traduit par des trajectoires d’émissions particulièrement ambitieuses. Sur les près de 65 millions de tonnes équivalent CO2 émises l’année dernière sur le sol français, ce sont plus de 10 millions de tonnes que la stratégie nationale bas-carbone ambitionne de supprimer d’ici à cinq ans. En 2050, ce sont au total près de 50 millions de tonnes équivalent CO2 qui devront être éliminées.
Soyons lucides, mes chers collègues : si la marche à franchir est gigantesque pour toutes nos entreprises industrielles, elle pourrait même être pour certaines d’entre elles insurmontable. Comme cela a été dit, la décarbonation à grande échelle des processus de fabrication de ciment, d’acier, d’aluminium ou encore de certains produits chimiques est aujourd’hui techniquement impossible.
Or, dans le même temps, le prix de la tonne de carbone et le montant des pénalités s’envolent à mesure que décroît le nombre de quotas d’émissions qui sont mises en circulation sur le marché européen. À défaut d’une solution de remplacement, ces productions de base essentielles au fonctionnement de notre économie pourraient se voir prises au piège d’émissions à la fois élevées, incompressibles et de plus en plus coûteuses.
Il paraît dès lors indispensable de recourir à toutes les solutions à notre disposition, sans en négliger aucune. Cela inclut évidemment les technologies de capture et de stockage du carbone, qui peuvent jouer un rôle essentiel en offrant à certaines industries une solution crédible pour continuer à produire tout en respectant les obligations climatiques.
Grâce à elles, ce sont en effet 4 à 9 millions de tonnes de carbone qui pourraient être captées chaque année sur les sites industriels français à partir de 2030. En 2050, ce volume pourrait passer à 15, voire 20 millions de tonnes annuelles.
Alors que les technologies de capture sont désormais techniquement matures et que leur rentabilité ne fait que se renforcer, le bénéfice économique et environnemental de ces technologies devient chaque jour plus évident.
Toutefois, encore faut-il que le carbone capté puisse être séquestré. Comme plusieurs collègues avant moi, je ne puis naturellement que regretter le retard coupable pris par notre pays, qui sera loin de disposer de capacités de stockage suffisantes dans les prochaines années. On ne peut qu’exhorter l’État et les acteurs de la filière à résorber ce retard au plus vite et, plus généralement, à déployer une stratégie offensive sur l’ensemble de la chaîne de valeur du carbone, monsieur le ministre.
En tout état de cause, d’ici à ce que des sites de stockage voient le jour sur notre territoire, l’exportation de notre CO2 vers des sites opérationnels en mer du Nord est bien la seule solution viable. À défaut, les projets de capture actuellement développés seront remis en cause.
L’amendement au protocole de Londres qui nous est soumis aujourd’hui rend possible sans délai cette exportation. Le groupe Les Républicains soutiendra résolument sa ratification.
Chaque étape de la mise en œuvre de ces technologies devra faire l’objet d’un suivi environnemental particulièrement exigeant, comme c’est le cas de toute activité industrielle lourde. La nature inerte du CO2, la maîtrise des mesures de prévention des incidents, l’expérience technique héritée du secteur énergétique, la robustesse des cadres légaux existants ou encore la rigueur des pays avec lesquels des partenariats sont envisagés permettent toutefois d’aborder cet aspect avec une certaine sérénité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les technologies de captage et le stockage du carbone ne constituent évidemment pas une solution miracle qui nous dispenserait de consentir les efforts nécessaires à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Elles ne remplaceront pas plus la sobriété et l’efficacité énergétique que le déploiement des énergies décarbonées ou la préservation des puits de carbone naturels.
Ces technologies constituent toutefois un complément utile et parfois indispensable pour tenter de concilier ambition climatique et impératif socio-économique. Si s’en remettre uniquement au captage et au stockage serait une erreur, s’en détourner par principe serait une faute. Le défi climatique, immense, exige en effet que nous utilisions tous les outils à notre disposition.
Adopter ce projet de loi de ratification n’équivaut nullement à accorder un blanc-seing. Il s’agit, au contraire, de soutenir un cadre clair et cohérent. Il s’agit d’avancer avec pragmatisme, en donnant à la science et à l’innovation leur juste place dans notre stratégie climatique. Il s’agit de permettre à la France de tenir ses engagements.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il s’agit en somme d’un choix de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte technique autorisant la France à ratifier un amendement au protocole de Londres.
La ratification dudit amendement par un État permet à celui-ci d’exporter du dioxyde de carbone capté sur son territoire, afin de le stocker de manière sûre dans des formations géologiques du sous-sol marin situées dans un autre pays. Si, à première vue, une telle disposition peut paraître assez spécifique, elle constitue un élément clé de notre stratégie pour atteindre la neutralité carbone.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), autorité scientifique internationale sur le climat, admet en effet sans ambiguïté que, dans presque tous les scénarios compatibles avec l’accord de Paris, il nous faudra recourir au captage et au stockage du CO2, en complément de toutes les autres actions – sobriété, énergies renouvelables, électrification, etc.
Il s’agit donc non pas d’une solution de remplacement, mais d’un outil, parmi d’autres, pour traiter les émissions dites incompressibles, c’est-à-dire celles que l’on ne pourra pas éviter, même avec les meilleures technologies. C’est notamment le cas pour la fabrication du ciment, la sidérurgie ou certaines activités chimiques, qui sont autant de secteurs stratégiques pour notre économie. Nous devons donner à ces filières des solutions crédibles pour réduire leur empreinte carbone. Le stockage du CO2 en est une.
Contrairement à nos voisins européens, en particulier la Norvège ou le Danemark, la France ne dispose pas encore de sites opérationnels pour stocker le CO2. Ce texte nous permettra de coopérer dès maintenant avec ces pays dans un cadre strictement délimité. Le protocole prévoit en effet des conditions claires : accords entre les États, contrôles rigoureux des sites, garanties environnementales, etc. Il s’agit non pas de nous décharger de notre responsabilité, mais de travailler avec nos partenaires.
En tant que sénateur de Guyane, un territoire constitué à 96 % de forêts, je tiens toutefois à rappeler qu’il existe une autre méthode, beaucoup plus naturelle et peu énergivore, pour stocker le CO2 : il s’agit de l’exploitation forestière pour la production de bois d’œuvre. Avant de brûler, la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris stockait du carbone depuis huit cents ans.
M. Philippe Folliot, rapporteur. C’est vrai !
M. Georges Patient. En incitant fortement le secteur du bâtiment à diminuer l’utilisation du ciment ou de l’acier pour leur substituer le bois sous toutes les formes possible – panneaux massifs ou lamellés, briques en bois, laine de bois –, nous pourrions réduire drastiquement l’empreinte carbone de ce secteur, dont les émissions constituent 23 % de nos émissions de CO2, ce qui en fait le troisième émetteur de gaz à effet de serre de notre pays.
Un mètre cube de bois séquestrant une tonne de CO2, les presque 20 000 mètres cubes de bois neuf produits tous les ans dans notre pays permettent de stocker 20 mégatonnes de CO2.
Néanmoins, comment se satisfaire de ces chiffres ? À force de précautions, de prévention, de manque d’ambition, la production stagne. Nous produisons même moins qu’en 2018 ! Avec une production de 80 000 mètres cubes de bois de tout type par an, la Guyane produit moins que l’ensemble des régions de l’Hexagone, alors qu’elle possède 8 millions d’hectares de forêt, soit la moitié de ce que compte la France hexagonale, qui en possède 16,7 millions d’hectares.
Où en sont les plans bois et le contrat de filière ? Quel en est le bilan ? En tant que Guyanais, je ne comprends pas comment une filière aussi stratégique pour l’adaptation au changement climatique peut végéter de la sorte. J’ai du reste alerté votre collègue ministre de la transition écologique sur les risques que fait peser sur la filière guyanaise du bois le nouveau règlement européen 2023-1515 contre la déforestation importée, monsieur le ministre.
Oui, ce texte est important. Il nous permettra de commencer à stocker du carbone avant de disposer de nos propres sites dédiés. Il nous dote d’un levier de plus pour respecter nos engagements. C’est pourquoi le groupe RDPI y est favorable et le votera.
Toutefois, ce projet de loi ne saurait se substituer aux nécessaires efforts de réduction de nos émissions et il ne doit surtout pas réduire nos ambitions de développement de la filière bois.
Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. André Guiol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi autorisant la ratification d’une résolution importante adoptée en 2009 par les parties au protocole de Londres de 1996.
Ce texte vise à amender l’article 6 du protocole susvisé, afin d’autoriser, sous des conditions strictes, l’exportation transfrontalière de dioxyde de carbone capté dans l’atmosphère en vue de sa séquestration dans des formations géologiques sous-marines.
L’Assemblée nationale a rejeté ce projet de loi en raison de réserves relatives à la temporalité de celui-ci, à la portée des garanties environnementales, jugées insuffisantes et à l’absence d’une stratégie nationale pleinement opérationnelle en matière de captage et de stockage du carbone.
Le Sénat, pour sa part, s’est prononcé en faveur de la ratification de cet amendement, estimant qu’il s’agissait d’un outil utile pour atteindre nos objectifs climatiques.
La commission mixte paritaire a permis de surmonter les désaccords initiaux. Si les débats ont permis de clarifier les objectifs poursuivis, elle n’a modifié ni le fonds ni la portée juridique du texte.
À défaut de solutions domestiques opérationnelles, le dispositif proposé est un mécanisme de transition destiné à rendre juridiquement possible, à court terme, le recours à des capacités de stockage situées hors de nos frontières.
Soyons clairs, mes chers collègues : cette ratification ne constitue nullement l’octroi d’un blanc-seing à une technologie ; elle ne règle pas le retard français en matière de stockage géologique et elle ne saurait être le prétexte à un contournement des efforts structurels de réduction des émissions industrielles. Mais elle permet d’éviter un blocage immédiat et disproportionné de projets industriels déjà engagés dans le cadre du soutien européen au redéploiement de la stratégie nationale de capture, de stockage et de valorisation du carbone.
Le RDSE soutient une transition écologique ambitieuse, mais lucide, qui tienne compte des réalités industrielles et territoriales. Certaines filières comme la cimenterie, la chaux ou la sidérurgie ne disposent à court terme qu’aucune solution pleinement décarbonée. Il serait irresponsable de les condamner.
Le captage et le stockage du carbone peuvent constituer une voie d’accompagnement transitoire, à condition d’être encadrés de manière rigoureuse et assortis de garanties solides en matière de conséquences environnementales et de suivi public.
Les industriels qui investissent massivement dans la décarbonation ont en outre besoin de visibilité et de stabilité pour poursuivre leurs efforts.
L’amendement à l’article 6 du protocole de Londres vise à instaurer une dérogation juridique au principe de non-exportation des déchets pour immersion. Précisons tout de même que cette dérogation est encadrée : elle ne vaut que pour les flux de CO2 destinés à la séquestration géologique, dans le cadre d’accords bilatéraux détaillés et équilibrés. Elle doit donc rester exceptionnelle, proportionnée et temporaire.
Restons tout de même vigilants, mes chers collègues.
Veillons à ce que le stockage du carbone ne devienne pas une solution de facilité ou un nouveau maillon de l’externalisation environnementale.
Veillons à ce que la mer, bien commun fragile, ne soit pas le réceptacle passif de nos impasses technologiques.
Veillons à l’adoption, au plus vite, d’une véritable stratégie de stockage souveraine, crédible et contrôlée par notre pays.
Par ailleurs, à la veille de la conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice, le contexte international nous oblige à la cohérence. Nos choix législatifs devront refléter les options de préservation des milieux marins que nous défendons à l’échelon mondial. En effet, ratifier cet accord, c’est rendre possible une coopération encadrée avec des partenaires d’Europe du Nord tels que la Norvège ou le Danemark.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera les conclusions de la commission mixte paritaire. Nous continuerons de porter une écologie de responsabilité qui conjugue ambition climatique, exigence environnementale et justice industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Union Centriste.
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite revenir sur quelques points soulevés par les précédents orateurs.
Vous avez souligné à juste titre les conséquences économiques et industrielles de l’inaction, monsieur le ministre. J’estime qu’il faut être cohérent : on ne peut pas, d’un côté, se battre pour la réindustrialisation de notre pays et, de l’autre, mettre les industriels dans une situation inextricable. Ne rien faire reviendrait en effet à ne donner à un certain nombre d’activités rentables implantées sur notre territoire aucune possibilité de s’en sortir, sinon par la délocalisation.
Serait-ce écologiquement plus vertueux ? Je pose la question à nos collègues écologistes : est-il préférable d’importer du ciment de l’autre bout de la planète ou de le produire sur le territoire national ?
Je rejoins par ailleurs mon collègue Chevalier : il est en effet regrettable que, à défaut de capacités de stockage souveraines, nous soyons obligés de nous tourner vers le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Norvège. Ces pays ont pris de l’avance sur le nôtre en convertissant des gisements de gaz épuisés en sites de stockage de CO2. En France, deux sites pourraient accueillir de tels équipements : la région située autour de la commune de Lacq, en Aquitaine, et le bassin parisien.
Les propos que vous avez tenus à ce sujet valent leur pesant d’or, chère collègue Ollivier ! Vous avez en effet indiqué qu’il serait préférable de stocker les déchets chez nous plutôt qu’ailleurs. J’attends donc avec intérêt votre réaction si, demain, des projets voient le jour sur le territoire hexagonal, dans la région de Lacq ou dans le bassin parisien. Lorsque les organisations écologistes que vous soutenez protesteront, nous passerons en boucle vos propos de cette après-midi, qui me paraissent du reste tout à fait judicieux !
Vous vous êtes par ailleurs satisfaite du rejet de ce texte par l’Assemblée nationale, ma chère collègue, rejet qui aurait permis de mettre au jour la stratégie du Sénat consistant à adopter ce projet de loi en catimini. Les bras m’en tombent, car, lors des travaux de la commission, les représentants de votre groupe ne se sont nullement exprimés et ils n’ont pas voté contre ce texte !
Je vous rappelle du reste que, au titre de l’article 47 ter de notre règlement, tout président de groupe peut saisir la conférence des présidents d’une demande de retour à la procédure normale pour un texte faisant l’objet d’un examen simplifié. Or votre groupe ne l’a pas fait lors de la première lecture de ce texte par notre assemblée.
De grâce, soyons sérieux ! Vous ne pouvez pas nous reprocher l’examen de ce texte selon la procédure de législation en commission, alors même que votre groupe ne s’est pas saisi de la possibilité de demander le retour à la procédure normale prévue par notre règlement !
Je ne reviendrai pas sur l’évaluation du coût de l’infrastructure dont la construction est envisagée dans la vallée du Rhône. En tant que rapporteur, ces éléments ne m’ont pas été transmis, alors que je les ai demandés. Je ne sais donc pas comment vous les avez obtenus, mais j’en suis preneur, ma chère collègue.
En tout état de cause, comme bien souvent, tout cela procède de votre volonté de jouer sur les peurs… (Protestations sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)
Mme Mathilde Ollivier. Nous, nous jouons sur les peurs ?
M. Pascal Savoldelli. En la matière, regardez plutôt de l’autre côté de l’hémicycle !
M. Philippe Folliot. … et de nous conduire à ne pas prendre les responsabilités qui nous incombent au regard des conséquences économiques, sociales et environnementales de l’inaction.
Le groupe Union Centriste votera ce texte avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix le projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l’article 6 du protocole de Londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et autres matières, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de la collectivité de Corse (projet n° 552, texte de la commission n° 645, rapport n° 644).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être avec vous cet après-midi pour vous présenter un texte très attendu par la Corse et par ses habitants, aboutissement d’un travail collectif qui a mobilisé le Gouvernement et les élus corses au cours des derniers mois, je dirais même des dernières années.
Permettez-moi tout d’abord d’énoncer une évidence : la Corse est une île. Cette spécificité fondamentale doit être prise en compte dans la plupart des décisions de la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État ou de la collectivité de Corse.
Cette spécificité géographique justifie une adaptation de nos politiques publiques. Elle impose notamment qu’une attention particulière soit portée à la desserte, maritime comme aérienne, du territoire corse. En vertu du principe de continuité territoriale, il nous faut en effet garantir aux habitants de la Corse un accès au continent.
La desserte constitue par ailleurs un enjeu essentiel de la vitalité économique de ce territoire, où le poids du tourisme dans la richesse produite est cinq fois plus important que dans le reste du territoire français. La bonne gestion et la sécurité des ports et aéroports de Corse sont à ce titre impératives. Comme les élus corses, nous estimons que la maîtrise d’ouvrage doit revenir à la puissance publique. Elle seule peut en effet garantir une vision de long terme et le souci du bien commun.
Tel est le point de départ du travail qui a été présidé au projet de loi que vous examinez aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs. Celui-ci découle du reste pour partie d’orientations qui guidaient déjà le législateur.
Avant d’aborder le détail du texte, je tiens à vous remercier, madame la rapporteure, chère Olivia Richard, de vos travaux et de la qualité de nos échanges. En commission, vous avez proposé d’introduire d’utiles précisions. Comme vous le savez – nous y reviendrons –, je vous proposerai d’ajuster l’une de ces dispositions.
Comme vous l’avez souligné à juste titre dans votre rapport, ce projet de loi est nécessaire et il est attendu.
Il est nécessaire, tout d’abord, parce qu’il s’inscrit dans la continuité du processus qui a commencé lors de la création de la collectivité unique de Corse le 1er janvier 2018. Depuis cette date, il incombe à la collectivité d’assumer des compétences en matière de développement économique et de continuité territoriale.
Cette orientation a été confirmée et déclinée par le législateur dans le cadre de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Celle-ci a prévu une évolution institutionnelle et statutaire des chambres consulaires, afin de s’assurer de la coordination des intérêts des forces vives de l’île. Il s’agissait de donner à la collectivité de Corse les pleins moyens des compétences qui sont les siennes.
Ce projet de loi est attendu, ensuite, car il s’appuie sur une concertation étroite entre les services de l’État, la collectivité de Corse et, je ne l’oublie pas, la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Corse. À cet égard, je remercie la collectivité et son président, qui s’est investi personnellement, mais également le président de la CCI d’avoir produit cet effort collectif. J’associe à ces remerciements les représentants syndicaux ayant participé à la concertation.
Permettez-moi également de saluer la ministre Catherine Vautrin, qui avait lancé ces échanges avec l’aide du préfet de Corse.
De nombreuses réunions, échanges et déplacements ont rendu possible l’examen cet après-midi de ce projet de loi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Assemblée de Corse a émis en mars dernier un avis favorable sur ce texte, et ce à l’unanimité.
Le fruit de ce travail de concertation est un texte équilibré et de bon sens, sécurisé techniquement et juridiquement. Il crée un nouveau type d’établissement sui generis, c’est-à-dire adapté aux spécificités locales, unique en France.
L’ambition fondamentale qui le sous-tend est d’apporter des garanties fortes à la population, la garantie d’une maîtrise d’ouvrage publique des infrastructures, la garantie des intérêts des agents dans le cadre du dialogue social et la garantie de la qualité du service pour les citoyens.
À cet effet, ce texte a vocation à créer un établissement public, placé sous la tutelle de la collectivité de Corse, qui reprendra les missions et attributions de la chambre de commerce et d’industrie. Je voudrais saluer encore une fois le rôle central que joue pleinement la CCI de Corse dans le développement économique de l’île, en particulier dans le domaine de la gestion portuaire et aéroportuaire.
En effet, le port de Bastia et les aéroports d’Ajaccio, de Bastia, de Calvi et de Figari sont gérés depuis plusieurs années par la CCI, dans le cadre de délégations de service public (DSP). Ces DSP sont arrivées à leur terme le 31 décembre 2024. Elles ont été prolongées pour une année à titre exceptionnel, mais cette situation ne peut perdurer dans le cadre juridique actuel.
Aussi convenait-il de bâtir une structure juridiquement solide, qui reprenne le périmètre des activités antérieures, les infrastructures et les personnels. Cette structure doit instaurer un lien de quasi-régie garantissant le contrôle de la collectivité sur les grandes décisions stratégiques à venir. Ainsi, les élus de la collectivité de Corse seront majoritaires au conseil d’administration de cet établissement public, qui doit être créé au 1er janvier 2026.
Pardonnez-moi d’entrer dans les détails techniques, mais ceux-ci sont fondamentaux pour comprendre le choix de cet établissement public.
Le Conseil d’État, dans sa sagesse éclairée et fort de son expertise juridique approfondie, a estimé qu’il n’était pas du ressort de la loi de décider de la nature ou administrative ou industrielle et commerciale de l’établissement public. Cette préconisation me semble rejoindre l’objectif général : laisser aux acteurs locaux le soin de décider de l’organisation la plus pertinente.
Le futur établissement public reprendra l’ensemble des missions obligatoires de la CCI, auxquelles sera explicitement ajoutée la gestion des ports et des aéroports de Corse.
Enfin, le personnel et les biens de la CCI seront transférés de droit et à titre gratuit à cet établissement. Autrement dit, ce transfert ne donnera lieu au paiement d’aucun impôt, droit, taxe ou contribution.
Du point de vue financier, l’opération est neutre et même bénéfique pour la Corse : l’établissement public récupérera l’intégralité des recettes de la CCI issues des contributions des entreprises, y compris les transferts du réseau CCI France, et il recevra une compensation pour la charge de la tutelle précédemment assumée par l’État. En somme, il sera exonéré de frais administratifs.
Le texte prévoit que le conseil d’administration de l’établissement public sera composé, en majorité, de représentants élus de l’Assemblée de Corse, mais aussi de représentants des professionnels élus et – Mme la rapporteure et moi-même y tenions –, à titre consultatif, de représentants du personnel.
Sur ce sujet de la gouvernance, je serai favorable aux amendements de Mme la rapporteure, qui tendent à apporter deux précisions bienvenues.
Le premier vise à garantir au président du conseil exécutif la présidence de l’établissement public ou la possibilité, s’il le souhaite, de la conférer à un membre du conseil exécutif. Il peut en effet sembler évident que la gestion d’une structure de cette importance revienne de droit au président et qu’il en assume personnellement la responsabilité.
Le second a pour objet de permettre aux conseillers exécutifs, en particulier en tant que présidents d’agences – sauf erreur de ma part, il y en a trois –, de siéger au conseil d’administration avec voix délibérative. Il est naturel que les élus directement concernés par les sujets de transport, de tourisme et de développement économique soient associés.
Je souscris donc à ces précisions qui pourront, je l’espère, recueillir votre assentiment.
Je salue également les ajouts effectués en commission, afin de prévoir la présence des représentants du personnel au conseil d’administration avec voix consultative et de limiter à vingt le nombre d’élus consulaires de la CCI. En effet, pour être réellement opérationnel, un conseil d’administration doit être assez ouvert pour être représentatif, mais aussi assez resserré pour garantir la qualité du dialogue.
Enfin, madame la rapporteure, je salue l’adoption en commission de votre amendement tendant à remplacer le comité social territorial par un comité social et économique (CSE). Cette mesure répond tout à fait aux demandes des partenaires sociaux.
En vue de la discussion qui va s’ouvrir, je défendrai un unique amendement sur le délai de renégociation des accords. Le texte prévoyait initialement un délai de dix-huit mois pour la renégociation des conventions, des accords et des engagements unilatéraux conclus au sein de la CCI de Corse. Celui-ci s’achevait donc, de mémoire, en juillet 2027.
Par souci de sécurisation juridique et pour aider la collectivité à conduire un bon dialogue social, il me semble important à la fois de conserver un délai et d’allonger celui qui était prévu. Au reste, l’avis du Conseil d’État nous y invite.
Après réflexion et compte tenu de nos échanges avec les représentants de la collectivité unique de Corse, dans la continuité du dialogue que nous entretenons depuis toujours avec celle-ci, il semble qu’un délai de quatre ans réponde à l’objectif, tout en laissant aux partenaires sociaux le temps dont ils ont besoin.
Il s’agit à mon sens d’un bon compromis entre la proposition de la commission et les préconisations du Conseil d’État. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que cet ajustement recueillera également votre assentiment.
Par ailleurs, d’aucuns demandent à intégrer, à terme, la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) de Corse à ce nouvel établissement public. Permettez-moi d’apporter quelques précisions en réponse à cette demande.
Si cette perspective, esquissée dans la loi Pacte, mérite effectivement d’être étudiée techniquement, elle mérite également une concertation de même nature et de même qualité que celle que nous avons conduite avec la CCI. Dans l’immédiat, il est indispensable de créer l’établissement public dans les meilleurs délais. Nous n’avons que trop traîné ! Cette intégration pourra être envisagée dans un second temps.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire avant de débuter l’examen des articles de ce projet de loi, qui, vous l’aurez compris, a vocation à mettre fin à la situation juridique actuelle, qui ne pouvait être que transitoire.
J’y insiste, ce texte doit être examiné et, je le souhaite, adopté rapidement pour que l’établissement public soit constitué d’ici au 31 décembre, de sorte que le transfert des personnels s’effectue dans les meilleures conditions. Je sais que c’est un point auquel vous êtes tous sensibles.