Présidence de M. Alain Marc

vice-président

Secrétaires :

Mme Catherine Conconne,

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille
Article 1er

Conseil de Paris et conseils municipaux de Lyon et Marseille

Rejet en procédure accélérée d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille (proposition n° 532, résultats des travaux de la commission n° 649, rapport n° 648).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient l’honneur d’ouvrir la discussion sur ce texte important, que l’Assemblée nationale a largement approuvé, mais qui suscite, je le sais, de multiples réticences au sein de la Haute Assemblée.

Permettez-moi tout d’abord de replacer ce texte dans le contexte de l’action gouvernementale. Ont été adoptés par le Parlement un certain nombre de textes budgétaires, mais aussi un bloc de textes relatifs au monde agricole, ainsi que des textes d’ordre régalien, en particulier ceux qui portent sur le narcotrafic et sur la justice des mineurs. S’y ajoutent les textes sociétaux adoptés par l’Assemblée nationale qui seront bientôt soumis à votre examen, des textes économiques et sociaux, ainsi qu’un bloc de textes relatifs à notre système de santé.

Le Gouvernement a tenu à ce qu’un ensemble de textes relatifs aux collectivités locales soit également soumis à l’approbation des deux chambres du Parlement ; ces textes visent à faciliter la vie des maires – je vais y revenir dans un instant –, mais aussi à améliorer le fonctionnement de nos collectivités territoriales et, plus généralement, de notre démocratie.

Vous avez déjà pu examiner et approuver trois textes de cet ordre : celui, relatif aux communes nouvelles, qui vise à permettre l’élection de leur maire en cas de conseil municipal incomplet, puis celui étendant aux communes de moins de 1 000 habitants le scrutin de liste aux élections municipales, et, enfin, celui visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », dont le Sénat est d’ailleurs très largement à l’origine. Vous aurez encore à examiner, dans les semaines qui viennent, le texte relatif au statut de l’élu local, après sa première lecture par l’Assemblée nationale, qui interviendra selon toute vraisemblance au mois de juillet.

Je veux enfin profiter de cette occasion pour vous informer que, concernant l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, dite « Trace », pourra selon toute vraisemblance être examinée par l’Assemblée nationale au mois de septembre prochain.

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Tous ces textes faciliteront la vie des maires.

Pour ce qui est de l’amélioration du fonctionnement de notre démocratie, nous avons tenu à intégrer à ce bloc relatif aux collectivités locales le texte relatif aux élections municipales à Paris, Marseille et Lyon qui vous est soumis aujourd’hui. En effet, la démocratie est certes une idée française, mais elle s’use si l’on ne la défend pas chaque jour, si l’on ne cherche pas régulièrement, ou du moins chaque fois que c’est nécessaire, à améliorer son fonctionnement.

C’est bien ce qui est en jeu aujourd’hui. L’idée démocratique elle-même, vous le savez bien, est remise en cause de plus en plus souvent dans le monde, dans son principe, mais aussi quelquefois, y compris dans notre pays, dans sa pratique électorale. Il convient donc de moderniser celle-ci pour que les Françaises et les Français aient confiance dans le principe selon lequel chaque voix compte.

C’est pourquoi il importait de revenir sur les scrutins dits « PLM » – il faudrait plutôt dire « PML » –, qui concernent 3,5 millions de nos concitoyens. Ce mode de scrutin dérogatoire fait l’objet d’interrogations et de critiques depuis son instauration et presque à chaque échéance municipale. Doit-on rappeler que le président Chirac lui-même l’avait qualifié de « défi au bon sens » ?

De fait, ce système peut conduire – c’est arrivé une fois – à l’élection d’un maire ayant obtenu moins de suffrages qu’un de ses concurrents. Surtout, il s’agit d’un mode de scrutin peu intelligible et restrictif de la liberté de l’électeur. Un électeur de gauche dans un arrondissement ou un secteur votant fortement à droite, ou un électeur de droite dans un arrondissement ou un secteur penchant très nettement à gauche ou au centre, ne peut en effet croire que sa voix va compter ; il s’en trouve donc moins engagé, moins impliqué.

Je veux saluer le travail très sérieux accompli par votre commission des lois et par vous-même, madame la rapporteure, sur ce texte, au fond assez simple, qui vise à traduire un seul principe : rapprocher le plus possible les conditions dans lesquelles s’exprime le choix des électeurs de Paris, Marseille et Lyon de celles qui s’appliquent à tous les autres électeurs français. Je dis bien « rapprocher », car ces conditions resteraient dérogatoires.

Vous avez parfaitement identifié les sujets sur lesquels les débats devraient porter. Ainsi, une attention particulière doit être apportée à la prime majoritaire, pour trouver le bon équilibre entre gouvernabilité et représentativité, au mode de désignation des conseillers métropolitains, à l’organisation matérielle des scrutins et aux rapports entre mairie centrale et mairies d’arrondissement.

Le Gouvernement souhaite soutenir certaines avancées, mais aussi apporter des précisions, notamment afin de prendre en compte les évolutions démographiques, en particulier à Lyon et à Marseille. Lorsque nous appelons le Parlement à délibérer sur les modes de scrutin, on nous dit souvent que c’est trop tôt ou trop tard, on nous oppose d’autres priorités, tant et si bien que, s’agissant du régime électoral en vigueur à Marseille et à Lyon, le nombre des conseillers d’arrondissement est fondé, aujourd’hui encore, sur des bases démographiques de l’Insee qui datent de 1977 et 1982. Il convient donc d’actualiser de manière régulière les règles de notre vie démocratique.

Le Gouvernement veut également rassurer la représentation nationale quant au fait que ce texte ne modifie ni les règles de non-cumul ni celles qui ont trait aux comptes de campagne ou encore aux indemnités des conseillers. Il tient aussi, évidemment, à affirmer son ouverture vis-à-vis des discussions à venir sur le corps électoral des communes concernées pour les élections sénatoriales, ainsi que vis-à-vis des nécessaires travaux – souhaités, je le crois, par tous – sur une meilleure répartition des compétences entre mairie centrale et mairies d’arrondissement.

Le texte qui vous est soumis est donc substantiel et important pour les communes et les habitants concernés ; il constitue un pas supplémentaire pour améliorer notre vitalité démocratique.

La volonté du Gouvernement est en tout cas de progresser dans la voie de l’amélioration de notre cadre institutionnel en y consacrant, à intervalles réguliers, quelques heures sur les plusieurs centaines d’heures de débat parlementaire, afin de prendre soin de notre démocratie, tant représentative que participative.

J’ai cité tout à l’heure plusieurs des textes relatifs au fonctionnement démocratique de notre pays et aux collectivités locales qui vous seront prochainement soumis ; eux aussi nous permettront de poursuivre sur ce chemin. Vous aurez ainsi à délibérer dans les jours qui viennent sur le statut de l’élu local, mais aussi sur le vote des détenus dans leur commune d’origine, en attendant les conclusions de la concertation lancée par le Premier ministre sur la possibilité d’une meilleure proportionnalité du scrutin aux élections législatives.

J’aurai également l’occasion de revenir devant vous pour évoquer les initiatives prises par notre pays, aux côtés de 77 autres dans le monde, au sein du Partenariat pour un gouvernement ouvert, ainsi que toutes celles que nous soumettrons au Parlement en matière de démocratie participative.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à modifier le régime électoral spécifique applicable à Paris, Lyon et Marseille, afin, selon ses auteurs, de supprimer « l’anomalie démocratique » que constituerait le mode de scrutin actuel.

Pour ce faire, les auteurs de la proposition de loi nous invitent à faire entrer ces trois villes dans le droit commun : l’élection des conseillers municipaux se ferait à l’échelle de la commune et non plus sur la base des secteurs ou arrondissements.

À première vue, l’objectif de ce texte est donc louable : il s’agirait de modifier le mode de scrutin pour le rendre plus démocratique, selon le principe : « Un électeur égale une voix. »

Toutefois, les travaux préparatoires nourris que j’ai conduits dans des délais contraints et, en particulier, la consultation de l’intégralité des acteurs concernés par cette réforme, ce qui n’avait jusqu’alors jamais été fait, ont mis en lumière les innombrables difficultés que soulèverait cette réforme, ainsi qu’une forte opposition à ce texte, partagée par la quasi-totalité des personnes entendues.

Je veux donc, dans un premier temps, exposer les difficultés soulevées par ce texte.

En premier lieu, le dispositif qui nous est proposé apparaît fragile d’un point de vue juridique, et ce pour deux raisons.

D’une part, bien que ses auteurs prétendent faire entrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun, le texte retient une prime majoritaire de 25 % pour l’élection des conseillers municipaux, ce qui, de l’avis unanime des juristes que nous avons consultés, créerait une rupture d’égalité avec les autres communes, puisque cette prime majoritaire dérogatoire au droit commun n’est justifiée par aucune raison objective.

D’autre part, la réforme conduirait à l’organisation de deux scrutins le même jour à Paris et Marseille, et même à l’organisation de trois scrutins simultanés à Lyon, ce qui risquerait de porter atteinte à la clarté et l’intelligibilité du scrutin.

En effet, l’organisation simultanée de plusieurs élections est source de confusion pour les électeurs, qui ne sont pas nécessairement au fait des compétences exercées par chacun des niveaux concernés. L’expérience lyonnaise le montre d’ailleurs : l’organisation simultanée des élections municipales et métropolitaines suscite déjà des incompréhensions.

La réforme envisagée conduirait donc à aggraver cette situation, au détriment des électeurs et de la démocratie locale.

En deuxième lieu, outre ces difficultés juridiques, la réforme proposée apparaît problématique d’un point de vue pratique.

Tout d’abord, l’adoption de cette proposition de loi conduirait à modifier le régime électoral moins d’un an avant les prochaines élections municipales.

Or l’ampleur de la réforme envisagée rend impossible sa mise en œuvre avant celles-ci. De l’aveu même des services de l’administration centrale, la réforme qu’il faudrait mettre en œuvre dans des délais particulièrement contraints est de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes, ce qui est pour le moins inquiétant.

Ensuite, l’organisation simultanée de plusieurs scrutins apparaît impossible à mettre en œuvre pour les communes en cause.

Nous le savons tous, même avec une seule élection, il est de plus en plus difficile de mobiliser suffisamment de personnes pour s’occuper des bureaux de vote, ou encore pour procéder aux dépouillements. Imaginez alors ce que représenterait l’organisation de deux, voire trois élections simultanées le même jour !

À titre d’exemple, si cette réforme entrait en vigueur et que trois élections étaient organisées le même jour à Lyon, il faudrait trouver au moins 300 nouveaux bureaux de vote et mobiliser 300 présidents de bureaux, ainsi que 610 assesseurs supplémentaires, ce qui ne ferait qu’aggraver les difficultés existantes.

Enfin, la réforme proposée poserait des difficultés du point de vue des comptes de campagne, puisqu’elle imposerait la tenue de deux comptes de campagne séparés, voire trois à Lyon.

Or il apparaît impossible de différencier les dépenses effectuées au titre de la campagne pour la mairie centrale de celles qui sont réalisées au titre de la campagne pour les mairies d’arrondissement.

Interrogé sur ce sujet, le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Christian Charpy, a indiqué que le guide du mandataire relatif aux élections à Paris, Lyon et Marseille promettait d’être « extrêmement compliqué ».

Je rappelle à cet égard que, si la réforme était adoptée, ce guide « extrêmement compliqué » devrait impérativement être publié avant le mois de septembre prochain ; il faudrait en outre que les candidats puissent prendre connaissance des nouvelles règles.

J’en viens à la troisième difficulté, à savoir le coût financier de la réforme envisagée. Cette dernière impliquerait d’importantes dépenses supplémentaires, liées, d’une part, à l’organisation de deux, voire trois scrutins le même jour et, d’autre part, à la hausse du nombre de candidats et d’élus liée à la dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d’arrondissement. Cela entraînerait une hausse des dépenses de campagne, des indemnités versées aux élus, des divers frais, etc.

Au total, selon le ministère de l’intérieur, le coût de la réforme s’élèverait à 15 millions d’euros, sans compter les indemnités de mandat et la prise en charge de frais supplémentaires.

Comment pourrions-nous accepter une réforme avec un coût financier si élevé dans le contexte budgétaire préoccupant que nous connaissons tous, et alors que le Sénat conduit en ce moment même des travaux visant à identifier les pistes d’économies à réaliser pour réduire le déficit ?

En quatrième lieu, l’adoption de cette proposition de loi provoquerait une forte instabilité politique, due notamment au risque d’une absence de majorité au sein des conseils municipaux des trois villes, et ce en raison de l’introduction d’une prime majoritaire de 25 %, qui conduirait à des hémicycles fracturés, ne pouvant trouver un projet municipal commun.

En cinquième lieu, la réforme envisagée mettrait à mal l’échelon de proximité auquel les électeurs sont pourtant attachés. En effet, en l’état du droit, les conseillers municipaux sont nécessairement élus au sein d’un conseil d’arrondissement. Lorsque les citoyens s’adressent aux élus qui leur sont les plus proches, c’est-à-dire à leurs élus d’arrondissement, ils ont ainsi la certitude que leurs préoccupations seront relayées au conseil municipal central.

Or, avec la dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d’arrondissement prévue dans le dispositif qui nous est proposé, il existe un risque que certains arrondissements ne soient plus du tout représentés au conseil central. Ainsi, les besoins et préoccupations de certains arrondissements ne pourraient plus être relayés au niveau central et ne seraient ainsi plus pris en compte dans les décisions prises par le conseil municipal.

Dans un contexte de hausse de l’abstention, et alors que la confiance des citoyens envers les élus ne cesse de diminuer, le Sénat doit-il prendre la responsabilité de supprimer l’échelon de proximité dans les trois plus grandes villes françaises ?

Enfin, au-delà des problèmes de fond, la réforme qui nous est proposée a été élaborée dans la précipitation et sans concertation avec l’ensemble des parties prenantes, ce qui a conduit de nombreux maires d’arrondissement à qualifier cette proposition de loi de « réforme bâclée et de circonstance ».

Mme Lauriane Josende, rapporteure. Ainsi, beaucoup de maires d’arrondissement ont indiqué, lors des auditions que j’ai conduites, ne pas avoir été consultés par les auteurs du texte.

La limitation de la réforme à la seule question du mode de scrutin illustre également son impréparation. L’enjeu des compétences et de leur répartition entre arrondissements, mairie et métropole aurait impérativement dû être abordé ; cette demande a d’ailleurs été expressément formulée par une large majorité des maires et maires d’arrondissement que j’ai consultés.

La réforme proposée apparaît donc contestable à tous égards, ce qui a conduit la commission des lois à rejeter le texte. Mal préparée, sans aucune concertation, elle pose des difficultés multiples, tant sur le plan juridique que d’un point de vue pratique, financier et politique.

Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous propose de rejeter ce texte à votre tour.

Je souhaiterais cependant insister sur un point. Que nous vous invitions à rejeter cette proposition de loi ne signifie pas pour autant que nous sommes opposés à toute réforme du statut de Paris, Lyon et Marseille ; c’est même tout le contraire.

Nos auditions ont en effet montré qu’une réforme plus globale et réfléchie du statut de ces trois villes, abordant la question du mode de scrutin, mais aussi et surtout celle des compétences, et intégrant la dimension métropolitaine, est nécessaire ; elle est réclamée par les acteurs concernés eux-mêmes.

Je forme donc le vœu que soit mené un travail de long terme, sous la forme, par exemple, d’une mission d’information, pour évaluer le fonctionnement actuel de ces trois villes, en concertation avec l’ensemble des acteurs intéressés. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Une fois ce travail préalable mené, une refonte du statut de ces trois villes pourra être valablement et démocratiquement envisagée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les électeurs marseillais, ainsi que les électeurs lyonnais et parisiens – même les Parisiens ! –, doivent pouvoir élire leur maire librement, donc directement. C’est un impératif démocratique !

Il est temps que les trois grandes métropoles modernes balaient ce mode de scrutin suranné, mis en place par le vieux monde politicien et, plus précisément, par Gaston Defferre, qui était en 1982 à la fois ministre de l’intérieur socialiste et maire de Marseille : il changea la loi le 31 décembre pour gagner les élections municipales de 1983, avec 10 000 voix de moins – je dis bien : de moins ! – que son adversaire, un certain Jean-Claude Gaudin.

Depuis lors, nous savons tous que « PLM » signifie en réalité « Petite Loi de Magouille ». (Sourires.)

À ce titre, je ne comprendrais pas que le présent texte ne soit pas soutenu par la droite sénatoriale. C’était une réforme souhaitée par Jean-Claude Gaudin, qui fut au Sénat, il n’y a pas si longtemps, président de votre groupe, en plus d’être maire de Marseille pendant vingt-cinq ans. Vous l’avez peut-être oublié, mais pas moi, et je tiens, malgré tout, à lui rendre hommage à cette tribune. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Aussi, comme lui, j’espère que vous prendrez pitié des électeurs et que vous saurez tirer la charrue de la démocratie.

En effet, en 2020, le spectacle du troisième tour pour l’élection du maire, au conseil municipal de Marseille, fut catastrophique pour la crédibilité de la politique locale ! C’était le rendez-vous des mauvaises intrigues politiciennes, au milieu desquelles l’actuelle troisième adjointe passa du bureau de droite au bureau de gauche, avec ses 2 % sous le bras, qui lui permettaient d’être faiseuse de maire. Après huit heures de négociations, c’est une femme écologiste qui fut élue, écartée six mois plus tard au profit d’un homme socialiste !

Comment voulez-vous que les Marseillais, dans ces conditions, aient confiance en la politique et retournent aux urnes ?

De même que les systèmes complexes créent de la défiance, le suffrage universel direct à la proportionnelle donne de la confiance, donc de la légitimité.

C’est pourquoi je soutiens l’esprit de ce texte.

Cependant, la simplification en deux urnes ne doit pas entraîner deux fois plus de fraudes électorales !

Cette fraude est connue de tous à Marseille. La priorité démocratique est donc de mieux contrôler les près de 500 bureaux de vote de la ville, notamment face au défi de la multiplication des urnes.

Dans ce domaine aussi, j’ai bien peur que nous soyons à Marseille « à jamais les premiers » et que nul ne puisse nous contester ce titre peu glorieux !

Cette loi de démocratisation du mode de scrutin municipal ne doit toutefois pas affaiblir les mairies de secteur au point d’aboutir à leur suppression. En tant qu’ancien maire des treizième et quatorzième arrondissements de Marseille, je sais qu’elles ont leur utilité pour les habitants et les corps intermédiaires ; elles assurent la vitalité des cent onze villages qui constituent notre ville.

Il faut, au contraire, leur donner plus de responsabilités et un budget plus important pour que la politique de proximité continue à être menée pour le bien de tous.

Enfin, je suis tout à fait favorable, à la prime de 25 % pour la liste arrivée en tête, pour la commune comme pour la métropole.

La démocratisation des collectivités locales doit passer par le renforcement de la représentation des oppositions.

C’est pourquoi je soutiendrai une gouvernance locale qui s’exerce de Marseille, pour les Marseillais et par les Marseillais ; de même pour les Lyonnais, et même pour les Parisiens ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la réforme du mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille. Je tiens en préambule à saluer le travail de notre commission des lois et de sa rapporteure sur ce texte.

Cette réforme n’est pas seulement souhaitable : elle est nécessaire. Depuis son adoption, la loi du 31 décembre 1982 relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale, dite loi PLM, est critiquée à bien des égards et à juste titre.

Elle est notamment décriée, parce qu’elle complexifie le mode de scrutin, qui ne permet pas d’élire directement la liste du futur maire dans ces trois villes.

En ce sens, le groupe Les Indépendants soutient pleinement l’idée d’une réforme de la loi PLM et les objectifs visés par le présent texte. Notre groupe est attaché au fait que les Parisiens, les Lyonnais et les Marseillais puissent choisir directement les élus qui les représenteront au conseil municipal et éliront leur maire, comme c’est le cas dans toutes les autres communes de France.

« Un électeur égale une voix », quel que soit l’arrondissement ou le secteur du votant : ce principe simple, nous le défendons. Ce n’est pas pour rien que la loi PLM a fait l’objet de critiques dès son adoption, il y a plus de quarante ans.

Néanmoins, le texte que nous examinons aujourd’hui présente plusieurs lacunes.

Le premier écueil tient aux délais. L’usage veut que l’on ne modifie pas la loi électorale moins d’un an avant un scrutin. Les exemples qui contreviennent à ce principe sont nombreux, mais cela ne signifie pas qu’ils sont justes. Faut-il faire de la précipitation une règle de notre vie politique ? Je ne le crois pas.

Les électeurs, tout comme les administrations chargées de l’organisation des élections – charge souvent aussi lourde qu’importante –, doivent pouvoir se préparer. Il s’agit de s’adapter à un nouveau mode d’élection et de rassembler les moyens matériels permettant la tenue de deux scrutins le même jour, voire de trois scrutins, comme ce serait le cas à Lyon.

Or les délais ne le permettent pas. Le rapport de la commission des lois a mis en lumière plusieurs difficultés, fort bien rappelées tout à l’heure par Mme la rapporteure, concernant la mise en œuvre de ce texte en l’état.

Nous ne sommes qu’à trois mois de l’ouverture de la période de financement des comptes de campagne. Dans trois mois, les règles qui encadreront les élections devront être détaillées et publiées.

Les défis logistiques et financiers sont indéniables, car la présente proposition de loi modifie en profondeur la nature même des élections municipales à Paris, Lyon et Marseille.

Dès lors, une question se pose : pourquoi ne pas avoir inscrit une telle réforme à l’ordre du jour plus tôt ? Cela est regrettable, et j’espère que nous serons amenés à nous prononcer à nouveau sur une nouvelle modification de la loi PLM.

Oui, celle-ci doit être modifiée, mais pas seulement en surface. Le texte que nous examinons aujourd’hui ne va pas suffisamment loin. Il ne traite pas sur le fond de la démocratie de proximité, à laquelle nous sommes, toutes et tous, profondément attachés.

En effet, la proposition de loi ne comporte pas de mesures concrètes sur les arrondissements. C’est pourtant un point majeur. Au fil des décennies, ces derniers sont devenus un échelon de proximité privilégié pour nombre de Parisiens, de Lyonnais et de Marseillais.

Je rappelle que certains secteurs comptent plus d’habitants que certaines très grandes villes françaises. C’est le cas du quinzième arrondissement de Paris, qui compte largement plus de 200 000 habitants.

La modification du mode d’élection des conseillers municipaux de ces trois villes aurait dû s’accompagner d’une réforme d’ampleur portant sur le rôle des arrondissements. Le Parlement avait eu l’occasion d’aborder ce sujet lors de l’examen de la loi relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.

Au-delà, le texte que nous examinons aujourd’hui ne permet pas de garantir que les maires d’arrondissement ou de secteur seront représentés au sein des conseils municipaux.

Si ce texte était adopté, les maires de secteur ou d’arrondissement, qui sont pourtant les principaux interlocuteurs des administrés, pourraient ne pas être membres de ces instances. Cela n’est évidemment pas souhaitable. La représentation des secteurs ou des arrondissements au niveau du conseil municipal est cruciale dans des villes aussi peuplées que Paris, Lyon et Marseille : c’est ce qui permet de faire remonter efficacement les enjeux de proximité.

Par ailleurs, une réflexion sur la ville de Toulouse, qui compte aujourd’hui 10 000 habitants de plus que la ville de Lyon, aurait été nécessaire.

Les membres du groupe Les Indépendants s’abstiendront donc, en l’état actuel des choses, sur la présente proposition de loi, mais nous serons vigilants à ce qu’une réforme de la loi PLM soit menée à l’avenir.

Cette réforme devra être ambitieuse. Elle devra permettre qu’un électeur égale une voix pour l’élection des maires de Paris, Lyon et Marseille, tout en comportant un volet à la hauteur des enjeux sur les compétences des arrondissements.

Afin de reposer sur des bases solides et de ne pas être remise en cause comme l’a été la loi PLM de 1982, cette réforme devra être menée dans des délais raisonnables. Il faut que le changement du mode de scrutin se fasse dans des conditions sereines. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi aurait pour objet de corriger les effets pervers de la loi PLM de 1982, dont l’application a parfois conduit à des résultats contraires à l’expression du suffrage universel. Ce n’est pourtant pas la règle, et cette correction n’est pas non plus l’objet réel de ce texte : rétablissons la vérité !

Même si je crois qu’une réforme est possible, nous avons clairement un problème de méthode.

Tout d’abord, le calendrier est précipité : nous sommes à moins d’un an des élections municipales.

Ensuite, on ne peut que relever un manque de concertation avec les acteurs locaux concernés, en amont du texte, même si je remercie notre rapporteure, Lauriane Josende, d’avoir su mener des travaux de qualité dans un temps pourtant très contraint.

À moins d’un an du scrutin municipal, les élus parisiens qui défendent cette réforme nous vantent une grande simplification pour l’électeur : il n’en est rien !

Premièrement, la prime majoritaire de 25 % retenue pour l’élection des conseillers municipaux entraînerait une rupture d’égalité entre les communes.

Deuxièmement, l’organisation concomitante de plusieurs élections le même jour – deux à Paris et Marseille, trois à Lyon – pourrait être source de confusion pour les électeurs.

Enfin, on ne peut passer sous silence le coût financier de la réforme, lié à l’organisation de plusieurs scrutins le même jour, comme l’a bien souligné et détaillé notre rapporteure.

J’ajoute que cette réforme mettrait à mal la démocratie de proximité, puisqu’il serait possible de siéger au conseil central sans être élu parallèlement au conseil d’arrondissement, ce qui est une aberration.

La présidente Martine Vassal et le président Renaud Muselier ont posé la question à juste titre : en quoi la mise en place de deux urnes, voire de trois à Lyon, au lieu d’une seule aujourd’hui, constituerait-elle une simplification ?

Quelle place, enfin, pour les compétences de nos mairies d’arrondissements ? À Paris et à Lyon comme à Marseille, la réalité est qu’aucun consensus technique et politique n’a été trouvé.

Le seul argument partisan de cette réforme précipitée est le suivant : « un habitant, une voix ».

Pourtant, je rappelle que, dans toutes les communes de France, les citoyens élisent directement non pas le maire de la commune, mais des conseillers municipaux qui – comme à Paris, à Lyon ou à Marseille – élisent par la suite celui-ci. Cessons de convoquer ce lieu commun qui n’a pas de sens.

Même le maire socialiste de Marseille Benoît Payan souhaite « rendre le scrutin plus lisible » selon le principe « un Marseillais, une voix », lui qui n’a pourtant pas été élu maire de Marseille aux dernières élections municipales, les Marseillais ayant préféré élire pour une fois une femme écologiste, à savoir Michèle Rubirola. Pour eux, les choses étaient claires !

La réforme que l’on nous propose aujourd’hui ne mettra pas un terme à ces tripatouillages, ces négociations de couloir faites au détriment du choix des Marseillais.

Je m’interroge : pourquoi cette réforme précipitée ?

Nous le voyons tous ici, au-delà de sa technicité, nous devinons que ce texte porte la marque de négociations politiques. Mais ne nous y trompons pas : parce qu’elle touche à notre démocratie, une telle réforme mériterait des travaux approfondis. Qui plus est, elle n’a jamais été réclamée par les Marseillais, désormais habitués par la loi PLM. Les Marseillais, comme les Français, ont aujourd’hui d’autres urgences : santé, sécurité, pouvoir d’achat.

Avec cette réforme, vous ne dynamisez pas la démocratie locale, vous la dynamitez !

Bien qu’elle soit imparfaite, la loi PLM présente un avantage, celui d’assurer la représentativité de tous les arrondissements de tous les secteurs au sein des conseils municipaux de nos trois villes.

J’ai eu l’honneur d’être élue maire des onzième et douzième arrondissements de Marseille. Permettez-moi de profiter de mon intervention pour saluer l’engagement et l’investissement de nos maires d’arrondissement, notamment à Marseille. J’ai une pensée particulière pour l’un d’entre eux, qui accomplit un remarquable travail de proximité : le maire des onzième et douzième arrondissements de Marseille.

Les défenseurs de ce texte veulent faire revivre la démocratie locale. Commençons par donner plus de compétences à nos maires de secteur, notamment à Marseille, au lieu de vouloir transformer l’élection des conseils d’arrondissement en scrutin annexe, bafouant ainsi la proximité.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter contre ce texte. Optons – pourquoi pas – dans les prochains mois pour une réforme plus large, qui, je l’espère, renforcera le rôle des mairies de secteur, tout en opérant des ajustements sur la loi PLM, et qui sera conforme aux engagements du Premier ministre ou de vous-même, monsieur le ministre, vous qui avez déclaré le 11 avril dernier : « Nous ne forcerons pas le Sénat. […] Il nous faut un consensus. »

Ce consensus n’existe pas aujourd’hui, il faudra le construire, mais plus tard. Prenons le temps de la démocratie locale et de la proximité. Ce n’est pas ce que l’on nous propose avec le texte qui nous est soumis cet après-midi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Ian Brossat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (M. François Patriat applaudit.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « ce projet, s’il était appliqué, introduirait à Paris, Marseille et Lyon le règne de la confusion, de la bureaucratie et du gaspillage des deniers publics. » Ces mots ne sont pas les miens : ils ont été prononcés ici même, à cette tribune, en 1982, par Roger Romani, membre du groupe RPR (Rassemblement pour la République) et rapporteur de la commission des lois, lorsque le deuxième gouvernement de Pierre Mauroy présentait son projet de réforme des élections à Paris, Lyon et Marseille.

La loi du 31 décembre 1982 avait pourtant pour ambition d’améliorer la démocratie locale en renforçant les pouvoirs des institutions communales. Il s’agissait, à l’époque, d’aligner l’élection des conseils municipaux de ces villes sur celle des communes de plus de 3 500 habitants.

Ce texte faisait déjà l’objet de nombreuses critiques, à tel point que le groupe RPR du Sénat avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable, qui a été adoptée à l’époque par 180 voix pour et 108 voix contre.