Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour attirer l'attention d'un certain nombre de sénateurs qui plaidaient, notamment au sein du groupe Union Centriste, sur la bonne mesure qu'était la CDHR, votée de manière exceptionnelle pour 2024-2025. En effet, cette contribution ne règle en rien le problème, dans la mesure où son dispositif prévoit l'acquittement d'un minimum de 20 % de son revenu fiscal de référence en impôt. Ainsi, le sujet est non pas le taux, mais bien l'assiette du revenu fiscal de référence.

Je voulais vous présenter ces travaux et vous dire que je suis parfaitement consciente des enjeux. Nous y travaillons sur le plan technique. Je souhaite apporter une réponse à ce problème dans les prochaines semaines, avec, bien sûr, les parlementaires intéressés par ce sujet. Le constat, je le crois, fait consensus dans le monde entrepreneurial, dans la mesure où la situation actuelle est une manière de desservir ce que nous cherchons à encourager.

En effet, ce que nous cherchons à encourager, ce sont les entrepreneurs, les familles qui ont choisi de conserver des entreprises en croissance en France, l'innovation. De nombreux entrepreneurs, quand je leur décris cette situation, soutiennent, comme le font, légitimement, tous les Français, l'effort déployé pour mettre fin à ces pratiques abusives. Je veux donc rassurer les entrepreneurs de notre pays : c'est bien cela que nous voulons faire.

M. Pascal Savoldelli. La partie technique de votre intervention était intéressante, mais, là, c'est de la langue de bois.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non, monsieur le sénateur !

Votre proposition de loi va, quant à elle, beaucoup plus loin. En effet, s'assurer que le revenu fiscal de référence n'est pas insincère n'équivaut pas à considérer qu'il faudrait que tous les détenteurs d'un patrimoine de plus de 100 millions d'euros versent l'équivalent 2 % de ce montant en impôts chaque année.

Je reviendrai sur ce point dans les amendements. La raison en est que ce taux s'appliquerait sur du stock. Or, à un tel niveau, le Conseil constitutionnel a systématiquement considéré que, sans plafonnement, cette proposition était inacceptable compte tenu de notre cadre monétaire et fiscal.

M. Yannick Jadot. Mais non !

M. Guy Benarroche. Ce n'est pas exact !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certains déplorent l'absence d'étude d'impact, ce qui est vrai. Cela étant, vous pourriez, mesdames, messieurs les sénateurs, solliciter du Conseil d'État une analyse de la constitutionnalité de votre approche. (M. Thomas Dossus rit.) À ce jour, j'en doute, puisque nous avons vu qu'au cours de l'histoire, depuis quarante ans, le seul taux accepté sans plafonnement était celui de 0,5 %.

Tels sont les propos que je souhaitais soumettre à votre sagacité collective.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l'article unique de la proposition de loi, dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.

proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches

Article unique

I. – Le chapitre Ier bis du titre IV de la première partie du livre Ier du code général des impôts est ainsi rétabli :

« CHAPITRE IER BIS

« Impôt plancher sur la fortune

« Art. 885 A. – Sont soumises à l'impôt plancher sur la fortune lorsque la valeur de leurs actifs mentionnés aux articles 885 B à 885 H est supérieure à 100 millions d'euros :

« 1° Les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, sur leurs biens situés en France ou hors de France.

« Toutefois, les personnes physiques mentionnées au premier alinéa du présent 1° qui n'ont pas été fiscalement domiciliées en France au cours des cinq années civiles précédant celle au cours de laquelle elles ont leur domicile fiscal en France ne sont imposables qu'au titre de leurs biens situés en France.

« Le deuxième alinéa du présent 1° s'applique au titre de chaque année au cours de laquelle le redevable conserve son domicile fiscal en France, jusqu'au 31 décembre de la cinquième année qui suit celle au cours de laquelle le domicile fiscal a été établi en France ;

« 2° Les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France, sur leurs biens situés en France ;

« 3° (nouveau) Les personnes physiques domiciliées en France depuis plus de dix ans et pendant au moins l'une des cinq dernières années, sur leurs biens situés en France ou hors de France, sauf si elles remplissent les conditions mentionnées au deuxième alinéa du 1°.

« Sauf dans les cas prévus aux a et b du 4 de l'article 6, les couples mariés font l'objet d'une imposition commune.

« Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil font l'objet d'une imposition commune.

« Les conditions d'assujettissement sont appréciées au 1er janvier de chaque année.

« Art. 885 B. – L'impôt plancher sur la fortune est assis et les bases d'imposition sont déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès, sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre.

« Les exonérations prévues en matière de droits de mutation par décès ne s'appliquent pas à l'impôt plancher sur la fortune.

« Art. 885 C. – L'assiette de l'impôt plancher sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année d'imposition, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes mentionnées à l'article 885 A, et à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci.

« Dans le cas de concubinage notoire, l'assiette de l'impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année d'imposition, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant à l'un et l'autre des concubins et aux enfants mineurs mentionnés au premier alinéa du présent article.

« Art. 885 D. – Les primes versées après l'âge de soixante-dix ans au titre des contrats d'assurance non rachetables souscrits à compter du 20 novembre 1991 et la valeur de rachat des contrats d'assurance rachetables sont ajoutées au patrimoine du souscripteur.

« La créance que le souscripteur détient sur l'assureur au titre de contrats, autres que ceux mentionnés à l'article L. 132-23 du code des assurances, qui ne comportent pas de possibilité de rachat pendant une période fixée par ces contrats est ajoutée au patrimoine du souscripteur.

« Art. 885 E. – Les biens ou droits grevés d'un usufruit, d'un droit d'habitation ou d'un droit d'usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l'usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété. Toutefois, les biens grevés de l'usufruit ou du droit d'usage ou d'habitation sont compris dans les patrimoines respectifs de l'usufruitier ou du nu-propriétaire suivant les proportions fixées à l'article 669 dans les cas énumérés ci-après, à la condition, en cas d'usufruit, que le droit constitué ne soit ni vendu, ni cédé à titre gratuit par son titulaire :

« 1° Lorsque la constitution de l'usufruit résulte de l'application des articles 767, 1094 ou 1098 du code civil. Les biens dont la propriété est démembrée en application d'autres dispositions, notamment de l'article 1094-1 du même code, ne peuvent faire l'objet de cette imposition répartie ;

« 2° Lorsque le démembrement de propriété résulte de la vente d'un bien dont le vendeur s'est réservé l'usufruit, le droit d'usage ou le droit d'habitation et que l'acquéreur n'est pas l'une des personnes mentionnées à l'article 751 du présent code ;

« 3° Lorsque l'usufruit ou le droit d'usage ou d'habitation a été réservé, par le donateur d'un bien ayant fait l'objet d'un don ou legs à l'État, aux départements, aux communes ou aux syndicats de communes et à leurs établissements publics, aux établissements publics nationaux à caractère administratif et aux associations reconnues d'utilité publique.

« Art. 885 F. – Les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire ou ceux éventuellement acquis en remploi ainsi que les fruits tirés de l'exploitation de ces biens ou droits sont compris dans le patrimoine du constituant pour leur valeur vénale nette.

« Art. 885 G. – Les biens ou droits placés dans un trust défini à l'article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l'année d'imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en application du II du même article 792-0 bis.

« Le premier alinéa du présent article ne s'applique pas aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l'article 795 ou sont des organismes de même nature relevant de l'article 795-0 A et dont l'administrateur est soumis à la loi d'un État ou d'un territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

« Art. 885 H. – L'article 754 B est applicable à l'impôt plancher sur la fortune.

« Art. 885 İ. – La valeur des biens est déterminée suivant les règles en vigueur en matière de droits de mutation par décès.

« Par dérogation au deuxième alinéa de l'article 761, un abattement d'un million d'euros est effectué sur la valeur vénale réelle de l'immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. En cas d'imposition commune, un seul immeuble est susceptible de bénéficier de cet abattement.

« Art. 885 J. – Les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées selon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition.

« Art. 885 K. – Les créances détenues, directement ou par l'intermédiaire d'une ou de plusieurs sociétés interposées, par des personnes n'ayant pas leur domicile fiscal en France sur une société à prépondérance immobilière mentionnée au 2° du I de l'article 726 ne sont pas déduites pour la détermination de la valeur des parts que ces personnes détiennent dans la société.

« Art. 885 L. – Le tarif de l'impôt plancher sur la fortune dû est égal à la différence, si elle est positive, entre :

« 1° Le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable ;

« 2° Et le montant résultant de la somme des montants acquittés, pour l'année en cours, par le redevable au titre de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune immobilière, de la contribution prévue à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, des contributions au remboursement de la dette sociale prévues au chapitre II de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale et de la contribution prévue à l'article 223 sexies du présent code.

« Art. 885 M. – I. – Les redevables souscrivent, au plus tard le 23 septembre de chaque année, une déclaration de leur fortune précisant la valeur brute et la valeur nette taxable de leur patrimoine, déposée au service des impôts de leur domicile au 1er janvier et accompagnée du paiement de l'impôt.

« La valeur brute et la valeur nette taxable du patrimoine des concubins notoires et de celui des enfants mineurs lorsque les concubins ont l'administration légale de leurs biens sont portées sur la déclaration de l'un ou l'autre des concubins.

« II. – Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil doivent conjointement signer la déclaration prévue au I du présent article.

« III. – En cas de décès du redevable, le 2 de l'article 204 est applicable. La déclaration mentionnée au I du présent article est produite par les ayants droit du défunt dans un délai de six mois à compter du décès. Le cas échéant, le notaire chargé de la succession peut produire cette déclaration à la demande des ayants droit si la succession n'est pas liquidée à la date de production de la déclaration.

« Art. 885 N. – Les personnes possédant des biens en France sans y avoir leur domicile fiscal et les personnes mentionnées au 2 de l'article 4 B peuvent être invitées par le service des impôts à désigner un représentant en France dans les conditions prévues à l'article 164 D.

« Toutefois, l'obligation de désigner un représentant fiscal ne s'applique ni aux personnes qui ont leur domicile fiscal dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement de l'impôt, ni aux personnes mentionnées au 2 de l'article 4 B qui exercent leurs fonctions ou sont chargées de mission dans l'un de ces États.

« Art. 885 O. – Lors du dépôt de la déclaration mentionnée au I de l'article 885 M, les redevables doivent joindre à leur déclaration les éléments justifiant de l'existence, de l'objet et du montant des dettes dont la déduction est opérée. »

II. – L'article 1723 ter-00 A du code général des impôts est ainsi rétabli :

« Art. 1723 ter-00 A. – I. – L'impôt plancher sur la fortune est recouvré et acquitté selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que les droits de mutation par décès.

« II. – Ne sont pas applicables aux redevables mentionnés au I de l'article 885 M :

« 1° Les articles 1715 et 1716 A ;

« 2° Les articles 1717, 1722 bis et 1722 quater.

« Néanmoins, lorsque le redevable se trouve dans l'impossibilité de payer l'impôt plancher sur la fortune en raison d'une situation de gêne, le paiement de l'impôt peut être échelonné à la demande du redevable, avec l'accord de l'administration fiscale, dans un délai ne pouvant excéder cinq ans à compter de l'expiration du délai de souscription de la déclaration de l'impôt plancher sur la fortune prévue au I de l'article 885 M. Le redevable doit joindre à sa déclaration mentionnée au même I les éléments justifiant de l'impossibilité de payer l'impôt plancher sur la fortune en raison d'une situation de gêne ;

« 3° Les dispositions du III de l'article L. 269 du livre des procédures fiscales relatives à l'inscription de l'hypothèque légale du Trésor. »

III. – L'article 1723 ter-00 B du code général des impôts est complété par les mots : « et pour le paiement de l'impôt plancher sur la fortune ».

IV. – La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2026.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, sur l'article. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Ghislaine Senée. Nous avons l'occasion, grâce à cette proposition de loi, de traiter d'un sujet important. Beaucoup de Français nous regardent.

L'on pourrait nous accuser d'avoir mis en place une forme de lobbying, mais vous avez tous reçu dans vos boîtes aux lettres, mes chers collègues, des réactions de Français, mais également de maires, qui demandent que l'on puisse considérer cette question eu égard aux difficultés que rencontrent les collectivités. Et l'on sait bien à quel point, dans cet hémicycle, nous sommes attachés à ces dernières.

Notre premier objectif, madame la ministre, est d'essayer de sortir la France du marasme dans lequel, avec Emmanuel Macron, vous l'avez plongée au cours des sept dernières années.

Notre second objectif est de rappeler que nous sommes confrontés à l'heure actuelle à une forte tension sociale. La question de la justice sociale est donc absolument primordiale.

La réalité, c'est que nous sommes face à un déficit public qui explose : de 60 milliards d'euros en 2017, il a atteint 170 milliards d'euros en 2024, pour un total de 3 000 milliards d'euros de dette. En même temps, la France est un paradis fiscal pour ultrariches. Ainsi, ses 500 plus grandes fortunes, en 2017, possédaient 570 milliards d'euros, alors qu'aujourd'hui, comme cela a été rappelé par plusieurs de nos collègues, ce montant atteint 1 228 milliards d'euros, l'équivalent de sept fois notre déficit public annuel. Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous devrions tous nous poser la question.

Si nous proposons cette taxe, défendue par Gabriel Zucman, par Bruno Le Maire, par vous-même au niveau européen, par Jean Pisani-Ferry, ainsi que par Olivier Blanchard, c'est que nous sommes face à une situation importante et grave, à laquelle cette mesure apporterait une réponse utile. En outre, il nous faut absolument répartir les efforts que vous allez demander, pour ne pas qu'ils soient à la seule charge des autres Français. D'où l'intérêt de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l'article.

M. Yannick Jadot. Madame la ministre, mes chers collègues de droite, dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec autant de ferveur 1 800 foyers fiscaux, détenteurs de plus de 100 millions d'euros de fortune et qui payent moitié moins que les autres Français en impôts ? (Mme la ministre proteste.)

L'égalité fiscale, ce n'est pas rien dans notre histoire politique ! Elle a été consacrée par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle l'est également par l'article 1er de notre Constitution. Cela devrait faire réfléchir ceux qui se disent encore gaullistes…

Vous préférez, finalement, perdre 20 milliards d'euros de recettes potentielles…

M. Xavier Iacovelli. Et des emplois !

M. Yannick Jadot. … pour protéger ces privilégiés plutôt que d'investir dans la santé, notamment la santé mentale de notre jeunesse, dont nous avons beaucoup parlé cette semaine, dans la transition écologique, la réindustrialisation, l'école ou l'hôpital.

Sommes-nous devenus une ploutocratie ? Le Sénat de la République, qui devrait se battre bec et ongles contre les coupes budgétaires qui abîment nos territoires et notre collectivité, est-il redevenu la chambre des pairs de la Restauration, plus soucieux de protéger uniquement les privilégiés ?

Sommes-nous revenus à l'Ancien Régime, où une caste, la plus riche, était exonérée de l'impôt ? Relisez ou lisez, madame la ministre, mes chers collègues, Tocqueville.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Il n'était pas écologiste !

M. Yannick Jadot. Il écrivait : « Or, de toutes les manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l'inégalité d'impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l'isolement à l'inégalité, et à rendre en quelque sorte l'un et l'autre incurables. » Il ajoutait : « Du moment où les deux classes ne sont pas également assujetties [à l'impôt], elles n'ont presque plus de raisons pour délibérer jamais ensemble, plus de causes pour ressentir des besoins et des sentiments communs ; […] on leur a ôté en quelque sorte l'occasion et l'envie d'agir ensemble. »

Alors ce n'est pas de la confiscation, ce n'est pas de l'obsession : il s'agit juste d'appliquer la loi et d'assurer l'égalité fiscale. Et si, en plus, cela rapporte 20 milliards d'euros, franchement, c'est bon à prendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel et M. Yan Chantrel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, sur l'article.

M. Grégory Blanc. Je formulerai trois remarques, puisque nous avons eu un débat rapide en commission des finances.

La première, c'est que les mots ont un sens. Or je ne suis pas convaincu que cette loi soit d'équité fiscale. En effet, atteindre l'équité fiscale supposerait de refonder l'impôt sur le revenu et d'améliorer la fiscalité sur le capital.

Je rappelle que, avec le PFU, la fiscalité sur les dividendes est de seulement 12,8 %. Je rappelle également que les plus-values latentes, évoquées par notre collègue Canévet au cours de la discussion générale, ainsi qu'un certain nombre d'autres dispositifs nécessiteraient d'être remis sur la table. N'oublions pas non plus les héritages.

Cette proposition de loi n'est donc pas d'équité fiscale : son mérite premier est plutôt d'être un texte anti-abus. Or il me semble que nous devons davantage creuser cette question. J'ai entendu vos arguments, madame la ministre, mais je n'y souscris pas. Certes, un certain nombre de détenteurs de hauts patrimoines abusent, suroptimisent. Mais ce n'est pas en corrigeant des dispositifs, ce qui laissera nécessairement des trous dans la raquette, que nous arriverons à lutter contre toutes les formes de suroptimisation fiscale.

Deuxième remarque, la grande vertu de ce texte est d'être une novation fiscale, dans la mesure où y est agrégé ce qui relève de la fiscalité sur la personne physique et sur la personne morale – en l'espèce, les entreprises. Pourquoi ? Parce que la suroptimisation et les abus résultent des tours de passe-passe entre les revenus des personnes et ceux des entreprises, comme nous le savons bien, avec des remontées de résultats entre les sociétés mères, les sociétés filles et les holdings. C'est précisément cela qui doit nous conduire à repenser la façon dont fonctionne notre fiscalité, en introduisant dans notre code général des impôts des outils similaires à ce qui est proposé.

Troisième remarque, lors de l'épidémie de covid, des patrimoines se sont considérablement enrichis parce que la Banque centrale européenne (BCE) a massivement injecté des liquidités. Or certaines personnes ont utilisé ces dernières pour valoriser les entreprises, racheter des actions et accroître leur patrimoine. Il serait tout à fait juste qu'il y ait un retour d'ascenseur. C'est une question morale.

M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, sur l'article.

M. Alexandre Ouizille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de la discussion générale, il a été évoqué une proposition de loi totémique, une mesure symbolique. Nous croyons qu'il s'agit, à l'inverse, de quelque chose de fondamental.

Madame la ministre, vous disiez que le système fiscal français permettait de comprimer les écarts entre les différents déciles. Mais regardez la situation des patrimoines : en 1985, les 1 % les plus riches de ce pays détenaient 16 % de la richesse nationale, quand, aujourd'hui, ils en possèdent un quart. En d'autres termes, la confiscation se fait dans l'autre sens : les 99 % les plus pauvres de ce pays, c'est-à-dire tous les Français, se sont vus confisquer 8 % de la richesse nationale, de toute la richesse créée, au profit des 1 %. La confiscation est dans l'autre sens, et vous ne proposez rien sur ce sujet !

Il ne s'agit donc pas d'un totem, particulièrement quand on sait que, l'année prochaine, vous souhaitez trouver 40 milliards d'euros pour combler les déficits. Avec ce texte, nous vous offrons la moitié de ce montant. Par conséquent, vouloir continuer à appuyer sur les classes moyennes et sur les classes populaires alors qu'il existe d'autres solutions comme celle qui est proposée, ce n'est pas normal.

Par ailleurs, a été évoquée la question de la constitutionnalité. Or la Constitution, me semble-t-il, se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, c'est la situation actuelle qui est anticonstitutionnelle : aujourd'hui, l'impôt n'est pas redistributif puisque les gens ne payent pas « en raison de leurs facultés ». L'impôt est dégressif à partir des 0,1 % les plus riches, comme cela a été montré. Voilà ce qu'il faut réparer, et il y a urgence à le faire.

Je sais que vous y travaillez, madame la ministre, mais cela vous prend beaucoup de temps… Des promesses ont été faites lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, mais nous en attendons toujours les résultats, alors que voilà des années maintenant que vous êtes au Gouvernement.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Moi, non…

M. Alexandre Ouizille. Ensuite, l'épargne viendrait à manquer, nous dit-on. Or nous savons que, dans notre pays, il existe un excès d'épargne. La peur de voir l'épargne partir je ne sais où n'est pas le sujet !

Nous avons donc la possibilité d'agir alors que, aujourd'hui, se reconstitue une société d'héritiers, une société d'Ancien Régime, figée. Ainsi, 65 % du patrimoine est hérité. Que pouvons-nous dire à ceux qui essayent de s'en sortir par leur travail ? Je suis d'accord avec mes collègues : il y a eu une nuit du 4 août ; il faut, désormais, un après-midi du 12 juin pour changer la situation ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l'article.

M. Yan Chantrel. Ce débat est éclairant et constitue un moment de vérité. Il s'agit d'un moment de vérité vis-à-vis des Françaises et des Français sur le fait que vous souhaitez, madame la ministre, que les efforts reposent toujours sur les mêmes et que vous entendez toujours en épargner d'autres, c'est-à-dire les multimillionnaires.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non !

M. Yan Chantrel. Un grand nombre d'erreurs ont été commises en matière de politique économique depuis huit ans. D'ailleurs, cette politique économique et fiscale est endossée par la droite sénatoriale, quand elle refuse cette taxation.

Ainsi, pendant huit ans, vous n'avez fait que baisser les impôts des plus riches, vous avez supprimé l'ISF, vous avez diminué les impôts des grandes entreprises, ce qui est à l'origine d'un déficit de 700 milliards d'euros ! Il est dû à cette politique économique, qui n'a même pas créé le moindre point de croissance. En effet, cette dernière n'a jamais été aussi atone qu'au cours des huit années marquées par cette politique fiscale et économique.

Face à un tel échec, il conviendrait de revenir sur cette politique, surtout si l'on souhaite combler le déficit. En effet, sans cela, vous enverriez à nos compatriotes le message selon lequel eux seuls devront en acquitter le coût, au travers de coupes sur des dépenses qui vont les toucher directement, en affectant les soins, l'école. Voilà ce que vous préparez pour le prochain budget !

Vous souhaitez 40 milliards d'euros. Pas de problème : ce soir, 20 milliards d'euros vous sont offerts ! Et cela ne concerne que ceux qui gagnent plus de 100 millions d'euros dans notre pays.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non, il s'agit de patrimoine !

M. Yan Chantrel. Je le répète : 100 millions d'euros, avec un taux de 2 %. Même si le gouvernement dont vous faites partie compte une moitié de millionnaires, ses membres ne sont même pas concernés, puisque leur patrimoine est inférieur à 100 millions d'euros. Vous serez donc épargnés !

Je le redis, 100 millions d'euros et un taux de 2 %, parce que ceux qui sont concernés ne payent que 27 % en termes de cotisations sociales et d'impôts alors que, pour nos compatriotes, ce taux atteint 50 %. Elle est là, la justice.

Le redressement des comptes publics ne sera jamais accepté sans justice fiscale et si les plus fortunés n'y contribuent pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, sur l'article.

Mme Anne Souyris. Nous vous avons entendu, monsieur de Legge, madame de Montchalin. Vous reconnaissez, finalement, qu'il existe bien une inégalité fiscale et que le dispositif proposé n'est pas si mal, qu'il est relativement simple.

Mais faisons autrement, dites-vous. Commençons par le projet de loi de finances, suggère l'un. Révisons les modes de calcul du revenu de référence et réévaluons l'ensemble du dispositif, propose l'autre.

En attendant, pourquoi n'est-il pas possible de mettre en place ce dispositif fiscal si simple, qui vient compenser la quasi-absence d'impôt ?

Le Gouvernement demande aux Français un effort de solidarité considérable – on parle tout de même de 40 milliards d'euros. Soutenez-les donc, en votant cette imposition à 2 % ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l'article.

M. Pascal Savoldelli. Je vais poursuivre votre raisonnement, madame la ministre, car nous nous référons au même rapport. Il indique que, avant transfert, les ménages aisés disposent en moyenne d'un revenu 18 fois supérieur à celui des ménages les plus pauvres.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est bien ce que j'ai dit !

M. Pascal Savoldelli. Sur ce point, on vous suit. Ce n'est qu'après transfert, c'est-à-dire qu'après accès aux services publics – vous avez oublié de le dire ! –, que les inégalités se réduisent significativement. L'écart est alors ramené à un rapport de 1 à 3.

Mais qui finance les services publics ? Qui réduit cet écart ? C'est la dépense publique ! Nous devons donc mettre à contribution les ultrariches pour financer les services publics. (Mme la ministre sourit à l'orateur.)

Vous affichez un sourire amical, madame la ministre, mais la question est sérieuse. Le rapport que vous mentionnez mérite la lecture la plus aiguisée possible.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je formulerai quelques observations très rapides sur ce qui a été dit. Il est important d'avoir des débats sereins.

J'entends parfaitement les critiques de Mme Senée et de MM. Blanc, Chantrel et Savoldelli. Quant à vous, monsieur Jadot, je pense objectivement que vous avez dérapé lorsque vous avez reproché aux sénateurs de droite – ou au Sénat en général – de défendre les milliardaires et de s'attaquer à ce texte pour ce seul motif. (C'est pourtant vrai ! sur les travées des groupes GEST et SER.)

Vous êtes dans la pure caricature quand vous vous interrogez sur le régime dans lequel nous vivons et que vous vous demandez si nous vivons en ploutocratie. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Non, mon cher collègue, nous vivons bien en démocratie !

En démocratie, le Sénat, justement, résiste à toutes les pressions, celles des lobbies ou celles que vous nous imposez depuis une semaine. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Je veux parler des mails envoyés à tous les sénateurs pour les pousser à voter. Cette pratique n'est pas acceptable !

Bref, je vous invite à débattre sereinement parce que nous vivons dans une démocratie.

Vous le savez parfaitement – car vous en discutez entre vous, et parce que le professeur Zucman vous l'a dit –, votre proposition de loi, qui prévoit un impôt plancher à 2 % sans plafonnement, est contraire à notre Constitution. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. Guy Benarroche. Déposez un recours !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Vous proposez un dispositif anticonstitutionnel et, dans le même temps, vous reprochez aux sénateurs de droite ou de la majorité sénatoriale de ne pas respecter la démocratie : c'est un peu fort de café !

En démocratie, on débat et on n'attaque pas ses adversaires comme vous le faites.

M. Guillaume Gontard. Vous nous attaquez aussi !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Pour être tout à fait honnête, je trouve qu'il est quelque peu nauséabond et populiste de vouloir faire croire aux gens que la majorité sénatoriale s'oppose au texte pour protéger les plus riches, alors qu'elle vise exactement l'objectif contraire ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)

En effet, elle ne cherche qu'à protéger l'économie et les entreprises de notre pays, afin qu'un plus grand nombre d'investissements soient réalisés dans l'ensemble de nos circonscriptions.

Si vous refusez cette évidence et que vous pensez pouvoir rentrer dans vos circonscriptions en vous targuant d'avoir tué l'emploi et l'investissement, vous vous mettez le doigt dans l'œil ! (Mme Laure Darcos applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Michaël Weber. C'est vous qui serez mal accueillis !

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, sur l'article.

M. Michel Canévet. En écoutant certains orateurs s'exprimer tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que les ultrariches – c'est ainsi que plusieurs de nos collègues les désignent – ne paieraient pas d'impôts dans notre pays. Ce n'est pas la réalité !

L'année dernière, les recettes au titre de l'impôt sur le revenu l'État ont représenté 83 milliards d'euros. Sur les 41 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, 19 millions se sont acquitté de cet impôt, soit moins de la moitié.

En outre, 10 % des contribuables de l'impôt sur le revenu en ont payé 75 % du produit. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Cela signifie que, l'année dernière, 4 % des foyers fiscaux ont payé les trois quarts de l'impôt sur le revenu. (M. Guy Benarroche proteste.)

Ainsi, le fait de prétendre que certains foyers fiscaux ne paieraient pas d'impôts dans notre pays ne pose pas les termes du débat dans le bon sens.

Il faut donc rectifier les choses et reconnaître que les plus aisés contribuent bien à l'impôt. C'est une évidence, car nous avons un système fiscal progressif et proportionnel aux revenus.

M. Daniel Salmon. Y a-t-il redistribution ? Non !

M. Michel Canévet. J'ai aussi entendu que le produit de la contribution s'élèverait à 20 milliards d'euros. Sur quels éléments vous basez-vous pour affirmer cela ? Rien ne permet d'assurer que vous pourriez récupérer une telle somme : c'est un mirage que vous donnez à voir aux Français !

Il faut connaître la réalité des chiffres, or vous ne l'avez pas ! Je veux bien qu'on fasse croire qu'on trouvera des milliards gratuitement, mais, pour ma part, je ne peux m'empêcher d'y voir un mirage et beaucoup d'ironie.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, sur l'article unique.

Mme Christine Lavarde. Je n'ai pas assisté à l'intégralité des débats, mais on m'a rapporté les propos qui ont été tenus sur notre prétendue posture politique et sur ce que nous pensons ou ne pensons pas.

Je rappellerai que notre groupe, depuis plusieurs années, lors de l'examen du PLF, a défendu avec constance une révision de l'impôt sur la fortune immobilière, afin de taxer la fortune dite improductive qui ne contribue absolument pas à l'économie française.

Il se trouve que, jusqu'à présent, notre proposition n'a pas trouvé un écho suffisant pour qu'elle puisse entrer en vigueur.

Cette année, comme l'an dernier, le rapporteur général s'est battu pour que l'on mette en place un dispositif « anti-CumCum ». Si nous n'avions pas été très actifs et vigilants jusqu'à la réunion de la commission mixte paritaire, ce dispositif ne figurerait pas dans la loi de finances qui a été promulguée.

Du reste, pas plus tard qu'au printemps, nous avons de nouveau appelé, dans le cadre de la commission des finances, à prendre des mesures d'application réglementaire pour rendre ce dispositif effectif.

De grâce, ne dites pas que nous sommes aveugles aux problèmes que peut poser la contribution des plus riches ! Il n'empêche que nous le réaffirmons avec force : la mesure proposée est inefficace et inefficiente, comme l'ont expliqué tous les orateurs qui, depuis la tribune, ont annoncé voter contre ce texte.

En effet, nous pensons qu'il est nécessaire de continuer à investir et à soutenir les investissements, la création et l'innovation dans de nombreux domaines, notamment la transition climatique et la défense. Il me semble que nous nous rejoignons sur tous ces sujets. Par ailleurs, il est essentiel de garantir notre souveraineté dans plusieurs secteurs et filières.

Or, avec cette proposition de loi, vous consentez à ce que les détenteurs d'actifs les cèdent pour payer votre impôt.

Regardez ce qui se passe non loin d'ici, de l'autre côté de la Manche, dans un pays dirigé depuis quelques mois par un gouvernement travailliste. Depuis que ce dernier a mis en place des mesures récentes de taxation des plus riches, il y a exactement 11 000 millionnaires qui ont quitté le pays.

C'est peut-être l'objectif que vous souhaitez atteindre, mes chers collègues, bien que vous ne visiez que 1 800 foyers fiscaux.

Pour conclure, je vous poserai cette simple question : pourquoi Gabriel Zucman, malgré ses interpellations à l'OCDE, n'a-t-il pas réussi à mettre en place cette taxe dans les pays qui ont un gouvernement de gauche ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je m'efforcerai d'être très rapide, en répondant sur deux points.

Premièrement, j'espère que personne, ici, ne se dit que nous protégerions ou mettrions sous cloche 1 800 personnes. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)

Dans notre pays, les ETI, lesquelles sont précisément les entreprises qui produisent des dividendes non distribués et ont des valorisations importantes, représentent 4 millions d'emplois, contre 1,2 million d'emplois pour les entreprises du CAC40.

Pour ma part, je ne protège rien ni personne, excepté l'économie, les emplois, l'investissement et la croissance, c'est-à-dire notre capacité à être les plus attractifs possible, dans une forme de cohérence européenne.

M. Guillaume Gontard. Et ça fonctionne ?

Mme Amélie de Montchalin ministre. C'est la raison pour laquelle je n'ai aucune difficulté à soumettre de nombreuses propositions dans le cadre de l'OCDE ou à l'échelon européen.

M. Yannick Jadot. Vous n'avez qu'à donner l'exemple en matière fiscale !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. On peut toujours donner l'exemple, mais si l'on est seul on finit par se retrouver tout seul ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Yannick Jadot. C'était déjà le cas pour la TVA !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Deuxièmement, je veux évoquer les enjeux budgétaires, en faisant un raisonnement par l'absurde.

Certains d'entre vous prétendent qu'avec votre proposition le déficit public serait réduit de moitié. Or elle ne me semble pas pertinente si nous souhaitons arrêter de créer de la dette chaque année et maintenir le déficit sous la barre des 3 % du PIB, d'ici à 2029. C'est un horizon déjà trop lointain, vu la situation que nous vivons collectivement.

En effet, aujourd'hui, nous payons plus d'intérêts de la dette que nous ne dépensons pour l'éducation nationale. Nous pourrions au moins nous accorder sur le fait que cette situation n'est pas satisfaisante.

M. Thomas Dossus. C'est vrai !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. D'ici à 2029, il nous faudra globalement réduire notre dépense d'environ 100 milliards d'euros.

Vous dites qu'on collecterait 25 milliards d'euros avec ce taux de 2 %. Pour avoir le même rendement l'année suivante, il faudrait porter le taux à 4 %.

M. Pascal Savoldelli. Oh, franchement…

M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est M. Savoldelli qui a la solution, bien sûr !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je cherche 100 milliards d'euros : avec une taxe à 2 % chaque année, on arrivera finalement à 8 %. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Si on ne fait pas comme cela, il faudra faire 75 milliards d'économies sur les dépenses publiques.

Notre devoir de sincérité nous impose de dire aux Français que nous ne pouvons pas arrêter d'augmenter notre dette sans revoir le rythme et la nature des dépenses ou l'organisation des services publics.

M. Grégory Blanc. Non, c'est votre vision idéologique !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Autre manière de dire les choses : si nous laissons la situation telle quelle, la dépense en matière de santé augmente naturellement de 15 milliards d'euros chaque année.

Pour couvrir cette dépense nécessaire – la santé –, il faut on comprend qu'il faut un nouvel impôt puisque vous ne voulez pas, vous l'avez dit, réduire la dépense. Or, en suivant votre raisonnement, il faudra collecter 15 milliards d'euros supplémentaires chaque année. (M. Pascal Savoldelli proteste.) Ce ne sera donc pas seulement 2 % cette année : il faudra ajouter 2 % de plus l'année suivante, et ainsi de suite. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. Pascal Savoldelli. Vous êtes ministre des comptes publics !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Justement, en tant que ministre des comptes publics, je dois dire que votre texte suscite une grande confusion. En effet, vous proposez un impôt qui rapportera peut-être 25 milliards d'euros, une seule fois.

Cependant, notre équation budgétaire nous impose de répéter chaque année notre effort. Or vous savez que votre proposition n'aura qu'un effet ponctuel. Vous considérez que votre impôt est formidablement calibré, mais la situation dans laquelle se trouve notre pays nous obligera, chaque année, à réduire notre dépense.

Bref, je tenais à mettre ces arguments dans la balance, afin que nous ne fassions pas croire aux Français que nous aurions sous les yeux une solution facile dont nous nous priverions. (Vices exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Très bien !

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, si nous n'achevons pas la discussion de cette proposition de loi à dix-huit heures, je crains que nous ne puissions examiner le second texte à l'ordre du jour dans les délais impartis.

Je vous rappelle que je ne peux pas interrompre Mme la ministre, qui n'a pas de limite de temps de parole. (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)

L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Daubet, Roux, Bilhac et Fialaire, est ainsi libellé :

Alinéa 28

Après le mot :

million

insérer les mots :

cinq cent mille

La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Cet amendement pragmatique porte sur un point de détail : il vise à prendre en compte la réalité des situations en relevant l'abattement sur la résidence principale de 1 million à 1,5 million d'euros.

Voilà une mesure ciblée qui, sans remettre en cause l'esprit du texte, tient compte du caractère peu productif de la résidence principale et de son poids limité dans le patrimoine global des contribuables concernés.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la commission propose de rejeter cette proposition de loi. Ainsi, par cohérence, elle émettra un avis défavorable sur l'ensemble des amendements déposés, quel que soit le sens dans lequel ils vont, même s'ils peuvent parfois contribuer à améliorer le texte.

En l'espèce, cet amendement extrêmement précis tend à relever de 1 million à 1,5 million d'euros l'abattement sur la résidence principale. Il s'agit d'une mesure cosmétique, qui ne change pas la physionomie générale du texte.

Ce sujet n'a pas été évoqué au cours des auditions que nous avons menées. Il est ici question des contribuables dont le patrimoine excède 100 millions d'euros. On peut donc objectivement supposer qu'ils possèdent une résidence principale dont la valeur dépasse largement 1,5 million d'euros, ne serait-ce que s'ils habitent à proximité du Sénat, dans un appartement de plus de 100 mètres carrés.

Le problème qui a été soulevé est celui non pas de la résidence principale, mais de l'outil de travail. Les amendements devraient plutôt se concentrer sur ce point, d'autant que nous sommes nombreux à avoir partagé nos préoccupations sur le sujet, au centre et à droite, mais pas seulement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Comme le rapporteur, j'estime que relever le montant de l'abattement revient à pinailler sur une partie très restreinte du sujet traité au travers du présent texte.

Si cette taxe venait à être votée – ce que je ne souhaite pas, vous l'aurez compris –, j'aimerais que nous gardions l'abattement de l'IFI afin de préserver la simplicité de la procédure fiscale. Cela suffira à atteindre la cible de la taxe.

L'avis est défavorable.

M. le président. Mes chers collègues, je vous informe qu'un scrutin public a été demandé sur l'article unique. Les amendements peuvent donc être débattus sereinement.

Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Daubet et Bilhac, Mme Briante Guillemont et M. Fialaire, est ainsi libellé :

Alinéa 29

Remplacer les mots :

ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition

par les mots :

au jour du fait générateur de l'impôt ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent le 1er janvier de l'année d'imposition

La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Cet amendement vise à renforcer la sécurité juridique de l'impôt plancher sur la fortune (IPF), notamment pour ce qui concerne la valorisation des valeurs mobilières cotées. Il peut sembler un peu technique, mais il tend simplement à aligner les modalités de prélèvement de l'IPF sur celles de l'IFI.

Ainsi, nous proposons d'opter soit pour le dernier cours connu au jour du fait générateur de l'impôt, soit pour la moyenne des trente derniers cours qui précèdent le 1er janvier de l'année d'imposition.

Cet amendement tend à harmoniser les dispositifs.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Mon cher collègue, je crains que votre amendement suscite davantage de confusion. En effet, les dispositions du texte concernant la valorisation des plus-values immobilières cotées s'appuient sur l'article 973 du code général des impôts, relatif à la valorisation des actifs inclus dans l'assiette de l'IFI. Or cet article est utilisé et a fait ses preuves.

Il semble donc inutile de modifier le texte, d'autant que cela n'irait pas dans le sens de l'objectif que vous visez. En conséquence, la commission est doublement fondée à émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cet amendement est satisfait, car nous disposons déjà de règles relatives à la valorisation des actions cotées qui ne font pas débat. Les sénateurs à l'origine de cette proposition de loi n'ont rien à gagner à rendre le dispositif encore plus complexe.

Je vous invite donc à retirer votre amendement, monsieur le sénateur : cela ne portera préjudice à personne.

M. Raphaël Daubet. Surtout si le texte est voté ! Je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 7 rectifié est retiré.

L'amendement n° 1, présenté par M. Cozic, Mme Blatrix Contat, MM. Raynal et Kanner, Mme Briquet, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Remplacer le taux :

2 %

par le taux :

1 %

La parole est à M. Thierry Cozic.

M. Thierry Cozic. Je souhaitais répondre à l'argumentation développée par le rapporteur.

Lors des travaux en commission, M. Capus a indiqué que cette proposition de loi pourrait être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, le taux de 2 % étant confiscatoire.

Notre proposition est très simple. La seule chose qui nous importe, aujourd'hui, est de mettre en œuvre le mécanisme fiscal dont nous débattons.

Le groupe socialiste suggère, comme il le fait depuis de nombreuses années lors de l'examen de chaque projet de loi de finances, de mettre en place un taux un peu moins élevé, de 1 %. Cette mesure permet d'éviter le risque d'inconstitutionnalité, ce qui va dans le bon sens.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je veux tout d'abord saluer l'auteur de cet amendement, car il a tenu compte des observations du rapporteur. (Sourires.)

M. Yannick Jadot. C'est flatteur !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Nous avons eu un dialogue sur cette question et vous avez reconnu qu'un taux de 2 % exposait le texte à un risque d'inconstitutionnalité extrêmement élevé.

Il est dommage que vos collègues du groupe GEST n'aient pas tenu compte de cet argument – je le dis notamment à l'intention de M. Jadot, qui estime que nous vivions dans une ploutocratie.

De nombreux problèmes ont été relevés dans le cadre de cette proposition de loi et je me réjouis que vous ayez identifié l'un d'entre eux.

M. Guy Benarroche. Vous allez donc émettre un avis favorable ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Cependant (Ah ! sur les travées du groupe GEST.), comme je l'ai écrit dans mon rapport et rappelé à la tribune, un taux supérieur à 0,5 %, sans plafonnement, crée une incertitude absolue quant à la constitutionnalité du texte.

La raison est simple : par principe, cette taxe nécessitera, dans la plupart des cas, l'aliénation d'une partie du patrimoine du contribuable, dès lors qu'on vise les patrimoines exclusivement constitués d'actions.

Ainsi, une difficulté constitutionnelle demeure, sans compter tous les problèmes que j'avais soulevés par ailleurs, dont le risque opérationnel de valorisation et de liquidité des entreprises et le risque de fuite des entreprises.

Vous allez sans doute me répondre qu'il n'y aura pas d'exil fiscal. Il existe bel et bien des dispositifs anti-exil,…

M. Grégory Blanc. Eh oui, l'exit tax !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. …mais pensez-vous sincèrement que ceux qui ont un patrimoine de 90 millions d'euros vont rester sagement en France en sachant qu'ils sont assujettis à votre taxe ?

Soyons sérieux, aucun d'eux ne restera dans notre pays ! (Protestations sur les travées du groupe GEST. – Mme Catherine Conconne s'exclame.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable, compte tenu du risque d'inconstitutionnalité. Une chose est sûre : sans plafonnement, seul un taux maximum de 0,5 % est autorisé par le Conseil constitutionnel. (M. Guy Benarroche proteste.)

On peut toujours se lancer dans de grandes croisades, mais, encore une fois, je vous relate les faits. Prévoir un taux de 1 % ne résoudra pas le problème !

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. Le groupe GEST s'abstiendra sur cet amendement, car nous pensons que seul un taux de 2 % permettra d'atteindre le seuil d'équité.

Toutefois, madame la ministre, je voudrais revenir sur les dispositifs que vous souhaitez porter à notre connaissance dans le cadre du projet de loi de finances, comme l'IFI. Au passage, si ce débat peut vous permettre de gagner un arbitrage, ce sera toujours ça de pris !

Je ne voudrais pas que, dans cet hémicycle, on mette en place une mesure de type dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico). Je rappelle que, à l'origine, le gouvernement Barnier souhaitait un dispositif touchant les grandes communes qui disposent de larges ressources.

Aujourd'hui, force est de constater que de nombreuses petites communes sont obligées de débourser 4 000, 6 000, voire 10 000 euros ; j'imagine que vous avez des remontées du terrain sur cette question, madame la ministre.

Les dispositifs fiscaux que vous proposez procèdent exactement de la même logique ! La taxe Zucman concerne 1 700 foyers, tandis que le Gouvernement souhaite toucher 60 000 foyers. En d'autres termes, vous allez attaquer les entrepreneurs, les dirigeants de PME et les professions libérales.

Cela ne correspond pas à notre volonté aujourd'hui. Encore une fois, nous souhaitons que les 1 700 foyers qui ne paient pas d'impôts comme le reste de la population soient enfin mis à contribution.

À force de vouloir diluer le problème, vous allez nuire à la créativité et à l'innovation, ce qui n'est pas le cas du dispositif que nous proposons.

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.

Mme Florence Blatrix Contat. Je serai très rapide : 2 %, c'est trop ; 1 %, c'est encore trop ! Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, mon groupe avait proposé la mise en place d'un seuil d'imposition de 0,5 %.

Nous aurions pu tester ce dispositif, mais il n'a pas été voté. J'y vois donc une opposition de principe de votre part.

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. Nous avons appliqué l'impôt plancher à la fortune de Bernard Arnault. Cela vous permettra sans doute de comprendre ce que nous proposons, madame la ministre, car, visiblement, il y a eu quelques malentendus.

En 2024, M. Arnault possédait un patrimoine de près de 190 milliards d'euros : tout va bien pour lui. Si on appliquait l'impôt plancher, il devrait, pour atteindre le seuil de 2 %, s'acquitter de 3,8 milliards d'euros supplémentaires.

Si, au cours des cinq prochaines années, il continue de s'enrichir comme il l'a fait au cours des dix dernières années – il sera peut-être même encore plus riche, puisqu'il est ami avec Donald Trump –, sa fortune sera passée de 186 milliards à 297 milliards d'euros entre 2024 et 2028 !

Malgré cet enrichissement de 100 milliards d'euros, M. Arnault devrait s'acquitter de l'impôt plancher à hauteur de 6 milliards d'euros en 2028, soit le rendement du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

Vous voyez bien que l'impôt que nous proposons n'est pas confiscatoire. Il s'agit seulement d'une contribution supplémentaire puisque les plus riches vont, de fait, continuer à s'enrichir.

Je vous rappelle, madame la ministre, que le Conseil d'orientation des retraites (COR), dans son rapport relatif aux prélèvements sur le capital, a clairement indiqué que le PFU et la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n'ont conduit à aucune création d'emploi ni à aucun investissement.

Enfin, chers collègues de droite, vous parlez des exilés fiscaux en vous targuant d'aimer la France. À vous entendre, on a le sentiment que les super-riches sont juste des mercenaires et que, s'ils vivent dans notre pays et jouissent de la nationalité française, c'est uniquement en raison de leur taux d'imposition.

Quelle vision décliniste et pessimiste vous avez de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.) Pour ma part, je suis sûr que ce sont des patriotes et qu'ils paieront leur juste part.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Savoldelli, Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 32

Remplacer les mots :

valeur nette taxable du patrimoine du redevable

par les mots :

fraction de la valeur nette taxable du patrimoine du redevable comprise entre 100 millions d‘euros et 1 milliard d'euros et de 5,1 % à la fraction excédant 1 milliard d'euros ;

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Les plus anciens d'entre nous se souviendront des propos que je m'apprête à rappeler. Je me permettrai, avec toute l'estime et le respect que j'ai pour lui, de prendre à témoin notre collègue Dominique de Legge, qui s'est exprimé pour le groupe Les Républicains lors de la discussion générale.

En 1981, face à Jean-Pierre Elkabbach, Georges Marchais lançait : « Au-dessus de 40 000 francs, je prends tout ! » (Rires.) Aujourd'hui, nous dirons juste : « Au-dessus de 1 milliard d'euros, nous prenons ce qu'il faut ! »

M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est-à-dire tout !

M. Pascal Savoldelli. Ce qu'il faut, c'est 40 milliards d'euros, madame la ministre. Justement, cet amendement devrait aider le Gouvernement à boucler son budget pour 2026.

On parle d'un effort national, mais force est de constater qu'il est à géométrie variable ou constante, selon les jours.

Ce n'est pas nous qui avons parlé de la hausse de la TVA sur les produits du quotidien ; ce n'est pas nous qui évoquons des suppressions de postes dans la fonction publique ; ce n'est pas nous qui osons proposer une année blanche pour les collectivités, c'est-à-dire deux années noires pour nos concitoyens s'agissant des services publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je n'en ai pas parlé non plus !

M. Pascal Savoldelli. Pendant ce temps, qui est épargné ? Ceux dont la richesse atteint un niveau tel qu'elle en devient presque abstraite, dissimulée dans des holdings, diluée dans des trusts et camouflée dans des montages fiscaux.

On nous dit que cette richesse est illiquide ; c'est un terme que j'ai découvert à l'occasion de ces débats. Elle est pourtant très concrète lorsqu'il s'agit d'influencer l'économie, les médias et la politique.

Notre amendement vise donc à corriger ce déséquilibre en imposant une contribution sur les très grandes fortunes à un taux inchangé de 2 %, au-delà de 100 milliards d'euros, et avec un taux de 5,1 % pour la fraction de patrimoine qui dépasse le milliard d'euros. Ce taux de 5,1 % est, selon nous, un taux raisonné et raisonnable.

Au cours des quarante dernières années, la rentabilité moyenne des grandes fortunes avoisinait les 7,5 % par an. Le dispositif proposé permettra de capter 68 % de cette rentabilité, et non du capital. Soyez rassurés, cela laissera aux ultrariches un gain net de 2,4 % par an, soit l'équivalent… du taux du livret A ! (Marques d'impatience à droite.)

M. Pascal Savoldelli. Ce n'est pas de la confiscation. Notre amendement reflète simplement la volonté de la majorité des Français.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Cet amendement me laisse songeur.

M. Pascal Savoldelli. C'est bien !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je suis admiratif, car vous partez du constat que certaines entreprises rapportent beaucoup d'argent, soit plus 800 %, comme vous et votre collègue Jadot l'avez affirmé tout à l'heure.

………………………………………………

Si j'étais libéral, je serais tenté de confier la gestion de nos retraites à ce type d'investisseurs ! Plus 800 % en quelques années, 7,5 % de rentabilité… Imaginons que nous mettions en place un système de retraite par capitalisation fondé sur les mécanismes utilisés par les personnes que vous évoquez : les Français, qui ne sont pas certains d'avoir un jour une retraite, auraient une pension bien plus généreuse qu'aujourd'hui ! (MM. Guillaume Gontard et Daniel Salmon s'exclament.)

En adepte pur et dur de Karl Marx, vous en tirez des conséquences différentes. Soit ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, GEST et SER.)

Marx disait : « Il n'y a qu'une seule façon de tuer le capitalisme : des impôts, des impôts et toujours plus d'impôts. » (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Vous nous proposez donc un impôt au taux totalement confiscatoire de 5,1 %. Si vous aviez voulu réinventer la fable de La Fontaine La Poule aux œufs d'or, vous n'auriez pas fait mieux ! (M. Yannick Jadot s'exclame.) Mais il convient de rappeler la fin de la fable : le maître de la poule miraculeuse, après l'avoir tuée, « l'ouvrit, et la trouva semblable à celles dont les œufs ne lui rapportaient rien ».

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. On compte quarante-neuf milliardaires de nationalité française, et tous ne sont pas résidents fiscaux.

Si nous leur envoyions ce signal, ces quelques dizaines de personnes quitteraient évidemment le territoire. C'est peut-être votre objectif, mais alors, autant l'écrire dans l'amendement.

Derrière la plupart de ces personnes, il y a des entreprises. Derrière les entreprises, il y a des emplois, et encore derrière, il y a des brevets et du rayonnement.

Mme Ghislaine Senée. Et les savoir-faire ?

M. Yannick Jadot. Et les services publics ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je comprends bien que cet argument peine à convaincre ceux qui considèrent qu'il existe une solution facile, dont nous nous priverions pour des raisons incompréhensibles.

L'avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Savoldelli, Barros, Dossus et Cozic, Mme Apourceau-Poly, MM. Bacchi, Basquin et Brossat, Mmes Brulin et Corbière Naminzo, M. Corbisez, Mme Cukierman, M. Gay, Mmes Gréaume et Margaté, M. Ouzoulias, Mmes Silvani et Varaillas et M. Xowie, est ainsi libellé :

Alinéa 46

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu'il justifie, par une réclamation motivée jointe à la déclaration mentionnée au I de l'article 885 M, de l'impossibilité totale ou partielle de s'acquitter immédiatement de l'impôt plancher sur la fortune en raison du caractère illiquide de ses actifs, le redevable peut solliciter de l'administration fiscale un échelonnement ou un report du paiement. Cet échelonnement ou ce report, accordé pour une durée maximale de cinq ans à compter de la date d'exigibilité de l'impôt, est subordonné à la constitution, au profit du Trésor public, d'une sûreté portant sur une fraction équivalente des actifs imposables, sous la forme d'un nantissement conforme à l'article L. 211-20 du code monétaire et financier ou de toute garantie équivalente, notamment un gage immobilier. L'administration fiscale peut, sous réserve d'une décision motivée, refuser une sûreté d'une valeur incertaine. En l'absence de fait générateur de liquidité tel qu'une cession, une donation ou une transmission à titre gratuit du bien grevé, le délai mentionné ci-dessus peut être renouvelé une seule fois pour une durée maximale de cinq ans.

« Les modalités d'appréciation de ces garanties, les conditions de leur constitution, ainsi que les modalités de renouvellement du report ou de l'échelonnement, sont fixées par décret en Conseil d'État ; »

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. J'espère, monsieur le rapporteur, que vous n'aurez pas cette fois La Fontaine pour seule réponse et que votre lecture de Karl Marx sera plus aiguisée !

À chaque tentative de mise à contribution des grandes fortunes, une phrase revient comme un réflexe de classe : « Vous comprenez, ce patrimoine n'est pas liquide. »

En effet, c'est compliqué, l'argent ciblé n'est pas disponible. Mais cette situation ne tombe pas du ciel ! Elle est le résultat d'une stratégie volontaire et planifiée, parfaite pour échapper à l'impôt.

Prenons un exemple quelque peu caricatural, mais très proche de la réalité. Imaginez un boulanger dans un village. Chaque jour, il vend ses baguettes – sauf le 1er mai ! (Rires.) –, empoche l'argent, le déclare et paye ses impôts.

Imaginez maintenant un milliardaire. Il possède dix entreprises, mais au lieu d'empocher directement les profits, il crée une holding, puis une deuxième, qui possède la première, et ainsi de suite. Résultat, les profits ne remontent jamais vraiment jusqu'à lui en tant que revenus : ils restent coincés dans les étages du château fiscal.

Qu'y a-t-il sur la feuille d'impôt de cette personne ? Rien ! Dans ses comptes ? Des milliards ! On appelle cela de l'« illiquidité volontaire ». C'est un peu comme si notre boulanger disait : « Je ne veux pas payer mes impôts, parce que j'ai enfermé tout mon argent dans le four à pain. » (Sourires.)

Soyons sérieux. Notre position est simple : l'État ne peut pas se faire balader par des gens qui organisent eux-mêmes leur insolvabilité fiscale.

Dès lors, comme le prévoyait la version initiale du texte, notre amendement vise à rendre possible un report ou un échelonnement du paiement en cas de difficulté de trésorerie liée à la structure des actifs. Ce point, me semble-t-il, peut nous rassembler. Nous posons toutefois une condition : le ou la redevable doit donner une garantie réelle sur ses actifs, ce qu'on appelle un nantissement, en d'autres termes un gage sur ses biens.

En bref, l'État est créancier, pas pigeon ! Je le répète, madame la ministre, l'absence de liquidité ne vaut pas immunité !

M. le président. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Daubet, Roux, Bilhac et Fialaire, est ainsi libellé :

Alinéa 46, première phrase

Remplacer le mot :

cinq

par le mot :

six

La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Il s'agit d'un nouvel amendement compassionnel, rédigé dans l'espoir d'émouvoir le rapporteur, à défaut de le faire sourire…

Nous proposons d'aménager la période d'échelonnement du paiement de l'impôt, en la portant de cinq à six ans.

M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Daubet et Bilhac, Mme Briante Guillemont et M. Fialaire, est ainsi libellé :

Alinéa 46

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Lorsqu'elle est effectuée en vue d'acquitter l'impôt plancher sur la fortune, la cession, totale ou partielle, des actions détenues par un redevable dans une entité exerçant une activité relevant des secteurs mentionnés à l'article L. 151-3 du code monétaire et financier est subordonnée à l'obtention d'une autorisation préalable du ministre chargé de l'économie.

La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Cet amendement est plus sérieux : il a été rédigé par mon collègue Philippe Grosvalet. (Rires.)

M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est honnête !

M. Raphaël Daubet. Il vise à soumettre la vente d'actions détenues dans une entreprise relevant d'un des secteurs mentionnés aux articles L. 151-3 et R. 151-3 du code monétaire et financier au dispositif de contrôle des investissements étrangers en France.

Il s'agit évidemment de se prémunir contre la vente d'entreprises qualifiées de stratégiques.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. L'amendement n° 2 rectifié de M. Savoldelli, assez surprenant, vise à créer un nouveau type de nantissement.

Sans entrer dans le détail, cet objet juridique pour le moins novateur semble complexe à mettre en œuvre.

Par ailleurs, je ne suis pas du tout convaincu, mes chers collègues, que si vous aviez la mauvaise idée de voter ce texte, il faudrait voter cet amendement. C'est donc un avis défavorable.

Monsieur Daubet, au travers de votre amendement n° 5 rectifié – quelque peu antinomique, d'ailleurs, avec celui de M. Savoldelli –, vous reconnaissez d'une certaine façon les difficultés de liquidité que je soulignais.

C'est assez dingue : dès le départ, les auteurs du texte anticipent qu'une bonne partie, peut-être une majorité, des contribuables visés seront, faute de liquidités, dans l'incapacité de s'acquitter de cet impôt.

Je ne parle même pas du cas des start-up. Par définition, la valorisation des actifs – je l'ai très rapidement abordée tout à l'heure – rend l'impôt totalement impossible à payer.

Pour y remédier, voilà qu'on invente un système d'échelonnement. Honnêtement, que le délai soit de cinq ou six ans – six ans seraient bien sûr préférables –, peu importe : c'est un avis défavorable.

Le professeur Zucman lui-même a prévu un autre dispositif, que je m'étonne d'ailleurs de ne pas trouver dans le texte. Il suggère, puisque ces contribuables ne pourront pas payer l'impôt, que leurs biens soient saisis, ou qu'ils le payent en actions.

M. Pascal Savoldelli. Cela pourrait faire l'objet d'un amendement.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. L'État deviendrait alors actionnaire d'une multitude de sociétés. Il se muerait en un gestionnaire de portefeuille, si toutefois les pactes familiaux autorisent les contribuables en question à vendre leurs actions. C'est ubuesque !

Mme Antoinette Guhl. Ce n'est pas dans le texte !

M. Guy Benarroche. C'est la suite !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. En effet, c'est la suite logique et nécessaire, selon Gabriel Zucman, un économiste auquel vous semblez prêter une oreille attentive… (M. Yannick Jadot s'exclame.)

Enfin, les auteurs de l'amendement n° 8 rectifié posent un problème très sérieux : l'État ne devrait-il pas être en mesure de contrôler la cession d'actions dans des entreprises à caractère stratégique, notamment dans le domaine de la défense ?

Si les contribuables actionnaires sont contraints de vendre leurs actions, nous aurons évidemment cette difficulté.

Pour ce qui est de la défense nationale, cet amendement est en réalité satisfait : il ne peut de toute façon y avoir de vente sans autorisation de l'État.

Toutefois, bien d'autres entreprises, dans d'autres secteurs, pourraient être concernées. Les familles d'actionnaires dont il est question comptent parfois des dizaines de membres. Je pense aux propriétaires de Seb ou de Pernod Ricard – des entreprises extérieures au secteur de la défense, mais extrêmement implantées sur le territoire national –, qui devront demain, si on les force à payer cet impôt, céder leurs actions.

Il s'ensuivra des difficultés capitalistiques extraordinaires qui mettront ces entreprises dans une situation très précaire, à la merci de prédateurs étrangers qui, eux, ne seront pas soumis aux mêmes règles fiscales.

M. Jadot se demandait tout à l'heure dans quel pays nous vivons. Eh bien ! nous vivons dans un pays qui n'est pas isolé. En fait, nous vivons au milieu du monde !

Or, dans le monde qui nous entoure, la taxe Zucman n'a pas été adoptée.

M. Thomas Dossus. Pas encore !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Le professeur Zucman proposait que sa taxe soit mondiale. Ce n'est pas le cas de cette proposition. Or être précurseur en la matière est très loin d'être une bonne idée. Vous savez, si les autres ne le font pas, peut-être y a-t-il des raisons !

La commission a donc émis un avis défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il est également défavorable.

Prenons un cas pratique. J'évoquais VivaTech. L'une de ses entreprises phares, Mistral AI, a été fondée par trois jeunes entrepreneurs français, qui détiennent aujourd'hui la moitié de son capital. Elle est devenue l'un des piliers de notre souveraineté, française et européenne.

Sachant que Mistral AI est aujourd'hui valorisée à 6 milliards d'euros (M. Yannick Jadot s'exclame.), ses trois actionnaires individuels disposent ensemble d'un patrimoine théorique de 3 milliards d'euros. Si la taxe Zucman leur était appliquée, ils devraient payer chaque année, à eux trois 2 % de 3 milliards d'euros, soit 60 millions d'euros, bien au-delà du salaire que leur verse l'entreprise, seule somme qu'ils touchent réellement.

Si le but réel est que l'État devienne actionnaire de Mistral AI, cela porte un nom : une nationalisation rampante. C'est un projet ; ce n'est pas le mien.

La deuxième option est de faire en sorte que ces personnes vendent des actions d'une valeur de 60 millions d'euros chaque année.

Nous vendrions alors ce pilier de notre souveraineté – celui-là même que nous sommes en train de construire – au tout-venant. Nous offririons à qui voudrait s'enrichir la possibilité de prendre chaque année le contrôle de 2 % de la part de l'entreprise appartenant à ses investisseurs et fondateurs.

M. Thomas Dossus. C'est l'exception !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur le sénateur, un grand nombre des entreprises que vous décrivez, celles qui sont valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros et qui ne versent pas de dividendes, sont nos licornes, nos géants de l'innovation.

Nous avons mis tant d'années à installer les conditions pour que ces entreprises, qui jusqu'alors étaient créées par des Français aux États-Unis, soient développées en France !

Vous pointez vous-même la difficulté qui fait que je suis défavorable à ces trois amendements.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié ter, présenté par Mme N. Goulet, M. Delcros, Mme Senée et MM. E. Blanc et Mellouli, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Dans un délai de trois mois et en tous les cas avant la discussion budgétaire, le Gouvernement fournit au Parlement le nombre exact de personnes soumises à l'impôt plancher sur la fortune lorsque la valeur de leurs actifs mentionnés aux articles 885 B à 885 H du code général des impôts est supérieure à 100 millions d'euros et l'évolution de leur patrimoine sur cinq ans d'application des dispositions proposées.

La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Par cet amendement, ma collègue Nathalie Goulet demande au Gouvernement de fournir au Parlement, avant l'examen de la loi de finances, le nombre de personnes qui seraient concernées par cette disposition, ainsi que l'évolution de leur fortune sur les cinq dernières années.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. J'entends le raisonnement : en l'absence d'étude d'impact, il serait à tout le moins souhaitable, a posteriori, de disposer d'un rapport.

L'idée de déterminer les personnes qui seraient redevables de ce nouvel impôt ne me paraît pas totalement déraisonnable. Toutefois, il serait plus logique de disposer de ces informations avant le vote du texte.

Vous savez par ailleurs, en tant que membre de la commission des finances, combien celle-ci est dubitative quant à l'intérêt des rapports.

Nous avons ensuite un problème de fond. Sans conteste, s'appuyer, en l'absence d'accès aux sources directes, sur les classements du magazine Forbes pour estimer le nombre de contribuables concernés, comme le fait le professeur Zucman, n'est pas extrêmement satisfaisant. (Mme Sophie Briante Guillemont et M. Raphaël Daubet acquiescent.) Il serait indéniablement préférable de disposer du nombre précis de contribuables qui seraient visés.

Enfin et surtout, votre amendement ne me semble pas tenir la route. Vous demandez à Bercy de vous donner, dans un délai de trois mois, le nombre exact de personnes assujetties à ce nouvel impôt. Sauf que Bercy n'a absolument pas ces chiffres !

M. Grégory Blanc. Justement !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. J'ai auditionné des représentants du ministère : je parle sous votre contrôle, madame la ministre, mais depuis la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), Bercy ne dispose plus d'informations sur les patrimoines. Les dernières données datent de 2016 !

Dans ces conditions, je ne vois pas très bien comment, techniquement, on pourrait connaître le patrimoine immatériel, constitué de parts de sociétés, des contribuables. (MM. Yannick Jadot et Grégory Blanc s'exclament.)

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mon avis est très simple : cette demande de rapport, au fond, est satisfaite.

Dans une logique, si ce n'est de réduction, du moins d'efficacité de la dépense publique, je vous invite tous à lire l'étude annuelle de l'Insee intitulée Les revenus et le patrimoine des ménages. Vous y trouverez très régulièrement toutes les informations réclamées par Mme Goulet.

Si les fonctionnaires de la direction générale des finances publiques pouvaient être mobilisés plutôt sur le contrôle fiscal que sur l'écriture de rapports déjà fournis par l'Insee, les objectifs de cette assemblée seraient mieux servis.

M. Pascal Savoldelli. Chantage !

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.

M. Bernard Delcros. Cet amendement, si j'en crois Mme la ministre, est satisfait. C'est bien la preuve, monsieur le rapporteur, qu'il n'était pas si difficile d'obtenir ces informations !

Dès lors, je retire l'amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié ter est retiré.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, modifié.

Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. L'exercice est très difficile : notre temps de parole est limité, car nous souhaitons pouvoir achever l'examen du second texte de notre ordre du jour réservé. Allons donc à l'essentiel !

Il est scandaleux qu'il y ait en France aujourd'hui des personnes sur lesquelles nous ne disposons d'aucune donnée de nature fiscale, notamment sur leur patrimoine mobilier, alors même que chaque Français doit déclarer ses revenus dans les moindres détails. Nous devons absolument résoudre ce problème.

Je tiens ici à remercier Éva Sas et Clémentine Autain d'avoir déposé cette proposition de loi, puis de l'avoir défendue à l'Assemblée nationale.

Concernant l'exil fiscal, lors de l'instauration de l'ISF, certaines des 350 000 personnes ciblées auraient cédé à la tentation. Qui les connaît ? Personne ! Nul ne saurait citer ne serait-ce qu'un ou deux noms.

En l'espèce, nous connaissons les 1 700 foyers concernés par la nouvelle taxe. Nous savons de qui il s'agit : Bernard Arnault, les familles Hermès, Wertheimer, Bettencourt, Saadé, Dassault, Mulliez, Pinault, Niel, Besnier… Reconnaissons que ces personnes ont contribué à l'essor de la France.

J'imagine que, si vous les défendez autant, madame la ministre, c'est que vous les considérez comme des serviteurs de l'État.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non !

Mme Ghislaine Senée. Pour changer, je conclurai par une référence philatélique. Pendant la guerre, en 1945, une flamme illustrée de La Poste – c'était à l'époque un véritable service public – disait : « Gaspiller, c'est trahir ; économiser, c'est servir. »

Pour ma part, je pense que les personnes les plus riches de France ne trahiront pas leur pays. Au contraire, elles sont fières de ce qu'elles ont réussi à construire, pour elles, pour leur famille, pour leurs petits-enfants. Cessez donc de dire qu'elles partiront nécessairement ! C'est leur faire offense.

Payer ses impôts, c'est servir. Refuser de les payer à hauteur de ses facultés, c'est trahir ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour explication de vote.

M. Pierre Barros. Notre groupe votera évidemment cette proposition de loi, qui rompt enfin avec un récit politique devenu délirant, celui selon lequel les plus riches seraient trop fragiles pour contribuer au redressement des finances publiques et les pauvres trop solides pour être épargnés.

C'est un sujet d'importance, de justice sociale ; malheureusement, il est terriblement d'actualité.

Ce texte vise ceux pour qui la richesse n'est plus un revenu, mais une rente ; une rente qui, à 7,5 % de rendement annuel net d'inflation, prospère sans jamais ruisseler vers l'intérêt général.

Cette richesse accumulée ne produit ni emploi, ni innovation, ni bien commun. Elle n'est qu'un levier, un capital, un pouvoir d'influence sans bornes.

Pendant ce temps, les services publics trinquent, à l'image de l'hôpital, de l'école ou des collectivités locales, qui doivent faire plus avec moins, jusqu'à l'épuisement.

Face à cela, que nous rétorque-t-on ? Qu'il ne faudrait pas envoyer un mauvais signal aux grandes fortunes ; qu'un impôt minimum de 2 %, même au-delà de 100 millions d'euros de patrimoine, serait une agression !

Mais enfin, mes chers collègues, depuis quand la justice fiscale est-elle devenue un risque ? Depuis quand la République doit-elle s'excuser d'exister face aux intérêts privés ?

L'ironie, c'est que vous continuez à parler le langage de la rationalité économique tout en défendant une situation d'absurde irrationalité.

Quel État pourrait vouloir réduire sa dette tout en épargnant ceux qui peuvent la financer sans rien perdre de leur train de vie ? Quelle majorité peut prétendre défendre l'ordre républicain tout en acceptant que 0,01 % de la population vive hors du champ commun de l'impôt ?

Ce n'est pas une politique : c'est un privilège, un privilège de plus, et des plus indécents.

Ce texte est une mesure de justice et de santé démocratique. Il est le seul à pouvoir redonner du sens au beau mot d'égalité, inscrit au fronton de nos mairies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.

M. Thierry Cozic. Le groupe socialiste votera bien évidemment cette proposition de loi inscrite dans la niche du groupe GEST, que je remercie de cette belle initiative.

La contribution de chaque Français, en fonction de ses moyens, au redressement des finances publiques est une question centrale dans le débat public d'aujourd'hui. Je ne me fais guère d'illusion, toutefois, sur la suite qui sera donnée dans un instant à cette proposition de loi.

En cohérence avec la ligne du Gouvernement, la majorité sénatoriale poursuit la politique de l'offre menée depuis huit ans. Les résultats, mes chers collègues, sont à la hauteur des attentes ! un endettement à hauteur de 3 300 milliards d'euros, une croissance atone, des défaillances d'entreprises qui se multiplient, des destructions d'emplois et un effort de 40 milliards d'euros demandé pour le prochain budget, uniquement pour l'année 2024…

Madame la ministre, je m'adresse à vous solennellement, au nom du groupe socialiste, pour vous rappeler que votre présence sur ce banc ne tient que parce que les socialistes ont agi de façon responsable.

Mais cette responsabilité n'allait pas sans engagement de votre part. Nous n'avons pas signé de chèque en blanc ! Vous avez pris un engagement, qui figure dans l'accord que nous avons noué avec le Premier ministre : mettre en place une contribution sur les hauts patrimoines, afin de tendre vers plus de justice fiscale, cette justice fiscale que huit années de macronisme ont annihilée.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Il ne fallait pas censurer !

M. Thierry Cozic. À ce jour, aucune piste qui témoignerait du respect de la parole donnée ne semble se dessiner.

Je vous le dis franchement : le refus, après quelques mois, de cette taxe, aussi minimale soit-elle, ne présage rien de bon pour les échéances automnales, qui pourraient se révéler périlleuses pour le Gouvernement.

Je vous le répète solennellement : si vous comptez nous payer en monnaie de singe, en considérant que notre soutien est acquis, alors le prochain budget sera sûrement le dernier de ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST.)

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Madame Senée, évitons, si possible, de monter les Français les uns contre les autres ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

C'est pourtant ce que vous faites, quand vous prétendez pouvoir résoudre les problèmes des Français les plus pauvres en taxant les plus riches.

M. Yannick Jadot. Cela s'appelle la République !

Mme Antoinette Guhl. C'est une question de justice !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Comme l'a dit fort justement Michel Canévet, tous les Français paient beaucoup d'impôts. C'est aussi le cas des Français les plus riches – je ne parle pas des ultrariches.

Ainsi, selon l'IPP, l'impôt est progressif pour 99,9 % de la population. Le chiffre de 50 % avancé par Gabriel Zucman, qui a beaucoup été cité dans le débat, est erroné, puisque le taux effectif maximum d'imposition est de 46 %. Seuls les 0,1 % les plus riches, les plus hauts des plus hauts, ne seraient imposés qu'à hauteur de 26 %. Comme l'a dit Mme la ministre, il y a là un problème à régler, une certaine égalité à rétablir entre ceux qui paient 26 % et ceux qui paient 46 %.

Une première façon de le faire serait déjà de baisser le taux marginal de l'impôt sur le revenu, qui reste beaucoup plus élevé qu'ailleurs. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Nous avons fait un effort sur l'impôt sur les sociétés, mais pas assez sur l'impôt sur le revenu, d'où cette différence de traitement.

En tout état de cause, ne laissons pas penser que les Français, en particulier les plus riches, ne paient pas d'impôts. C'est totalement faux !

Le seul sujet que nous devons traiter est la progressivité de l'impôt sur les plus hauts revenus. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST.) Il existe d'autres solutions – nous en avons listé certaines – que de créer un nouvel impôt (Mme Antoinette Guhl s'exclame.) Celui que vous proposez serait inopérant autant qu'inefficace.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, modifié, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et, l'autre, du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 322 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 317
Pour l'adoption 129
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

7

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Lors des scrutins publics nos 317 et 318, portant respectivement sur l'article 1er et sur l'ensemble de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, ma collègue Annick Petrus souhaitait s'abstenir et non voter contre.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Mieux protéger les écosystèmes marins

Rejet d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, présentée par Mme Mathilde Ollivier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 492, résultat des travaux n° 698, rapport n° 697).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me tiens aujourd'hui à cette tribune avec une certaine émotion, parce que ce texte, ce combat, est politique, mais aussi profondément personnel.

Petite-fille et arrière-petite-fille de pêcheurs de Concarneau et d'ouvrières dans les conserveries de la ville, j'ai grandi au rythme des histoires de pêche et de naufrages, des récits de la dureté d'un métier que les hommes commençaient alors qu'ils sortaient à peine de l'enfance, des histoires extraordinaires de requins-baleines, de dauphins ou de thons énormes ; au rythme aussi des réveils au milieu de la nuit, enfant, pour partir en pêche, puis voir le soleil se lever depuis la mer, les lignes à l'eau.

Aimer l'océan, c'est accepter de le regarder en face. C'est décider de ne pas ignorer ce qu'il endure et choisir de le défendre. C'est prendre conscience que le protéger, c'est protéger l'humanité elle-même.

Or, aujourd'hui, l'océan est à bout de souffle !

Ce bien commun, qui couvre 70 % de la surface de notre planète, régulateur du climat, source d'oxygène et de vie, est devenu une victime silencieuse. Canicules sous-marines, pollution plastique, effondrement des stocks de poissons, disparition des habitats, abrasion des fonds marins : l'océan est la poubelle d'un monde qui décide de voir les éléments naturels comme une simple ressource à exploiter, à épuiser, puis à abandonner.

Mais je vous spoile la suite de l'histoire, ou plutôt ce sont les Amérindiens qui l'ont fait bien avant moi : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s'apercevront que l'argent ne se mange pas. »

Le problème, c'est que les industriels de la pêche, eux, auront déjà réinvesti tout leur argent dans d'autres domaines ; ils fermeront boutique et s'en iront.

Et celles et ceux qui resteront, eux, devront faire avec les choix politiques et économiques qui auront réussi à détruire en quelques décennies une activité séculaire, la pêche faisant vivre des milliers de gens. Et alors, que leur restera-t-il ?

Selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), équivalent du Giec pour la biodiversité, la surpêche est la principale cause des maux de l'océan. La biomasse s'effondre : disparation de 90 % des grands poissons depuis 1950, diminution de 54 % des poissons prédateurs en quarante ans. La réalité scientifique est sans appel : nous avons vidé la mer bien plus vite que nous ne l'avons protégée.

Alors que la conférence des Nations unies sur les océans (Unoc) de Nice touche à sa fin, la France a tenu le devant de la scène. Avec le deuxième domaine maritime mondial, notre pays était attendu. Notre responsabilité était immense.

Le Président de la République a indiqué vouloir limiter l'activité des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées. La contradiction est dans la phrase même : chaluts et aires marines protégées sont antinomiques. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont la France est membre et dont les définitions devraient faire foi, en particulier lors d'un sommet international.

Le décalage entre les annonces et la réalité est saisissant. Rendez-vous compte : aujourd'hui, seulement 1,6 % des eaux françaises sont réellement protégées, 0,1 % des eaux voisines de l'Hexagone, alors même que le Président de la République s'enorgueillit d'avoir protégé 30 % des eaux françaises.

Disons les choses clairement : le flou persiste, ces annonces ne sont pas à la hauteur. Elles reconduisent des engagements déjà pris, parfois même déjà trahis. Elles entretiennent l'ambiguïté sur ce qu'est une protection « stricte », en maintenant un régime français de protection « forte » qui n'est pas satisfaisant.

Avec ces annonces, la France est encore loin des recommandations de l'Union européenne, qui préconise d'interdire tous les types de pêche dans au moins 10 % des eaux. Nous sommes loin d'une protection réelle et stricte de nos aires marines protégées.

Ainsi, nous avons en image toutes les limites d'un tel sommet : la crédibilité de la France ne se joue pas seulement dans les grands discours diplomatiques, elle se joue surtout dans la cohérence de sa politique à l'échelon national. Or, sur ce point, l'amertume domine.

C'est tout simplement l'objectif de cette proposition de loi et peut être la dernière occasion pour le Gouvernement de sortir par le haut : alignons enfin la définition des aires marines protégées avec les standards européens et internationaux. Est-ce trop demander au Gouvernement et à la majorité sénatoriale ?

C'est à nous, mes chers collègues, d'être à la hauteur de l'événement. La cohérence se joue également ici, dans cet hémicycle. Elle se joue dans notre capacité à légiférer avec courage.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est la traduction concrète de ce que le contexte de l'Unoc aurait pu et dû produire en France : la mise en œuvre d'une protection effective, concrète, juste.

Les aires marines dites protégées couvrent certes 33 % de notre zone économique exclusive, mais que protège-t-on réellement, alors que ces zones continuent d'être soumises au chalutage de fond et à d'autres techniques destructrices, alors que les mégachalutiers continuent de prélever jusqu'à 250 tonnes de poissons par jour sur nos côtes, alors que les pêcheurs artisans sont en grande difficulté ?

Ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de la clarté : de la clarté pour les pêcheurs, pour les organisations environnementales, pour les citoyennes et les citoyens.

Ma proposition de loi vise à atteindre trois objectifs principaux.

Premièrement, il convient de redonner tout son sens à la protection des aires marines, en remplaçant le flou juridique de la protection forte à la française par une protection réellement stricte, alignée sur les standards européens et internationaux de l'UICN. Cela signifie des zones sans aucune activité extractive ou destructive, en somme de véritables sanctuaires marins.

Les aires marines protégées sont l'un des outils les plus efficaces pour préserver la biodiversité et soutenir la dynamique socio-économique de nos littoraux.

Les bénéfices sont réels : 2,5 fois plus de biomasse en moyenne, 30 % d'espèces en plus, un stock de poissons autour des aires marines protégées qui croît de 25 % en moyenne, un emploi direct pour chaque tranche de 100 hectares protégés.

J'ai entendu les doutes de certains sur la possibilité de mettre en place une protection stricte sur au moins 10 % de chaque façade maritime.

Même si je suis convaincue de ce nécessaire équilibre territorial, j'ai fait un pas vers vous avec le dépôt d'un amendement tendant à renvoyer à un décret la mise en œuvre de cette mesure.

Pour que cette protection soit réellement cohérente et efficace, il ne suffit pas de protéger d'immenses zones en Polynésie : il faut protéger une multitude d'écosystèmes, chacun avec ses caractéristiques spécifiques. C'est ainsi qu'on s'assurera que nos océans et les littoraux français résistent mieux face au changement climatique, à la pollution et aux espèces invasives.

Nous souhaitons également, autour de ces sanctuaires, des zones tampons dédiées à la petite pêche artisanale.

Nous considérons qu'une base juridique claire et précise de la protection stricte permettra ensuite une cartographie précise et concertée des aires marines protégées.

Deuxièmement, nous proposons une transition des flottilles de chalut de fond, qui sont destructrices sur le plan écologique, peu rentables économiquement, dépendantes des subventions publiques et vulnérables à la hausse des prix du carburant. Plutôt que d'attendre l'effondrement des flottilles, nous devons accompagner leur mutation.

Enfin, je demande l'interdiction des bateaux de plus de vingt-cinq mètres dans la bande côtière des douze milles nautiques, afin de préserver la ressource et de protéger les pêcheurs côtiers de la concurrence des mégachalutiers.

Mes chers collègues, c'est une mesure de bon sens, attendue par les pêcheurs, notamment en Normandie et dans les Hauts-de-France.

L'exemple du Margiris, l'un des plus grands chalutiers du monde avec ses 143 mètres de long, est particulièrement symptomatique : ce bateau, exploité par une société néerlandaise, a été au cœur de nombreuses polémiques. À la criée de Dunkerque, par exemple, sa présence a suscité la colère des pêcheurs locaux, qui dénoncent une concurrence déloyale et une menace pour leurs activités artisanales.

Ces navires industriels n'ont rien à faire au plus près de nos côtes. Chaque personne que j'ai rencontrée me l'a dit : « Ces bateaux peuvent aller au-delà des douze milles nautiques, cela ne devrait même pas être un sujet. » Leur présence est un impensé écologique et surtout social.

Je vous présente donc un texte qui répond à l'urgence climatique tout en préservant la filière.

Je souhaite couper court à certaines remarques et à certains a priori.

Cette proposition n'est pas un texte contre les pêcheurs. C'est un texte avec eux, pour eux, pour permettre à la mer de continuer à nourrir, pour permettre à la pêche artisanale de survivre.

La science est parfaitement claire : là où la biodiversité est protégée, les poissons reviennent. Là où des aires marines strictement encadrées ont été mises en œuvre, comme au cap Roux ou à Port-Cros, la biomasse a explosé. Les pêcheurs en sont les premiers bénéficiaires et ces aires marines protégées ont tendance à essaimer et à se développer.

La solution existe, il nous faut maintenant de la volonté politique.

Je vous encourage donc, mes chers collègues, à voter notre proposition de loi, à ne pas céder aux intérêts particuliers de quelques-uns et à protéger le bien commun qu'est l'océan. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin d'examiner la proposition de loi visant à renforcer la protection des écosystèmes marins, déposée par notre collègue Mathilde Ollivier et l'ensemble du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

À l'heure où nous nous parlons, des milliers de dirigeants, de scientifiques et de représentants de la société civile sont réunis à Nice autour d'une ambition commune, qui est au cœur du texte qui vous est soumis : renforcer l'action en faveur de la protection et de l'utilisation durable des océans.

Cette initiative sénatoriale repose sur un constat simple et éclairé par la science : des écosystèmes marins en bonne santé sont vitaux d'un point de vue tant écologique que socio-économique. Pour le dire plus simplement, loin d'être opposées, la préservation de la biodiversité marine et celle des activités de pêche constituent un même et unique combat.

Les océans nous rendent des services écosystémiques aussi multiples que précieux. Principal puits de carbone de la planète, l'océan joue un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique. La préservation des milieux marins est en outre essentielle à l'équilibre des réseaux trophiques et, dès lors, à la pêche, dont dépend la subsistance de 10 % à 12 % des habitants de la planète.

Malheureusement, de l'avis unanime de la communauté scientifique, l'état du monde océanique se dégrade de manière alarmante. Plusieurs phénomènes sont en cause : le réchauffement climatique, la pollution marine et, surtout, les pressions anthropiques liées aux activités humaines en mer, à commencer par la surexploitation des ressources halieutiques.

Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), 94 % des habitats marins et côtiers d'intérêt communautaire sont en mauvais état en métropole ; s'agissant des outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés.

Les scientifiques sont unanimes : pour enrayer cette érosion rapide des écosystèmes et des ressources halieutiques, les aires marines protégées constituent l'outil le plus efficace, à condition toutefois qu'elles présentent, au moins pour partie, un haut degré de protection.

Certes, la France a affiché de grandes ambitions en la matière : depuis 2021, la stratégie nationale pour les aires protégées prévoit de placer, d'ici à 2030, au moins 30 % de notre espace maritime sous le statut d'aires marines protégées, dont au moins 10 % sous protection dite « forte ».

L'approche française se révèle néanmoins en décalage avec les standards internationaux, puisqu'elle privilégie un critère de protection forte en lieu et place de celui de protection stricte, préconisé par l'Union européenne et l'UICN.

Là où la protection stricte ne permet d'admettre que des activités compatibles avec les objectifs de conservation des espèces, la protection forte « à la française » privilégie une approche dite au cas par cas, si bien qu'aucune activité n'est interdite par principe, pas même celles qui affectent le plus les écosystèmes, comme le chalutage de fond.

De fait, d'un point de vue strictement quantitatif, la France a déjà atteint ses objectifs – 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des aires marines protégées –, mais, en réalité, les aires sous protection stricte ne représentent que 1,6 % des eaux françaises et 0,04 % des eaux voisines de l'Hexagone. Ces aires se trouvent quasi exclusivement dans les Terres australes et antarctiques françaises et au large de la Nouvelle-Calédonie.

Certes, le cas français n'est pas isolé : à l'échelle de l'Union européenne, 0,03 % seulement des eaux sont protégées de manière stricte. Néanmoins, la France se distingue malheureusement par l'ampleur de l'écart entre les résultats annoncés et le degré de protection effectif de ses aires marines.

La proposition de loi soumise cet après-midi à vos suffrages vise à répondre à ces constats.

Son article 1er tend à rehausser l'ambition de la protection des aires marines protégées françaises à plusieurs titres.

Premièrement, il remplace la notion de protection forte, privilégiée en droit français, par celle de protection stricte pour s'aligner sur les standards internationaux.

Deuxièmement, il fixe pour objectif de couvrir 10 % de chaque façade maritime par des aires sous protection stricte afin de protéger de manière plus équilibrée l'ensemble du territoire.

Enfin, il prévoit l'instauration, autour des zones strictement protégées, de zones tampons dans lesquelles seraient interdites certaines activités industrielles, comme le chalutage. Ces zones seraient réservées aux professionnels de la pêche artisanale afin qu'ils bénéficient de manière prioritaire de l'effet de réserve, c'est-à-dire de l'augmentation de la biomasse, induit par les aires marines protégées.

L'article 2 de la proposition de loi a une portée plus socio-économique.

D'une part, il vise à impulser le lancement par l'État d'une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des pratiques plus durables.

Le chalut de fond se distingue nettement des autres types d'activités de pêche en matière d'indicateurs de surpêche, de capture de juvéniles et d'abrasion des fonds marins. En détruisant et en fragmentant les habitats, cette activité compromet, de fait, l'avenir de toute la filière.

À moyen terme, un changement de modèle est inévitable : il convient de l'anticiper compte tenu du poids économique de cette activité, qui représente 25 % des volumes de la pêche française et 3,78 % des emplois de la filière pêche en Hexagone.

D'autre part, cet article 2 vise à protéger la petite pêche côtière, de même que les écosystèmes, des mégachalutiers : il n'est pas rare que ces navires-usines, essentiellement néerlandais, conçus pour racler le fond de la haute mer par centaines de tonnes par jour, viennent pêcher dans les eaux territoriales, en exerçant une concurrence déloyale vis-à-vis des plus petits engins.

Il est donc proposé d'interdire, à compter du 1er janvier 2026, l'exercice des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.

Cette mesure envoie un signal politique fort à nos pêcheurs de la Manche et de la mer du Nord, dont le modèle économique est mis en péril par les mégachalutiers étrangers.

Elle est en outre rationnelle d'un point de vue économique, puisque les petits engins de pêche engendrent davantage de valeur ajoutée et d'emplois, par tonne débarquée, que les engins industriels.

J'aborde à présent la position de la commission sur ce texte.

Les débats ont permis de constater que les objectifs que je viens d'évoquer étaient partagés par tous les groupes politiques. Néanmoins, la commission a estimé que cette proposition de loi posait des difficultés de méthode, de calendrier et d'opérationnalité.

La commission a partagé l'objectif d'assurer l'effectivité de nos aires marines protégées. Néanmoins, elle n'a pas souhaité remettre en cause les équilibres établis en la matière lors de l'adoption de la loi Climat et résilience en 2021, ce qui risquerait de déstabiliser le processus d'identification des zones de protection forte en cours, depuis plus de deux ans, sur chaque façade maritime.

Elle a en outre souhaité conserver la doctrine de protection forte, retenue en droit français, estimant qu'elle était gage de plus de souplesse et d'acceptabilité sociale que celle de protection stricte préconisée par l'UICN.

S'agissant de l'article 2, la commission s'est inquiétée des conséquences potentielles du dispositif pour la structuration de la filière française de la pêche, compte tenu des volumes et de la valeur ajoutée que représente l'activité du chalut de fond et de son importance pour l'économie littorale.

Elle a en outre estimé que l'adoption d'un nouveau document stratégique relatif à la pêche poserait des problèmes de cohérence et d'articulation avec les stratégies existantes, comme la stratégie nationale biodiversité et la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui traitent également des enjeux de durabilité de la pêche.

Si je comprends le besoin de stabilité et de cohérence normative exprimé par la commission, de même que les craintes liées aux conséquences socio-économiques d'une « déchalutisation » de la pêche française, je tiens à vous faire part, à titre personnel, de plusieurs considérations.

Les spécialistes en biologie marine et en ressources halieutiques que j'ai rencontrés lors de mes travaux préparatoires l'ont unanimement souligné : ce texte est basé sur de robustes constats, non seulement scientifiques, mais aussi socio-économiques.

Certes, la mise en place d'aires marines strictement protégées suscite souvent, dans un premier temps, des réticences de la part des pêcheurs. L'expérience montre néanmoins qu'à terme les retombées économiques sont au rendez-vous.

L'exemple du thon rouge en Méditerranée est à cet égard emblématique : en dépit d'une levée de boucliers initiale, la réglementation de la pêche du thon rouge au cours des années 2000 a permis une reconstitution efficace des stocks, si bien qu'aujourd'hui aucun pêcheur ne souhaiterait revenir en arrière.

Protéger la mer, ce n'est pas interdire la pêche ; c'est au contraire lui assurer un avenir, en préservant la ressource dont elle dépend. Il ne s'agit pas de sanctuariser les océans, mais de concevoir des aires marines protégées de manière intelligente, en s'appuyant sur les consensus scientifiques et en assurant un juste équilibre entre conservation et développement durable.

J'avais soumis à la commission plusieurs propositions d'évolutions visant à assouplir le texte. Je regrette qu'elles n'aient pas pu être retenues compte tenu du rejet du texte. Elles ont été redéposées par mon groupe, qui vous les présentera tout à l'heure. Je les soutiens, bien entendu, à titre personnel.

Mes chers collègues, ces dernières semaines, les déclarations en faveur de la pêche durable et de la protection des océans se sont multipliées. Il n'est pas trop tard pour que la France, pays hôte de l'Unoc, mette en cohérence ses paroles et ses actes, pour être à la hauteur des enjeux et de la responsabilité qui est la sienne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Michaël Weber applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir dans votre hémicycle pour discuter d'un texte d'actualité, puisque la conférence des Nations unies pour les océans s'est ouverte lundi à Nice.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ma collègue Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de la mer et de la pêche, ne peut pas être devant vous aujourd'hui. Elle porte, à Nice, la voix de la France, une voix forte et ambitieuse pour mieux protéger nos océans.

Je le sais, elle partage pleinement l'ambition que traduit cette proposition de loi, celle d'une protection renforcée de l'océan, de sa biodiversité et de ses écosystèmes ; une protection qui est le gage de notre souveraineté écologique, économique et alimentaire.

Le Président de la République porte ce combat depuis huit ans et a réaffirmé son engagement avec force à Brest, en 2022, lors du One Ocean Summit, puis tout récemment à Nice.

Mais cette ambition, partagée avec nos partenaires, sera vaine si nous la portons de manière dispersée.

Depuis 2017, nous avons agi. Aujourd'hui, 33,6 % de nos eaux sont des aires marines protégées ; cela va au-delà de l'objectif mondial de 30 % fixé pour 2030. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.) Et ce chiffre est passé à 78 % avec Tainui Atea, en Polynésie française : annoncée à l'Unoc, c'est la plus grande aire marine protégée au monde ; cet engagement fort fait de la France un leader mondial.

Mais cela ne suffit pas : à ce jour, 4,8 % seulement de nos eaux bénéficient d'une protection forte et à peine 0,1 % autour de la France hexagonale.

C'est tout le sens des annonces faites à Nice par le Président de la République et la ministre chargée de la mer et de la pêche : nous allons passer à 14,8 % au niveau national, grâce à la nouvelle zone classée comme telle en Polynésie française et à la labellisation de 4 % de nos eaux hexagonales.

Nous avons lancé une stratégie claire, progressive, sans dogmatisme, en lien fort avec les réalités locales. Nous aurons atteint, dès 2026, notre premier palier de 10 % de protection forte, avec quatre ans d'avance, et je salue les efforts de concertation qui ont permis d'arriver à un tel résultat.

L'article 1er de cette proposition de loi vise à remplacer la notion de protection forte par celle de protection stricte, en imposant une application uniforme de l'objectif de 10 % à chaque façade maritime.

Cependant, la protection forte que nous défendons ne s'appuie pas sur l'exclusion systématique a priori de toute activité humaine ; elle relève plutôt d'une démarche qui vise à attribuer ce label si les activités pratiquées ont un impact négligeable ou nul sur les enjeux écologiques effectivement présents.

Non, les enjeux écologiques, les usages, les pressions ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans l'Atlantique ou dans les outre-mer. Imposer arbitrairement une exclusion systématique reviendrait à appliquer un modèle unique à des écosystèmes et à des dynamiques humaines et territoriales fondamentalement différents. Ce serait inefficace écologiquement et injuste socialement.

Nous défendons une planification rigoureuse, fondée sur les usages existants – pêche, transport, énergie – et sur une évaluation fine de leurs impacts écologiques. C'est la seule voie pour atteindre durablement les objectifs de conservation.

Le Président de la République l'a rappelé lundi à Nice : d'ici à 2028, toutes les aires marines protégées devront intégrer des zones de protection forte, un plan de lutte contre les pollutions telluriques et de nouvelles régulations, y compris en matière de pêche.

Dès 2026, 14,8 % de nos eaux seront en protection forte. Cette progression se fera en priorité dans les zones les plus sensibles : canyons, coraux profonds, herbiers de posidonie, mangroves, etc. Dans ces espaces, toute activité humaine à impact significatif, y compris le chalutage de fond, sera interdite.

C'est une méthode claire, progressive, qui repose sur un équilibre entre la protection de la nature et la reconnaissance des usages humains.

Laisser sa place à l'homme dans ces zones de protection forte, c'est permettre aux visiteurs de s'émerveiller devant la beauté et la richesse d'un écosystème préservé et les sensibiliser à l'importance d'une telle préservation.

L'article 2 comporte deux mesures : la mise en place d'une stratégie nationale de transition pour les flottilles utilisant le chalut de fond et l'interdiction de ce type de pêche dans la bande des douze milles marins pour les navires de plus de vingt-cinq mètres.

Sur ce second point, notre position est claire. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)

Premièrement, une telle interdiction serait contraire au droit européen. La politique des pêches étant une compétence exclusive de l'Union européenne, une concertation avec les États voisins et la Commission européenne est nécessaire. Sans base scientifique solide, cette disposition pourrait être jugée discriminatoire et annulée. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.)

Deuxièmement, le seuil de 25 mètres est arbitraire.

M. Daniel Salmon. Un seuil est toujours arbitraire !

M. Philippe Baptiste, ministre. Il serait exposé à des contournements techniques et ne permettrait pas d'atteindre les objectifs écologiques visés. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Enfin, diplomatiquement, la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses navires, y compris ceux de plus de 24 mètres, aux eaux britanniques, dans la bande des 6 à 12 milles.

Mme Mathilde Ollivier. Ils sont trois !

M. Philippe Baptiste, ministre. Une interdiction nationale aussi stricte affaiblirait notre position internationale et pourrait entraîner des mesures de rétorsion.

Cette disposition méconnaît également les efforts déjà engagés par les professionnels de la pêche. Je veux saluer ici, en particulier, l'accord signé en octobre 2024 – le Gentlemen's Agreement – entre pêcheurs français, belges et néerlandais, qui encadre volontairement les techniques de pêche dans la Manche Est. La preuve est ainsi faite que, dans le dialogue, des solutions peuvent être trouvées.

Oui, nous voulons interdire le chalutage de fond, mais dans les zones écologiquement sensibles, sur la base d'études rigoureuses et dans un cadre européen harmonisé, garant d'un traitement équitable entre les États dans des eaux désormais communautarisées.

Par ailleurs, la création d'une nouvelle stratégie nationale de transition pour les flottilles pratiquant le chalut de fond ne nous paraît pas pleinement pertinente.

Tel est notre sentiment, d'abord, parce qu'elle se concentre uniquement sur le chalut de fond, sans prendre en compte les autres engins traînants, comme la drague, tout aussi sensibles pour les habitats fragiles. Elle ignore également les impacts d'autres engins, comme les filets et les palangres, qui suscitent des risques importants de capture accidentelle, notamment pour les cétacés ou les oiseaux marins.

Ensuite, elle néglige les effets de report vers d'autres techniques : les conséquences sur les stocks halieutiques, sur les quotas, ou encore sur les captures accidentelles doivent être sérieusement évaluées.

De plus, ces sujets sont déjà largement traités dans les stratégies existantes : la stratégie nationale biodiversité (SNB), la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), les analyses risque pêche (ARP) dans les sites Natura 2000, le plan d'action national 2026 prévu par le règlement européen sur la restauration de la nature et, enfin, le contrat stratégique de filière pêche, signé en 2025, qui prévoit le développement d'engins moins destructeurs.

On risque donc d'aboutir à des doublons et, surtout, à des incohérences si l'on multiplie les stratégies en silo. Le véritable enjeu, c'est la mise en œuvre effective des démarches déjà engagées, et c'est bien là que nous concentrons aujourd'hui nos efforts.

Enfin, si une nouvelle stratégie devait être élaborée, l'échelle nationale serait discutable.

La politique commune des pêches relève du cadre européen, tout comme les règles d'accompagnement financier. Toute stratégie doit être compatible avec cette gouvernance partagée.

Le combat de ma collègue Agnès Pannier-Runacher se situe donc bien à Bruxelles ; il doit être mené collectivement, avec nos collègues parlementaires européens, en rang serré face à la Commission européenne.

Nous ne sommes pas isolés sur ces sujets. Un groupe d'États membres réunis par ma collègue partage déjà des lignes de front communes pour entamer une révision cohérente et juste de cette politique commune des pêches.

C'est pour toutes ces raisons que nous poursuivrons, avec méthode, ambition et détermination, la mise en œuvre de notre propre feuille de route, fondée sur le dialogue et l'efficacité.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conférence des Nations unies sur l'océan s'achève demain, et le texte très opportun que nous avons à examiner ce soir nous interroge, en premier lieu, sur la cohérence du discours de la France avec ses actes.

En effet, la position actuelle est pour le moins ambivalente.

D'un côté, le Président de la République s'est félicité de la présence encourageante d'une soixantaine de chefs d'État, venus du monde entier, à cet événement, malgré un contexte géopolitique fragmenté. Et il a raison : la diplomatie française a énormément œuvré pour faire de ce sommet une réussite. Elle a même réussi à faire venir à Nice des chefs d'État profondément climatosceptiques : je pense à Javier Milei, sans doute venu plutôt par opportunisme que par conviction.

Au moins, cette conférence a montré à quel point le sujet est désormais porté au plus haut niveau par les dirigeants du monde entier.

Pour autant, en même temps, l'approche française concernant la mise en place et le niveau de protection des aires marines protégées se révèle trop souple au regard des standards européens.

Or la France se doit, plus que jamais, d'être à la hauteur sur ce sujet, non seulement parce que nous nous félicitons des avancées obtenues cette semaine, mais aussi et surtout parce que la France possède, grâce à ses territoires ultramarins, la deuxième zone économique exclusive mondiale. Cela nous oblige.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui – je tiens à féliciter son auteure, notre collègue Mathilde Ollivier – propose une approche ambitieuse qui permettrait justement à notre pays d'assumer pleinement ce rôle.

La protection de nos océans est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Couvrant 70 % de la planète, ils constituent un puits de carbone absorbant environ un tiers du CO2 émis par les activités humaines. Ils jouent un rôle majeur dans la régulation du climat et produisent près de la moitié de l'oxygène que nous respirons.

Les océans sont aussi les premiers à subir les conséquences des activités humaines, dont la surpêche.

Cette surpêche a des conséquences graves. Selon l'Office français de la biodiversité, l'immense majorité des habitats marins et côtiers de l'Hexagone est en mauvais état et près d'un tiers des poissons débarqués proviennent de stocks surexploités.

La protection de la biodiversité marine est également essentielle pour garantir la pérennité économique du secteur de la pêche, dont dépendent de nombreux emplois et territoires, ainsi que notre sécurité alimentaire.

Or, en la matière, la réglementation française apparaît trop souple.

La stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité comporte l'objectif de placer sous protection, d'ici à 2030, 30 % des aires marines, dont au moins un tiers sous protection stricte. La France a pourtant choisi une protection moindre, dite « forte ».

Dans les faits, cette notion reste floue et repose sur une approche au cas par cas, n'excluant par principe autre activité, même la surpêche. C'est ce que vise à corriger l'article 1er de la proposition de loi.

L'article 2 vise, pour sa part, à concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins.

Par amendement, notre collègue Mathilde Ollivier a voulu, dans un esprit de compromis, alléger la rédaction de cet article pour ne retenir que l'interdiction, à compter du 1er janvier 2026, de l'exercice de la pêche par les mégachalutiers.

Il est tout à fait indéniable que les méthodes employées par ces bateaux provoquent des dégâts considérables. Le chalutage est une pratique de pêche non sélective qui, en raclant les fonds marins, détruit les habitats et capture des espèces non ciblées, ainsi que des poissons bien trop jeunes, compromettant ainsi la reproduction des espèces.

Par ailleurs, cette filière, peu créatrice d'emplois et marquée par des conditions de travail souvent très difficiles, est de moins en moins rentable. Les activités des mégachalutiers exercent une pression massive sur l'environnement et menacent la survie de la pêche artisanale.

Cette proposition de loi constitue une avancée nécessaire pour répondre aux défis environnementaux et économiques qui pèsent sur nos océans et sur l'avenir de la pêche française.

Elle vient également en appui aux milliers d'initiatives venues de la société civile dans le monde entier, de l'association à la start-up, pour œuvrer quotidiennement à la préservation de nos océans, souvent en silence.

Dans ces initiatives, on retrouve souvent des Français de l'étranger – chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs –, premiers spectateurs de la richesse comme de la fragilité de notre planète.

Cette proposition de loi permettrait à la France d'être à la hauteur de ses engagements internationaux, en soutenant une pêche plus durable et équitable. Parce qu'elle s'attaque à un sujet essentiel, et parce que nous demandons un peu de cohérence entre les déclarations de la France et ses engagements, mon groupe lui sera largement favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a coutume de dire que la mer ne rend jamais tout à fait ce qu'elle prend. En Vendée, comme ailleurs, nous le savons.

Ce que la mer nous offre, en revanche, c'est un devoir : celui de la protéger, sans jamais oublier ceux qui vivent à proximité, qui y travaillent et qui l'aiment.

Si je partage l'ambition de ce texte, les solutions avancées ne me semblent pas répondre efficacement aux défis que nous devons relever, car protéger l'océan, ce n'est pas dresser une digue entre écologie et économie.

M. Michel Canévet. C'est vrai !

Mme Annick Billon. C'est faire en sorte que les deux cohabitent. Et pour cela, il faut embarquer tout le monde à bord ; sinon, on ne protège pas, mais on oppose et on fragilise.

Je veux néanmoins reconnaître à ce texte un effort d'anticipation.

Les décisions prises dans la précipitation ont eu des conséquences graves : je pense par exemple à la fermeture du golfe de Gascogne, décidée à la hâte trois mois avant qu'elle ne soit effective, qui a plongé tout un territoire dans la tourmente. En 2024, trente-sept bateaux vendéens sont restés à quai ; les trois criées vendéennes ont perdu 2,4 millions d'euros de chiffre d'affaires ; à l'échelle nationale, les pertes se sont élevées à 22 millions d'euros.

Et que dire de l'aval ? Mareyeurs, criées, coopératives d'accastillage, réparation navale, transport frigorifique : tous touchés !

On l'oublie trop souvent, mais un pêcheur en mer, c'est quatre emplois à terre. Or le texte fait aussi abstraction de cette réalité en ne prévoyant de compensation que pour les pêcheurs.

Ces filières sont les oubliées du débat, alors qu'en 2023 déjà, 35 % des entreprises de la filière aval étaient en situation de dépôt de bilan. J'ai interrogé le Gouvernement à trois reprises sur ce sujet, en janvier et en octobre 2024, puis en janvier dernier.

J'en profite pour saluer le travail rigoureux mené par nos collègues Alain Cadec, Yves Bleunven et Philippe Grosvalet pour leur récent rapport d'information relatif à la pêche dans le golfe de Gascogne. Ils ont levé le voile sur la brutalité de cette fermeture et sur ses conséquences économiques.

Je tiens à rappeler deux points majeurs.

Premièrement, un cadre réglementaire existe déjà. Les pêcheurs sont soumis à des quotas : chaque année, l'Union européenne fixe une limite de poissons à pêcher, selon les avis des scientifiques sur l'état des stocks.

Deuxièmement, la filière agit, innove et investit. Le chalutage travaille ainsi à réduire sa consommation d'énergies fossiles. Dans le golfe de Gascogne, les pêcheurs français ont investi 30 millions d'euros dans des systèmes de répulsifs acoustiques, les fameux pingers, pour éviter les captures accidentelles de cétacés.

Réduire le problème aux filets est une erreur. Les atteintes graves à la biodiversité marine viennent d'abord des terres : plastiques, nitrates, pollutions industrielles. En 2050, il pourrait y avoir plus de déchets plastiques que de poissons dans l'océan !

Ce texte, dans son article 1er, impose une protection stricte d'au moins 10 % de chaque façade maritime. C'est un coup de règle sur la carte, une approche uniforme et rigide.

Mme Annick Billon. C'est aussi une rupture nette avec la stratégie définie dans la loi Climat et résilience, qui s'appuie sur la concertation et la différenciation territoriale.

M. Michel Canévet. Absolument !

Mme Annick Billon. On ne peut pas imposer la même protection pour la Méditerranée, l'océan Atlantique ou nos territoires ultramarins. Les réalités géographiques et humaines imposent de la finesse. La mer n'est pas un quadrillage administratif ; c'est un vivant mouvant et complexe.

Quant à l'article 2, qui programme la fin du chalut de fond, il se heurte au même écueil : absence d'analyse d'impact et de concertation. On propose d'interdire les navires de plus de 25 mètres dans la bande des 12 milles : cela revient à lancer une course aux bateaux de 24,9 mètres ! (Mme Mathilde Ollivier proteste.)

Soyons clairs, certaines espèces ne peuvent pas être pêchées autrement qu'au chalut. Si nous voulons continuer à trouver de la langoustine et des coquilles Saint-Jacques dans nos assiettes, nous devons préserver ces techniques, tout en les améliorant.

La France importe déjà 80 % de sa consommation de poissons.

Mme Mathilde Ollivier. Ce sera encore pire !

Mme Annick Billon. Bannir le chalutage reviendrait à déplacer définitivement le problème sur un autre rivage.

Nous avons besoin d'une vraie réflexion sur les mégachalutiers industriels, ces usines flottantes qui ratissent large et vident les mers. Ils sont bien loin des pratiques de nos pêcheurs.

La mer est un bien commun. Nous devons garantir l'équilibre entre protection et production, entre nature et culture. Or, sur nos côtes, cette culture, c'est aussi celle de la pêche.

Alors oui, mes chers collègues, le groupe Union Centriste partage l'objectif affiché par ce texte, protéger les fonds marins, mais nous ne soutenons absolument pas les moyens proposés.

Il a été beaucoup question de l'Unoc jusqu'ici, mais, selon le dernier rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la durabilité des stocks mondiaux de poissons est en forte hausse, quelles que soient les espèces. C'est une information majeure à porter à notre débat. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Tout va bien, alors !

Mme Annick Billon. Pour toutes ces raisons, le groupe UC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Michel Canévet. Quel réalisme !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, après ma question au Gouvernement d'hier, je ne quitte plus les bateaux… (Sourires.)

Alors que notre pays accueille la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de loi qui veut marquer un tournant décisif dans la protection de nos écosystèmes marins, avec pour objectif de placer sous statut d'aire marine protégée d'ici à 2030 au moins 30 % de nos espaces maritimes, dont 10 % seraient placés sous protection stricte.

Ce texte pose ainsi les bases d'une ambition environnementale sans précédent. L'objectif est clair, l'ambition louable. Toutefois, aussi noble soit-elle, cette ambition ne saurait se réaliser sans une vision claire, un soutien concret et une prise en compte des impacts sur les milliers de familles qui vivent de la mer.

Protéger strictement une partie de nos espaces marins implique l'interdiction d'activités humaines susceptibles de nuire à la biodiversité. Certes, c'est une nécessité écologique, mais avons-nous mesuré l'impact socio-économique de ces interdictions ?

Les pêcheurs artisanaux, déjà en difficulté, et les professionnels du chalutage de fond voient leurs moyens de subsistance menacés de façon directe et imminente. Les pêcheurs, ces gardiens historiques de nos côtes, s'inquiètent avec raison. L'extension des aires marines protégées, avec les interdictions qu'elles comportent, risque de restreindre drastiquement leur accès à des zones de pêche traditionnelles.

Ces contraintes ne représentent pas seulement des défis logistiques. Elles menacent la capacité des pêcheurs à nourrir leurs familles, à faire vivre des communautés entières.

De plus, en repoussant les flottes industrielles hors des zones protégées, cette mesure pourrait exacerber la concurrence sur les espaces restants. Les ressources marines, déjà sous pression, seraient alors plus fragilisées ; les pêcheurs artisanaux, qui pêchent de manière durable, en paieraient le prix fort.

Paradoxalement, les auteurs de cette proposition de loi avancent l'idée que la mise en place d'aires marines protégées est une façon immédiate de sauvegarder ce qu'il reste de la pêche artisanale en France, à savoir celle qui est effectuée par des navires de moins de 12 mètres utilisant des arts dormants, soit 71 % de notre flotte. C'est une vision séduisante sur le papier, mais est-ce la seule solution, et quel coût social et économique aura-t-elle ?

Protéger les océans nécessite une planification rigoureuse. Or nous manquons cruellement d'une étude d'impact socio-économique et d'une cartographie précise des aires protégées envisagées. Où sont donc les écosystèmes critiques à sauvegarder ? Où les pêcheurs gagnent-ils leur vie ? Sans ces données, cette proposition de loi avance à l'aveugle, risquant de briser des équilibres fragiles.

Comment pouvons-nous cibler avec justesse les zones critiques à protéger, tout en minimisant l'impact de ces mesures sur nos communautés de pêcheurs ? Nous avons besoin de savoir non seulement où se situent les récifs coralliens, les herbiers de posidonies, les nurseries, mais aussi où nos pêcheurs gagnent leur vie.

Les collectivités littorales, moteurs du tourisme côtier, expriment également des craintes légitimes. L'effet domino sur l'économie locale – pêche, tourisme, emploi – pourrait être dévastateur si cette transition n'était pas accompagnée avec soin.

Certes, la proposition de loi promet une stratégie nationale pour réduire la dépendance au chalutage de fond et accompagner les pêcheurs dans une transition durable.

Cependant, cette promesse est un peu creuse, car aucun budget n'y est alloué. Parler de reconversion ou d'aides sans chiffrage concret, je suis désolé de le dire ainsi, mais c'est trahir les espoirs de ceux qui vivent de la mer.

Enfin, protéger 30 % de nos espaces marins exigera un renforcement massif des moyens de surveillance. Satellites, patrouilles maritimes et ressources humaines seront indispensables. Or je vous rappelle, mes chers collègues, que l'OFB manque déjà cruellement d'agents – ceux-là mêmes que certains d'entre vous ont qualifiés de shérifs.

Comment espérer atteindre ces objectifs si les outils pour les appliquer sont défaillants ? Si l'avenir des océans est un enjeu vital, il est impératif que cette ambition s'accompagne d'un soutien réel et tangible pour les pêcheurs, les collectivités et les acteurs locaux. Sans un accompagnement clair, un budget défini et des données précises, cette proposition de loi ne sera qu'un mirage.

C'est pour toutes ces raisons qu'en l'état une majorité des membres du groupe CRCE-K s'abstiendra. La préservation de nos océans ne peut se faire sans justice sociale et économique.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l'océan vivant » s'affiche, dans toute sa beauté, sur les grilles du jardin du Luxembourg, mais que fait-on pour préserver cette beauté ?

L'océan est le bien commun de l'humanité : il produit notre oxygène, régule le climat et abrite une biodiversité exceptionnelle. C'est un allié majeur dans la lutte contre le changement climatique, car il capte 25 % à 30 % du CO2 chaque année.

Cependant, cet océan est en souffrance. Sa capacité à réguler le climat mondial et à nourrir l'humanité est mise en péril par les activités humaines. Chaque cours d'eau, du plus petit ruisseau au plus grand fleuve, charrie jusqu'à la mer les pollutions émanant de nos activités sur terre. Nos destructions ne s'arrêtent pas là : la pêche industrielle est l'activité ayant eu l'impact le plus important sur la biodiversité et les habitats marins au cours des cinquante dernières années.

Les chiffres de l'érosion de la biodiversité marine ont été rappelés ; ils sont édifiants, mais il est encore possible de freiner cette course vers l'abîme.

Les études scientifiques le démontrent, une aire marine protégée n'est efficace que si elle est exempte de toute pêche industrielle. À ce jour, 33 % des eaux françaises sont couvertes par au moins une de ces aires, mais la plupart d'entre elles autorisent toutes les pratiques de pêche, des plus respectueuses aux plus destructrices.

Il faut changer de cap !

Les aires marines en protection stricte sont les plus à même de fournir des bénéfices écologiques, avec la préservation de la biodiversité marine, des poissons plus gros et plus abondants, ainsi que des bénéfices économiques et sociaux, avec le maintien des revenus pour les pêcheurs, de l'emploi et le développement d'activités économiques locales.

Alors que la France accueille la conférence des Nations unies sur l'océan à Nice, qui, nous l'espérons, se conclura par des mesures concrètes et ambitieuses, le monde nous regarde.

Nos voisins européens, comme la Grèce, le Royaume-Uni ou la Suède agissent déjà pour relever l'exigence de protection dans leurs aires marines protégées. Le secrétaire d'État à l'environnement britannique, Steve Reed, a déclaré lundi son intention d'étendre l'interdiction du chalutage de fond à plus de la moitié des aires marines protégées de son pays, qui constituent 40 % de son espace maritime.

En comparaison, la France est encore bien à la peine. Les scientifiques comme les experts d'ONG demeurent plus que sceptiques sur les annonces du Président de la République.

C'est donc à nous, parlementaires, qu'il revient d'emboîter le pas de ces initiatives européennes, de rectifier notre trajectoire, de permettre à la France de s'aligner, enfin, sur les standards internationaux, et de reprendre un certain leadership en matière de protection de l'océan.

Cette proposition de loi est ancrée dans la réalité. Elle comporte deux mesures calibrées, réclamées par la science, qui sont le fruit d'un dialogue constructif avec l'ensemble des parties prenantes.

Premièrement, elle vise un objectif de couverture de 10 % de chaque façade maritime par une protection stricte, pour que nous soyons enfin alignés avec les préconisations de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Deuxièmement, elle interdit les mégachalutiers de plus de 25 mètres dans la bande côtière, ce qui apparaît comme une évidence, tant les conséquences de leur activité sur les écosystèmes marins et nos ressources halieutiques sont catastrophiques.

Ces mesures sont essentielles et apparaissent comme une première étape si la France veut maintenir une flotte de pêche durable et florissante qui crée des emplois et soutient les communautés locales. Elles sont essentielles si nous voulons contribuer à la lutte contre le changement climatique, favoriser la consommation locale et la sécurité alimentaire.

Mes chers collègues de la droite et du centre, l'opinion publique vous regarde. Vous avez là une occasion unique de combler le fossé entre la rhétorique et l'action, en permettant à la France de retrouver sa crédibilité internationale en matière de politique maritime.

Vous êtes face à vos responsabilités : le temps est venu de mettre à distance les lobbies industriels et de faire alliance avec les citoyens, avec la science, avec les pêcheurs artisans et avec l'océan.

Saisissez cette occasion et votez en faveur de ce texte, qui est une réponse adaptée, sur le plan tant écologique que socio-économique. Il y va de l'avenir des artisans pêcheurs, qui constituent l'immense majorité des acteurs de la filière.

L'océan vivant, ce n'est pas que de l'affichage sur les grilles du jardin du Luxembourg ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'écologie est, pour reprendre les mots de Claude Lévi-Strauss, « un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même, mais fait à l'Homme une place raisonnable dans la nature, au lieu qu'il s'en institue le maître et la saccage, sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui ».

La restauration de la nature est le fruit d'un travail au long cours qui a lieu sur le terrain, à bas bruit, et qui dépend du dévouement de personnes engagées. Quelques heures suffisent en revanche pour que disparaissent des écosystèmes entiers, pour que soit rasée une forêt d'arbres centenaires, ou pour qu'un habitat naturel marin riche en biodiversité soit transformé en un désert aquatique.

Plusieurs évidences s'imposent à nous en ce qui concerne les océans.

La première est que les techniques de pêche industrielle ont eu raison d'une ressource marine surabondante que l'on croyait, à tort, inépuisable. L'anéantissement, en seulement quelques décennies, des populations de harengs ou de morues en est une parfaite illustration.

La deuxième évidence est qu'une aire marine dite protégée qui autorise les pratiques de pêche les plus destructrices est un non-sens. De quelle protection parle-t-on lorsque sont autorisés à opérer, au sein de ces aires, des navires-usines aspirant littéralement des milliers de tonnes de poissons ?

La troisième et dernière évidence est porteuse d'espoir : il s'agit de l'incroyable résilience de la nature et de la capacité de regain dont elle est capable. Accorder une protection adéquate à une aire marine permet le retour de l'abondance.

Toutefois, nous partons de loin. La quasi-totalité des habitats marins et côtiers de la métropole est en mauvais état. La destruction des écosystèmes et la surpêche représentent une menace pour les ressources halieutiques, qui s'effondrent faute de temps pour se reconstituer.

La pêche au chalut de fond, outre le fait qu'il s'agit d'une pratique de pêche intensive et non sélective, racle les fonds marins et détruit la végétation, emportant avec elle les habitats et lieux de reproduction des poissons. La France, territoire aux multiples façades maritimes et deuxième plus grand espace maritime du monde, a une responsabilité toute particulière.

L'aire marine protégée peut être un outil efficace pour préserver la ressource et garantir la subsistance de la pêche. Elle ne le sera toutefois qu'avec une bonne gouvernance et un niveau de protection élevé.

Nous rejoignons pleinement le constat fait par l'auteure du texte que nous examinons aujourd'hui, Mathilde Ollivier. Les critères internationaux sont clairs : une aire marine ne peut être considérée comme protégée que si elle interdit toute activité et infrastructure industrielle. Or, en France, aucune des aires marines protégées n'interdit de manière systématique les activités industrielles. Au total, ce sont dix-huit statuts de protection qui coexistent en France et, dans la grande majorité des cas, la pêche industrielle y opère sans aucune forme de restrictions. Ce déficit de protection est particulièrement flagrant dans la métropole, où seulement une part infime des espaces marins est protégée.

Les réserves marines strictement protégées ont pourtant fait leurs preuves : le nombre d'espèces observées, comme leur taille ou leur densité, y augmente considérablement. L'effet de débordement de ces zones sanctuarisées bénéficie de surcroît directement aux zones de pêche alentour. Ces ressources plus abondantes garantissent, en fin de chaîne, un meilleur revenu pour les pêcheurs locaux.

Le texte proposé par notre collègue Mathilde Ollivier apporte une réponse équilibrée pour revenir de l'indigence à l'abondance des ressources marines. Fruit d'un travail de compromis avec les acteurs de la filière et les associations, il adapte le droit français aux normes internationales en déclinant des objectifs de protection pour chaque façade maritime, en fonction de leur spécificité. Ce faisant, il institue une véritable protection des aires marines, mieux ciblée, en faveur d'une pêche plus durable.

Le groupe SER apportera donc son soutien à ce texte de compromis. Au moment où nous parlons, une coopération internationale s'organise à Nice pour préserver les océans, cette ressource inestimable. Le monde nous regarde et ce sujet doit faire consensus dans cet hémicycle. Nous devons mener ce combat ensemble pour nos pêcheurs, pour les écosystèmes et pour le bien-être des générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que se tient à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, à laquelle le Président de la République a convié une centaine de délégations internationales, des chefs d'État et de gouvernement, le groupe écologiste nous offre une tribune pour échanger, à notre tour, sur la nécessité absolue de protéger nos mers et nos océans.

Cette proposition de loi s'inscrit parfaitement dans le thème général de cette conférence : « accélérer l'action et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l'océan ».

Alors que les déclarations se multiplient – le Président de la République annonce que « nous avons le devoir de nous mobiliser », le Royaume-Uni déclare vouloir mettre en place un plan pour étendre à plus de la moitié de ses aires marines protégées l'interdiction du chalutage de fond –, un consensus émerge : la protection des océans, décisive pour notre avenir, représente un enjeu aussi bien environnemental qu'alimentaire et géopolitique.

En France, nous consommons en moyenne 33 kilos de poissons et de crustacés par an et par personne. Pourtant, nous importons 80 % de notre consommation.

Nos aires maritimes, notre littoral et nos ressources halieutiques doivent être protégés. C'est pourquoi nous soutenons la disposition visant à interdire les mégachalutiers à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.

Ces engins ont des conséquences délétères pour nos écosystèmes, la biodiversité et la régulation du climat, mais également pour nos pêcheurs, car ils mettent en péril la ressource. Leurs effets néfastes sont ainsi tout à la fois environnementaux et économiques.

Comment un ligneur côtier pêchant entre 30 et 200 kilos par nuit peut-il résister à un mégachalut pouvant capturer jusqu'à 400 000 kilos de poissons toutes les vingt-quatre heures ?

Nous devons trouver un équilibre pour permettre à la pêche artisanale et à la pêche au chalut de coexister. Les aires marines sont une ressource économique. Nous ne pouvons d'emblée interdire toute activité dans certaines zones. Cette discussion doit se faire à l'échelon local, avec les territoires ; la spécificité de chacun doit notamment être prise en considération.

C'est pourquoi nous émettons quelques réserves sur l'article 1er de cette proposition de loi, qui entend remplacer, pour les aires marines protégées, la notion de protection forte par celle de protection stricte. Chaque territoire a ses particularités – pression commerciale, concurrence, trafic, fonds et écosystèmes divers. Nous devons permettre une différenciation territoriale, car cela fonctionne.

Le cas de la coquille Saint-Jacques en Normandie en est un exemple réussi. C'est par la volonté des pêcheurs, avec la mise en place de quotas, d'horaires et d'une pêche sélective, qu'il y a aujourd'hui huit fois plus de coquilles au fond de la baie de Seine qu'il y a vingt ans.

Des modèles se mettent en place et nous devons nous en inspirer. Plutôt que d'imposer des restrictions beaucoup plus strictes, encourageons les initiatives locales concertées, en impliquant les acteurs économiques.

Les pêcheurs ont naturellement besoin de protéger la ressource dont ils vivent. Ces initiatives locales permettent la préservation de nos aires marines et des ressources.

C'est pourquoi, malheureusement, au regard de l'importance que revêt ce sujet, la mouture actuelle de l'article 1er n'est pas pleinement satisfaisante. Nous resterons donc attentifs au débat qui s'ouvre.

Les océans relient les hommes et les continents, stockent le carbone et nous offrent des réserves nourricières. La protection de nos écosystèmes marins est indispensable. Elle ne pourra se faire qu'avec les acteurs économiques de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren, en remplacement de M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Evren, en remplacement de M. Alain Cadec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie d'excuser l'absence d'Alain Cadec ; je lirai l'intervention qu'il a préparée.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à élargir et à renforcer la protection des écosystèmes marins français, en augmentant la surface des zones protégées.

Nous sommes unanimes à considérer que la préservation des océans constitue un enjeu central dans la protection de la biodiversité et de notre planète. En effet, la pêche illégale représente environ un poisson sur cinq pêchés dans le monde et plus de 5 000 milliards de morceaux de plastique, pesant environ 250 000 tonnes, flottent dans l'océan.

Face à ces chiffres, nous ne pouvons rester inactifs. Toutefois, je tiens à souligner qu'en France 32,5 % de l'espace maritime est couvert par des aires marines protégées, ce qui place le pays au-dessus de la moyenne mondiale.

Le texte qui nous est soumis soulève plusieurs difficultés majeures, tant du point de vue économique que pour ce qui concerne l'efficacité réelle de ses mesures. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a été rejeté en commission.

Il est proposé de placer au moins 30 % de nos espaces maritimes sous protection et au moins 10 % sous protection dite stricte, interdisant ainsi toute activité extractive, y compris la pêche artisanale dans certaines zones.

Une telle mesure risque d'avoir des conséquences dramatiques pour l'économie de nos littoraux et pour la pêche française, déjà fragilisée par la concurrence internationale et les récentes crises. La création de vastes zones interdites à la pêche, même avec la mise en place de zones tampons réservées à la pêche artisanale, pourrait entraîner la disparition de nombreux emplois et menacer la pérennité de communautés littorales entières.

Le texte fixe des objectifs ambitieux, mais leur atteinte d'ici à 2030 semble irréaliste au vu de l'état actuel de la concertation avec les acteurs concernés. Les pêcheurs, les collectivités locales et les entreprises du secteur maritime dénoncent d'ailleurs un manque d'écoute et de prise en compte de leurs réalités quotidiennes. Une telle transformation du modèle économique littoral ne peut se faire sans un dialogue approfondi et des garanties concrètes pour l'accompagnement des professionnels concernés.

De plus, la proposition de loi s'appuie sur le modèle des aires marines protégées comme outil principal de sauvegarde de la biodiversité. Pourtant, l'expérience montre que la simple multiplication de zones protégées n'est pas toujours synonyme d'efficacité, surtout lorsque la gestion, le contrôle et les moyens font défaut.

Comme je l'ai déjà souligné, plus de 30 % des eaux françaises sont déjà classées en aires marines protégées, mais seulement une infime partie bénéficie d'une protection réelle et efficace. Plutôt que d'ajouter de nouvelles contraintes, il serait plus pertinent d'améliorer la gestion et l'efficacité des dispositifs existants.

Enfin, ce texte risque de fragiliser davantage la compétitivité de la pêche française face à des flottes étrangères moins contraintes, ce qui pourrait se traduire par une délocalisation de l'effort de pêche vers des eaux moins réglementées, sans bénéfice réel pour la biodiversité mondiale. La protection de l'océan doit se faire à l'échelle internationale, dans le cadre d'accords concertés, pour éviter tout effet pervers.

Le sommet qui se déroule actuellement à Nice témoigne de la volonté des États de se retrouver autour d'objectifs ambitieux : protéger 30 % de l'océan d'ici à 2030, notamment via l'extension des aires marines protégées ; mettre un terme à la pollution plastique, en poursuivant les négociations sur un traité international spécifique ; promouvoir une pêche durable et lutter contre la pêche illégale ; décarboner le transport maritime pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 ; renforcer la coopération internationale, notamment face à la montée des eaux ; mobiliser de nouveaux financements pour une économie bleue durable ; faire entrer en vigueur le traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine ; enfin, défendre la science et soutenir la recherche pour mieux comprendre et protéger l'océan.

Cet événement doit créer une dynamique favorable et des solutions concrètes doivent pouvoir être proposées pour répondre à ces nombreux enjeux.

Pour conclure, il est important d'insister sur l'impératif que constitue la protection des écosystèmes marins, mais celle-ci ne saurait se faire au détriment de nos pêcheurs, de nos territoires et de notre souveraineté alimentaire.

Cette proposition de loi, dans sa forme actuelle, manque d'équilibre et de pragmatisme. Afin de privilégier une approche plus concertée, progressive et adaptée aux réalités du terrain, le groupe Les Républicains votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe RDPI partagent évidemment l'objectif qui est défendu ici : la nécessaire préservation de nos océans.

Les écosystèmes marins régulent le climat. Ils absorbent une part importante des émissions de CO2, fournissent des ressources alimentaires essentielles et soutiennent l'économie de nombreuses régions littorales. La France, qui, avec ses territoires d'outre-mer, est le deuxième domaine maritime mondial, porte une responsabilité particulière dans l'attention à accorder à ces espaces aujourd'hui dégradés et pollués.

Il est donc tout à fait légitime de nous interroger sur l'efficacité des politiques actuelles de protection marine et d'envisager leur renforcement. Face à la dégradation des milieux marins, plusieurs cadres réglementaires ont été mis en place ces dernières décennies, à différents niveaux, pour mieux protéger ces espaces.

Nombre d'entre nous se sont rendus cette semaine à Nice pour le sommet sur l'océan. Dans ce cadre, des ambitions fortes ont été rappelées pour enrayer les déperditions de ces puits de carbone en ébullition. Le Président de la République a notamment rappelé qu'en la matière il s'agissait non pas d'opinions, mais de faits scientifiquement établis. À cet effet, la réponse la plus efficace est celle qui sera adoptée à l'échelle internationale et le message politique doit être le suivant : nous parlons non d'un bien de consommation, mais de notre patrimoine naturel universel.

C'est pourquoi le Président de la République l'a annoncé : le traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine, qui a déjà fait l'objet de soixante ratifications, s'appliquera ; le chalutage de fond sera limité dans les aires marines protégées pour préserver les fonds marins.

Il y a urgence, mais la France n'a pas attendu pour agir. Ce que nous avons fait ici même lors de l'élaboration de la loi Climat et Résilience, en atteste.

Madame Mathilde Ollivier, votre proposition de loi est organisée autour de deux articles.

L'article 1er entend redéfinir la notion de protection forte, en la remplaçant par une protection stricte des aires marines protégées, avec la mise en place d'une zone tampon où seraient interdits le chalutage, les activités industrielles et la pêche récréative.

Il est également fixé plusieurs objectifs à atteindre d'ici au 1er janvier 2030. Au moins 30 % de l'ensemble du territoire maritime national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française devront être couverts par un réseau cohérent d'aires protégées dans l'Hexagone et en outre-mer, sur terre et en mer. Au moins 10 % d'entre elles devront être placées sous protection stricte. En mer, les aires placées sous protection stricte devront atteindre un niveau d'au moins 10 % de chaque façade maritime et de chaque bassin maritime ultramarin.

C'est pourquoi l'État devra élaborer, sur la base des données scientifiques disponibles et en concertation avec des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements, une stratégie nationale pour ce faire.

L'article 2, quant à lui, prévoit que l'État définisse et mette en œuvre une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond, qui serait révisée tous les trois ans.

Les mégachalutiers de plus de 25 mètres seraient interdits à moins de douze milles marins des lignes de base.

Pour rappel, la France, par ses efforts récents, revendique aujourd'hui d'avoir protégé environ 30 % de sa zone économique exclusive, ce qui est en ligne avec l'objectif international 30x30 adopté dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique et soutenu par l'Union européenne.

Si cette proposition de loi exprime un objectif louable, il convient d'y apporter quelques nuances.

L'interdiction du chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées pourrait avoir un impact économique majeur, notamment pour les flottilles artisanales dans certaines zones.

Alors que notre filière de pêche a connu de nombreuses difficultés ces dernières années, notamment à cause du Brexit, ce texte pourrait encore venir fragiliser cette filière importante pour notre économie.

C'est en concertation que nous parviendrons à des résultats positifs.

En outre, la sanctuarisation de 10 % des espaces marins sans aucune activité humaine va au-delà des engagements européens ou internationaux, qui laissent pourtant une place à des usages durables, compatibles avec les objectifs de conservation.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera majoritairement contre cette proposition de loi. En ce qui me concerne, je considère que les spécificités de mon territoire exigent une réflexion plus fine.

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins

Article 1er

Le I de l'article L. 110-4 du code de l'environnement est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :

« D'ici au 1er janvier 2030, au moins 30 % de l'ensemble du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française sont couverts par un réseau cohérent d'aires protégées en métropole et en outre-mer, sur terre et en mer, et au moins 10 % sont placés sous protection stricte. En mer, les aires placées sous protection stricte atteignent un niveau d'au moins 10 % de chaque façade maritime et de chaque bassin maritime ultramarin. Afin de parvenir à cet objectif, l'État élabore et met en œuvre, sur la base des données scientifiques disponibles et en concertation avec des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements ainsi que des autres parties prenantes, une stratégie nationale des aires protégées. » ;

2° Au troisième alinéa, le mot : « forte » est remplacé par le mot : « stricte » ;

3° Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les zones placées sous protection stricte mentionnées au premier alinéa du présent I sont délimitées afin de conserver, ou de restaurer, l'intégrité, la structure écologique sous-jacente et les processus environnementaux naturels de soutien d'espaces naturels riches en biodiversité. Les processus naturels sont préservés des pressions humaines et des menaces qui pèsent sur la structure et le fonctionnement écologiques globaux à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone strictement protégée. Ne sont autorisées que les activités de gestion nécessaires à la restauration ou à la conservation des habitats et des espèces pour la protection desquels la zone a été désignée ainsi que les activités limitées et bien contrôlées qui n'interfèrent pas avec les processus naturels ou les améliorent. Un décret précise les modalités de mise en œuvre de la protection stricte, notamment en ce qui concerne les règles de protection foncière et les procédures de contrôle.

« Une zone tampon, où sont interdits le chalutage, les activités industrielles et la pêche récréative dont les impacts périphériques sont de nature à contrevenir à l'avant-dernier alinéa, est établie autour des zones placées sous protection stricte. Un décret précise les modalités de mise en œuvre ainsi que les procédures de contrôle et de sanction en cas de violation des interdictions. »

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié quater, présenté par M. Cadec, Mme Evren, MM. Sol, J.P. Vogel, Brisson, Piednoir, Burgoa, Rapin, Panunzi, Naturel, Le Rudulier, D. Laurent et Lefèvre, Mme Joseph, MM. Canévet, Chauvet et Bouchet, Mmes Canayer et Belrhiti, MM. Margueritte, Pernot, P. Vidal, Sautarel, Duplomb et L. Vogel, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Muller-Bronn, M. Milon et Mmes Josende et Gosselin, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Agnès Evren.

Mme Agnès Evren. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Fernique, rapporteur. La commission a émis à l'unanimité un avis défavorable sur cet amendement de suppression de l'article 1er, et ce pour une question de méthode.

Sans préjuger du vote à venir sur cet article, elle a souhaité permettre l'examen en bonne et due forme de l'ensemble des amendements déposés, afin qu'un véritable débat puisse avoir lieu.

La protection et l'utilisation durable des océans sont un sujet vital pour les territoires côtiers, sur lequel la France appelle le monde entier à se mobiliser dans le cadre de l'Unoc cette semaine. Il ne serait pas compréhensible que le Sénat ne prenne pas sa place dans cette discussion.

À titre personnel, je suis également défavorable à cet amendement, car je soutiens l'adoption de l'article 1er, modifié le cas échéant par l'amendement n° 3 déposé par le groupe GEST, dont l'adoption permettrait un assouplissement du dispositif, gage d'une meilleure acceptabilité.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Il est favorable, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.

Mme Mathilde Ollivier. Je souhaite m'attarder un instant sur cet amendement qui vise à supprimer l'objectif de 10 % d'aires marines protégées.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué être favorable à cette suppression. Voilà une réponse très courte !

Dans ses récentes interventions, Emmanuel Macron a annoncé que nous allions avancer vers des objectifs de protection stricte, évoquant même 10 % de protection stricte de nos eaux. Il n'a en revanche pas annoncé de nouveaux objectifs dans les eaux territoriales hexagonales ; on y resterait donc à 0,1 % de protection stricte.

Cette proposition de loi vise justement à clarifier les notions de protection stricte et de protection forte. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement s'oppose à ce que la notion de protection stricte soit définie dans la loi.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié quater.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 5, présenté par Mme Conconne, est ainsi libellé :

Alinéa 3

1° Première phrase

Après les mots :

juridiction française

insérer les mots : 

, à l'exception des territoires de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane,

2° Deuxième phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, à l'exception du bassin maritime de Martinique, de Guadeloupe, et de la Guyane

La parole est à Mme Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne. Il y a quelques heures, nous rappelions avec émoi la pollution dramatique au chlordécone que subissent la Guadeloupe et la Martinique.

Mes chers collègues, savez-vous qu'aujourd'hui 30 % du littoral de nos îles est interdit de pêche ? Oui, interdit ! Cette interdiction a plongé dans la difficulté, voire dans la pauvreté, un très grand nombre de pêcheurs. Certains ont dû vendre et se reconvertir ; d'autres peinent, parce qu'il faut maintenant aller très loin pour pêcher, ce qui signifie plus de carburant – vous savez ce qu'il coûte aujourd'hui.

Et l'on voudrait maintenant ajouter de nouvelles aires marines protégées, alors que, en Martinique, il y en a déjà !

Que dirai-je à mes pêcheurs en rentrant ? On va simplement leur demander de tout arrêter, de ne plus pêcher du tout, d'aller je ne sais où. Peut-être qu'ils viendront demander un petit job au Sénat…

Il est temps d'avoir une vision extrêmement réaliste de la situation : la Guadeloupe et la Martinique, ce n'est pas la Bretagne. (Mme Solanges Nadille acquiesce.) Nous ne sommes pas en situation de surpêche, bien au contraire. Même la Commission européenne a autorisé le financement d'un nouveau navire après qu'on lui a fait la preuve par neuf qu'on était très loin de la surpêche, qu'on pouvait continuer à aider nos marins-pêcheurs à avoir de nouveaux outils de pêche.

Et il faudrait que je reste passivement à vous entendre dire que l'on va augmenter les aires marines protégées ? Non ! Laissez nos pêcheurs tranquilles, laissez-les travailler !

Je partage tout à fait le souci de préserver nos richesses naturelles. Ne faites pas de moi une anti-écolo, c'est tout sauf le cas, mais, de grâce, considérez ce qui mérite de l'être et ne faites pas subir à nos pays une double peine, celle du chlordécone et celle d'aires marines hyperprotégées !

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Ollivier, MM. Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3, deuxième phrase

Supprimer cette phrase.

II. – Après l'alinéa 3

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° bis Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret établit pour chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin, après consultation des conseils maritimes de façade ou des conseils maritimes ultramarins, un sous-objectif permettant d'atteindre l'objectif global de placer sous protection stricte au moins 10 % de l'ensemble des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française d'ici au 1er janvier 2030. Cette déclinaison permet d'assurer une contribution de chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin à cet objectif global, en assurant un équilibre entre, d'une part, les contraintes géographiques, physiques et socio-économiques et, d'autre part, les enjeux de protection de la biodiversité, appréciés en fonction des caractéristiques des écosystèmes concernés et des pressions anthropiques constatées. » ;

III. – Alinéa 6

1° Deuxième phrase

Remplacer les mots :

strictement protégée

par les mots :

placée sous protection stricte

2° Troisième phrase

Après le mot :

zone

insérer les mots :

placée sous protection stricte

IV. – Alinéa 7, première phrase

Remplacer les mots :

, les activités industrielles et la pêche récréative dont les impacts périphériques sont de nature à contrevenir à l'avant-dernier alinéa,

par les mots :

et les activités industrielles, dont les impacts périphériques sont de nature à contrevenir à l'avant-dernier alinéa, ainsi que la pêche récréative,

La parole est à Mme Mathilde Ollivier.

Mme Mathilde Ollivier. Cet amendement vise à rendre plus flexible la manière dont nous autorisons le placement des aires marines protégées sous protection stricte, en renvoyant la définition de ces aires à un décret.

La proposition originelle, qui allait plus ou moins dans le sens de Mme Conconne, fixait un objectif de 10 % d'aires marines protégées par façade. Pourquoi ? Justement pour éviter que le Gouvernement n'établisse toutes les aires marines protégées dans les outre-mer et se dédouane de ses responsabilités en métropole.

C'est en effet exactement ce qui s'est passé il y a quelques jours ! Dans un grand exercice de communication, le Gouvernement a annoncé la mise en place d'une énorme aire marine protégée de protection stricte en Polynésie française, en s'attribuant d'ailleurs les déclarations du président de la Polynésie française.

Si nous avons préféré fixer un objectif de 10 % d'aires marines protégées par façade, c'est bien pour que les aires marines protégées ne soient pas toutes dans les outre-mer.

Madame Conconne, nous partageons votre combat contre le chlordécone et contre le manque de responsabilité du Gouvernement sur ces sujets depuis de très nombreuses années. (Mm Catherine Conconne manifeste son scepticisme.) Les écologistes se sont toujours mobilisés pour lutter contre les pollutions, à terre comme en mer. Cet objectif, nous n'y renonçons pas.

C'est très bien que le Gouvernement nous annonce que nous allons lutter contre la pollution, car elle exerce aujourd'hui une pression très importante sur les écosystèmes marins, mais la surpêche continue d'être une problématique majeure. L'IPBES indique qu'il s'agit aujourd'hui du problème principal en termes de pression sur les écosystèmes marins. Oui, il faut continuer à traiter cette question !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Fernique, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 5.

Si je comprends la nécessité de prendre en compte les contraintes de pêche spécifiques de la zone antillo-guyanaise, exempter purement et simplement la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane des engagements nationaux en matière de déploiement des aires marines protégées ne semble pas souhaitable. En outre, ce serait moins-disant par rapport au droit actuel.

L'amendement n° 3 tend à reprendre des propositions d'évolution que j'avais proposées au stade de l'examen en commission, mais qui n'ont pas été retenues. Bien que les dispositions qu'il contient aillent dans le bon sens, en permettant davantage de différenciation territoriale, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, parce qu'elle ne souscrit pas à la proposition, formulée dans ce texte, de remplacer dans le droit français la notion de protection forte par celle de protection stricte.

À titre personnel, je soutiens cet amendement par cohérence avec la position qui a été la mienne en commission. Cette mesure permettrait d'assurer l'effectivité d'une petite partie au moins de nos aires marines protégées, tout en fixant des objectifs de déploiement adaptés aux possibilités et contraintes de chaque façade maritime et bassin maritime ultramarin.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez compris, le Gouvernement n'est pas favorable à ce que la notion de protection stricte soit retenue.

L'amendement n° 5 tend à exclure de cette approche les territoires de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Voilà bien la preuve que cette approche ne permet pas de prendre en compte les spécificités locales, notamment celles des bassins maritimes de la région antillo-guyanaise, qui sont très particulières.

La définition actuelle de la protection forte permet la différenciation que vous demandez, madame la sénatrice, pour tenir compte de la grande diversité des écosystèmes et des activités économiques dans nos espaces maritimes français.

Étant défavorable à l'article 1er, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 5.

L'amendement n° 3 vise pour sa part à assouplir l'objectif d'au moins 10 % des aires marines protégées sous protection stricte par façade maritime et par bassin maritime ultramarin.

Je le répète, le Gouvernement est défavorable à cette approche. Cette proposition d'assouplissement témoigne parfaitement de la difficulté d'avoir une approche systématique comme celle-ci : la diversité de notre écosystème marin et de nos territoires nécessite une approche différenciée.

C'est pourquoi le Gouvernement privilégie l'approche de protection forte, comme c'est le cas aujourd'hui. Étant défavorable à l'article 1er, sur cet amendement, il s'en remet également à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.

Mme Catherine Conconne. Le rapporteur souhaite peut-être la différenciation, mais il voudrait en même temps aligner les territoires ultramarins pour qu'ils soient dans la République. Si cet alignement fonctionnait dans tous les domaines, comme nous serions heureux !

Quand il s'agit des zones de protection, il faudrait être comme en France et se soumettre aux mêmes règles, mais alors, pour le reste, c'est pour quand ? Je peux vous donner la liste des situations où nous ne sommes pas du tout alignés avec l'Hexagone : on y passerait la nuit !

Je veux bien comprendre qu'il y ait des postures différentes. À certains moments, on nous dit : comme vous êtes dans la République, vous devez être alignés. Pourtant, à d'autres, nous en sommes loin et tout cela nous passe au-dessus de la tête !

Soyons cohérents. Si l'on nous impose l'alignement sur les aires marines protégées, nous voulons un alignement pour tout : T-O-U-T !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 323 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 95
Contre 229

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 2

I. – Le livre IX du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le chapitre Ier du titre Ier est complété par un article L. 911-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 911-5. – I. – L'État définit et met en œuvre une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond. Cette stratégie est révisée tous les trois ans. Elle vise à réduire la dépendance de la filière de la pêche française à la consommation d'énergies fossiles, à protéger les écosystèmes marins et à assurer une gestion durable des ressources halieutiques.

« La stratégie nationale précise les objectifs et les mesures permettant la transition des navires de pêche au chalut de fond vers d'autres pratiques de pêche, y compris par l'expérimentation et l'incitation. Elle fixe notamment les mesures relatives à l'attribution des permis de mise en exploitation des navires de pêche professionnelle ainsi qu'aux critères et à la répartition des quotas qui contribuent à l'atteinte de ces objectifs. Elle comporte les dispositions compensatoires et d'accompagnement économique et social garantissant une transition juste et durable.

« II. – L'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie nationale définie au I dans leurs documents de planification et de programmation maritimes. » ;

2° L'article L. 921-8 est ainsi rétabli :

« Art. L. 921-8. – L'usage des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres est interdit à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes. »

II. – Le 2° du I entre en vigueur le 1er janvier 2026.

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié ter, présenté par M. Cadec, Mme Evren, MM. Sol, J.P. Vogel, Brisson, Piednoir et Burgoa, Mme Garnier, MM. Rapin, Naturel, Panunzi, Le Rudulier, D. Laurent et Lefèvre, Mme Joseph, MM. Canévet, Chauvet et Bouchet, Mmes Canayer et Belrhiti, MM. Margueritte, Pernot, P. Vidal, Sautarel, Duplomb et L. Vogel, Mme Lassarade, M. Gremillet, Mme Muller-Bronn, M. Milon et Mme Josende, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Agnès Evren.

Mme Agnès Evren. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Fernique, rapporteur. Comme pour l'amendement de suppression l'article 1er, la commission a émis à l'unanimité un avis défavorable sur l'amendement de suppression de l'article 2.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Le report éventuel des chalutiers de fonds vers d'autres engins de pêche doit être anticipé à large échelle. Je pense notamment à l'impact potentiel sur les espèces d'intérêt halieutique et leurs quotas, mais aussi sur les espèces protégées.

Par ailleurs, le Gouvernement a déjà traité les enjeux d'évolution des pratiques de pêche, qui sont étudiés dans plusieurs stratégies – je les ai mentionnés dans la discussion générale –, et ce pour l'ensemble des engins de pêche pour lesquels les impacts sur les écosystèmes sont documentés.

Enfin, la France engage des actions en faveur de la durabilité des activités de pêche, quelle que soit la taille des navires. Une interdiction des navires de plus de 25  mètres dans la bande côtière, en plus d'être fondée sur un seuil arbitraire, risquerait de porter préjudice à la pêche française, si elle était instaurée à l'échelle nationale. Elle s'opposerait aussi au cadre européen, qui prévoit un accès de certains navires d'autres États membres dans cette bande côtière.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. Je suis toujours surpris d'entendre que l'on essentialise les pêcheurs, que l'on évoque « les pêcheurs » en général.

Lorsque nous avons gagné, ensemble, contre la pêche électrique – Alain Cadec était là, il pourrait vous en parler –, nous étions soutenus par les pêcheurs artisanaux français, contre les pêcheurs industriels, contre le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), qui défendaient une pêche industrielle. Le gouvernement français était des plus ambigus sur ce sujet.

Même chose lorsque nous avons gagné, à l'échelon européen, sur la pêche en eaux profondes. Nous avions évidemment la pêche industrielle contre nous, mais la pêche artisanale avec nous.

Déjà j'entendais les mêmes discours : « Les pêcheurs sont contre ! » Eh bien non ! Il y a des débats au sein de la pêche. Les pêcheurs à la ligne de bars sont contre le chalutage en bœuf dans les zones de frayères du bar. Le secteur de la pêche parle peu, il n'expose pas publiquement ses divergences, mais il est divers.

Alors oui, nous nous battons ici pour la pêche artisanale, avec celles et ceux qui font vivre les territoires, pas avec ceux qui pillent les fonds marins. Si l'on continue, il n'y restera plus rien ! Il n'y aura bientôt plus de pêcheurs et plus d'activité dans les territoires autour de la pêche. Alors, arrêtons ce bazar et les mensonges, cessons de dire qu'il n'existe qu'une pêche française ! C'est faux ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié ter.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Ollivier, MM. Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – L'article L. 921-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rétabli :

« Art. L. 921-8. – L'usage des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres est interdit à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes. »

II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2026.

La parole est à Mme Mathilde Ollivier.

Mme Mathilde Ollivier. Par cet amendement, nous proposons une solution de repli. Afin de nous permettre d'obtenir l'interdiction des bateaux de plus de 25 mètres dans la bande des douze milles nautiques, cet amendement vise à supprimer la première partie de l'article 2 sur la stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond. Il s'agit d'une mesure de bon sens.

Je ne demande pas l'interdiction des bateaux industriels, je demande juste qu'ils aillent pêcher plus loin, à douze milles nautiques, c'est-à-dire à moins de vingt-cinq kilomètres des côtes. On parle ici de bateaux de 100 mètres, de bateaux-usines, qui pêchent sur le territoire des artisans pêcheurs côtiers, alors qu'ils peuvent pêcher en haute mer.

Je le répète, il s'agit d'une mesure de bon sens : nous demandons seulement que ces bateaux aillent pêcher plus loin.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Fernique, rapporteur. Cet amendement vise à réécrire l'article 2 de la proposition de loi pour ne conserver que l'interdiction des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 25 mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.

Bien que cet amendement aille dans le bon sens, en ciblant davantage la proposition afin d'en garantir l'acceptabilité, la commission y est défavorable, car elle ne souscrit pas à l'ensemble de l'article 2 tel qu'il a été proposé initialement.

À titre personnel, je soutiens cet amendement, dont l'objectif est de protéger la pêche côtière et artisanale des mégachalutiers, le plus souvent étrangers, qui mettent en péril notre modèle économique et exercent une forte pression sur les ressources et les écosystèmes. L'adoption de cet amendement permettrait d'envoyer un signal fort de soutien à nos pêcheurs. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je le redis : nous ne sommes pas favorables à cette interdiction, et ce pour trois raisons que je rappellerai très brièvement.

D'abord, juridiquement, une telle interdiction serait contraire au droit européen. Ensuite, le seuil de 25 mètres est arbitraire. Enfin, diplomatiquement, la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses navires, y compris de plus de 24 mètres, aux eaux britanniques dans la bande des six à douze milles nautiques. Une interdiction nationale aussi stricte affaiblirait notre position internationale.

L'avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.

Mme Mathilde Ollivier. Émettre un avis défavorable sur cet amendement aujourd'hui est un scandale ! Cela revient à prendre position en faveur de la pêche industrielle. Or la France ne compte aujourd'hui qu'un ou deux bateaux de plus de 25 mètres, qui ne représentent que 3 % de la flottille française.

En fait, je le répète : vous prenez fait et cause pour la pêche industrielle, et c'est un scandale !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 324 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption 94
Contre 228

Le Sénat n'a pas adopté.

Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l'article 2.

Si cet article n'était pas adopté, l'article 3, qui constitue le gage de la proposition de loi, deviendrait sans objet.

Dès lors, il n'y aurait plus lieu de mettre aux voix l'article 3 et l'ensemble de la proposition de loi. Il n'y aurait donc pas d'explication de vote sur cet article et sur l'ensemble.

Personne ne demande la parole pour explication de vote ?…

Je mets aux voix l'article 2.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 325 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption 95
Contre 227

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, l'article 3 n'a plus d'objet.

Mes chers collègues, les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

9

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription au premier point de l'ordre du jour du jeudi 19 juin de la suite éventuelle de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, ainsi que la possibilité de siéger, le cas échéant, le soir du jeudi 19 juin.

Il n'y a pas d'opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 17 juin 2025 :

À quatorze heures et le soir :

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de simplification du droit de l'urbanisme et du logement (texte de la commission n° 694, 2024-2025) ;

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation (texte de la commission n° 713, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

 

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER