Je crains malheureusement que nous ne soyons loin d'une stratégie nationale en matière de santé, de la stratégie globale, cohérente, déterminée et financée dont la France a besoin.

Je salue la proposition de loi du député Neuder, qui met fin au numerus apertus, lequel n'a pas véritablement, ou pas assez, modifié la donne par rapport au numerus clausus. Celui-ci, on le sait, a considérablement réduit le nombre de médecins formés et conduit à la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.

Le numerus apertus, mis en œuvre en 2019, était censé corriger cette mesure « visionnaire », portée par ceux qui étaient déjà obsédés à l'époque, dans les années 1970, par la réduction des dépenses de santé.

Cela a été rappelé, le nombre d'étudiants a augmenté d'environ 11 % depuis 2019, mais il reste très inférieur aux besoins. En maïeutique et en pharmacie, on a même formé moins de futurs professionnels, pour des raisons qui ne sont d'ailleurs pas uniquement liées au numerus apertus.

Voilà pourquoi nous proposons, lors de l'examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, que les besoins en santé déterminent l'offre de formation, et rien d'autre.

Mais le ministre Neuder peut-il s'en tenir à cette juste intention, sans annoncer en parallèle les moyens de la concrétiser ?

Dans une tribune publiée en octobre 2023, l'Académie de médecine estimait qu'il manquait encore 5 000 places dans les universités de médecine chaque année pour réduire efficacement la pénurie de médecins.

Que comptez-vous faire, avec votre homologue de l'enseignement supérieur, monsieur le ministre, pour que la France lance ce grand effort de formation ?

Quels financements prévoyez-vous pour que nos universités puissent ouvrir des places en fonction des besoins de leur territoire ? Chacun sait combien ils sont nombreux.

Combien de chefs de cliniques, combien de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), pourront être recrutés ?

Quelles infrastructures universitaires pour accueillir de nouveaux étudiants dans nos territoires, et pas seulement dans les CHU ?

De même, quels terrains de stage pour former les étudiants et leur faire découvrir la diversité des modes d'exercice, l'intérêt de nos villes moyennes, de nos territoires ruraux et de nos quartiers populaires, ainsi que la qualité de vie que l'on y trouve ?

C'est à ces questions que nous attendons des réponses de votre part, monsieur le ministre. Inutile de dire que cela risque de se heurter à la volonté du Gouvernement de réaliser 40 milliards d'euros d'économies dans le budget de l'État et dans celui de la sécurité sociale l'an prochain.

Comment entendez-vous, par exemple, étendre le bénéfice de la prime de 800 euros aux maîtres de stage dans les zones d'intervention prioritaire et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans ce cadre budgétaire ? Il est inenvisageable pour nous que ces mesures s'accompagnent d'une moindre prise en charge des patients, quels qu'ils soient.

Vous prévoyez également de simplifier la reprise d'études de santé en France, mais les démarches demeurent trop exigeantes pour entraîner un véritable retour des étudiants français partis se former chez nos voisins européens.

Vous prévoyez enfin de simplifier les passerelles pour les professionnels paramédicaux qui souhaitent reprendre des études de médecine. Attention cependant à ne pas déplacer la pénurie des professions médicales vers les professions paramédicales, car nous avons aussi besoin d'augmenter le nombre de places dans les formations d'infirmières, de psychothérapeutes, d'orthophonistes, d'orthoptistes, d'aides-soignants ou de psychomotriciens.

Une universitarisation des formations est également nécessaire, en particulier pour les masseurs-kinésithérapeutes. Nous avions déposé un amendement à cet effet, mais il a malheureusement été déclaré irrecevable.

Nous ne pourrons pas non plus faire l'économie de mesures de régulation à l'installation des médecins, car non seulement les inégalités entre territoires sont importantes, mais en plus elles se creusent.

Enfin, il est nécessaire de revoir les conditions d'études de santé. Plus d'un tiers des étudiants en médecine songent à tout arrêter pour des raisons financières. Enfin, trois étudiants sur cinq ayant échoué en première année de médecine se réorientent dans des filières éloignées de la santé.

En conclusion, je crains que ce texte ne desserre un peu le numerus apertus sans véritablement le supprimer, comme nous le souhaitons.

Cependant, nous voterons cette proposition de loi, tout en continuant à agir pour un grand plan de financement des études de santé dans les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont ceux ici qui regrettent avec constance que le Gouvernement préfère l'examen par le Parlement de propositions de loi plutôt que de projets de loi, pourtant plus structurants, plus engageants. Permettez-moi de ne pas exprimer un tel regret.

Le texte qui nous est aujourd'hui soumis n'est certes pas un projet de loi. Il n'est pas assorti d'une étude d'impact du Conseil d'État, il n'est absolument pas complet, mais il engage le Gouvernement presque plus que s'il avait lui-même présenté un projet de loi. Car la proposition de loi du député Neuder engage le ministre de la santé Neuder !

Aussi, nous serons extrêmement attentifs à ce que les promesses et les annonces faites dans le cadre de l'examen de ce texte soient rapidement appliquées et deviennent une réalité pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui pâtissent au quotidien du manque de professionnels de santé et de difficultés d'accès aux soins.

Aujourd'hui, 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, du fait d'une politique de contraction de la formation de médecins, le numerus clausus, mis en place en 1971 et n'ayant été révisé qu'en 2019. Je salue à cet égard Agnès Buzyn, qui a eu le courage de supprimer ce dispositif inique. Cependant, force est de constater que le numerus apertus qui l'a remplacé demeure insuffisant.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé aujourd'hui que vous alliez supprimer le numerus apertus. Nous vous prenons au mot et nous attendons de votre part une mobilisation exceptionnelle pour augmenter les capacités de formation des universités, désormais fondées sur les besoins de santé de la population.

Les écologistes proposent à cet égard la mise en place d'antennes universitaires des unités de formation et de recherche en médecine dans chaque département. Reprendrez-vous cette proposition ?

Vous souhaitez ensuite réintégrer dans le système de formation national les étudiantes et les étudiants français partis étudier dans un autre pays européen. Nous voterons cette mesure. Encore faut-il que les décrets d'application soient publiés dans des délais raisonnables. Nous comptons sur vous sur ce point.

J'insisterai sur un autre aspect pour lutter contre le départ massif d'étudiants du système de formation national : la prévention.

Ainsi, comment expliquer que près de 2 500 étudiants partent en Espagne chaque année ? Notre commission a regretté cette situation, symptomatique d'un système élitiste qui échoue à intégrer des étudiants pourtant brillants puisqu'ils réussissent ailleurs.

Le groupe écologiste partage ce constat. Les études de santé, à tort ou à raison, sont jugées élitistes et souvent trop difficiles par les jeunes, ce qui in fine décourage la plupart d'entre eux et crée un effet repoussoir. C'est très inquiétant pour l'avenir de notre système de santé.

Monsieur le ministre, je vous enjoins d'adapter le programme du premier cycle de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique pour rendre ces études plus attractives. Rappelons que, en 2023, seulement 36 % des inscrits en Pass ont franchi le cap de la deuxième année dès leur première tentative.

Un effort national doit être entrepris pour donner à tous les étudiants la possibilité de bénéficier d'une remise à niveau en biologie, en physique-chimie et en mathématiques, ces matières nécessaires pour réussir dans ces filières.

Je pense notamment aux jeunes qui souhaiteraient se réorienter vers des études de santé depuis d'autres filières. C'est ce que permet d'une certaine façon la LAS : elle montre que l'on peut étudier dans une filière littéraire ou autre et intégrer un parcours de formation scientifique et médicale. Nous devons en toutes circonstances faciliter les passerelles vers les études de santé et mettre en place pour cela, je le répète, des remises à niveau des connaissances scientifiques.

Enfin, nous soutenons le renforcement des passerelles pour les professionnels de santé déjà en activité. Un aide-soignant doit pouvoir devenir infirmier, un infirmier devenir médecin. Cette proposition de loi tend à le permettre, mais pas assez concrètement pour l'instant. Ces passerelles sont également importantes pour motiver les étudiants à devenir des soignants. J'avais d'ailleurs fait réaliser une note de législation comparée sur ce sujet. Elle dresse un état des lieux international dont nous devrions nous inspirer.

Je vous appelle ainsi, monsieur le ministre, à renforcer la validation des acquis de l'expérience en santé et à permettre le financement de parcours de reconversion par le fonds d'intervention régional et par le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS).

Pour conclure, nous soutenons l'esprit de ce texte, mais nous appelons le Gouvernement à prévoir les moyens nécessaires à sa mise en œuvre réelle, ainsi que le financement de la formation en santé, notamment dans les universités et les groupes hospitalo-universitaires.

Autrement dit, vous avez les cartes en main, monsieur le ministre. Concrètement, nous espérons que ces moyens seront inscrits dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale à la rentrée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels et, il y a un peu plus d'un mois, la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la formation et la territorialisation.

Les textes législatifs se succèdent pour tenter de répondre aux difficultés d'accès à la santé dans notre pays. Nous le savons, la situation est grave. Je ne reviens pas sur le fait que 87 % de notre territoire est classé comme désert médical. Dès lors, il n'est pas surprenant que la santé reste la première préoccupation de nos concitoyens.

Nous ne pensons pas que réformer à la marge, par des propositions de loi successives, permette de rétablir l'effectivité du droit à la santé dans notre pays. Certes, monsieur le ministre, votre proposition de loi porte sur la formation des médecins, mais c'est encore une fois n'aborder qu'un petit bout de notre système de santé.

Les sénateurs du groupe socialiste réaffirment qu'il est nécessaire que le Gouvernement dépose un projet de loi visant à revoir l'organisation générale de notre système de santé afin d'avancer concrètement et de favoriser l'accès aux soins.

Enfin, nous regrettons que le périmètre retenu au titre de l'article 45 de la Constitution ne permette pas d'aborder le sujet des stages que les professionnels de santé effectuent lors de leur formation. Ces stages, vous en avez convenu, monsieur le ministre, restent trop hospitalo-centrés. Il s'agit pourtant d'une étape cruciale dans la formation, qui est déterminante dans le choix du lieu d'installation des jeunes professionnels de santé.

Après ces quelques remarques, j'en viens au contenu de la proposition de loi.

L'article 1er vise à former plus de professionnels de santé en réformant le numerus apertus. Il prévoit ainsi de solliciter l'avis des conseils territoriaux de santé, qui associent à la fois des professionnels de santé, lesquels sont majoritaires, des usagers et des élus territoriaux, pour déterminer les objectifs pluriannuels d'admission en deuxième cycle.

C'est effectivement, selon nous, l'échelle départementale qui est la plus pertinente pour définir les besoins de santé. C'est bien au niveau des territoires que doit se construire la réponse à ces besoins. Nous avions, tout comme nos collègues du groupe communiste, que je salue, insisté sur ce point lors du débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants, organisé sur leur initiative au mois d'octobre dernier.

Néanmoins, la réforme du numerus apertus n'est qu'une mesure de long terme, laquelle ne produira ses effets sur la démographie médicale, nous le savons bien, que dans une dizaine d'années. Elle ne permettra donc pas de faire face aux années difficiles que nous allons encore traverser d'ici à 2030-2032, lesquelles appellent des mesures d'urgence.

Pour former plus de professionnels de santé, vous proposez à l'article 1er de prioriser les besoins de santé du territoire en fonction des capacités de formation pour déterminer les objectifs de passage en deuxième cycle. Notons que cette disposition a été satisfaite dans la loi Valletoux (loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels), que nous avons adoptée en 2023.

Sur le fond, nous sommes favorables à ce que les universités adaptent leurs capacités d'accueil aux besoins de santé du territoire et non l'inverse. J'ai, avec mes collègues du groupe socialiste, déposé un amendement en ce sens. Néanmoins, ne nous faisons pas d'illusions : les universités ne pourront pas former plus d'étudiants, comme on le leur demandera, si leurs capacités d'accueil réelles ne le leur permettent pas, sauf à dégrader la qualité des enseignements.

Pour former davantage de professionnels de santé, il ne suffit pas de passer du numerus clausus au numerus apertus. Il faut surtout donner aux universités les moyens d'accroître leurs capacités de formation : des moyens financiers, certes, mais aussi humains, en particulier des enseignants, et ce dès le premier cycle.

En médecine générale, la pénurie d'enseignants est particulièrement critique. Ainsi, selon le syndicat MG France, en octobre 2024, on comptait un enseignant de médecine générale pour quatre-vingt-deux étudiants, contre environ un sur dix dans la plupart des autres spécialités. À Toulouse, dans le département dont je suis élue, on compte sept enseignants titulaires pour cinq cents internes de médecine générale. Comment peut-on imaginer former correctement les futurs médecins généralistes dans de telles conditions ?

Former plus de professionnels de santé nécessitera aussi d'augmenter le nombre de maîtres de stage universitaires. Les syndicats d'étudiants nous alertent depuis plusieurs mois sur le manque criant de maîtres de stage, même s'il y en a 14 000, pour encadrer les docteurs juniors pendant leur quatrième année d'internat.

Alors que cette quatrième année est largement attendue afin de remédier rapidement aux difficultés d'accès aux soins, le texte que nous examinons ne prévoit rien pour augmenter les effectifs de maîtres de stage et rendre ce statut plus attractif – même si des avancées ont été faites il y a quelques jours s'agissant de la reconnaissance de leurs besoins.

Le fait de permettre aux maisons de santé pluriprofessionnelles de bénéficier du statut de maître de stage nous paraissait intéressant. Cette mesure aurait pu constituer une avancée : elle aurait permis de favoriser l'exercice pluriprofessionnel et de déployer les docteurs juniors là où les besoins sont les plus pressants.

Enfin, il faudrait aller plus loin que le numerus apertus, en préparant aux études de santé dès le lycée. D'après la Cour des comptes, dans un rapport publié en 2025, 62 % des étudiants ayant intégré une filière de médecine, de maïeutique, d'odontologie ou de pharmacie ont eu recours à une préparation privée.

Pour reprendre les mots de la Cour, « l'inscription dans un établissement d'enseignement privé ne peut devenir une condition nécessaire » d'accès à ces filières. L'absence du secteur public est une atteinte au principe d'égalité des chances, ceux qui n'ont pas les moyens de recourir au privé et ceux qui les ont n'ayant pas les mêmes chances.

Pourtant des contre-modèles existent : en Occitanie, dix-sept établissements des académies de Toulouse et de Montpellier proposent déjà une option santé en classe de première et de terminale. Ces initiatives sont soutenues par les rectorats et ces enseignements sont fortement demandés.

En 2023, nous avions voté dans la loi Valletoux une expérimentation de ces options dans trois académies. Il faut s'appuyer sur ce modèle pour faciliter le passage du lycée vers les études de santé, non seulement les études de médecine, mais aussi les études pour devenir infirmière ou aide-soignante, afin de lutter contre l'autocensure et diversifier le recrutement dans les filières médicales. En effet, nous le savons bien, la diversification du recrutement est un levier essentiel pour améliorer l'accès aux soins.

L'article 2 prévoit de faciliter le retour des étudiants français actuellement inscrits en médecine dans un pays de l'Union européenne. J'ai rencontré, en Roumanie et en Espagne, certains de ces étudiants. Ils m'ont dit les difficultés, notamment administratives, auxquelles ils font face pour finir leurs études en France.

L'objectif de faciliter leur réintégration est donc pertinent. Toutefois, m'ont aussi été signalés des obstacles pour se connecter aux plateformes de préparation des épreuves dématérialisées nationales. Ainsi, plutôt que de critiquer la qualité de la formation, peut-être vaut-il mieux considérer que ce sont ces difficultés d'accès qui expliquent les faibles résultats à ces épreuves, soulignés par notre rapporteur. Il existe sans doute ici des solutions à trouver, notamment au niveau réglementaire.

Enfin, l'article 3 prévoit la création de passerelles universitaires. En effet, force est de constater que le dispositif actuel est peu efficace et faiblement attractif : en 2023, les professionnels paramédicaux ne représentaient qu'un quart des effectifs de ces passerelles, qui agrègent des profils variés.

Il y a donc nécessité d'agir pour améliorer ces dispositifs et faciliter la reprise d'études des professionnels paramédicaux, via un accompagnement renforcé. Il faudrait néanmoins que cet accompagnement se prolonge aussi sur le plan financier. En effet, comme le note le rapporteur de la commission des affaires sociales, les professionnels qui souhaitent se reconvertir font face à d'importants obstacles pécuniaires, qui peuvent les amener à renoncer à leur projet.

Nous ne pouvons donc que regretter que le cadre de cette proposition de loi ne permette pas d'aborder cet enjeu central. Comment les professionnels paramédicaux pourront-ils se financer pendant les six à huit années que durera leur reprise d'études ? Rien dans le texte ne le précise. Pourtant, c'est surtout sur ce point que se joueront l'avenir et l'efficacité de ce dispositif de passerelles.

Pour conclure, si le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrette la faible portée de cette proposition de loi, nous considérons que celle-ci comporte quelques mesures de bon sens, en particulier en ce qui concerne l'implication des élus territoriaux dans le pilotage des études de santé. Nous voterons donc pour son adoption, tout en étant vigilants sur les mesures budgétaires, en particulier pour l'université, qu'il faudra adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an et demi : c'est le temps qu'il aura fallu à cette proposition de loi pour que nous puissions l'examiner, après son adoption à l'Assemblée nationale. C'est trop long alors que, malheureusement, le texte est toujours et cruellement d'actualité.

En effet, l'accès aux soins est encore indiscutablement défaillant dans notre pays. Ainsi, 6,7 millions de Français n'ont pas de médecin traitant et une part importante du territoire est classée comme désert médical. C'est le fruit non pas du hasard, mais bien de mauvais choix en matière de politique de santé et d'une tentative de rattrapage trop tardive ne donnant pas encore de résultat.

En effet, instauré en 1971, le numerus clausus, destiné à réguler les dépenses de santé, a longtemps limité le nombre de médecins formés. Ce choix semblait, à l'époque, préférable à celui d'une réduction des niveaux de remboursement. Le numerus clausus n'a ensuite cessé de diminuer, le nombre de médecins formés passant de 9 000 au milieu des années 1970 à 4 000 durant les années 1990.

Or ces décisions ont été prises au mépris de prévisions qui mettaient déjà en évidence le vieillissement de la population, mais aussi celui des médecins en exercice. Ainsi, aujourd'hui, la moitié des médecins généralistes a plus de 60 ans. Cela est d'autant plus significatif qu'un médecin d'hier n'est pas un médecin d'aujourd'hui : il faut 2,3 nouveaux médecins pour compenser un départ, tant les attentes professionnelles ont changé.

Le numerus clausus a ensuite été régulièrement augmenté par les gouvernements successifs, avant d'être supprimé en 2019, remplacé par un numerus apertus. Cependant, cette réforme reste conditionnée aux capacités de formation, fixées par les facultés de médecine elles-mêmes, et ses effets ne se feront pas sentir avant 2030.

Face à cette réalité, la proposition de loi permet d'avancer sur trois pistes.

Tout d'abord, le texte instaure un véritable numerus apertus en fixant le nombre de places prioritairement en fonction des besoins du territoire, et non plus uniquement au regard des moyens disponibles. Le dispositif respecte d'ailleurs la place des élus locaux et leur parfaite connaissance de leur environnement, puisqu'est soumise à leur avis la définition des objectifs en termes de formation.

Bien sûr, dans la mise en œuvre, il faudra que les universités de médecine soient accompagnées, afin d'avoir les moyens d'augmenter leur nombre de places. Par ailleurs, des outils existent, comme les cours en visioconférence, qui peuvent être développés. Laissons aux universités la liberté d'innover en fonction de la réalité de leur situation.

En prévoyant d'augmenter le nombre de médecins formés, l'article 1er apporte donc une première réponse au problème de la pénurie, complément indispensable aux mesures de régulation à l'installation que nous avons adoptées il y a peu. En effet, pour répartir correctement les médecins sur le territoire, encore faut-il qu'ils soient suffisamment nombreux.

Le texte traite également d'un phénomène préoccupant : le départ d'étudiants vers d'autres pays européens pour contourner la sélection à l'entrée des études de médecine.

Aujourd'hui, ces étudiants peuvent réintégrer le cursus français lors du passage au troisième cycle, mais cette passerelle reste marginale, avec un taux de réussite très faible. Elle reflète un écart de niveau de formation que nous ne pouvons ignorer.

La proposition de loi tend donc à définir les conditions permettant de réintégrer le cursus français avant le troisième cycle. Il s'agit de limiter la fuite et d'assurer la qualité de la formation de ces étudiants. Afin d'éviter tout contournement, le dispositif ne sera pas applicable aux étudiants inscrits à l'étranger après l'entrée en vigueur de la loi.

Enfin, le texte améliore le dispositif des passerelles vers les études de médecine, notamment pour les étudiants des filières paramédicales. En effet, aujourd'hui, ces derniers ne représentent que 25 % des admissions par cette voie, alors qu'ils disposent déjà de solides acquis et compétences cliniques et constituent un vivier essentiel.

Cette proposition de loi n'a pas pour objet de tout régler. Cependant, elle porte sur trois problèmes précis et y apporte trois réponses concrètes, cohérentes et réalistes. Notre groupe Les Indépendants la votera donc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Bonneau applaudit également.)

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je salue le travail réalisé, en tant que rapporteur de ce texte, par notre ami et collègue Khalifé Khalifé, auquel je pense tout particulièrement.

Monsieur le ministre, votre proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation a ce point commun, que sont les territoires, avec la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires. Bien évidemment, cette approche territoriale nous parle, ici, au Sénat. Prendre en compte les besoins de santé territoriaux et augmenter le nombre d'étudiants recrutés sont des objectifs indiscutables, qu'il convient d'atteindre collectivement.

Faciliter la réintégration au cursus de formation français des étudiants partis suivre des études de médecine en Europe et développer les passerelles vers les études de médecine pour les professionnels paramédicaux en reconversion sont également des propositions pertinentes.

Même si la mission d'information de la commission des affaires sociales sur la formation n'a pas encore rendu ses conclusions, le rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé, publié au mois de décembre 2024 et qui a déclenché nos travaux, nous a tous interpellés.

Ce document met en exergue les défaillances de la réforme de l'accès aux études de médecine supprimant la première année commune aux études de santé (Paces) et le numerus clausus à partir de la rentrée universitaire 2020. Il y est également déploré le fait que la répartition géographique des places en médecine se révèle inégale entre régions et, plus encore, entre universités, sans qu'une logique de rattrapage de ces différences soit pleinement prise en compte.

Le rapport, toujours, constate que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) n'est pas assez armé pour remplir ses missions. En effet, la Cour note que, à la suite de la loi de 2019, le remplacement du numerus clausus par un nouveau système de concertation régionale et nationale, censé faire remonter les souhaits des territoires et les besoins et capacités de formation, est insatisfaisant.

Quant à la réforme Pass-LAS, reconnaissons que sa mise en œuvre a été entravée par plusieurs obstacles, notamment la crise sanitaire, un calendrier serré et la diversité des modèles adoptés par les universités. En effet, certaines de ces dernières ont fait le choix du « tout LAS », suscitant parfois l'incompréhension des étudiants et de leurs familles.

Bien que les critères de détermination des effectifs à former aient évolué, permettant une augmentation du nombre d'admis, cette hausse reste insuffisante pour répondre pleinement aux besoins en santé. Il est urgent de revenir sur la réforme.

Si la fin du numerus clausus a été une condition nécessaire pour mieux répondre aux besoins de santé, elle n'est évidemment pas suffisante – nous sommes un certain nombre à l'avoir dit. Quant à la mise en œuvre d'un numerus apertus sans augmentation ni des capacités d'accueil des facultés ni du nombre de lieux de stage, nous savions que les effets d'une telle réforme seraient limités. La suppression du numerus apertus est donc bienvenue.

Ainsi, si nous souscrivons aux dispositions contenues dans votre proposition de loi, monsieur le ministre, d'autres mesures doivent être envisagées très rapidement. Je mentionnerai celles au sujet desquelles vous avez déjà été interpellé.

Parmi les pistes d'évolution, nous pourrions vous proposer de revenir rapidement sur la réforme PASS-LAS en ce qui concerne la première année d'études de santé. Peut-être pourrait-on expérimenter parallèlement l'inscription directe en première année de pharmacie pour les étudiants qui souhaiteraient le faire sans passer par la première année en santé.

Permettre l'inscription directe des étudiants en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), sans passer par Parcoursup, est également une possibilité ; ce sujet avait été abordé lors de l'examen de la proposition de loi sur la profession d'infirmier.

Une autre option est de créer le statut de maître de stage universitaire pour les pharmaciens d'officine dans le cadre de la réforme du troisième cycle, attendue depuis longtemps.

Bref, les idées ne manquent pas. Nous en reparlerons dans quelque temps.

L'enjeu de la formation, concernant les médecins et les professionnels de santé, est essentiel. Nous n'améliorons pas l'accès aux soins sans eux.

Enfin, je tiens à vous saluer, monsieur le ministre, vous qui avez été à l'initiative de ce texte lorsque vous étiez sur les bancs du Palais Bourbon. Je loue votre engagement à défendre le système de santé. Vous connaissez les sujets de l'intérieur, et c'est bien cela qui explique vos propositions de mesures concrètes. Ce texte, je l'espère, sera de nature à panser les fractures territoriales d'accès aux études de santé, comme vous l'avez évoqué.

Pour ces raisons, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ce texte en souhaitant qu'il fasse l'objet d'une adoption conforme, en raison de la pertinence des mesures qu'il contient.

Si ces dernières ne peuvent résoudre l'ensemble des problèmes relatifs à la formation de plus de médecins et à l'amélioration de l'accès aux soins sur le territoire, elles apportent néanmoins des solutions concrètes et pragmatiques à la situation d'urgence que nous vivons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)