Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

M. François Bonhomme.

Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine

Souhaits de bienvenue à une délégation saoudienne

Questions d'actualité au Gouvernement

nécessité pour la france de promouvoir le droit international et de refuser la loi du plus fort

application et financement de la loi de programmation militaire

gestion de la population de loups

rapatriement des français touchés par le conflit entre israël et l'iran

situation de crise et assistance aux français en iran et en israël

situation au proche-orient

conclave sur les retraites

défense du pavillon aérien français

conflit entre israël et l'iran

conclave sur les retraites

non-remplacement des enseignants dans les collèges et lycées

interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux

accueil des gens du voyage

ligne nouvelle paris-normandie

numéro unique d'appel d'urgence

situation de la filière acier française

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Accès aux soins

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation

Article 1er

Après l'article 1er

Article 2

Article 3

Après l'article 3

Article 3 bis

Article 4

Vote sur l'ensemble

Sécurité des professionnels de santé

Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé

Article 1er

Article 2

Article 2 bis A

Article 2 bis

Article 3

Article 3 bis A

Article 3 bis

Article 5

Vote sur l'ensemble

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

(À suivre)

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

M. François Bonhomme.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures.)

1

Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine

(M. Gérard Larcher, président du Sénat, et M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine, font leur entrée dans la salle des séances. – Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président de la Rada suprême de l'Ukraine, monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, monsieur l'ambassadeur d'Ukraine en France, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, juin 1940 : mémoire douloureuse pour les Français. La France est envahie et en partie occupée. Sur les routes, c'est l'exode. La supériorité de l'armée allemande est sans appel. Si l'on compare les forces en présence, la guerre est perdue.

Et pourtant, en ce 18 juin 1940, la voix du général de Gaulle retentit depuis Londres. Elle demande aux Français de poursuivre le combat. Elle insuffle l'esprit de résistance. Elle refuse un armistice qui dissimule une capitulation et annonce de nouvelles conquêtes.

S'il faut se garder de lire le présent à l'aune du passé, l'appel du 18 juin 1940 résonne singulièrement dans le contexte de l'agression de l'Ukraine par la Russie.

Hier comme aujourd'hui, les conquêtes territoriales, l'occupation, les exactions, et des crimes qui ne devront pas rester impunis ! Mais, en face, une volonté ukrainienne de résister, de refuser les conditions d'une paix au coût exorbitant qui signerait la disparition d'une Ukraine indépendante et libre.

Du sommet de l'État au simple citoyen – vous nous l'avez rappelé ce midi –, l'Ukraine résiste.

Mes chers collègues, je vous propose que nous nous levions pour rendre hommage, par nos applaudissements, au courage et à la détermination du peuple ukrainien. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement. – M. le président de la Rada suprême remercie.)

Le général de Gaulle, dans son appel du 18 juin 1940, l'a répété : « La France n'est pas seule. » Aujourd'hui, l'Ukraine n'est pas seule, monsieur le président de la Rada. Et à vos côtés, notre responsabilité est grande.

Face à des autorités russes qui font le pari de la force, de la résignation ou de la lassitude, nous vous démontrons que notre détermination à vous aider n'est en rien entamée.

Continuer à vous fournir des armes, en particulier des missiles et des moyens de défense aérienne ; aider votre industrie d'armement, qui accomplit des prouesses d'innovation : le chemin est tracé.

Et ce chemin, ce n'est pas choisir l'escalade militaire ; c'est donner une possibilité d'en finir plus vite avec le fracas des armes.

De toute évidence, hésiter serait prolonger la guerre et éloigner la paix.

Notre devoir est de soutenir l'Ukraine, par convictions et par principe.

L'Ukraine continue de vivre en démocratie en temps de guerre, et le travail législatif de la Rada en est l'illustration éclatante. Ceux d'entre nous qui se sont rendus à Kiev savent dans quelles conditions travaillent nos collègues parlementaires ukrainiens : des sessions maintenues secrètes, des sacs de sable pour protéger le Parlement, des fenêtres partout obstruées. Imaginons de telles conditions ici, et nous en éprouverons tout l'effroi.

Alors que nous célébrons en cette année 2025 le cent cinquantième anniversaire du Sénat de la République française, vous offrez, monsieur le président de la Rada, un bel exemple de la vitalité du parlementarisme et de la force des démocraties, face à des régimes autoritaires qui ne reculent devant rien : ni la terreur ni l'enlèvement d'enfants. Nous l'avons encore évoqué ce midi.

Mais si nous imaginons qu'agir par principe serait faire preuve d'idéalisme et que l'idéalisme n'a pas sa place dans le choix des États, alors, soyons collectivement convaincus au moins d'agir par intérêt !

L'Ukraine est notre rempart. Elle se bat pour notre sécurité et notre liberté. Il n'est pas d'empires qui aient mis un frein à leur appétit de conquêtes. Peut-on rassasier le Léviathan ?

La sécurité de l'Europe, aujourd'hui et non pas seulement demain, est intrinsèquement liée à la victoire de l'Ukraine.

Monsieur le président de la Rada, l'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule, parce qu'elle est accompagnée par la France, le Royaume-Uni, les États de l'Union européenne et – nous en formons l'espoir encore – les États-Unis d'Amérique.

Ce 4 juin, j'étais à Varsovie, avec la présidente du Bundesrat et la présidente du Sénat polonais. Vous étiez avec nous par visioconférence.

Nous sommes convenus d'adresser la déclaration que nous avons alors adoptée aux sénateurs américains, républicains comme démocrates, qui se sont prononcés pour un renforcement des sanctions américaines à l'encontre de la Russie. Car, n'en déplaise aux Cassandre, plus les sanctions sont coordonnées, plus elles sont efficaces. Nous avons, mes chers collègues sénateurs, un rôle de persuasion à accomplir auprès des sénateurs américains pour préserver, autant que faire se peut, l'engagement des États-Unis en Ukraine.

L'Ukraine n'est pas seule.

Elle n'est pas seule, parce qu'elle est accompagnée par les États membres de l'Union européenne et que les portes de l'Union européenne lui sont ouvertes. Voilà aussi une garantie de sécurité pour l'Ukraine de demain !

Le chemin de l'adhésion sera nécessairement progressif et, au nom de cette progressivité, nous invitons instamment le dernier État membre récalcitrant à vaincre ses réticences. Nous lui demandons d'accepter l'ouverture du premier bloc des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

La Russie a fait le choix de tourner le dos à son horizon européen. La laisserons-nous dicter par oukases quels États doivent rejoindre, ou non, l'Union européenne ? « L'Europe de l'Atlantique à l'Oural » s'est rapprochée de nous. Elle s'interrompt désormais aux frontières internationalement reconnues de l'Ukraine !

Mes chers collègues, dans son message du 18 juin 1940, qui fut ensuite placardé sur un certain nombre de murs de villes et de villages de France, le général de Gaulle écrivait : « La France a perdu une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre. » Les Ukrainiens ont gagné des batailles. Ils en ont aussi perdu, mais nous sommes avec eux. La guerre reste à gagner, pour que demain s'établisse une paix durable.

Je voudrais m'adresser par votre intermédiaire au peuple ukrainien, aujourd'hui en deuil, après les terribles attaques qu'il a vécues, pour lui dire que nous partageons ses souffrances.

Monsieur le président de la Rada, nous vous accueillons dans la solidarité avec le peuple ukrainien et dans le souffle d'espérance de l'appel du 18 juin 1940, parce que ce sont les Ukrainiens et l'Ukraine qui l'incarnent le mieux aujourd'hui.

Vive l'Ukraine, vive la République et vive la France ! (Très vifs applaudissements.)

La parole est à M. le président de la Rada de l'Ukraine. (Applaudissements.)

M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine. Monsieur le président du Sénat, cher Gérard, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je suis particulièrement honoré de m'adresser à vous aujourd'hui, dans le berceau de la démocratie française, là où bat le cœur institutionnel de la République.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous féliciter sincèrement à l'occasion des 150 ans du Sénat de la République. L'histoire de votre glorieuse institution est non seulement une partie intégrante de l'histoire de France, mais aussi un fondement puissant sur lequel reposent la démocratie française et les principes républicains inviolables.

On ressent dans ces murs la continuité politique qui a été préservée au fil des générations des Français. Elle incarne la sagesse, la cohérence et la dignité nationale de la France.

Je remercie très sincèrement chacune et chacun d'entre vous de m'avoir offert la possibilité de m'exprimer devant cette Haute Assemblée. J'y vois la marque d'un respect profond et sincère envers le peuple ukrainien.

Chers amis, j'ai le privilège d'être ici pour la deuxième fois. J'avais déjà pris la parole, pour la première fois, devant le Sénat de la République française au début du mois de février 2023. À l'époque, l'Ukraine traversait l'un des hivers les plus difficiles de son histoire moderne. Je vous avais alors demandé, à chacun, d'entendre la voix du peuple ukrainien, qui s'élevait pour défendre sa terre et qui avait besoin d'aide. Et vous l'avez entendue.

Vous l'avez entendue dès le premier jour de cette guerre insensée et cruelle que la Russie a commencée contre l'Ukraine, contre mon peuple. Vous avez entendu cette voix à des milliers de kilomètres. Vous l'avez comprise même sans connaître notre langue, et vous êtes venus à la rescousse.

Je le dis sans exagération, la France joue aujourd'hui un rôle historique dans la vie de l'Ukraine. Votre leadership politique a entraîné dans un mouvement puissant tous les autres partenaires pour soutenir l'Ukraine. Vous préservez soigneusement l'unité européenne et l'unité euroatlantique. Vous démontrez la cohérence des actions de toutes les branches du gouvernement français, par des décisions déterminantes et responsables.

Vous avez été l'un des premiers à comprendre – et à en convaincre les autres partenaires – qu'il ne devait pas y avoir de limite dans les moyens à fournir pour défendre notre patrie, qu'il s'agisse du type d'armes, de leur volume ou de leur portée.

Aujourd'hui, je voudrais donc vous remercier d'avoir protégé notre ciel, en nous donnant les ailes qui permettent de le défendre, et d'avoir formé nos soldats. Je remercie le grand peuple français d'avoir hébergé les citoyens ukrainiens ; je salue sa solidarité et son empathie, tous ces fantastiques actes d'humanisme que nous, les Ukrainiens, n'oublierons jamais.

Au nom de la Rada de l'Ukraine et de l'ensemble du peuple ukrainien, permettez-moi de remercier sincèrement le Sénat et, au-delà, mes chers amis, la France tout entière, dont le soutien inestimable nous permet aujourd'hui de continuer à nous battre.

Voilà quelques heures, avec un grand ami de l'Ukraine, le président du Sénat français, Gérard Larcher, nous avons rendu hommage à la mémoire du célèbre général de Gaulle en déposant des fleurs au pied de son monument. À présent, je m'adresse à vous, en ce jour où la France se souvient de lui comme un grand fils du peuple français et comme l'une des plus grandes figures de son histoire et de celle du monde.

Dans son discours radiophonique, dans son appel à la Nation, à tous les Français, il n'a pas seulement lancé le mouvement de la résistance française ; il a donné l'espoir à l'Europe occupée par les nazis. Cet espoir est par la suite devenu la foi, une foi qui s'est transformée en victoire après de nombreuses années de guerre.

Lorsque j'évoque de Gaulle, je comprends à quel point son appel du 18 juin aux Français et aux Alliés est aujourd'hui d'actualité, quatre-vingt-cinq ans après. Si cet appel sonnait aujourd'hui, il s'agirait aussi d'un appel à la résilience, d'un appel à l'unité, d'un appel à la détermination. Quand je parle de Charles de Gaulle, je pense à l'Ukraine.

Depuis près de trois ans et demi, ma patrie résiste à cette agression brutale et non provoquée. Elle résiste au nouveau fléau du XXIe siècle, qui vient de l'Est pour tuer, conquérir, piller. Nous avons relevé ce défi avec dignité face à cet ennemi beaucoup plus grand et plus puissant.

Nous l'avons fait, parce qu'il n'y a pas de valeur supérieure à la liberté ; il n'y a rien de plus cher que sa propre terre et son propre peuple. Nous voulons faire partie d'une grande famille européenne, et non d'une dictature russo-soviétique impitoyable à laquelle le régime de Poutine a cyniquement arraché les derniers vestiges de la démocratie.

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Ukraine traverse aujourd'hui la phase peut-être la plus dramatique de la guerre, alors que l'aide et le soutien de la communauté internationale sont essentiels à la résolution de celle-ci. Votre histoire et la nôtre nous enseignent que la capitulation n'a jamais été une option.

L'agresseur doit être arrêté, par la force des armes, par le pouvoir de l'unité européenne et euroatlantique et par des sanctions impitoyables qui devraient enfin devenir une réponse appropriée à l'impitoyabilité de la Russie elle-même. Sinon, l'agresseur passera à autre chose et ira plus loin, comme il l'a fait voilà quatre-vingt-cinq ans.

« Cette guerre n'est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale » : ces mots du sage et invincible Charles de Gaulle nous parviennent comme s'ils étaient prononcés aujourd'hui.

Seule une pression consolidée sur l'agresseur nous conduira à une paix juste et durable qu'aujourd'hui les Ukrainiens souhaitent plus que quiconque. Cette pression consolidée empêchera la Russie de poursuivre son agression, d'accumuler des ressources humaines et des armes, de retarder le processus de négociation, de mentir et de manipuler.

Je suis convaincu que le châtiment de la Russie pour tous ses crimes sera inévitable. Pour le dire avec des mots susceptibles d'être compris par tous, il faut que l'agresseur, la Russie, paie pleinement le prix de cette guerre, notamment par le gel de ses avoirs. Ce ne serait que justice !

Chers collègues, je suis venu vous demander votre aide et votre soutien sur des questions d'une importance vitale pour l'Ukraine ; outre la défense contre l'agression, c'est aussi de notre chemin vers l'Union européenne et le système de sécurité collective euroatlantique qu'il est question.

Ce choix, comme celui de défendre notre patrie, est un choix conscient et civilisationnel du peuple ukrainien, un choix en faveur de la paix, du développement et de la sécurité.

Je vous demande aujourd'hui de nous soutenir. Continuez à le faire. Nous avons clairement fait ce choix civilisationnel, comme tous les membres de l'Union européenne et de l'Otan.

Je vous assure que le président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, le parlement et le gouvernement de l'Ukraine ont été et restent des garants fiables de l'orientation inébranlable vers l'intégration européenne et euroatlantique.

Hier, alors que je me rendais ici, j'ai appris le brutal bombardement nocturne sur Kiev : vingt-huit civils innocents tués et cent cinquante blessés en une seule nuit, dans une seule ville.

Je me suis alors demandé quelle était la chose la plus importante que je devais vous dire.

Tout est clair depuis longtemps. Il faut juste prendre une décision, peut-être la plus difficile, mais aussi la plus importante. Chers amis, j'aimerais que nos partenaires défendent l'Ukraine avec autant d'acharnement que la Russie veut la détruire, qu'ils se battent sans demi-mesure, sans demi-action, sans demi-décision, mais pleinement, tous les jours et jusqu'au bout.

Après tout, si la démocratie mondiale l'emporte, ce sont la paix et la prospérité qui attendent et l'Ukraine et l'Europe. Mais si c'est la tyrannie russe – que Dieu nous en préserve ! –, nous aurons la ruine et la mort.

C'est pour cela que je suis ici et que je vous demande plus d'aide.

Je crois fermement à la force de l'esprit français. « Rien n'est impossible », déclarait Napoléon. Tout dépend du degré de détermination. Et la détermination de la France, celle qui nous aide aujourd'hui à survivre, nous aidera – j'en suis sûr – à gagner demain.

Monsieur le président, chers amis, le Sénat est le haut lieu où vivent la démocratie et la force de la Nation. La France est attachée à la liberté, fidèle à la démocratie et aux idéaux européens. Et comme l'a dit le général de Gaulle, dont nous nous souvenons tellement aujourd'hui, la grandeur d'une nation n'est pas dans son territoire, mais dans son idée.

La France a cette grandiose idée, et l'Ukraine a cette grandiose détermination. Cette grande synergie peut rendre l'Europe plus forte, plus solidaire et plus sûre. Ensemble, nous atteindrons certainement cet objectif commun. J'y crois sincèrement.

Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent très longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Je vous remercie, monsieur le président.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, et je vais raccompagner notre hôte en lui disant : « À bientôt ! » (Applaudissements.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures trente, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Souhaits de bienvenue à une délégation saoudienne

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence en tribune d'honneur d'une délégation du Majilis al Choura d'Arabie saoudite, conduite par Son Excellence M. Mohammad Al Humeidi, président du groupe d'amitié Arabie saoudite-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.)

La délégation est accompagnée par notre collègue Olivier Cadic, président du groupe d'amitié France-Pays du Golfe, ainsi que par notre collègue Mireille Conte Jaubert, présidente déléguée pour l'Arabie saoudite. Elle s'est entretenue ce midi avec le groupe sénatorial d'amitié.

En votre nom à tous, je souhaite une cordiale bienvenue à la délégation saoudienne au Sénat de la République et un excellent séjour en France en ces temps troublés dans l'ensemble du Moyen-Orient.

3

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J'appelle chacun de vous à rester attentif au respect des uns et des autres, mais aussi à celui du temps de parole.

J'excuse M. le Premier ministre, qui devra quitter le Sénat dès quinze heures quinze, en raison de la convocation par le Président de la République d'un conseil de défense et de sécurité nationale à l'Élysée.

nécessité pour la france de promouvoir le droit international et de refuser la loi du plus fort

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, à Kiev, à Gaza, à Téhéran, à Tel-Aviv, le fracas des bombes résonne et le sang coule. Les victimes, notamment civiles, se comptent par milliers.

Depuis 2022, sous la pression des empires, des nationalismes et des fous de Dieu, l'horreur de la guerre a ressurgi dans toute l'Eurasie.

Dans ce chaos mondial, la France et l'Europe ne doivent avoir qu'un seul cap : la défense du droit international, la souveraineté des peuples et l'équilibre entre les puissances.

Au nom du droit, nous dénonçons l'agression russe et réaffirmons notre soutien plein et entier à l'Ukraine, représentée par le président de la Rada, Rouslan Stefantchouk, que je salue.

Au nom du droit, nous dénonçons la détention d'otages par le Hamas et les mollahs.

Au nom du droit, nous dénonçons le génocide à Gaza et la colonisation de la Cisjordanie.

Au nom du droit, nous dénonçons le non-respect par le régime sanguinaire iranien du traité de non-prolifération nucléaire.

Au nom du droit, nous dénonçons la guerre préventive, déclenchée hors de tout cadre multilatéral par Israël contre le régime des mollahs, qui menace de dégénérer.

Il n'est plus acceptable d'être mis devant le fait accompli par le bellicisme de Benyamin Netanyahou et par la politique erratique de Trump, qui ne proposent aucune issue politique et torpillent deux rencontres diplomatiques essentielles.

Comme en 2003 avec l'Irak, la France doit affirmer son refus du manichéisme et de la loi du plus fort.

Face à l'impunité de Netanyahou qui engendre le chaos, elle doit sortir du laxisme et de l'inaction. Nous devons prendre des sanctions économiques, cesser nos coopérations, appliquer les mandats de la Cour pénale internationale (CPI) et reconnaître enfin l'État de Palestine.

M. Roger Karoutchi. Cela ne sert à rien !

M. Guillaume Gontard. Nous devons appeler au cessez-le-feu et à des négociations pour une solution à deux États et pour un nouvel accord sur le nucléaire iranien.

Monsieur le Premier ministre, le « en même temps » diplomatique de la France est insupportable. Face à vos atermoiements, nous exigeons de nouveau, sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, la tenue d'un débat au Parlement sur la situation au Moyen-Orient. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Gontard, avant toute chose, je veux vous présenter mes excuses : le Président de la République ayant convoqué un conseil de défense et de sécurité nationale sur les événements que vous évoquez, je serai contraint de quitter le Sénat dans quelques minutes.

La France est attachée au droit, aux principes humanitaires et au bon sens. Aussi les conclusions du Gouvernement sont-elles simples, devant le constat d'un monde dans lequel la force de la loi a été remplacée par la loi de la force.

Cela a commencé en Ukraine. La guerre qui s'y déroule et qui frappe le malheureux sol ukrainien est nourrie par un certain nombre d'États, dont l'Iran. L'Iran arme en effet la Russie avec des drones, qui – nous le savons, hélas ! – sèment le malheur et la mort en Ukraine.

Un autre théâtre d'opérations nous préoccupe. Il s'agit évidemment du Proche-Orient et du Moyen-Orient. À cet égard, la France, par la voix de son gouvernement et par celle du Président de la République, s'est exprimée à plusieurs reprises sur le caractère inacceptable de ce qui se passe à Gaza, où la population tout entière est soumise à la famine, à l'absence de ravitaillement médical, ainsi qu'à des contraintes inacceptables du point de vue humanitaire.

Sans que nous considérions cela comme normal ou acceptable, ce qui se passe en Iran est totalement différent.

Toutes les organisations internationales chargées de la surveillance et de la lutte contre la prolifération nucléaire ont alerté sur le fait que l'Iran était sur le point – à quelques semaines, à quelques jours peut-être – d'atteindre un degré d'enrichissement de matière fissile suffisant pour rendre le risque de détention de l'arme nucléaire immédiat. (MM. Guillaume Gontard et Yannick Jadot se montrent dubitatifs.)

Or l'Iran a dit à de multiples reprises – j'allais dire à d'innombrables reprises – que le but de son armement nucléaire était de détruire Israël.

Mettons-nous un instant à la place du gouvernement israélien : je comprends qu'il se soucie fortement de voir à ses portes un risque aussi considérable, qui menace sa survie.

Que fait la France ? À Gaza (M. Pascal Savoldelli s'exclame.), elle invite Israël à ne pas aller plus loin et à rétablir les libertés de circulation et d'approvisionnement.

En Iran, elle appelle à la retenue, selon l'expression diplomatique consacrée, en ayant parfaitement conscience des risques immenses que ferait peser une déstabilisation de très longue durée sur la paix dans le monde.

La France défend ces principes en mesurant les risques et en joignant ses efforts, comme le fait depuis plusieurs jours le Président de la République, à tous les pays qui, de par le monde, souhaitent le retour au calme et à l'équilibre.

La politique française respecte nos principes et les lois internationales, sans fermer les yeux sur les agissements de ceux qui ne les respectent pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

application et financement de la loi de programmation militaire

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, selon les déclarations récentes du Président de la République, la France souhaiterait affecter entre 3 % et 3,5 % de son PIB à la défense.

Madame la ministre, comment comptez-vous vous y prendre et à quelle échéance entendez-vous atteindre cet objectif, compte tenu de la situation financière du pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser le ministre des armées, retenu par d'autres engagements au Bourget.

Pour 2024, la loi de finances initiale prévoyait, pour la mission « Défense », un budget de 47,2 milliards d'euros de crédits de paiement conformément à la loi de programmation militaire (LPM). Au total, 49,3 milliards d'euros ont finalement été dépensés, si l'on inclut les ressources extrabudgétaires et les ouvertures de crédits en fin de gestion.

Pour 2025, une enveloppe de 50,5 milliards d'euros est prévue. Toutefois, la motion de censure et la mise en œuvre des services votés ont limité la capacité de la direction générale de l'armement (DGA) à contracter dès le mois de janvier. Certaines commandes ont été retardées de deux mois et n'ont pu être passées qu'au début de mars. En effet, le Gouvernement ne pouvait engager de nouvelles dépenses qu'avec l'autorisation du Parlement.

Monsieur le sénateur, ce retard est en passe d'être rattrapé. La moitié des crédits d'équipement qui avaient été gelés en début d'année ont été libérés en avril et consommés par la DGA. L'autre moitié le sera d'ici à la fin du mois de juin. Le dégel sera donc intégral.

En matière de commandes, le rattrapage progresse. Malgré le régime des services votés, nous avons déjà atteint 3,2 milliards d'euros de commandes, contre 4 milliards d'euros à la même date en 2024.

Pour les paiements, nous en sommes à 10 milliards d'euros, contre 9 milliards d'euros l'an dernier. Les équipements militaires prévus sont donc commandés et livrés et c'est ce qui compte.

Il est évident, monsieur le sénateur, que la LPM sera respectée – cela ne fait pas débat –, comme il est évident que les déséquilibres du monde s'accentuent.

Soyez sûr que nous travaillons, avec le ministre et sous l'autorité du Premier ministre, à adapter mieux encore notre outil de défense à ces menaces. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je crains que vous n'ayez pas répondu à ma question.

Je vous ai posé la question suivante : quand et comment atteindrons-nous les 3 % ? Et vous me répondez sur l'exécution du budget…

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Oui !

M. Dominique de Legge. Il me semble que, de ce point de vue, notre assemblée est suffisamment informée.

J'en conclus donc que cette perspective devient, en quelque sorte, un secret-défense. C'est dommage.

Deuxième observation : vous n'avez pas du tout répondu sur le point des crédits reportés, qui sont passés de 3,8 milliards d'euros à plus de 8 milliards d'euros en deux ans.

Il me semble que vous pratiquez plus la cavalerie budgétaire, qui relève de la fuite en avant et de l'évitement, que la cavalerie militaire, qui est l'art de la manœuvre. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Cuypers applaudit.)

Madame la ministre, nous devrions nous en tenir à ce qu'a excellemment exposé le Premier ministre dans une conférence de presse. La vérité permet d'agir, disait-il.

Peut-être est-il temps d'ouvrir les yeux sur la situation, de dire la vérité au Parlement et de prendre les bonnes décisions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, Hélène Conway-Mouret et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

gestion de la population de loups

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Le 5 juin dernier, le Conseil de l'Union européenne a acté le déclassement du loup, qui passe du statut d'espèce strictement protégée à celui d'espèce protégée dans le cadre de la convention de Berne.

Cette décision a été saluée par de nombreuses associations d'élus de montagne et, bien évidemment, par les éleveurs, qui n'en peuvent plus de voir leur travail anéanti, leurs bêtes tuées, leur quotidien miné par l'impuissance.

Cette décision vise à donner aux États membres une plus grande marge de manœuvre pour adapter leur politique de gestion des populations de loups, tout en tenant compte des difficultés croissantes rencontrées par les éleveurs, notamment en zone de montagne.

En France, une adaptation législative est en cours au travers de la loi d'orientation agricole, qui prévoit déjà certaines dérogations encadrées pour les tirs de défense.

Cette évolution du droit européen doit désormais être transposée dans le droit français pour en assurer la pleine effectivité. Elle soulève néanmoins des interrogations sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre.

Ma question est donc simple : quelles sont les intentions du Gouvernement quant à la transposition de cette décision européenne ?

Quel calendrier, quels moyens et quels critères encadreront l'évolution du cadre juridique national relatif à la gestion du loup ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Buis, comme vous le savez, j'ai toujours suivi ce dossier, enjeu majeur pour le maintien de nos activités d'élevage, particulièrement en montagne, mais pas seulement.

Le problème du loup est aujourd'hui national. L'an dernier, plus de 4 000 attaques ont été recensées et 11 000 bêtes tuées ou blessées. C'est tout à fait considérable.

Vous soulignez à juste titre le préjudice économique, mais aussi le préjudice moral que ces attaques induisent ; elles ne sont plus supportables.

Nous avons déjà soutenu les éleveurs victimes de ces attaques à hauteur de 52 millions d'euros. Je veux redire mon total soutien aux éleveurs, notamment de la Drôme, comme ma détermination à poursuivre et à accélérer les travaux engagés depuis trois ans.

Pour cela, il fallait aboutir au déclassement du loup. C'est désormais chose faite, et c'est une avancée que la France soutenait fortement.

Par ailleurs, un projet d'arrêté pris en application de la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture sera signé dans les prochaines heures. Il permettra notamment de procéder à des tirs de défense même s'il n'y a pas d'attaque sur le troupeau. (Marques de satisfaction sur des travées du groupe Les Républicains.)

Vous soulignez à juste titre la nécessité d'adapter, dans les semaines ou les mois à venir, notre doctrine à l'évolution du droit européen et de transposer la directive afin de tenir compte de ce déclassement.

Un point précis concerne le comptage des loups. L'Office français de la biodiversité (OFB) a mis au point une nouvelle méthode, qui consiste en un recueil d'indices génétiques pour apprécier au plus juste la population de loups. C'est en effet ce dénombrement qui détermine ensuite les prélèvements autorisés.

Je ne vous cache pas mon inquiétude à cet égard. Au cours des six premiers mois de cette année 2025, les prélèvements ont été particulièrement nombreux en raison d'une forte prédation. J'espère que nous pourrons terminer l'année tout en respectant la limite autorisée.

En tout cas, l'application de la directive européenne se fera au regard de l'évolution des prédations. C'est un problème majeur pour nos éleveurs, et vous avez tout à fait raison d'y revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.

M. Bernard Buis. Madame la ministre, nous attendons toutes et tous la transposition rapide, claire et efficace de la directive européenne, afin de redonner aux éleveurs les moyens concrets de défendre leurs troupeaux.

À la suite du vote de la loi d'orientation agricole, nous attendons également la publication de l'arrêté relatif au statut du chien de protection. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)

rapatriement des français touchés par le conflit entre israël et l'iran

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte de tensions extrêmes entre Israël et l'Iran, je souhaite, en y associant ma collègue sénatrice Laure Darcos et le député de la Marne Xavier Albertini appeler solennellement votre attention sur la situation particulièrement préoccupante de nos concitoyens bloqués dans ces deux pays.

Plusieurs de nos compatriotes marnais, actuellement sur place, nous ont interpellés. Inquiets et désemparés, ils demeurent sans solution concrète pour regagner notre pays et retrouver leur famille.

Comment ne pas évoquer également le sort de Cécile Kohler et de Jacques Paris, détenus en Iran depuis mai 2022 ?

Les frappes aériennes ont déjà provoqué la mort de nombreux civils en Israël et en Iran. Les risques pour nos compatriotes sont réels et immédiats et leur sécurité ne saurait être garantie par la seule mise en place d'une ligne téléphonique ou d'une cellule d'écoute psychologique.

Faute d'instruction claire du Quai d'Orsay, quelques-uns envisagent désormais des initiatives périlleuses.

J'ai conscience de la complexité de la situation, mais notre diplomatie doit se traduire par des actes concrets. Il appartient à la France d'être proactive, en liaison avec tous les acteurs régionaux, pour mettre en place des couloirs d'évacuation sécurisés et assurer un rapatriement rapide de nos compatriotes.

Plusieurs partenaires européens ont déjà exfiltré leurs ressortissants. Face à ces exemples, l'inaction française serait incompréhensible. Rappelons qu'il n'a fallu que trois jours pour rapatrier les croisiéristes du Madleen…

J'ai confiance dans notre corps diplomatique, et je tiens à rendre hommage au professionnalisme et à l'engagement de ses membres.

Alors, monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre afin de garantir le rapatriement rapide et sûr de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie, monsieur le sénateur, de l'hommage que vous venez de rendre aux agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui, à Tel-Aviv, à Jérusalem ou à Téhéran, exercent leur mission dans des conditions extrêmement difficiles et parfois dangereuses.

Vous le savez, c'est leur mission, leur vocation et leur honneur que d'être, en toutes circonstances, et en particulier les plus difficiles, aux côtés de la communauté française.

Il est vrai que d'autres pays ont fait le choix d'évacuer tous leurs agents. Ce n'est pas le nôtre, car, je l'ai dit, l'honneur de la diplomatie française est de se tenir aux côtés des communautés françaises quelles que soient les circonstances.

Dès vendredi dernier et le début des opérations militaires israéliennes, nous avons pris l'attache de nos ressortissants inscrits au registre des Français établis hors de France – ceux qui habitent en Israël ou en Iran – pour les appeler à respecter les consignes de sécurité.

Nous avons également invité tous les Français de passage dans ces deux pays à s'inscrire sur Fil d'Ariane, qui nous permet de rester en lien avec eux.

Nous avons ouvert une ligne téléphonique accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Je l'ai testée : elle fonctionne.

Nous avons aussi réuni ou informé nos chefs d'îlot – ces représentants des Français à l'étranger chargés de la sécurité de région –, en Israël comme en Iran.

J'ai réuni hier l'ensemble des ambassades concernées et les services de l'État et pris un certain nombre de décisions. Nous allons ainsi renforcer le dispositif d'écoute pour améliorer et faciliter la prise en charge, prendre contact avec les compagnies aériennes pour nous assurer de la disponibilité des places, ou encore clarifier, d'une part, les voies de sortie d'Iran vers l'Arménie et la Turquie et, d'autre part, les voies de sortie d'Israël vers la Jordanie et l'Égypte.

J'ai demandé par ailleurs que nous soient proposées un ensemble de solutions, qui seront présentées dans quelques minutes au conseil de défense que le Président de la République a convoqué, notamment pour faciliter et sécuriser la sortie de nos ressortissants du territoire israélien ou du territoire iranien.

Vous le voyez, il s'agit malheureusement d'une situation que nous avons connue par le passé, mais nos agents sont pleinement mobilisés pour être aux côtés des Françaises et des Français.

Je le rappelle à chacune et à chacun d'entre vous. Il convient, lorsque l'on se déplace à l'étranger,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … de veiller à la situation du pays dans lequel on souhaite se rendre.

Le service « Conseil aux voyageurs » du site diplomatie.gouv.fr recommande ainsi formellement depuis des mois maintenant…

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … à tous nos ressortissants de ne jamais se rendre en Iran. Il prescrit également depuis novembre 2023 à nos compatriotes de ne pas aller en Israël, sauf pour raisons impératives. Je les invite donc à suivre ces conseils. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour la réplique.

M. Cédric Chevalier. Notre République a en effet le devoir d'assurer la protection de chacun de ses citoyens. Alors, faites honneur à la France, assurez leur retour à la maison ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

situation de crise et assistance aux français en iran et en israël

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Depuis vendredi dernier, la situation au Moyen-Orient s'est lourdement détériorée. Le conflit larvé entre Israël et l'Iran s'est transformé en guerre ouverte.

Au milieu de cette guerre, il y a des civils. Et au milieu de ces civils, nous avons des Français.

En Iran, pays où deux otages – Cécile Kohler et Jacques Paris – sont encore retenus par le régime, un millier de nos compatriotes vivent aujourd'hui dans l'angoisse.

Si une partie de ces Français est en mesure de fuir Téhéran et de se mettre à l'abri, en province ou à l'étranger, cette option n'est pas aisée : elle implique de sortir du pays via des frontières terrestres dont on ignore l'état de sécurité et de passer outre les pénuries de carburant.

Une autre partie de ces Français n'a tout simplement pas les moyens matériels pour évacuer. Or Téhéran est une ville où il n'existe pratiquement aucune infrastructure publique permettant de se protéger.

Comment la France peut-elle assurer la protection des Français d'Iran ? Est-il possible d'ouvrir immédiatement l'enceinte de l'école française pour nos compatriotes souhaitant s'y réfugier ?

Du côté israélien, la vie est désormais ponctuée par les alertes. Heureusement, des abris existent. Ils impliquent de se lever, parfois plusieurs fois par nuit, pour y trouver refuge.

Voilà quelques jours, un quartier de Tel-Aviv où résident de nombreux Français a été profondément endommagé. L'immeuble qui a abrité le consulat de France pendant plus de vingt ans a même été entièrement détruit. Les riverains doivent se reloger en urgence.

De même, ils sont des milliers de touristes français, actuellement bloqués en Israël, attendant une ouverture, ne serait-ce que temporaire, de l'espace aérien. Pour eux, est-il d'ores et déjà possible d'anticiper l'organisation de vols de rapatriement ?

Monsieur le ministre, les conflits internationaux se multiplient : Ukraine, Haïti, Soudan, Sahel, Liban, etc. Partout, le réseau diplomatique français et nos agents répondent présent.

Mais les crises ne cessent de s'amplifier. Elles deviennent plus violentes et plus longues.

À l'heure où l'état de nature semble reprendre le dessus sur l'état de paix, n'est-ce pas le moment de repenser la réponse française aux gestions de crise ? Car, au milieu d'États qui se font la guerre, il y a surtout des civils qui en paient le prix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Isabelle Briquet et M. Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, vous aussi, vous avez eu l'honnêteté de reconnaître le courage de nos agents.

À la suite des frappes qui ont eu lieu hier ou avant-hier, certains des logements des agents de notre ambassade à Tel-Aviv ont été touchés. C'est dire à quel point le métier qu'ils exercent n'est pas dépourvu de danger.

Je vous l'ai dit : ils restent mobilisés. C'est d'ailleurs l'une des particularités de la diplomatie française que de ne pas fuir devant le danger et de rester au plus proche des communautés.

En ce qui concerne les ressortissants français, notamment ceux qui sont de passage en Israël et en Iran, je le répète : le centre de crise et de soutien de mon ministère a élaboré un certain nombre de scénarios et de propositions qui seront tranchés dans quelques minutes par le conseil de défense et de sécurité nationale que le Président de la République a convoqué.

En ce qui concerne plus particulièrement nos deux ressortissants otages depuis trois ans du régime iranien, Cécile Kohler et Jacques Paris, nous avons adressé aux autorités iraniennes comme aux autorités israéliennes des messages les alertant sur la présence dans la prison d'Evin de nos deux compatriotes, et sur la nécessité, pour les autorités iraniennes, de les libérer sans délai pour assurer leur sécurité.

Enfin, puisque vous élargissez la focale et que vous nous appelez à réfléchir à la manière dont nous pouvons mieux protéger nos ressortissants dans un monde qui devient plus brutal, je voudrais à mon tour lancer un appel général à nos compatriotes – je ne parle pas de ceux qui se sont fait prendre par surprise par cette escalade militaire entre Israël et l'Iran – à se tenir à l'écart des zones de conflit, pour éviter qu'ils ne se retrouvent eux-mêmes en situation de danger.

Nous aurons dans quelques heures – vous l'aurez compris – un dispositif permettant de répondre à bien des inquiétudes qui ont été exprimées.

En conclusion, je salue le travail des sénatrices et sénateurs des Françaises et des Français établis hors de France, qui, ces dernières heures et ces derniers jours, ont été à l'écoute, en première ligne, des attentes et des inquiétudes de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

situation au proche-orient

M. le président. La parole est à M. Jérôme Darras, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Darras. Depuis le 13 juin, Israël mène une vaste offensive contre l'Iran, ses sites nucléaires, ses usines de missiles et ses centres de commandement, faisant écho à la vive inquiétude exprimée par le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) face à l'accumulation rapide d'uranium hautement enrichi par l'Iran. En riposte, l'Iran bombarde les villes israéliennes, dont Tel-Aviv et Haïfa. Le bilan humain s'alourdit de jour en jour. Je pense à cet instant aux civils morts et blessés et, bien sûr, à nos compatriotes présents dans les deux pays.

Au-delà de l'avenir de la région, ce qui se joue est l'équilibre du monde, qui, depuis le 20 janvier et l'investiture du nouveau président de la première puissance économique et militaire mondiale, semble toujours plus instable. Ce même président qui, par son retrait de l'accord de Vienne, est le premier responsable de l'escalade actuelle. (M. Olivier Paccaud lève les bras au ciel.)

Le régime iranien est sans conteste une source d'instabilité régionale et une menace pour la paix du monde, tant par son action que par celle de ses proxys. Par ailleurs, nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, otages d'État, sont toujours enfermés dans ses geôles.

J'ai, comme nombre d'entre vous, aux côtés de nos huit présidents de groupe, signé la proposition de résolution relative à l'inscription des Pasdaran sur la liste des organisations terroristes.

Pour toutes ces raisons, l'Iran, comme l'ont réaffirmé hier les dirigeants du G7, ne pourra jamais disposer de l'arme nucléaire.

Si Israël a incontestablement le droit de se défendre afin d'assurer sa sécurité, est-il pour autant fondé à mener une guerre préventive, précisément au moment où se déroulent des « développements diplomatiques importants », selon l'expression de la secrétaire générale adjointe de l'ONU ?

Monsieur le ministre, comment la France, partie à l'accord de Vienne, ce vieux pays, d'un vieux continent (M. Roger Karoutchi fait une moue dubitative.), qui, dans ces moments où l'Histoire bascule, comme en 2003, sait dire au monde ce qui est juste, peut-elle contribuer à la résolution de la crise en Iran et à Gaza, à une désescalade au Moyen-Orient, et à une réaffirmation du droit international et du multilatéralisme ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur, La France refuse, et ce depuis longtemps, que l'Iran puisse accéder à l'arme nucléaire, car cela soulèverait des risques insupportables pour Israël, pour la région, pour l'Europe, mais également, et plus largement, pour l'ordre international.

Pour autant, la France considère, et ce depuis longtemps, qu'il n'y a pas de solution militaire au problème nucléaire iranien. C'est la raison pour laquelle nous appelons aujourd'hui à la retenue, à la désescalade, à l'arrêt des frappes. Et nous disons d'ailleurs que toute nouvelle frappe entraînerait des risques substantiels sans permettre pour autant d'éliminer définitivement le programme nucléaire iranien.

Aussi, nous appelons l'Iran à se rendre disponible immédiatement pour la poursuite de négociations. Négociations auxquelles nous nous tenons prêts à participer, puisque nous en avions déjà conduit voilà dix ans, et que cela fait des mois que nous avons, avec les Britanniques et les Allemands, réamorcé ce travail à l'approche de l'expiration de l'accord sur le nucléaire iranien. Nous avons ainsi les idées très claires sur la manière d'obtenir des engagements de la part de l'Iran à cet égard.

Ensuite, la France dénonce l'attitude du régime iranien vis-à-vis tant de son propre peuple que de la région ou de la France et de ses intérêts. Je rappelle tous les griefs que nous pouvons lui adresser : programme nucléaire et balistique ; livraison à la Russie de centaines de missiles et de milliers de drones dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine ; répression du mouvement « Femme, Vie, Liberté » ; détention arbitraire de Jacques Paris et Cécile Kohler, otages d'État depuis trois ans, comme vous l'avez rappelé.

Pour autant, la France défend et promeut le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Elle considère ainsi que l'on ne peut pas provoquer de changement de régime par la force et qu'il appartient aux peuples de décider de leur propre destin. Aussi, nous faisons confiance au peuple iranien pour décider du moment et des circonstances pour se libérer de ce régime, contre lequel il a héroïquement résisté. C'est dans cet esprit-là que nous appelons les parties à la désescalade et au dialogue.

conclave sur les retraites

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, le conclave sur les retraites a vu le nombre de ses participants se réduire à mesure que le Gouvernement multipliait les lignes rouges, empêchant tout « bougé » sur l'âge de départ et tout débat sur de nouvelles pistes de financement.

Il ne débouchera vraisemblablement sur rien.

Les Français, les salariés qui doivent travailler deux ans de plus, sans aucune prise en compte de la pénibilité, ont le droit de savoir : ce conclave a-t-il été autre chose qu'une espèce d'assurance vie du Gouvernement en mode « tant qu'il se réunit, le Gouvernement survit » ? A-t-il vocation à préparer les esprits à la retraite par capitalisation ? Les partisans de cette logique, qui risque de priver de retraite les salariés les plus modestes et d'affaiblir davantage encore les pensions de tous les autres, se démasquent en effet un à un.

M. Jean-François Husson. C'est l'inverse !

Mme Céline Brulin. Ce conclave est-il la toile de fond de nouveaux coups durs, comme la TVA prétendument « sociale », qui pénaliserait le pouvoir d'achat de nos concitoyens, en exonérant toujours plus les entreprises et, surtout, le monde de la finance de leur contribution à la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Madame la sénatrice Brulin, vous parlez d'assurance vie, et vous avez raison, parce que si nous lisons le rapport de la Cour des comptes, ainsi que celui du Conseil d'orientation des retraites (COR), rendu la semaine dernière et signé par l'ensemble de ses membres, alors oui, il importe de trouver une assurance vie pour nos retraites.

Mme Catherine Vautrin, ministre. La vérité que nous devons aux Français, madame la sénatrice, c'est que, nous le savons tous, notre système de retraite n'est pas totalement financé aujourd'hui. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Tel est l'esprit qui animait le Premier ministre lorsqu'il a proposé aux partenaires sociaux de se réunir pour travailler sur les retraites sans tabou ni totem, avec un seul objectif : assurer le financement structurel des retraites. C'est ce que les partenaires sociaux font.

M. Pascal Savoldelli. Assurance vie : capitalisation !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Effectivement, hier soir, ils ont acté que tous les points de convergence n'étaient pas encore mûrs. Ils se sont donc donné rendez-vous lundi prochain. Nous sommes mercredi. Ils ont donc encore quelques jours pour continuer à travailler sur les sujets que vous avez précisément évoqués, c'est-à-dire, notamment, la situation des salariés les plus concernés par l'usure professionnelle et de celle des femmes, qui ont plus de mal à avoir des carrières complètes. Faisons confiance aux partenaires sociaux pour avancer et garantir les retraites. (MM. Bernard Buis et Jean-François Husson applaudissent.)

M. Jean-François Husson. Très bien ! Bravo, madame la ministre !

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, malgré les arguments que vous venez de développer et que vous resservez très régulièrement, vous n'avez convaincu aucun de nos concitoyens, qui sont toujours extrêmement réfractaires à cette réforme des retraites. Il n'y a pas davantage de majorité au Parlement, comme l'a montré le vote intervenu la semaine dernière à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR).

C'est votre acharnement à refuser toute autre piste de financement durable de notre système de retraite par répartition, j'y insiste, qui provoque la crise politique et les blocages institutionnels que nous connaissons aujourd'hui. Vous vous grandiriez et vous apaiseriez notre pays en proposant de rouvrir le débat sur cette réforme, rejetée massivement par nos concitoyens. Nous vous le demandons de nouveau et nous ne lâcherons pas sur ce sujet. Les Français attendent de vous que vous soyez au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ainsi que sur des travées du groupe SER et GEST.)

défense du pavillon aérien français

M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Daniel Fargeot. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Monsieur le ministre, les allées du Salon international de l'aéronautique et de l'espace du Bourget bruissent des rumeurs de belles commandes d'Airbus à venir par les pays du Golfe. Et nous pouvons nous en réjouir : elles confirment l'excellence et le rayonnement international de notre industrie.

Cependant, la réindustrialisation de la France exige une vision globale, à 360 degrés, qui prenne en compte toute la chaîne de valeur. C'est particulièrement vrai pour le secteur aérien, filière stratégique de notre souveraineté, dont on ne mesure d'ailleurs pas tout à fait l'importance. Il faut savoir que ces ventes d'avions pourraient s'accompagner, en contrepartie, de nouvelles autorisations de vols pour les compagnies du Golfe vers la France.

Afin que chacun mesure bien l'enjeu, je précise qu'une nouvelle ligne exploitée par ces compagnies, qui sont largement dopées aux subventions de leurs gouvernements respectifs, créé 200 emplois en France, tandis qu'une ligne Air France en mobilise 800, soit quatre fois plus. Faites le calcul : une ligne saturée, ce sont jusqu'à 600 emplois français qui disparaissent. Pilotes, techniciens, maintenance, formation : c'est tout un écosystème national qui est fragilisé.

Je rappelle que le pavillon français supporte déjà une fiscalité « franco-française » disproportionnée et des contraintes environnementales nécessaires, mais unilatérales, ce qui crée une distorsion massive de concurrence.

Comprenez que chaque ligne aérienne cédée, c'est un affaiblissement du pavillon français et de notre hub de Roissy-Charles de Gaulle, et donc un renforcement direct des hubs du Moyen-Orient. C'est bien là leur stratégie : modifier la polarité des échanges internationaux.

Air France et Airbus sont deux piliers d'un même modèle industriel français, deux contributeurs de poids à notre balance commerciale. Les droits de trafic dans le cadre d'accords bilatéraux ne peuvent devenir une variable d'ajustement diplomatique. D'autres leviers de coopération pourraient être activés avec les pays du Golfe : technologiques, académiques, énergétiques.

Ma question est donc la suivante : le Gouvernement peut-il garantir que les discussions engagées avec les pays du Moyen-Orient ne se feront au détriment ni de l'emploi aérien français ni de notre souveraineté industrielle ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Fargeot, je vous prie de bien vouloir excuser Philippe Tabarot, qui est en ce moment même à la 55e édition du Salon international de l'aéronautique et de l'espace. Ce salon est une fierté française quand il se déroule au Bourget.

La filière aéronautique est effectivement un pilier stratégique de notre économie et l'État est au rendez-vous pour la soutenir. Je veux le dire ici haut et fort. Par ailleurs, notre pavillon aérien, nos compagnies, Air France en tête, sont indissociables de cet écosystème. Défendre le pavillon aérien, c'est donc défendre notre souveraineté industrielle.

La filière aéronautique représente plus de 1 000 entreprises, dont des champions mondiaux – on pense spontanément à Airbus, mais aussi à Safran, à Thales –, mais aussi des PME-PMI, qui réalisent au total près de 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploient près de 100 000 salariés dans toutes les régions de France, mais essentiellement en Occitanie, en Nouvelle-Aquitaine et dans les Pays de la Loire.

Chaque avion construit en France mobilise une chaîne complète de valeur industrielle : conception, usinage, motorisation, assemblage, système embarqué.

Je le répète, l'État est au rendez-vous. Nous avons la chance de compter une grande compagnie aérienne, dont l'État est actionnaire, et nous la défendons.

Pour répondre plus précisément à votre question, je vous informe qu'avec Philippe Tabarot nous serons extrêmement attentifs à ce que toute réouverture de négociations avec les Émirats arabes unis ne fragilise pas nos compagnies aériennes. Nous veillerons à préserver les équilibres de marché, les conditions équitables de concurrence et rappellerons sans cesse la nécessité d'adopter des clauses environnementales équivalentes pour les compagnies aériennes françaises et les compagnies étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

conflit entre israël et l'iran

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre, depuis près d'un demi-siècle, le régime théocratique de Téhéran prêche la destruction d'Israël et a tissé un réseau d'affidés avec lesquels il déstabilise le Moyen-Orient. Ces groupes formés, armés et financés par l'Iran ont menacé ou attaqué régulièrement le territoire israélien. Ils sont aussi une menace pour la communauté internationale.

Les pogroms du 7 octobre 2023 n'auraient jamais été possibles sans le soutien iranien apporté au Hamas.

Les récentes opérations ont visé un programme nucléaire qui, malgré des années et des années de négociations internationales, est sur le point de produire l'arme atomique et fait peser une menace existentielle sur Israël.

Dans ce contexte, les déclarations du Président de la République sont peu claires.

Monsieur le ministre, quelle est donc la position de la France à l'égard de ce conflit et de quels soutiens disposons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Allizard, au contraire, je crois que la position de la France est très claire.

Concernant en premier lieu le régime iranien, nous avons évoqué le programme nucléaire et balistique, qui fait peser un risque existentiel sur Israël, sur la région, mais aussi sur nos propres intérêts européens et nationaux.

Vous avez parlé des actions de déstabilisation régionale de l'Iran, qui a soutenu des groupes terroristes et qui s'est félicité du massacre antisémite du 7 octobre 2023, à la suite duquel cinquante de nos compatriotes ont perdu la vie.

Je voudrais citer également le soutien désinhibé de l'Iran à la Russie dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine, par la fourniture de plusieurs centaines de missiles et de milliers de drones. Il y a enfin la détention arbitraire de nos deux compatriotes, Jacques Paris et Cécile Kohler, otages depuis trois ans et détenus dans des conditions indignes, assimilables en droit international à de la torture.

La voix de la France exprime la volonté d'atteindre la paix et la sécurité pour tous dans cette région, dont une part de notre avenir dépend. Le moyen d'y parvenir, c'est un double refus : le refus, d'une part, de l'Iran nucléaire, pour les raisons que vous avez très bien explicitées ; le refus, d'autre part, de voir Gaza occupée, la Cisjordanie colonisée, et un groupe terroriste, le Hamas, continuer à retenir dans ses tunnels des innocents comme otages. Tout cela passe par une solution reposant sur deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité.

En résumé, pour tenter de résoudre la crise actuelle, nous misons sur la retenue, la désescalade et la réouverture des négociations, seules susceptibles de permettre l'élimination du programme nucléaire iranien. En ce qui concerne la crise, que nous n'oublions pas, et qui se déroule à Gaza, où cinquante et un Palestiniens affamés sont morts hier encore en allant chercher des vivres à une distribution alimentaire, la conférence que nous avons préparée activement a enclenché une dynamique qui est désormais inarrêtable, parce que c'est la seule solution alternative à l'état de guerre permanent.

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.

M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre, je vous remercie, mais vous n'avez pas du tout répondu à ma question : je vous ai demandé quels étaient les soutiens de la France, et non pas ceux de l'Iran, et c'est pourtant sur ce dernier point qu'a porté votre réponse.

Je note que, dans cette région du monde, que nous connaissons bien, les positions du Président de la République ont tout de même très souvent varié. Le poids et l'influence de la France ont considérablement fléchi. Je suis désolé, mais c'est une réalité factuelle et je me dois de dire que notre ligne du « pour autant » est de moins en moins lisible et comprise. Notre capacité à peser sur le cours des événements est faible.

Alors oui, pour éviter l'embrasement, une cessation des hostilités est évidemment souhaitable. Elle devra néanmoins éviter les erreurs du passé en ne laissant subsister aucune – et je dis bien aucune – perspective d'un Iran nucléaire. Gardons à l'esprit que l'Iran, ou plutôt son régime, poursuit toujours son programme nucléaire, malgré les négociations, met au pas sa population et détient toujours de manière arbitraire deux Français dans des conditions inacceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

conclave sur les retraites

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la ministre du travail, les négociations entre les partenaires sociaux sur les retraites patinent depuis le début. Elles patinent, tout d'abord, parce qu'un certain nombre d'organisations syndicales et patronales ont quitté la table, estimant que les conditions d'une négociation sereine n'étaient pas réunies. Elles patinent, ensuite, parce que les syndicats qui sont restés font des propositions, travaillent, mais se heurtent au mur du Mouvement des entreprises de France (Medef), qui ne veut rien entendre.

D'ailleurs, après avoir entendu le patron du Medef ce matin, on peut douter sérieusement de l'issue de ces négociations. On peut même se demander si cette organisation patronale a jamais eu l'intention de négocier réellement.

Madame la ministre, dans ces conditions, je voudrais savoir si l'engagement du Gouvernement, qui avait été pris par le Premier ministre, sera tenu. Je veux parler de l'engagement de revenir devant le Parlement avec un nouveau projet de loi reprenant, au moins, les propositions faites par les partenaires sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST. – Mme Silvana Silvani applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Monique Lubin, comme vous, je voudrais souligner qu'un certain nombre de partenaires sociaux continuent à travailler. Je rends hommage au travail effectué au cours des six réunions plénières et au sein des groupes informels qui se sont constitués. Depuis maintenant quatre mois, avec la mission d'accompagnement sur les retraites, un chemin important a été parcouru.

J'en arrive plus précisément à la question que vous m'avez posée. J'ai sous les yeux ce qui a été repris hier par le président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, publié sur son compte X et encadré en rouge : « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, nous présenterons néanmoins les avancées issues des travaux des partenaires sociaux. Sous réserve d'un accord politique et d'un équilibre financier global maintenu, nous présenterons sur cette base un nouveau projet de loi. Ainsi, l'impératif de réforme pourra être satisfait dans une démarche de justice. » C'est le contenu du courrier que M. le Premier ministre a adressé aux différents partenaires sociaux, aux partis politiques, au moment de la mise en place du conclave. Telle est la réponse que je pouvais vous apporter.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.

Mme Monique Lubin. Et donc, madame la ministre, je pense que personne n'a vraiment compris si le Gouvernement reviendrait devant le Parlement. Quand on me parle d'accord politique, je pense tout de suite au Parlement. Vous avez bien cité les mots du Premier ministre : « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global […], nous présenterons sur cette base un nouveau projet de loi. »

Vous n'avez pas répondu à ma question. Nous attendons que tout ce qui est proposé par les partenaires sociaux soit rediscuté devant le Parlement.

Enfin, madame la ministre, lorsque vous, vos collègues ou d'autres parlez du rapport du Conseil d'orientation des retraites, je vous prierai de bien vouloir respecter les partenaires sociaux, comme vous vous y engagez régulièrement : le rapport du COR, tel qu'il a fuité – à qui profite le crime ? –, n'a pas été approuvé par les partenaires sociaux. J'aimerais donc que l'on parle du rapport du COR qui a été finalement approuvé par les partenaires sociaux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi que des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

non-remplacement des enseignants dans les collèges et lycées

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Ma question s'adresse à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et concerne le problème, devenu majeur, des professeurs absents.

« Un professeur devant chaque classe à la rentrée » : c'était la promesse martiale du Président de la République à l'été 2023. Un professeur devant chaque classe toute l'année, c'est beaucoup mieux, mais c'est malheureusement de plus en plus rare. En effet, les absences d'enseignants, avant tout pour raison de santé, et le nombre d'heures non remplacées ont augmenté de façon considérable de 2018 à 2024 : +49% de cours non assurés dans le primaire, +93 % dans le secondaire.

Cette semaine, j'ai présenté devant la commission des finances un rapport qui « autopsie » la profondeur du malaise. Le système ne fonctionne plus ! Le potentiel des remplaçants est insuffisant. L'attractivité de ce métier spécifique est en berne. Plus d'un professeur remplaçant sur deux dans le secondaire est aujourd'hui un contractuel. Les formations sont quasi inexistantes et l'organisation est sclérosée. Malheureusement, le mécontentement des parents aboutit à une fuite vers le privé ou à la saisine des tribunaux administratifs, qui vont en plus leur donner raison.

Madame la ministre d'État, vous êtes consciente du problème, et vos prédécesseurs l'étaient aussi. Des mesures ont été prises, par exemple le financement des heures de remplacement de courte durée dans le cadre du pacte enseignant ou le fléchage de nouveaux professeurs vers le vivier de remplaçants, mais d'autres mesures restent à prendre. J'en propose quelques-unes dans mon rapport. Je voudrais connaître celles que vous allez mettre en place à la rentrée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Olivier Paccaud, je veux tout d'abord vous remercier de votre question et des travaux que vous avez conduits sur un sujet essentiel pour la réussite de nos élèves. Mes équipes sont en train d'analyser les données très riches que vous mettez en avant dans votre rapport et je vous propose que nous puissions en discuter prochainement.

Nous le mesurons tous, le remplacement des enseignants est un enjeu majeur et une source de préoccupation pour les parents et pour l'ensemble de la communauté scolaire. Je peux vous l'assurer, mon ministère est pleinement mobilisé sur le sujet. Ces dernières années, de nombreuses actions ont été menées pour améliorer les remplacements de courte durée, notamment au travers du pacte enseignant, que vous avez mentionné. Plus de la moitié des missions sont orientées sur cette priorité.

Cette attention particulière a également conduit le ministère à se réorganiser afin de limiter les absences devant élèves provoquées par l'institution elle-même.

En ce qui concerne plus particulièrement le premier degré, comme vous le préconisez dans votre rapport, je me suis appuyée sur la baisse démographique pour reconstituer les brigades de remplacement et, à ce titre, ce sont 900 postes supplémentaires qui seront déployés à la rentrée 2025.

Vous l'avez dit, à ces tensions se sont ajoutées ces dernières années des difficultés pour recruter dans certains territoires et dans certaines disciplines. C'est pourquoi j'ai lancé une réforme du recrutement et de la formation initiale des enseignants, qui doit améliorer les conditions de formation, mais aussi permettre de susciter davantage de vocations.

Alors, sans attendre, il faut aller plus loin et je présenterai dans les prochains mois des mesures complémentaires dans le cadre d'un plan dédié au remplacement des enseignants. Celui-ci prendra pleinement en compte vos recommandations, monsieur le sénateur. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Bernard Fialaire applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Je précise que l'absence des professeurs est d'abord due à des conditions de travail souvent dégradées.

M. Olivier Paccaud. Pour conclure, un mot du cœur, que tout le monde partage ici : vive l'école ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. J'y associe ma collègue Catherine Morin-Desailly, qui a beaucoup travaillé sur la régulation des grandes plateformes numériques.

Vendredi dernier, le tribunal pour enfants de Nanterre a condamné deux garçons de 14 ans pour le viol, à caractère antisémite, d'une jeune fille de 12 ans. Quel est le rapport avec votre portefeuille ? Le procès a révélé, sans surprise, que les auteurs de cet acte odieux étaient abreuvés de haine sur les réseaux sociaux.

Avec l'émergence des plateformes, les cas de harcèlement, d'agressions et de violences en ligne se multiplient. Depuis vingt ans, les dangers que font peser ces réseaux sur la société sont régulièrement dénoncés. C'est pourquoi le Président de la République propose désormais d'en interdire l'accès aux moins de 15 ans.

Mais une autre question se pose, plus simple encore : ne faut-il pas, plus globalement, interdire l'anonymat, qui, bien souvent, en donnant l'illusion de l'impunité, permet le déchaînement des pulsions les plus violentes sur les réseaux ? On invoque souvent la liberté d'expression pour le justifier, mais cet argument ne tient pas. La liberté d'expression va de pair avec la responsabilité. Or l'anonymat en ligne permet trop souvent d'échapper à toute forme de responsabilité.

Dans les faits, cet anonymat est largement illusoire. Quand il faut identifier un auteur, on y parvient en retrouvant son adresse IP, mais c'est souvent trop tard, le mal étant déjà fait. Supprimer l'anonymat, c'est agir en amont, de manière préventive. Un peu de transparence peut être apaisante et contribuer à une société plus sereine.

Madame la ministre, combien de drames faudra-t-il encore ? Combien de temps allons-nous encore attendre avant d'agir ? L'interdiction de l'anonymat sur les réseaux sociaux fait-elle partie des pistes envisagées par votre ministère ? Si oui, comptez-vous interroger la Commission européenne sur la compatibilité d'une telle mesure avec le droit européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Catherine Conconne et M. Pierre Jean Rochette applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Patrick Chauvet, je vous remercie de cette question, qui est très importante, parce qu'elle touche nombre de nos concitoyens.

Le déversement de haine en ligne, c'est bien une réalité ; je sais qu'en tant que personnalité publique vous êtes directement confronté à ce phénomène. Il conduit à du cyberharcèlement, à de l'isolement, à de la détresse, et parfois au pire. Je pense notamment aux plus jeunes, qui peuvent commettre l'irréparable après des attaques en ligne.

Oui, il faut regarder la situation en face : le déversement de haine en ligne s'appuie quelquefois sur le pseudonymat, qui peut donner un sentiment d'impunité à ses acteurs. Pourtant, l'anonymat est utile à certains, qui peuvent ainsi s'exprimer alors qu'ils en seraient empêchés sans cela.

Pour autant, il faut être clair, et vous l'avez été, monsieur le sénateur, il n'y a pas d'anonymat en ligne. En effet, aujourd'hui, les plateformes sont responsables de la collecte des informations de connexion, notamment des adresses IP, et sont chargées d'en faire bon usage quand il y a besoin.

Il n'y a pas d'anonymat en ligne, pas plus qu'il n'y a d'impunité, il faut le répéter. Après que Thomas Jolly a été victime de cyberharcèlement, sept personnes ont été condamnées ; des peines de prison de plusieurs mois avec sursis ont même été prononcées.

Reste que, vous l'avez dit, la situation est ce qu'elle est. Je mesure la détresse que de nombreux concitoyens ressentent sur les réseaux sociaux face à ce qui s'y passe.

Nous avons fait beaucoup : je pense à Pharos (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements),…

M. Alexandre Basquin. Pharos manque de moyens !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. … au parquet national numérique, à la loi dite Sren, visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, qui permet le bannissement des réseaux sociaux, ou au DSA (Digital Services Act), qui fait porter la responsabilité sur les plateformes, mais qui n'est pas pleinement satisfaisant, la détresse étant, elle, bien réelle.

Oui, il faut envisager toutes les options, à commencer par interdire les réseaux sociaux avant quinze ans, pour protéger les plus jeunes. C'est un combat que je mènerai avec tous mes collègues du Gouvernement.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Nous sommes attachés à faire de notre combat contre la haine en ligne une réalité. (M. Stéphane Demilly applaudit.)

accueil des gens du voyage

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, nous sommes très nombreux dans cet hémicycle à avoir déjà interrogé vos prédécesseurs sur la question des gens du voyage – malheureusement, sans résultat probant.

Nous sommes tous confrontés dans nos communes à des stationnements illégaux et à des installations massives sur des terrains communaux, des stades de foot, des parkings, des zones d'activité, parfois même en pleine saison touristique ou économique. Ces installations entraînent des dégradations et des tensions croissantes, un sentiment d'injustice, d'abandon, tant chez les habitants que chez les élus locaux, bien que ces derniers aient rempli leurs obligations de création d'aires d'accueil, et mobilisé des moyens techniques et des investissements importants.

Ce type d'événement révèle les limites de notre dispositif juridique opérationnel actuel.

Pire encore, nous avons à plusieurs reprises subi en Moselle le rassemblement évangélique de près de 40 000 gens du voyage. Ce fut le cas encore en 2023 et cette manifestation semble se profile de nouveau cette année. Vous connaissez les troubles très importants que cela engendre, en matière tant de sécurité, de salubrité que de tranquillité publique.

Monsieur le ministre, que projetez-vous de faire pour régler ces situations ? Concrètement, empêcherez-vous le nouveau rassemblement évangélique en Moselle cette année ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Loïc Hervé, Pierre Jean Rochette, Hussein Bourgi et Lucien Stanzione applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, à l'occasion de la question importante que vous venez de poser, je rappelle que 1 328 grands déplacements ont été organisés en 2024 par les gens du voyage dans soixante-dix-huit départements ; 569 d'entre eux avaient un caractère illégal, soit un sur trois.

Devant la difficulté rencontrée d'un point de vue tant juridique qu'administratif, notamment pour agir rapidement afin de faire évacuer ces terrains illégalement occupés, nous avons récemment mis en place un groupe de travail présidé par le préfet Philip Alloncle, auquel un certain nombre de sénateurs et sénatrices participent activement.

Ce groupe de travail s'est réuni une ultime fois la semaine dernière pour acter plus d'une vingtaine de mesures susceptibles d'être votées afin de lutter fermement contre ces situations. Nous nous verrons le 7 juillet prochain pour terminer nos travaux.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. François-Noël Buffet, ministre. Une partie des dispositions seront de nature réglementaire, mais la majeure partie sera de nature législative. Nous aurons l'occasion de proposer un texte d'ici à la fin du mois de juillet prochain.

Je tiens à dire qu'à Toulouges, commune des Pyrénées-Orientales, à la suite de l'occupation du stade de rugby, les services de la préfecture se sont mobilisés fermement pour procéder à une évacuation, laquelle a eu lieu le même jour. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. André Reichardt. C'est rare…

M. François-Noël Buffet, ministre. Il faut souligner la très grande efficacité de cette intervention. Dans les jours qui viennent, une circulaire sera prise et adressée à tous les préfets pour attirer leur attention sur la situation particulière de certaines occupations.

Enfin, l'association Vie et lumière, qui organise tous les deux ans de grands rassemblements de plus de 20 000 ou 30 000 personnes, mais qui ne l'a pas fait en 2024 en raison de l'organisation des jeux Olympiques, s'est réunie à Nevoy il y a quelques semaines. Les services de l'État ont été fortement mobilisés et l'on peut dire que, globalement, les choses se sont bien passées.

Nous ne savons pas encore où se déroulera le prochain grand rassemblement. Les discussions sont en cours, mais la fermeté sur les questions d'organisation reste absolue, tout comme la détermination du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, il s'agit de rétablir un équilibre juste entre liberté de circulation et respect de l'ordre public.

M. Reichardt et moi-même avons déposé des propositions de loi qui ne sont jamais allées au-delà de cette assemblée.

Le sujet cristallise de vives tensions et appelle des réponses rapides, lisibles, concrètes, ainsi que des actes forts. Je compte sur vous pour faire évoluer le cadre dans l'esprit de fermeté, de responsabilité et d'équité que je vous connais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

ligne nouvelle paris-normandie

M. le président. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Sébastien Fagnen. Je souhaite associer à mon propos mes collègues normands Corinne Féret et Didier Marie.

« La SNCF a une dette vis-à-vis de la Normandie. » Ces mots sont de Guillaume Pepy, lorsqu'il était PDG de la SNCF. Ils ont été prononcés au Havre le 4 mai 2010.

Quinze ans après, la situation n'a que peu changé. Elle a même empiré la semaine dernière avec la validation par le Conseil d'État du schéma directeur de la région d'Île-de-France (Sdrif). En effet, ce document ne fait aucunement mention du tracé de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), compromettant ainsi sa réalisation.

Cette situation est la conséquence de l'hostilité de la présidente du conseil régional d'Île-de-France envers cette infrastructure pourtant vitale pour nos deux régions. Son opposition s'apparente à un insupportable mépris envers notre région, ses habitants, ses entreprises et ses élus.

C'est un déni non seulement des nécessités en matière d'aménagement du territoire, mais aussi de l'indispensable transition écologique.

Il est entendu que la séparation intégrale des flux normands et franciliens entre Paris et Mantes contribuera immanquablement à accroître le fret ferroviaire.

La concrétisation de la LNPN est essentielle pour le développement économique de la vallée de la Seine, de Haropa Port et de la Manche via le programme Aval du futur mené par Orano.

Ce sont les raisons pour lesquelles la Normandie a toujours eu la volonté, unanime, de trouver un consensus. Nous entendons et respectons les interrogations exprimées par une partie des Yvelinois. Il faut y apporter des réponses concrètes.

L'urgence est aujourd'hui de soutenir fermement ce projet d'intérêt national, symbole de la planification écologique et des mobilités décarbonées. Le Sdrif ne peut et ne doit pas sonner le glas ferroviaire de la Normandie.

Monsieur le ministre, au-delà de la nécessaire réaffirmation du soutien résolu de l'État lors du comité de pilotage qui se tiendra dans quinze jours, et en écho aux travaux en cours d'Ambition France Transports, les 3 millions de Normands ont besoin d'engagements tangibles sur le calendrier et le financement public de la LNPN.

Quelles garanties pouvez-vous leur adresser aujourd'hui au nom de l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Sébastien Fagnen, je réponds à la place de Philippe Tabarot, qui se trouve au salon du Bourget.

Vous avez évoqué l'intérêt de la ligne nouvelle Paris-Normandie. On l'appelle ligne nouvelle, mais elle dure depuis très longtemps dans l'esprit des Normands, et pas seulement.

Il s'agit d'un projet d'intérêt national, je tiens à le dire ici. Cette ligne viendra en effet répondre aux besoins croissants de mobilité qui existent entre Paris, l'Île-de-France et la Normandie, tout au long de la vallée de la Seine.

Elle améliorera d'une part la régularité – nous le souhaitons –, la capacité et la rapidité des liaisons ferroviaires. Pour cela, de nouvelles modalités de financement ont été évoquées à Bercy la semaine dernière. Une nouvelle méthode de travail a également été retenue, puisqu'une concertation sur ce projet a été engagée autour du Premier ministre. La nomination du préfet Serge Castel en tant que nouveau délégué interministériel est un premier jalon, que, me semble-t-il, vous attendez, de cette nouvelle approche. Il a d'ores et déjà rencontré l'ensemble des élus concernés.

Signe de cette nouvelle méthode, le ministre chargé des transports présidera le 1er juillet prochain, à Giverny, un comité de pilotage élargi à l'ensemble des parties prenantes : les élus de Normandie, qui, bien sûr, l'attendent, mais aussi ceux d'Île-de-France qui, pour le moment, participent au financement des études, ainsi que les représentants des intercommunalités et des instances économiques des deux régions.

Ce comité de pilotage constituera assurément le deuxième jalon de ce nouveau départ que vous souhaitez, tout comme nous, pour la ligne nouvelle Paris-Normandie. L'objectif est en effet de redonner au projet un sens commun, mais aussi partagé, répondant à des tracés de moindre impact, mais surtout aux besoins actualisés des territoires que vous avez cités.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour la réplique.

Mon cher collègue, il vous reste quelques secondes pour arriver à l'heure en gare… (Sourires.)

M. Sébastien Fagnen. Monsieur le ministre, le temps des bonnes intentions est révolu, celui de la concrétisation est venu ! Nous l'espérons et nous continuerons à nous mobiliser à cette fin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

numéro unique d'appel d'urgence

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Dumont. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.

Monsieur le ministre, dans le cadre du congrès Urgences 2025 qui s'est tenu dernièrement à Paris, vous avez indiqué que le numéro unique était une idée séduisante sur le papier, mais qu'elle imposait une rupture organisationnelle majeure.

Vous avez ajouté que le projet devrait être conduit uniquement là où il y avait des volontés, où cela était pertinent et efficient. Vous avez précisé, en conclusion, que force était de constater qu'aujourd'hui les conditions n'étaient pas réunies pour aller beaucoup plus loin sur la question de la généralisation de la mise en place d'un numéro unique d'urgence.

La loi Matras de 2021 (loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels) prévoyait pourtant la mise en place de trois degrés d'expérimentation du numéro unique de secours dans une zone donnée pour en faire un bilan à l'issue de deux années. Cette expérimentation n'est toujours pas lancée.

Pour autant, sans attendre, il existe déjà, comme vous le savez, sur le territoire national plusieurs exemples de rapprochement de services, voire de structuration en centres uniques pour traiter les appels d'urgence, qui fonctionnent très bien, et ce sans remettre en cause le principe de la régulation médicale.

Voici un exemple précis pour illustrer mon propos. Ce lundi, une panne généralisée du réseau SFR a montré les limites des différents numéros d'appel d'urgence français. Ainsi, dans le département du Var dont je suis élue, mais également ailleurs, seul le 112 permettait de joindre les secours, alors que le 18, notamment, ne fonctionnait plus.

Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous préciser devant la représentation nationale votre position sur la question du numéro unique d'appel d'urgence en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la sénatrice Dumont, je vous remercie de cette question, qui me permet de faire le point sur le numéro unique d'appel d'urgence. Je sais que, en tant qu'ancienne présidente du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) du Var, vous y êtes particulièrement attachée.

La loi Matras a bien prévu une expérimentation qui associait bon nombre de départements, en particulier dans ma région – la Savoie, la Haute-Savoie, l'Ain –, ainsi que des départements témoins – le Rhône et le Puy-de-Dôme. Malgré des réserves de fond, le ministère de la santé a pleinement participé à ces expérimentations. Nous avons donc tenu nos engagements.

Aujourd'hui, nous constatons des difficultés dans certains Sdis, notamment en Haute-Savoie, qui a ralenti l'expérimentation. Si nous sommes favorables à une coopération renforcée, nous ne pouvons pas imposer l'obligation d'un numéro unique qui poserait des difficultés et mettrait en cause la sécurité et la prise en charge des patients.

Tout cela s'inscrit dans la logique du service d'accès aux soins (SAS), qui, vous le savez, madame la sénatrice, s'est développé partout en France pour limiter l'afflux de patients, notamment aux urgences. Je rappelle que 75 millions d'appels sont traités par an. Le risque de désorganisation est réel.

Par ailleurs, un certain nombre de pays – le Royaume-Uni, le Canada et même, plus récemment, la Suisse – ont abandonné le numéro unique.

Il nous faut donc avancer sur d'autres sujets, dont nous connaissons l'opportunité. Je pense aux plateformes communes, notamment colocalisées, qui réunissent pompiers et urgentistes là où il y a des volontés locales et où cela est pertinent et efficient. Je pense également à l'interconnexion des systèmes d'appel, autre système que vous avez évoqué et qui peut être une solution tout à fait efficace sans conduire forcément à la fusion des dispositifs.

Il y a, je le redis, urgence à avancer et à ne pas attendre la fin de l'expérimentation pour lancer cette mission d'évaluation des plateformes existantes afin d'aboutir à une réponse rapide, adaptée, sécurisée à l'ensemble des appels que nous recevons en France pour prendre en charge nos patients.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour la réplique.

Mme Françoise Dumont. Comme vous le savez, monsieur le ministre, lors d'une intervention de secours à personne, chaque seconde est majeure.

Pourtant, en cas d'urgence, les Français sont confrontés à pas moins d'une dizaine de numéros d'urgence. S'ils composent le 15, ils ne sont pas certains d'avoir une réponse rapide, ce qui est tout de même délétère.

Notre seule boussole doit toujours être la sécurité des personnes, rien de moins ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation de la filière acier française

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Stéphane Demilly. Madame la ministre, on parle souvent de l'indépendance énergétique et de l'indépendance alimentaire. Il y a quelques années, nécessité oblige, on a aussi parlé de l'indépendance sanitaire.

Aujourd'hui, une autre nécessité se fait jour. Elle concerne notre indépendance vis-à-vis du métal le plus utilisé au monde, je veux parler de l'acier.

L'acier est partout. Il est dans nos maisons, nos usines, nos infrastructures, nos moyens de transport. Alors que se tient le Salon du Bourget, je précise qu'il représente plus de 10 % des matériaux d'un appareil.

Bref, vous l'avez compris, l'acier est au cœur de notre économie. Pourtant, notre pays n'en produit pas assez pour ses propres besoins, et nous sommes donc là aussi dépendants de pays tiers tels que la Chine, l'Inde ou encore la Turquie.

En 2023, nous avons importé 10 millions de tonnes d'acier, soit environ 70 % de notre consommation nationale ! D'autant que cet acier provient de pays dont, le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne sont pas forcément les plus vertueux en matière environnementale et sociale…

Pendant ce temps, chez nous – plus largement d'ailleurs sur notre continent européen –, les grands aciéristes tels ThyssenKrupp ou encore ArcelorMittal enchaînent les plans de restructuration.

La production d'acier dans l'Union européenne a ainsi diminué de 30 % depuis 2008, entraînant la perte de plus de 100 000 emplois.

Madame la ministre, ma question est aussi simple que cruciale : quelle est la stratégie du Gouvernement pour endiguer ce déclin industriel de l'aciérie française qui, une fois de plus, fragilise une bonne partie de notre économie nationale et européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez raison, l'acier est partout. Malheureusement, il n'est pas très présent dans nos débats, alors que ce secteur est absolument stratégique.

L'acier est une composante de base de très nombreuses chaînes de valeur – ce sont des centaines de milliers d'emplois aujourd'hui en France. Vous l'avez dit, c'est un élément indispensable de notre souveraineté.

Cette industrie est fragilisée : surcapacités, concurrence internationale déloyale, hausse des prix de l'énergie, contraction de la demande – la demande d'acier étant très liée à la croissance économique –, processus de décarbonation... Nous devons trouver un meilleur équilibre, à la fois en France, en Europe et dans le monde, pour avoir un cap clair, et donc des capacités industrielles préservées.

Au fond, l'enjeu, c'est de retrouver de la compétitivité, c'est-à-dire d'avoir des prix de l'énergie plus adaptés, une stratégie de décarbonation financée, comme le fait aujourd'hui l'État, notamment grâce aux appels à projets en matière de décarbonation – cela représente 1,6 milliard d'euros en 2025 –, mais également, et peut-être surtout, une protection commerciale contre la concurrence déloyale.

Je veux vous rappeler que nous avons gagné une grande bataille : la clause de sauvegarde sur l'importation d'acier est maintenant en œuvre à l'échelon européen. Il s'agit en quelque sorte d'un quota, c'est-à-dire d'un seuil d'importation au-delà duquel une taxe de 25 % s'applique, ce qui permet de protéger la filière de la concurrence déloyale des surcapacités, en particulier chinoises, avec lesquelles l'écart de prix est aujourd'hui de 20 %.

La France souhaite aller plus loin. Nous voulons qu'un nouvel instrument soit opérationnel au 1er janvier prochain. En effet, nous sommes d'accord sur l'outil, mais ne l'avons pas encore totalement mis en œuvre. Notre objectif est d'avoir un quota maximum de 15 % d'acier plat chinois dans la consommation européenne.

Surtout, vous le savez, monsieur le sénateur, nous voulons continuer à construire l'avenir de la sidérurgie en France. Je veux citer ici GravitHy et Marcegaglia, deux entreprises qui investissent aujourd'hui massivement en Europe pour produire l'acier de demain chez nous. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d'actualité au Gouvernement se tiendra le mercredi 25 juin 2025, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Accès aux soins

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation (proposition n° 189 [2023-2024], texte de la commission n° 713, rapport n° 712).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous imaginez bien que c'est avec une émotion particulière que je m'exprime, en tant que ministre de la santé, sur cette proposition de loi dont je suis à l'origine et que j'ai défendue lorsque j'étais député.

Je suis très heureux que les débats en commission des affaires sociales nous permettent d'examiner aujourd'hui une version conforme à celle qui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, au mois de décembre 2023.

Je remercie le rapporteur Khalifé Khalifé d'avoir repris le flambeau au Sénat.

Je remercie aussi le président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller de son soutien, ainsi que tous les sénateurs investis sur les sujets essentiels de formation et d'accès aux soins.

C'est avec émotion, mais surtout avec détermination, que je m'adresse à vous. Je suis en effet convaincu que les mesures que nous examinons aujourd'hui sont nécessaires et urgentes pour l'avenir de notre système de santé.

La réalité, nous la connaissons bien et il nous faut la regarder en face : nous manquons de médecins. Dire cela, ce n'est pas chercher des coupables, ni même régler des comptes a posteriori. C'est énoncer un fait, c'est décrire une réalité.

Cette réalité, c'est celle d'une véritable crise démographique, que vous vivez chaque jour dans vos départements. Je le vois à chaque fois que je me déplace. C'est la cause centrale de la désertification médicale. C'est le premier enjeu sur lequel nos concitoyens m'interpellent.

C'est aussi le premier sujet sur lequel, vous, parlementaires de tous les territoires, de tous bords politiques, m'alertez au quotidien, à juste titre.

C'est un défi immense auquel nous faisons face, hérité de choix faits il y a plusieurs décennies et remis en cause bien tardivement. Nous payons aujourd'hui le prix des politiques du passé !

Oui, à une époque, il a été voulu de rationner le nombre de médecins pour réduire les dépenses de santé. Nous en payons le prix cher, alors que les besoins de santé de nos compatriotes sont inéluctablement appelés à augmenter, sous les effets multiples et conjugués du vieillissement de la population et de la hausse des maladies chroniques et de la dépendance.

C'est un défi encore plus immense quand on pense que nous formons aujourd'hui autant de médecins qu'en 1970, alors que la population française a augmenté de 15 millions d'habitants et qu'il faut désormais entre deux et trois jeunes praticiens pour compenser un départ à la retraite.

Je l'ai dit lors de mon discours à l'Assemblée nationale en tant que rapporteur de ce texte : aux termes de la Constitution, la Nation doit garantir la protection de la santé.

La situation est trop alarmante. Nous devons non seulement réagir, mais agir avec méthode et pragmatisme.

Face à ces constats pressants et inquiétants, il nous faut apporter une réponse de bon sens, qui s'inscrive dans une vision à long terme. Je crois qu'une seule nécessité s'impose clairement, avec la force de l'évidence, celle de former.

La suppression du numerus clausus en 2019 a permis de réparer une erreur historique. Certes, nous avons supprimé la limitation du nombre d'étudiants en médecine, mais la capacité d'accueil des universités reste limitée.

Les effectifs ont augmenté d'environ 15 % en France. C'est un premier pas. Ce qu'il faut maintenant, pour assurer l'avenir de notre système de santé, c'est réussir un véritable choc de formation, je dirais même un électrochoc de formation.

Tel est le sens de cette proposition de loi.

Dès aujourd'hui et pour demain, nous devons former plus, former mieux, former dans tous les territoires et tout au long de la carrière, pour soigner partout dans les territoires !

Naturellement, depuis que je suis ministre, je m'emploie à tout mettre en œuvre pour renforcer l'accès aux soins de manière immédiate.

C'est l'objectif du pacte de lutte contre les déserts médicaux et de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires déposée par M. Philippe Mouiller.

Il faut tirer parti des très nombreuses compétences qui existent déjà dans le système de santé et mettre en place des mécanismes de solidarité qui engagent tous les professionnels et l'ensemble des acteurs.

Les mesures que nous avons prises pour favoriser la réussite et sécuriser l'exercice des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), ainsi que la mise en œuvre, dès le mois de novembre 2026, de la quatrième année d'internat de médecine générale, permettront également d'augmenter rapidement le nombre de professionnels au chevet des patients, et ce dans l'ensemble du territoire.

Toutefois, cela n'a de sens et ne sera durable que si nous renforçons structurellement nos effectifs sur le terrain !

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la première mesure de cette proposition de loi est donc naturellement de nous libérer définitivement de la contrainte restante du numerus apertus. Nous ne pouvons plus et nous ne devons plus raisonner avec cette logique qui ne permet pas de répondre aux besoins de nos concitoyens.

Je l'ai dit comme parlementaire, je l'ai dit comme élu local et je ne varierai pas comme ministre : c'est de toute forme de numerus qu'il faut nous débarrasser.

La conséquence en est qu'il faut inverser la logique qui nous a guidés jusqu'à présent en matière de capacités de formation. Il nous faut absolument commencer par prendre en compte les besoins de santé localement identifiés dans les territoires et faire en sorte que ce critère devienne prioritaire pour adapter les capacités de formation.

La définition de ces besoins se fera naturellement en concertation avec les élus, mais aussi avec les doyens, les agences régionales de santé (ARS), les préfets et les collectivités, que je veux pleinement associer – c'est ma méthode.

Il faut également poursuivre le mouvement d'universitarisation des territoires en ouvrant davantage de terrains de stage, des terrains diversifiés, y compris hors les murs des centres hospitaliers universitaires (CHU).

Autre mesure forte de cette proposition de loi, l'article 2 vient combattre le phénomène de fuite de futurs soignants vers l'étranger.

D'une part, nous devons enfin endiguer les départs d'étudiants – 1 600 par an selon la Cour des comptes – qui partent se former en Roumanie, en Espagne, en Belgique, au Portugal, en raison de notre incapacité à les former en France !

D'autre part, nous devons faire revenir ces quelque 5 000 médecins français en formation qui ont quitté notre pays, en mettant en place des dispositifs d'évaluation et d'accompagnement, en lien avec les doyens.

Cette proposition de loi met en place toutes les conditions de leur retour et de leur réintégration dans le cursus français.

Enfin, face à la pénurie de médecins, notamment de généralistes, il convient de reconnaître la pleine compétence des professionnels paramédicaux, qui apportent beaucoup à notre système de santé.

C'est pourquoi l'article 3 de la proposition de loi permet aux professionnels paramédicaux – infirmiers spécialisés ou en pratique avancée, kinésithérapeutes, sages-femmes – d'intégrer directement le deuxième cycle des études de médecine, après évaluation. Cet article apparaît comme une avancée naturelle, qui valorise les forces vives de notre système de santé en s'appuyant sur elles. C'est d'ailleurs l'une des mesures fortes du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je dis souvent que la formation est la mère des batailles. En effet, rien ne se fait et rien ne se fera sans les professionnels de santé.

Former plus, former mieux, former partout : c'est le socle incontournable de toute politique de santé !

C'est pourquoi je souhaite, pour favoriser l'accès aux soins de nos concitoyens et préserver l'avenir de notre système de santé, que ce texte puisse être voté à l'unanimité, ce qui nous permettra de faire un grand pas dans la bonne direction.

Je terminerai en vous disant que notre action en faveur de la formation ne s'arrêtera pas là, bien sûr. Je pense à la réforme des voies d'accès aux études de santé que je porte avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, Philippe Baptiste. Cette réforme va naturellement dans le sens d'une simplification et d'une plus grande ouverture.

Je tiens aussi à vous assurer que je continuerai de me battre pour nos universités, pour qu'elles aient les moyens nécessaires au maintien de la qualité et de l'excellence de la formation médicale française, qui font notre fierté et sur lesquelles je ne transigerai jamais.

Je soutiendrai les universités et les doyens pour que ces réformes ambitieuses et fondamentales se concrétisent sur le terrain, comme je l'ai assuré ce matin à Mme la présidente de la Conférence des doyens des facultés de médecine, afin de réparer notre système de formation et notre système de santé.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, « ce sont des centaines d'étudiants en médecine qui nous regardent ». Tels furent mes premiers mots après l'adoption du texte à l'Assemblée nationale. Je suis heureux que, par notre engagement collectif, nous puissions faire de ces promesses une réalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Khalifé Khalifé, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour débuter cette intervention, permettez-moi d'excuser l'absence de notre collègue Khalifé Khalifé, rapporteur de ce texte, qui ne pouvait être présent parmi nous aujourd'hui et pour qui j'ai une pensée particulière. C'est en son nom, et au nom de la commission des affaires sociales, que je m'exprime donc aujourd'hui.

L'examen de cette proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation intervient un mois après l'adoption par notre assemblée de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, que nous avons collectivement porté.

Loin d'être redondants, ces deux textes sont complémentaires puisque la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui comprend des mesures utiles pour accroître, à court terme, les effectifs d'étudiants en santé. Son examen nous donne ainsi une nouvelle occasion d'œuvrer à l'amélioration de l'accès aux soins en agissant, à la racine, sur la formation des professionnels.

Vous aviez, monsieur le ministre, déposé ce texte en octobre 2023, en votre qualité de député de l'Isère. L'Assemblée nationale l'avait rapidement adopté, le 8 décembre de la même année. Nous pouvons regretter qu'une année et demie se soit écoulée avant que nous ne puissions l'examiner au Sénat, mais il nous appartient désormais de permettre son entrée en vigueur dans les meilleurs délais.

Je souligne d'ailleurs que plusieurs des mesures de cette proposition de loi traduisent des engagements du Gouvernement, inscrits dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux présenté le 25 avril dernier par le Premier ministre. Il en est ainsi du desserrement du numerus apertus, grâce à une meilleure prise en compte des besoins de santé du territoire lors de la définition des objectifs de recrutement.

De même, l'objectif de réintégration des étudiants français partis faire leurs études en Europe et la facilitation des reconversions des professionnels paramédicaux désireux de s'engager dans des études de médecine concrétisent les engagements de ce pacte.

Nous pouvons donc raisonnablement espérer que les dispositions du texte seront rapidement mises en œuvre. Vous pourrez sans doute, monsieur le ministre, nous rassurer sur le calendrier.

L'article 1er, je l'ai dit, vise à desserrer et à territorialiser le numerus apertus. Je ne reviendrai que rapidement sur l'historique de ce dernier, qui est désormais bien connu.

Instauré en 1971 pour la médecine et l'odontologie, le numerus clausus a été progressivement étendu à la maïeutique et à la pharmacie. Il a été fortement abaissé dans les années 1970 et 1980, dans le double objectif de maîtriser les dépenses de santé et de protéger l'activité des professionnels installés.

Nous le savons, cette politique n'a pas tenu compte de la hausse, pourtant prévisible, des besoins de santé due à l'augmentation de la population, à son vieillissement et à la prévalence croissante des maladies chroniques.

Fortement décrié pour sa contribution aux tensions démographiques que nous connaissons aujourd'hui, le numerus clausus a été supprimé par la loi en 2019 et remplacé par un numerus apertus fondé sur une large concertation nationale et régionale.

Désormais, les capacités d'accueil sont déterminées annuellement par les universités elles-mêmes, en tenant compte : d'une part, des objectifs pluriannuels d'admission en première année du deuxième cycle, arrêtés par l'université sur avis conforme des ARS, après consultation des conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) ; d'autre part, des objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former, définis par l'État pour une durée de cinq ans, à l'issue de concertations régionales et sur proposition d'une conférence nationale. Il s'agit d'un système quelque peu complexe.

Ce nouveau dispositif a permis une augmentation significative du recrutement dans les filières maïeutique, médecine, odontologie et pharmacie (MMOP), de l'ordre de 11 %.

Toutefois, cette augmentation générale cache d'importantes disparités. Entre filières, d'abord : alors que le nombre d'admis a augmenté de 18 % en médecine et de 14 % en odontologie, il a diminué en maïeutique et en pharmacie, du fait de places laissées vacantes. Entre universités, ensuite : l'augmentation du recrutement diffère grandement d'un territoire à un autre, sans que ces divergences soient conçues pour corriger les inégalités démographiques existantes.

L'article 1er vise à favoriser l'augmentation du recrutement en permettant aux ARS et aux conseils territoriaux de santé (CTS) d'appeler une université à accroître ses capacités d'accueil, lorsque celles-ci ne correspondent pas aux objectifs pluriannuels qu'elle a fixés. Il vise également à mieux tenir compte des besoins de santé de chaque territoire, en soumettant la définition de ces objectifs à un avis conforme des CTS.

La commission des affaires sociales a soutenu ces mesures : elles permettront d'impliquer davantage les élus locaux dans la définition des objectifs de recrutement et de responsabiliser les universités dans la définition de leurs capacités d'accueil.

Cette réforme ne pourra toutefois réussir, monsieur le ministre, que si l'État donne aux universités les moyens d'accueillir dans de bonnes conditions davantage d'étudiants. C'est un point essentiel si l'on veut que la mise en œuvre de cette proposition de loi soit satisfaisante.

L'article 2 prévoit de réintégrer dans le cursus national les étudiants français partis suivre des études de médecine dans un autre pays de l'Union européenne. La très forte sélectivité de l'accès au premier cycle des études de médecine engendre en effet un phénomène d'expatriation d'une partie des étudiants français dans d'autres pays de l'Union européenne.

La complexité du système du parcours accès spécifique santé (Pass) et de la licence accès santé (LAS), critiqué par la Cour des comptes, favorise aussi ces expatriations, dont le nombre s'accroît ces dernières années. Le nombre d'étudiants français suivant des études de médecine ou d'odontologie en Espagne a ainsi augmenté de 30 % entre 2019 et 2022. Au total, la Cour des comptes estime à 1 600 le nombre d'étudiants qui quitteraient la France, chaque année, pour suivre leurs études en Espagne, en Roumanie, en Belgique ou au Portugal.

Or, malgré le principe d'équivalence des diplômes européens, la qualité de la formation médicale est pour le moins inégale dans les différents pays de l'Union européenne. Je rappelle que, après obtention d'un diplôme européen, ces étudiants peuvent pourtant exercer sur notre territoire dans les mêmes conditions que les médecins ayant suivi la totalité du cursus de médecine en France.

Nous avons donc intérêt à favoriser la réintégration précoce de ces étudiants dans le cursus français, pour garantir la qualité de leur formation. La mesure bénéficiera à très court terme à notre système de santé, car elle aura pour effet d'augmenter les effectifs de médecins en cours de formation, quelle que soit leur avancée dans le cursus. Son caractère non pérenne permettra, par ailleurs, de ne pas organiser de contournement permanent du mécanisme de sélection à l'entrée dans les études de médecine, ce qui apparaît bienvenu.

Enfin, l'article 3 vise à favoriser les reconversions des professionnels paramédicaux en consolidant les passerelles vers les études de médecine. Ces dispositifs souffrent en effet de plusieurs insuffisances qui ne leur confèrent aujourd'hui qu'une portée marginale.

D'une part, les places qui leur sont réservées demeurent trop limitées : le quota minimal, actuellement fixé à 5 % par la réglementation, devrait être relevé. D'autre part, la mise en concurrence d'une grande diversité de profils pour entrer dans le dispositif ne favorise pas le recrutement de professionnels paramédicaux. Malgré leur expérience du soin, ceux-ci réussissent relativement moins bien que des ingénieurs issus de cursus scientifiques ou des normaliens. Enfin, la reprise d'études peut exposer certains candidats à une précarité financière, ce qui les conduit à renoncer à leur projet de reconversion ; des dispositifs de soutien pourraient, de ce point de vue, être utilement envisagés par le Gouvernement.

Le texte prévoit donc d'adapter le format des passerelles existantes et de renforcer l'accompagnement des professionnels paramédicaux lorsqu'ils reprennent des études de médecine, afin de favoriser leur réussite et d'encourager les projets de reconversion. Nous ne pouvons qu'y souscrire.

En définitive, cette proposition de loi ne permettra pas de résoudre l'ensemble les difficultés constatées dans les études de santé, mais les mesures qu'elle porte seront utiles pour augmenter le nombre d'étudiants et mieux l'adapter aux besoins constatés. La commission ne souhaite pas retarder leur mise en œuvre et propose, en conséquence, d'adopter cette proposition de loi sans modification, même si nous souhaitions faire quelques remarques ou apporter des précisions.

Le texte renvoie toutefois, monsieur le ministre, la définition de nombreuses mesures au domaine réglementaire. Sa réussite dépendra également des moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour augmenter les capacités d'accueil des universités et veiller au succès des étudiants. Nous souhaitons donc que le Gouvernement s'empare pleinement de ces dispositions. Nous y veillerons dans les prochains mois.

Enfin, je précise que la commission des affaires sociales conduit actuellement des travaux sur l'accès aux études de santé et qu'elle souhaitera porter, dans les prochains mois, plusieurs propositions complémentaires pour favoriser un égal accès aux études médicales et pharmaceutiques. Une réforme du système pass-LAS a été proposée par la Cour des comptes. Nous voyons bien aujourd'hui qu'il est nécessaire de faire évoluer et améliorer ce système.

Nous aurions bien sûr préféré examiner un projet de loi plus global ou une proposition de loi plus construite sur l'ensemble des enjeux de formation, mais notre organisation nous impose d'aller vite. Nous avons besoin de cette proposition de loi votée à l'Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons le texte.(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la succession de textes portant sur l'accès aux soins que nous examinons ces temps-ci pourrait laisser penser que notre pays se mobilise enfin au bon niveau pour permettre à chacun de nos concitoyens d'avoir un médecin.

Je crains malheureusement que nous ne soyons loin d'une stratégie nationale en matière de santé, de la stratégie globale, cohérente, déterminée et financée dont la France a besoin.

Je salue la proposition de loi du député Neuder, qui met fin au numerus apertus, lequel n'a pas véritablement, ou pas assez, modifié la donne par rapport au numerus clausus. Celui-ci, on le sait, a considérablement réduit le nombre de médecins formés et conduit à la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.

Le numerus apertus, mis en œuvre en 2019, était censé corriger cette mesure « visionnaire », portée par ceux qui étaient déjà obsédés à l'époque, dans les années 1970, par la réduction des dépenses de santé.

Cela a été rappelé, le nombre d'étudiants a augmenté d'environ 11 % depuis 2019, mais il reste très inférieur aux besoins. En maïeutique et en pharmacie, on a même formé moins de futurs professionnels, pour des raisons qui ne sont d'ailleurs pas uniquement liées au numerus apertus.

Voilà pourquoi nous proposons, lors de l'examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, que les besoins en santé déterminent l'offre de formation, et rien d'autre.

Mais le ministre Neuder peut-il s'en tenir à cette juste intention, sans annoncer en parallèle les moyens de la concrétiser ?

Dans une tribune publiée en octobre 2023, l'Académie de médecine estimait qu'il manquait encore 5 000 places dans les universités de médecine chaque année pour réduire efficacement la pénurie de médecins.

Que comptez-vous faire, avec votre homologue de l'enseignement supérieur, monsieur le ministre, pour que la France lance ce grand effort de formation ?

Quels financements prévoyez-vous pour que nos universités puissent ouvrir des places en fonction des besoins de leur territoire ? Chacun sait combien ils sont nombreux.

Combien de chefs de cliniques, combien de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), pourront être recrutés ?

Quelles infrastructures universitaires pour accueillir de nouveaux étudiants dans nos territoires, et pas seulement dans les CHU ?

De même, quels terrains de stage pour former les étudiants et leur faire découvrir la diversité des modes d'exercice, l'intérêt de nos villes moyennes, de nos territoires ruraux et de nos quartiers populaires, ainsi que la qualité de vie que l'on y trouve ?

C'est à ces questions que nous attendons des réponses de votre part, monsieur le ministre. Inutile de dire que cela risque de se heurter à la volonté du Gouvernement de réaliser 40 milliards d'euros d'économies dans le budget de l'État et dans celui de la sécurité sociale l'an prochain.

Comment entendez-vous, par exemple, étendre le bénéfice de la prime de 800 euros aux maîtres de stage dans les zones d'intervention prioritaire et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans ce cadre budgétaire ? Il est inenvisageable pour nous que ces mesures s'accompagnent d'une moindre prise en charge des patients, quels qu'ils soient.

Vous prévoyez également de simplifier la reprise d'études de santé en France, mais les démarches demeurent trop exigeantes pour entraîner un véritable retour des étudiants français partis se former chez nos voisins européens.

Vous prévoyez enfin de simplifier les passerelles pour les professionnels paramédicaux qui souhaitent reprendre des études de médecine. Attention cependant à ne pas déplacer la pénurie des professions médicales vers les professions paramédicales, car nous avons aussi besoin d'augmenter le nombre de places dans les formations d'infirmières, de psychothérapeutes, d'orthophonistes, d'orthoptistes, d'aides-soignants ou de psychomotriciens.

Une universitarisation des formations est également nécessaire, en particulier pour les masseurs-kinésithérapeutes. Nous avions déposé un amendement à cet effet, mais il a malheureusement été déclaré irrecevable.

Nous ne pourrons pas non plus faire l'économie de mesures de régulation à l'installation des médecins, car non seulement les inégalités entre territoires sont importantes, mais en plus elles se creusent.

Enfin, il est nécessaire de revoir les conditions d'études de santé. Plus d'un tiers des étudiants en médecine songent à tout arrêter pour des raisons financières. Enfin, trois étudiants sur cinq ayant échoué en première année de médecine se réorientent dans des filières éloignées de la santé.

En conclusion, je crains que ce texte ne desserre un peu le numerus apertus sans véritablement le supprimer, comme nous le souhaitons.

Cependant, nous voterons cette proposition de loi, tout en continuant à agir pour un grand plan de financement des études de santé dans les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombreux sont ceux ici qui regrettent avec constance que le Gouvernement préfère l'examen par le Parlement de propositions de loi plutôt que de projets de loi, pourtant plus structurants, plus engageants. Permettez-moi de ne pas exprimer un tel regret.

Le texte qui nous est aujourd'hui soumis n'est certes pas un projet de loi. Il n'est pas assorti d'une étude d'impact du Conseil d'État, il n'est absolument pas complet, mais il engage le Gouvernement presque plus que s'il avait lui-même présenté un projet de loi. Car la proposition de loi du député Neuder engage le ministre de la santé Neuder !

Aussi, nous serons extrêmement attentifs à ce que les promesses et les annonces faites dans le cadre de l'examen de ce texte soient rapidement appliquées et deviennent une réalité pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui pâtissent au quotidien du manque de professionnels de santé et de difficultés d'accès aux soins.

Aujourd'hui, 6 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, du fait d'une politique de contraction de la formation de médecins, le numerus clausus, mis en place en 1971 et n'ayant été révisé qu'en 2019. Je salue à cet égard Agnès Buzyn, qui a eu le courage de supprimer ce dispositif inique. Cependant, force est de constater que le numerus apertus qui l'a remplacé demeure insuffisant.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé aujourd'hui que vous alliez supprimer le numerus apertus. Nous vous prenons au mot et nous attendons de votre part une mobilisation exceptionnelle pour augmenter les capacités de formation des universités, désormais fondées sur les besoins de santé de la population.

Les écologistes proposent à cet égard la mise en place d'antennes universitaires des unités de formation et de recherche en médecine dans chaque département. Reprendrez-vous cette proposition ?

Vous souhaitez ensuite réintégrer dans le système de formation national les étudiantes et les étudiants français partis étudier dans un autre pays européen. Nous voterons cette mesure. Encore faut-il que les décrets d'application soient publiés dans des délais raisonnables. Nous comptons sur vous sur ce point.

J'insisterai sur un autre aspect pour lutter contre le départ massif d'étudiants du système de formation national : la prévention.

Ainsi, comment expliquer que près de 2 500 étudiants partent en Espagne chaque année ? Notre commission a regretté cette situation, symptomatique d'un système élitiste qui échoue à intégrer des étudiants pourtant brillants puisqu'ils réussissent ailleurs.

Le groupe écologiste partage ce constat. Les études de santé, à tort ou à raison, sont jugées élitistes et souvent trop difficiles par les jeunes, ce qui in fine décourage la plupart d'entre eux et crée un effet repoussoir. C'est très inquiétant pour l'avenir de notre système de santé.

Monsieur le ministre, je vous enjoins d'adapter le programme du premier cycle de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique pour rendre ces études plus attractives. Rappelons que, en 2023, seulement 36 % des inscrits en Pass ont franchi le cap de la deuxième année dès leur première tentative.

Un effort national doit être entrepris pour donner à tous les étudiants la possibilité de bénéficier d'une remise à niveau en biologie, en physique-chimie et en mathématiques, ces matières nécessaires pour réussir dans ces filières.

Je pense notamment aux jeunes qui souhaiteraient se réorienter vers des études de santé depuis d'autres filières. C'est ce que permet d'une certaine façon la LAS : elle montre que l'on peut étudier dans une filière littéraire ou autre et intégrer un parcours de formation scientifique et médicale. Nous devons en toutes circonstances faciliter les passerelles vers les études de santé et mettre en place pour cela, je le répète, des remises à niveau des connaissances scientifiques.

Enfin, nous soutenons le renforcement des passerelles pour les professionnels de santé déjà en activité. Un aide-soignant doit pouvoir devenir infirmier, un infirmier devenir médecin. Cette proposition de loi tend à le permettre, mais pas assez concrètement pour l'instant. Ces passerelles sont également importantes pour motiver les étudiants à devenir des soignants. J'avais d'ailleurs fait réaliser une note de législation comparée sur ce sujet. Elle dresse un état des lieux international dont nous devrions nous inspirer.

Je vous appelle ainsi, monsieur le ministre, à renforcer la validation des acquis de l'expérience en santé et à permettre le financement de parcours de reconversion par le fonds d'intervention régional et par le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS).

Pour conclure, nous soutenons l'esprit de ce texte, mais nous appelons le Gouvernement à prévoir les moyens nécessaires à sa mise en œuvre réelle, ainsi que le financement de la formation en santé, notamment dans les universités et les groupes hospitalo-universitaires.

Autrement dit, vous avez les cartes en main, monsieur le ministre. Concrètement, nous espérons que ces moyens seront inscrits dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale à la rentrée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels et, il y a un peu plus d'un mois, la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la formation et la territorialisation.

Les textes législatifs se succèdent pour tenter de répondre aux difficultés d'accès à la santé dans notre pays. Nous le savons, la situation est grave. Je ne reviens pas sur le fait que 87 % de notre territoire est classé comme désert médical. Dès lors, il n'est pas surprenant que la santé reste la première préoccupation de nos concitoyens.

Nous ne pensons pas que réformer à la marge, par des propositions de loi successives, permette de rétablir l'effectivité du droit à la santé dans notre pays. Certes, monsieur le ministre, votre proposition de loi porte sur la formation des médecins, mais c'est encore une fois n'aborder qu'un petit bout de notre système de santé.

Les sénateurs du groupe socialiste réaffirment qu'il est nécessaire que le Gouvernement dépose un projet de loi visant à revoir l'organisation générale de notre système de santé afin d'avancer concrètement et de favoriser l'accès aux soins.

Enfin, nous regrettons que le périmètre retenu au titre de l'article 45 de la Constitution ne permette pas d'aborder le sujet des stages que les professionnels de santé effectuent lors de leur formation. Ces stages, vous en avez convenu, monsieur le ministre, restent trop hospitalo-centrés. Il s'agit pourtant d'une étape cruciale dans la formation, qui est déterminante dans le choix du lieu d'installation des jeunes professionnels de santé.

Après ces quelques remarques, j'en viens au contenu de la proposition de loi.

L'article 1er vise à former plus de professionnels de santé en réformant le numerus apertus. Il prévoit ainsi de solliciter l'avis des conseils territoriaux de santé, qui associent à la fois des professionnels de santé, lesquels sont majoritaires, des usagers et des élus territoriaux, pour déterminer les objectifs pluriannuels d'admission en deuxième cycle.

C'est effectivement, selon nous, l'échelle départementale qui est la plus pertinente pour définir les besoins de santé. C'est bien au niveau des territoires que doit se construire la réponse à ces besoins. Nous avions, tout comme nos collègues du groupe communiste, que je salue, insisté sur ce point lors du débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants, organisé sur leur initiative au mois d'octobre dernier.

Néanmoins, la réforme du numerus apertus n'est qu'une mesure de long terme, laquelle ne produira ses effets sur la démographie médicale, nous le savons bien, que dans une dizaine d'années. Elle ne permettra donc pas de faire face aux années difficiles que nous allons encore traverser d'ici à 2030-2032, lesquelles appellent des mesures d'urgence.

Pour former plus de professionnels de santé, vous proposez à l'article 1er de prioriser les besoins de santé du territoire en fonction des capacités de formation pour déterminer les objectifs de passage en deuxième cycle. Notons que cette disposition a été satisfaite dans la loi Valletoux (loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels), que nous avons adoptée en 2023.

Sur le fond, nous sommes favorables à ce que les universités adaptent leurs capacités d'accueil aux besoins de santé du territoire et non l'inverse. J'ai, avec mes collègues du groupe socialiste, déposé un amendement en ce sens. Néanmoins, ne nous faisons pas d'illusions : les universités ne pourront pas former plus d'étudiants, comme on le leur demandera, si leurs capacités d'accueil réelles ne le leur permettent pas, sauf à dégrader la qualité des enseignements.

Pour former davantage de professionnels de santé, il ne suffit pas de passer du numerus clausus au numerus apertus. Il faut surtout donner aux universités les moyens d'accroître leurs capacités de formation : des moyens financiers, certes, mais aussi humains, en particulier des enseignants, et ce dès le premier cycle.

En médecine générale, la pénurie d'enseignants est particulièrement critique. Ainsi, selon le syndicat MG France, en octobre 2024, on comptait un enseignant de médecine générale pour quatre-vingt-deux étudiants, contre environ un sur dix dans la plupart des autres spécialités. À Toulouse, dans le département dont je suis élue, on compte sept enseignants titulaires pour cinq cents internes de médecine générale. Comment peut-on imaginer former correctement les futurs médecins généralistes dans de telles conditions ?

Former plus de professionnels de santé nécessitera aussi d'augmenter le nombre de maîtres de stage universitaires. Les syndicats d'étudiants nous alertent depuis plusieurs mois sur le manque criant de maîtres de stage, même s'il y en a 14 000, pour encadrer les docteurs juniors pendant leur quatrième année d'internat.

Alors que cette quatrième année est largement attendue afin de remédier rapidement aux difficultés d'accès aux soins, le texte que nous examinons ne prévoit rien pour augmenter les effectifs de maîtres de stage et rendre ce statut plus attractif – même si des avancées ont été faites il y a quelques jours s'agissant de la reconnaissance de leurs besoins.

Le fait de permettre aux maisons de santé pluriprofessionnelles de bénéficier du statut de maître de stage nous paraissait intéressant. Cette mesure aurait pu constituer une avancée : elle aurait permis de favoriser l'exercice pluriprofessionnel et de déployer les docteurs juniors là où les besoins sont les plus pressants.

Enfin, il faudrait aller plus loin que le numerus apertus, en préparant aux études de santé dès le lycée. D'après la Cour des comptes, dans un rapport publié en 2025, 62 % des étudiants ayant intégré une filière de médecine, de maïeutique, d'odontologie ou de pharmacie ont eu recours à une préparation privée.

Pour reprendre les mots de la Cour, « l'inscription dans un établissement d'enseignement privé ne peut devenir une condition nécessaire » d'accès à ces filières. L'absence du secteur public est une atteinte au principe d'égalité des chances, ceux qui n'ont pas les moyens de recourir au privé et ceux qui les ont n'ayant pas les mêmes chances.

Pourtant des contre-modèles existent : en Occitanie, dix-sept établissements des académies de Toulouse et de Montpellier proposent déjà une option santé en classe de première et de terminale. Ces initiatives sont soutenues par les rectorats et ces enseignements sont fortement demandés.

En 2023, nous avions voté dans la loi Valletoux une expérimentation de ces options dans trois académies. Il faut s'appuyer sur ce modèle pour faciliter le passage du lycée vers les études de santé, non seulement les études de médecine, mais aussi les études pour devenir infirmière ou aide-soignante, afin de lutter contre l'autocensure et diversifier le recrutement dans les filières médicales. En effet, nous le savons bien, la diversification du recrutement est un levier essentiel pour améliorer l'accès aux soins.

L'article 2 prévoit de faciliter le retour des étudiants français actuellement inscrits en médecine dans un pays de l'Union européenne. J'ai rencontré, en Roumanie et en Espagne, certains de ces étudiants. Ils m'ont dit les difficultés, notamment administratives, auxquelles ils font face pour finir leurs études en France.

L'objectif de faciliter leur réintégration est donc pertinent. Toutefois, m'ont aussi été signalés des obstacles pour se connecter aux plateformes de préparation des épreuves dématérialisées nationales. Ainsi, plutôt que de critiquer la qualité de la formation, peut-être vaut-il mieux considérer que ce sont ces difficultés d'accès qui expliquent les faibles résultats à ces épreuves, soulignés par notre rapporteur. Il existe sans doute ici des solutions à trouver, notamment au niveau réglementaire.

Enfin, l'article 3 prévoit la création de passerelles universitaires. En effet, force est de constater que le dispositif actuel est peu efficace et faiblement attractif : en 2023, les professionnels paramédicaux ne représentaient qu'un quart des effectifs de ces passerelles, qui agrègent des profils variés.

Il y a donc nécessité d'agir pour améliorer ces dispositifs et faciliter la reprise d'études des professionnels paramédicaux, via un accompagnement renforcé. Il faudrait néanmoins que cet accompagnement se prolonge aussi sur le plan financier. En effet, comme le note le rapporteur de la commission des affaires sociales, les professionnels qui souhaitent se reconvertir font face à d'importants obstacles pécuniaires, qui peuvent les amener à renoncer à leur projet.

Nous ne pouvons donc que regretter que le cadre de cette proposition de loi ne permette pas d'aborder cet enjeu central. Comment les professionnels paramédicaux pourront-ils se financer pendant les six à huit années que durera leur reprise d'études ? Rien dans le texte ne le précise. Pourtant, c'est surtout sur ce point que se joueront l'avenir et l'efficacité de ce dispositif de passerelles.

Pour conclure, si le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrette la faible portée de cette proposition de loi, nous considérons que celle-ci comporte quelques mesures de bon sens, en particulier en ce qui concerne l'implication des élus territoriaux dans le pilotage des études de santé. Nous voterons donc pour son adoption, tout en étant vigilants sur les mesures budgétaires, en particulier pour l'université, qu'il faudra adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an et demi : c'est le temps qu'il aura fallu à cette proposition de loi pour que nous puissions l'examiner, après son adoption à l'Assemblée nationale. C'est trop long alors que, malheureusement, le texte est toujours et cruellement d'actualité.

En effet, l'accès aux soins est encore indiscutablement défaillant dans notre pays. Ainsi, 6,7 millions de Français n'ont pas de médecin traitant et une part importante du territoire est classée comme désert médical. C'est le fruit non pas du hasard, mais bien de mauvais choix en matière de politique de santé et d'une tentative de rattrapage trop tardive ne donnant pas encore de résultat.

En effet, instauré en 1971, le numerus clausus, destiné à réguler les dépenses de santé, a longtemps limité le nombre de médecins formés. Ce choix semblait, à l'époque, préférable à celui d'une réduction des niveaux de remboursement. Le numerus clausus n'a ensuite cessé de diminuer, le nombre de médecins formés passant de 9 000 au milieu des années 1970 à 4 000 durant les années 1990.

Or ces décisions ont été prises au mépris de prévisions qui mettaient déjà en évidence le vieillissement de la population, mais aussi celui des médecins en exercice. Ainsi, aujourd'hui, la moitié des médecins généralistes a plus de 60 ans. Cela est d'autant plus significatif qu'un médecin d'hier n'est pas un médecin d'aujourd'hui : il faut 2,3 nouveaux médecins pour compenser un départ, tant les attentes professionnelles ont changé.

Le numerus clausus a ensuite été régulièrement augmenté par les gouvernements successifs, avant d'être supprimé en 2019, remplacé par un numerus apertus. Cependant, cette réforme reste conditionnée aux capacités de formation, fixées par les facultés de médecine elles-mêmes, et ses effets ne se feront pas sentir avant 2030.

Face à cette réalité, la proposition de loi permet d'avancer sur trois pistes.

Tout d'abord, le texte instaure un véritable numerus apertus en fixant le nombre de places prioritairement en fonction des besoins du territoire, et non plus uniquement au regard des moyens disponibles. Le dispositif respecte d'ailleurs la place des élus locaux et leur parfaite connaissance de leur environnement, puisqu'est soumise à leur avis la définition des objectifs en termes de formation.

Bien sûr, dans la mise en œuvre, il faudra que les universités de médecine soient accompagnées, afin d'avoir les moyens d'augmenter leur nombre de places. Par ailleurs, des outils existent, comme les cours en visioconférence, qui peuvent être développés. Laissons aux universités la liberté d'innover en fonction de la réalité de leur situation.

En prévoyant d'augmenter le nombre de médecins formés, l'article 1er apporte donc une première réponse au problème de la pénurie, complément indispensable aux mesures de régulation à l'installation que nous avons adoptées il y a peu. En effet, pour répartir correctement les médecins sur le territoire, encore faut-il qu'ils soient suffisamment nombreux.

Le texte traite également d'un phénomène préoccupant : le départ d'étudiants vers d'autres pays européens pour contourner la sélection à l'entrée des études de médecine.

Aujourd'hui, ces étudiants peuvent réintégrer le cursus français lors du passage au troisième cycle, mais cette passerelle reste marginale, avec un taux de réussite très faible. Elle reflète un écart de niveau de formation que nous ne pouvons ignorer.

La proposition de loi tend donc à définir les conditions permettant de réintégrer le cursus français avant le troisième cycle. Il s'agit de limiter la fuite et d'assurer la qualité de la formation de ces étudiants. Afin d'éviter tout contournement, le dispositif ne sera pas applicable aux étudiants inscrits à l'étranger après l'entrée en vigueur de la loi.

Enfin, le texte améliore le dispositif des passerelles vers les études de médecine, notamment pour les étudiants des filières paramédicales. En effet, aujourd'hui, ces derniers ne représentent que 25 % des admissions par cette voie, alors qu'ils disposent déjà de solides acquis et compétences cliniques et constituent un vivier essentiel.

Cette proposition de loi n'a pas pour objet de tout régler. Cependant, elle porte sur trois problèmes précis et y apporte trois réponses concrètes, cohérentes et réalistes. Notre groupe Les Indépendants la votera donc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Bonneau applaudit également.)

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je salue le travail réalisé, en tant que rapporteur de ce texte, par notre ami et collègue Khalifé Khalifé, auquel je pense tout particulièrement.

Monsieur le ministre, votre proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation a ce point commun, que sont les territoires, avec la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires. Bien évidemment, cette approche territoriale nous parle, ici, au Sénat. Prendre en compte les besoins de santé territoriaux et augmenter le nombre d'étudiants recrutés sont des objectifs indiscutables, qu'il convient d'atteindre collectivement.

Faciliter la réintégration au cursus de formation français des étudiants partis suivre des études de médecine en Europe et développer les passerelles vers les études de médecine pour les professionnels paramédicaux en reconversion sont également des propositions pertinentes.

Même si la mission d'information de la commission des affaires sociales sur la formation n'a pas encore rendu ses conclusions, le rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé, publié au mois de décembre 2024 et qui a déclenché nos travaux, nous a tous interpellés.

Ce document met en exergue les défaillances de la réforme de l'accès aux études de médecine supprimant la première année commune aux études de santé (Paces) et le numerus clausus à partir de la rentrée universitaire 2020. Il y est également déploré le fait que la répartition géographique des places en médecine se révèle inégale entre régions et, plus encore, entre universités, sans qu'une logique de rattrapage de ces différences soit pleinement prise en compte.

Le rapport, toujours, constate que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) n'est pas assez armé pour remplir ses missions. En effet, la Cour note que, à la suite de la loi de 2019, le remplacement du numerus clausus par un nouveau système de concertation régionale et nationale, censé faire remonter les souhaits des territoires et les besoins et capacités de formation, est insatisfaisant.

Quant à la réforme Pass-LAS, reconnaissons que sa mise en œuvre a été entravée par plusieurs obstacles, notamment la crise sanitaire, un calendrier serré et la diversité des modèles adoptés par les universités. En effet, certaines de ces dernières ont fait le choix du « tout LAS », suscitant parfois l'incompréhension des étudiants et de leurs familles.

Bien que les critères de détermination des effectifs à former aient évolué, permettant une augmentation du nombre d'admis, cette hausse reste insuffisante pour répondre pleinement aux besoins en santé. Il est urgent de revenir sur la réforme.

Si la fin du numerus clausus a été une condition nécessaire pour mieux répondre aux besoins de santé, elle n'est évidemment pas suffisante – nous sommes un certain nombre à l'avoir dit. Quant à la mise en œuvre d'un numerus apertus sans augmentation ni des capacités d'accueil des facultés ni du nombre de lieux de stage, nous savions que les effets d'une telle réforme seraient limités. La suppression du numerus apertus est donc bienvenue.

Ainsi, si nous souscrivons aux dispositions contenues dans votre proposition de loi, monsieur le ministre, d'autres mesures doivent être envisagées très rapidement. Je mentionnerai celles au sujet desquelles vous avez déjà été interpellé.

Parmi les pistes d'évolution, nous pourrions vous proposer de revenir rapidement sur la réforme PASS-LAS en ce qui concerne la première année d'études de santé. Peut-être pourrait-on expérimenter parallèlement l'inscription directe en première année de pharmacie pour les étudiants qui souhaiteraient le faire sans passer par la première année en santé.

Permettre l'inscription directe des étudiants en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), sans passer par Parcoursup, est également une possibilité ; ce sujet avait été abordé lors de l'examen de la proposition de loi sur la profession d'infirmier.

Une autre option est de créer le statut de maître de stage universitaire pour les pharmaciens d'officine dans le cadre de la réforme du troisième cycle, attendue depuis longtemps.

Bref, les idées ne manquent pas. Nous en reparlerons dans quelque temps.

L'enjeu de la formation, concernant les médecins et les professionnels de santé, est essentiel. Nous n'améliorons pas l'accès aux soins sans eux.

Enfin, je tiens à vous saluer, monsieur le ministre, vous qui avez été à l'initiative de ce texte lorsque vous étiez sur les bancs du Palais Bourbon. Je loue votre engagement à défendre le système de santé. Vous connaissez les sujets de l'intérieur, et c'est bien cela qui explique vos propositions de mesures concrètes. Ce texte, je l'espère, sera de nature à panser les fractures territoriales d'accès aux études de santé, comme vous l'avez évoqué.

Pour ces raisons, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ce texte en souhaitant qu'il fasse l'objet d'une adoption conforme, en raison de la pertinence des mesures qu'il contient.

Si ces dernières ne peuvent résoudre l'ensemble des problèmes relatifs à la formation de plus de médecins et à l'amélioration de l'accès aux soins sur le territoire, elles apportent néanmoins des solutions concrètes et pragmatiques à la situation d'urgence que nous vivons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval.

M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines après l'adoption par le Sénat de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, nous voici à nouveau réunis, cette fois-ci pour l'examen d'un texte de notre ancien collègue député, devenu ministre, consacré à la formation des professionnels de santé.

Le sujet nous est familier : le rapporteur a cité la mission d'information conduite par la commission des affaires sociales, qui remettra prochainement ses conclusions. Celles-ci s'appuieront notamment sur l'éclairant rapport que la Cour des comptes a consacré, en décembre dernier, à l'accès aux études de santé.

Par ailleurs, les initiatives parlementaires n'ont pas manqué depuis la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, laquelle a rénové en profondeur l'accès aux études de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique.

On peut ainsi citer la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, ou encore la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels. Ces textes ont ouvert la voie à des avancées importantes en matière d'accès aux soins dans les territoires, pour tenir compte d'une démographie médicale insuffisante.

Les chiffres, nous les connaissons : 6 millions de personnes sont sans médecin traitant ; 87 % du territoire est classé comme désert médical ; un tiers des Français y vivent.

Plus grave encore est le phénomène de renoncement aux soins : 1,6 million de personnes seraient concernées dans notre pays, ce qui est une situation dont nous ne pouvons nous satisfaire.

La loi du 24 juillet 2019, traduction de l'ambition du plan Ma santé 2022, a permis de supprimer le numerus clausus, qui déterminait, depuis les années 1970, le nombre d'étudiants admis en deuxième année de premier cycle. Cette mesure, attendue de longue date, a permis d'accroître les capacités d'accueil des filières de médecine, de maïeutique, d'odontologie et de pharmacie.

Ainsi, depuis 2017, le nombre d'étudiants admis chaque année dans ces quatre filières de santé a augmenté de 11 %, notamment de 18 % en médecine. Ces chiffres doivent toutefois être pris pour ce qu'ils sont : une moyenne. Ils masquent, en effet, de grandes inégalités entre les territoires, les universités et les filières.

Le numerus apertus, qui s'est substitué au numerus clausus en 2019, permet aux universités de fixer elles-mêmes leurs capacités d'accueil en deuxième et en troisième année du premier cycle d'études. Ces capacités sont déterminées au regard d'objectifs nationaux pluriannuels établis par l'État et des objectifs d'admission propres à l'établissement, déterminés sur avis conforme des ARS.

Ce dispositif demeure cependant trop restrictif si l'on considère les besoins exprimés dans les territoires. Cette proposition de loi, que vous avez défendue en décembre 2023 à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vise donc à en amplifier la portée.

L'article 1er tend ainsi à adapter le numerus apertus en permettant aux ARS et aux conseils territoriaux de santé, c'est-à-dire, en partie, aux élus, d'appeler une université à accroître ses capacités d'accueil. Il prévoit ainsi la primauté des besoins de santé du territoire sur les capacités d'accueil des universités. Nous en saluons l'esprit, bien que cet article pose la question des possibilités effectives de formation des universités.

La même interrogation est soulevée à la lecture de l'article 2, qui crée une procédure d'intégration en faculté de médecine des étudiants français inscrits dans un autre pays européen. Ils le sont principalement en Roumanie, en Belgique et en Espagne. Cette mesure, heureusement temporaire et dont on mesure mal le nombre de personnes qu'elle concernera, devra être suffisamment cadrée. Elle ne peut représenter qu'une solution de court terme. Prenons garde aux conséquences que pourrait avoir cette disposition au regard du principe d'égalité de traitement avec les étudiants engagés dans un cursus universitaire en France.

Enfin, je souhaite dire quelques mots, monsieur le ministre, de la situation des étudiants en Martinique. Les travaux de la faculté de médecine ne sont toujours pas terminés : depuis trois ans déjà, les étudiants de deuxième et de troisième année de médecine sont contraints de poursuivre leur cursus en Guadeloupe, faute de locaux pour les accueillir. Il n'est pas certain que la faculté puisse ouvrir à la rentrée universitaire prochaine. Les conséquences financières sont, vous pouvez le deviner, lourdes pour ces étudiants.

Améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, c'est donc aussi répondre à des besoins très concrets. Dans mon territoire, la Martinique, cela passe par la livraison des infrastructures les plus élémentaires.

Notre groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants s'associe à la volonté de la commission de permettre l'entrée en vigueur rapide du texte et votera, en conséquence, sans chercher à la modifier, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fracture sanitaire qui frappe notre pays ne cesse de nous faire nous interroger sur notre capacité à garantir l'accès aux soins pour tous, principe pourtant fondateur de notre modèle social.

La proposition de loi que nous examinons s'inscrit dans une longue série d'initiatives parlementaires et gouvernementales. Toutes poursuivent le même objectif : répondre aux difficultés d'accès aux soins de millions de nos concitoyens.

Ce problème est profond. Il s'étend, se généralise et mine la confiance dans notre système de santé. Les chiffres sont connus : 30 % des Français vivent dans un désert médical et 6 millions d'entre eux n'ont pas de médecin traitant. Cette réalité, nous la connaissons tous, nous la vivons au quotidien. En Nouvelle-Aquitaine, le Lot-et-Garonne est le deuxième département le plus touché par les déserts médicaux. Ainsi, entre 2008 et 2024, le nombre de généralistes y a chuté de 293 à 208, dont 68 continuent d'exercer alors qu'ils ont atteint l'âge de la retraite.

C'est pourquoi ce texte va dans le bon sens. Qu'y est-il proposé ?

Tout d'abord, il s'agit de mieux articuler la formation des professionnels de santé avec les besoins exprimés localement. En effet, pendant trop longtemps, ces formations ont été définies selon les seules contraintes universitaires, sans lien réel avec les besoins démographiques et sanitaires des territoires.

Sur ce point, l'ambition est claire : réintroduire du dialogue entre universités et territoires, renforcer le rôle des conseils territoriaux de santé et inciter les facultés à ouvrir davantage de places là où les besoins sont les plus criants.

Ensuite, nous nous réjouissons de la volonté de faciliter le retour en France des étudiants partis se former à la médecine dans un autre pays européen. Le nombre de ces départs est loin d'être anecdotique : ainsi, chaque année, 1 600 jeunes Français quittent notre pays pour étudier en Espagne, en Roumanie, en Belgique ou ailleurs. En cause : une forte sélectivité de l'accès au premier cycle des études de médecine.

Certes, le retour de ces étudiants est déjà possible, mais il est difficile et tardif. Seuls 8 % des étudiants formés à l'étranger réussissent à intégrer le troisième cycle de médecine. Permettre une réintégration précoce, avant l'internat, pour faciliter l'ancrage dans le système de formation français est donc une mesure pragmatique.

Nous saluons également la volonté de développer les passerelles pour les professionnels paramédicaux qui souhaitent reprendre des études de médecine. Ce dispositif existe, mais reste peu utilisé. Là encore, il s'agit d'une démarche pragmatique, que nous soutenons pleinement.

Mes chers collègues, notre soutien à ce texte ne doit toutefois pas nous empêcher d'exprimer deux menues réserves.

La première tient à la volonté d'une adoption conforme, justifiée par la nécessité d'une entrée en vigueur rapide. Je précise qu'elle aurait lieu, tout de même, un an et demi après l'adoption du texte par l'Assemblée nationale !

Nous regrettons ce choix, d'autant plus que notre groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a déposé un amendement qui, ne remettant nullement en cause l'économie générale du texte, permettrait de compléter son dispositif.

Il est inspiré d'une proposition de loi transpartisane adoptée par l'Assemblée nationale, sur l'initiative de Guillaume Garot. Celle-ci tend à obliger les unités de formation et de recherche de médecine à offrir, dans chaque département et en particulier dans les zones sous-dotées, des formations équivalentes à la première année d'études de santé. Créer des antennes universitaires dans les territoires en tension, c'est encourager les jeunes à s'installer dans ces derniers.

Notre second regret est plus général. Il tient à l'accumulation de textes, tous issus de bonnes intentions mais dont les effets restent limités. Depuis plusieurs années, nous légiférons régulièrement pour lutter contre les déserts médicaux. Pourtant, sur le terrain, les tensions persistent, les difficultés s'aggravent, et les inégalités d'accès aux soins se creusent.

Monsieur le ministre, nos concitoyens réclament une réforme d'ampleur, structurelle et ambitieuse. Toujours est-il que nous nous réjouissons de l'examen de ce texte. Notre groupe le votera à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à saluer le travail accompli par Yannick Neuder, qui est à la fois l'auteur du texte, le rapporteur en première lecture à l'Assemblée nationale et, désormais, le ministre chargé de ce sujet, ainsi que celui de notre rapporteur, Khalifé Khalifé, dont l'analyse éclaire utilement nos débats.

La proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation s'inscrit pleinement dans la continuité des combats que nous menons depuis longtemps pour garantir l'égalité d'accès aux soins, assurer la solidarité territoriale et renforcer la cohérence de notre politique de formation en santé.

Nous faisons face à une fracture sanitaire majeure. Partout, les déserts médicaux s'étendent. La pénurie de généralistes, de spécialistes, de dentistes, de kinésithérapeutes, de pharmaciens, d'infirmiers ou encore de sages-femmes mine le droit fondamental à la santé, fragilise nos services publics, décourage l'installation et affaiblit la cohésion nationale.

La réforme de 2019, qui a marqué la fin du numerus clausus, a fait naître de grands espoirs. Cependant, le numerus apertus, qui lui a succédé, ne tient pas ses promesses – il faut bien le reconnaître. Sa gouvernance reste déconnectée des réalités des territoires, dont les besoins ne sont pas homogènes. Le dispositif ne permet pas de rétablir l'équilibre entre le besoin de temps médical d'une population vieillissante et l'offre que propose une jeune génération de soignants, dont le mode de vie n'est pas celui de la précédente.

En zone rurale, plus particulièrement, on en paie chaque jour le prix : patients en errance, fermetures de cabinets, transports médicaux au temps de trajet interminable et plus coûteux, diminution de l'attractivité et de l'activité économique et, surtout, pertes de chances avérées.

C'est dans ce contexte que cette proposition de loi intervient, avec pour objet de réorienter l'offre de formation en santé vers une logique profondément territoriale, moins comptable, moins descendante et plus efficiente.

Deux leviers sont au cœur du texte : augmenter les capacités de formation et adapter leur répartition aux besoins des territoires. Enfin !

Face à une demande vitale qui se fait chaque jour plus pressante, ne cherchons plus les responsabilités, n'affichons pas la contrainte comme seule solution, alors qu'elle ne règle rien. Au contraire, desserrons, enfin, le collet de la formation, ce carcan devenu incompréhensible. Actionnons vraiment le levier d'une formation anticipée et bien calibrée.

L'article 1er autorise les ARS et les conseils territoriaux de santé à demander une hausse des capacités de recrutement quand les objectifs pluriannuels ne sont pas atteints. Il impose que ces derniers garantissent une répartition optimale des professionnels sur le territoire, sous réserve d'un avis conforme des CTS.

C'est une rupture : on sort enfin d'une gestion purement technocratique. Les élus locaux, les professionnels, les acteurs de terrain entrent dans la boucle. Ce sont eux qui pointeront les tensions, les manques et les urgences. Il y a là une forme de démocratie sanitaire territoriale, que nous soutenons avec conviction.

À ce stade, je souligne qu'une meilleure répartition territoriale passe par le recrutement des étudiants en santé, y compris dans les territoires les plus ruraux, où ils retourneront d'autant plus volontiers qu'ils en seront originaires. Voilà ce qu'est la territorialisation de la formation.

Je sais, monsieur le ministre, que vous faites la même analyse et que le brillant exemple du campus connecté de Nevers, qui a permis à de nouvelles cohortes d'étudiants ruraux d'entamer leur cursus, a été remarqué. Ce dispositif doit être répliqué et généralisé. Surtout, je profite de l'occasion pour préciser qu'un tel campus doit voir ses crédits pérennisés – j'y insiste !

Nos tristement célèbres déserts médicaux sont sans nul doute, comme nous pouvons le constater avec le recul, des déserts de formation.

Ainsi, le dispositif de cette proposition de loi est structurant. Il encourage les universités à avoir une dynamique pérenne, à adapter les pédagogies, les stages et les internats et à nouer des partenariats en dehors des grands pôles urbains. Il reste à s'assurer que les moyens humains seront à la hauteur de cette ambition. Je crains que, au contraire, les effectifs des professeurs de médecine et des encadrants de formation n'aillent décroissant. Il faut renforcer l'attractivité de ces postes : c'est une condition essentielle du succès de la démarche.

Cette proposition de loi est bien à la croisée des missions de deux ministères, ceux de la santé et de l'enseignement supérieur, sur un sujet essentiel : celui des étudiants en santé partis se former à l'étranger.

Ainsi, chaque année, environ 1 600 étudiants français franchissent les frontières et se rendent en Espagne, en Roumanie ou en Belgique, faute de places pour eux en France. Mais très peu d'entre eux parviennent à réintégrer le système français. Les barrières sont nombreuses : équivalences floues, diplômes mal reconnus, ou encore parcours non harmonisés.

Certains États saisissent cette opportunité de leur faire des offres intéressantes, car les soignants ne manquent pas qu'en France. Et c'est ainsi que, partis de notre pays, ayant étudié en Roumanie, d'aucuns finissent par s'installer en Allemagne, où on leur tend les bras.

Le texte tend à simplifier leur retour, soit au cours de leur formation, soit après leur diplôme. Ces étudiants sont souvent motivés, parfois déjà en exercice et, pour certains, ont de fortes attaches territoriales. Si nous avons la volonté de les y encourager, ils pourront rapidement renforcer l'offre de soins. Leur orientation vers des territoires sous-dotés pourra faire l'objet d'une forme de négociation, à mener aussi rapidement que possible. Une fois de plus, je dis : enfin !

Au travers de ce texte, nous ouvrons aussi les portes à d'autres profils.

Soignants de toutes filières ou personnes en reconversion : tous doivent pouvoir accéder aux études de santé grâce à la valorisation de leur expérience. Cet assouplissement bienvenu permettra d'intégrer de nouveaux profils sociaux et géographiques.

Mais une telle ambition exige, bien évidemment, des moyens concrets.

Territorialiser, cela veut dire adapter les contenus pédagogiques aux spécificités locales : médecine rurale, télémédecine, ou encore santé communautaire.

Cela veut dire créer des pôles de recherche sur la santé locale, favoriser le travail pluridisciplinaire et renforcer les partenariats entre filières.

Cela veut dire, encore, susciter des vocations, les soutenir et les encourager, partout en France et pas seulement dans les villes universitaires.

Cela suppose, dernièrement, une évaluation rigoureuse, basée sur des indicateurs précis et utiles. Il s'agit de connaître enfin le pourcentage d'étudiants en santé issus de zones rurales ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE), le taux de réintégration d'étudiants français formés à l'étranger, ou encore la proportion d'installations post-stage en zones sous-dotées. Une évaluation quinquennale permettrait d'ajuster les quotas et d'améliorer l'efficacité du dispositif.

Mes chers collègues, ce texte est clair, courageux et nécessaire. Il trace un lien essentiel entre vocation, formation, orientation, répartition et installation. Le groupe Union Centriste le votera avec détermination, mais aussi avec exigence. La territorialisation doit se traduire par des moyens différenciés, une gouvernance partagée et une évaluation continue.

Ce texte donne un cap : celui de soutenir et encourager les parcours professionnels en santé et de favoriser leur aboutissement, au bénéfice de tous les patients du territoire national.

Ce texte tend à remédier à des déficits désormais chroniques, incontestables et insupportables. Il le fait en activant le seul levier réellement efficace : celui de la formation. Ce travail devra être mené avec tous, étudiants et formateurs, dans l'écoute et le soutien réciproque et dans le respect des limites et des besoins de chacun des acteurs de ce chantier devenu vital.

Ce texte pourra, si nous le votons collectivement aujourd'hui, apporter de premières perspectives à court terme. En effet, plus personne – ni nous, ni vous, ni Bercy – ne peut plus décemment demander aux patients, une fois de plus, d'attendre encore dix ans. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Laurent Burgoa et Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Patricia Demas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte maintes fois évoqué dans cet hémicycle de l'évolution incontournable de notre système de santé, la mise en place d'un numerus apertus territorialisé illustre parfaitement notre rôle de dirigeants politiques.

Les Français nous délèguent la responsabilité de dessiner le futur de leur bien-être commun. Les dispositions de la réforme des études de médecine, au même titre que la proposition de loi de Philippe Mouiller et les objectifs du pacte gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux, montrent qu'il est possible de corriger le tir.

Je salue votre volonté, monsieur le ministre, celle du Gouvernement, ainsi que l'implication du Sénat.

En 2024, pour la première fois, le nombre d'étudiants en médecine formés en France a cessé de baisser. Néanmoins, une décennie sera encore nécessaire pour rééquilibrer le système.

Pour maintenir le cap, les universités devront accueillir plus d'étudiants. J'insiste sur la nécessité d'accorder une large autonomie aux unités de formation et de recherche (UFR) et aux centres hospitaliers dans la gestion de leurs ressources existantes.

L'intitulé du présent texte comporte le terme de « territorialisation ». L'intégration des spécificités locales dans la détermination du mode de calcul du nombre de médecins à former selon les territoires – et, au-delà, de l'ensemble des professionnels de santé – constitue un sujet majeur.

Actuellement, ce calcul se base sur le nombre de professionnels de santé inscrits aux ordres, sans véritablement prendre en compte les réalités locales.

Les statistiques et les répartitions se font à l'échelle de la commune, ce qui, pour des villes d'importance, laisse de côté les disparités infracommunales et peut se révéler contre-productif.

Plus que la territorialisation, le calibrage des zones de maillage des territoires pose question. Nous devons agir sur le nombre de professionnels formés, notamment les internes, et le type de formation.

Le bon sens nous oblige à reconnaître qu'il est pertinent d'augmenter le nombre de médecins formés là où le taux de médicalisation est élevé. Pour autant, anticiper l'exercice avec un maximum de réalisme invite à une évolution de la méthode d'estimation des besoins, en intégrant plusieurs indicateurs, comme l'âge moyen des médecins en exercice, les perspectives de départ en retraite, ou leur type d'activité.

Il serait également souhaitable d'évaluer les conséquences du manque d'internes formés sur le fonctionnement des hôpitaux. À cet égard, j'attire votre bienveillante attention, monsieur le ministre, sur le cas particulier de la ville de Nice. Alors qu'elle est la cinquième ville de France, elle se trouve à la vingt-sixième position en ce qui concerne le nombre d'internes formés.

L'évaluation des besoins, on le comprend bien, pose problème. D'une part, on observe un phénomène de concentration des internes dans certains hôpitaux ; d'autre part, trop peu de spécialistes sont formés sur place, ce qui oblige à recourir à du personnel faisant fonction d'interne ou à des consultations transfrontalières plus coûteuses.

Enfin, nous devons veiller à ce que les étudiants ayant suivi une formation médicale hors de l'Union européenne respectent les standards de connaissances et de compétences nécessaires pour exercer en France. Une évaluation rigoureuse est attendue, surtout au moment où de nombreux étudiants se tournent vers l'étranger.

J'ai l'intime conviction que la territorialisation de notre système de santé doit être synonyme de décentralisation et s'appuyer à la fois sur l'expertise des élus locaux et la connaissance des acteurs de santé.

Monsieur le ministre, ce n'est qu'en reconnaissant cette autonomie locale que votre proposition de loi pourra déployer sa pleine et entière efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Sol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, déposée à l'Assemblée nationale en octobre 2023 par le député Yannick Neuder, qui est depuis devenu ministre, va dans le bon sens.

En effet, comme l'a rappelé le rapporteur, et je l'en remercie, ce texte répond en partie aux besoins de santé de nos territoires et vise à augmenter le nombre des étudiants dans les filières MMOP.

Compte tenu de la situation hétérogène et inédite à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés en matière d'accessibilité aux soins, la commission des affaires sociales de notre Haute Assemblée a adopté ce dispositif législatif sans modification.

Nous le savons, nos concitoyens attendent des réponses rapides à leurs préoccupations concernant l'accès aux soins. Aujourd'hui, un trop grand nombre d'entre eux ne bénéficient toujours pas d'une prise en charge convenable – 6,7 millions de Français, soit 11 % de la population, n'ont pas de médecin traitant –, ce qui représente chaque jour des pertes de chances et crée un climat anxiogène et délétère.

Premièrement, cette proposition de loi va améliorer la prise en compte des besoins de nos concitoyens, en permettant notamment aux agences régionales de santé et aux conseils territoriaux de santé de demander aux universités d'accroître leurs capacités d'accueil, si ces dernières s'écartent des objectifs pluriannuels.

Comme les besoins de chaque territoire sont différents, ce texte précise que les objectifs pluriannuels visent à garantir une répartition équitable et optimale des futurs professionnels de santé sur tout le territoire, avec un avis conforme des CTS. Cela devrait favoriser une plus grande implication des élus locaux, qui sont fortement sollicités.

Deuxièmement, le texte prévoit d'augmenter le nombre d'étudiants en filière MMOP en favorisant notamment le retour de ceux qui sont partis étudier dans d'autres pays d'Europe. Selon la Cour des comptes, 1 600 étudiants sont concernés chaque année : c'est assez significatif, vu le contexte de pénurie de professionnels de santé.

Cette situation devrait nous interroger davantage et nous inciter, éventuellement, à être plus offensifs sur le sujet.

Enfin, il est aussi question, au travers du même objectif d'adaptation du numerus apertus, de développer les passerelles vers les études de médecine pour les professionnels paramédicaux en reconversion et de favoriser la diversité des parcours.

C'est une mesure de bon sens, car trop d'obstacles existent à la reprise d'études, ce qui décourage un certain nombre d'étudiants pourtant motivés.

J'avais appelé de mes vœux une meilleure reconnaissance des Padhue. Aussi, je salue les avancées notables qui sont intervenues en ce domaine, grâce à la publication de deux décrets.

En 2024, 4 000 postes ont été ouverts dans notre pays pour les médecins détenteurs d'un diplôme étranger. Les nouvelles modalités d'accès semblent ainsi davantage clarifiées et simplifiées.

Je profite de mon temps de parole pour évoquer certains sujets fondamentaux.

La territorialisation de la formation et de la recherche, soit l'universitarisation territoriale, doit être prise à bras-le-corps, en l'expérimentant dans les départements volontaires, avant sa généralisation.

Dans le département dont je suis élu, les Pyrénées-Orientales, ce processus est sur le point d'arriver à maturité, sous l'impulsion du centre hospitalier de Perpignan et des équipes soignantes. Nous avons également pu compter sur l'appui de la doyenne de la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes et de l'ARS d'Occitanie.

Cette démarche semble être une voie d'avenir puisqu'elle attire les étudiants dans les départements sous-dotés, grâce à l'encadrement de spécialistes détachés par les CHU. Les étudiants peuvent ainsi prendre connaissance des atouts de ces territoires, qui paraissent plus attractifs.

Il est bien question de renforcer l'attractivité des territoires, mais aussi d'assurer une répartition harmonieuse des médecins sur ces derniers et de garantir l'égal accès aux soins.

Certains sujets semblent cependant en suspens, comme la diminution de la charge administrative pesant sur nos équipes médicales et paramédicales, l'éternel serpent de mer que constitue le dossier médical partagé (DMP), lequel devrait être utilisé depuis longtemps, ou encore la proposition de la Cour des comptes de supprimer le Pass-LAS pour revenir à une voie unique de formation.

Nous devrions profiter de l'opportunité que représente la discussion de ce texte pour nous interroger sur les milliers de praticiens partis exercer à l'étranger.

J'espère, monsieur le ministre, mes chers collègues, que tous ces éléments feront l'objet de propositions législatives ou réglementaires. (M. le ministre opine.) En attendant, cette proposition de loi apportera sa pierre à l'édifice ; nous la voterons donc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation

Chapitre Ier

Améliorer l'accueil et la formation des étudiants en santé par la transparence et la territorialisation des besoins

Article 1er

(Non modifié)

Le deuxième alinéa du I de l'article L. 631-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° (Supprimé)

1° bis La deuxième phrase est complétée par les mots : « afin de garantir la répartition optimale des futurs professionnels de santé sur le territoire au regard des besoins de santé » ;

2° La troisième phrase est ainsi modifiée :

a) Les mots : « capacités de formation et des besoins de santé du territoire » sont remplacés par les mots : « besoins de santé du territoire puis, à titre subsidiaire, des capacités de formation » ;

b) Après le mot : « conforme », sont insérés les mots : « des conseils territoriaux de santé concernés et » ;

3° Après la même troisième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les besoins de santé du territoire mentionnés à la troisième phrase sont déterminés notamment au regard des départs en retraite récents et des estimations des départs en retraite à venir des médecins exerçant sur ledit territoire. » ;

3° bis À la dernière phrase, après le mot : « territoriales », sont insérés les mots : « et sociales » ;

4° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Si l'agence régionale de santé ou les agences régionales de santé concernées et les conseils territoriaux de santé concernés considèrent que les capacités d'accueil des formations en deuxième et troisième années du premier cycle d'une université ne correspondent pas aux objectifs pluriannuels arrêtés par l'université, cette dernière peut être appelée à mettre en œuvre des mesures visant à accroître ses capacités d'accueil. Les modalités d'accroissement de ces capacités et d'information des conseils territoriaux de santé concernés et de l'agence régionale de santé ou des agences régionales de santé concernées relative aux mesures prises ou envisagées, notamment en matière de moyens financiers et humains dégagés notamment par l'État, sont précisées par décret. »

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Après l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l'article L. 123-6 du code de l'éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En lien avec le ministre chargé de la santé, il promeut les études de médecine dans les lycées publics et privés sous contrat dans les zones mentionnées à l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Cet amendement vise à promouvoir les études de médecine dans les lycées publics et privés situés dans les déserts médicaux. De toute évidence, il est nécessaire de favoriser l'appétence des étudiants pour ce genre de formation dans les territoires sous-dotés en médecins. Selon nous, il y a là un enjeu de démocratisation des études de santé.

Une étude réalisée en 2021 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre que les facteurs personnels pèsent fortement dans les choix d'installation des médecins. Leur prise en compte est donc déterminante pour remédier aux difficultés d'accès aux soins dans les déserts médicaux.

De manière constante, l'ensemble des travaux de recherche révèlent que l'origine rurale d'un médecin est le facteur essentiel qui conduira à son installation en zone rurale.

Nous parviendrons à démocratiser les études de médecine en assurant leur promotion dans les territoires ruraux, dès le lycée.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendent, qui nous permettra de lutter contre le phénomène d'autocensure d'un certain nombre de jeunes issus des territoires ruraux, mais aussi des villes moyennes ou des milieux populaires, qui considèrent que les études de médecine leur sont culturellement interdites.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. La proposition de Mme Brulin est intéressante. Nous avons tout intérêt, aujourd'hui, à promouvoir les études de médecine dans l'ensemble des lycées, qu'ils soient situés en zone rurale ou urbaine, car l'attractivité demeure la question principale.

Nous constatons des difficultés à susciter l'intérêt des étudiants pour l'ensemble des filières de santé et pas seulement pour la médecine.

Toutefois, ma chère collègue, la mesure que vous proposez d'inscrire dans le texte relève de l'action du Gouvernement et ne nécessite pas une disposition législative. Néanmoins, votre amendement a le mérite de souligner l'importance du travail à accomplir en ce domaine.

La commission émet un avis défavorable, car elle souhaite que ce texte soit voté conforme. Cependant, nous vous remercions d'avoir évoqué ce sujet. Nous comptons sur le Gouvernement pour assurer la promotion des études de médecine dans une grande majorité des lycées.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je souscris pleinement à l'objectif de votre amendement, madame la sénatrice. Vous le savez, l'orientation est une compétence qui est confiée aux régions. Or nombre d'entre elles, en raison de leur engagement sur ces questions, mettent déjà en œuvre, notamment via leurs agences d'orientation, des dispositifs de sensibilisation aux études de santé dans de nombreux lycées, qui relèvent de leur compétence.

Je partage également votre souci de favoriser l'égalité sociale des chances. Vu les statistiques de la Drees, j'aurais dû faire partie des 3 % d'étudiants qui s'autocensurent ! (Mme Céline Brulin sourit.)

Cependant, pour les mêmes raisons que celles évoquées par le rapporteur, le Gouvernement vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. J'ai du mal à comprendre pourquoi notre amendement n° 7 sera examiné ultérieurement, alors qu'il va exactement dans le même sens que celui de Mme Brulin.

Je l'ai rappelé lors de la discussion générale, l'expérimentation qui a été mise en place grâce à la région Occitanie dans dix-sept lycées – soit huit dans l'ex-région Midi-Pyrénées et neuf à Montpellier – prouve qu'il existe, chaque année, une très forte demande des élèves de première et de terminale pour les filières de santé. Celles-ci permettent d'envisager des études de pharmacie et de médecine, mais aussi de devenir infirmier ou aide-soignant.

Cela tombe bien, car nous savons que le besoin en infirmiers et en aides-soignants est aussi criant que le besoin en médecins, compte tenu de l'augmentation des pathologies chroniques et du vieillissement de la population.

Je comprends la volonté de voter un texte conforme, mais le groupe socialiste insiste sur la nécessité d'orienter les jeunes vers les métiers de la santé avant la procédure de Parcoursup, surtout quand on connaît l'épreuve que celle-ci peut représenter.

De même, veillons à ce que la première année de médecine ne soit pas essentiellement « alimentée » par des étudiants venant des super-prépas de boîtes privées. En termes de réussite, dans le cadre du dispositif Pass-LAS, cette situation conduit à des inégalités criantes. D'où la nécessité d'inciter et d'aider les régions à mettre en place une formation équivalente à la première année d'études de santé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j'entends vos arguments. Toutefois, j'appelle votre attention, comme plusieurs intervenants l'ont fait, sur les besoins de rattrapage dans certaines régions.

Nous déplorons non seulement un nombre insuffisant de professionnels de santé formés, mais aussi l'existence de très grandes inégalités entre les régions. À cet égard, on peut saluer les initiatives qui ont été prises par ces dernières.

Je ne méconnais pas la compétence des régions en matière d'orientation, mais l'État doit aussi jouer son rôle d'aménageur du territoire et de correcteur des inégalités sociales et territoriales.

J'ai bien conscience que ces évolutions ne relèvent pas de votre seule responsabilité, monsieur le ministre. Comme nous parlons de la sensibilisation des élèves dans les lycées, le ministère de l'éducation nationale doit aussi être impliqué.

J'aimerais que vous preniez l'engagement de soutenir un effort national, qui doit être conjoint entre le ministère de la santé et le ministère de l'éducation nationale, afin de corriger des inégalités à la fois sociales et territoriales. Cette évolution est absolument fondamentale, vu la situation actuelle.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Madame Brulin, j'ignore le niveau d'engagement que vous attendez de ma part,…

Mme Céline Brulin. Un engagement total !

M. Yannick Neuder, ministre. …mais je partage vos attentes. Je peux déjà vous assurer que nous travaillons sur ce sujet : en témoigne le plan du Gouvernement relatif à la santé mentale, que la ministre de l'éducation nationale, Élisabeth Borne, et moi-même avons notamment présenté lors des assises de la santé scolaire.

Nous partageons le constat que de nombreux postes de médecins et d'infirmiers scolaires ne sont pas pourvus, alors que ces professionnels s'occupent justement de la santé des élèves des premier et second degré. Le ministère de l'éducation nationale veut conforter la médecine scolaire.

Parallèlement, nous souhaitons renforcer l'attractivité des filières de santé, afin de soulager ces métiers qui sont en tension, notamment dans le cadre scolaire. Ainsi, nous pourrons mettre en œuvre cette phase essentielle du plan relatif à la santé mentale, qui est le repérage, pour orienter les enfants, les adolescents et les étudiants détectés vers les filières de soins.

L'ensemble de ces engagements pourront être concrétisés dans le cadre du prochain budget. En attendant, nous devons nous doter des outils législatifs qui permettront de changer de paradigme et de bien définir nos besoins, en fonction des territoires.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Jouve, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Daubet, Fialaire, Gold, Grosvalet, Guiol, Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 632-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « de manière à garantir un accès de proximité sur l'ensemble du territoire national » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les unités de formation et de recherche en santé proposent dans chaque département des enseignements correspondant au moins à la première année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, en particulier dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins définies au 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Cet amendement vise à offrir dans chaque département, en particulier dans les zones sous-dotées en médecins, des formations équivalentes à la première année des études de médecine.

Toutes les études le démontrent : il existe une forte corrélation entre le lieu de formation initiale et le lieu d'exercice des médecins. Dès lors, créer des antennes universitaires en médecine dans les territoires en tension, c'est offrir aux jeunes la possibilité d'étudier près de chez eux.

C'est aussi lutter contre l'autocensure de ceux qui, faute de moyens ou d'accompagnement, n'osent pas s'engager dans des études longues et exigeantes.

Il s'agit, au fond, d'apporter une réponse structurelle concrète à la désertification médicale. Cette mesure contribuerait à rétablir une forme d'équité, celle qui permet à chaque jeune, où qu'il vive, d'avoir les mêmes perspectives d'avenir et à chaque territoire de retrouver l'espérance d'un égal accès aux soins.

Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 632-1 du code de l'éducation est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « de manière à garantir un accès de proximité sur l'ensemble du territoire national » ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les unités de formation et de recherche en santé proposent dans chaque département des enseignements correspondant au moins à la première année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, en particulier dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins au sens du 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. »

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Dans le même esprit que l'amendement précédent, notre amendement vise à intégrer davantage les territoires dans l'organisation des études médicales.

Il conviendrait de permettre à chaque département ou à chaque ville moyenne qui possède déjà une structure universitaire antenne de l'université métropolitaine, d'accueillir des étudiants en première année de Pass-LAS. Je ne reviendrai pas sur l'étude de la Drees qui établit le lien entre l'origine rurale du médecin et son installation future.

Dans mon territoire, nous avons plaidé pour l'ouverture d'une première année de Pass-LAS à Albi ou à Foix, deux communes qui possèdent déjà une antenne universitaire et des installations de qualité. Le doyen de l'UFR santé a donné son accord, mais nous nous heurtons toujours au refus de la présidente de l'université Toulouse-III-Paul Sabatier, laquelle dit attendre la réforme des études Pass-LAS.

Je m'étonne de son refus, sachant que le Premier ministre lui-même, dans son discours sur la territorialisation de la santé, appelait à la mise en place d'une première année de médecine à l'échelon local, au plus près des territoires. Tous les étudiants pourraient ainsi être accueillis, quelle que soit leur situation.

En outre, nous mettrions fin à l'autocensure et aux difficultés rencontrées par certains jeunes pour rejoindre, dès l'âge de 18 ans, la métropole la plus proche, depuis leur territoire rural.

Voilà pourquoi il me semble indispensable de voter cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Ces amendements soulèvent deux sujets, à commencer par la question du vote conforme.

Lorsque nous examinons un texte, nous avons tous la volonté de défendre des idées, ce qui est bien normal. Nous connaissons le contexte dans lequel l'Assemblée nationale et le Sénat délibèrent : en l'occurrence, nous avons l'occasion d'accélérer la discussion, ce que nous souhaitons tous, comme les orateurs l'ont dit à la tribune. Le vote d'un amendement entraînerait une deuxième lecture, sans que nous sachions où cela pourrait nous mener. C'est simplement une question de forme, et nous regrettons cette situation.

Sur le fond, je suis plutôt favorable à la mesure que vous proposez, mes chers collègues, le département dont je suis élu étant également confronté à ces problèmes. Je vous invite à lire le rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé. Celui-ci révèle que la qualité des formations dispensées dans les antennes départementales est très disparate.

Votre idée n'est pas mauvaise, mais sa mise en œuvre est complexe, notamment lorsqu'une université n'y est pas favorable. Reste que ce sujet mérite d'être traité.

Assurer la proximité des structures d'enseignement au plus proche de nos concitoyens est une bonne chose, car cela permet aux jeunes d'accéder plus facilement aux études de médecine.

En revanche, l'impact d'une telle mesure sur l'installation des médecins est discutable. En effet, un étudiant formé près de chez lui les deux premières années, mais qui poursuit ses études ailleurs pendant sept ou huit ans, ne reviendra pas nécessairement s'installer sur son territoire d'origine.

La commission des affaires sociales s'engage à travailler sur cette question, ainsi que sur un autre sujet important, celui de la régionalisation de l'internat. La probabilité qu'un étudiant en médecine s'installe dans sa région lorsqu'il y termine son cursus universitaire est extrêmement forte, même si rien ne le garantit.

Nous verrons comment nous pouvons faire évoluer les choses, en nous appuyant notamment sur le rapport précité de la Cour des comptes.

En attendant, la commission émet un avis défavorable, car nous devons voter ce texte en des termes conformes. Il n'empêche que nous soutenons ces amendements sur le fond, et que, je le redis, nous continuerons à travailler sur ces deux sujets : la première année et la régionalisation de l'internat.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Nous approuvons la mesure qui est proposée, laquelle figurait d'ailleurs dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux présenté par le Premier ministre. Elle permettrait de doter un maximum de départements d'unités de proximité dans les villes de taille moyenne, lorsqu'une antenne universitaire existe déjà.

Or, dans certains endroits, aucune antenne n'existe, si bien que les cours peuvent être entièrement dispensés par visioconférence. Il faut donc veiller à ne pas opposer les sujets.

Du reste, je remercie les sénateurs de comprendre pourquoi il est nécessaire de voter ce texte en des termes conformes, comme M. Jomier l'avait demandé lors de l'examen de sa proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

En tant que ministre, j'aurais souhaité que le Parlement précise sur un nombre de points, mais, dans le même temps, il était nécessaire de renforcer l'attractivité de l'hôpital pour les soignants et la qualité du service dispensé, en agissant sur les ratios de médecins par patient.

Je sais que le sujet que nous évoquons présentement vous tient à cœur, madame Poumirol, ainsi qu'au sénateur Jomier. Sachez que j'ai saisi la Haute Autorité de santé afin de définir les priorités pour les professionnels de santé et les secteurs d'activité.

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne révélerai aucun secret en vous disant que nous devons poursuivre notre travail en faveur de la psychiatrie, des soins palliatifs et de la gériatrie.

S'agissant des professions, nous les avions ciblées ensemble lors de nos débats, mais nous n'avions pas amendé le texte pour ne pas ralentir le processus : il s'agit des aides-soignants et des infirmiers.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir permis au texte de notre collègue Jomier d'avancer ; nous ne pouvons que nous en réjouir !

Je ne suis pas sûre que le constat dressé par la Cour des comptes soit tout à fait exact, monsieur le rapporteur. Les résultats sont assez disparates selon les universités. À Nevers, les résultats sont prometteurs, ce qui n'est peut-être pas le cas du Morbihan – je ne saurais d'ailleurs expliquer pourquoi. Bref, le bilan n'est pas tout à fait négatif.

J'ai suggéré d'installer les formations dans des villes qui disposent déjà d'une infrastructure universitaire. Il serait possible de mettre en place des cours en visioconférence. Pour en avoir discuté avec le doyen de la faculté de médecine de Toulouse, je peux vous assurer que, dès la première année, les amphithéâtres sont vides, car tous les étudiants suivent les cours en visioconférence !

Que l'on soit à Foix, à Albi ou à Toulouse, les conditions d'enseignement y sont quasiment identiques. La seule différence est que, à Toulouse, les étudiants peuvent se rendre dans des centres d'entraînement privés, lesquels les poussent à bachoter pour préparer leurs épreuves, ce qui les conduit à avoir de meilleurs résultats.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset, pour explication de vote.

M. Michel Masset. Je retire mon amendement, compte tenu des arguments qui ont été avancés par le rapporteur et le ministre. Je leur fais confiance et espère être associé prochainement aux travaux qui ont été annoncés.

Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.

Madame Poumirol, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?

Mme Émilienne Poumirol. Non, je le retire, madame la présidente. Je fais moi aussi confiance au rapporteur et au ministre. Encore une fois, ce sujet mérite d'être approfondi, mais je suis certaine que nous aurons l'occasion d'en rediscuter longuement en commission.

Mme la présidente. L'amendement n° 9 est retiré.

L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant la possibilité de créer une année préparatoire publique aux études de médecine s'adressant en priorité aux lycées implantés dans les zones mentionnées au 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Dans la même logique que les amendements précédents, celui-ci vise à instaurer une année préparatoire publique aux études de médecine pour les lycéens dont l'établissement est situé dans un désert médical.

Encore une fois, nous souhaitons soutenir l'entrée dans les études de santé de ceux qui en sont parfois le plus éloignés, pour différentes raisons.

Nous le savons, de multiples officines privées apportent un onéreux soutien à de nombreux étudiants. Instaurer un soutien public me paraît une piste à creuser pour agir en faveur d'une plus grande égalité entre les étudiants.

Si je n'ai guère d'illusions sur le devenir de cet amendement, demander un rapport était le seul moyen à ma disposition pour évoquer cette question.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Je vous remercie d'aborder ce sujet, qui est réel, ma chère collègue. Si nous voulons prendre le problème à bras-le-corps, il nous faut tenir compte de tous les freins, de toutes les difficultés, que rencontrent les étudiants pour déterminer les efforts à faire : communication dans les lycées, accompagnement à la préparation aux études, déploiement éventuel de formations dans les départements, régionalisation, etc. Il nous faut donc travailler à un bloc de mesures.

Je rappelle du reste que, à la suite du rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux études de santé, notre commission a confié à Véronique Guillotin, Corinne Imbert et Khalifé Khalifé une mission d'information, que je préside, sur la réforme de l'accès aux études de santé. Nous allons élargir nos travaux pour y inclure le sujet que vous pointez, madame la sénatrice, et adopter ainsi une vision globale.

S'agissant d'une demande de rapport, l'avis est défavorable sur votre amendement, mais je vous remercie de nous avoir permis de débattre de ce sujet.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je partage les éléments de réponse du rapporteur.

Je comprends bien votre intention, madame la sénatrice : cette classe préparatoire aux études de santé constituerait une alternative publique aux « boîtes à colles » auxquelles la plupart des étudiants ont malheureusement recours. On peut aussi réussir sans elles !

Toutefois, il ne faudrait surtout pas que cela se traduise par une année d'études supplémentaire. Les études de médecine sont déjà longues – dix ans, soit deux ans de plus qu'à mon époque –, et je ne suis pas certain qu'une onzième année améliorerait la situation de nos déserts médicaux.

Je demande donc le retrait de cet amendement, auquel, à défaut, je serai défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Je soutiens l'amendement de ma collègue Brulin.

Il s'agit non pas d'une année supplémentaire, monsieur le ministre, mais d'un accompagnement à la première année, comme cela se fait, le soir de vingt heures à vingt-deux heures, dans les boîtes privées.

Cet accompagnement public me paraît essentiel pour l'ensemble des jeunes inscrits en première année de médecine, car l'inégalité pointée par la Cour des comptes est scandaleuse. Quelque 62 % des étudiants suivent en effet une préparation privée, ce qui signifie que leurs parents peuvent en assumer le coût, qui est de 8 000 à 10 000 euros, pour faciliter la réussite de leur enfant.

Face à cette injustice criante, l'instauration d'une préparation et d'un accompagnement publics dès la première année est une exigence républicaine.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. J'irai dans le même sens.

Lors des auditions, nous avons constaté que la plupart des cours de LAS sont dispensés en visioconférence. Or, s'agissant de mineures santé, ces formations s'adressent à des élèves qui, souvent, n'ont pas suffisamment de connaissances scientifiques et qui auraient, de ce fait, besoin d'un enseignement en présentiel. À la Sorbonne, par exemple, les enseignements de Pass sont en présentiel, et ceux de LAS, en visioconférence, ce qui est problématique.

De même, dans les départements ruraux, dans les formations de première année de médecine récemment ouvertes, les enseignements sont dispensés exclusivement en visioconférence, ce qui peut avoir pour effet d'accroître les inégalités.

J'insiste donc sur la nécessité de dispenser certains enseignements en présentiel et de renforcer la formation dans les territoires où les inégalités sont les plus fortes.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conditions et l'impact de la généralisation, dans chaque département, d'antennes universitaires des unités de formation et de recherche en santé (médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique).

Ce rapport analyse notamment les modifications législatives et réglementaires envisageables afin de garantir un accès de proximité sur l'ensemble du territoire national ; les options d'organisation territoriale (obligation incombant à l'université dont le siège est situé dans la ville chef-lieu de région, possibilités de conventions avec une université de la même région ou d'une région limitrophe, articulation avec les établissements publics de santé) ; le calendrier prévisionnel, les capacités d'accueil et les besoins en personnels et locaux ; et enfin les effets attendus en matière d'égalité d'accès aux études de santé pour les jeunes issus de milieux ruraux ou défavorisés et de lutte contre les déserts médicaux, au regard des critères de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement, qui vise à demander un rapport sur l'ouverture d'une antenne par département, n'a fait pas l'objet d'une discussion commune avec les amendements nos 1 rectifié et 9, précédemment examinés.

La Cour des comptes elle-même préconisait fortement une telle mesure. Si nos lectures respectives de son rapport diffèrent quelque peu, monsieur le rapporteur, je note que vous souhaitez travailler sur le sujet. Il faut, en tout cas, aller en ce sens. Il sera nécessaire de déterminer les détails concrets d'un tel dispositif, notamment sur le recours à la visioconférence que j'évoquais, et ne pas s'en tenir à prévoir sa généralisation.

Il reste que, pour les mêmes raisons que mes collègues, je retire cet amendement.

Mme la présidente. L'amendement n° 12 est retiré.

L'amendement n° 13, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l'opportunité et les modalités d'une mise à disposition par les universités d'une remise à niveau scientifique, notamment en biologie, en physique, en chimie et en mathématiques pour les étudiants en PASS (Parcours d'Accès Spécifique Santé) qui ne disposent pas du niveau requis pour la validation du premier cycle de formation.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Par cet amendement, je reviens sur la question, que j'ai abordée lors de mon explication de vote sur l'amendement de Mme Brulin, des prérequis scientifiques, lesquels sont souvent absents ou pas assez bien maîtrisés.

L'inquiétude des jeunes qui souhaiteraient faire des études de médecine mais qui s'autocensurent, s'estimant insuffisamment formés en matière scientifique – pour des raisons réelles ou supposées –, est une réalité. En conséquence, on observe un phénomène de reproduction sociale, puisque seuls les enfants de médecin osent se lancer dans ces études, tandis que ceux qui en ont les moyens partent à l'étranger, où la formation scientifique est renforcée, ou ont recours à des cours privés. Ainsi, les solutions existantes alimentent l'élitisme et concourent à amoindrir le nombre de jeunes qui se tournent vers ces études.

Je propose donc de renforcer les matières scientifiques pour les jeunes qui ont le moins d'acquis scientifiques ou qui se sentent les moins assurés dans ces domaines, en particulier dans le cadre des LAS.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Là encore, je vous remercie de mettre ce sujet sur la table, ma chère collègue. Celui-ci doit être pris en compte dans le cadre de la réflexion que nous avons à mener, au même titre d'ailleurs que le tutorat, qui constitue un outil efficace pour accompagner les jeunes.

En tout état de cause, il nous faudra identifier les meilleures options pour démocratiser les études de médecine, en tenant compte des paramètres sociaux et territoriaux.

Si je vous rejoins donc sur le fond, et que, comme vous, je souhaite que nous avancions sur ce sujet, vous savez que, sur la forme, je ne puis qu'être défavorable à une demande de rapport.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons ouvert des formations de première année dans les départements les plus éloignés des facultés de médecine, et nous sommes parvenus à diversifier les profils des étudiants qui y sont admis. Cet objectif a été atteint, car nous avons agi sur les inégalités sociales : plus aucune difficulté liée au logement ou aux frais de transport ne freine les jeunes qui souhaitent s'inscrire.

Il est par ailleurs exact qu'un jeune qui prépare une LAS n'évolue pas dans un environnement scientifique, et pour cause ! Les étudiants peuvent opter pour une mineure santé alors qu'ils effectuent un cursus de droit ou d'économie. Cela n'a choqué personne lorsque ces cursus ont été conçus ; pourtant, il ne nous viendrait pas à l'idée de proposer à un jeune qui veut faire du droit de préparer un cursus de médecine avec une mineure droit…

En tout état de cause, nous travaillons, avec Philippe Baptiste, à une réforme du Pass-LAS visant à favoriser à la fois la diversité sociale et la diversité des profils d'étudiants, afin d'encourager des profils non scientifiques. Le rapport de la Cour des comptes montre que les dispositions existantes ne sont pas pleinement efficaces. Il nous faut donc trouver des outils plus appropriés.

Comme le rapporteur, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Il est en effet nécessaire de réformer le premier cycle des études de santé afin de pallier les difficultés identifiées dans le système Pass-LAS.

J'avais du reste déposé un amendement dont l'objet était proche de celui de Mme Souyris, mais j'ai eu la surprise de voir que, comme un autre amendement tendant à prendre en compte le caractère prioritaire des besoins de santé dans les territoires, il avait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

Alors que, selon son intitulé même, la présente proposition de loi vise à former plus de médecins, cet amendement a en effet été retoqué au motif que, en tendant à augmenter le nombre d'étudiants, il tendait également à renchérir les dépenses des universités… C'est cocasse !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Chapitre II

Encourager l'émergence de médecins en combattant la fuite des cerveaux

Après l'article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 3

Article 2

(Non modifié)

I. – Le II de l'article L. 631-1 du code de l'éducation est complété par un 11° ainsi rédigé :

« 11° Les conditions et les modalités d'accès à la formation de médecine des étudiants français inscrits avant la promulgation de la loi n° … du … visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation dans la même filière dans un État membre de l'Union européenne, un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre. »

II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux étudiants français inscrits en formation de médecine à l'étranger. Ce rapport comporte des données chiffrées, relatives notamment au mode et au lieu d'exercice ainsi qu'à l'évolution de la carrière de ces personnes à l'issue de leurs études – (Adopté.)

Chapitre III

Développer l'accès aux soins médicaux par la formation des professionnels paramédicaux

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Après l'article 3

Article 3

(Non modifié)

I. – Après l'article L. 632-6 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 632-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 632-6-1. – Sont créées par voie réglementaire des passerelles afin que des professionnels paramédicaux puissent reprendre des études adaptées et accompagnées de médecine.

« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »

II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conséquences de l'arrêté du 22 octobre 2021 modifiant l'arrêté du 4 novembre 2019 relatif à l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique sur l'accès des auxiliaires médicaux aux études de médecine. Il étudie les freins durables aux reconversions des professions paramédicales vers la profession de médecin et formule des recommandations sur les évolutions potentielles à apporter aux passerelles existantes – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 3 bis

Après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l'opportunité de proposer aux élèves inscrits en classe de première et de terminale en voie générale, des enseignements facultatifs visant à préparer à l'admission en premier cycle d'études de santé.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement tendant à demander un rapport sur l'opportunité de proposer des enseignements aux élèves de lycée est examiné à cet endroit du texte.

Il reste que je l'ai déjà évoqué, et qu'il est donc défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Je ne peux vous expliquer pourquoi cet amendement est examiné à cet endroit du texte, ma chère collègue.

Quoi qu'il en soit, plutôt qu'un rapport, je vous propose de demander une évaluation des deux expérimentations, instaurées par la loi Valletoux, qui ont mises en place.

Dans l'exposé des motifs de votre amendement, vous citez notamment l'académie de Montpellier, qui a déployé cette option. Il conviendrait de faire le bilan de cette expérimentation, puisque nous avons la chance que deux académies aient accepté d'y prendre part, afin d'évaluer l'opportunité de généraliser rapidement ce dispositif. Nous avions soutenu cette démarche au Sénat. Je me tourne donc vers M. le ministre pour savoir si le Gouvernement est prêt à réaliser ce travail.

En tout état de cause, l'avis est défavorable, au bénéficie de cette évaluation que j'appelle de mes vœux. Allons plus vite !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je souscris à votre proposition, monsieur le rapporteur et président de la commission.

Je précise que les quatre académies qui se sont initialement portées volontaires pour cette expérimentation – Bordeaux, Metz-Nancy, Toulouse et Montpellier – ont été rejointes par sept autres académies – Amiens, la Guyane, Lille, Mayotte, Nantes, Orléans, Tours et Rennes.

Soyez assuré que mon ministère prendra toutes les dispositions utiles pour que nous puissions évaluer ce dispositif rapidement.

Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en œuvre, les impacts attendus et les modalités de financement d'un dispositif national de transition professionnelle pour les personnels de santé.

Ce rapport dresse un état des lieux des passerelles et validations d'acquis existantes entre professions de santé, identifie les obstacles réglementaires ou organisationnels et propose des évolutions, notamment la création d'un parcours d'alternance de reconversion ouvrant l'accès aux diplômes de médecine, pharmacie, odontologie, maïeutique et masso-kinésithérapie pour les professionnels justifiant d'au moins trois années d'exercice. Il analyse les conditions de renforcement et de simplification de la validation des acquis de l'expérience (VAE) afin de reconnaître les compétences acquises en exercice et de structurer des parcours individualisés compatibles avec le maintien d'une activité rémunérée. Il évalue les leviers de financement de ces dispositifs, via notamment le fonds d'intervention régional (FIR), le compte personnel de formation (CPF) des auxiliaires médicaux, salariés ou libéraux, qui pourrait être abondé par le FIR ou le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS).

Le rapport propose, le cas échéant, les adaptations législatives et réglementaires nécessaires, et présente un calendrier de déploiement, une estimation des effectifs concernés, l'impact potentiel sur les besoins démographiques en santé ainsi qu'un bilan prévisionnel des coûts et économies induits.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Par cet amendement, je souhaite inviter le Gouvernement à créer de véritables passerelles entre les différentes professions de santé. Si le principe est évoqué dans la proposition de loi, il s'agit d'aller plus loin en formulant un certain nombre de propositions concrètes.

En juin dernier, j'ai demandé la réalisation d'une note de législation comparée sur ce sujet. Elle montre que, si aucun dispositif précis n'est mis en place dans les six pays étudiés, il est intéressant de soutenir un certain nombre de dispositifs en faveur des professionnels en exercice, tels que la création d'un parcours d'alternance sécurisé financièrement – une mesure particulièrement intéressante –, le renforcement des systèmes de validation des acquis de l'expérience (VAE), l'ouverture du fonds d'intervention régional (FIR) au financement de ces parcours de reconversion et la mobilisation du FMIS.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Au risque de me répéter, le sujet est intéressant, ma chère collègue ! (Sourires.) S'il est abordé dans le présent texte, il pourrait en effet être approfondi dans le cadre des travaux que j'évoquais.

Sans mésestimer l'importance de la question que vous soulevez, je demande toutefois le retrait de votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable, puisqu'il s'agit d'une demande de rapport.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Vous avez raison, les passerelles pourraient être étendues, madame la sénatrice Souyris. L'article 3 n'aborde que les passerelles du secteur paramédical vers le secteur médical, mais, depuis le covid et la quête de sens qu'il a emportée, nous observons que des personnes dont le profil est extra-médical ou extra-paramédical souhaitent se reconvertir.

À l'heure où des technologies de pointe, comme l'intelligence artificielle, s'invitent dans la médecine, des ingénieurs ayant suivi des cursus avancés, par exemple, trouvent du sens à s'orienter vers la médecine. Lorsque j'étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, j'avais d'ailleurs instauré un double cursus associant la faculté de médecine et l'École centrale de Lyon.

Cette proposition de loi ayant été examinée par l'Assemblée nationale dans le cadre d'une niche, elle ne pouvait initialement compter qu'un nombre limité d'articles. Nous ne pouvions donc pas embrasser tous les sujets.

Je le redis, j'estime toutefois qu'il nous faut favoriser les passerelles pour des profils extra-médicaux et extra-paramédicaux, sans que ces derniers entrent en concurrence avec les sages-femmes, les infirmières anesthésistes ou les masseurs-kinésithérapeutes qui veulent reprendre des études.

Des personnes aux profils différents ayant un bagage scientifique peuvent en effet, de manière complémentaire, se destiner à des spécialités s'appuyant sur l'intelligence artificielle, à la radiologie ou à la recherche.

Pour les raisons que vous connaissez, je demande toutefois le retrait de cet amendement. À défaut, l'avis serait défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Après l'article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 4 (début)

Article 3 bis

(Non modifié)

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l'offre de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique dans les territoires caractérisés par une offre de soins insuffisante au sens de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. Le rapport examine notamment le taux d'accès à ces études dans ces territoires ainsi que la correspondance entre le lieu de formation, en particulier en premier cycle, et le premier lieu d'exercice des professionnels de santé formés. Il formule des propositions permettant de garantir l'équité territoriale de l'offre de formation en santé, notamment par l'implantation de nouveaux lieux de formation – (Adopté.)

Article 3 bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 4 (fin)

Article 4

(Non modifié)

I. – La charge pour l'État est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens tout d'abord à saluer de nouveau le rapporteur Khalifé Khalifé – je sais qu'il nous regarde –, dont je regrette l'absence.

Si le député Neuder peut être satisfait, car il a terminé son travail, pour le ministre Neuder, le chantier commence ! Le soutien que cette proposition de loi a reçu sur toutes les travées de cet hémicycle renvoie en effet le Gouvernement à ses responsabilités, notamment en matière de moyens. Ces derniers sont en effet nécessaires pour que, au-delà des intentions, la situation évolue et que, dans un dialogue avec l'enseignement supérieur, le nombre de places de formation augmente.

Nous nous sommes pour notre part engagés à mener des travaux et nous tiendrons cet engagement. Le député Neuder serait certainement heureux d'entendre le ministre Neuder s'engager à son tour sur les moyens à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir voté cette proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, et partant, la situation des déserts médicaux.

Je remercie la commission des affaires sociales, le rapporteur Khalifé Khalifé, le président de la commission, ainsi que tous les orateurs des groupes.

Le manque de médecins formés est l'explication première de l'existence de déserts médicaux. Or cette proposition de loi constitue un électrochoc en matière de formation. Après la suppression du numerus clausus en 2019, nous venons de franchir une nouvelle étape en supprimant le numerus apertus, lequel n'a pas emporté tous les effets espérés.

En nous fondant sur les besoins des territoires, nous inversons la tendance. Les élus locaux auront un grand rôle à jouer, de même que les universités, sans lesquelles nous ne parviendrons pas à atteindre nos objectifs. J'adresse donc un message particulier à la Conférence des doyens des facultés de médecine, avec laquelle nous déploierons cette réforme dans nos territoires.

Avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, Philippe Baptiste, nous veillerons à doter nos universités des moyens de déployer cette réforme structurante.

Nous travaillons également à une réforme de la loi de 2019 qui a instauré le Pass-LAS, afin de mieux prendre en compte les besoins de formation en santé de nos territoires et de notre pays.

J'imagine le plaisir des étudiants français, qui font actuellement leur cursus en Roumanie, en Belgique ou en Espagne, de voir qu'enfin nous leur ouvrons la porte, et qu'ils pourront terminer leurs études de santé dans notre pays.

Ne soyons pas naïfs : chaque année, quelque 1 600 jeunes partent faire leurs études de médecine à l'étranger et 5 000 à 15 000 étudiants font actuellement leur cursus dans l'un des pays que j'évoquais. Ces étudiants qui ont été capables de quitter leur pays à 18 ans sont fortement sollicités par l'Allemagne, la Suisse ou le Maroc. Si nous ne leur offrons pas la possibilité de terminer leur deuxième cycle et de passer leur internat en France et si nous ne sommes pas particulièrement attractifs, ils choisiront un autre pays.

Il ne s'agit nullement d'une solution de contournement du principe d'égalité des chances à l'égard des autres étudiants. Nous ne pouvons pas accepter que des vies professionnelles et personnelles se jouent sur l'échec, à un dixième de point, à un examen de première année beaucoup trop sélectif. Nous ne pouvons pas décourager notre jeunesse de s'engager dans des études de santé. Tel est le message que je souhaite faire passer à nos étudiants qui poursuivent leur cursus à l'étranger.

Lorsque j'ai reçu certains d'entre eux à l'Assemblée nationale, j'ai pu mesurer que tous n'étaient pas issus de familles aisées, et que des étudiants en grande difficulté effectuaient des gardes en Ehpad le week-end, qu'ils travaillaient, tout en ne pouvant pas bénéficier des bourses de l'enseignement supérieur de notre pays.

Enfin, à l'heure où l'on parle tant de géopolitique et de souveraineté, j'estime que la France, septième puissance mondiale, ne peut pas se satisfaire que, dans certaines filières telles que la médecine bucco-dentaire, plus de 50 % des étudiants français soient formés à l'étranger. Si nous voulons assurer notre souveraineté sanitaire, il nous faut reprendre le contrôle de la formation médicale et paramédicale de nos étudiants, en particulier dans les secteurs en grande difficulté que sont la psychiatrie, les soins palliatifs ou la gériatrie.

Il nous faut également améliorer notre système de formation, initiale comme continue, en favorisant notamment les passerelles, afin de rendre ces études accessibles partout et pour tous et, partant, de diversifier les profils de nos professionnels de santé.

Pour l'heure, je remercie sincèrement le Sénat de ce vote unanime.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante,

est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Sécurité des professionnels de santé

Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (texte de la commission n° 639, rapport n° 638).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous arrivions au terme du parcours législatif de cette proposition de loi, déposée il y a un an et demi par notre ancien collègue député Philippe Pradal.

Je m'en félicite d'autant plus que ce texte répond à une attente forte, voire à un véritable cri d'alerte, de nos professionnels de santé face à des violences inadmissibles.

Nous avons considéré, tout au long de l'examen de cette proposition de loi, que la reconnaissance que la société doit à ceux qui se dévouent pour aider les autres était l'un des piliers du vivre-ensemble.

C'est pourquoi la violence dans les lieux de soins, largement dénoncée par les professionnels, et qui se banalise de plus en plus, doit être jugulée par tous les moyens. Il est temps d'exprimer symboliquement un soutien sans faille aux personnels soignants et de renforcer les mesures législatives leur permettant d'exercer leur métier dans de meilleures conditions.

Au-delà de la volonté d'œuvrer pour nos soignants, la commission des lois a été particulièrement vigilante à la qualité juridique des mesures que comporte le texte : cette démarche est primordiale si l'on veut éviter une loi bavarde, et, surtout, une loi qui pourrait s'avérer décevante pour nos professionnels de santé.

C'est la raison pour laquelle certaines mesures consensuelles, mais déjà satisfaites, ont été remaniées, voire supprimées. Nous avons cependant veillé à faire preuve de pédagogie auprès des ordres professionnels et à leur faire connaître les outils que leur garantit déjà l'état du droit.

Cette précision étant faite, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire est très proche de celui que le Sénat a adopté en première lecture : il me semble donc, dans l'ensemble, satisfaisant et respectueux du vote des deux chambres, bien que je nourrisse un regret à l'article 2, sur lequel je reviendrai.

J'en viens désormais aux principales modifications apportées par la commission mixte paritaire.

À l'article 1er, qui étend à tous les professionnels travaillant dans les lieux de soins la protection accordée aux professionnels de santé depuis la loi du 18 mars 2003, nous avons précisé deux dispositifs introduits par le Sénat.

D'une part, nous avons souhaité limiter la création d'une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles aux faits dont les soignants sont victimes, comme le proposait notre collègue Hussein Bourgi.

D'autre part, nous avons rétabli les circonstances aggravantes pour les vols dans les établissements de santé. S'il nous est apparu nécessaire de punir les vols, quels qu'ils soient, commis au détriment des professionnels de santé, l'extension des circonstances aggravantes à tout vol de produits de santé, y compris entre particuliers, nous a en revanche semblé disproportionnée.

L'article 2, relatif au délit d'outrage, est maintenu dans sa rédaction résultant de l'adoption de l'amendement du Gouvernement et de celui du groupe du RDSE au Sénat. J'en comprends la portée symbolique pour les professionnels : c'est pourquoi la commission mixte paritaire a suivi la position qu'avaient soutenue une majorité de sénateurs en séance publique.

Je reprends un instant ma casquette de rapporteure de la commission des lois pour émettre deux réserves.

La première est que l'outrage est lié à l'exercice d'une mission de service public. Or tout ne relève pas d'une telle mission et il serait regrettable que cette spécificité se perde.

La seconde est que, à mes yeux, la rédaction de l'article 2 est imparfaite en ce qu'elle ne protégera pas de la même manière toutes les personnes travaillant dans les lieux de soins. Je crains par conséquent que nous n'ayons à revenir sur cette disposition lors de l'examen d'un futur texte.

Dans la même logique, nous avons remanié l'article 2 bis A, afin de ne pas restreindre le dispositif adopté sur l'initiative de notre collègue Corinne Imbert au seul Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) et de l'étendre à tous les ordres, lesquels pourront désormais se constituer partie civile en cas d'outrage à l'encontre de l'un de leurs membres.

J'en viens désormais aux articles 2 bis et 3, qui visent à faciliter les dépôts de plainte après chaque incident.

L'article 3, qui permet à l'employeur, à un ordre professionnel ou à une union régionale des professionnels de santé (URPS) de déposer plainte pour le compte d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel, n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, l'Assemblée nationale ayant accepté les principaux apports du Sénat.

À l'article 2 bis, dont la principale mesure consistait à permettre aux professionnels de santé de déclarer l'adresse de leur ordre lors du dépôt de plainte, une disposition que le Sénat avait supprimée, puisque cette faculté est déjà prévue par l'état du droit, nous avons trouvé une rédaction de compromis qui comble un manque dans la législation en vigueur.

Alors que tous les professionnels qui exercent dans un établissement public de santé peuvent déjà déclarer leur adresse professionnelle et que les personnes employées par un professionnel libéral ou un établissement de santé privé peuvent déclarer l'adresse de leur employeur, nous permettons désormais aux libéraux de déclarer leur adresse professionnelle, ce qui permet de mettre fin à une inégalité.

En revanche, nous avons maintenu la suppression de l'article 3 bis, qui prévoyait notamment la présentation annuelle au conseil de surveillance ou au conseil d'administration des divers établissements de soins d'un « bilan des actes de violence commis au sein de l'établissement ».

Outre que cette présentation est en partie satisfaite, puisque de telles données sont compilées dans le rapport social unique (RSU), nous pensons que la charge administrative qu'entraînerait la rédaction d'un nouveau rapport serait mieux employée si elle était dédiée au signalement systématique des violences sur la plateforme de l'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS).

Enfin, l'article 3 bis A, qui rétablit la plénitude de la protection fonctionnelle des agents publics à la suite d'une déclaration d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel, n'a posé aucune difficulté, puisque les remarques du Conseil ont été prises en compte.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter ce texte de compromis, qui, je l'espère, répondra aux attentes fortes de nos soignants.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me réjouis de vous retrouver ce soir pour l'ultime étape de l'examen d'une proposition de loi importante.

Je commencerai par rendre hommage à l'engagement des parlementaires, sénateurs et députés, de tous les horizons, qui se sont impliqués sur ce sujet, permettant de faire aboutir un texte attendu. Je ne manquerai pas de mentionner plus particulièrement Philippe Pradal, qui a pris l'initiative du dépôt de ce texte lors de la précédente législature à l'Assemblée nationale. Je salue également la qualité des travaux qui ont été menés dans les deux assemblées, en commission comme en séance publique, et ce jusqu'en commission mixte paritaire.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, lors de la discussion de ce texte en première lecture, ici, au Sénat, j'ai rappelé que le plus grand danger pour une société serait de s'habituer à la violence.

L'adoption de cette proposition de loi est l'expression d'un refus net et ferme de s'habituer à cette violence, quelle qu'elle soit. Elle est l'affirmation que la violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est toujours inacceptable.

Avec ce texte, nous proclamons haut et fort qu'il n'y a pas de petite violence ou de violence banale, que tout coup, toute menace, toute blessure, tout crachat, toute insulte envers un professionnel de santé ou envers ceux qui concourent aux soins est une attaque en règle contre notre système de santé.

Avec ce texte, nous adressons un message fort à nos soignants et à tous ceux qui participent aux soins : sachez que l'État est à vos côtés et que nous serons intransigeants.

Nous délivrons également un avertissement clair à tous les agresseurs : nous ne laisserons rien passer. En effet, avec ce texte, nous franchissons une étape supplémentaire vers notre ambition commune : ne laisser aucun répit à ceux qui s'en prennent aux soignants et protéger, comme il se doit, ceux qui prennent soin de notre santé.

Cette ambition s'appuie sur la nécessité d'agir : il faut répondre à une urgence que l'actualité nous rappelle trop souvent avec force, à savoir que, chaque jour, dans notre pays, 65 professionnels de santé sont agressés.

Je le dis avec gravité, car j'y ai moi-même été confronté de plusieurs façons : d'abord, en tant que médecin chef de pôle, lorsque je m'inquiétais pour mes équipes et aux côtés de collègues victimes ; ensuite, en tant qu'élu local, quand j'ai fait face à la détresse de certains professionnels de santé ; en tant que député aussi, quand je me suis impliqué sur ce sujet avec conviction et défendu un certain nombre de dispositions législatives ; enfin, naturellement, en tant que ministre de la santé, lorsque j'ai fait de cette question une priorité incontournable.

Ma nomination en tant que ministre de la santé, au début du mois de janvier, a été marquée par l'un de ces drames. Je me suis ainsi rendu à Annemasse auprès de quatorze soignants agressés, aux côtés d'une communauté bouleversée.

Devant eux, en Haute-Savoie, j'ai pris l'engagement solennel que, d'ici le mois de septembre de cette année, de nouvelles mesures seraient mises en place, un engagement fort qui fonde par ailleurs une partie du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Je souhaite que mon action marque un tournant décisif dans la lutte contre ces violences, avec un seul mot d'ordre : la tolérance zéro.

Cela passe par un renforcement des moyens d'action en amont des violences – 25 millions d'euros sont affectés chaque année à la sécurisation des établissements de santé, une enveloppe qui a été reconduite pour 2025 – et par la poursuite des campagnes de communication et de sensibilisation, dans le prolongement du plan pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par la ministre qui m'a précédé dans mes fonctions, Agnès Firmin Le Bodo.

Je veux souligner combien les professionnels eux-mêmes, en ville comme à l'hôpital, qu'ils soient médecins, étudiants, infirmiers ou personnels paramédicaux, se sont saisis de cet enjeu.

Je veux également souligner l'importance du renforcement des moyens de l'Observatoire national des violences en milieu de santé, dont la nouvelle version, dite 2.0, en fera non pas une simple chambre d'enregistrement, mais une véritable instance de suivi, d'écoute et d'orientation. Ainsi, elle intégrera dans ses missions les violences sexistes et sexuelles, qui ont longtemps fait l'objet d'une certaine omerta dans le monde de la santé, et contre lesquelles la tolérance zéro s'impose avec la même force.

Je n'oublie pas les soignants exerçant en libéral, qui doivent eux aussi bénéficier de dispositifs de protection efficaces.

Enfin, je compte beaucoup sur l'engagement des collectivités locales et des élus locaux, qui ont un rôle important à jouer en ce sens, par l'intermédiaire de leurs polices municipales et avec l'utilisation des caméras de vidéosurveillance.

Permettez-moi aussi de citer le dispositif des boutons d'alerte, qui, reliés aux forces de l'ordre, permettent aux soignants de donner directement et discrètement l'alerte en cas de danger. Je l'avais moi-même mis en place en tant que maire, dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes. Je sais que ce système fonctionne bien et est déployé dans de plus en plus de collectivités : je pense à la Haute-Vienne ou à la Guyane, pour ne citer que ces exemples.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, renforcer la sécurité, prévenir, dissuader, c'est indispensable. Mais il faut aussi durcir notre réponse pénale face à la survenue des violences.

Ma ligne est claire : la tolérance zéro. J'y ajoute l'objectif « zéro impunité ». C'est une priorité que je partage avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, et que ce texte vient traduire concrètement dans notre droit.

Afin de ne laisser aucun répit aux auteurs de violences et de protéger les soignants, notre réponse pénale sera renforcée selon trois axes.

Premier axe, nous avons prévu des peines aggravées en cas de violences ou de vols en milieu de santé. Notre code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas d'agression des professionnels de santé « dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions ». Cette proposition de loi nous permet d'aller plus loin, en réprimant les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé, à l'hôpital comme en ville, ainsi que dans les établissements médico-sociaux.

Deuxième axe, ce texte permet de réprimer plus fermement les violences verbales et les insultes contre les soignants ou envers les personnels des structures médicales. C'est très important, car la tolérance zéro consiste à ne rien laisser passer. Une insulte, qu'elle soit proférée en face ou en ligne, n'est jamais anodine. Il faut briser la spirale de la violence dès le début. C'est la raison pour laquelle je salue la création d'un délit d'outrage étendu à l'ensemble des professionnels qui concourent aux soins, qu'ils soient considérés ou non comme exerçant une mission de service public.

Troisième axe, afin d'accompagner, de soutenir et de protéger les professionnels victimes, nous facilitons le dépôt de plainte, souvent ressenti comme une épreuve difficile par les personnels de santé confrontés aux violences, d'autant que certains d'entre eux craignent également les représailles. Cette situation conduit à de nombreux renoncements, laissant les actes et les auteurs impunis.

Aussi, le texte offre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un autre organisme de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit, pour certaines infractions. Seront concernés par ce nouveau dispositif les établissements de santé – hôpitaux, cliniques, Ehpad –, ainsi que les employeurs des cabinets, les laboratoires, les pharmacies.

La question des libéraux, qui sont leur propre employeur, s'est naturellement posée et a été traitée. Pour ces professionnels, un décret viendra préciser les organismes représentatifs autorisés à porter plainte. Je veillerai à ce que le décret fasse l'objet d'une concertation et soit publié rapidement.

L'idée est que la victime se sente soutenue et que le dépôt de plainte devienne un réflexe en cas d'agression. Pour faciliter et sécuriser encore plus cette mesure, je travaille en ce moment même, avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, à la mise en place d'un dispositif spécifique de visioplainte pour les soignants victimes.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, face aux violences physiques, verbales ou numériques contre nos soignants et tous ceux qui concourent aux soins, je n'ai qu'une seule ligne, celle de la fermeté. Je n'ai qu'un seul mot d'ordre, la tolérance zéro.

Ces violences nous interrogent aussi collectivement en tant que société, car nous sommes confrontés à des actes qui menacent directement celles et ceux qui nous soignent, qui nous sauvent, qui prennent soin de nous et de notre santé.

Nous apportons, avec ce texte, une réponse à la hauteur de l'enjeu, à la hauteur de l'engagement de nos professionnels de santé, à la hauteur de ce que nous leur devons ! (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° A Au 4° bis des articles 222-8 et 222-10, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « ou une personne exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;

1° Les articles 222-12 et 222-13 sont ainsi modifiés :

a) Au 4° bis, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « ou une personne exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;

b) (Supprimé)

c) Après le 11°, il est inséré un 11° bis ainsi rédigé :

« 11° bis Dans un établissement de santé, un centre de santé, une maison de santé, une maison de naissance, un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, une officine de pharmacie, un laboratoire de biologie médicale, un établissement ou un service social ou médico-social ; »

1° bis Après le 3° de l'article 222-28, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Lorsqu'elle est commise sur un professionnel de santé durant l'exercice de son activité ; »

2° À la fin du 5° de l'article 311-4, les mots : « destiné à prodiguer des soins de premiers secours » sont remplacés par les mots : « médical ou paramédical ou lorsqu'il est commis dans un établissement de santé ou au préjudice d'un professionnel de santé à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions ».

Article 2

I. – L'article 433-5 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « public », sont insérés les mots : « , à un professionnel de santé ou à un membre du personnel d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;

2° Au troisième alinéa, après le mot : « intérieur », sont insérés les mots : « d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, du domicile du patient ou ».

II. – (Supprimé)

Article 2 bis A

Au dernier alinéa de l'article L. 4122-1, au quatrième alinéa de l'article L. 4123-1, à la seconde phrase de l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 4124-11, au dernier alinéa de l'article L. 4233-1, à la seconde phrase de l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 4312-5, au troisième alinéa du I de l'article L. 4312-7, au dernier alinéa de l'article L. 4321-16, à l'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 4321-17-1, au dernier alinéa de l'article L. 4322-9 et au sixième alinéa du I de l'article L. 4322-10-1 du code de la santé publique, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « , d'outrages ».

Article 2 bis

Le 9° de l'article 10-2 et le deuxième alinéa de l'article 89 du code de procédure pénale sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Le professionnel de santé régi par la quatrième partie du code de la santé publique peut, s'il exerce à titre libéral, également déclarer son adresse professionnelle. »

Article 3

I. – (Supprimé)

II. – Après l'article 15-3-3 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15-3-4 ainsi rédigé :

« Art. 15-3-4. – Sans préjudice du second alinéa de l'article 433-3-1 du code pénal, lorsqu'il a connaissance de faits susceptibles de constituer l'une des infractions prévues aux articles 222-1, 222-9 à 222-13, 222-15, 222-16, 222-17, 222-18, 322-1, 322-3 et 433-3 du même code et lorsque cette infraction est commise à l'encontre d'un professionnel de santé ou d'une personne exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions, l'employeur, après avoir recueilli le consentement écrit de la victime, peut déposer plainte pour le compte de celle-ci. Le présent alinéa n'est pas applicable lorsque les faits sont commis par un professionnel de santé ou un membre du personnel.

« Le présent article ne dispense pas l'employeur du respect des obligations prévues au second alinéa de l'article 40 du présent code.

« Il ne donne pas à l'employeur la qualité de victime.

« Pour l'application du présent article aux professionnels de santé exerçant à titre libéral, un décret précise les modalités selon lesquelles les ordres professionnels ou les unions régionales de professionnels de santé peuvent porter plainte pour le compte des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes ou pédicures-podologues qui en font expressément la demande. Le même décret détermine l'organisme représentatif autorisé à porter plainte pour le compte des autres professionnels libéraux mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique. »

III. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le I de l'article L. 4312-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil départemental ou interdépartemental autorise son président à ester en justice. Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession d'infirmier, y compris en cas de menaces, d'outrages ou de violences commises en raison de l'appartenance à cette profession. » ;

2° Après le troisième alinéa de l'article L. 4321-18, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession de masseur-kinésithérapeute, y compris en cas de menaces, d'outrages ou de violences commises en raison de l'appartenance à cette profession. »

IV. – (Supprimé)

Article 3 bis A

I. – L'article L. 134-4 du code général de la fonction publique est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa est supprimé ;

2° Après le mot : « public », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « mis en cause pénalement en raison de tels faits qui ne fait pas l'objet des poursuites mentionnées au premier alinéa ou qui fait l'objet de mesures alternatives à ces poursuites, dans tous les cas où le code de procédure pénale lui reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat. »

II. – La seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense est ainsi rédigée : « Cette protection bénéficie aussi au militaire mis en cause pénalement en raison de tels faits qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales ou qui fait l'objet de mesures alternatives à ces poursuites, dans tous les cas où le code de procédure pénale lui reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat. »

III. – Le troisième alinéa de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :

« La protection prévue au second alinéa de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique et à la seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense bénéficie également aux personnes mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article. »

Article 3 bis

(Supprimé)

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Article 5

(Supprimé)

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d'aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Depuis l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat en avril dernier, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires n'a eu de cesse de défendre une ligne claire, qui déterminera notre vote d'aujourd'hui.

La sécurité des professionnels de santé est un enjeu majeur auquel nous sommes toutes et tous profondément attachés. Nous saluons l'attention portée à ce sujet au travers de cette proposition de loi.

Les membres de mon groupe l'ont déjà dit, et je le répète : toute violence contre les soignants est un acte intolérable, inacceptable, auquel nous ne nous résoudrons jamais. Tous les soignants méritent la sécurité, le respect et la reconnaissance de la Nation pour leur dévouement, alors même que leurs conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles.

Malheureusement, cette proposition de loi n'est pas à la hauteur des enjeux, car elle ne comporte aucune mesure de prévention des violences subies par nos professionnels de santé.

J'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer à deux reprises à cette tribune : le rapport de Jean-Christophe Masseron et de Nathalie Nion, présenté en septembre 2023 au ministre de la santé, contenait une quarantaine de mesures pour agir sur les déterminants des violences, favoriser l'acculturation des professionnels de santé, notamment par un renforcement de l'intégration de la prévention des violences dans les formations, accompagner et soutenir les victimes, préparer les futurs professionnels, et obtenir des informations et du soutien auprès de l'ensemble des acteurs institutionnels.

Or, parmi cette quarantaine de mesures, aucune ne figure dans le texte. Pourtant, les auteurs du rapport suggéraient, par exemple, de sécuriser les établissements de santé par l'aménagement des espaces d'accueil et de soins.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé la mise à disposition d'une enveloppe budgétaire à cet effet. Je réitère ma demande que vous puissiez présenter devant la commission l'utilisation qui est faite de ces crédits. C'est du concret !

Autre point : l'aggravation des peines aura-t-elle un quelconque effet sur la survenue de ces actes de violence ? Permettra-t-elle de réduire les violences ? Dissuadera-t-elle leurs auteurs ? Personnellement, je ne le crois pas.

Rappelons qu'à l'hôpital 22 % des signalements proviennent des services de psychiatrie, 13 % des unités de soins de longue durée (USLD) et des Ehpad, et 12 % des services d'urgence. Il s'agit donc de services en forte tension, en raison d'une activité extrêmement soutenue, ainsi que de services qui accueillent un nombre important de patients souffrant de troubles de l'anxiété, de dépression ou ayant des pensées suicidaires, un état de santé qui peut exacerber les comportements violents.

Autrement dit, pour prévenir les violences contre les soignants, une des clefs – pas la seule ! – consiste en l'amélioration de la santé mentale de la population. Je le répète : il s'agit non pas de relativiser les violences – nous les condamnons –, mais de tenter de comprendre les raisons qui poussent les auteurs de ces actes à les commettre, et de les prévenir pour en réduire drastiquement le nombre.

Dans le cadre de cette démarche, probablement faut-il distinguer les violences préméditées envers les soignants. Je pense aux menaces de mort, et en particulier à celles qu'ont proférées des individus, qui sont vraisemblablement des militants d'extrême droite, à l'encontre de professionnels exerçant dans un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) du centre de Paris.

Où est la tolérance zéro dans un tel cas de figure ? Pour résoudre le problème, l'agence régionale de santé et le gestionnaire du Caarud ont décidé de fermer le centre, considérant qu'ils n'étaient pas en mesure de protéger les professionnels… Le soin a cédé devant la violence !

Je vous le dis franchement, monsieur le ministre, je suis très inquiète : dans une telle situation, la mission des services de l'État doit consister à protéger les soignants, à poursuivre les auteurs des menaces, et pas à s'effacer devant les menaces de l'extrême droite. Nous aurons l'occasion d'en reparler prochainement.

Je ne suis en tout cas pas convaincue que la proposition de loi qui nous est soumise permettra d'agir efficacement face à de telles intimidations.

Vous l'aurez compris, les membres du groupe écologiste, s'ils partagent l'objectif des auteurs de ce texte, en regrettent le manque d'ambition et déplorent l'absence de mesures préventives. Pour ces raisons, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se félicite que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ait été conclusive : il votera en faveur du texte issu des travaux de celle-ci.

Le texte répond à une urgence incontestable : la protection de professionnels de santé qui, chaque jour, dans les hôpitaux, dans les cabinets médicaux ou sur la voie publique, lors des visites à domicile chez leurs patients, subissent des violences et des agressions intolérables.

Nous souhaitons tout d'abord remercier Mme la rapporteure et M. le ministre des échanges constructifs que nous avons eus, ainsi que du soutien qu'ils ont apporté à certains de nos amendements.

L'aggravation du quantum des peines pour les violences physiques, morales ou sexuelles commises contre les personnels de santé, la création d'un délit d'outrage spécifique à ces derniers, ou encore la possibilité pour l'employeur de se constituer partie civile et de déposer plainte au nom du soignant victime sont autant de mesures utiles et, donc, de mesures que nous avons soutenues.

Néanmoins, il ne nous est pas possible de passer sous silence l'orientation quasi exclusivement répressive de cette initiative parlementaire.

Ne nous méprenons pas : certes, la réponse pénale est un outil dissuasif majeur pour lutter contre les violences dont nous parlons, mais cette logique punitive ne saurait occulter l'essentiel, à savoir le manque criant de moyens financiers et humains accordés aux établissements hospitaliers.

C'est l'une des causes des tensions et des violences que subissent les soignants. Lorsque les services d'urgences sont saturés, que les effectifs sont insuffisants, que les conditions de travail se dégradent, il est inévitable que les patients et leurs proches, en situation de détresse physique ou psychologique, éprouvent un sentiment d'exaspération, qui peut ouvrir la voie à des faits de violence…

Ce contexte anxiogène ne justifie évidemment en rien les violences, mais il s'agit d'un facteur aggravant qu'il faut prendre en compte si l'on veut agir efficacement en amont, de manière préventive.

Or cette proposition de loi reste muette sur la question des moyens dédiés aux hôpitaux publics, notamment dans les services psychiatriques et les urgences, où les agressions se font de plus en plus fréquentes.

Faute de moyens adaptés, les établissements sont en première ligne, souvent démunis pour protéger leurs personnels et garantir un accueil digne et sécurisé aux patients.

Monsieur le ministre, chaque année, durant la période estivale, les services sous-dotés, les services d'urgence tout particulièrement, connaissent une saturation et, donc, un pic de tensions. Chaque année, ce sont les mêmes témoignages qui sont portés à la connaissance des Françaises et des Français par voie de presse, toujours les mêmes altercations et les mêmes violences.

Aussi, nous réaffirmons avec force que la lutte contre les violences envers les soignants doit s'accompagner d'un investissement significatif dans le système hospitalier. C'est le seul moyen d'apporter une solution durable et de mettre un terme à ces situations de crise.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, notre vote en faveur de ce texte s'inscrit dans une dynamique plus large, qui repose sur la nécessité d'une action rapide pour protéger les professionnels de santé.

Mais cette réponse répressive doit impérativement intervenir dans un cadre plus global, fondé sur la prévention, le renforcement des moyens humains et financiers des établissements médicaux et hospitaliers, afin que cesse l'inacceptable spirale des violences que subissent les soignants.

Pour ce qui est des moyens, monsieur le ministre, nous prenons date pour la fin de l'année : nous vous donnons rendez-vous au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous disposez de tous les outils susceptibles de vous aider à recenser – mais vous les connaissez déjà – les besoins de nos professionnels de santé dans les hôpitaux publics.

Dans tous les hôpitaux de France où vous vous rendez, et notamment à l'hôpital de Montpellier, vous entendez les mêmes choses. De nombreuses personnes placent leur espoir en vous, monsieur le ministre, qui êtes issu de la profession.

Quoi qu'il en soit, vous nous trouverez à vos côtés à chaque fois que vous obtiendrez des avancées permettant de satisfaire ces professionnels de santé qui se dévouent avec beaucoup d'abnégation, au quotidien, pour que l'hôpital public français reste fidèle à la réputation qui est la sienne. (M. Sébastien Fagnen applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Ce texte, d'une importance capitale pour la protection de nos soignants, a fait l'objet d'un accord lors de la CMP. Nous pouvons nous en réjouir, car cela permettra de mieux lutter à l'avenir contre les violences inadmissibles que nos soignants subissent et dont je rappelle qu'elles ont connu une forte hausse ces dernières années.

Chaque jour, en moyenne, soixante-cinq professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques et verbales. Au nom du groupe Les Indépendants, je tiens à leur adresser, ainsi qu'à leurs proches, notre soutien le plus total.

Ces agressions ne sont pas des faits divers : elles constituent une atteinte à notre pacte social, face à laquelle le législateur ne doit pas rester passif.

Le 12 mars dernier, à l'occasion de la journée européenne contre les violences faites aux soignants, un mouvement d'ampleur s'est engagé pour dénoncer les actes inadmissibles dont les professionnels de santé sont parfois victimes.

Il est de notre devoir d'agir pour protéger ceux qui, en première ligne et dans des conditions difficiles, se mobilisent au quotidien pour nous soigner. Alors que notre pays fait face à une pénurie de soignants, c'est à nous, législateurs, de veiller à ce que leurs conditions de travail s'améliorent.

Je souhaite leur rendre hommage et leur dire une chose : sachez que vous pourrez toujours compter sur notre mobilisation pleine et entière à vos côtés.

C'est tout le sens du présent texte. Ce dernier s'inscrit dans le prolongement du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté par Agnès Firmin Le Bodo en septembre 2023.

Je tiens en outre à saluer le travail de l'ensemble des parlementaires qui se sont impliqués pour l'adoption de ce texte : je pense notamment à son auteur, Philippe Pradal, à la rapporteure, Anne-Sophie Patru, ainsi qu'à Agnès Firmin Le Bodo, qui l'a défendu au cours de la réunion de la commission mixte paritaire.

Je salue également le travail des sénateurs de mon groupe, Corinne Bourcier, Daniel Chasseing et Vincent Louault, auteurs d'amendements visant à renforcer l'efficacité de ce texte.

Fruit d'un long travail, la proposition de loi prévoit des mesures indispensables pour mieux protéger nos soignants.

L'aggravation des peines encourues pour des faits de violence commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements est l'une des mesures phares de ce texte. Face à de tels actes, la réponse de l'État doit être de la plus grande fermeté. C'est précisément ce que visent ces dispositions.

Le texte prévoit aussi de faciliter les dépôts de plainte après chaque incident, en permettant notamment à une union régionale des professionnels de santé (URPS) de déposer plainte pour le compte d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel. Là encore, il s'agit d'une mesure essentielle qui permettra de mieux poursuivre les auteurs de violences, tout en protégeant les soignants.

L'extension du délit d'outrage aux professionnels de santé et des circonstances aggravantes lorsque le délit est commis dans un établissement de soins est un autre dispositif bienvenu.

En conséquence, le groupe Les Indépendants soutiendra cette proposition de loi dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Nous serons cependant attentifs à ce que les mesures qu'elle comporte soient pleinement appliquées et à ce que la protection de nos soignants, piliers de notre société, reste une priorité. Il y va de leur sécurité, de leurs conditions de travail au quotidien, de l'attractivité des métiers de la santé, ainsi que de nos valeurs.

Une société qui ne protège pas ceux qui s'engagent en première ligne pour le bien commun, qu'ils soient policiers, professeurs ou soignants, pour ne citer qu'eux, n'est pas fonctionnelle. À nous de nous mobiliser à leurs côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient de dire quelques mots au nom du groupe Les Républicains sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Il nous est souvent reproché de légiférer en réaction à des faits que l'on qualifie parfois de « faits divers ». Malheureusement, ce n'est pas le cas de ce texte. En effet, comme l'a fait valoir Mme le rapporteur dans son rapport, les agressions contre les soignants sont caractérisées et de plus en plus nombreuses.

Dès lors, il apparaît tout à fait normal que la représentation nationale s'en empare ; la seule question qui demeure est : pour quoi faire ?

En premier lieu, plusieurs mesures de ce texte ont pour objet de faciliter le dépôt de plainte et l'action de la justice.

Désormais, les médecins libéraux pourront donner leur adresse professionnelle, et non personnelle, lors d'un dépôt de plainte.

De plus, la plainte pourra être déposée par l'employeur, mais aussi par l'ordre professionnel ou l'URPS.

Enfin, en cas d'outrage, la constitution de partie civile sera ouverte à tous les ordres professionnels. Il s'agit d'une mesure importante, même si, comme l'a souligné Mme le rapporteur, nous aurions préféré la qualification d'injure à celle d'outrage. Au reste, nous verrons dans la pratique quelle option est la plus judicieuse pour nos professionnels de santé.

Une deuxième série de mesures vise à étendre la qualification de certaines infractions et à aggraver les sanctions. Concrètement, ces dispositions nous permettront de mieux agir contre les violences perpétrées à l'encontre des professionnels de santé.

Au-delà de leur portée concrète, ces mesures envoient un signal important. Nous l'adressons d'abord aux professionnels de santé, bien sûr, auxquels nous disons que notre solidarité n'est pas qu'un mot, qu'elle se traduit par des dispositions juridiques leur permettant d'être mieux protégés ; mais un signal, me semble-t-il, est aussi adressé à la justice.

Nous le savons, nos textes de loi n'ont de sens que s'ils sont appliqués. Aussi, le signal que nous envoyons à la justice consiste à dire que la représentation nationale et, à travers elle, le peuple français ne supportent plus les agressions répétées à l'encontre des soignants comme de tous ceux qui sont à notre service ; de manière générale, nous ne supportons plus la violence dans la société.

Il convient donc que les sanctions soient réelles, dissuasives et à la hauteur de la réprobation que les Français manifestent à l'encontre de ceux qui s'en prennent à nos professionnels de santé.

Ce texte, me semble-t-il, répond à toutes ces attentes. C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, protéger ceux qui nous soignent, lorsqu'ils craignent pour leur sécurité dans l'exercice de leur mission, est à la fois l'exigence minimale d'une société digne et notre responsabilité première en tant que législateur.

Le texte que nous nous apprêtons à voter, dans sa version issue des travaux de la commission mixte paritaire, répond à cette exigence. Son objet est louable : mieux protéger nos professionnels de santé, ainsi que l'ensemble des personnels qui travaillent au sein des structures de soins.

En effet, nos professionnels de santé sont particulièrement exposés aux violences. En 2022, 37 % d'entre eux disent en avoir été victimes. Le rapport de 2022 de l'Observatoire national des violences en milieu de santé dresse un bilan alarmant : en 2021, 19 328 actes de violence ont été recensés, dont plus de 50 % de violences physiques ou menaces avec une arme et près de 30 % d'insultes et injures.

Il était donc impératif de se doter d'un cadre efficace et dissuasif, en renforçant l'arsenal répressif et les dispositions du code pénal applicables en cas de violences.

Cette proposition de loi, déposée par nos collègues députés du groupe Horizons, est complémentaire du plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé que le Gouvernement a lancé en septembre 2023.

La commission mixte paritaire qui s'est réunie le 20 mai dernier a été conclusive. Le texte qui en est issu conserve une grande part des apports de notre assemblée.

Ainsi, à l'article 1er, l'aggravation des peines encourues pour des faits de vol et de violences quand ils sont commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements est maintenue.

Il en va de même à l'article 2, qui étend le délit d'outrage aux professionnels de santé et pose les conditions des circonstances aggravantes en découlant.

Par ailleurs, nous saluons, à l'article 2 bis A, une avancée majeure issue d'un compromis : désormais, tous les ordres professionnels pourront se constituer partie civile en cas d'outrage.

De même, l'article 3 a fait l'objet de quelques ajustements pour parvenir à un dispositif attendu, grâce auquel l'employeur pourra porter plainte pour violences à la place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel d'un établissement de santé.

Nous saluons donc le travail pragmatique et équilibré qui a été réalisé sur ce texte. Nous avons à cœur de changer le quotidien de nos soignants, afin de garantir leur protection dans l'exercice de leurs fonctions. Nous leur confions nos vies. Aussi leur devons-nous ce soutien, en Hexagone comme en outre-mer.

Le groupe RDPI votera donc en faveur de ce texte. (Mme Corinne Bourcier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, l'assassinat de Carène Mézino, infirmière à Reims, dans le Grand Est, nous alertait avec horreur quant au fait que les lieux de soin n'étaient plus épargnés par la violence.

Il y a trois mois, un homme agressait un psychiatre et plusieurs infirmières au Nouvel Hôpital civil de Strasbourg.

Il y a deux mois, un homme menaçait de mort un médecin généraliste et dégradait son cabinet.

Depuis le début de l'examen de cette proposition de loi, nous avons souligné l'urgence de répondre à une violence qui s'installe insidieusement dans notre quotidien et frappe jusqu'à nos hôpitaux, nos cabinets médicaux, nos officines. Cette violence touche celles et ceux qui soignent, qui accompagnent, qui rassurent.

Ces actes ne sont ni des faits divers ni des accidents isolés ; ils sont devenus une réalité que l'on ne peut plus ignorer.

À ce titre, je veux redire ici combien nous saluons l'initiative du député Philippe Pradal et le travail mené au Sénat par la rapporteure Anne-Sophie Patru.

Ce texte n'est pas une réponse isolée. Il s'inscrit dans un effort plus large. Je pense notamment au plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé engagé par le Gouvernement.

La prise de conscience est désormais largement partagée. La libération de la parole, la médiatisation de certains drames et le travail des ordres professionnels ont permis de nommer ce que beaucoup vivaient sans le dire. Il revenait au législateur de prendre la mesure de cette réalité.

J'en viens aux dispositions de cette proposition de loi.

Mon groupe et moi-même sommes évidemment favorables à l'article 1er, qui étend à l'ensemble des professionnels exerçant dans les lieux de soins la protection prévue depuis 2003 pour les professionnels de santé. Cette extension était attendue. Désormais, la protection s'appliquera à tous les personnels employés par des prestataires extérieurs ou exerçant en libéral, dans des structures médico-sociales, dans des officines ou encore dans des laboratoires. Il s'agit d'une clarification indispensable pour reconnaître la diversité des acteurs exposés aux violences.

En ce qui concerne l'article 2, nous avions défendu la réintroduction du délit d'outrage, plutôt que celui d'injure ; c'est cette position qui a été retenue dans le texte final. Ce choix a une portée symbolique : il rappelle que l'outrage ne saurait être relativisé dès lors qu'il vise celles et ceux qui nous soignent. Cela envoie un signal fort. En effet, les agressions verbales, les menaces et les insultes ne relèvent plus de l'anecdote ; elles sont désormais pleinement qualifiées et réprimées.

Nous saluons également l'extension, à l'article 2 bis A, de la possibilité donnée aux ordres professionnels de se constituer partie civile lorsque l'un de leurs membres subit un outrage.

Soit dit en passant, ce dispositif n'est pas sans rappeler celui créé par la loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression, loi issue d'une initiative de notre ancienne collègue, devenue ministre, Nathalie Delattre.

Dans un contexte de sous-signalement des agressions, les mécanismes de ce type doivent être développés. En effet, la faculté de se constituer partie civile à la place d'un tiers facilite l'engagement des poursuites lorsqu'un professionnel victime hésite à porter plainte seul, ou se sent isolé dans sa démarche.

Cette dernière remarque vaut également pour l'article 3, qui élargit le droit de plainte par l'employeur, les ordres professionnels ou les URPS ; nous avons soutenu cette mesure.

Ces différents mécanismes permettront, je l'espère, de rompre la spirale du silence et de l'impunité. Ils traduisent un engagement clair : ne plus laisser un professionnel seul face à la violence. En les adoptant, nous envoyons aux établissements, aux directions et aux ordres un appel à la responsabilité en affirmant que les victimes ne sauraient porter sur leurs seules épaules le poids de leur propre protection.

De manière générale, on a su faire évoluer ce texte au fil des lectures, en restant fidèles à son esprit initial. On évite ainsi l'écueil d'une surenchère pénale, tout en répondant à une demande claire du terrain.

Cette proposition de loi est le fruit d'un dialogue constant entre l'Assemblée nationale et le Sénat, dont je salue la qualité.

Elle n'épuisera pas, à elle seule, la question de la protection des soignants. Elle ne réglera pas les causes profondes de la violence de notre société. Mais, sans être un remède miraculeux, elle apporte une réponse concrète, attendue et légitime.

Aussi, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'éprouve une réelle satisfaction au moment d'achever l'examen de cette proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

En effet, notre rapporteure Anne-Sophie Patru a veillé à ce qu'il ne subsiste dans ce texte que les mesures essentielles, qu'elle a tenu à sécuriser du point de vue juridique. Je tiens à l'en remercier.

Comme vous le savez, trop de professionnels de santé sont victimes d'insultes, de menaces ou d'agressions physiques. Cette situation est inacceptable. Aussi notre réponse pénale doit-elle être à la hauteur.

Malheureusement, le soutien qu'ont pu recevoir les soignants durant la période du covid-19 semble désormais bien loin. Selon l'Observatoire national des violences en milieu de santé, près de 21 000 actes de violence ont été commis en 2024 à l'encontre de professionnels de santé. Cela représente près de 55 faits par jours.

En outre, le nombre de signalements s'accroît : entre 2023 et 2024, il a augmenté de 6,6 % toutes professions confondues, et de 27 % pour les seuls médecins.

Bien sûr, ces chiffres ne prennent en compte que les faits signalés. Or bon nombre de victimes ne portent pas plainte, par découragement ou fatalisme face à une justice qui sanctionne souvent trop tard.

Quand bien même ils seraient en deçà de la réalité, ces chiffres suffisent à démontrer l'ampleur du phénomène dont sont victimes ces professionnels, qui ne font pourtant qu'exercer leur métier au service des autres.

Les drames que constituent le décès en mai 2023 de Carène, infirmière au CHU de Reims, après avoir reçu des coups de couteau, ou encore les attaques perpétrées en janvier 2025 contre 14 soignants d'un hôpital de Haute-Savoie nous rappellent les conséquences dramatiques de cette violence trop longtemps banalisée.

Comment ne pas faire le lien avec les agressions envers les élus, les forces de l'ordre, les enseignants ou même les pompiers ? Nous devons répondre à ce phénomène.

Les mesures que comporte ce texte constituent une base favorable pour renforcer la sécurité des professionnels de santé ; ainsi de l'élargissement du champ du délit d'outrage, ou encore de la qualification de circonstance aggravante quand la victime d'une agression sexuelle est un professionnel de santé.

Cette proposition de loi permet également aux employeurs des victimes, après avoir recueilli leur accord, de déposer plainte pour elles.

Enfin, nous avons veillé à instaurer le même degré de protection pour tout professionnel de santé, qu'il exerce dans un hôpital public ou en libéral. Pharmaciens, personnels de santé à domicile, laboratoires, maisons de santé : tous ces lieux de soins, toutes ces professions sont concernés.

J'espère que les dispositions que nous nous apprêtons à adopter amélioreront la prise en charge des signalements de violences et renforceront la sécurité des professionnels de santé. Bien sûr, ce texte ne résoudra pas à lui seul le problème. Nous devons apporter une réponse plus globale, qui repose sur une meilleure coordination des acteurs – de la police, de la justice – et sur une application rigoureuse des lois et des dispositifs existants.

En outre, nous devons continuer à prévenir la violence dès l'enfance et travailler sur les conditions d'exercice des professionnels concernés, notamment à l'hôpital.

Cette proposition de loi réaffirme le soutien que les élus et la société apportent aux soignants. Le groupe Union Centriste la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon le baromètre 2025 de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), la santé psychologique des soignants est extrêmement préoccupante.

Les soignants sont exposés à des situations de stress spécifiques ; leur charge de travail entraîne notamment un sentiment de ne pas faire convenablement son travail. Les incivilités, voire les violences physiques qu'ils subissent constituent un facteur très important de tension psychologique, notamment pour les femmes.

Ainsi, 75 % des soignants estiment que leur volume de travail est trop important et 59 % d'entre eux déclarent avoir tellement de travail qu'ils ne peuvent pas tout faire convenablement. À cela s'ajoutent des facteurs de stress organisationnel et de stress spécifique lié aux violences commises à leur encontre : 54 % des soignants sont confrontés à des situations de violences au travail, 41 % font face à l'incivilité de certains patients, voire, pour 30 % d'entre eux, à une agressivité physique.

La proportion de professionnels de santé disant subir des situations de violence au travail est de vingt points supérieure à celle des autres salariés. Il existe donc une prévalence des violences dans le secteur de la santé. Celle-ci touche en premier lieu les aide-soignants : 66 % d'entre eux rencontrent souvent au moins un type de situation violente dans l'exercice de leur pratique.

La commission mixte paritaire a trouvé un accord sur cette proposition de loi, qui traduit les mesures d'ordre législatif du plan interministériel pour la sécurité de nos professionnels de santé.

Nous espérons que ce texte apportera une réponse à l'insécurité des professionnels exerçant dans le secteur de la santé, même si nous demeurons sceptiques quant à l'efficacité de la surenchère répressive.

Les violences commises par des patients envers des accompagnateurs en psychiatrie, aux urgences ou dans les Ehpad sont souvent le fait de personnes juridiquement irresponsables. Aggraver les sanctions, comme le fait ce texte, n'aura aucune conséquence en la matière.

Pour réduire les violences commises sur les professionnels, il faudrait s'attaquer aux racines du problème, c'est-à-dire aux dysfonctionnements du système de santé.

Selon le rapport de Jean-Christophe Masseron et Nathalie Nion sur les violences à l'encontre des professionnels de santé, « les difficultés du système de santé, qui ne sont malheureusement pas nouvelles, potentialisent et acutisent aujourd'hui la problématique des violences en santé ».

Face aux insultes, aux outrages, aux dégradations, aux destructions, aux vols ou aux agressions physiques, nous devons a minima nous assurer que les directions des établissements garantissent aux victimes protection et soutien.

L'article 3 bis A, issu d'un amendement déposé par le Gouvernement en séance publique, tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel en rétablissant dans son intégralité le régime de la protection fonctionnelle des agents publics. Mon groupe avait déposé, en première lecture, un amendement en ce sens, qui avait été déclaré irrecevable. Aussi nous félicitons-nous aujourd'hui que l'article 3 bis A redonne une base légale à la protection fonctionnelle des agents de la fonction publique hospitalière.

En conclusion, le groupe CRCE-K votera pour ce texte.

Mme la présidente. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

6

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (proposition n° 504, texte de la commission n° 732, rapport n° 731).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, après des mois de travail, des mois d'auditions et de débats de qualité, nous voici au terme d'un chemin parlementaire qui honore l'Assemblée nationale, le Sénat et, au-delà, la République tout entière.

À l'instant où vous allez vous prononcer sur ce texte important, je veux, au nom du Gouvernement, mesurer la portée de cet acte législatif. En effet, cette proposition de loi, qui vise à inscrire explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol, n'est pas un nouveau texte technique et juridique ; les débats parlementaires ont permis de souligner qu'elle est avant tout un texte de civilisation, d'humanité et, surtout, d'espoir.

La justice française s'est construite dans des moments où la loi s'est élevée pour dire, avec force, ce qui ne saurait plus être toléré. Ce texte s'inscrit dans la droite ligne de ces grandes avancées. Il répond à un tabou, il brise le silence, il nomme ce que des victimes ont vécu dans l'incompréhension et, parfois, la solitude.

À la lumière de drames récents, la société française a ouvert les yeux sur l'ampleur et la banalité de certaines violences. Le procès des viols de Mazan, le courage de Gisèle Pelicot, la mobilisation des associations et la libération de la parole invitent l'ensemble de la représentation nationale à agir, à légiférer.

Ce texte est le fruit d'un travail parlementaire exemplaire, transpartisan, mené avec rigueur par les délégations aux droits des femmes, les commissions des lois et l'ensemble des groupes politiques des deux chambres.

Je veux saluer ici l'engagement de Dominique Vérien, d'Elsa Schalck, et de tous ceux qui ont pris part à ce combat, sans esprit partisan, avec pour unique volonté de faire progresser le droit et la justice.

Jusqu'à présent, notre code pénal définissait le viol par quatre critères : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il ne disait rien du consentement. Cette omission aurait pu sembler anodine, mais elle a eu de lourdes conséquences. Le débat a été âpre pour déterminer s'il convenait d'intégrer cette notion dans la loi, dans la mesure où certaines associations y étaient défavorables.

Grâce au travail de ma collègue Aurore Bergé, dont je salue l'engagement, de la Chancellerie, dont je remercie les équipes, et du Parlement, en lien avec la société civile, vous allez voter pour mettre fin à cette ambiguïté. En effet, ce texte affirme clairement que le consentement est la pierre angulaire de la liberté sexuelle.

Désormais, la loi dira que le viol est un acte sexuel commis sans consentement, que ce consentement doit être libre, spécifique, préalable et révocable, et qu'il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de résistance.

Ce texte opère donc un renversement : plutôt que de scruter un comportement, de disséquer des gestes, des paroles, ou des silences, il s'agit désormais d'interroger.

Ce changement de paradigme est décisif. Il met fin à un système dans lequel le doute profitait trop souvent à l'agresseur, la victime devant prouver qu'elle avait eu la volonté de résister et qu'elle l'avait « suffisamment », si je puis dire, démontré.

Nous espérons tous que cette nouvelle donne recentrera le débat judiciaire, et notamment les procès, sur l'essentiel : la volonté ou non d'obtenir un accord explicite, libre et éclairé. Elle devrait permettre à la justice de mieux protéger, de mieux dissuader et de mieux éduquer.

Je tiens ici à rassurer les professionnels du droit, les magistrats, les enquêteurs de la police et de la gendarmerie : ce texte n'impose pas une preuve impossible à obtenir ; il ne contractualise pas la sexualité ; il ne remet en aucun cas en cause l'indispensable présomption d'innocence.

Simplement, il clarifie le raisonnement judiciaire pour donner des repères à la justice en vue d'apprécier, au cas par cas, la réalité du consentement.

À cet égard, je salue l'amendement adopté par la commission des lois du Sénat tendant à substituer la notion de « contexte » à celle de « circonstances environnantes » pour apprécier le consentement. Le Gouvernement aurait émis un avis de sagesse sur un tel amendement, mais il est entendu qu'il est nécessaire de tenir compte du contexte pour caractériser l'existence ou non du consentement.

Au-delà de son caractère répressif, je crois, comme Aurore Bergé, que cette proposition de loi a surtout une vocation éducative. Elle dit à toute la société, formellement, qu'aucun acte sexuel ne peut être imposé ; que le consentement ne se présume pas, mais s'interroge, se recherche, se recueille, se reçoit, se respecte.

Ce texte doit irriguer le plus largement possible notre culture commune et nos mœurs, au travers de l'éducation et de la formation – en particulier, il faut bien le dire, celles des hommes. Il doit nous conduire à nous questionner sur ce que nous souhaitons transmettre aux générations futures, à nos enfants, aux jeunes garçons comme aux jeunes filles, sur la liberté, le désir, le respect du corps de l'autre et de son propre corps et, de manière générale, sur la beauté de l'amour et l'échange que représente l'acte sexuel.

Ce texte nous permet d'inscrire pleinement notre droit dans le cadre posé par la convention d'Istanbul, de répondre aux recommandations du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Grevio) et de tenir notre place dans la diplomatie féministe voulue par le Président de la République.

Il prolonge l'engagement de la France pour la protection des mineurs, contre l'inceste, contre la prostitution des enfants, contre toutes les formes de violences sexuelles qui touchent les plus faibles. Il donne à la France la capacité de défendre, sur la scène internationale, une définition exigeante du consentement, conforme à nos valeurs. Il s'inscrit dans la continuité des grandes lois contre les violences sexistes et sexuelles, pour lesquelles des femmes et des hommes se sont si longtemps battus.

En tant que garde des sceaux, je sais la nécessaire prudence qu'impose toute modification de notre droit pénal. Je veux dire à la société que ce texte n'est qu'une étape. Il appartient désormais aux magistrats et aux enquêteurs de le faire vivre, sous le contrôle attentif du Parlement, qui ne manquera pas d'évaluer les effets de l'important travail qu'il a réalisé.

Je veux saluer la détermination de tous et remercier les parlementaires, ainsi que le Conseil d'État, qui nous a accompagnés, avec vigilance, dans l'élaboration de ce texte. Je remercie également les éducateurs, les soignants, les enquêteurs, les magistrats, tous les professionnels du droit qui, chaque jour, sur le terrain, accompagnent les victimes, préviennent les violences, font vivre la justice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant ce texte, vous allez écrire une page importante de notre histoire pénale, faire honneur à la République et dire, avec force, que la liberté sexuelle est un droit fondamental, que le respect de l'autre est la condition première de toute civilisation et que la présomption d'innocence doit être absolument garantie.

Je vous invite donc à adopter ce texte, à porter haut cette exigence de clarté pour faire triompher la liberté sur la violence et la justice sur le silence.

Je vous remercie une nouvelle fois, madame la ministre, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre travail équilibré et de l'écoute que vous avez toujours eue pour les arguments juridiques. Ce travail, le vote qui interviendra dans quelques instants, j'en suis sûr, le consacrera. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le consentement est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles. Il est une évidence, qui aurait dû s'imposer depuis toujours.

Pourtant, il reste un concept volontairement déformé, caricaturé. Pourquoi ? Parce qu'il heurte des habitudes, des croyances ; parce qu'il dérange.

Il dérange, car il est intrinsèquement lié à une réalité que l'on préférerait mettre à distance. Cette réalité, occultée par les clichés, là voici : dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur, celui qui abuse, celui qui viole. Je répète : neuf fois sur dix ! L'agresseur n'est pas un inconnu tapi dans l'ombre ; il est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami, un collègue.

Cette proximité brouille les frontières et nourrit des doutes insupportables : « Pourquoi n'a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s'est-elle pas débattue ? Pourquoi n'a-t-elle rien dit plus tôt ? »

Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique.

Parce que la peur, la sidération, la honte, le contrôle coercitif, les violences psychologiques, les abus d'autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles, qui paralysent, qui peuvent paralyser longtemps.

Parce que l'absence de cri, de lutte ou de résistance n'a jamais établi un consentement.

Parce que le silence d'une victime n'est jamais un consentement.

Parce que ne pas dire non ne veut pas dire oui.

Nous vivons un moment charnière. Le procès de Mazan en est le symbole ; Gisèle Pelicot en offre le visage : celui d'une femme debout.

Gisèle Pelicot était droguée par son mari pour être vendue à des inconnus recrutés sur internet, qui la considéraient « comme une poupée de chiffon, un sac poubelle ». Pendant dix ans, son corps a été un terrain vague, son existence un cauchemar méthodiquement et chimiquement orchestré.

Ils ont été cinquante et un ; cinquante et un hommes ; cinquante et un visages terriblement ordinaires. Ce sont des voisins, des collègues, des pères de famille ; ce sont de ces hommes que nous croisons chaque jour, preuve que l'horreur a un visage familier.

Quand l'heure de répondre de leurs actes est venue et qu'il leur a fallu se rendre au tribunal, ils se sont présentés masqués, cachés sous des capuches ou des cagoules. Avaient-ils honte d'eux-mêmes ou simplement honte d'avoir été interpellés ?

Ce procès nous oblige. Il doit y avoir un avant et un après Mazan. Nous n'avons plus le droit de détourner le regard. Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu'elle est, avec ses violences, ses silences et ses complicités.

Nous devons nous hisser à la hauteur du courage de Gisèle Pelicot et de toutes celles qui ont porté plainte, mais aussi de toutes celles qui hésitent, de toutes celles qui renoncent par peur de l'épreuve du traitement judiciaire.

Nous devons donc redoubler d'efforts : si nous avons progressé au cours des dernières années pour mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux, si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d'accompagnement, ainsi que notre arsenal juridique, si nous avons commencé à graver dans la loi l'absence de consentement, le combat n'est pas pour autant terminé.

En inscrivant dans notre code pénal, par la loi du 21 avril 2021, le seuil de 15 ans, en deçà duquel il ne peut jamais y avoir de consentement, nous avons clarifié le travail de la justice.

Avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas comprendre ce qu'on lui suggère ou ce qu'on lui impose.

Avant 15 ans, un enfant ne peut pas consentir. C'est « non », c'est toujours « non ». Il s'agit là d'un interdit absolu, et il ne peut en être autrement.

Aujourd'hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant une vérité simple, incontestable et inaltérable : consentir, ce n'est pas ne pas dire non. Consentir, c'est dire oui : un oui explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté.

Il ne s'agit pas de caricaturer cette exigence, en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle. Il s'agit de protéger, de reconnaître et de rendre justice, car le viol n'est ni une fatalité ni un malentendu. Le viol est un crime : un crime qui brise, qui mutile et qui anéantit.

En la matière, nous avons une responsabilité historique.

Cette avancée législative majeure répond pleinement à un engagement formel du Président de la République. Elle bénéficie, en outre, du soutien constant de tous les membres du Gouvernement, et notamment de M. le garde des sceaux.

Je me réjouis aussi de l'engagement des parlementaires de tous horizons qui défendent cette avancée avec force et conviction, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Je tiens à rendre hommage au travail remarquable des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, dont la mission et le rapport d'information ont joué un rôle décisif.

Je salue aussi l'engagement du Sénat dans ce combat. En témoignent le colloque organisé sur le sujet par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, en novembre 2024, et la mission commune que cette même délégation a menée avec la commission des lois sur la prévention de la récidive du viol, dont les conclusions ont été présentées le mois dernier.

De même, je salue l'engagement sincère des deux rapporteures de la Haute Assemblée, toujours alliées sur ces sujets (Mmes les rapporteures sourient.), Elsa Schalck et Dominique Vérien.

Les travaux parlementaires, conjugués à l'avis éclairé rendu, dans de brefs délais, par le Conseil d'État, ont permis d'aboutir à une écriture qui rassure, encadre et sécurise.

Aujourd'hui, cette proposition de loi vous donne l'occasion d'inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental, principe de justice et de dignité : le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.

Il doit être libre, parce qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit en fausser la nature. Une femme qui craint de perdre son emploi, une jeune fille face à son entraîneur, une femme sous l'emprise d'un conjoint violent peut-elle réellement dire non ?

Il doit être éclairé : comment consentir si l'on est droguée, soumise, ivre, en situation de vulnérabilité ou placée dans un rapport d'autorité ?

Il doit être spécifique, pour que nul ne puisse détourner son sens. Consentir à un acte n'est pas consentir à tous les actes, et le droit des contrats ne saurait justifier un quelconque droit de disposer du corps d'autrui.

Enfin, il doit être préalable et révocable, car personne ne doit être enchaîné par un consentement accordé une fois. Dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours, et le droit de dire non à tout moment doit être respecté.

J'ajoute que le consentement doit toujours être apprécié dans son contexte. Une relation hiérarchique, une dépendance économique, un climat de peur ou de manipulation sont des éléments qui ne peuvent être ignorés.

Ce n'est qu'en mettant en lumière les stratégies de coercition que nous pourrons démasquer ceux qui exploitent la vulnérabilité des autres.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le combat contre toutes les formes de violences exige une réponse juridique globale, structurée et ambitieuse. C'est pourquoi – il s'agit là d'une première – nous avons créé un groupe de travail parlementaire réunissant l'ensemble des forces politiques représentées à l'Assemblée nationale et au Sénat, sans exclusive, sans tabou, sans calcul partisan.

Avec des députés et des sénateurs de tous bords, nous travaillons à l'élaboration d'une loi-cadre contre les violences sexuelles et intrafamiliales, que les victimes soient majeures ou mineures. Je tiens d'ailleurs à remercier celles et ceux d'entre vous qui prennent part, très activement, à ce chantier.

Nous l'avons constaté une nouvelle fois hier, lors de la quatrième réunion de ce groupe de travail : face aux violences sexuelles, l'unité est à la fois souhaitable et possible. Pour éradiquer ce fléau, nous savons faire République.

M. le garde des sceaux l'a dit, au-delà des textes de loi, c'est un changement de culture que nous devons opérer, collectivement.

La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattue par chacune et chacun d'entre nous, tout le temps et à tous les niveaux.

Elle est là chaque fois qu'une victime est réduite au silence, chaque fois qu'un agresseur est excusé, chaque fois qu'un « non » est interprété comme un « peut-être ».

Elle est là quand on apprend à nos filles qu'elles doivent avoir peur et se méfier au lieu d'apprendre à nos garçons qu'ils doivent les respecter ; quand on insinue que les vêtements, l'attitude ou l'heure tardive justifient l'injustifiable et qu'après tout la victime « l'a bien cherché ».

Mettre fin à cette culture, c'est éradiquer ces mécanismes de domination. C'est éduquer. C'est refuser la complaisance et le déni. C'est dire clairement que la honte est du côté, non pas des victimes, mais de ceux qui violent ; de ceux qui minimisent ; de ceux qui détournent le regard et qui laissent faire, complices.

Aujourd'hui, nous pouvons faire un pas décisif vers une véritable culture du consentement.

Le présent texte ne changera évidemment pas tout, et nous devrons continuer de lutter contre toutes les formes de violence. Mais il peut marquer un tournant.

Il nous revient aujourd'hui de réaffirmer haut et fort que le corps des femmes leur appartient ; qu'aucun homme ne peut jamais prétendre avoir un droit sur lui ; que ce qui compte, ce n'est pas ce que l'agresseur croit, mais ce que la victime veut. Et cela, c'est déjà une révolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n'est point d'acte sexuel licite s'il n'est pas consenti. Or céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à une forme de pression, quelle qu'elle soit, ce n'est pas consentir.

Se taire ou se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur – peur des coups, peur des représailles, peur de réveiller les enfants si l'on crie.

Se résigner lorsqu'un refus n'a pas été entendu, alors même qu'il a été exprimé des dizaines de fois, ce n'est pas consentir. C'est simplement dire que l'on n'a plus la force de lutter.

Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est trop souvent être dans un état de sidération tel que l'on n'est pas en mesure de se défendre.

C'est pour rappeler ces principes simples et les inscrire dans notre droit que nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, que je salue, visant à modifier la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles pour y inscrire la notion de consentement.

Ce texte, fondé sur l'important travail mené par nos collègues députées et sur leur rapport d'information rendu public en janvier 2025, apporte plusieurs aménagements au droit en vigueur.

Tout d'abord, il introduit une référence explicite à la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles, entendues en leur sens large, qui inclut le viol.

Ensuite, il précise que le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et toujours révocable.

Enfin, il préserve les acquis de notre droit pénal et de la jurisprudence en conservant les quatre pivots que sont la violence, la menace, la contrainte et la surprise.

Ces orientations font consensus : les amendements déposés en sont la preuve, puisqu'aucun d'entre eux ne tend à remettre en cause l'architecture adoptée en commission.

Qu'il me soit permis, cependant, de revenir sur certaines des évolutions apportées au texte par notre commission des lois.

Ma corapporteure Dominique Vérien et moi-même avons rapidement été confortées dans l'idée que cette proposition de loi avait une portée interprétative. Loin de rendre plus sévère le droit pénal, elle ne fait que graver dans le code pénal les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît la centralité du consentement depuis l'arrêt Dubas de 1857.

Enrichi des modifications adoptées par nos collègues députés pour tenir compte d'un avis particulièrement éclairant et précis du Conseil d'État, le texte transmis au Sénat était déjà extrêmement abouti. Nous nous sommes donc contentées d'y apporter deux modifications.

La première est une coordination, grâce à laquelle le périmètre matériel du viol sera le même pour toutes les victimes, quel que soit leur âge. En effet, nos collègues députés n'avaient pas effectué les modifications requises parmi les dispositions spécifiques aux mineurs. Dès lors, le présent texte risquait de placer ces derniers dans une situation juridiquement moins favorable que les majeurs. Nous ne pouvions pas laisser une telle incohérence s'immiscer dans notre droit : nous avons procédé aux coordinations requises.

La seconde porte sur les conditions dans lesquelles l'absence de consentement sera appréciée par le juge du fond.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale renvoyait, en la matière, aux « circonstances environnantes », terme emprunté à la convention d'Istanbul de 2011. Or cette notion n'est pas connue en droit pénal français. Elle aurait donc pu être source de difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes. Pis encore, elle est susceptible de provoquer des effets de bord négatifs pour les victimes : elle peut conduire à exploiter leur environnement, leur comportement, leurs relations ou leur passé, ce qui est l'exact contraire du but visé par cette proposition de loi.

Nous avons donc préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Nous pourrons ainsi tenir compte de tous les éléments susceptibles d'avoir vicié le consentement de la victime.

Mes chers collègues, avant de céder la parole à Dominique Vérien, j'attire votre attention sur le point d'équilibre que constitue la formule dégagée par nos soins en commission.

Le droit pénal est une matière sensible. Plus encore que tout autre domaine de la loi, il doit être modifié d'une main tremblante, car, si nous commettions une erreur de droit, ce sont les victimes qui en feraient les frais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en complément des propos d'Elsa Schalck, auxquels je m'associe évidemment sans réserve, je reviendrai sur les principes juridiques qui ont fondé la position de la commission sur les amendements que nous examinerons au cours de la soirée.

Elsa Schalck le rappelait à l'instant, on ne doit toucher à la loi pénale que d'une main tremblante, en s'assurant d'être soutenu par des certitudes quant aux multiples effets que l'on va produire dans l'ordre juridique et sur la base d'un travail approfondi, pour garantir la conformité de la loi nouvelle à la Constitution.

Une censure décidée à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aurait, en effet, des conséquences dévastatrices pour les victimes. C'est un risque que nous devons à tout prix éviter.

Je suis certaine que nous nous rejoignons sur ces principes. Il me reste à vous exposer comment nous les avons appliqués.

Tout d'abord, nous avons émis un avis défavorable ou une demande de retrait sur les amendements dont la portée juridique ne peut être définie avec précision en l'état de nos travaux.

Je le dis avec force et de manière solennelle : cette position n'ôte rien à l'importance des sujets auxquels ces amendements nous confrontent, qu'il s'agisse de la soumission chimique, chère Véronique Guillotin, pratique dont le procès des viols de Mazan a rappelé la cruelle brutalité, ou de la prostitution des mineurs de 15 ans, dont l'insuffisante répression, aussi réelle que choquante, est dénuée de lien avec la rédaction actuelle de la loi pénale.

Ce choix s'explique aisément : il n'est pas raisonnable de modifier la loi pénale sans avoir, au préalable, mené l'ensemble des travaux requis.

Nous ne saurions négliger les apports des auditions et du travail législatif tout entier, quelle que soit la qualité des réflexions préparatoires qui ont pu être menées, sous peine de priver notre mission de législateurs de son but essentiel : peser tous les arguments, sans exception et avec sérieux, pour rester les gardiens de l'intérêt général.

Le texte que nous examinons aujourd'hui a été précédé d'un rapport sur lequel Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin ont travaillé pendant plus d'un an. Pour autant, l'examen de cette proposition de loi en commission, puis en séance à l'Assemblée nationale a donné lieu à des modifications substantielles, sans lesquelles la solidité du texte n'aurait pas été acquise.

Cet exemple doit nous inspirer. Je souhaite, en outre, que le Gouvernement s'engage à donner au Parlement le temps de mener un travail spécifique sur les autres sujets dont nous aurons à débattre, notamment la soumission chimique.

De même, nous avons émis un avis défavorable sur les amendements dont les dispositions présentent un risque juridique, dans la mesure où elles paraissent contraires à des principes constitutionnels.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je pense aux amendements visant à ériger en élément constitutif du viol des situations qui sont aujourd'hui constitutives de circonstances aggravantes de la même infraction.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et ce ne serait pas constitutionnel ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ce cumul n'est pas envisageable en droit, car il serait contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Nous avons réservé un sort identique aux amendements visant à préciser, de bonne foi, mais à l'excès, la définition du viol et des autres agressions sexuelles. Bien que l'intention de leurs auteurs soit louable, nous nous devons de rappeler que la loi pénale est d'interprétation stricte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous nous l'apprenez… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Tout ajout est de nature à limiter les marges de manœuvre du juge du fond, à l'empêcher de tenir compte de la diversité des situations auxquelles sont confrontées les victimes et, par voie de conséquence, à dégrader l'effectivité de la répression.

Enfin, nous avons émis un avis défavorable sur…

Mme Laurence Rossignol. Dites « tous les amendements », nous irons plus vite !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … les amendements dont les dispositions, sans être dépourvues de lien indirect avec le texte, nous renvoient à des débats qui en excèdent largement le cadre.

Je pense aux amendements tendant à remettre en cause l'équilibre issu de la loi du 21 avril 2021, adoptée sur l'initiative de notre collègue Annick Billon, s'agissant des critères du viol entre majeurs et mineurs. Je pense aussi aux amendements visant à modifier en profondeur le régime de la prostitution.

Ces sujets ont déjà donné lieu à de riches débats. Dans l'absolu, ces derniers peuvent être rouverts, mais ils supposent une évaluation du droit en vigueur, de sa pertinence et de son efficacité. À défaut, une évolution de la loi ne saurait, selon nous, être envisagée.

Mes chers collègues, cette proposition de loi marque un moment charnière dans la lutte contre les violences sexuelles.

Par son caractère interprétatif, elle nous impose une forme de modestie : elle nous rappelle que le législateur ne peut pas tout et que les plus grands bouleversements ne passent pas forcément par les textes.

Ce qu'il faut pour mieux réprimer les viols et les autres agressions sexuelles, ce sont avant tout des moyens supplémentaires pour les enquêtes, ainsi que des formations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats.

Ce qu'il faut, c'est aussi, voire surtout, inciter les victimes à porter plainte sans tarder. Elles doivent avoir confiance en nos institutions. Nous devons leur donner l'assurance qu'elles seront protégées et entendues.

Toutefois, ce texte est moins modeste qu'il n'y paraît…

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'incidence de la loi sur la réalité ne se mesure pas à la longueur ou à la complexité des textes que nous adoptons. L'enjeu, aujourd'hui, est de pousser les juges et les enquêteurs à se focaliser sur les auteurs plutôt que sur les victimes, tout en faisant œuvre de pédagogie pour le justiciable.

Alors que, chaque année, 230 000 femmes se déclarent victimes de viol ou d'agression sexuelle,…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … quelques milliers de condamnations seulement sont prononcées. Les marges de progrès sont donc immenses.

C'est avec la rigueur juridique que la gravité du sujet nous impose…

Mme la présidente. Merci beaucoup !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … que nous allons consolider ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq,

est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Xavier Iacovelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte. En outre, 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite. Enfin, seuls 1 % des violeurs sont finalement condamnés.

Ce sont ces chiffres-là qui doivent nous obséder. Nous devons rechercher les meilleurs moyens de pousser les femmes à déposer plainte, les parquets à poursuivre et les juridictions de jugement à entrer en voie de condamnation.

Le présent texte le permettra-t-il ? Nous l'espérons, mais – il faut le reconnaître en toute honnêteté – nous ne le savons pas. Peut-être débattons-nous ce soir d'un texte historique, mais peut-être cette proposition de loi se révélera-t-elle inefficace.

Avant tout, nous devons examiner avec la plus grande attention les modifications législatives proposées.

La notion de consentement est entrée dans le débat public il y a quelque temps – avant le procès Pelicot –, après avoir été mise en lumière par des personnalités de premier plan.

Évidemment, nous sommes tous d'accord pour que ce terme entre dans la définition de l'infraction de viol. Toutefois, la question est plus compliquée que cela.

Aujourd'hui, la qualification de viol repose sur le recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. Mais, en parallèle, elle bénéficie d'une jurisprudence extrêmement solide : il ne faudrait pas qu'une modification législative conduise à l'affaiblir.

Tel a été le premier objectif des membres du groupe socialiste : faire en sorte que la législation actuelle ne soit pas affaiblie.

Heureusement, cette question a bénéficié d'un effort remarquable de fabrication de la loi, ce qui est assez peu fréquent, y compris pour les propositions de loi du Sénat…

Inspiré par une importante mission d'information et enrichi par l'avis du Conseil d'État, ce travail a abouti à une construction très intelligente. (Mme la ministre acquiesce.)

Le présent texte affirme que le consentement est un préalable indispensable, en définissant cette notion, puis précise qu'il n'y a jamais de consentement quand il est fait recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Dans de tels cas, il ne sera pas possible de plaider le consentement. Cette rédaction ne résout pas tout le problème juridique, mais elle permet d'avancer.

Ce faisant, le présent texte est de force à rappeler aux autorités policières, et peut-être aussi aux autorités de poursuite, que la notion de consentement existe : ce serait là déjà une grande avancée.

Je me tourne à présent vers les associations féministes, dont des représentantes se trouvent peut-être dans nos tribunes. À mon sens, le fait d'introduire la notion de consentement dans la définition du viol ne revient pas à concentrer le propos et l'attention sur la victime, d'autant que tel est déjà le cas : aujourd'hui, dans tous les procès pour viol, c'est le comportement de la victime qui est scruté.

Je le répète, les membres du groupe socialiste insistaient sur la nécessité de ne pas affaiblir la jurisprudence : ce danger est écarté.

De plus, nous voulions que la législation reprenne la notion de consentement, sans croire, de manière magique, à la vertu performative du droit. Un violeur ne lit pas le code pénal avant de passer à l'acte… Mais cette notion permet de clarifier un certain nombre de points.

La construction d'ensemble est donc intéressante. Nous y sommes favorables, d'autant que – Elsa Schalck l'a souligné tout à l'heure – cette proposition de loi est, à ce stade, un texte de nature interprétative. Ses dispositions seront donc applicables à des faits antérieurs à leur adoption. (Mmes les rapporteures le confirment.) À l'inverse, les mesures durcissant la loi pénale ne peuvent être appliquées de manière rétroactive.

Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas adopter des dispositions d'une autre nature, lesquelles pourraient s'appliquer aux faits ultérieurs. Mme Rossignol y reviendra sans doute tout à l'heure.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous sommes favorables au présent texte et nous abordons ces débats, certes sans illusion particulière, mais avec un optimisme résolu.

L'ensemble des sujets ne sauraient être traités par le biais de cette proposition de loi. Nous n'en espérons pas moins que les poursuites pour viol seront, demain, plus efficaces. C'est pourquoi – nous défendrons un amendement en ce sens – nous demandons une évaluation afin de savoir, dans quelques années, si le but assigné à ce texte a bien été atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des crimes que l'on crie et d'autres que l'on tait. Le viol fait partie de ceux que l'on a longtemps tus, que ce soit par honte, par peur ou par sidération.

Le viol est un crime où le corps de la victime devient à la fois la scène, la preuve et parfois, injustement, l'objet du soupçon.

Notre droit pénal ne nomme toujours pas ce qui est pourtant au cœur de cette violence, à savoir l'absence de consentement.

Le chemin vers la reconnaissance de cette notion a été long, très long, trop long. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la jurisprudence pénale considère que le mariage ne pouvait justifier qu'un conjoint impose à l'autre des rapports sexuels. En outre, c'est seulement en 2010 que la loi a supprimé ce qui restait de la présomption de consentement liée au mariage.

Ces constats en disent long des résistances s'exerçant en la matière. Aujourd'hui encore, certains peinent à admettre qu'un acte sexuel, même au sein du couple, doit être librement consenti.

Le viol, tel qu'il a été défini par la loi du 23 décembre 1980, repose exclusivement sur des moyens de coercition : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Mais ces catégories ne correspondent pas à la réalité des violences sexuelles.

Le viol est un crime sans aveu. Dans certains cas, l'auteur ne menace pas, ne frappe pas, ne crie pas. Il agit autrement. Il abuse d'une confiance. Il profite d'un moment d'inconscience. Il exploite ou provoque une situation de vulnérabilité. Il n'a pas besoin de violence visible : il s'appuie sur le silence, la peur ou la sidération. Bien connue des professionnels, cette dernière fige la victime, la paralyse et la dissocie, au point parfois d'effacer la mémoire du traumatisme.

Quand une preuve ADN existe, l'auteur ne nie pas le rapport sexuel. Simplement, il peut dire : « Elle était d'accord. » C'est alors que tout se complique.

Pour que l'infraction soit reconnue, la justice doit parvenir à démontrer que l'auteur savait que la victime ne consentait pas. Or, dans un crime sans témoin, sans aveu, sans violence apparente, cette preuve est souvent impossible à établir. C'est ainsi que le doute s'installe et, avec lui, le non-lieu, le classement sans suite, le silence.

Les chiffres sont effrayants. En 2023, 270 000 personnes auraient été victimes d'un viol, d'une tentative de viol ou d'une autre agression sexuelle ; mais, au total, seulement 6 % des victimes, en moyenne, portent plainte.

(À suivre)