Mme Anne Souyris. Par cet amendement, je reviens sur la question, que j'ai abordée lors de mon explication de vote sur l'amendement de Mme Brulin, des prérequis scientifiques, lesquels sont souvent absents ou pas assez bien maîtrisés.

L'inquiétude des jeunes qui souhaiteraient faire des études de médecine mais qui s'autocensurent, s'estimant insuffisamment formés en matière scientifique – pour des raisons réelles ou supposées –, est une réalité. En conséquence, on observe un phénomène de reproduction sociale, puisque seuls les enfants de médecin osent se lancer dans ces études, tandis que ceux qui en ont les moyens partent à l'étranger, où la formation scientifique est renforcée, ou ont recours à des cours privés. Ainsi, les solutions existantes alimentent l'élitisme et concourent à amoindrir le nombre de jeunes qui se tournent vers ces études.

Je propose donc de renforcer les matières scientifiques pour les jeunes qui ont le moins d'acquis scientifiques ou qui se sentent les moins assurés dans ces domaines, en particulier dans le cadre des LAS.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Là encore, je vous remercie de mettre ce sujet sur la table, ma chère collègue. Celui-ci doit être pris en compte dans le cadre de la réflexion que nous avons à mener, au même titre d'ailleurs que le tutorat, qui constitue un outil efficace pour accompagner les jeunes.

En tout état de cause, il nous faudra identifier les meilleures options pour démocratiser les études de médecine, en tenant compte des paramètres sociaux et territoriaux.

Si je vous rejoins donc sur le fond, et que, comme vous, je souhaite que nous avancions sur ce sujet, vous savez que, sur la forme, je ne puis qu'être défavorable à une demande de rapport.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons ouvert des formations de première année dans les départements les plus éloignés des facultés de médecine, et nous sommes parvenus à diversifier les profils des étudiants qui y sont admis. Cet objectif a été atteint, car nous avons agi sur les inégalités sociales : plus aucune difficulté liée au logement ou aux frais de transport ne freine les jeunes qui souhaitent s'inscrire.

Il est par ailleurs exact qu'un jeune qui prépare une LAS n'évolue pas dans un environnement scientifique, et pour cause ! Les étudiants peuvent opter pour une mineure santé alors qu'ils effectuent un cursus de droit ou d'économie. Cela n'a choqué personne lorsque ces cursus ont été conçus ; pourtant, il ne nous viendrait pas à l'idée de proposer à un jeune qui veut faire du droit de préparer un cursus de médecine avec une mineure droit…

En tout état de cause, nous travaillons, avec Philippe Baptiste, à une réforme du Pass-LAS visant à favoriser à la fois la diversité sociale et la diversité des profils d'étudiants, afin d'encourager des profils non scientifiques. Le rapport de la Cour des comptes montre que les dispositions existantes ne sont pas pleinement efficaces. Il nous faut donc trouver des outils plus appropriés.

Comme le rapporteur, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. Il est en effet nécessaire de réformer le premier cycle des études de santé afin de pallier les difficultés identifiées dans le système Pass-LAS.

J'avais du reste déposé un amendement dont l'objet était proche de celui de Mme Souyris, mais j'ai eu la surprise de voir que, comme un autre amendement tendant à prendre en compte le caractère prioritaire des besoins de santé dans les territoires, il avait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.

Alors que, selon son intitulé même, la présente proposition de loi vise à former plus de médecins, cet amendement a en effet été retoqué au motif que, en tendant à augmenter le nombre d'étudiants, il tendait également à renchérir les dépenses des universités… C'est cocasse !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Chapitre II

Encourager l'émergence de médecins en combattant la fuite des cerveaux

Après l'article 1er
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Article 3

Article 2

(Non modifié)

I. – Le II de l'article L. 631-1 du code de l'éducation est complété par un 11° ainsi rédigé :

« 11° Les conditions et les modalités d'accès à la formation de médecine des étudiants français inscrits avant la promulgation de la loi n° … du … visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation dans la même filière dans un État membre de l'Union européenne, un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre. »

II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif aux étudiants français inscrits en formation de médecine à l'étranger. Ce rapport comporte des données chiffrées, relatives notamment au mode et au lieu d'exercice ainsi qu'à l'évolution de la carrière de ces personnes à l'issue de leurs études – (Adopté.)

Chapitre III

Développer l'accès aux soins médicaux par la formation des professionnels paramédicaux

Article 2
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Après l'article 3

Article 3

(Non modifié)

I. – Après l'article L. 632-6 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 632-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 632-6-1. – Sont créées par voie réglementaire des passerelles afin que des professionnels paramédicaux puissent reprendre des études adaptées et accompagnées de médecine.

« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »

II. – Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conséquences de l'arrêté du 22 octobre 2021 modifiant l'arrêté du 4 novembre 2019 relatif à l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique sur l'accès des auxiliaires médicaux aux études de médecine. Il étudie les freins durables aux reconversions des professions paramédicales vers la profession de médecin et formule des recommandations sur les évolutions potentielles à apporter aux passerelles existantes – (Adopté.)

Article 3
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Article 3 bis

Après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Poumirol et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l'opportunité de proposer aux élèves inscrits en classe de première et de terminale en voie générale, des enseignements facultatifs visant à préparer à l'admission en premier cycle d'études de santé.

La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Je ne comprends pas pourquoi cet amendement tendant à demander un rapport sur l'opportunité de proposer des enseignements aux élèves de lycée est examiné à cet endroit du texte.

Il reste que je l'ai déjà évoqué, et qu'il est donc défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Je ne peux vous expliquer pourquoi cet amendement est examiné à cet endroit du texte, ma chère collègue.

Quoi qu'il en soit, plutôt qu'un rapport, je vous propose de demander une évaluation des deux expérimentations, instaurées par la loi Valletoux, qui ont mises en place.

Dans l'exposé des motifs de votre amendement, vous citez notamment l'académie de Montpellier, qui a déployé cette option. Il conviendrait de faire le bilan de cette expérimentation, puisque nous avons la chance que deux académies aient accepté d'y prendre part, afin d'évaluer l'opportunité de généraliser rapidement ce dispositif. Nous avions soutenu cette démarche au Sénat. Je me tourne donc vers M. le ministre pour savoir si le Gouvernement est prêt à réaliser ce travail.

En tout état de cause, l'avis est défavorable, au bénéficie de cette évaluation que j'appelle de mes vœux. Allons plus vite !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je souscris à votre proposition, monsieur le rapporteur et président de la commission.

Je précise que les quatre académies qui se sont initialement portées volontaires pour cette expérimentation – Bordeaux, Metz-Nancy, Toulouse et Montpellier – ont été rejointes par sept autres académies – Amiens, la Guyane, Lille, Mayotte, Nantes, Orléans, Tours et Rennes.

Soyez assuré que mon ministère prendra toutes les dispositions utiles pour que nous puissions évaluer ce dispositif rapidement.

Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de mise en œuvre, les impacts attendus et les modalités de financement d'un dispositif national de transition professionnelle pour les personnels de santé.

Ce rapport dresse un état des lieux des passerelles et validations d'acquis existantes entre professions de santé, identifie les obstacles réglementaires ou organisationnels et propose des évolutions, notamment la création d'un parcours d'alternance de reconversion ouvrant l'accès aux diplômes de médecine, pharmacie, odontologie, maïeutique et masso-kinésithérapie pour les professionnels justifiant d'au moins trois années d'exercice. Il analyse les conditions de renforcement et de simplification de la validation des acquis de l'expérience (VAE) afin de reconnaître les compétences acquises en exercice et de structurer des parcours individualisés compatibles avec le maintien d'une activité rémunérée. Il évalue les leviers de financement de ces dispositifs, via notamment le fonds d'intervention régional (FIR), le compte personnel de formation (CPF) des auxiliaires médicaux, salariés ou libéraux, qui pourrait être abondé par le FIR ou le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS).

Le rapport propose, le cas échéant, les adaptations législatives et réglementaires nécessaires, et présente un calendrier de déploiement, une estimation des effectifs concernés, l'impact potentiel sur les besoins démographiques en santé ainsi qu'un bilan prévisionnel des coûts et économies induits.

La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Par cet amendement, je souhaite inviter le Gouvernement à créer de véritables passerelles entre les différentes professions de santé. Si le principe est évoqué dans la proposition de loi, il s'agit d'aller plus loin en formulant un certain nombre de propositions concrètes.

En juin dernier, j'ai demandé la réalisation d'une note de législation comparée sur ce sujet. Elle montre que, si aucun dispositif précis n'est mis en place dans les six pays étudiés, il est intéressant de soutenir un certain nombre de dispositifs en faveur des professionnels en exercice, tels que la création d'un parcours d'alternance sécurisé financièrement – une mesure particulièrement intéressante –, le renforcement des systèmes de validation des acquis de l'expérience (VAE), l'ouverture du fonds d'intervention régional (FIR) au financement de ces parcours de reconversion et la mobilisation du FMIS.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur. Au risque de me répéter, le sujet est intéressant, ma chère collègue ! (Sourires.) S'il est abordé dans le présent texte, il pourrait en effet être approfondi dans le cadre des travaux que j'évoquais.

Sans mésestimer l'importance de la question que vous soulevez, je demande toutefois le retrait de votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable, puisqu'il s'agit d'une demande de rapport.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Vous avez raison, les passerelles pourraient être étendues, madame la sénatrice Souyris. L'article 3 n'aborde que les passerelles du secteur paramédical vers le secteur médical, mais, depuis le covid et la quête de sens qu'il a emportée, nous observons que des personnes dont le profil est extra-médical ou extra-paramédical souhaitent se reconvertir.

À l'heure où des technologies de pointe, comme l'intelligence artificielle, s'invitent dans la médecine, des ingénieurs ayant suivi des cursus avancés, par exemple, trouvent du sens à s'orienter vers la médecine. Lorsque j'étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, j'avais d'ailleurs instauré un double cursus associant la faculté de médecine et l'École centrale de Lyon.

Cette proposition de loi ayant été examinée par l'Assemblée nationale dans le cadre d'une niche, elle ne pouvait initialement compter qu'un nombre limité d'articles. Nous ne pouvions donc pas embrasser tous les sujets.

Je le redis, j'estime toutefois qu'il nous faut favoriser les passerelles pour des profils extra-médicaux et extra-paramédicaux, sans que ces derniers entrent en concurrence avec les sages-femmes, les infirmières anesthésistes ou les masseurs-kinésithérapeutes qui veulent reprendre des études.

Des personnes aux profils différents ayant un bagage scientifique peuvent en effet, de manière complémentaire, se destiner à des spécialités s'appuyant sur l'intelligence artificielle, à la radiologie ou à la recherche.

Pour les raisons que vous connaissez, je demande toutefois le retrait de cet amendement. À défaut, l'avis serait défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Après l'article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation
Article 4 (début)

Article 3 bis

(Non modifié)

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l'offre de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique dans les territoires caractérisés par une offre de soins insuffisante au sens de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. Le rapport examine notamment le taux d'accès à ces études dans ces territoires ainsi que la correspondance entre le lieu de formation, en particulier en premier cycle, et le premier lieu d'exercice des professionnels de santé formés. Il formule des propositions permettant de garantir l'équité territoriale de l'offre de formation en santé, notamment par l'implantation de nouveaux lieux de formation – (Adopté.)

Article 3 bis
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Article 4 (fin)

Article 4

(Non modifié)

I. – La charge pour l'État est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je tiens tout d'abord à saluer de nouveau le rapporteur Khalifé Khalifé – je sais qu'il nous regarde –, dont je regrette l'absence.

Si le député Neuder peut être satisfait, car il a terminé son travail, pour le ministre Neuder, le chantier commence ! Le soutien que cette proposition de loi a reçu sur toutes les travées de cet hémicycle renvoie en effet le Gouvernement à ses responsabilités, notamment en matière de moyens. Ces derniers sont en effet nécessaires pour que, au-delà des intentions, la situation évolue et que, dans un dialogue avec l'enseignement supérieur, le nombre de places de formation augmente.

Nous nous sommes pour notre part engagés à mener des travaux et nous tiendrons cet engagement. Le député Neuder serait certainement heureux d'entendre le ministre Neuder s'engager à son tour sur les moyens à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir voté cette proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, et partant, la situation des déserts médicaux.

Je remercie la commission des affaires sociales, le rapporteur Khalifé Khalifé, le président de la commission, ainsi que tous les orateurs des groupes.

Le manque de médecins formés est l'explication première de l'existence de déserts médicaux. Or cette proposition de loi constitue un électrochoc en matière de formation. Après la suppression du numerus clausus en 2019, nous venons de franchir une nouvelle étape en supprimant le numerus apertus, lequel n'a pas emporté tous les effets espérés.

En nous fondant sur les besoins des territoires, nous inversons la tendance. Les élus locaux auront un grand rôle à jouer, de même que les universités, sans lesquelles nous ne parviendrons pas à atteindre nos objectifs. J'adresse donc un message particulier à la Conférence des doyens des facultés de médecine, avec laquelle nous déploierons cette réforme dans nos territoires.

Avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, Philippe Baptiste, nous veillerons à doter nos universités des moyens de déployer cette réforme structurante.

Nous travaillons également à une réforme de la loi de 2019 qui a instauré le Pass-LAS, afin de mieux prendre en compte les besoins de formation en santé de nos territoires et de notre pays.

J'imagine le plaisir des étudiants français, qui font actuellement leur cursus en Roumanie, en Belgique ou en Espagne, de voir qu'enfin nous leur ouvrons la porte, et qu'ils pourront terminer leurs études de santé dans notre pays.

Ne soyons pas naïfs : chaque année, quelque 1 600 jeunes partent faire leurs études de médecine à l'étranger et 5 000 à 15 000 étudiants font actuellement leur cursus dans l'un des pays que j'évoquais. Ces étudiants qui ont été capables de quitter leur pays à 18 ans sont fortement sollicités par l'Allemagne, la Suisse ou le Maroc. Si nous ne leur offrons pas la possibilité de terminer leur deuxième cycle et de passer leur internat en France et si nous ne sommes pas particulièrement attractifs, ils choisiront un autre pays.

Il ne s'agit nullement d'une solution de contournement du principe d'égalité des chances à l'égard des autres étudiants. Nous ne pouvons pas accepter que des vies professionnelles et personnelles se jouent sur l'échec, à un dixième de point, à un examen de première année beaucoup trop sélectif. Nous ne pouvons pas décourager notre jeunesse de s'engager dans des études de santé. Tel est le message que je souhaite faire passer à nos étudiants qui poursuivent leur cursus à l'étranger.

Lorsque j'ai reçu certains d'entre eux à l'Assemblée nationale, j'ai pu mesurer que tous n'étaient pas issus de familles aisées, et que des étudiants en grande difficulté effectuaient des gardes en Ehpad le week-end, qu'ils travaillaient, tout en ne pouvant pas bénéficier des bourses de l'enseignement supérieur de notre pays.

Enfin, à l'heure où l'on parle tant de géopolitique et de souveraineté, j'estime que la France, septième puissance mondiale, ne peut pas se satisfaire que, dans certaines filières telles que la médecine bucco-dentaire, plus de 50 % des étudiants français soient formés à l'étranger. Si nous voulons assurer notre souveraineté sanitaire, il nous faut reprendre le contrôle de la formation médicale et paramédicale de nos étudiants, en particulier dans les secteurs en grande difficulté que sont la psychiatrie, les soins palliatifs ou la gériatrie.

Il nous faut également améliorer notre système de formation, initiale comme continue, en favorisant notamment les passerelles, afin de rendre ces études accessibles partout et pour tous et, partant, de diversifier les profils de nos professionnels de santé.

Pour l'heure, je remercie sincèrement le Sénat de ce vote unanime.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante,

est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Sécurité des professionnels de santé

Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (texte de la commission n° 639, rapport n° 638).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous arrivions au terme du parcours législatif de cette proposition de loi, déposée il y a un an et demi par notre ancien collègue député Philippe Pradal.

Je m'en félicite d'autant plus que ce texte répond à une attente forte, voire à un véritable cri d'alerte, de nos professionnels de santé face à des violences inadmissibles.

Nous avons considéré, tout au long de l'examen de cette proposition de loi, que la reconnaissance que la société doit à ceux qui se dévouent pour aider les autres était l'un des piliers du vivre-ensemble.

C'est pourquoi la violence dans les lieux de soins, largement dénoncée par les professionnels, et qui se banalise de plus en plus, doit être jugulée par tous les moyens. Il est temps d'exprimer symboliquement un soutien sans faille aux personnels soignants et de renforcer les mesures législatives leur permettant d'exercer leur métier dans de meilleures conditions.

Au-delà de la volonté d'œuvrer pour nos soignants, la commission des lois a été particulièrement vigilante à la qualité juridique des mesures que comporte le texte : cette démarche est primordiale si l'on veut éviter une loi bavarde, et, surtout, une loi qui pourrait s'avérer décevante pour nos professionnels de santé.

C'est la raison pour laquelle certaines mesures consensuelles, mais déjà satisfaites, ont été remaniées, voire supprimées. Nous avons cependant veillé à faire preuve de pédagogie auprès des ordres professionnels et à leur faire connaître les outils que leur garantit déjà l'état du droit.

Cette précision étant faite, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire est très proche de celui que le Sénat a adopté en première lecture : il me semble donc, dans l'ensemble, satisfaisant et respectueux du vote des deux chambres, bien que je nourrisse un regret à l'article 2, sur lequel je reviendrai.

J'en viens désormais aux principales modifications apportées par la commission mixte paritaire.

À l'article 1er, qui étend à tous les professionnels travaillant dans les lieux de soins la protection accordée aux professionnels de santé depuis la loi du 18 mars 2003, nous avons précisé deux dispositifs introduits par le Sénat.

D'une part, nous avons souhaité limiter la création d'une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles aux faits dont les soignants sont victimes, comme le proposait notre collègue Hussein Bourgi.

D'autre part, nous avons rétabli les circonstances aggravantes pour les vols dans les établissements de santé. S'il nous est apparu nécessaire de punir les vols, quels qu'ils soient, commis au détriment des professionnels de santé, l'extension des circonstances aggravantes à tout vol de produits de santé, y compris entre particuliers, nous a en revanche semblé disproportionnée.

L'article 2, relatif au délit d'outrage, est maintenu dans sa rédaction résultant de l'adoption de l'amendement du Gouvernement et de celui du groupe du RDSE au Sénat. J'en comprends la portée symbolique pour les professionnels : c'est pourquoi la commission mixte paritaire a suivi la position qu'avaient soutenue une majorité de sénateurs en séance publique.

Je reprends un instant ma casquette de rapporteure de la commission des lois pour émettre deux réserves.

La première est que l'outrage est lié à l'exercice d'une mission de service public. Or tout ne relève pas d'une telle mission et il serait regrettable que cette spécificité se perde.

La seconde est que, à mes yeux, la rédaction de l'article 2 est imparfaite en ce qu'elle ne protégera pas de la même manière toutes les personnes travaillant dans les lieux de soins. Je crains par conséquent que nous n'ayons à revenir sur cette disposition lors de l'examen d'un futur texte.

Dans la même logique, nous avons remanié l'article 2 bis A, afin de ne pas restreindre le dispositif adopté sur l'initiative de notre collègue Corinne Imbert au seul Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) et de l'étendre à tous les ordres, lesquels pourront désormais se constituer partie civile en cas d'outrage à l'encontre de l'un de leurs membres.

J'en viens désormais aux articles 2 bis et 3, qui visent à faciliter les dépôts de plainte après chaque incident.

L'article 3, qui permet à l'employeur, à un ordre professionnel ou à une union régionale des professionnels de santé (URPS) de déposer plainte pour le compte d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel, n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, l'Assemblée nationale ayant accepté les principaux apports du Sénat.

À l'article 2 bis, dont la principale mesure consistait à permettre aux professionnels de santé de déclarer l'adresse de leur ordre lors du dépôt de plainte, une disposition que le Sénat avait supprimée, puisque cette faculté est déjà prévue par l'état du droit, nous avons trouvé une rédaction de compromis qui comble un manque dans la législation en vigueur.

Alors que tous les professionnels qui exercent dans un établissement public de santé peuvent déjà déclarer leur adresse professionnelle et que les personnes employées par un professionnel libéral ou un établissement de santé privé peuvent déclarer l'adresse de leur employeur, nous permettons désormais aux libéraux de déclarer leur adresse professionnelle, ce qui permet de mettre fin à une inégalité.

En revanche, nous avons maintenu la suppression de l'article 3 bis, qui prévoyait notamment la présentation annuelle au conseil de surveillance ou au conseil d'administration des divers établissements de soins d'un « bilan des actes de violence commis au sein de l'établissement ».

Outre que cette présentation est en partie satisfaite, puisque de telles données sont compilées dans le rapport social unique (RSU), nous pensons que la charge administrative qu'entraînerait la rédaction d'un nouveau rapport serait mieux employée si elle était dédiée au signalement systématique des violences sur la plateforme de l'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS).

Enfin, l'article 3 bis A, qui rétablit la plénitude de la protection fonctionnelle des agents publics à la suite d'une déclaration d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel, n'a posé aucune difficulté, puisque les remarques du Conseil ont été prises en compte.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter ce texte de compromis, qui, je l'espère, répondra aux attentes fortes de nos soignants.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me réjouis de vous retrouver ce soir pour l'ultime étape de l'examen d'une proposition de loi importante.

Je commencerai par rendre hommage à l'engagement des parlementaires, sénateurs et députés, de tous les horizons, qui se sont impliqués sur ce sujet, permettant de faire aboutir un texte attendu. Je ne manquerai pas de mentionner plus particulièrement Philippe Pradal, qui a pris l'initiative du dépôt de ce texte lors de la précédente législature à l'Assemblée nationale. Je salue également la qualité des travaux qui ont été menés dans les deux assemblées, en commission comme en séance publique, et ce jusqu'en commission mixte paritaire.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, lors de la discussion de ce texte en première lecture, ici, au Sénat, j'ai rappelé que le plus grand danger pour une société serait de s'habituer à la violence.

L'adoption de cette proposition de loi est l'expression d'un refus net et ferme de s'habituer à cette violence, quelle qu'elle soit. Elle est l'affirmation que la violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est toujours inacceptable.

Avec ce texte, nous proclamons haut et fort qu'il n'y a pas de petite violence ou de violence banale, que tout coup, toute menace, toute blessure, tout crachat, toute insulte envers un professionnel de santé ou envers ceux qui concourent aux soins est une attaque en règle contre notre système de santé.

Avec ce texte, nous adressons un message fort à nos soignants et à tous ceux qui participent aux soins : sachez que l'État est à vos côtés et que nous serons intransigeants.

Nous délivrons également un avertissement clair à tous les agresseurs : nous ne laisserons rien passer. En effet, avec ce texte, nous franchissons une étape supplémentaire vers notre ambition commune : ne laisser aucun répit à ceux qui s'en prennent aux soignants et protéger, comme il se doit, ceux qui prennent soin de notre santé.

Cette ambition s'appuie sur la nécessité d'agir : il faut répondre à une urgence que l'actualité nous rappelle trop souvent avec force, à savoir que, chaque jour, dans notre pays, 65 professionnels de santé sont agressés.

Je le dis avec gravité, car j'y ai moi-même été confronté de plusieurs façons : d'abord, en tant que médecin chef de pôle, lorsque je m'inquiétais pour mes équipes et aux côtés de collègues victimes ; ensuite, en tant qu'élu local, quand j'ai fait face à la détresse de certains professionnels de santé ; en tant que député aussi, quand je me suis impliqué sur ce sujet avec conviction et défendu un certain nombre de dispositions législatives ; enfin, naturellement, en tant que ministre de la santé, lorsque j'ai fait de cette question une priorité incontournable.

Ma nomination en tant que ministre de la santé, au début du mois de janvier, a été marquée par l'un de ces drames. Je me suis ainsi rendu à Annemasse auprès de quatorze soignants agressés, aux côtés d'une communauté bouleversée.

Devant eux, en Haute-Savoie, j'ai pris l'engagement solennel que, d'ici le mois de septembre de cette année, de nouvelles mesures seraient mises en place, un engagement fort qui fonde par ailleurs une partie du pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Je souhaite que mon action marque un tournant décisif dans la lutte contre ces violences, avec un seul mot d'ordre : la tolérance zéro.

Cela passe par un renforcement des moyens d'action en amont des violences – 25 millions d'euros sont affectés chaque année à la sécurisation des établissements de santé, une enveloppe qui a été reconduite pour 2025 – et par la poursuite des campagnes de communication et de sensibilisation, dans le prolongement du plan pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par la ministre qui m'a précédé dans mes fonctions, Agnès Firmin Le Bodo.

Je veux souligner combien les professionnels eux-mêmes, en ville comme à l'hôpital, qu'ils soient médecins, étudiants, infirmiers ou personnels paramédicaux, se sont saisis de cet enjeu.

Je veux également souligner l'importance du renforcement des moyens de l'Observatoire national des violences en milieu de santé, dont la nouvelle version, dite 2.0, en fera non pas une simple chambre d'enregistrement, mais une véritable instance de suivi, d'écoute et d'orientation. Ainsi, elle intégrera dans ses missions les violences sexistes et sexuelles, qui ont longtemps fait l'objet d'une certaine omerta dans le monde de la santé, et contre lesquelles la tolérance zéro s'impose avec la même force.

Je n'oublie pas les soignants exerçant en libéral, qui doivent eux aussi bénéficier de dispositifs de protection efficaces.

Enfin, je compte beaucoup sur l'engagement des collectivités locales et des élus locaux, qui ont un rôle important à jouer en ce sens, par l'intermédiaire de leurs polices municipales et avec l'utilisation des caméras de vidéosurveillance.

Permettez-moi aussi de citer le dispositif des boutons d'alerte, qui, reliés aux forces de l'ordre, permettent aux soignants de donner directement et discrètement l'alerte en cas de danger. Je l'avais moi-même mis en place en tant que maire, dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes. Je sais que ce système fonctionne bien et est déployé dans de plus en plus de collectivités : je pense à la Haute-Vienne ou à la Guyane, pour ne citer que ces exemples.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, renforcer la sécurité, prévenir, dissuader, c'est indispensable. Mais il faut aussi durcir notre réponse pénale face à la survenue des violences.

Ma ligne est claire : la tolérance zéro. J'y ajoute l'objectif « zéro impunité ». C'est une priorité que je partage avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, et que ce texte vient traduire concrètement dans notre droit.

Afin de ne laisser aucun répit aux auteurs de violences et de protéger les soignants, notre réponse pénale sera renforcée selon trois axes.

Premier axe, nous avons prévu des peines aggravées en cas de violences ou de vols en milieu de santé. Notre code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas d'agression des professionnels de santé « dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions ». Cette proposition de loi nous permet d'aller plus loin, en réprimant les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé, à l'hôpital comme en ville, ainsi que dans les établissements médico-sociaux.

Deuxième axe, ce texte permet de réprimer plus fermement les violences verbales et les insultes contre les soignants ou envers les personnels des structures médicales. C'est très important, car la tolérance zéro consiste à ne rien laisser passer. Une insulte, qu'elle soit proférée en face ou en ligne, n'est jamais anodine. Il faut briser la spirale de la violence dès le début. C'est la raison pour laquelle je salue la création d'un délit d'outrage étendu à l'ensemble des professionnels qui concourent aux soins, qu'ils soient considérés ou non comme exerçant une mission de service public.

Troisième axe, afin d'accompagner, de soutenir et de protéger les professionnels victimes, nous facilitons le dépôt de plainte, souvent ressenti comme une épreuve difficile par les personnels de santé confrontés aux violences, d'autant que certains d'entre eux craignent également les représailles. Cette situation conduit à de nombreux renoncements, laissant les actes et les auteurs impunis.

Aussi, le texte offre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un autre organisme de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit, pour certaines infractions. Seront concernés par ce nouveau dispositif les établissements de santé – hôpitaux, cliniques, Ehpad –, ainsi que les employeurs des cabinets, les laboratoires, les pharmacies.

La question des libéraux, qui sont leur propre employeur, s'est naturellement posée et a été traitée. Pour ces professionnels, un décret viendra préciser les organismes représentatifs autorisés à porter plainte. Je veillerai à ce que le décret fasse l'objet d'une concertation et soit publié rapidement.

L'idée est que la victime se sente soutenue et que le dépôt de plainte devienne un réflexe en cas d'agression. Pour faciliter et sécuriser encore plus cette mesure, je travaille en ce moment même, avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, à la mise en place d'un dispositif spécifique de visioplainte pour les soignants victimes.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, face aux violences physiques, verbales ou numériques contre nos soignants et tous ceux qui concourent aux soins, je n'ai qu'une seule ligne, celle de la fermeté. Je n'ai qu'un seul mot d'ordre, la tolérance zéro.

Ces violences nous interrogent aussi collectivement en tant que société, car nous sommes confrontés à des actes qui menacent directement celles et ceux qui nous soignent, qui nous sauvent, qui prennent soin de nous et de notre santé.

Nous apportons, avec ce texte, une réponse à la hauteur de l'enjeu, à la hauteur de l'engagement de nos professionnels de santé, à la hauteur de ce que nous leur devons ! (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.