Mme Laurence Rossignol. Dites « tous les amendements », nous irons plus vite !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. … les amendements dont les dispositions, sans être dépourvues de lien indirect avec le texte, nous renvoient à des débats qui en excèdent largement le cadre.
Je pense aux amendements tendant à remettre en cause l’équilibre issu de la loi du 21 avril 2021, adoptée sur l’initiative de notre collègue Annick Billon, s’agissant des critères du viol entre majeurs et mineurs. Je pense aussi aux amendements visant à modifier en profondeur le régime de la prostitution.
Ces sujets ont déjà donné lieu à de riches débats. Dans l’absolu, ces derniers peuvent être rouverts, mais ils supposent une évaluation du droit en vigueur, de sa pertinence et de son efficacité. À défaut, une évolution de la loi ne saurait, selon nous, être envisagée.
Mes chers collègues, cette proposition de loi marque un moment charnière dans la lutte contre les violences sexuelles.
Par son caractère interprétatif, elle nous impose une forme de modestie : elle nous rappelle que le législateur ne peut pas tout et que les plus grands bouleversements ne passent pas forcément par les textes.
Ce qu’il faut pour mieux réprimer les viols et les autres agressions sexuelles, ce sont avant tout des moyens supplémentaires pour les enquêtes, ainsi que des formations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats.
Ce qu’il faut, c’est aussi, voire surtout, inciter les victimes à porter plainte sans tarder. Elles doivent avoir confiance en nos institutions. Nous devons leur donner l’assurance qu’elles seront protégées et entendues.
Toutefois, ce texte est moins modeste qu’il n’y paraît…
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. L’incidence de la loi sur la réalité ne se mesure pas à la longueur ou à la complexité des textes que nous adoptons. L’enjeu, aujourd’hui, est de pousser les juges et les enquêteurs à se focaliser sur les auteurs plutôt que sur les victimes, tout en faisant œuvre de pédagogie pour le justiciable.
Alors que, chaque année, 230 000 femmes se déclarent victimes de viol ou d’agression sexuelle,…
Mme la présidente. Merci !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. … quelques milliers de condamnations seulement sont prononcées. Les marges de progrès sont donc immenses.
C’est avec la rigueur juridique que la gravité du sujet nous impose…
Mme la présidente. Merci beaucoup !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. … que nous allons consolider ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Xavier Iacovelli.)
PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte. En outre, 80 % des plaintes formulées font l’objet d’un non-lieu ou d’un classement sans suite. Enfin, seuls 1 % des violeurs sont finalement condamnés.
Ce sont ces chiffres-là qui doivent nous obséder. Nous devons rechercher les meilleurs moyens de pousser les femmes à déposer plainte, les parquets à poursuivre et les juridictions de jugement à entrer en voie de condamnation.
Le présent texte le permettra-t-il ? Nous l’espérons, mais – il faut le reconnaître en toute honnêteté – nous ne le savons pas. Peut-être débattons-nous ce soir d’un texte historique, mais peut-être cette proposition de loi se révélera-t-elle inefficace.
Avant tout, nous devons examiner avec la plus grande attention les modifications législatives proposées.
La notion de consentement est entrée dans le débat public il y a quelque temps – avant le procès Pelicot –, après avoir été mise en lumière par des personnalités de premier plan.
Évidemment, nous sommes tous d’accord pour que ce terme entre dans la définition de l’infraction de viol. Toutefois, la question est plus compliquée que cela.
Aujourd’hui, la qualification de viol repose sur le recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. Mais, en parallèle, elle bénéficie d’une jurisprudence extrêmement solide : il ne faudrait pas qu’une modification législative conduise à l’affaiblir.
Tel a été le premier objectif des membres du groupe socialiste : faire en sorte que la législation actuelle ne soit pas affaiblie.
Heureusement, cette question a bénéficié d’un effort remarquable de fabrication de la loi, ce qui est assez peu fréquent, y compris pour les propositions de loi du Sénat…
Inspiré par une importante mission d’information et enrichi par l’avis du Conseil d’État, ce travail a abouti à une construction très intelligente. (Mme la ministre acquiesce.)
Le présent texte affirme que le consentement est un préalable indispensable, en définissant cette notion, puis précise qu’il n’y a jamais de consentement quand il est fait recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Dans de tels cas, il ne sera pas possible de plaider le consentement. Cette rédaction ne résout pas tout le problème juridique, mais elle permet d’avancer.
Ce faisant, le présent texte est de force à rappeler aux autorités policières, et peut-être aussi aux autorités de poursuite, que la notion de consentement existe : ce serait là déjà une grande avancée.
Je me tourne à présent vers les associations féministes, dont des représentantes se trouvent peut-être dans nos tribunes. À mon sens, le fait d’introduire la notion de consentement dans la définition du viol ne revient pas à concentrer le propos et l’attention sur la victime, d’autant que tel est déjà le cas : aujourd’hui, dans tous les procès pour viol, c’est le comportement de la victime qui est scruté.
Je le répète, les membres du groupe socialiste insistaient sur la nécessité de ne pas affaiblir la jurisprudence : ce danger est écarté.
De plus, nous voulions que la législation reprenne la notion de consentement, sans croire, de manière magique, à la vertu performative du droit. Un violeur ne lit pas le code pénal avant de passer à l’acte… Mais cette notion permet de clarifier un certain nombre de points.
La construction d’ensemble est donc intéressante. Nous y sommes favorables, d’autant que – Elsa Schalck l’a souligné tout à l’heure – cette proposition de loi est, à ce stade, un texte de nature interprétative. Ses dispositions seront donc applicables à des faits antérieurs à leur adoption. (Mmes les rapporteures le confirment.) À l’inverse, les mesures durcissant la loi pénale ne peuvent être appliquées de manière rétroactive.
Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas adopter des dispositions d’une autre nature, lesquelles pourraient s’appliquer aux faits ultérieurs. Mme Rossignol y reviendra sans doute tout à l’heure.
Pour l’ensemble de ces motifs, nous sommes favorables au présent texte et nous abordons ces débats, certes sans illusion particulière, mais avec un optimisme résolu.
L’ensemble des sujets ne sauraient être traités par le biais de cette proposition de loi. Nous n’en espérons pas moins que les poursuites pour viol seront, demain, plus efficaces. C’est pourquoi – nous défendrons un amendement en ce sens – nous demandons une évaluation afin de savoir, dans quelques années, si le but assigné à ce texte a bien été atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Buis applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des crimes que l’on crie et d’autres que l’on tait. Le viol fait partie de ceux que l’on a longtemps tus, que ce soit par honte, par peur ou par sidération.
Le viol est un crime où le corps de la victime devient à la fois la scène, la preuve et parfois, injustement, l’objet du soupçon.
Notre droit pénal ne nomme toujours pas ce qui est pourtant au cœur de cette violence, à savoir l’absence de consentement.
Le chemin vers la reconnaissance de cette notion a été long, très long, trop long. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la jurisprudence pénale considère que le mariage ne pouvait justifier qu’un conjoint impose à l’autre des rapports sexuels. En outre, c’est seulement en 2010 que la loi a supprimé ce qui restait de la présomption de consentement liée au mariage.
Ces constats en disent long des résistances s’exerçant en la matière. Aujourd’hui encore, certains peinent à admettre qu’un acte sexuel, même au sein du couple, doit être librement consenti.
Le viol, tel qu’il a été défini par la loi du 23 décembre 1980, repose exclusivement sur des moyens de coercition : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Mais ces catégories ne correspondent pas à la réalité des violences sexuelles.
Le viol est un crime sans aveu. Dans certains cas, l’auteur ne menace pas, ne frappe pas, ne crie pas. Il agit autrement. Il abuse d’une confiance. Il profite d’un moment d’inconscience. Il exploite ou provoque une situation de vulnérabilité. Il n’a pas besoin de violence visible : il s’appuie sur le silence, la peur ou la sidération. Bien connue des professionnels, cette dernière fige la victime, la paralyse et la dissocie, au point parfois d’effacer la mémoire du traumatisme.
Quand une preuve ADN existe, l’auteur ne nie pas le rapport sexuel. Simplement, il peut dire : « Elle était d’accord. » C’est alors que tout se complique.
Pour que l’infraction soit reconnue, la justice doit parvenir à démontrer que l’auteur savait que la victime ne consentait pas. Or, dans un crime sans témoin, sans aveu, sans violence apparente, cette preuve est souvent impossible à établir. C’est ainsi que le doute s’installe et, avec lui, le non-lieu, le classement sans suite, le silence.
Les chiffres sont effrayants. En 2023, 270 000 personnes auraient été victimes d’un viol, d’une tentative de viol ou d’une autre agression sexuelle ; mais, au total, seulement 6 % des victimes, en moyenne, portent plainte.
En outre, dans 94 % des cas de viol signalés, l’affaire est classée sans suite. Ce n’est pas une anomalie ; c’est un dysfonctionnement systémique : parce que, dans notre droit, le silence d’une victime peut encore être interprété comme un consentement alors qu’il devrait être un signal d’alerte ; parce que l’absence de résistance physique est encore trop souvent opposée à la victime, comme si la terreur, pour être crédible, devait se manifester par des coups visibles.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à rétablir une évidence : un acte sexuel n’est licite que s’il est consenti. Et ce consentement ne se présume pas. Il ne se déduit ni d’un regard, ni d’un silence, ni d’une absence de fuite.
Ce texte introduit dans le code pénal une définition claire du consentement. Celui-ci doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il ne peut pas être déduit du seul silence. Il ne peut pas être donné par une personne inconsciente, vulnérable ou sidérée.
Ce n’est pas une révolution juridique ; c’est une révolution de clarté. Elle ne bouleverse ni la présomption d’innocence ni la charge de la preuve.
Ainsi que le Conseil d’État l’a rappelé dans son avis du 6 mars dernier, cette réforme n’instaure aucune présomption de culpabilité. Elle ne modifie pas l’équilibre du droit pénal. Mais elle renforce la lisibilité et la cohérence du système. Elle invite simplement les enquêteurs et les magistrats à interroger d’abord l’existence du consentement, plutôt que de chercher des traces visibles de contraintes.
Ce texte a également une puissante vertu pédagogique. Il donne un repère clair à toute la société. Il dit à chaque victime qu’elle a le droit d’être crue, même si elle n’a pas crié. Il dit à chaque citoyen que l’on ne touche pas à quelqu’un sans avoir obtenu son accord explicite. Il aligne encore notre droit sur celui de quinze pays européens qui ont déjà reconnu l’absence de consentement comme le cœur du viol.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants votera avec conviction ce texte, parce qu’il est attendu et parce qu’il est juste.
Cette proposition de loi facilitera, nous l’espérons, le recours des victimes à la justice, mais il faudra aller plus loin. Il faudra que la justice ait les moyens de juger vite, bien et avec humanité. On le sait, le temps judiciaire devient trop souvent une nouvelle violence.
Cette année encore, notre groupe sera particulièrement attentif au respect de la loi de programmation de la justice. Pilier du pacte républicain, la justice est essentielle au bon fonctionnement de notre société et doit, à ce titre, disposer des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires défendra l’adoption de ce texte. Nous avons la responsabilité de soutenir et d’accompagner les victimes. La République a un devoir de protection. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle société voulons-nous pour demain ? Les moyens que nous nous donnons le montreront.
Je citerai quelques chiffres : plus de 122 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées en 2024. C’est plus de 7 % par rapport à 2023 et plus de 11 % en moyenne annuelle depuis 2016. Ces violences se produisent pour 77 % hors du cadre familial lorsque les victimes sont majeures. Combien de dégâts psychologiques et de larmes pour ces victimes ?
Cette loi, à portée pédagogique et centrée sur le comportement de l’auteur, permettra la libération de la parole et augmentera la répression par l’écriture d’un texte plus clair et plus compréhensible pour tous.
Elle doit également permettre de modifier les pratiques de la police et de la justice. En effet, on constate un taux de dépôt de plainte trop bas, de 2 % à 6 % seulement, et le taux de condamnation reste faible, 10 % à 15 % seulement des dossiers donnant lieu à une condamnation.
Cette proposition de loi, qui vise à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, ajoute la notion du consentement. Qu’est-ce que c’est ? L’audition des avocats de Gisèle Pelicot a été particulièrement édifiante quand ceux-ci ont relaté que l’un des auteurs des faits avait déclaré : « Son mari avait dit oui, je pensais qu’elle était d’accord. »
Le consentement doit se placer au cœur de l’éducation à la sexualité et s’inscrire pleinement dans une notion de respect de l’autre. Le consentement nécessite un travail éducatif et culturel pour déconstruire les idées fausses comme : « Si on ne dit rien, c’est qu’on veut bien. »
Le débat sur le consentement dans la notion de viol est un enjeu juridique, philosophique et social, qui a beaucoup évolué ces dernières années.
Avant 2021, le viol était défini par l’article 222-23 du code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ainsi, le non-consentement est déduit de l’existence d’un de ces adminicules, mais n’est pas central.
Depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol, dès lors que la différence d’âge entre l’adulte et l’enfant est d’au moins cinq ans. Il y a donc désormais présomption d’absence de consentement dans ce cas précis. C’est un premier pas.
D’autres pays vont plus loin que nous et écrivent dans la loi que le viol est un acte sexuel commis sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée.
Le consentement n’est donc pas une simple absence de refus. Il doit être actif et librement exprimé. C’est dire oui et ne pas se contenter de ne pas dire non. Il se vit dans une relation où chacun est en capacité d’exprimer ses émotions et de prendre en compte celles de l’autre. Le silence ne vaut pas consentement.
Consentir, ce n’est pas céder. C’est choisir. C’est aussi avoir confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2022, selon l’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité, menée par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, la moyenne du nombre de femmes âgées de 18 ans et plus ayant été victimes de viols, tentatives de viol ou d’agressions sexuelles a été estimée à 230 000 personnes. Parmi elles, environ huit sur dix ne portent pas plainte et, lorsqu’elles le font, force est de constater que de nombreuses affaires sont classées sans suite faute de preuves suffisantes.
Je crois que le temps est venu de redéfinir les notions de viol et d’agression sexuelle dans notre code pénal. Tel est l’objectif de cette proposition de loi, qui y introduit la notion de consentement. Il s’agit de défendre la liberté personnelle et sexuelle, ainsi que le droit au respect de son intégrité physique et psychique.
Pour ce faire, le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable : libre, tout d’abord, pour qu’il ne puisse pas être contraint ; éclairé, ensuite, car la notion de consentement est inévitablement liée à celle du discernement ; spécifique, également, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, de la même manière que l’on peut consentir à certains actes sans nécessairement le faire pour d’autres ; préalable, évidemment, car la question du consentement implique nécessairement d’être posée avant, et non après ; révocable, enfin, parce que le consentement n’est ni définitif ni absolu.
Tels seront les critères permettant de caractériser le consentement, qui ne pourra pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction d’une victime ; il devra être apprécié au regard du contexte des faits reprochés.
Dans l’affaire des viols de Mazan, nombreux sont les accusés à avoir utilisé une stratégie de défense consistant à dire : « On pensait que Mme Pelicot était consentante. »
Mes chers collègues, le temps est venu de modifier notre code pénal. Compte tenu de sa rédaction, de ses potentielles conséquences juridiques et de son caractère transpartisan, je voterai avec mon groupe pour l’adoption de ce texte.
En préparant mon intervention, j’ai compris que de nombreux juristes, avocats et magistrats étaient dubitatifs, voire sceptiques, sinon opposés à cette réforme. Mais, en dépit des critiques et des inquiétudes que suscite cette proposition de loi, je voterai pour, et cela pour plusieurs raisons.
L’inquiétude s’agissant de l’inversion de la charge de la preuve est légitime, car elle est liée au principe de la présomption d’innocence. Clé de voûte précieuse de notre État de droit, la présomption d’innocence n’est pourtant pas remise en cause par ce texte, puisque la charge de la preuve reviendra toujours à l’accusation, et non l’inverse.
La rédaction du texte n’instaure pas non plus de présomption de défaut du consentement impliquant une vérification formelle ou une contractualisation entre les personnes. En réalité, la rédaction retenue invite les magistrats et les parties à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience chez la personne mise en cause d’avoir agi sans le consentement de l’autre ou contre lui.
Le texte n’instaure donc ni présomption ni renversement de charge de la preuve.
Par ailleurs, certains estiment qu’introduire la notion de consentement pourrait centrer l’enquête et les débats sur le comportement de la plaignante ou du plaignant. Mais permettez-moi de vous dire que c’est déjà parfois le cas aujourd’hui ! N’oublions pas non plus que ce sont les magistrats et les enquêteurs qui conduisent les investigations et les débats lors des procès.
Dans de nombreuses affaires, les investigations entraînent des traumatismes secondaires pour les parties civiles. Ce texte invite justement les enquêteurs et les magistrats à s’intéresser un peu plus aux agissements et au comportement de la personne mise en cause.
Par conséquent, ce que la proposition de loi met au centre de l’attention, ce n’est pas l’une ou l’autre des parties : c’est la notion même de consentement, souvent décisive dans ce type de dossiers. Et c’est justement parce que cette notion est décisive que nous devons l’inscrire dans le marbre de la loi.
À celles et ceux qui estiment que ce n’est pas sa place, je répondrai que le consentement est déjà présent dans le code pénal. La notion n’en est pas absente ; l’ajouter sera source de sécurité juridique. Là où la jurisprudence peut fluctuer au gré des décisions et des affaires, notre système juridique prévoit une interprétation stricte de la loi pénale. Autrement dit, en ajoutant la notion de consentement, nous permettons une meilleure appréhension des faits et de leur contexte.
De surcroît, je rappelle que la rédaction proposée pour définir le viol intègre les critères de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.
Dès lors, si ce texte permet de conserver les notions utiles à la manifestation de la vérité, je suis convaincu que la rédaction choisie permettra de prendre en compte, enfin, l’état de sidération. La nouvelle définition élargit en effet le champ des agressions sexuelles à des cas longtemps ignorés et incompris.
Or, selon la docteure Myriam Salmona, spécialiste du psychotraumatisme, 70 % des victimes de viol ont connu un état de sidération. Modifier notre code pénal en ce sens n’a donc rien d’anodin.
Le travail remarquable réalisé par les députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin invite en réalité à s’interroger : les générations futures pourront-elles vivre dans une société où le consentement sera non plus une notion équivoque, mais bel et bien un principe consensuel et connu de tous ?
Mes chers collègues, loin de toute pression extérieure, y compris celle de l’opinion publique, je voterai ce texte, car j’ai été convaincu par des arguments juridiques. Bien évidemment, changer la loi ne résoudra pas tout. Mais la nécessité d’améliorer les formations des professionnels et des magistrats dédiés à la justice ne doit pas nous exonérer, en tant que législateurs, de faire évoluer notre droit.
En 1834, Alfred de Musset a écrit la pièce On ne badine pas avec l’amour. En 2025, ne badinons plus avec le consentement ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, notre société interroge en profondeur les silences du droit face aux violences sexuelles. À mesure que la parole des victimes se libère, les attentes se font plus fortes. Ce courage de parler et cette volonté de réparer nous obligent.
L’exemple de l’inceste en est sans doute l’illustration la plus marquante. Il a fallu attendre la loi du 8 février 2010 pour que le mot « inceste », longtemps absent du code pénal, y figure enfin, puis la loi du 21 avril 2021 pour que l’inceste soit reconnu comme une infraction autonome.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette dynamique. Elle ne crée pas de nouvelle infraction, mais elle affirme avec force une évidence trop longtemps restée implicite : l’absence de consentement est le cœur même de la définition du viol.
Comme cela a déjà été rappelé, jusqu’à aujourd’hui, le droit pénal français définit le viol à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il n’a jamais explicitement mentionné l’absence de consentement.
Aujourd’hui, nous considérons qu’il est temps de franchir une étape. Cette proposition de loi introduit une évidence juridique et sociétale : un acte sexuel ne peut être licite qu’à la condition d’un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Ce n’est pas une révolution ; c’est juste une clarification nécessaire.
Bien entendu, le Conseil d’État a lui-même souligné que les jurisprudences actuelles permettent déjà de sanctionner la quasi-totalité des situations visées par cette réforme. D’ailleurs, l’exemple des procès des viols de Mazan l’illustre. Mais ce n’est pas parce que le texte n’ajoute pas d’incrimination nouvelle qu’il est inutile. Il dit ce que la société attend, en l’espèce que le consentement ne soit jamais présumé, jamais déduit du silence, jamais ignoré.
Au procès des viols de Mazan, le consentement de Gisèle Pelicot a sans cesse été remis en question par la défense : consentement présumé si la victime ne dit pas explicitement non ; consentement présumé si le mari a donné son accord. D’ailleurs, l’un des accusés, qui était âgé de 58 ans, a lui-même déclaré qu’il aurait aimé qu’on lui explique plus jeune ce qu’était le consentement.
Ce texte constitue donc une étape importante dans la construction d’un droit pénal plus lisible et plus en phase avec notre société. Nos rapporteures ont souligné sa bonne rédaction et ont pu procéder à quelques correctifs encore nécessaires, afin de répondre aux inquiétudes exprimées par des magistrats et des praticiens du droit, soucieux d’éviter des formulations imprécises et potentiellement sources d’insécurité juridique. En effet, comme l’ont expressément exprimé les rapporteures, on ne touche au droit pénal qu’avec la main qui tremble.
Je ne vais pas maintenir le suspense trop longtemps. Bien sûr, le groupe du RDSE votera évidemment de manière unanime et avec force en faveur de cette proposition de loi. Cela dit, nous ne devons pas surévaluer l’effet immédiat de ce texte. À lui seul, il ne réglera ni les classements sans suite, ni les renoncements à déposer plainte, ni les difficultés d’instruction, qui font qu’une part effarante des faits de viol et d’agression sexuelle échappent encore à toute réponse pénale.
D’ailleurs, nous avons entendu des inquiétudes à l’encontre de cette proposition de loi, notamment la crainte d’un déplacement de la charge de la preuve vers les victimes, mais elles ne doivent en aucun cas nous conduire à l’immobilisme.
Ce texte ne prétend pas tout résoudre. À nous de l’accompagner par des moyens concrets : une formation renforcée des magistrats, des policiers, des gendarmes, des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; une meilleure écoute des victimes et un effort soutenu pour améliorer le traitement judiciaire de ces infractions. Je mentionnerai également ce qui est peut-être l’une des priorités : la nécessité de l’éducation au consentement dès le plus jeune âge.
Pendant l’examen du texte, une question nous a traversés. Pourquoi ne pas avoir intégré cette réforme dans un projet de loi plus large sur les violences sexuelles, avec des moyens, des objectifs concrets et une ambition structurelle ? Vous y avez répondu, madame la ministre, en affirmant votre volonté d’y parvenir.
Au-delà de ce texte, le Parlement a récemment adopté plusieurs lois importantes, comme celle du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate et celle du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales. Je pense également à la proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l’enfant victime de violences intrafamiliales, déposée par notre présidente, Maryse Carrère, et adoptée ici même au mois de novembre dernier.
Suivant cette perspective, j’ai déposé plusieurs amendements issus du rapport sur la soumission chimique que j’ai remis avec Sandrine Josso au Gouvernement le 12 mai dernier. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles, mais cela illustre à quel point ces sujets sont interconnectés et appellent une réponse globale fondée sur le droit, l’éducation, la formation et des moyens à la hauteur.
Je le répète, plutôt que des mesures éparses, nous avons besoin d’une loi-cadre ambitieuse pour lutter contre les violences sexuelles, toutes les violences sexuelles, dans toutes leurs dimensions : pénale, sociale et éducative.
En somme, nous avons besoin d’une mobilisation collective pour mettre enfin un terme au déni et à l’impunité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)