Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n'est point d'acte sexuel licite s'il n'est pas consenti. Or céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à une forme de pression, quelle qu'elle soit, ce n'est pas consentir.

Se taire ou se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur – peur des coups, peur des représailles, peur de réveiller les enfants si l'on crie.

Se résigner lorsqu'un refus n'a pas été entendu, alors même qu'il a été exprimé des dizaines de fois, ce n'est pas consentir. C'est simplement dire que l'on n'a plus la force de lutter.

Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est trop souvent être dans un état de sidération tel que l'on n'est pas en mesure de se défendre.

C'est pour rappeler ces principes simples et les inscrire dans notre droit que nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, que je salue, visant à modifier la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles pour y inscrire la notion de consentement.

Ce texte, fondé sur l'important travail mené par nos collègues députées et sur leur rapport d'information rendu public en janvier 2025, apporte plusieurs aménagements au droit en vigueur.

Tout d'abord, il introduit une référence explicite à la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles, entendues en leur sens large, qui inclut le viol.

Ensuite, il précise que le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et toujours révocable.

Enfin, il préserve les acquis de notre droit pénal et de la jurisprudence en conservant les quatre pivots que sont la violence, la menace, la contrainte et la surprise.

Ces orientations font consensus : les amendements déposés en sont la preuve, puisqu'aucun d'entre eux ne tend à remettre en cause l'architecture adoptée en commission.

Qu'il me soit permis, cependant, de revenir sur certaines des évolutions apportées au texte par notre commission des lois.

Ma corapporteure Dominique Vérien et moi-même avons rapidement été confortées dans l'idée que cette proposition de loi avait une portée interprétative. Loin de rendre plus sévère le droit pénal, elle ne fait que graver dans le code pénal les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît la centralité du consentement depuis l'arrêt Dubas de 1857.

Enrichi des modifications adoptées par nos collègues députés pour tenir compte d'un avis particulièrement éclairant et précis du Conseil d'État, le texte transmis au Sénat était déjà extrêmement abouti. Nous nous sommes donc contentées d'y apporter deux modifications.

La première est une coordination, grâce à laquelle le périmètre matériel du viol sera le même pour toutes les victimes, quel que soit leur âge. En effet, nos collègues députés n'avaient pas effectué les modifications requises parmi les dispositions spécifiques aux mineurs. Dès lors, le présent texte risquait de placer ces derniers dans une situation juridiquement moins favorable que les majeurs. Nous ne pouvions pas laisser une telle incohérence s'immiscer dans notre droit : nous avons procédé aux coordinations requises.

La seconde porte sur les conditions dans lesquelles l'absence de consentement sera appréciée par le juge du fond.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale renvoyait, en la matière, aux « circonstances environnantes », terme emprunté à la convention d'Istanbul de 2011. Or cette notion n'est pas connue en droit pénal français. Elle aurait donc pu être source de difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes. Pis encore, elle est susceptible de provoquer des effets de bord négatifs pour les victimes : elle peut conduire à exploiter leur environnement, leur comportement, leurs relations ou leur passé, ce qui est l'exact contraire du but visé par cette proposition de loi.

Nous avons donc préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Nous pourrons ainsi tenir compte de tous les éléments susceptibles d'avoir vicié le consentement de la victime.

Mes chers collègues, avant de céder la parole à Dominique Vérien, j'attire votre attention sur le point d'équilibre que constitue la formule dégagée par nos soins en commission.

Le droit pénal est une matière sensible. Plus encore que tout autre domaine de la loi, il doit être modifié d'une main tremblante, car, si nous commettions une erreur de droit, ce sont les victimes qui en feraient les frais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en complément des propos d'Elsa Schalck, auxquels je m'associe évidemment sans réserve, je reviendrai sur les principes juridiques qui ont fondé la position de la commission sur les amendements que nous examinerons au cours de la soirée.

Elsa Schalck le rappelait à l'instant, on ne doit toucher à la loi pénale que d'une main tremblante, en s'assurant d'être soutenu par des certitudes quant aux multiples effets que l'on va produire dans l'ordre juridique et sur la base d'un travail approfondi, pour garantir la conformité de la loi nouvelle à la Constitution.

Une censure décidée à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aurait, en effet, des conséquences dévastatrices pour les victimes. C'est un risque que nous devons à tout prix éviter.

Je suis certaine que nous nous rejoignons sur ces principes. Il me reste à vous exposer comment nous les avons appliqués.

Tout d'abord, nous avons émis un avis défavorable ou une demande de retrait sur les amendements dont la portée juridique ne peut être définie avec précision en l'état de nos travaux.

Je le dis avec force et de manière solennelle : cette position n'ôte rien à l'importance des sujets auxquels ces amendements nous confrontent, qu'il s'agisse de la soumission chimique, chère Véronique Guillotin, pratique dont le procès des viols de Mazan a rappelé la cruelle brutalité, ou de la prostitution des mineurs de 15 ans, dont l'insuffisante répression, aussi réelle que choquante, est dénuée de lien avec la rédaction actuelle de la loi pénale.

Ce choix s'explique aisément : il n'est pas raisonnable de modifier la loi pénale sans avoir, au préalable, mené l'ensemble des travaux requis.

Nous ne saurions négliger les apports des auditions et du travail législatif tout entier, quelle que soit la qualité des réflexions préparatoires qui ont pu être menées, sous peine de priver notre mission de législateurs de son but essentiel : peser tous les arguments, sans exception et avec sérieux, pour rester les gardiens de l'intérêt général.

Le texte que nous examinons aujourd'hui a été précédé d'un rapport sur lequel Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin ont travaillé pendant plus d'un an. Pour autant, l'examen de cette proposition de loi en commission, puis en séance à l'Assemblée nationale a donné lieu à des modifications substantielles, sans lesquelles la solidité du texte n'aurait pas été acquise.

Cet exemple doit nous inspirer. Je souhaite, en outre, que le Gouvernement s'engage à donner au Parlement le temps de mener un travail spécifique sur les autres sujets dont nous aurons à débattre, notamment la soumission chimique.

De même, nous avons émis un avis défavorable sur les amendements dont les dispositions présentent un risque juridique, dans la mesure où elles paraissent contraires à des principes constitutionnels.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je pense aux amendements visant à ériger en élément constitutif du viol des situations qui sont aujourd'hui constitutives de circonstances aggravantes de la même infraction.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et ce ne serait pas constitutionnel ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ce cumul n'est pas envisageable en droit, car il serait contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Nous avons réservé un sort identique aux amendements visant à préciser, de bonne foi, mais à l'excès, la définition du viol et des autres agressions sexuelles. Bien que l'intention de leurs auteurs soit louable, nous nous devons de rappeler que la loi pénale est d'interprétation stricte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous nous l'apprenez… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Tout ajout est de nature à limiter les marges de manœuvre du juge du fond, à l'empêcher de tenir compte de la diversité des situations auxquelles sont confrontées les victimes et, par voie de conséquence, à dégrader l'effectivité de la répression.

Enfin, nous avons émis un avis défavorable sur…

Mme Laurence Rossignol. Dites « tous les amendements », nous irons plus vite !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … les amendements dont les dispositions, sans être dépourvues de lien indirect avec le texte, nous renvoient à des débats qui en excèdent largement le cadre.

Je pense aux amendements tendant à remettre en cause l'équilibre issu de la loi du 21 avril 2021, adoptée sur l'initiative de notre collègue Annick Billon, s'agissant des critères du viol entre majeurs et mineurs. Je pense aussi aux amendements visant à modifier en profondeur le régime de la prostitution.

Ces sujets ont déjà donné lieu à de riches débats. Dans l'absolu, ces derniers peuvent être rouverts, mais ils supposent une évaluation du droit en vigueur, de sa pertinence et de son efficacité. À défaut, une évolution de la loi ne saurait, selon nous, être envisagée.

Mes chers collègues, cette proposition de loi marque un moment charnière dans la lutte contre les violences sexuelles.

Par son caractère interprétatif, elle nous impose une forme de modestie : elle nous rappelle que le législateur ne peut pas tout et que les plus grands bouleversements ne passent pas forcément par les textes.

Ce qu'il faut pour mieux réprimer les viols et les autres agressions sexuelles, ce sont avant tout des moyens supplémentaires pour les enquêtes, ainsi que des formations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats.

Ce qu'il faut, c'est aussi, voire surtout, inciter les victimes à porter plainte sans tarder. Elles doivent avoir confiance en nos institutions. Nous devons leur donner l'assurance qu'elles seront protégées et entendues.

Toutefois, ce texte est moins modeste qu'il n'y paraît…

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'incidence de la loi sur la réalité ne se mesure pas à la longueur ou à la complexité des textes que nous adoptons. L'enjeu, aujourd'hui, est de pousser les juges et les enquêteurs à se focaliser sur les auteurs plutôt que sur les victimes, tout en faisant œuvre de pédagogie pour le justiciable.

Alors que, chaque année, 230 000 femmes se déclarent victimes de viol ou d'agression sexuelle,…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … quelques milliers de condamnations seulement sont prononcées. Les marges de progrès sont donc immenses.

C'est avec la rigueur juridique que la gravité du sujet nous impose…

Mme la présidente. Merci beaucoup !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … que nous allons consolider ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq,

est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Xavier Iacovelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte. En outre, 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite. Enfin, seuls 1 % des violeurs sont finalement condamnés.

Ce sont ces chiffres-là qui doivent nous obséder. Nous devons rechercher les meilleurs moyens de pousser les femmes à déposer plainte, les parquets à poursuivre et les juridictions de jugement à entrer en voie de condamnation.

Le présent texte le permettra-t-il ? Nous l'espérons, mais – il faut le reconnaître en toute honnêteté – nous ne le savons pas. Peut-être débattons-nous ce soir d'un texte historique, mais peut-être cette proposition de loi se révélera-t-elle inefficace.

Avant tout, nous devons examiner avec la plus grande attention les modifications législatives proposées.

La notion de consentement est entrée dans le débat public il y a quelque temps – avant le procès Pelicot –, après avoir été mise en lumière par des personnalités de premier plan.

Évidemment, nous sommes tous d'accord pour que ce terme entre dans la définition de l'infraction de viol. Toutefois, la question est plus compliquée que cela.

Aujourd'hui, la qualification de viol repose sur le recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. Mais, en parallèle, elle bénéficie d'une jurisprudence extrêmement solide : il ne faudrait pas qu'une modification législative conduise à l'affaiblir.

Tel a été le premier objectif des membres du groupe socialiste : faire en sorte que la législation actuelle ne soit pas affaiblie.

Heureusement, cette question a bénéficié d'un effort remarquable de fabrication de la loi, ce qui est assez peu fréquent, y compris pour les propositions de loi du Sénat…

Inspiré par une importante mission d'information et enrichi par l'avis du Conseil d'État, ce travail a abouti à une construction très intelligente. (Mme la ministre acquiesce.)

Le présent texte affirme que le consentement est un préalable indispensable, en définissant cette notion, puis précise qu'il n'y a jamais de consentement quand il est fait recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Dans de tels cas, il ne sera pas possible de plaider le consentement. Cette rédaction ne résout pas tout le problème juridique, mais elle permet d'avancer.

Ce faisant, le présent texte est de force à rappeler aux autorités policières, et peut-être aussi aux autorités de poursuite, que la notion de consentement existe : ce serait là déjà une grande avancée.

Je me tourne à présent vers les associations féministes, dont des représentantes se trouvent peut-être dans nos tribunes. À mon sens, le fait d'introduire la notion de consentement dans la définition du viol ne revient pas à concentrer le propos et l'attention sur la victime, d'autant que tel est déjà le cas : aujourd'hui, dans tous les procès pour viol, c'est le comportement de la victime qui est scruté.

Je le répète, les membres du groupe socialiste insistaient sur la nécessité de ne pas affaiblir la jurisprudence : ce danger est écarté.

De plus, nous voulions que la législation reprenne la notion de consentement, sans croire, de manière magique, à la vertu performative du droit. Un violeur ne lit pas le code pénal avant de passer à l'acte… Mais cette notion permet de clarifier un certain nombre de points.

La construction d'ensemble est donc intéressante. Nous y sommes favorables, d'autant que – Elsa Schalck l'a souligné tout à l'heure – cette proposition de loi est, à ce stade, un texte de nature interprétative. Ses dispositions seront donc applicables à des faits antérieurs à leur adoption. (Mmes les rapporteures le confirment.) À l'inverse, les mesures durcissant la loi pénale ne peuvent être appliquées de manière rétroactive.

Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas adopter des dispositions d'une autre nature, lesquelles pourraient s'appliquer aux faits ultérieurs. Mme Rossignol y reviendra sans doute tout à l'heure.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous sommes favorables au présent texte et nous abordons ces débats, certes sans illusion particulière, mais avec un optimisme résolu.

L'ensemble des sujets ne sauraient être traités par le biais de cette proposition de loi. Nous n'en espérons pas moins que les poursuites pour viol seront, demain, plus efficaces. C'est pourquoi – nous défendrons un amendement en ce sens – nous demandons une évaluation afin de savoir, dans quelques années, si le but assigné à ce texte a bien été atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des crimes que l'on crie et d'autres que l'on tait. Le viol fait partie de ceux que l'on a longtemps tus, que ce soit par honte, par peur ou par sidération.

Le viol est un crime où le corps de la victime devient à la fois la scène, la preuve et parfois, injustement, l'objet du soupçon.

Notre droit pénal ne nomme toujours pas ce qui est pourtant au cœur de cette violence, à savoir l'absence de consentement.

Le chemin vers la reconnaissance de cette notion a été long, très long, trop long. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la jurisprudence pénale considère que le mariage ne pouvait justifier qu'un conjoint impose à l'autre des rapports sexuels. En outre, c'est seulement en 2010 que la loi a supprimé ce qui restait de la présomption de consentement liée au mariage.

Ces constats en disent long des résistances s'exerçant en la matière. Aujourd'hui encore, certains peinent à admettre qu'un acte sexuel, même au sein du couple, doit être librement consenti.

Le viol, tel qu'il a été défini par la loi du 23 décembre 1980, repose exclusivement sur des moyens de coercition : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Mais ces catégories ne correspondent pas à la réalité des violences sexuelles.

Le viol est un crime sans aveu. Dans certains cas, l'auteur ne menace pas, ne frappe pas, ne crie pas. Il agit autrement. Il abuse d'une confiance. Il profite d'un moment d'inconscience. Il exploite ou provoque une situation de vulnérabilité. Il n'a pas besoin de violence visible : il s'appuie sur le silence, la peur ou la sidération. Bien connue des professionnels, cette dernière fige la victime, la paralyse et la dissocie, au point parfois d'effacer la mémoire du traumatisme.

Quand une preuve ADN existe, l'auteur ne nie pas le rapport sexuel. Simplement, il peut dire : « Elle était d'accord. » C'est alors que tout se complique.

Pour que l'infraction soit reconnue, la justice doit parvenir à démontrer que l'auteur savait que la victime ne consentait pas. Or, dans un crime sans témoin, sans aveu, sans violence apparente, cette preuve est souvent impossible à établir. C'est ainsi que le doute s'installe et, avec lui, le non-lieu, le classement sans suite, le silence.

Les chiffres sont effrayants. En 2023, 270 000 personnes auraient été victimes d'un viol, d'une tentative de viol ou d'une autre agression sexuelle ; mais, au total, seulement 6 % des victimes, en moyenne, portent plainte.

En outre, dans 94 % des cas de viol signalés, l'affaire est classée sans suite. Ce n'est pas une anomalie ; c'est un dysfonctionnement systémique : parce que, dans notre droit, le silence d'une victime peut encore être interprété comme un consentement alors qu'il devrait être un signal d'alerte ; parce que l'absence de résistance physique est encore trop souvent opposée à la victime, comme si la terreur, pour être crédible, devait se manifester par des coups visibles.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à rétablir une évidence : un acte sexuel n'est licite que s'il est consenti. Et ce consentement ne se présume pas. Il ne se déduit ni d'un regard, ni d'un silence, ni d'une absence de fuite.

Ce texte introduit dans le code pénal une définition claire du consentement. Celui-ci doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il ne peut pas être déduit du seul silence. Il ne peut pas être donné par une personne inconsciente, vulnérable ou sidérée.

Ce n'est pas une révolution juridique ; c'est une révolution de clarté. Elle ne bouleverse ni la présomption d'innocence ni la charge de la preuve.

Ainsi que le Conseil d'État l'a rappelé dans son avis du 6 mars dernier, cette réforme n'instaure aucune présomption de culpabilité. Elle ne modifie pas l'équilibre du droit pénal. Mais elle renforce la lisibilité et la cohérence du système. Elle invite simplement les enquêteurs et les magistrats à interroger d'abord l'existence du consentement plutôt que de chercher des traces visibles de contraintes.

Ce texte a également une puissante vertu pédagogique. Il donne un repère clair à toute la société. Il dit à chaque victime qu'elle a le droit d'être crue, même si elle n'a pas crié. Il dit à chaque citoyen que l'on ne touche pas à quelqu'un sans avoir obtenu son accord explicite. Il aligne encore notre droit sur celui de quinze pays européens qui ont déjà reconnu l'absence de consentement comme le cœur du viol.

Vous l'aurez compris, le groupe Les Indépendants votera avec conviction ce texte, parce qu'il est attendu et parce qu'il est juste.

Cette proposition de loi facilitera, nous l'espérons, le recours des victimes à la justice, mais il faudra aller plus loin. Il faudra que la justice ait les moyens de juger vite, bien et avec humanité. On le sait, le temps judiciaire devient trop souvent une nouvelle violence.

Cette année encore, notre groupe sera particulièrement attentif au respect de la loi de programmation de la justice. Pilier du pacte républicain, la justice est essentielle au bon fonctionnement de notre société et doit, à ce titre, disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires défendra l'adoption de ce texte. Nous avons la responsabilité de soutenir et d'accompagner les victimes. La République a un devoir de protection. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle société voulons-nous pour demain ? Les moyens que nous nous donnons le montreront.

Je citerai quelques chiffres : plus de 122 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées en 2024. C'est plus de 7 % par rapport à 2023 et plus de 11 % en moyenne annuelle depuis 2016. Ces violences se produisent pour 77 % hors du cadre familial lorsque les victimes sont majeures. Combien de dégâts psychologiques et de larmes pour ces victimes ?

Cette loi, à portée pédagogique et centrée sur le comportement de l'auteur, permettra la libération de la parole et augmentera la répression par l'écriture d'un texte plus clair et plus compréhensible pour tous.

Elle doit également permettre de modifier les pratiques de la police et de la justice. En effet, on constate un taux de dépôt de plainte trop bas, de 2 % à 6 % seulement, et le taux de condamnation reste faible, seulement 10 % à 15 % des dossiers donnant lieu à une condamnation.

Cette proposition de loi, qui vise à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, ajoute la notion du consentement. Qu'est-ce que c'est ? L'audition des avocats de Gisèle Pelicot a été particulièrement édifiante quand ils ont relaté qu'un auteur avait déclaré : « Son mari avait dit oui, je pensais qu'elle était d'accord. »

Le consentement doit se placer au cœur de l'éducation à la sexualité et s'inscrire pleinement dans une notion de respect de l'autre. Le consentement nécessite un travail éducatif et culturel pour déconstruire les idées fausses comme : « Si on ne dit rien, c'est qu'on veut bien. »

Le débat sur le consentement dans la notion de viol est un enjeu juridique, philosophique et social, qui a beaucoup évolué ces dernières années.

Avant 2021, le viol était défini par l'article 222-23 du code pénal comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ainsi, le non-consentement est déduit de l'existence d'un de ces adminicules, mais n'est pas central.

Depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol, dès lors que la différence d'âge entre l'adulte et l'enfant est d'au moins cinq ans. Il y a donc désormais présomption d'absence de consentement dans ce cas précis. C'est un premier pas.

D'autres pays vont plus loin que nous et écrivent dans la loi que le viol est un acte sexuel commis sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée.

Le consentement n'est donc pas une simple absence de refus. Il doit être actif et librement exprimé. C'est dire « oui » et ne pas se contenter de ne pas dire « non ». Il se vit dans une relation où chacun est en capacité d'exprimer ses émotions et de prendre en compte celles de l'autre. Le silence ne vaut pas consentement.

Consentir, ce n'est pas céder. C'est choisir ; c'est aussi avoir confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2022, selon l'enquête vécue et ressentie en matière de sécurité menée par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, la moyenne du nombre de femmes âgées de 18 ans et plus ayant été victimes de viols, tentatives de viol ou d'agressions sexuelles a été estimée à 230 000 personnes. Parmi elles, environ huit sur dix ne portent pas plainte et, lorsqu'elles le font, force est de constater que de nombreuses affaires sont classées sans suite faute de preuves suffisantes.

Je crois que le temps est venu de redéfinir les notions de viol et d'agression sexuelle dans notre code pénal. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, qui y introduit la notion de consentement. Il s'agit de défendre la liberté personnelle et sexuelle, ainsi que le droit au respect de son intégrité physique et psychique.

Pour ce faire, le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable : libre, tout d'abord, pour qu'il ne puisse pas être contraint ; éclairé, ensuite, car la notion de consentement est inévitablement liée à celle du discernement ; spécifique, également, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, de la même manière que l'on peut consentir à certains actes sans nécessairement le faire pour d'autres ; préalable, évidemment, car la question du consentement implique nécessairement d'être posée avant, et non après ; révocable, enfin, parce que le consentement n'est ni définitif ni absolu.

Tels seront les critères permettant de caractériser le consentement, qui ne pourra pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction d'une victime ; il devra être apprécié au regard du contexte des faits reprochés.

Dans l'affaire des viols de Mazan, nombreux sont les accusés à avoir utilisé une stratégie de défense consistant à dire : « On pensait que Mme Pelicot était consentante. »

Mes chers collègues, le temps est venu de modifier notre code pénal. Compte tenu de sa rédaction, de ses potentielles conséquences juridiques et de son caractère transpartisan, je voterai avec mon groupe pour l'adoption de ce texte.

En préparant mon intervention, j'ai compris que de nombreux juristes, avocats et magistrats étaient dubitatifs, voire sceptiques, sinon opposés à cette réforme. Mais, en dépit des critiques et des inquiétudes que suscite cette proposition de loi, je voterai pour, et cela pour plusieurs raisons.

L'inquiétude s'agissant de l'inversion de la charge de la preuve est légitime, car liée au principe de la présomption d'innocence. Clé de voûte précieuse de notre État de droit, la présomption d'innocence n'est pourtant pas remise en cause par ce texte, puisque la preuve appartiendra toujours à l'accusation, et non l'inverse.

La rédaction du texte n'instaure pas non plus de présomption de défaut du consentement impliquant une vérification formelle ou une contractualisation entre les personnes. En réalité, la rédaction retenue invite les magistrats et les parties à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience chez la personne mise en cause d'avoir agi contre ou sans le consentement de l'autre.

Le texte n'instaure donc ni présomption ni renversement de charge de la preuve.

Par ailleurs, certains estiment que le fait d'introduire la notion de consentement pourrait centrer l'enquête et les débats sur le comportement de la plaignante ou du plaignant. Mais permettez-moi de vous dire que c'est déjà parfois le cas aujourd'hui ! N'oublions pas non plus que ce sont les magistrats et les enquêteurs qui conduisent les investigations et les débats lors des procès.

Dans de nombreuses affaires, les investigations entraînent des traumatismes secondaires des parties civiles. Ce texte invite justement les enquêteurs et les magistrats à s'intéresser un peu plus aux agissements et au comportement de la personne mise en cause.

Par conséquent, ce que la proposition de loi met au centre de l'attention, ce n'est pas l'une ou l'autre des parties ; c'est la notion même de consentement, souvent décisive dans ce type de dossiers. Et c'est justement parce que cette notion est décisive que nous devons l'inscrire dans le marbre de la loi.

À celles et ceux qui estiment que ce n'est pas sa place, je répondrai que le consentement est déjà présent dans le code pénal. La notion n'est pas absente du code pénal ; l'ajouter sera source de sécurité juridique. Là où la jurisprudence peut fluctuer au gré des décisions et des affaires, notre système juridique prévoit une interprétation stricte de la loi pénale. Autrement dit, en ajoutant la notion de consentement, nous permettons une meilleure appréhension des faits et de leur contexte.

De surcroît, je rappelle aussi que la rédaction proposée pour définir le viol intègre les critères de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.

Dès lors, si ce texte permet de conserver les notions utiles à la manifestation de la vérité, je suis également convaincu que la rédaction choisie permettra de prendre en compte, enfin, l'état de sidération. La nouvelle définition élargit en effet le champ des agressions sexuelles à des cas longtemps ignorés et incompris.

Or, selon la docteure Myriam Salmona, spécialiste du psychotraumatisme, 70 % des victimes de viol ont subi un état de sidération. Modifier notre code pénal en ce sens n'a donc rien d'anodin.

Le travail remarquable réalisé par les députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin invite en réalité à s'interroger : les générations futures pourront-elles vivre dans une société où le consentement sera non plus une notion équivoque, mais bel et bien un principe consensuel et connu de tous ?

Mes chers collègues, loin de toute pression extérieure, y compris celle de l'opinion publique, je voterai ce texte, car j'ai été convaincu par des arguments juridiques. Bien évidemment, changer la loi ne résoudra pas tout. Mais la nécessité d'améliorer les formations des professionnels et des magistrats dédiés à la justice ne doit pas nous exonérer, en tant que législateurs, de faire évoluer notre droit.

En 1834, Alfred de Musset a écrit la pièce On ne badine pas avec l'amour. En 2025, ne badinons plus avec le consentement ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, notre société interroge en profondeur les silences du droit face aux violences sexuelles. À mesure que la parole des victimes se libère, les attentes se font plus fortes. Ce courage de parler et cette volonté de réparer nous obligent.

L'exemple de l'inceste est sans doute l'illustration la plus marquante. Il a fallu attendre la loi du 8 février 2010 pour que le mot « inceste », longtemps absent du code pénal, y figure enfin, puis la loi du 21 avril 2021 pour que l'inceste soit reconnu comme une infraction autonome.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique. Elle ne crée pas de nouvelle infraction, mais elle affirme avec force une évidence trop longtemps restée implicite : l'absence de consentement est le cœur même de la définition du viol.

Comme cela a déjà été rappelé, jusqu'à aujourd'hui, le droit pénal français définit le viol à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il n'a jamais explicitement mentionné l'absence de consentement.

Aujourd'hui, nous considérons qu'il est temps de franchir une étape. Cette proposition de loi introduit une évidence juridique et sociétale : un acte sexuel ne peut être licite qu'à condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Ce n'est pas une révolution ; c'est juste une clarification nécessaire.

Bien entendu, le Conseil d'État a lui-même souligné que les jurisprudences actuelles permettent déjà de sanctionner la quasi-totalité des situations visées par cette réforme. D'ailleurs, l'exemple des procès des viols de Mazan l'illustre. Mais ce n'est pas parce que le texte n'ajoute pas d'incrimination nouvelle qu'il est inutile. Il dit ce que la société attend, en l'espèce que le consentement ne soit jamais présumé, jamais déduit du silence, jamais ignoré.

Au procès des viols de Mazan, le consentement de Gisèle Pelicot a sans cesse été remis en question par la défense : consentement présumé si la victime ne dit pas explicitement « non » ; consentement présumé si le mari a donné son accord. D'ailleurs, l'un des accusés, qui était âgé de 58 ans, a lui-même déclaré qu'il aurait aimé qu'on lui explique plus jeune ce qu'était le consentement.

Ce texte constitue donc une étape importante dans la construction du droit pénal plus lisible et plus en phase avec notre société.

Nos rapporteures ont souligné sa bonne rédaction et ont pu procéder à quelques correctifs encore nécessaires, afin de répondre aux inquiétudes exprimées par des magistrats et des praticiens du droit, soucieux d'éviter des formulations imprécises et potentiellement sources d'insécurité juridique. En effet, comme l'ont expressément exprimé les rapporteures, on ne touche au droit pénal qu'avec la main qui tremble.

Je ne vais pas maintenir le suspense trop longtemps. Bien sûr, le groupe du RDSE votera évidemment de manière unanime et avec force en faveur de cette proposition de loi.

Cela dit, nous ne devons pas surévaluer l'effet immédiat de ce texte. À lui seul, il ne réglera ni les classements sans suite, ni les renoncements à déposer plainte, ni les difficultés d'instruction, qui font qu'une part effarante des faits de viol et d'agression sexuelle échappent encore à toute réponse pénale.

D'ailleurs, nous avons entendu des inquiétudes à l'encontre de cette proposition de loi, notamment la crainte d'un déplacement de la charge de la preuve vers les victimes, mais elles ne doivent en aucun cas nous conduire à l'immobilisme.

Ce texte ne prétend pas tout résoudre. À nous de l'accompagner par des moyens concrets : une formation renforcée des magistrats, des policiers, des gendarmes, des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; une meilleure écoute des victimes et un effort soutenu pour améliorer le traitement judiciaire de ces infractions. Je mentionnerai également ce qui est peut-être une des priorités : la nécessité de l'éducation au consentement dès le plus jeune âge.

Pendant l'examen du texte, une question nous a traversés. Pourquoi ne pas avoir intégré cette réforme dans un projet de loi plus large sur les violences sexuelles, avec des moyens, des objectifs concrets et une ambition structurelle ? Vous y avez répondu, madame la ministre, en affirmant votre volonté d'y parvenir.

Au-delà de ce texte, le Parlement a récemment adopté plusieurs lois importantes, comme celle du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate et celle du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales. Je pense également à la proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales, déposée par notre présidente, Maryse Carrère, et adoptée ici même au mois de novembre dernier.

Suivant cette perspective, j'ai déposé plusieurs amendements issus du rapport sur la soumission chimique que j'ai remis au Gouvernement avec Sandrine Josso le 12 mai dernier. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles, mais cela illustre à quel point ces sujets sont interconnectés et appellent une réponse globale fondée sur le droit, l'éducation, la formation et des moyens à la hauteur.

Je le répète, plutôt que des mesures éparses, nous avons besoin d'une loi-cadre ambitieuse pour lutter contre les violences sexuelles, toutes les violences sexuelles, dans toutes leurs dimensions : pénale, sociale et éducative.

En somme, nous avons besoin d'une mobilisation collective pour mettre enfin un terme au déni et à l'impunité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « qui a envie d'une petite tasse de thé ? » Ce n'est pas la chaleur qui motive ma question ; je fais référence à une vidéo explicative sur le consentement qui compare l'acte sexuel à une tasse de thé, qu'il ne viendrait à l'idée de personne de forcer autrui à boire.

Si vous ne l'avez pas vue, je vous invite à le faire et à la faire circuler, notamment au jeune public. Elle est drôle et pédagogique, et il n'est jamais inutile de recentrer les choses sur ce qui peut sembler évident.

Le sexe, c'est comme le thé. Il faut demander à l'autre s'il ou elle en a envie et tenir compte de la réponse, même si l'on a très soif ! (Sourires.) Ainsi, une personne peut finalement refuser de boire une tasse de thé, même si elle l'avait demandée. Elle peut changer d'avis si le goût ne lui plaît pas, elle peut n'en boire qu'une et ne plus jamais en vouloir et, dans tous les cas, elle ne peut pas vouloir boire du thé si elle est inconsciente.

Qui ne dit mot consent ! Des expressions proches, telles que « Le silence dit oui », ont été retrouvées chez des auteurs grecs du IVe siècle avant Jésus-Christ, dont – on l'a appris récemment – Platon : cela fait vingt-cinq siècles que la sagesse populaire considère que l'absence de protestation équivaut à un consentement ! (Mmes les rapporteures Elsa Schalck et Dominique Vérien s'esclaffent.)

Cela va sans dire, mais ça va mieux en le disant : qui ne dit mot ne consent pas, seul un « oui » veut dire oui. Et – on l'aura compris – il ne doit pas être obtenu par menace, violence, surprise ou contrainte.

Depuis #MeToo, j'entends beaucoup de réactions, parmi les hommes comme parmi les femmes, effrayées du changement de société que beaucoup, dont moi, appellent de leurs vœux : « Je n'ose plus faire un compliment à une femme. », « On ne sait plus ce qu'on a le droit de dire. » « Maintenant, on va devoir passer un contrat avant de coucher avec quelqu'un. » Le fait que le consentement puisse être révoqué pendant le rapport sexuel inquiète également beaucoup.

Que ces messieurs se rassurent, il s'agit non pas – encore que ! – de sanctionner une performance insuffisante (Rires.), mais bien de prendre conscience que quand on dit « oui », on ne dit pas « oui » à tout et à n'importe quoi. Et n'en déplaise à certains, ce n'est pas parce qu'on a dit « oui » une fois qu'on veut dire « oui » à nouveau. Je sais, c'est fatigant, mais en fait, il faut que l'autre soit d'accord à chaque fois et, accessoirement, qu'il en ait envie.

Épouser quelqu'un n'en fait pas non plus une personne sexuellement disponible en permanence. Cela semble évident, mais comme les viols entre époux ou ex-époux représentent un quart des plaintes enregistrées pour viol, il faut manifestement le redire.

Le fait d'avoir provoqué une excitation sexuelle chez quelqu'un, parfois involontairement, n'oblige nullement à le satisfaire. C'est le fameux : « Tu ne peux pas me laisser comme ça !» Vous reconnaissez ? (Rires.)

Pourquoi prendre la peine de préciser cela alors que ça semble évident ? Lors des auditions des rapporteures, une chercheuse a évoqué ces opérations de sensibilisation menées dans les collèges et les lycées, ainsi que sa stupéfaction devant les filles qui ne savaient pas qu'elles peuvent « laisser le garçon comme ça » (Sourires.), qu'elles peuvent parfaitement refuser de faire ce qu'elles n'ont pas envie de faire et que la seule chose qu'elles doivent faire est de se poser la question de ce dont elles ont envie, elles.

Cette proposition de loi est importante. Juridiquement – cela a été souligné par nos rapporteures –, elle explicite et consolide des acquis jurisprudentiels. Elle sera donc d'application immédiate et, espérons-le, permettra une uniformisation du traitement judiciaire.

Il y a aujourd'hui une sorte de roulette russe sur l'accompagnement et le suivi judiciaire des victimes de violences sexuelles. Vous parlez souvent, chère Dominique Vérien, des moyens de la justice, de l'impérative formation de toute la chaîne judiciaire, ainsi que des espaces vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). C'est évidemment indispensable.

Cette proposition de loi, comme le dit lui-même le Conseil d'État, permettra également cette avancée vers un traitement judiciaire plus uniforme des plaintes pour viol. Par exemple, dans les cas de sidération, les victimes ont tellement peur qu'elles ne disent plus rien.

Cette proposition de loi a l'immense mérite d'expliquer clairement que le viol est un acte sexuel non consenti. Ce qui compte, ce n'est pas si et comment la victime s'est défendue, ni ce qu'elle portait, ni si elle a cherché à « allumer un mec », ni même tous les mecs.

Ce qui compte, c'est que le partenaire sexuel s'est posé la question du consentement de l'autre personne. Ce qui compte, c'est de s'interroger sur ce que l'autre veut. Ce qui compte, c'est qu'un rapport sexuel est une relation entre personnes placées sur un pied d'égalité, respectueuse des désirs de l'autre.

Chacune et chacun d'entre nous peut mesurer, en entendant les chiffres qui ont été évoqués avant moi, l'étendue de la tâche. Une simple proposition de loi, même votée avec l'enthousiasme qui est le mien et que je partage dans cet hémicycle, ne suffira pas à changer le fait que le lieu le plus dangereux, en France comme dans d'autres pays, est non pas la rue, mais bien le foyer, pour les femmes, pour les enfants et pour toutes les personnes vulnérables à un moment ou à un autre.

On parle beaucoup de femmes victimes, qui représentent le gros des troupes, mais, bien entendu, toutes les catégories sexuelles de la population sont concernées par les violences sexuelles, en passant par les hommes – messieurs ! –, homos ou hétérosexuels, les LGBTQI+ et les enfants.

En effet, le viol n'est pas affaire de désir. C'est une question de pouvoir et de contrôle. On viole pour détruire. Il n'y a pas de zone grise. Il y a une intention criminelle d'aller outre la volonté de l'autre de le faire plier à la sienne, d'une façon ou d'une autre. Le viol est un acte de prédation, jamais un malentendu ou une erreur d'appréciation.

Pour les enfants, dont on n'a plus à prouver le défaut de consentement depuis la loi Billon de 2021, cette proposition de loi sera l'occasion d'un débat qui me semble essentiel. Je remercie à cet égard la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) de son engagement, et je salue votre stratégie de lutte contre le système prostitutionnel, madame la ministre.

Il n'en reste pas moins que, alors que la loi Billon permet de qualifier tout acte sexuel commis sur un mineur de 15 ans, aucune poursuite n'a été engagée sur le fondement de l'article 222-23-1 du code pénal lorsque le rapport sexuel a fait l'objet d'une rémunération.

La plupart du temps, les clients de mineurs de 15 ans font l'objet d'une contravention. Dans les premiers mois de 2025, la plus jeune victime n'avait pas 12 ans. Il faut poursuivre les clients de mineurs de 15 ans pour viols. Nous sommes plusieurs sur ces bancs, dont Annick Billon, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes de la Haute Assemblée, qui a été à l'origine de la réforme majeure de 2021, à attendre votre position sur le sujet, madame la ministre.

En conclusion, mes chers collègues, je tiens, comme d'autres avant moi, à saluer le travail, des députés Véronique Riotton, homologue de notre Dominique Vérien à l'Assemblée nationale, et Marie-Charlotte Garin. Le travail qu'elles ont mené pendant dix mois, avec un avis du Conseil d'État, est synonyme de sécurité juridique, dans une matière qui souffre de la superposition de textes mal articulés et difficilement applicables. Et si le garde des sceaux avait encore été là, j'aurais insisté sur la nécessité d'opérer une refonte sur les infractions sexuelles du code pénal, qui deviennent totalement illisibles.

Je note néanmoins que nos deux rapporteures, Elsa Schalck et Dominique Vérien, n'ont eu, elles, que dix jours pour mener leurs travaux. Le train de sénatrice va décidément beaucoup plus vite que le train de sénateur ! (Sourires.)

Le groupe UC votera cette proposition de loi, telle qu'elle a été amendée par la commission des lois. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour évoquer et combattre un fléau intrinsèquement lié à la société patriarcale : le viol et l'agression sexuelle.

Si le mouvement féministe et les grandes affaires judiciaires, comme le procès de Bobigny ou celui de Mazan, ont fait avancer la question depuis plusieurs décennies, le bilan reste très en deçà de ce que nous pourrions attendre de la nation de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Le pays des droits de l'homme n'est décidément toujours pas celui des droits de la femme.

Il suffit de regarder les chiffres. Chaque année, 230 000 femmes sont victimes de viols en France, mais seulement 6 % des victimes de viols, tentatives de viol ou agressions sexuelles portent plainte. Et seulement 0,6 % de ces plaintes aboutissent à une condamnation. Le nombre de classements sans suite pour les affaires de viol est de 94 %. Au total, moins de 1 % des violeurs sont condamnés.

Pourquoi un tel bilan ? Est-ce parce que la définition pénale du viol n'inclut pas la notion de consentement ? La réponse à cette question est évidemment non.

C'est bien sûr à cause du manque de moyens que des hommes violent et agressent en toute impunité.

Chaque année, il manque 2,6 milliards d'euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il manque une réelle campagne de prévention par l'éducation et la sensibilisation à tous les niveaux de la société. Il manque des moyens d'identifier et de prendre soin des victimes, de mettre en place un réel soutien psychologique et médical en facilitant l'accès aux soins pour les victimes et la mise en place de structures d'accueil spécialisées ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

La formation des professionnels du service public dans l'éducation, la santé, la justice et la police fait également défaut. Il devient indispensable d'améliorer le parcours judiciaire avec la création de brigades et de juridictions spécialisées.

La liste des mesures à prendre est longue, mais les pouvoirs publics semblent rester quasi immobiles. Protéger nos filles et nos femmes et toutes les victimes ne devrait pas avoir de prix. Et si modifier la loi est peu coûteux, c'est aussi – hélas ! – peu efficace. Avant de modifier la loi, il faudrait déjà l'appliquer, la faire appliquer.

En ce qui concerne cette modification de la loi pénale, je voudrais ici vous faire part de mes réserves quant à l'introduction aux deux premiers alinéas de l'article 222-22 du code pénal de la notion de consentement.

Si la notion de consentement et même de désir est primordiale en matière de pédagogie, nous sommes réunis ici pour modifier le code pénal. Le débat au sein du mouvement féministe sur cette notion est riche, mais le terme est loin de faire consensus. Je partage à ce titre les craintes de nombreuses féministes quant à l'introduction de cette notion dans le code pénal, car je m'interroge.

Il est vrai que, lors de leur procès, nombreux sont les hommes accusés de viol qui affirment ne pas savoir que l'acte sexuel qu'ils ont imposé n'était pas consenti.

Par exemple, dans l'affaire Pelicot, qui a été citée à de nombreuses reprises, certains accusés ont même parlé de « viol involontaire ». Une femme endormie serait donc pour eux potentiellement consentante…

Ne risquons-nous pas ainsi de donner raison aux violeurs en légitimant leur ignorance ? Si la victime sait qu'elle n'a pas consenti, comment le violeur, lui, pourrait-il l'ignorer ? Et surtout, ne risquons-nous pas de concentrer le procès sur l'attitude de la victime, et non sur le comportement de l'agresseur ?

Comme le plaidait Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, « Le drame de cette attitude, c'est que, qu'on le veuille ou non, nous sommes acculées, nous, plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que, mais non !, nous n'avons pas consenti. »

Pourtant, hélas, notre justice est souvent bien trop tournée vers la stigmatisation et la culpabilisation des victimes. Des photos de Gisèle Pelicot nue, prises à son insu, ont ainsi été utilisées par la défense pour lui reprocher d'avoir des penchants exhibitionnistes.

En introduisant la notion de consentement dans la loi, n'insistons-nous pas davantage sur le comportement de la victime que sur celui de l'agresseur ?

Toutes ces interrogations restent sans réponse, et l'absence d'étude d'impact est, comme pour toutes les propositions de loi, regrettable.

Par conséquent, persuadés que, sans moyens supplémentaires, rien ne changera, et craignant les nombreux effets de bord d'une telle mesure, les membres de notre groupe, très majoritairement, ne pourront pas voter ce texte. (Mme Laurence Rossignol applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'excuser Mélanie Vogel, qui devait prononcer cette intervention.

Le 29 mars 2017, la Cour de cassation a confirmé un non-lieu alors qu'une femme accusait son conjoint de viol, estimant que l'homme avait pu « se méprendre sur le consentement de la victime, doute qui doit lui profiter ». Ce genre de décision n'est pas isolé. Il est une conséquence directe des lacunes de notre droit et signifie que, en l'absence de « non » clair, il est normal d'avoir pu supposer qu'il s'agissait d'un « oui ».

Que l'on comprenne bien : juridiquement, une relation sexuelle est donc permise par défaut. Le consentement n'est pas un préalable, seulement un moyen de dérogation. Un homme a donc le droit de se tromper sur son droit à disposer du corps d'une autre. Un homme peut violer sans être condamné, s'il prétend avoir mal compris.

Voilà pourquoi ce texte n'est pas accessoire, mais urgent et attendu. En effet, de nombreux cas échappent à la couverture de la loi.

Quand une personne est en état de sidération, droguée, inconsciente, comment peut-on prétendre qu'elle avait dit oui ? Quand le oui n'est ni libre ni éclairé, comment prendre en compte les circonstances environnantes qui l'ont forcé ? Quand une personne consent à la relation, mais pas à toutes les pratiques, comment distinguer la sexualité du viol ?

Ce texte répond à ces angles morts du droit. Il ne retire rien aux outils existants ; il les complète et les renforce.

Ce texte juridiquement solide est le fruit d'un travail parlementaire de dix-huit mois, mené par Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, que je félicite. Il est aussi le fruit du travail des organisations féministes, de victimes, d'avocates et de magistrates.

Ce texte est solide, comme le soulignent les avis positifs du Conseil d'État et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), et il permet de s'aligner sur les recommandations de la convention d'Istanbul.

De fait, revoir la définition pénale du viol apporte un triple bénéfice.

Le premier est symbolique : c'est dire aux femmes que leur volonté compte ; c'est sortir de la culture du viol, où leurs corps sont présumés disponibles, pour aller vers une culture du consentement, où leurs corps, leurs choix, leurs vies leur appartiennent.

Aujourd'hui, il n'y a que pour le corps des femmes que l'on considère spontanément que, sans indication contraire, il serait acquis. C'est l'objet le plus contrôlé, le plus regardé et stigmatisé et le plus fantasmé, celui que l'on s'approprie le plus fréquemment. Or, ce texte vise à rompre avec l'objectification et à clarifier la différence entre sexualité et violence, entre égalité et domination.

Le deuxième bénéfice est d'ordre pénal. Cette redéfinition constitue un outil supplémentaire entre les mains des juges pour sortir de l'impunité.

Alors que, toutes les deux minutes et trente secondes, une personne est victime de viol ou de tentative de viol, seulement une femme sur 17 porte plainte, consciente que la justice ne sera pas à la hauteur. Et les chiffres leur donnent raison, car 94 % des affaires sont classées sans suite.

En introduisant l'absence de consentement dans la loi, on recentre le regard sur les actes de l'auteur. A-t-il activement recherché le consentement ? L'a-t-il fait dans des circonstances de domination, d'emprise, ou d'incapacité de la victime à s'opposer ? Ce changement de focale donne à des milliers de victimes une chance, enfin, d'être reconnues.

Enfin, ce texte apportera un troisième bénéfice, sociétal cette fois, car, oui, le droit a un effet performatif : il façonne les normes sociales, dit ce qui est acceptable et l'ancre dans les habitudes.

Si la loi prévoit que ne pas s'assurer du consentement lors d'un rapport est puni, alors les comportements changeront, et cela, concrètement, bâtira la culture du consentement dans une société où seulement 59 % des 18-24 ans identifient un acte sexuel sans consentement comme un viol.

Alors oui, des doutes ont été soulevés en amont de ce texte, mais la rédaction actuelle, solide, doit les lever.

Si la proposition de loi avait supprimé les quatre critères – violence, contrainte, menace ou surprise –, nous aurions pu nous y opposer, mais ce n'est pas le cas. Si elle inversait la charge de la preuve, si elle introduisait une notion floue, inadaptée au droit pénal, si elle instaurait une présomption de culpabilité, nous aurions pu voter contre, mais ce n'est pas le cas.

Si nous voulons vraiment lutter contre les viols, briser l'impunité et protéger les victimes, si nous voulons inscrire dans la loi le meilleur de la jurisprudence, afin que les femmes aient accès à la même justice partout dans le pays, si nous voulons qu'elles n'aient plus peur de porter plainte et qu'un message clair, enfin, leur soit envoyé, affirmant haut et fort : « Vos corps vous appartiennent, vos choix comptent, vos droits sont respectés », alors il n'y a qu'une réponse possible ce texte, quand bien même il n'est qu'une partie du chemin : voter pour. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Buis et Laurent Somon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un argument est souvent employé pour défendre ce texte : il aurait une vertu ou une ambition éducative. Grâce à l'introduction du consentement dans le code pénal, les hommes comprendraient – enfin ! – qu'un acte sexuel ne peut pas être imposé.

Je voudrais tout d'abord, peut-être un peu crûment, briser certaines illusions : les hommes qui violent savent très bien qu'ils violent. Ils savent très bien qu'ils abusent des privilèges que leur confère leur position dominante dans la hiérarchie des sexes, leur pouvoir économique ou leur force physique. N'imaginons pas que les hommes violeraient par inadvertance, négligence ou même par ignorance ou méconnaissance.

Puisqu'il s'agirait d'éducation au travers de ce texte, je vous propose de nous arrêter un instant sur le sens du mot consentement.

Quelle est la définition du verbe consentir, par exemple dans le Larousse ? Consentir, c'est accepter quelque chose, accepter que quelque chose se fasse ou acquiescer. En cela, ce verbe se distingue très nettement du verbe vouloir, par exemple.

Le mot consentement s'inscrit donc, à mes yeux, dans les représentations les plus traditionnelles, pour ne pas dire les plus archaïques, de la sexualité : une sexualité dans laquelle les hommes prennent l'initiative, proposent ou pénètrent, quand les femmes se donnent, cèdent ou concèdent.

C'est d'ailleurs pour cette raison que le Sénat s'est particulièrement mobilisé, de façon novatrice, dans la lutte contre l'industrie pornographique et les représentations qu'elle diffuse, en particulier ces sexualités qui sont violentes, parce qu'elles sont hiérarchisées et fondées sur l'irrépressible désir des hommes.

Selon moi, le mot consentement n'est pas seulement dépourvu de vertu éducative : il est « méséducatif ». Comme le dit très bien la philosophe Manon Garcia, en définissant le viol par le non-consentement, on accrédite l'idée « que le consentement est l'affaire des femmes, que les femmes doivent choisir de refuser ou d'accepter les assauts sexuels des hommes ».

Et comme le dit aussi bien Marianne Frison-Roche, une universitaire professeure de droit, « En Occident, la liberté est dans le ″non″, le consentement est dans le ″oui″. Par la volonté, je domine ; par le consentement, je me soumets. La force est du côté de la volonté ; la faiblesse du côté du consentement. » Parler de consentement, c'est s'inscrire et perpétuer une représentation des sexualités qui n'est fondée ni l'égalité ni sur le désir.

Si le législateur voulait vraiment éduquer la société et promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes par la sexualité, il emploierait non pas le mot « consentir », mais le substantif « volonté ». Une relation sexuelle concrétiserait alors la rencontre de deux volontés, de deux désirs, et non le consentement d'une femme à la proposition sexuelle d'un homme.

J'ai compris que cette modification du code pénal se ferait malgré moi et malgré bien d'autres. Afin qu'elle soit réellement utile aux victimes et aux femmes, nous devrions l'encadrer davantage. Le Conseil d'État a beau décréter qu'il y a une autonomie du droit pénal, le risque est grand que le juge raisonne malgré tout selon ce qu'il a appris à l'école de droit, c'est-à-dire en fonction du consentement en droit civil et dans le droit des contrats.

Qu'est-ce qu'un consentement libre et éclairé quand il s'agit d'un acte sexuel obtenu par un employeur en échange de la promesse, par exemple, de ne pas inscrire une femme dans une charrette de licenciement ? Comment le juge évaluera-t-il ce fameux contexte ?

Si les pratiques de la justice étaient émancipées des stéréotypes sexistes, nous pourrions être optimistes. Mais tout le monde sait ici que tel n'est pas le cas.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues, je vous proposerai toute une série d'amendements qui tendent à s'inscrire dans la logique du texte, mais qui visent à le renforcer et à le sécuriser, pour les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons aujourd'hui à un tournant : un tournant de société, de justice, de conscience.

Depuis trop longtemps, le viol est un fléau silencieux, qui détruit des vies, brise des familles et ronge la confiance. Les chiffres sont terribles. Ils ont été rappelés : plus de 230 000 victimes chaque année, mais moins de 8 000 condamnations. Nous ne pouvons plus tolérer ce décrochage, ce gouffre entre la réalité et la justice.

Nous avons une responsabilité, celle de faire évoluer notre droit et de donner un signal clair. La société n'acceptera plus l'ambiguïté, le doute et la suspicion envers les victimes. C'est le sens de ce texte, qui constitue une réelle avancée, non seulement juridique, mais également morale.

Jusqu'à présent, en effet, notre droit reposait sur quatre piliers : la violence, la contrainte, la menace et la surprise. Ces quatre piliers hérités du XIXe siècle ont structuré notre justice. Ils ont permis, certes, de condamner et de protéger, mais ils ont aussi, parfois, laissé des victimes sans réponse, parce que la sidération, l'emprise ou le choc n'étaient pas toujours pris en compte, parce que le silence ou l'absence de réaction étaient trop souvent interprétés comme un consentement.

Ce texte change la donne. Il affirme un principe simple, mais fondamental : sans consentement, il n'y a pas d'acte sexuel possible. Le consentement, désormais, doit être apprécié selon le contexte, et non déduit du silence ou de l'absence de réaction.

C'est une avancée pour toutes les victimes. C'est aussi une protection renforcée pour les plus vulnérables, pour celles et ceux qui n'ont pas pu dire non, n'ont pas pu crier, n'ont pas pu fuir.

Toutefois, mes chers collègues, il faut le dire : le droit pénal n'est pas le terrain de l'émotion. Il est le rempart de la justice. Il est la garantie de l'équilibre. Nous devons rester vigilants. Nous devons protéger la présomption d'innocence. Et nous devons à nos concitoyens la sécurité juridique.

Il s'agit non pas de basculer dans l'arbitraire ou la subjectivité, mais d'apporter de la clarté, de la rigueur et de la justice.

C'est pourquoi nos deux rapporteurs de la commission des lois ont accompli un travail remarquable de précision en sécurisant le texte, en précisant la notion de consentement, en remplaçant les « circonstances environnantes » par le terme « contexte », pour éviter toute dérive interprétative, et en élargissant la définition du viol aux actes bucco-anaux, y compris pour les mineurs, pour une protection égale et sans faille.

La commission a aussi supprimé des articles superflus, tout en gardant l'essentiel : la protection des victimes, la clarté du droit, l'efficacité de la justice.

Ce texte n'est pas une fin ; c'est un début. Il nous faudra aller plus loin et donner plus de moyens à la justice. Il faudra mieux informer les enquêteurs, mieux accompagner les victimes et accélérer les procédures. Il faudra surtout faire évoluer les mentalités pour que la honte change de camp, pour que la victime soit crue, respectée et protégée.

Aujourd'hui, nous posons une pierre ; une pierre solide, une pierre juste et une pierre attendue. Le groupe Les Républicains votera évidemment ce texte, avec vigilance et exigence, en ayant conscience que chaque mot, chaque virgule, engage la vie de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants.

La République, c'est d'abord le respect. La France, c'est la justice. Notre devoir, c'est de protéger les plus faibles, sans jamais céder à la facilité, sans jamais renoncer à l'équilibre du droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Article 1er

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° L'article 222-22 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots : « tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur » ;

b) Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Au sens de la présente section, le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard du contexte. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

« Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature. » ;

2° L'article 222-22-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « par le premier » sont remplacés par les mots : « au troisième » ;

b) Au deuxième alinéa, la seconde occurrence du mot : « premier » est remplacée par le mot : « troisième » ;

(Supprimé)

4° Le premier alinéa de l'article 222-23 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;

c) (Supprimé)

4° bis (nouveau) Au premier alinéa des articles 222-23-1 et 222-23-2, après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;

5° Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

II. – (Non modifié) Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 2-3, le mot : « second » est remplacé par le mot : « dernier » ;

2° Le début du premier alinéa de l'article 804 est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement). »

M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

du contexte

par les mots :

des circonstances environnantes

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à rétablir la formulation issue des travaux de l'Assemblée nationale, en remplaçant la notion de « contexte » par celle de « circonstances environnantes ».

Au-delà d'une simple question lexicale, il s'agit d'introduire une notion plus précise, mieux à même de qualifier des situations de violence, d'emprise ou de domination susceptibles d'avoir altéré le consentement de la victime.

De fait, le terme « contexte » renvoie surtout à la notion de lieu ou de cadre immédiat, donc aux caractéristiques propres au temps de l'action. Il apparaît trop vague et insuffisant pour saisir la complexité des situations dans lesquelles des pressions ont pu être effectuées.

La notion de circonstances environnantes permet au magistrat de dépasser cette analyse partielle ou immédiate en prenant en compte l'ensemble des faisceaux d'indices sur les éléments d'emprise, mécanismes d'exploitation de vulnérabilité, relations de pouvoir ou encore violences ou menaces qui ont pu préexister à l'acte.

Cette notion permet un examen plus large, parce qu'elle offre un cadre plus complet. Elle s'appuie sur des travaux solides et reprend les recommandations du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes sur la définition pénale du viol.

Elle est conforme au droit international fixé par la convention d'Istanbul, en tenant compte des réactions des victimes, parfois incapables de manifester leur refus.

L'avis du Conseil d'État rappelle également que l'on ne peut ignorer les réactions comportementales des victimes, en particulier lorsqu'elles sont paralysées par la peur, l'emprise ou la sidération.

Remplacer les termes « circonstances environnantes » par celui de « contexte » risque donc d'entretenir une lecture réductrice de la réalité des violences sexuelles. En revanche, adopter cet amendement, c'est renforcer la protection des victimes en dotant la justice d'un cadre d'analyse à la hauteur de la complexité des faits.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Le présent amendement vise à revenir au texte initial de l'Assemblée nationale en rétablissant l'expression « circonstances environnantes », à laquelle la commission a substitué celle de « contexte ».

La notion de circonstances environnantes est une reprise mot pour mot de la convention du Conseil de l'Europe. Or, comme vous le savez, le respect du droit international, qui anime aussi ce texte, n'impose pas la reprise littérale des termes des conventions auxquelles la France est partie.

Nous avons constaté lors des auditions que l'expression « circonstances environnantes » posait plusieurs difficultés.

Premièrement, elle est redondante, les circonstances étant toujours environnantes.

Deuxièmement – ce point est important –, elle est inconnue en droit pénal français, ce qui risque de créer des difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes.

Troisièmement, et enfin, la Cour de cassation a appelé notre attention sur le caractère potentiellement extensif de cette notion. L'environnement de la victime, son attitude, ses relations ou son passé pourraient être de nouveau explorés, afin de tenter de démontrer son consentement, au risque d'accentuer la pression qu'elle subit.

Pour toutes ces raisons, nous avons préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Mes chers collègues, nous vous proposons donc d'en rester à la définition de la commission.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la sénatrice Poncet Monge, permettez-moi de saluer à mon tour Mélanie Vogel pour son engagement bien connu sur la question des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Au travers de votre amendement, vous proposez de revenir au texte initial. Or, depuis le début de l'examen de ce texte, nous proposons de manière constante, à l'Assemblée comme au Sénat, de suivre l'avis du Conseil d'État.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il ne peut être déduit de l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Afin d'introduire le consentement dans la loi, l'Assemblée nationale a voulu préciser de quoi ce dernier ne pouvait pas être déduit. Ainsi, le consentement ne peut pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

Je le répète, si la pratique judiciaire n'était pas aussi défaillante dans la poursuite et la sanction des violences sexuelles, nous pourrions être beaucoup plus détendus. Toutefois, nous savons que les défaillances sont extrêmement nombreuses. Mon propos vise donc à préciser davantage les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut pas être déduit, en y ajoutant l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

Soyons concrets : imaginons une jeune étudiante qui obtiendrait la gratuité d'un logement en échange de services sexuels que lui aurait demandés le propriétaire.

On me répondra bien entendu que ce cas de figure est déjà prévu par la loi, au travers de la notion de contrainte morale. Si c'était le cas, la situation ne se présenterait pas, et il y aurait des condamnations multiples. Or ce n'est pas le cas.

Je propose donc d'apporter les précisions nécessaires pour que l'introduction du consentement dans la loi soit profitable aux victimes et lève les ambiguïtés. Non, le consentement ne se déduit pas d'un échange de services ou d'une rémunération !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que le consentement ne peut pas être déduit de l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.

En l'état du texte, le consentement « ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ». Cette rédaction résulte en partie d'une modification suggérée par l'avis du Conseil d'État, selon lequel cette précision serait utile afin de ne pas limiter l'appréciation du juge.

Nous partageons cette analyse, qui vaut également pour cet amendement. Il semble non seulement superfétatoire, mais risqué du point de vue juridique, d'apporter de trop nombreuses précisions sur les modalités de déduction du consentement.

Le texte, tel qu'il a été rédigé, permet déjà d'appréhender les situations dans lesquelles une personne se livrant à la prostitution reviendrait sur son consentement. Les qualificatifs du consentement en témoignent. Deux, particulièrement, en l'espèce, l'illustrent : il s'agit des caractères spécifique et révocable du consentement.

Le Conseil d'État a expressément souligné dans son avis que « le consentement à un acte de prostitution en échange d'une somme d'argent » ne peut pas « permettre de présumer l'existence d'un consentement propre à écarter la qualification d'agression ou de viol ».

Il ajoute que « la jurisprudence, que la proposition de loi renforce [...], n'exclut pas [...] qu'une prostitution résultant du proxénétisme puisse [...] être regardée dans des cas très nombreux comme constitutive par elle-même d'une contrainte qui, si elle est connue de l'auteur des faits, ou apparente, sera susceptible d'entraîner la qualification d'agression sexuelle ou de viol ».

Dans la mesure où l'adoption de cet amendement limiterait l'appréciation du juge dans un sens potentiellement défavorable aux victimes, la commission demande son retrait ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la ministre, je connais évidemment votre engagement dans la lutte contre le système prostitutionnel. Sachez que nous entretenons la dynamique de la loi de 2016 dont vous êtes à l'origine.

En ce qui concerne cet amendement, je partage l'avis des rapporteures : le Conseil d'État a bien précisé dans son avis qu'il n'était en aucun cas exclu de poursuivre une personne pour agression sexuelle ou pour viol, quand bien même il y aurait eu un accord sur le fait d'avoir un rapport sexuel dans les conditions que vous évoquez.

Les deux sujets sont distincts : ce n'est pas parce que l'on a un rapport sexuel dit tarifé que, pour autant, la qualification d'agression sexuelle ou de viol ne peut pas être retenue.

Ma position étant constante – tenons-nous-en à l'appréciation du Conseil d'État –, je demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, j'y serais défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'ai écouté avec intérêt la rapporteure et la ministre, et je pense que nous ne parlons pas de la même chose.

Vous parlez de prostitution. Nous parlons pour notre part d'un échange de services, d'une étudiante, qui, comme l'exposait Laurence Rossignol, demanderait un logement et qui, de fil en aiguille, se retrouverait dans l'obligation d'accepter une relation sexuelle pour l'obtenir. Cela peut être aussi un travail ou que sais-je. Il n'est donc nullement question de prostitution.

Le texte comporte déjà un article qui mentionne la violence, la menace, la contrainte ou la surprise – très bien ! –, mais pas le consentement.

Or il existe d'autres cas de figure bien précis – c'est l'objet de prochains amendements –, dans lesquels, faisons un peu de droit civil, la situation pourrait être considérée comme quasi contractuelle.

Ce n'est pas parce qu'il y a un avantage à la clé que l'on peut considérer qu'il y a eu accord. Il est très important de préciser ce point, afin de qualifier l'agression sexuelle pénalement sanctionnable. Je le répète, quand bien même la prostitution pourrait être évoquée, nous parlons ici de situations bien plus épisodiques, mais qui se produisent dans la vie réelle.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame de La Gontrie, la précision selon laquelle le consentement est « libre et éclairé » répond, me semble-t-il, à votre interrogation.

« Libre », cela signifie qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit fausser la nature du consentement. Cela couvre exactement les situations que vous évoquez. « Éclairé » renvoie à la capacité que nous avons de consentir et qui n'existe pas dans un certain nombre de situations de vulnérabilité.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons suivi l'avis du Conseil d'État. Les mots retenus pour caractériser les situations sont très précis.

Plutôt que de risquer d'ajouter des précisions superfétatoires, qui pourraient se révéler in fine défavorables aux victimes, je vous propose de nous en tenir aux termes retenus par le Conseil d'État. Ils définissent clairement ce que le consentement peut être et ce qu'il ne peut pas être.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Comme je ne suis pas novice dans cette maison et comme ce n'est pas la première fois que je travaille avec la majorité sénatoriale et le Gouvernement sur des textes concernant les violences sexistes ou sexuelles, ou les violences intrafamiliales, j'ai bien compris que vous n'accepterez aucun des amendements que nous proposerons.

Mesdames les rapporteures, je vais vous faire gagner du temps, et à moi aussi : évitez de me demander de retirer mes amendements, parce que je n'en retirerai aucun !

Pour tout vous dire, après plusieurs années, je suis fatiguée de voir arriver dans l'hémicycle des textes totalement bouclés, sur lesquels les rapporteurs refusent systématiquement les amendements de l'opposition avec les mêmes arguments connus d'avance – je les connais d'avance –, comme « c'est superfétatoire », « c'est déjà garanti par le texte » ou « n'en ajoutons pas trop pour ne pas alourdir l'analyse du juge » – pour moi, c'est le summum en la matière.

Mes chers collègues, si la justice fonctionnait bien, si elle sanctionnait parfaitement les violences sexuelles, nous pourrions continuer selon cette même logique. Cependant, aujourd'hui, nous avons besoin de préciser les choses. Avec la formule « libre et éclairé », je puis vous dire d'avance que les avocats – il y en a dans cet hémicycle – savent déjà comment ils retourneront ce que la victime a dit ou n'a pas dit.

Tel qu'il est rédigé, le texte vise presque la sidération de la victime, une formule qui n'a pas été choisie, au bénéfice du consentement « libre et éclairé ». Lorsque vous dites que celui-ci ne se déduit pas de l'absence de réaction de la victime, vous parlez en fait de la sidération.

Pour ma part, je ne vous parle pas de cela : j'ai en tête les mille et une situations dans lesquelles les inégalités entre les femmes et les hommes créent d'emblée une vulnérabilité spécifique des femmes en matière d'exposition aux violences sexuelles. Nous aurons l'occasion d'y revenir avec les nombreux amendements que j'ai déposés.

M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. Madame Rossignol, il faut bien savoir comment les magistrats fonctionnent. En présence de la formulation « violence, contrainte, menace ou surprise », les magistrats de la Cour de cassation ont étendu la notion de contrainte, y compris jusqu'à l'emprise, ce qui n'allait pas de soi. Pourquoi ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est la jurisprudence !

M. Francis Szpiner. Oui, mais la jurisprudence a pu le faire, justement, parce que les magistrats ont eu la possibilité d'interpréter.

Ce qui me gêne dans l'amendement que vous proposez, c'est que, à force de trop vouloir énumérer des situations précises, vous allez en oublier. Et à partir de ce moment-là, les avocats de la défense auront beau jeu de dire que tel ou tel comportement n'est pas prévu par le texte.

Dans le cas qui nous intéresse, vous avez parlé du droit civil et du consentement. Mais il n'y a pas de consentement libre, même en droit civil, lorsqu'une personne propose un objet illicite ou immoral.

Mme Laurence Rossignol. Il y a les vices du consentement !

M. Francis Szpiner. La situation que vous évoquez correspond déjà à un vice du consentement, même dans la conception du droit civil.

À mon sens, les dispositions de cet amendement n'apportent rien. Au contraire, si celui-ci est voté, l'énumération des cas aura pour effet d'affaiblir le pouvoir des magistrats, les prévenus et les avocats rétorquant que ce qui ne figure pas dans la liste est permis. Une formule générale permet assurément une répression plus efficace.

Voilà pourquoi je voterai contre cet amendement. (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il ne peut être déduit de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement-là, je n'imagine pas que les rapporteurs le refusent…

Il y a quelques semaines, nous étions, presque dans la même formation, en train de discuter de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui traite du contrôle coercitif, et déposée par Mme la ministre Aurore Bergé, députée au moment du dépôt du texte.

J'avais alors déposé un amendement visant à préciser que l'obligation de relations sexuelles ne se déduisait pas de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.

Les rapporteures m'avaient répondu que l'article 45 de la Constitution m'interdisait de déposer un amendement s'inscrivant dans le code civil à l'occasion de la discussion d'un texte portant sur le code pénal, même si elles se déclaraient d'accord sur le fond : la communauté de vie, bien sûr, ce n'est pas le devoir conjugal ! Elles avaient même pris date pour une prochaine occasion.

Considérant que cette question relève aussi du droit pénal, je reviens donc à la charge avec un amendement visant à préciser que le consentement ne peut se déduire de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.

En gros, le devoir conjugal n'existe pas et, par conséquent, on ne peut déduire le devoir conjugal du consentement donné au moment du mariage. C'est une façon de dire à tout le monde, puisque ce texte a une vocation éducative, que le devoir conjugal n'existe pas et qu'il n'y a pas d'obligation de relations sexuelles entre époux.

Cependant, j'ai cru comprendre que la commission allait émettre un avis défavorable sur cet amendement. Je ne comprends pas. Comment faut-il faire ? Apparemment, vous êtes d'accord pour dire à tout le monde que le devoir conjugal n'existe pas, mais, quelle que soit ma façon de l'écrire, quelle que soit la façon dont mes collègues et moi vous le proposons, cela ne va jamais.

Dites-moi comment il faut faire si vous ne le prenez pas cette fois-ci, ou, mieux encore, émettez un avis favorable dès aujourd'hui.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Madame Rossignol, j'ai bien compris qu'il ne servirait à rien de vous demander de retirer votre amendement, donc mon avis sera directement défavorable, pour les raisons que je vais vous expliquer.

Auparavant, je tiens à répondre à votre reproche selon lequel nous n'accepterions jamais d'amendements de l'opposition. Je rappellerai tout même que dans un texte précédent, qui portait justement sur le contrôle coercitif, nous avons adopté vos propres amendements sur la circonstance aggravante du viol, madame Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. C'était les amendements de M. Darmanin !

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Vous les souteniez !

J'en viens à cet amendement n° 7, qui vise la communauté de vie et le mariage. Je ne reviens pas sur les différents arguments déjà développés sur la limitation de l'appréciation du juge dans un sens potentiellement défavorable aux victimes.

Par ailleurs, à l'instar du consentement donné à la pratique de la prostitution, qui ne présume en rien le consentement spécifique au rapport sexuel – cet argument vous a été présenté par Dominique Vérien –, le consentement civil obtenu dans le cadre tant du mariage que du pacte civil de solidarité (Pacs) ne présume pas non plus le consentement aux relations charnelles.

Par ailleurs, autre élément important, la définition du viol et des autres agressions sexuelles couvre déjà ces hypothèses et permet déjà aux juges de qualifier de viol des relations sexuelles au sein d'un couple, qu'il s'agisse de concubins, de partenaires de Pacs, de personnes ne vivant pas ensemble ou de personnes mariées. Cela existe malheureusement : c'est le viol conjugal.

Prévoir explicitement le cas du mariage et toutes les hypothèses que j'ai décrites priverait le juge de sa liberté d'appréciation.

Madame Rossignol, lorsque nous avons eu le débat que vous évoquez, il était question de modifier le code civil. Comme nous l'avons rappelé lors de la discussion générale, la présente proposition de loi est un texte interprétatif. Ne brouillons pas notre débat en modifiant des dispositions du code civil.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la rapporteure, je vous ai écouté avec intérêt, et je n'ai rien compris à votre raisonnement.

Faisons simple : considérez-vous que le devoir conjugal existe ou pas ? Vos refus réitérés, ici au Sénat, d'inscrire nos propositions dans le code civil ou le code pénal montrent que pour vous, le devoir conjugal existe. (Mme la présidente de la commission des lois proteste.) Ne confondez pas, et je sais que vous ne le faites pas, le viol conjugal et le devoir conjugal.

Ensuite, vous parlez de loi interprétative. Alors, sachez que l'on ne parle pas de loi interprétative, mais de dispositions interprétatives, ce qui veut dire que, dans un même texte, il peut y avoir des dispositions interprétatives pour l'application de mesures antérieures et d'autres dispositions qui sont considérées comme n'étant pas interprétatives et ne sont pas d'application immédiate. Votre argument n'est donc pas opérant.

Je retiendrai simplement que le Sénat ne veut pas que soit inscrit dans un texte que le devoir conjugal n'existe pas.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cela n'a rien à voir !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Évidemment, nous voterons l'amendement.

M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. Madame Rossignol, madame de La Gontrie, je crois que vous devriez relire l'article 215 du code civil. Il parle non pas de devoir conjugal, mais de communauté de vie. Ce sont les magistrats, et non pas la loi, qui sont à l'origine de cette construction prétorienne instaurant le devoir conjugal.

À ce moment-là, il faut modifier l'article 215 du code civil en disant que la communauté de vie n'impose pas des relations sexuelles obligatoires entre époux.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela revient au même !

M. Francis Szpiner. Toutefois, je ne vois pas comment, à l'occasion d'un texte d'objet pénal sur la répression du viol, nous pourrions modifier aujourd'hui l'article 215 du code civil.

De surcroît, madame Rossignol, vous parlez également, à juste titre, des concubins et des partenaires de Pacs, entre autres. Mais alors, il faudrait déposer des amendements spécifiques dans ce sens.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est pas brillant !

M. Francis Szpiner. Pour ma part, je suis favorable à la suppression de cette notion de devoir conjugal, mais il faut le faire dans le cadre d'une réforme de l'article 215 du code civil, en précisant que la Cour de cassation a fait une erreur en procédant à un ajout qui n'était pas prévu par le législateur. En tout état de cause, il ne me semble pas possible de voter votre amendement ce soir.

Mme Laurence Rossignol. Je l'avais proposé dans un autre cadre, mais il n'a pas été accepté !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Assumez votre position, chers collègues de la majorité sénatoriale !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté ici sur la position du Gouvernement.

Nous n'avons pas pu examiner les amendements la dernière fois, car ils ont été jugés irrecevables. Il n'y a pas eu de débat. Personne n'a voté ou rejeté ces propositions. Ce n'est pas le Gouvernement qui décide de la recevabilité ni d'ailleurs les rapporteurs : c'est tout simplement l'application de la Constitution.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous parlons du Sénat et non de vous, madame la ministre.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Très bien, mais je veux juste préciser qu'aucun amendement précédent n'a été examiné pour cause d'irrecevabilité, ce qui n'est pas la même chose que le rejet d'un amendement.

Madame Rossignol, l'amendement que vous proposez aujourd'hui vise non pas le code civil, mais le code pénal. Or l'ambiguïté que vous évoquez n'est pas dans le code pénal, qui ne reconnaît pas le moindre devoir conjugal. Au contraire, le viol conjugal existe en droit, donc il n'y a pas d'ambiguïté du droit pénal.

Nous devons sans doute travailler sur le code civil, mais cela excède le cadre de notre débat de ce soir. Il ne doit plus y avoir aucun doute : la France ne reconnaît pas le principe du devoir conjugal. Et je pense pouvoir dire que le Sénat et l'Assemblée nationale sont alignés sur cette question.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Toutefois, ce n'est pas en visant le code pénal que nous y parviendrons. C'est une autre réflexion à aborder au civil, et je ne doute pas de l'engagement des rapporteures à cet égard.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je comprends le raisonnement, mais quand je propose un amendement au code civil, on me dit qu'il n'est pas recevable !

Monsieur Szpiner, j'ai déposé l'amendement suivant à la faveur d'un débat précédent, voilà quelques semaines : « Le premier alinéa de l'article 215 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : "Cette communauté de vie n'implique pas d'obligation de relations sexuelles entre les époux." »

Je n'arrive jamais à passer la porte qui va de la commission à l'hémicycle, donc je tourne autour. Comme Mme la ministre est apparemment d'accord sur le fond et qu'elle prépare actuellement un projet de loi plus global, j'espère que ma proposition y sera reprise, s'il est un jour discuté.

Et puisque mes collègues de la majorité sénatoriale s'offusquent qu'on les soupçonne de ne pas être d'accord, qu'ils utilisent le temps parlementaire dont ils disposent pour déposer une proposition de loi reprenant cet amendement au code civil – c'est ainsi que nous légiférons en ce moment –, et nous la soutiendrons. Prenez l'initiative, mes chers collègues, puisque vous semblez gênés !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous n'avons aucun problème à cet égard !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il ne peut être déduit d'un contrat préalable par lequel les parties seraient convenues de relations sexuelles.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je ne suis pas d'accord avec l'argument, que j'entends depuis des années, selon lequel toute précision apportée par nos soins au code pénal limiterait l'office du juge. En effet, ce n'est pas vrai.

Mme Laurence Rossignol. Non ! Je l'ai dit déjà deux fois, mais je vais encore le répéter : si c'était vrai, la justice fonctionnerait parfaitement bien.

Si c'était vrai, il n'y aurait pas des quantités de femmes se plaignant à juste titre que leur viol n'ait pas été poursuivi et sanctionné par la justice.

Si c'était vrai, nous n'aurions pas des jurisprudences, non pas de la Cour de cassation, d'ailleurs, mais de juridictions d'ordre inférieur, reconnaissant du consentement là où nous pensons qu'il n'y en a pas.

Si c'était vrai, il n'y aurait pas de juges soulignant que les femmes n'ont pas manifesté le fait qu'elles n'étaient pas d'accord ou que les circonstances de l'espèce font que l'auteur des faits avait toutes les raisons de penser qu'elles étaient d'accord. Par parenthèse, la question ici n'est pas tant le consentement que l'intentionnalité, ce qui pose quelques problèmes d'articulation.

Cela dit, j'en viens plus précisément à mon amendement. Il existe actuellement, à cause de l'industrie pornographique et de la « glamourisation » du BDSM – bondage, domination, sadomasochisme – des contrats de soumission, c'est-à-dire des contrats par lesquels des femmes s'engagent à se livrer à toutes les activités sexuelles qui sont prévues dans ledit contrat.

Il se trouve que la cour d'appel de Nancy a jugé qu'un tel contrat entre un homme et une femme valait consentement. L'affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l'homme, mais elle traîne depuis des années. Or j'ai aussi en tête le souci d'une plus grande célérité de la justice et je considère que le vote de ces amendements y contribuerait, en aidant les juges.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Puisque vous répétez vos arguments, madame Rossgnol, nous aussi répéterons également les nôtres : plus nous détaillons le code pénal, plus nous risquons de permettre des choses que nous aurions omis d'interdire expressément. Il est toujours compliqué de faire une liste, d'où le principe interprétatif du code pénal.

Ensuite, dans cette fameuse affaire de Nancy, qui traite d'un contrat de soumission et de poursuites pour viol avec tortures et actes de barbarie, suivant les informations dont nous disposons, d'une part, l'accusé était poursuivi pour harcèlement sexuel et violences, et, d'autre part, le juge ne s'est pas déterminé au regard du seul contrat que vous évoquez. L'affaire est bien plus complexe que ce que vous en dites.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous voilà rassurés…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Non, mais cette affaire n'est pas réductible au seul consentement !

Enfin, pour conclure, je rappelle que nous avons déjà voté des propositions de loi de Laurence Rossignol, ce qui prouve que cela peut se faire. Déposons donc une proposition de loi transpartisane pour préciser dans le code civil que le devoir conjugal, qui est une interprétation du juge, n'existe pas.

Cependant, nous devons respecter certaines règles. Quand nous voulons modifier le code civil, nous n'utilisons pas un texte qui porte sur le code pénal. Mais pourquoi pas une proposition de loi ? Vous savez très bien que nous ne sommes pas contre le principe.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Le terme « révocable » couvre précisément le cas que vous évoquez aujourd'hui, madame Rossignol. Quand bien même il y aurait un contrat, le consentement peut être révoqué à tout moment et la personne peut refuser de consentir à n'importe quel acte.

C'est ce que le Conseil d'État a précisé, exactement dans la situation que vous décrivez : la rédaction d'un contrat préalable ne permet pas de « présumer l'existence d'un consentement propre à écarter la qualification d'agression ou de viol. »

Mme Laurence Rossignol. Alors, écrivons-le !

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Ce n'est pas nécessaire. Le terme « révocable » justifie que, à tout moment on puisse révoquer son consentement, quand bien même un contrat préalable aurait été signé.

C'est la raison pour laquelle je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. J'entends ce que vous dites. Révocable veut dire que, à tout moment, la personne peut arrêter de participer aux relations sexuelles qui étaient prévues au contrat. Mais peut-on qualifier de viols les relations sexuelles qui ont eu lieu auparavant ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Oui !

Mme Laurence Rossignol. Vous vous situez au moment de la révocation, mais ce n'est pas parce que le contrat est révocable et révoqué que les relations sexuelles qui ont eu lieu avant la révocation du contrat sont criminalisées.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je suis tout à fait intéressée par ce débat, parce qu'il est question de la pornographie.

Lorsque nous avons mené ce long travail pendant six mois sur l'industrie de la pornographie, nous avons été profondément marquées et choquées par les témoignages que nous avons reçus, notamment les témoignages à huis clos sur l'affaire French bukkake.

Je pense qu'il serait intéressant de réfléchir à la proposition de Laurence Rossignol. En effet, nous avons tout fait pour interdire certains contrats qui ont cours dans le milieu de la pornographie et auxquels une personne vulnérable ne sera jamais en mesure de renoncer, parce qu'elle a besoin d'argent, par exemple.

Je m'interroge véritablement sur la position à adopter sur cette proposition, qui, au regard de ce que je sais de l'industrie de la pornographie, me semble extrêmement intéressante.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est obtenu dans le cadre d'une relation médicale ou thérapeutique. » ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Épargnons-nous déjà la première série d'arguments consistant à dire que, si nous allongions la liste dans le code pénal, nous nous priverions d'incriminer d'autres situations.

De toute façon, comme les juges se réfèrent aussi aux travaux parlementaires, rien ne nous empêche de dire à chaque instant que ce que nous ajoutons n'est pas exhaustif ou de conclure nos présentations par la formule suivante : « nonobstant toutes les autres situations qui entrent dans le cadre du consentement. » Le juge pourrait tout à fait se servir du compte rendu de nos débats.

Mon amendement vise une situation particulière : les relations sexuelles obtenues dans le cadre d'une relation thérapeutique ou médicale.

Quand il s'agit d'un médecin, le code de déontologie vient à la rescousse. Si la victime saisit l'ordre des médecins, elle peut obtenir la suspension du praticien pendant que court l'affaire pénale. Cependant, il ne vous a pas échappé que nombre de professionnels qui ne sont pas médecins ou qui appartiennent à des professions tout à fait légales et sérieuses, mais dépourvues d'un ordre, sont, elles, en mesure à la fois de continuer de travailler et de faire valoir le consentement.

J'ai rédigé cet amendement voilà déjà quelque temps, et il se trouve que, la semaine dernière, il y a eu une longue enquête dans Le Monde sur les victimes de psychothérapeutes, etc. Dans ces affaires, les avocats des victimes relèvent que ces soi-disant thérapeutes arguent en général du consentement de la victime.

Aussi, il ne serait pas inintéressant de préciser dans ce texte que, dès lors qu'il y a une relation thérapeutique, il ne peut pas y avoir de consentement à la relation sexuelle, puisque l'on est dans une relation d'emprise présumée.

Pour les médecins, le conseil de l'ordre règle le problème ; pour tous les autres, la situation est très trouble, ce qui est dommageable pour les victimes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. En ce qui concerne cet amendement, j'avancerai un nouvel argument, qui sera d'ordre constitutionnel.

À l'heure actuelle, vous le savez, un acte sexuel obtenu dans le cadre d'une relation médicale ou thérapeutique est déjà une circonstance aggravante dans notre code pénal. Ainsi, la peine encourue est portée à vingt ans de réclusion criminelle. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.)

En ce qui concerne un viol commis sur une personne dont l'état de particulière vulnérabilité est connu de l'auteur ou par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, la jurisprudence de la Cour de cassation est très claire : ce qui constitue une circonstance aggravante dans notre droit pénal ne peut pas, par ailleurs, être retenu pour prouver l'absence de consentement, qui est un élément constitutif de l'infraction. Ce serait tout simplement contraire aux principes constitutionnels de légalité des délits et des peines.

Pour des raisons à la fois factuelles et juridiques, l'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Madame la rapporteure, j'ai tendance à faire confiance à votre argumentation, mais je vais tout de même m'empresser d'aller en vérifier le bien-fondé et en trouver les fondements, peut-être dès demain.

J'ouvre juste une parenthèse : j'adore quand les sénateurs de la majorité sénatoriale nous disent que l'on ne peut pas voter tel ou tel amendement, parce qu'il serait inconstitutionnel. En effet, nous n'avons eu de cesse ces derniers mois d'opposer cet argument, en vain, à des propositions de loi émanant de la majorité sénatoriale, qui nous répondait invariablement : « On verra bien, le Conseil constitutionnel décidera ». Aussi, je vous propose de faire comme d'habitude : laissez le Conseil constitutionnel décider !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Compléter cet alinéa par les mots : 

et les mots : « ou morale » sont remplacés par les mots : « , morale ou économique » ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je pense que nous n'alourdirons pas terriblement le code pénal et que nous n'enserrerons pas la liberté du juge avec de trop grandes listes si nous ajoutons que la contrainte, qualifiée de physique ou morale dans la définition de viol par le code pénal, peut aussi être économique et que la contrainte économique ne se déduit pas de la contrainte morale.

Non, cet amendement n'est pas déjà satisfait. Je pense que cet ajout serait utile, compte tenu des inégalités entre les femmes et les hommes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Comme dans le cas précédent, une telle évolution serait porteuse d'un risque constitutionnel, puisqu'un élément constitutif de l'infraction – la contrainte, en l'espèce – ne peut être par ailleurs une circonstance aggravante de la même infraction.

Or, aux termes de l'article 222-24 du code pénal, la peine encourue est aggravée lorsqu'un viol est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l'auteur.

Nous avons donc deux cas de figure tous deux couverts par le droit en vigueur. Soit la victime fait l'objet d'un chantage économique de la part de son violeur, et cette situation est déjà constitutive d'une contrainte, ce qui prouve l'absence de consentement. Soit la victime est dans une situation de dépendance économique, ce qui fonde l'aggravation de la peine encourue.

Créer un troisième cas hybride poserait davantage de difficultés que cela n'apporterait de solutions, puisque, ici encore, nous viendrions fragiliser le droit en créant un risque constitutionnel qui n'existe pas aujourd'hui.

De nouveau, je vous appelle à protéger les victimes, qui seraient doublement victimes si l'inconstitutionnalité de ce texte se confirmait.

Mme Laurence Rossignol. Cela ne vous dérange pas quand il s'agit du droit des immigrés…

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Silvani et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « La contrainte prévue par le premier alinéa de l‘article 222-22 peut être caractérisée lorsqu‘un contrôle coercitif est exercé sur la personne de son conjoint, du partenaire auquel on est lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin par des propos ou des comportements, répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d'actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre nature. » ;

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Cet amendement a pour objet d'introduire l'hypothèse du contrôle coercitif dans la caractérisation du viol et de l'agression sexuelle.

Parmi les éléments constitutifs d'une agression sexuelle, la contrainte morale, entendue comme une pression irrésistible qui s'exerce sur la volonté d'une personne, peut également être plus insidieuse. L'ascendant de l'auteur, les stratagèmes qu'il met en place et la façon dont il coupe les liens de la victime avec l'extérieur sont des éléments objectifs et visibles.

Cet ajout permet de matérialiser une situation insidieuse, au sein d'un faisceau d'indices, de nature à vicier le consentement de la victime.

La jurisprudence fait une appréciation du droit très extensive, afin d'englober le plus de notions possible. Toutefois, le contrôle coercitif et l'emprise n'étant pas prévus par la loi, il reste des espaces que cet amendement a pour objet de combler, afin de mieux protéger les victimes et de mieux condamner les auteurs de violences sexuelles.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. S'agissant de cet amendement, plusieurs remarques s'imposent.

Tout d'abord, comme on l'a souligné à l'occasion de la discussion d'autres amendements, les magistrats se verraient une nouvelle fois privés de leur liberté d'appréciation.

Ensuite, il n'est pas facile de caractériser le contrôle coercitif lui-même, ce qui pourrait faire naître des situations défavorables aux victimes.

Enfin, la rédaction même de l'alinéa pose problème en ce qu'elle soulève des difficultés juridiques. Il s'agit des mêmes réserves que celles que nous avons soulignées lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui visait à faire entrer le contrôle coercitif dans notre législation.

Par conséquent, l'adoption de l'amendement n° 13 présente un risque constitutionnel majeur. En effet, la notion de contrôle coercitif est inconnue, ce qui pourrait entraîner de graves conséquences.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Le 3 avril dernier, à l'unanimité, le Sénat a adopté une disposition relative au contrôle coercitif dont j'étais à l'origine. Le Gouvernement s'était rangé aux différentes évolutions qui avaient été revues en commission des lois par les rapporteures. C'étaient d'ailleurs les mêmes que sur le texte que nous examinons aujourd'hui.

Il s'agit bien d'aller au bout de l'examen de ce texte, dont l'adoption permettra une caractérisation générale de la notion de contrôle coercitif et répondra à la nécessité de mieux caractériser les violences à l'encontre des femmes et de considérer toutes les violences, notamment celles que vous décrivez, quelle qu'en soit la situation, et pas uniquement dans le cadre d'une agression sexuelle ou d'un viol.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Silvani et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 8

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L'état de sidération découle de la surprise prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 » ;

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Cet amendement a pour objet d'inclure l'état de sidération dans la définition pénale de l'agression sexuelle et du viol.

Consacré récemment par la Cour de cassation, l'état de sidération est désormais rattaché à la surprise pour caractériser ces infractions sexuelles. Cette jurisprudence a marqué un tournant important dans la définition du viol et de l'agression sexuelle qu'il apparaît important de consacrer dans la loi à l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi.

L'état de sidération peut caractériser une absence de consentement dans les cas de viol ou d'agression sexuelle, considéré comme l'un des éléments matériels constitutifs de ces infractions. Cet état résulte de la surprise, mettant en lumière une incapacité de la victime à consentir en raison de son état de choc psychologique.

Introduire cet élément dans la loi assura une sécurité juridique supplémentaire à cette consécration jurisprudentielle, facilitant la caractérisation de l'infraction sexuelle.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. La proposition de loi a aussi vocation à prendre en compte les cas de sidération, qui englobent les questions de silence et d'absence de réaction de la victime.

Par conséquent, inscrire l'état de sidération n'apparaît pas opportun.

D'une part, comme cela a été souligné à maintes reprises dans le débat, cela réduit la liberté d'appréciation du juge, alors même que, au regard de la variété des situations auxquelles ils sont exposés, nous mesurons à quel point il est nécessaire de la préserver.

D'autre part, la rédaction de cet amendement pose une difficulté juridique. Prévoir que l'état de sidération découle de la surprise revient-il à dire que la surprise entraîne nécessairement un état de sidération ? Vous imaginez bien les débats que cela pourrait nourrir, car la surprise recouvre bien d'autres cas de figure.

C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Permettez-moi d'insister, mes chers collègues.

Certes, cette notion est probablement complexe, mais la jurisprudence a déjà statué. On parle de sidération. Il ne s'agit pas de savoir si le silence et l'absence de réaction en découlent ; comme vous l'avez compris, nous cherchons par nos amendements à compléter, nuancer et améliorer la notion de consentement, qui vous semble extrêmement précise, alors qu'elle ne l'est tant que cela.

Il est difficile de comprendre pourquoi l'état de sidération ne peut pas être introduit dans la loi, alors qu'il est déjà reconnu par la jurisprudence. Je devine toutefois le sort qui sera réservé à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12, présenté par Mme Rossignol, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 14

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...° L'article 222-23-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « , lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans » sont supprimés ;

b) Le second alinéa est supprimé.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. L'objet de cet amendement sera limpide pour tous ceux qui ont participé au débat sur la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste d'Annick Billon. Il s'agit de supprimer la clause Roméo et Juliette, qui fait que, aujourd'hui, une relation sexuelle entre une enfant de 14 ans et un homme de presque 19 ans n'est pas considérée comme un viol.

Nous avons eu de longues discussions sur cette clause, qui nous a été fermement imposée – puis-je le dire ainsi, madame Billon ? (Mme Annick Billon acquiesce.) – pour ne pas empêcher les relations sexuelles entre des jeunes gens. Résultat, quand une enfant de 14 ans a une relation avec un garçon de 18 ans et 10 mois, ce n'est pas un viol. Pourtant, elle est une enfant et, lui, c'est un jeune adulte.

Mme Annick Billon. Ce n'est peut-être pas un viol !

Mme Laurence Rossignol. Je précise : ce n'est pas un viol en l'absence de violence, menace, contrainte, surprise. Ce dont on parle aujourd'hui, c'est de toutes les situations qui ne rentrent pas dans les caractéristiques du viol, telles qu'elles sont définies par le code pénal.

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 15

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Le second alinéa de l'article 222-23-1 est ainsi rédigé :

« Hors le cas prévu à l'article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital ou bucco-anal commis sur la personne d'un mineur ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque les faits sont commis en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage. » ;

Après l'alinéa 15

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Au second alinéa de l'article 225-12-1, les mots : « est mineure ou » sont supprimés ;

...° Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 est supprimé ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. L'objet de cet amendement est clair : il s'agit de lutter contre la prostitution des mineurs. Je suppose que cela fait consensus dans cette assemblée.

Pour lutter contre la prostitution des mineurs, nous proposons que l'achat de services sexuels auprès d'un mineur, garçon ou fille, de moins de 18 ans soit considéré comme un viol. Certes, cela n'empêchera jamais l'auteur d'essayer de faire valoir qu'il n'était pas au courant, qu'il ne connaissait pas l'âge de la jeune fille ou du jeune homme, qu'il a été trompé, etc.

Pour lutter contre la prostitution des mineurs, il faut protéger ces derniers au moins jusqu'à 18 ans. C'est pourquoi je propose que l'on étende la qualification de viol en cas de relations sexuelles entre une personne majeure et une personne mineure jusqu'à 18 ans quand il s'agit d'un client de la prostitution.

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 15

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Au second alinéa de l'article 225-12-1, les mots : « est mineure ou » sont supprimés ;

...° Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 est supprimé ;

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Il s'agit d'un amendement de coordination, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Billon, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 15

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

...° L'article 225-12-1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le fait d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur de quinze ans qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, constitue un viol ou une agression sexuelle tels que définis respectivement aux articles 222-23-1 et 222-29-2.

« Hors les cas dans lesquels ces faits constituent un viol ou une agression sexuelle, le fait de solliciter ou d'accepter, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur de quinze ans qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. » ;

...° Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 est supprimé ;

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Il s'agit d'un amendement d'appel.

La prostitution impliquant des mineurs est une réalité ; qui plus est, elle est en constante progression. En 2024, plus de 1 500 victimes de proxénétisme ou de personnes ayant eu recours à la prostitution ont été recensées. Parmi elles, on comptait 659 mineurs. Au total, le nombre de mineurs impliqués dans des phénomènes de prostitution a bondi de 140 %.

Les données récentes sont tout aussi alarmantes. Entre les mois de janvier et d'avril 2025, le parquet des mineurs de Bobigny a enregistré presque autant de signalements que sur l'ensemble de l'année 2024. Ces enfants, souvent de très jeunes filles en situation de grande vulnérabilité, sont confrontés à des réseaux, des proxénètes et des clients, qui profitent d'une interprétation erronée du code pénal.

La loi du 21 avril 2021 que j'ai défendue a pourtant posé un principe fondamental : un enfant de 15 ans ne peut jamais consentir à un acte sexuel. Pourtant, lorsqu'un acte sexuel est tarifé, il est encore trop souvent qualifié de simple délit et non de crime. Le code pénal dispose d'une infraction spécifique de recours à la prostitution d'un mineur, introduite en 2002 par la loi relative à l'autorité parentale, dont la rédaction est claire.

Pourtant, dans la pratique, cette disposition prévaut régulièrement sur les qualifications de viol ou d'agression sexuelle, même lorsqu'il s'agit d'enfants de moins de 15 ans. Cette interprétation restrictive du droit, retenue par certaines juridictions, affaiblit le principe que nous avons posé collectivement et conduit à une réponse pénale inadaptée.

Madame la ministre, il est urgent de clarifier l'interprétation qui est faite du droit. Tout acte sexuel tarifé sur un mineur de moins de 15 ans doit être reconnu pour ce qu'il est : un viol ou une agression sexuelle.

Ma question est simple : comptez-vous l'écrire noir sur blanc dans une circulaire ?

M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme O. Richard, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende le fait de solliciter, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle sans avoir pu les obtenir, de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est un mineur de quinze ans.

La parole est à Mme Olivia Richard.

Mme Olivia Richard. Annick Billon a très bien dressé l'état des lieux de la prostitution des mineurs. Je ne les répète donc pas.

Quand on parle de prostitution des mineurs, on parle d'exploitation sexuelle des mineurs et de traite. Alors que le Parlement européen a adopté hier une proposition relative à de directive sur la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, il paraît important d'en parler dans cette enceinte.

De quoi s'agit-il ?

Tout d'abord, 87 % des victimes sont de nationalité française. Cela ne signifie pas que c'est plus grave, c'est pour casser les clichés. L'ensemble du territoire est touché. Il s'agit d'un proxénétisme de proximité avec de petites structures qui font aussi du trafic de drogue – c'est la même criminalité –, et non, comme on pourrait l'imaginer, de réseaux internationaux.

Ensuite, tous les profils sont touchés : cela concerne aussi les CSP+ et pas seulement les enfants bénéficiant de l'aide sociale à l'enfance. Certaines relations sexuelles tarifées ont lieu au domicile des parents. On parle d'ailleurs de prostitution logée : cela ne se passe plus dans la rue. C'est de plus en plus digitalisé. Les faits se déroulent dans les Airbnb et les gamines peuvent être trimballées d'un endroit à l'autre, voire dans toute la France et en Europe.

Ce phénomène est donc totalement invisible et il y règne une très grande violence. Celles qui ont participé aux travaux de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qui ont donné lieu au rapport d'information intitulé Porno : l'enfer du décor savent ce que sont les viols d'abattage. On met des années à en sortir. Personne n'est indemne. Il faut lutter contre ce dispositif. Or la réponse pénale n'est pas à la hauteur.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'adoption de l'amendement n° 12, qui tend à supprimer la clause Roméo et Juliette, reviendrait à considérer que toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans constitue un viol.

Cette clause, ajoutée par l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce qui allait devenir la loi du 21 avril 2021 et entérinée par la suite par le Sénat, vise à ne pas criminaliser systématiquement les histoires sincères entre un mineur et un très jeune majeur.

Cette solution a notamment été préconisée par le Conseil d'État, dans un avis rendu sur la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Selon cette instance, une telle clause permet de ne pas criminaliser des comportements tout à fait consentis. Le Conseil d'État se référait notamment à une relation entre deux mineurs de 14 ans et de 17 ans et demi, qui se poursuivrait jusqu'à la majorité du second : celui-ci se trouverait alors immédiatement passible d'une poursuite pour viol.

N'oublions pas que les mineurs ne peuvent ester en justice : ce sont les parents qui portent plainte. Imaginons les situations qui pourraient découler de la suppression de la clause Roméo et Juliette, notamment si le jeune majeur ne plaît pas aux parents de la jeune fille.

Mme Laurence Rossignol. C'est mai 1968 ! (Sourires.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cette clause issue de la loi du 21 avril 2021 nous paraît donc équilibrée. Elle assure la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, tout en préservant les amours adolescentes d'une criminalisation automatique inopportune.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 12.

L'amendement n° 5, quant à lui, vise à qualifier de viol le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans, et cela sans condition d'âge pour l'auteur.

Actuellement, ces faits sont punis de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, aux termes de l'article 225-12-1 du code pénal. La modification qu'il est proposé d'apporter au texte soulève plusieurs difficultés juridiques, qui tiennent tant à son principe qu'à ses conséquences.

Sur le principe, l'adoption de cet amendement reviendrait à criminaliser le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans d'une manière détournée, en assimilant cette infraction au crime de viol. Or, pour les raisons que je viens d'exposer, cette solution emporte un risque d'inconstitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel ne tolère en matière répressive l'existence d'une présomption de culpabilité qu'« à titre exceptionnel ».

Quant aux conséquences de cette évolution, elles induiraient un tassement infondé des peines encourues pour des faits similaires : solliciter et accepter d'un mineur des relations sexuelles en échange d'une rémunération serait puni de cinq ans d'emprisonnement ; les obtenir, de quinze ans.

J'ajoute que cette rédaction criminaliserait le rapport sexuel tarifé entre deux mineurs, dans la mesure où aucune condition d'âge n'est prévue.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 5.

L'amendement n° 6 rectifié tend à opérer une coordination en cas d'adoption de l'amendement précédent. Par conséquent, parce qu'elle est défavorable à l'amendement précédent, la commission émet un avis défavorable.

Dès l'examen du texte en commission, nous avons discuté avec Mmes Annick Billon et Olivia Richard de l'objet des amendements nos amendements n° 15 rectifié et 16 rectifié.

Selon nous, ce problème, qui a été signalé par la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), résulte davantage d'une mauvaise application de l'article 225-12-2 du code pénal que d'une mauvaise rédaction. Certains parquets engageraient ainsi des poursuites sur le mauvais fondement pénal : plutôt que de poursuivre pour viol, comme le veulent la lettre et l'esprit de la loi du 21 avril 2021, ils poursuivent pour recours à la prostitution avec une circonstance aggravante.

Si nous partageons les inquiétudes d'Annick Billon et d'Olivia Richard à ce sujet, nous jugeons qu'il convient de veiller à la bonne application de la loi, plutôt que de la modifier. Je me fais le relais de cette demande de circulaire, qui permettrait d'apporter les précisions nécessaires sur la prostitution des mineurs.

C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait des amendements nos 15 rectifié et 16 rectifié. Certes, il s'agit d'amendements d'appel, mais ils visent des sujets très importants.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je propose que les questions touchant à la très mal nommée clause Roméo et Juliette soient traitées dans le cadre du groupe de travail sur les violences sexuelles.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Non, cela ne renvoie pas la question aux calendes grecques, madame de La Gontrie : les travaux sont en cours et nous nous sommes encore réunis cette semaine.

S'il faut aller plus loin pour garantir que, avant 15 ans, quelles que soient les circonstances, aucune relation sexuelle n'est tolérée, je suis favorable à ce qu'un tel débat soit ouvert, ce qui permettra d'éclaircir certains points. Tout cela est très loin de la question de consentement ou de celle du viol qui nous occupent aujourd'hui.

Peut-être faudrait-il réinterroger la clause Roméo et Juliette dans le cadre plus global de la lutte contre toutes les formes de violences sexuelles et l'inclure plus clairement dans les débats qui sont les nôtres aujourd'hui.

En matière de lutte contre le système constitutionnel, aujourd'hui, la loi n'empêche évidemment pas que puissent être engagées des poursuites à l'encontre de personnes qui imposeraient à des mineurs de moins de 15 ans des rapports tarifés. Heureusement !

D'ailleurs, la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle s'intéresse bien à la question des majeurs, mais aussi à celle des mineurs, puisque l'explosion à laquelle on assiste concerne d'abord les mineurs, en s'appuyant sur leur fragilité et la vulnérabilité propre à cet âge ; elle est également le fruit des plateformes, qui brouillent les repères des adolescentes et des adolescents et qui trouvent dans cette classe d'âge de nouvelles proies, encore plus vulnérables et plus accessibles.

Catherine Vautrin et moi-même sommes en train de finaliser la rédaction du décret sur la question des mineurs. Nous le signerons dans les prochains jours. Il vise à garantir la pleine application de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle, notamment pour toutes les problématiques spécifiques liées aux mineurs, notamment dans le cadre de l'ASE dont il a été fait mention tout à l'heure.

Il s'agit bien entendu de l'une de nos préoccupations majeures. Des rappels ont été adressés au préfet de manière à garantir la pleine application de la loi de 2016 et de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle.

Il s'agit d'abord de garantir la pleine application et l'effectivité de la loi et de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle. Le décret devrait y concourir. La mobilisation de l'État sur ce sujet et les questions qui ont été soulevées y contribuera également. Je souhaite que l'on puisse ouvrir plus largement ce débat afin d'avancer, mais l'examen de ce texte ne me paraît pas le meilleur vecteur.

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait des amendements nos 12, 5 et 6 rectifié ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je regrette vraiment que l'amendement n° 5 visant à qualifier de viol l'achat de services sexuels sur des mineurs de 15 à 18 ans ne soit pas retenu par le Sénat.

Madame la rapporteure, vous avez rappelé que le Conseil constitutionnel exigeait des circonstances exceptionnelles pour admettre que l'infraction soit constituée par la commission des faits.

Je considère que, aujourd'hui, la prostitution des mineurs, compte tenu de l'ampleur qu'elle prend et du drame qu'elle représente pour les enfants et leur famille, constitue une situation exceptionnelle pour la France. Je suis prête d'ailleurs à défendre devant le Conseil constitutionnel la dimension exceptionnelle de cette catastrophe sanitaire et générationnelle qu'est l'augmentation de la prostitution des mineurs.

Je formulerai une remarque. Il est vrai que la prostitution des mineurs concerne toutes les catégories sociales, mais il est vrai également que ce sont dans les foyers de l'ASE que se recrutent les mineurs. Très vulnérables, ceux-ci viennent alimenter les réseaux de proxénètes, qui sont d'ailleurs parfois des réseaux de proximité. Pensez-vous vraiment que, dans ces foyers, si des mineurs se livrent à la prostitution, les éducateurs peuvent faire la différence entre ceux qui ont moins de 15 ans et qui seraient alors victimes de viol et les autres ?

Que disent les professionnels ? Vous ne parlez que du juge, de façon presque incantatoire. Pour ma part, je parle de la réalité concrète de la prostitution des mineurs.

Pour qu'un mineur puisse comprendre qu'il est victime de prostitution et de viol, il faut prononcer le mot de viol. Il ne comprend pas la notion de proxénétisme, car le proxénète, c'est un copain, un cousin, peut-être même un amoureux. En revanche, il sait ce qu'est un viol. Je le répète, pour aider le mineur à sortir de la prostitution, il faut prononcer le mot de viol.

Par conséquent, je suis tout à fait désolée que le Sénat rejette aujourd'hui cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. Madame la ministre, nous connaissons votre détermination à mettre en œuvre la stratégie de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle. Bien sûr, il faut sortir les mineurs de la prostitution, mais toute relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans, que celle-ci soit tarifée ou pas, est un viol.

C'est pourquoi nous demandons une circulaire de politique pénale. Ainsi, les poursuites seront fondées sur les dispositions de la loi Billon. Qu'il s'agisse ou non de prostitution, que la relation soit tarifée ou pas, c'est un viol.

Il y va de l'autorité de la chose votée. Nous votons des dispositions qui ne sont pas appliquées, ce qui est intolérable, surtout lorsque cela concerne des enfants de moins de 15 ans.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Aux termes de loi de 2021, toute relation entre un adulte et un mineur est un viol et un crime. On n'interroge pas son consentement, on n'interroge pas la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

La loi n'empêche pas les poursuites, nous dites-vous, madame la ministre. Nous en sommes d'accord, je l'ai d'ailleurs rappelé en présentant l'amendement n° 15 rectifié. Pour autant, nous demandons que les qualifications soient les bonnes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Dans certaines juridictions, ces faits sont qualifiés d'agressions sexuelles et non de viols. Il faut absolument remédier à ce problème.

J'ai annoncé qu'il s'agissait d'un amendement d'appel. Je vais tenir ma parole et le retirer. Toutefois, je veux absolument que l'on ait la garantie que cette circulaire sera adressée pour que, enfin, ces agressions soient qualifiées pour ce qu'elles sont, à savoir des viols.

Je retire donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 15 rectifié est retiré.

La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. J'ai été l'avocat de l'association La Voix de l'enfant. Nous nous sommes battus pour que soit érigé le principe suivant : en dessous de 15 ans, on ne peut pas consentir. Face à de telles situations, le parquet ne peut pas transiger et doit engager des poursuites criminelles.

Madame Rossignol a posé une véritable question, mais la solution qu'elle propose n'est pas la bonne. En effet, l'âge de la majorité sexuelle a donné lieu à un important débat. Fallait-il la fixer à 13 ans, 14 ans ou 15 ans ? Au-delà de cette borne, on considère que les autres sont majeurs sexuellement. Si la criminalisation des viols était retenue, la lourdeur de la procédure criminelle serait telle que les tribunaux en seraient engorgés.

En revanche, dans la mesure où il s'agit d'un phénomène véritablement inquiétant, je serais favorable à une aggravation de la peine.

Mme Laurence Rossignol. On ne peut pas aggraver les peines de personnes qui ne sont pas poursuivies !

M. Francis Szpiner. Pardonnez-moi, mais on doit poursuivre les clients et considérer que celui qui sollicite les faveurs sexuelles d'une mineure dans le cadre de la prostitution se rend coupable de délit et doit encourir telle peine.

C'est valable également pour les proxénètes, avec des peines assorties de circonstances aggravantes – pluralité de personnes venant de l'étranger, etc.

Pour ma part, je suis pour une répression des clients, car elle sera plus pédagogique. En revanche, la criminalisation engorgerait le système. (Mme Laurence Rossignol proteste.) La qualification de crime aboutirait à une correctionnalisation, ce qui sera bien pire !

Madame Rossignol, vous posez un vrai problème, car la prostitution des mineurs connaît une augmentation considérable, mais c'est sur l'angle de la clientèle et non pas de la qualification de viol qu'il faut agir.

En revanche, je suis tout à fait d'accord : il faut que soit adressée une circulaire et que le parquet soit très clair. On ne transige pas sur la qualification : quand on a moins de 15 ans, on ne peut pas consentir, donc c'est un viol.

Mme Olivia Richard. Je retire l'amendement n° 16 rectifié, monsieur le président !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'en reprends le texte, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 16 rectifié bis, présenté par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 16 rectifié.

Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mmes M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Guiol, Mme Jouve, M. Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après le 3° bis de l'article 222-24, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'il est commis sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; »

2° Après le 10° de l'article 222-28, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'elle est commise sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; »

3° Après le 7° de l'article 222-30, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'elle est commise sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; ».

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Après presque une année de travail et plus de cent personnes auditionnées dans le cadre de la mission gouvernementale sur la soumission chimique, Sandrine Josso et moi-même avons remis un rapport de 230 pages formulant 50 recommandations, dont 15 ont été jugées prioritaires et appelées à être mises en œuvre dès cette année.

La toute première de ces recommandations vise à reconnaître la vulnérabilité chimique comme une circonstance aggravante pour les infractions de viols et d'agressions sexuelles.

En effet, il convient de faire la distinction entre la soumission chimique, qui suppose l'administration à une victime d'une substance à son insu, et la vulnérabilité chimique. Dans ce dernier cas, la victime consomme de manière volontaire une substance, souvent de l'alcool ou un stupéfiant, sans en mesurer nécessairement les effets, par exemple une altération temporaire de son discernement dont pourrait profiter l'agresseur. Mon propos porte essentiellement sur la vulnérabilité chimique.

La soumission chimique figure déjà dans la liste des circonstances aggravantes des infractions sexuelles. En revanche ne sont pas visées les situations où la victime est en état de vulnérabilité chimique, c'est-à-dire lorsqu'elle a elle-même consommé de l'alcool ou des stupéfiants, très souvent du cannabis, et que l'auteur des faits tire parti de cette altération du discernement, qui est souvent temporaire, pour commettre une agression sexuelle.

Aussi, afin de mieux appréhender cette réalité et de répondre à l'augmentation continue des faits, cet amendement vise à inscrire explicitement la vulnérabilité chimique parmi les circonstances aggravantes applicables aux infractions de viols et d'agressions sexuelles.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Dans le prolongement du rapport de Sandrine Josso et Véronique Guillotin, cet amendement vise à intégrer à la loi une circonstance aggravante sexuelle.

Dominique Vérien et moi-même tenons tout d'abord à remercier nos collègues de l'important travail qu'elles ont accompli sur le sujet sensible et complexe de la soumission chimique.

Cela a été rappelé, le législateur est déjà intervenu sur ce sujet, notamment en créant dans la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes l'article 222-30-1 du code pénal, qui réprime « le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle ».

Le sujet qui nous est soumis est légèrement différent, puisque l'amendement vise non pas la soumission chimique, mais les cas où la victime s'est alcoolisée ou droguée de son propre fait.

En pratique, la disposition prévue par cet amendement pose de réelles difficultés.

D'une part, et c'est heureux, notre droit permet déjà l'aggravation du quantum encouru lorsque la victime est ivre ou sous l'emprise de stupéfiants. En d'autres termes, l'amendement est satisfait par le droit en vigueur.

D'autre part, et il s'agit d'un élément important, l'ivresse et l'emprise de stupéfiants, au sens pénal, ne sont pas des réalités biologiques. Elles varient en fonction des personnes.

Les juges retiennent la notion d'ivresse manifeste, attestée par des indices extérieurs montrant que la personne concernée n'est pas en possession de ses moyens. Cet état est en tout point assimilable à la vulnérabilité déjà visée par le code pénal.

Ce point est extrêmement important, car il se cumule avec un principe essentiel : la loi pénale est d'interprétation stricte.

Si nous adoptions cet amendement ainsi rédigé, nous ne protégerions pas les victimes, bien au contraire : nous ouvririons la voie à d'interminables débats sur le point de savoir si la victime était réellement ivre ou droguée. Il faudrait prendre en compte la morphologie de la victime. Nous en arriverions à une situation dont nous ne voulons justement pas : le débat se focaliserait alors sur la victime et sur son comportement, ce que nous voulons précisément éviter.

Plus encore, et ce sera mon dernier point, cette situation est porteuse d'un risque constitutionnel. En effet, si la loi permet au juge d'incriminer le même fait sur deux fondements différents, elle porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Alors que nous modifions le code pénal, c'est un élément qu'il faut prendre en compte.

Ce sujet étant important, nous serions tous rassurés d'entendre le Gouvernement s'engager et nous dire qu'il va inscrire à l'ordre du jour de nos travaux, éventuellement dans le projet de loi-cadre, un texte spécifique sur la soumission ou la vulnérabilité chimiques.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la sénatrice, permettez-moi d'abord de saluer le travail remarquable que vous avez réalisé dans le cadre de cette mission avec Sandrine Josso. Nous étions d'ailleurs ensemble il y a peu de temps chez vous, à Nancy, où nous avons rencontré ceux qui travaillent sur le terrain et qui permettent de faire progresser l'appréhension des psychotraumatismes liés aux violences sexuelles, en particulier l'inceste.

L'objectif du Gouvernement est de reprendre une grande partie des propositions et des recommandations de votre rapport. En ce qui concerne cet amendement en particulier, le Gouvernement s'en remettra d'ailleurs à la sagesse du Sénat.

Au-delà, notre volonté est d'adopter une approche systémique de la soumission et de la vulnérabilité chimiques, en abordant à la fois la formation des professionnels et le soutien aux associations et au secteur médico-social, afin de développer les bons réflexes en matière de détection et de repérage et d'améliorer la capacité à appréhender les preuves.

À cet égard, je travaille avec le ministre de la santé, Yannick Neuder, pour renforcer les moyens des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs). Il s'agit de permettre aux victimes d'être reconnues comme telles, parce que les détections auront pu être réalisées. Nous avançons aussi sur le renforcement de notre arsenal juridique.

C'est pourquoi l'intégralité de vos propositions ont été communiquées au groupe de travail sur le futur projet de loi-cadre, afin que nous puissions mener une réflexion globale sur cette question. Croyez bien que vos propositions ne resteront pas lettre morte, bien au contraire. Nous nous sommes largement engagés à en reprendre un certain nombre.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, je dois vous faire part de ma stupéfaction.

Ce rapport a été demandé par le Gouvernement à l'une de nos collègues ici présente, membre de la majorité sénatoriale, et à notre collègue députée Sandrine Josso, dont nul n'ignore ce qu'elle a subi.

Après des mois d'un travail très sérieux, d'auditions, et alors qu'il est aujourd'hui possible de transcrire la première des préconisations de ce rapport dans la proposition de loi – tout le monde sait de quoi nous parlons ou faut-il que je le rappelle ? –, le Sénat s'apprêterait à refuser de voter cet amendement ce soir ? Je ne sais pas si vous mesurez réellement la portée de ce que vous êtes en train de décider, mes chers collègues.

Certes, la rédaction doit peut-être être améliorée. Mais ne sera-t-il pas possible de le faire en commission mixte paritaire ? Ne pas voter cet amendement ce soir est un acte politique grave, me semble-t-il, de la part du Sénat, compte tenu de la situation que nous connaissons ici et qui n'est à ce jour toujours pas réglée.

Mes chers collègues, je vous encourage donc vivement à voter cet amendement.

M. le président. Madame Guillotin, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Véronique Guillotin. Je remercie ma collègue pour l'énergie qu'elle a mise à défendre cet amendement.

Je pense que cet amendement ne tombera pas dans l'oubli. Pour ma part, je vais le retirer, comme je m'étais engagée à le faire.

En revanche, je souhaite que les deux mesures législatives que nous avons recommandées dans notre rapport sur la soumission chimique soient reprises. La question de la soumission chimique doit être examinée à 360 degrés. Sandrine Josso et moi ne lâcherons rien sur ce sujet.

Je vous fais confiance, madame la ministre, en espérant ne pas me tromper.

Mme Annick Billon. Très bien !

Mme Véronique Guillotin. Je retire donc mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'en reprends le texte, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 1 rectifié, présenté par Marie-Pierre de La Gontrie, dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 1.

Je le mets aux voix.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mmes M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Guiol, Mme Jouve, M. Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 3° de l'article 226-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative au fait d'avoir administré à une personne, à son insu, une substance dans les conditions mentionnées à l'article 222-30-1 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que la victime n'est pas en mesure de se protéger en raison de l'altération temporaire de son discernement ou du contrôle de ses actes par un tiers. Le médecin ou le professionnel doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ; ».

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Cet amendement a pour objet la levée du secret médical. Il vise à ajouter à la liste des situations dans lesquelles ce secret peut être levé les cas de soumission et de vulnérabilité chimiques, qui ne sont pas clairement indiqués dans la loi à ce jour.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteur. Pour des raisons analogues à celles que nous avons avancées sur l'amendement n° 1, et sans préjudice d'un travail législatif sur la soumission chimique, lequel est probablement nécessaire, cet amendement soulève plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent tout d'abord à l'articulation de l'amendement avec l'article 226-14 du code pénal, qui prévoit la levée du secret médical en cas de « placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ». Or qu'est-ce la soumission chimique, sinon le placement dans un état de sujétion ? L'amendement nous semble donc satisfait par le droit en vigueur.

En outre, s'il était adopté, cet amendement, comme le précédent, risquerait de créer des difficultés opérationnelles lourdes. Pis, les dispositions qu'il tend à introduire sont susceptibles cette fois encore d'être censurées par le Conseil constitutionnel. À tout le moins, elles doivent être rédigées différemment, afin de bien cibler la spécificité de la soumission chimique.

Cette rédaction laisse entendre que c'est le médecin qui a administré la substance à la victime. Surtout, le renvoi à l'article 222-30-1 du code pénal pose problème. En effet, cet article vise les cas dans lesquels la substance en question est administrée en vue de commettre des violences sexuelles, ce que, par définition, le médecin ne peut pas savoir. Il peut constater que la victime a été droguée, mais il ne peut pas savoir à quelles fins, si c'est pour commettre des violences sexuelles ou pour obtenir de l'argent. En l'état, la réflexion ne nous semble donc pas totalement pas mûre.

C'est pourquoi la commission sollicite le retrait de cet amendement, dont les dispositions doivent être retravaillées.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. Madame Guillotin, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?

Mme Véronique Guillotin. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la commission. Je pense qu'il faut creuser la question de la levée du secret médical en cas de soumission chimique, l'article 226-14 du code pénal n'incluant pas ce cas.

Nous reviendrons sur ce sujet lors de l'examen du projet de loi-cadre. Pour l'heure, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.

L'amendement n° 10, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de trois ans à compter de sa promulgation, le Parlement rend un rapport évaluant les effets de la présente loi. Ce rapport évalue notamment ses effets, d'une part, sur la proportion de plaintes déposées par rapport au nombre total d'agressions sexuelles et, d'autre part, sur la proportion des agressions sexuelles faisant l'objet d'une condamnation.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, cette proposition de loi prévoyait, de manière assez pertinente, une évaluation. En fait, le dispositif prévu était quelque peu complexe : deux évaluations étaient prévues. Le présent amendement vise à n'en prévoir qu'une seule, au bout de trois ans.

Une telle évaluation, je le répète, est tout à fait pertinente, car, certains d'entre nous l'ont dit, nous ne savons pas très précisément quels seront les effets en termes de poursuites de l'introduction dans la loi de la notion de consentement, indépendamment de l'introduction de paramètres complémentaires.

En commission, on m'a dit ce que l'on dit toujours : on ne peut pas demander la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement. Aussi cet amendement tend-il à prévoir la réalisation d'un rapport évaluant les effets de la loi par le Parlement lui-même.

Je sais que l'on va me dire que le Parlement n'a nul besoin d'une loi pour exercer un contrôle, puisque telle est sa mission. Il nous semble toutefois intéressant d'un point de vue pédagogique de prévoir un rendez-vous dans trois ans, afin d'évaluer la pertinence et les effets – nous avons ce soir souvent parlé d'effets de bord, etc. – des dispositions que nous aurons votées et de les affiner au mieux.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cet amendement vise à prévoir l'établissement par le Parlement d'un rapport d'ici à trois ans, afin d'évaluer les effets de la présente proposition de loi. Nous avons eu à maintes reprises un débat sur le sujet des rapports.

Nous sommes évidemment favorables à l'évaluation de ce texte. Toutefois, cette disposition constitue ce que nous appelons un pur « neutron législatif » : le Parlement indique à lui-même ce qu'il devra faire dans trois ans…

Par ailleurs, la portée de l'amendement n'est pas claire : chaque chambre du Parlement devra-t-elle rédiger un tel rapport, ou celui-ci sera-t-il commun aux deux assemblées ? Je pense que le Parlement n'a pas besoin d'un amendement pour exercer ses prérogatives constitutionnelles de contrôle.

En outre, de toute évidence, cette disposition est dénuée de toute valeur normative, la loi, vous le savez, ne pouvant pas imposer au Parlement de produire des rapports.

Enfin, cela a été dit, telles qu'elles sont rédigées, les dispositions de cet amendement posent problème. Il faudra revoir les termes utilisés. Comment connaître « la proportion de plaintes déposées par rapport au nombre total d'agressions sexuelles », si ces dernières n'ont, par définition, pas donné lieu à un dépôt de plainte ? C'est une vraie difficulté.

Nous considérons que nous pourrons, même si cet amendement n'était pas adopté, réaliser des travaux d'évaluation de la présente proposition de loi en temps utile et présenter des résultats chiffrés complets.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Par principe, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat sur cet amendement, qui vise le Parlement et non le Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles 2 et 3

(Supprimés)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer les auteures de ce texte, les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, et à les remercier de leur initiative, ainsi que du travail qu'elles ont accompli.

Il était important dans le cadre de ce débat d'examiner ce qui se fait dans des pays dont le système juridique est comparable au nôtre et qui ont introduit la notion de consentement dans leur code pénal.

Pour ma part, j'ai vécu dans un pays, le Canada, qui a introduit il y a quelques années cette notion dans son code pénal. Là-bas, on ne remet pas constamment en question la parole des victimes ; concrètement, on y a constaté une plus grande condamnation des viols et une meilleure protection des victimes.

Avec le temps, la loi a eu une véritable portée éducative, surtout pour celles et ceux qui sont chargés de recueillir les plaintes. C'est pourquoi il est fondamental de renforcer les moyens des forces de l'ordre et leur formation en matière d'accueil des victimes et d'accompagnement des dépôts de plaintes. C'est une réelle problématique dans notre pays.

Je voterai avec conviction cette proposition de loi, qui vise à favoriser pleinement une meilleure éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, afin de mieux éduquer nos enfants et de passer d'une culture du viol à une culture du consentement dans notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous regrettons évidemment que nos propositions complémentaires n'aient rencontré aucun succès au Sénat. Sur ces sujets pourtant, le clivage gauche-droite est parfois moins perceptible, mais ce ne fut visiblement pas le cas ce soir.

Pour autant, comme je l'avais indiqué au nom de mon groupe lors de la discussion générale, nous voterons ce texte, par volontarisme. Nous ne savons pas s'il permettra d'améliorer la situation des victimes et de diminuer le nombre faramineux des infractions, mais, dès lors qu'il ne dégrade pas leur situation juridique, nous pensons qu'il est important de mettre toutes les chances de notre côté.

Je le répète, nous voterons ce texte, en attendant la suite de la procédure parlementaire.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, à l'issue de nos échanges, comme lors de la discussion générale, je m'interroge toujours.

Nous n'avons pas réellement parlé de l'accueil des plaintes, de leur traitement et de la sanction des violeurs. Nous sommes très loin du compte, en deçà du réel ! Pratiquement tous les intervenants l'ont reconnu : certes, la question du consentement est importante, mais celle des moyens, de l'écoute et de la reconnaissance de la plainte l'est tout autant. Le jour où l'ordre sera donné de traiter une plainte dès lors qu'elle est déposée, nous aurons avancé.

Vous noterez avec moi que le viol est la seule infraction – je ne suis pas juriste, mais j'ai rencontré nombre de praticiens du droit – qui conduit à s'interroger sur le consentement de la victime. Pourquoi donc ?

Je n'ai aucun doute sur la rigueur du travail qui a été réalisé. J'ai rencontré, moi aussi, des féministes, des associations, des femmes victimes de violences, des collectifs et des juristes. Il n'y a pas de consensus sur ce point. Tous les avis sont respectables, tous les raisonnements se tiennent, indépendamment des conflits et des débats qui ont lieu actuellement. Il est d'ailleurs perturbant d'avoir autant d'argumentations qui tiennent la route.

Il est dommage d'avoir tranché de cette façon, sans que tous les points de vue aient été respectés.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Silvana Silvani. Je n'ai pas terminé !

M. le président. Votre temps de parole est dépassé, j'en suis désolé !

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons évidemment ce texte.

Son aboutissement est à la fois une victoire et le fruit d'un long travail et d'une mobilisation collective des mouvements féministes, des militantes, des associations, mais aussi des parlementaires. Je pense à nos collègues députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, ainsi qu'à notre collègue Mélanie Vogel, qui aurait aimé participer au débat sur ce texte.

L'inscription de la notion de consentement dans la loi introduit une précision juridique importante pour caractériser les faits de viol et d'agression sexuelle, mais elle est aussi un acte à la portée culturelle et symbolique particulièrement forte. Elle aura également un effet éducatif, notamment pour les personnes chargées de recueillir les plaintes des victimes, ce qui est important. Enfin, elle permettra de passer de la culture du viol à la culture du consentement.

Inscrire le consentement dans la loi, c'est affirmer que celui-ci est un élément central et indispensable des relations sexuelles. C'est aussi changer de regard.

Il s'agit d'une avancée, même si elle ne réglera pas tout. Nous devrons ensuite passer à la phase d'évaluation de ce texte, comme pour tous les textes.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.

Mme Véronique Guillotin. Ce texte constitue une avancée importante pour ce qui concerne la définition du viol. La notion de consentement est enfin inscrite dans la loi, c'est une bonne chose. Tel était l'objectif initial de ce texte, et cette mesure est consensuelle dans cet hémicycle.

Nous avons néanmoins de légers regrets, car ce texte ne réglera pas tout, même si un important travail a été réalisé sur les violences sexuelles, le viol et le consentement. Nous avons parlé de la formation des professionnels, de l'accueil des victimes, de l'accompagnement pénal également. J'ai soulevé deux points juridiques dans mes deux amendements.

J'appelle désormais de mes vœux la poursuite de ce travail et je fais confiance au Gouvernement, comme à notre assemblée, pour que nous puissions aller plus loin, ensemble, sur ces problématiques.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 326 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l'adoption 323

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, je salue ce vote très clair du Sénat. Je remercie les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, présentes en tribune, qui ont permis cette construction transpartisane.

L'inscription du consentement dans la loi fait consensus, ce qui aurait dû être le cas depuis longtemps. Le texte envoie un signal très clair : il permettra une caractérisation du viol plus précise, une sanction plus adaptée des auteurs et une meilleure éducation dans notre pays.

Notre travail va se poursuivre, évidemment, dans le cadre du projet de loi sur la lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales. Je vous remercie toutes et tous très sincèrement ce soir. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, il est minuit passé. Je vous propose de poursuivre notre séance pour examiner le point suivant prévu à notre ordre du jour.

Il n'y a pas d'observation ?...

Il en est ainsi décidé.

7

Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, présentée par Mme Nadège Havet, M. Michel Canévet et M. Yves Bleunven (proposition n° 319, texte de la commission n° 722, rapport n° 721).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi.

M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France étant un grand pays maritime, nous devons nous occuper des sujets liés à la mer, parmi lesquels figurent les questions halieutiques.

Je rappelle que les lois de décentralisation ont entraîné le transfert aux départements et aux communes d'un grand nombre de ports qui étaient auparavant gérés par l'État. Une seconde vague de transferts de ports aux régions, aux départements et aux communes le cas échéant, a eu lieu en 2004, pour compléter les transferts précédents.

La loi de 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui comprend un volet maritime, a créé la société portuaire permettant de gérer de façon spécifique un certain nombre de ports.

Je l'ai dit, la France est un grand pays maritime, mais elle n'a pas, hélas ! une activité maritime assez soutenue. D'autres après moi auront l'occasion de le dire.

Paradoxalement, alors que nous possédons le deuxième espace maritime le plus étendu au monde, nous importons plus des trois quarts des produits de la mer que nous consommons. C'est tout à fait anormal ! Une réduction du format maritime halieutique est intervenue ces dernières décennies, particulièrement marquée en Cornouaille, dans le Finistère et à la pointe de la Bretagne.

La Bretagne est une région qui, traditionnellement, produisait l'essentiel de la pêche fraîche française. Elle continue d'être une place très forte. On compte ainsi des ports importants dans le Morbihan, à Lorient, par exemple, mais aussi dans les Côtes-d'Armor, à Erquy et à Saint-Quay-Portrieux, dans le Finistère, au Guilvinec, à Douarnenez, à Concarneau, à Audierne, à Saint-Guénolé, à Loctudy et à Roscoff, par exemple.

Toutefois, nous avons constaté une réduction du format de la production halieutique dans ces ports. Par exemple, en Cornouaille, une région qui représente l'essentiel de la pêche fraîche en France, le volume de production est passé entre 2004 et 2024 de 54 000 à 24 000 tonnes débarquées. Chacun mesurera l'évolution quantitative que cela représente.

Pourquoi rappeler ces chiffres ? Parce que la gestion portuaire, avec de telles évolutions, nécessite des modifications structurelles extrêmement fortes. Or tel est le sens, justement, de ce texte.

De nombreux ports de pêche, en France, sont gérés par les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Ainsi de ceux du Finistère, avec la CCI métropolitaine Bretagne ouest.

Cependant, les conditions économiques ne sont aujourd'hui plus réunies pour que ces établissements publics de l'État, qui ont subi, au cours des dernières années, une réduction significative de leurs moyens financiers, puissent dégager les ressources leur permettant d'assurer une gestion correcte de ces infrastructures portuaires.

Par conséquent, les collectivités responsables de ces infrastructures ont dû imaginer d'autres dispositifs. Or la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a créé un dispositif tout à fait adapté, la société portuaire, actuellement est utilisée pour la gestion de deux ports dans notre pays. Toutefois, je ne sais par quel mystère, la loi de 2006 prévoit que ce mode de gestion peut être utilisé pour les seuls ports décentralisés en 2004, et non pour ceux qui l'avaient été par les lois de décentralisation.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, ce texte vise tout simplement à rectifier ce qui semble être une incohérence. Selon nous, il est en effet logique que la gestion portuaire soit effectuée de façon adaptée, au moyen d'un outil spécialisé. Or la société portuaire nous semble être le dispositif idoine. Tel est le sens de ce texte, que nous souhaitons voir adopté ce soir.

Je remercie le Gouvernement d'avoir engagé la procédure accélérée sur ce texte. En effet, il importe d'aller vite : un certain nombre de concessions arrivant rapidement à échéance, leur futur mode de gestion doit être opérationnel le plus tôt possible. Nous comptons sur le Gouvernement pour y arriver. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Nadège Havet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cette nuit afin d'examiner la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports.

Cette initiative parlementaire apporte une nouvelle brique au travail au long cours dans ce domaine de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, selon laquelle il importe d'identifier tous les leviers à disposition au service de la performance de nos ports, compte tenu des atouts maritimes de la France.

L'objectif constant de notre commission est, comme l'indiquait le titre du rapport d'information de notre ancien collègue Michel Vaspart, de « Réarmer » nos ports dans la compétition internationale.

Pour cela, nous privilégions trois axes d'actions : améliorer la gouvernance du système portuaire ; renforcer l'attractivité et la compétitivité de nos ports ; accompagner le verdissement du secteur. Si nos précédents travaux portaient principalement sur l'organisation et le développement de nos grands ports maritimes, ce texte concerne plus particulièrement nos ports décentralisés, tout en gardant le cap fixé par ce triptyque.

En effet, l'on ne peut que souscrire à l'objectif sous-tendant cette proposition de loi : permettre aux autorités portuaires de tous nos ports décentralisés – soit cinquante ports de commerce, cent ports de pêche et halles à marée et 470 ports de plaisance – de bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires, afin d'assurer leur exploitation dans de meilleures conditions.

Le modèle de société portuaire offre plusieurs avantages. Ainsi, il permet de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires.

En participant directement au capital de ces sociétés, elles deviennent les actrices principales de la robustesse, de l'agilité et de la résilience de leur écosystème portuaire, un maillon essentiel et structurant de l'aménagement et de l'emploi de nos territoires côtiers.

La participation des collectivités dote ces sociétés portuaires d'une assise financière plus large, ce qui permet de préserver ou d'accroître le volume de leurs investissements et de rentabiliser leurs efforts en faveur de la transition technologique et écologique, tout en améliorant leur compétitivité.

Nos ports ont dû faire face à plusieurs chocs exogènes pénalisants : Brexit, Covid, flambée du prix des carburants, plan de sortie de flotte et, dernièrement, fermeture spatio-temporelle du golfe de Gascogne pour protéger les dauphins communs des captures accidentelles.

La hausse des coûts, la baisse des ressources financières et l'augmentation des besoins en investissements pèsent sur les concessionnaires, qui exercent cette activité à leurs risques et périls. Si une indemnisation est envisageable, la fixation de son montant donne lieu à des négociations fastidieuses, sans que celui-ci compense pour autant toutes les pertes enregistrées par le concessionnaire.

La participation des collectivités permettrait ainsi une mutualisation des risques, une simplification des relations et des négociations et un renouvellement des contrats, sans que l'équilibre financier soit assuré aux dépens du concédant ou de l'effort d'investissement.

Ce modèle présente, en outre, d'évidents atouts par rapport aux autres options déjà à la disposition des collectivités. À la différence de la société publique locale (SPL), il permet aux chambres de commerce et d'industrie de participer à son capital. Ces dernières, concessionnaires historiques, apportent ainsi leur expertise, leur connaissance du tissu économique de proximité et leur capacité de projection à l'international.

Contrairement au modèle de société d'économie mixte (SEM), il permet de bénéficier des dérogations liées aux contrats de quasi-régie. Si les conditions du code de la commande publique sont remplies, le contrat de concession pourra être dispensé des procédures de mise en concurrence.

Le modèle de la société portuaire est déjà éprouvé et approuvé. Deux régions, la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine l'utilisent pour la gestion des ports de Brest et de Bayonne. Pourtant, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui a permis de créer ce modèle, limite sévèrement le nombre de possibles bénéficiaires.

En effet, seuls les dix-huit ports – dix-sept en métropole et un en outre-mer – non autonomes et d'intérêt national dont la propriété et la compétence de gestion avaient été transférées par l'État aux collectivités territoriales et à leurs groupements en vertu de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, lors de l'acte II de la décentralisation, peuvent y recourir.

Il convient à présent de faire sauter ce verrou législatif, qui ne se justifie plus.

En effet, hormis les grands ports maritimes et quelques ports d'intérêt particulier relevant encore de l'État, les compétences de création, d'aménagement et d'exploitation des ports maritimes, ainsi que, pour certains d'entre eux, la propriété, ont été transférées aux collectivités territoriales par les lois de décentralisation de 1983 et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Par conséquent, lesdites collectivités doivent pouvoir, si elles le souhaitent, utiliser cet outil polyvalent.

Notre objectif, au travers de cette proposition de loi, n'est pas de supprimer ou de remplacer les autres modèles de gestion déjà cités. Il s'agit plutôt de permettre à l'ensemble des collectivités qui, après une étude des coûts et avantages des différents modèles et en fonction de leurs particularismes locaux, considéreraient le modèle de la société portuaire plus pertinent, d'y recourir.

Que prévoit ce texte dans sa version issue de la commission, adoptée à l'unanimité ?

Dans sa version initiale, l'article unique tendait à modifier l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006. Est ainsi supprimée la référence à l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui en limite le champ. Le texte clarifie et modifie les autres dispositions de l'article 35 de la loi de 2006 pour tenir compte de cette suppression. Enfin, il met à jour les références à des articles abrogés du code du travail.

Sur mon initiative, notre commission a modifié le texte pour assurer la cohérence du dispositif avec les exigences du droit européen de la commande publique en veillant à ce que les opérations d'attribution et de modification des contrats de concession ne puissent être automatiquement dispensées des procédures de mise en concurrence. Ainsi, elles feront l'objet d'une appréciation au cas par cas du respect des conditions de la quasi-régie.

Mes chers collègues, voilà, brièvement présenté, le texte qui est soumis à votre suffrage ce soir. Je suis certaine que la souplesse de la proposition de loi, qui met à la disposition de collectivités territoriales un outil supplémentaire, répond aux attentes des acteurs de nos territoires.

Les auditions préparatoires que j'ai menées m'ont convaincue que c'est le cas dans un département que j'affectionne particulièrement, le Finistère, et plus largement partout où doivent être renouvelés et sécurisés les contrats de concession au cours des mois à venir.

Je termine mon propos en remerciant le ministre pour sa disponibilité, son écoute et sa bienveillance à l'égard de cette initiative législative.

Mme Nadège Havet, rapporteure. Je remercie le Gouvernement, qui a inscrit le texte à l'ordre du jour d'une semaine qui lui est réservée et qui a engagé la procédure accélérée. Cela témoigne de toute sa volonté de mener la navette parlementaire à son terme.

Je forme le vœu que ce texte, après son adoption, ne reste pas en cale sèche et que l'Assemblée nationale en reprenne rapidement la barre et l'amène à bon port ! (Sourires et applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec satisfaction et plaisir que je m'exprime aujourd'hui devant votre assemblée pour soutenir cette proposition de loi défendue par Nadège Havet, Michel Canévet et Yves Bleunven.

Ce texte émane directement du terrain et des élus locaux, qui connaissent leurs ports, leurs enjeux, leurs défis et leurs potentialités. Il répond ainsi au besoin d'accéder à un outil de gouvernance portuaire performant et adapté aux réalités contemporaines, s'inscrivant dans une approche pragmatique du développement territorial.

Le modèle de société portuaire existe déjà et a fait ses preuves. Les régions Bretagne et Nouvelle-Aquitaine l'ont expérimenté avec succès, respectivement avec BrestPort et le port de Bayonne, cher Max Brisson. Ces expériences démontrent la pertinence de ce modèle de gouvernance, qui permet de concilier expertise publique et efficacité économique.

Néanmoins, cette proposition de loi constitue avant tout une mesure de simplification, pour élargir la boîte à outils à disposition de nos collectivités. Elle modernise et élargit le dispositif des sociétés portuaires, créé par la loi du 5 janvier 2006, comme vous l'avez rappelé, cher Michel Canévet.

À ces fins, est supprimée la limitation aux seuls dix-sept ports métropolitains visés par loi de 2004. En effet, cette restriction exclut, de fait, de nombreux ports décentralisés qui présentent pourtant des caractéristiques et des enjeux comparables à ceux des premiers.

Le texte permettra de renforcer la coopération entre les collectivités territoriales et les chambres de commerce et d'industrie, pour une gestion plus efficace des ports. Il s'inscrit parfaitement dans notre volonté de moderniser les outils de gouvernance, tout en préservant des liens avec ces partenaires historiques.

Je rappelle l'importance économique des ports décentralisés dans notre paysage maritime national. Ainsi, ces quelque 600 ports représentent 22 % du tonnage total de marchandises de notre pays, avec une contribution économique non négligeable : 600 millions d'euros de valeur ajoutée, 11 000 emplois directs et 27 000 emplois indirects.

Le modèle de société portuaire proposé à votre examen s'inscrit dans une volonté de développement des ports avec une vision de long terme, selon un modèle qui a déjà fait ses preuves. Il permettra aux collectivités de faire partie des acteurs principaux du développement et de la résilience de leur écosystème portuaire.

Je tiens à vous rassurer : toutes les garanties sociales sont maintenues. Notre attachement au dialogue social et à la protection de l'emploi est total, cher Gérard Lahellec.

Cette proposition s'inscrit parfaitement dans notre politique des transports : pragmatique, à l'écoute des territoires, respectueuse des équilibres sociaux et dans un objectif de simplification. Elle prolonge notre stratégie nationale portuaire de 2021, issue d'une large concertation.

Le consensus dégagé en commission, chère Nadège Havet, cher Jean-François Longeot, et l'absence d'amendements déposés, hormis celui du Gouvernement, qui est purement technique, puisqu'il vise seulement à lever des gages, témoignent de la maturité de cette initiative et de la qualité du travail parlementaire. Je tiens à vous en remercier.

Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter ce texte qui offrira à nos collectivités un outil de gouvernance portuaire moderne, efficace et adapté aux défis contemporains, comme l'est le Sénat. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez tous ici, la Loire est un département maritime important… (Sourires.) Du moins, c'est un département fluvial, doté de plusieurs ports, dont Briennon, Bully, Saint-Victor-sur-Loire, Roanne et le bien nommé port de la Caille, à Saint-Jean-Saint-Maurice-sur-Loire.

Certes, dans mon département, on parle plus de porcs que de ports, pour évoquer la charcuterie locale, notamment à l'heure de l'apéritif. (Sourires.) Mais nous ne nous désintéressons pas du sujet. Comme l'a dit M. le ministre, il s'agit d'un enjeu de souveraineté nationale et d'économie important pour notre pays.

Je serai très bref, car ce texte nous convient en tout point. Nous approuvons l'élargissement du dispositif de la société portuaire, le renforcement financier de ces sociétés au travers de l'entrée des collectivités au capital, l'autorisation de la double participation des collectivités et des CCI au sein des sociétés portuaires et, enfin, le fait que les collectivités pourront participer à la stratégie de développement de leurs ports.

Les ports sont des infrastructures stratégiques pour nos territoires, notamment au travers des emplois, directs et indirects, qui en dépendent. Ils sont des atouts d'attractivité pour nos territoires et notre pays.

Ce texte est un excellent texte. Il offre de la souplesse aux collectivités locales et qui vise à accélérer les prises de décisions. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne peut que le soutenir, car il est la manifestation d'une décentralisation efficace. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda.

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous essayons tous de battre tous des records de brièveté, tant nous sommes d'accord sur le sujet qui nous réunit cette nuit, à savoir l'extension de la possibilité d'octroyer le statut de la société portuaire à tous les ports.

J'ai coutume de dire que le droit n'est qu'un outil à notre service. Les juristes sont d'une inventivité folle, notamment lorsqu'il s'agit de personnalité morale. Car si nul n'a jamais vu de personne morale se promener dans la rue, de telles entités existent dans nos codes…

Les sociétés portuaires offrent de grands avantages, notamment la possibilité de financer ports à la fois par les CCI et par les collectivités territoriales et le recours au système de la quasi-régie, qui dispense d'un certain nombre de règles de mise en concurrence.

Cependant, cette option assez intéressante n'est pour l'instant réservée qu'à un petit nombre de ports, dont le statut découle de l'acte II de la décentralisation en 2004. Notre but, aujourd'hui, est donc de permettre à d'autres ports d'en bénéficier, notamment lorsqu'il s'agit pour les collectivités de les soutenir, ce dont ils ont besoin. En effet, la pêche et l'activité portuaires, comme toutes les activités économiques, sont essentielles pour notre pays.

Nous avons la possibilité, en étendant le statut des sociétés portuaires, de permettre à d'autres ports, notamment bretons, de contribuer à cette activité si importante pour la Bretagne et pour la France qu'est la pêche. Nous ne devons pas nous en priver.

Les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte avec grand plaisir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'emblée je vous le dis : les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

Nous le ferons non pas parce que ma collègue et amie Nadège Havet en est la coauteure et la rapporteure, mais parce que ce texte est utile pour nos collectivités et leurs ports.

Dans le contexte actuel, il est important que le droit permette aux structures que sont les ports, souvent indispensables à la vitalité de certains de nos territoires, de se développer sur les plans économique, social et environnemental.

Ainsi, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 a permis la création des sociétés d'exploitation portuaire entre les collectivités territoriales, leurs groupements et les chambres de commerce et d'industrie. Ce modèle est très utile pour gérer de manière plus souple les ports, là où les anciens ports autonomes étaient des établissements publics soumis à des règles administratives strictes.

La société portuaire fonctionne quant à elle selon un modèle de droit privé. Autrement dit, elle dispose de la personnalité juridique et peut embaucher du personnel sous contrat privé, signer des partenariats commerciaux et fixer librement certains tarifs d'utilisation des installations portuaires.

Avec ce modèle, il est possible d'ouvrir le capital à des acteurs privés, et les collectivités territoriales peuvent participer à la gouvernance du port. Voilà qui est de nature à renforcer l'ancrage local du port et permet de mieux coordonner les projets portuaires avec ceux du territoire. Je pense notamment au transport multimodal ou aux enjeux de transition énergétique.

On pourrait donc penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, il n'en est rien.

Premièrement, ce modèle actuel ne concerne que les 18 ports français mentionnés dans la loi du 13 août 2004, alors que notre pays dispose de plus de 500 ports décentralisés, dont celui de Valence, dans la Drôme.

Deuxièmement, depuis la loi NOTRe de 2015, d'autres ports ont été transférés aux collectivités. Or ces derniers ne peuvent bénéficier du modèle de société portuaire. Par conséquent, il devient nécessaire de modifier la loi, afin de permettre à toutes les collectivités et à leurs groupements d'avoir recours audit modèle.

Tel est l'objectif sous-tendant cette proposition de loi, que nous pourrions qualifier de bretonne. S'il n'a pas pour objet l'indépendance de la Bretagne, ce texte est bel et bien relatif à l'autonomie de nos élus locaux et au développement économique de nos ports.

Dans la mesure où les sociétés d'exploitation portuaire sont créées par un accord entre les collectivités territoriales, leurs groupements et les CCI, je suis convaincu que de nombreux ports pourront demain bénéficier de nouveaux moyens financiers. Particulièrement utiles à de nombreux égards, les CCI ont une capacité indéniable à collecter des fonds au niveau national et international.

Par ailleurs, il s'agit également d'améliorer les performances en matière d'économies budgétaires, dans un contexte où les finances de nos collectivités sont mises à rude épreuve, avec des coûts qui explosent et des rallonges liées aux travaux. Leur permettre de bénéficier de ce modèle, c'est leur permettre d'intégrer un expert de la gestion portuaire qui a une vision globale du sujet.

Mes chers collègues, adopté à l'unanimité en commission, ce texte présente donc des atouts indéniables pour nos élus locaux, les ports français et l'ensemble des personnes qui les font vivre. Il s'agit d'une proposition de loi utile, concise et transpartisane, dont l'article unique sera facilement mis en œuvre.

Voilà autant de raisons pour lesquelles notre groupe votera pour l'adoption de ce texte, en lui souhaitant bon vent ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la puissance économique de la France est intimement liée à celle de son réseau portuaire. Il suffit d'un regard dans notre histoire pour s'en convaincre : à chaque grande mutation industrielle ou commerciale, les ports français ont su se réinventer.

De l'essor des grands ports commerciaux de Bordeaux et de Marseille au XVIIIe siècle au développement des complexes industrialo-portuaires dans les années 1960, sans oublier l'adaptation des terminaux portuaires à la conteneurisation du commerce maritime, nos ports ont profondément changé.

La décentralisation des ports, à l'œuvre depuis plus de quarante ans, a fait des collectivités locales et de leurs groupements des acteurs incontournables dans le développement des quelque 600 ports décentralisés de notre pays. Pourtant, leur implication reste inégale : certaines s'engagent résolument dans la modernisation de leur port, quand d'autres peinent à enclencher cette dynamique.

D'où vient une telle différence ? Le choix du mode d'exploitation permet de comprendre cette diversité des trajectoires. En effet, les collectivités locales ont tendance à davantage s'investir dans les orientations stratégiques de leur port lorsqu'elles en sont concessionnaires.

Surtout, les capacités de financement des investissements en infrastructures, de modernisation ou de transition des ports apparaissent radicalement différentes. Ainsi, aujourd'hui, deux situations se distinguent schématiquement : celle des ports qui arrivent à mener à bien des projets de modernisation et celle de ceux qui n'y parviennent pas.

Les collectivités qui sont parvenues à transformer en profondeur leur port sont celles qui ont eu recours au modèle de société portuaire créé par la loi du 5 janvier 2006. En effet, les dix-huit ports concernés ont pu bénéficier de deux avantages majeurs pour leur développement : l'expertise des chambres de commerce et d'industrie, d'une part, et les dérogations aux règles de la commande publique autorisées pour les gestions en quasi-régie, d'autre part.

Dans ce contexte, les avantages offerts par le recours au modèle de la société portuaire doivent pouvoir bénéficier à tous les gestionnaires de ports décentralisés qui en formulent le souhait. Le maintien du statu quo n'est plus justifié : de nombreuses collectivités locales et acteurs portuaires attendent aujourd'hui que la loi vire de bord.

À mon sens, cette ouverture est susceptible d'accroître à moyen et à long terme la compétitivité des ports décentralisés. C'est dans cet esprit que je rejoins les auteurs de la présente proposition de loi, laquelle supprime le verrou législatif qui empêchait d'étendre la possibilité de recourir au modèle de société portuaire à tous les ports décentralisés.

Cette proposition de loi apporte de la souplesse aux collectivités et une évolution attendue depuis longtemps par les acteurs du secteur. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera pour l'adoption du texte de la commission. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme Muriel Jourda applaudit également.)

M. Pascal Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objet de la présente proposition de loi relative à la gestion des ports pourrait sembler, à première vue, un peu aride ou, à tout le moins, exclusivement technique, puisqu'il s'agit, comme cela a été amplement rappelé, de permettre à tous les ports décentralisés de bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires pour assurer leur exploitation.

D'un point de vue strictement juridique, cette mesure est aujourd'hui incontournable. Je ne remets pas en cause les options de gestion qui existent actuellement. Par exemple, en Normandie, trois types de gestion coexistent : dans le département de la Manche, la société publique locale, dans le celui du Calvados, la société d'économie mixte à opération unique, et dans le département de mon cœur, la Seine-Maritime, la société d'économie mixte. Ainsi, le présent texte ne vise qu'à élargir le champ des possibles en ajoutant une option, celle de la société portuaire, à l'arsenal des modes de gestion autorisés.

Je ne reviendrai pas longuement sur les raisons nous imposant de légiférer maintenant, puisqu'elles ont été parfaitement exposées par Michel Canévet et Nadège Havet, que je remercie d'avoir fait inscrire ce texte à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée, ainsi que notre collègue du groupe Union Centriste Yves Bleunven, co-auteur de cette proposition de loi.

Alors que six cents ports décentralisés sur le territoire national pourraient être concernés par ce choix de mode de gestion, la loi de 2006, comme cela a été rappelé, a limité celui-ci à dix-huit d'entre eux, à savoir les seuls ports d'intérêt régional.

Pourtant, les avantages de ce statut sont incontestables. Comme le résumait très bien notre rapporteur, le modèle de société portuaire permettrait de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires. C'est bien pour cela que la société portuaire est plébiscitée par les gestionnaires de ports décentralisés. D'après ce que j'ai pu constater, ils soutiennent très massivement cette proposition de loi.

Toutefois, allons au-delà. En réalité, la présente proposition de loi porte bien plus qu'une simple mesure technique. Au travers du mode juridique de gestion des ports, c'est tout simplement de leur avenir qu'il est ici question.

En effet, la société portuaire simplifiera leur gestion par les collectivités. Ainsi, plus besoin de procédures de mise en concurrence pour conclure un contrat de concession. De plus, le financement des investissements d'infrastructures en sera facilité.

Enfin, la société portuaire permettra une approche partenariale, en impliquant toutes les parties prenantes locales, du privé aux chambres de commerce et d'industrie.

Au-delà de la seule question du mode juridique de gestion des ports, c'est bien de tout cela qu'il est question aujourd'hui et dont les ports ont besoin : besoin de simplification, besoin d'investissement et, surtout, besoin d'une vision partagée, de la fixation d'un cap leur permettant de répondre aux défis de notre temps. Et Dieu sait si ces derniers sont nombreux !

Confrontés à des crises à répétition – Brexit, Covid, repli du commerce international –, tous nos ports souffrent. Confrontés à la nécessité de se moderniser à marche forcée pour rester dans la compétition technologique internationale et de se verdir, à la fois en se décarbonant pour honorer nos engagements climatiques et en participant à la préservation des écosystèmes marins, nos ports doivent absolument être accompagnés.

C'est d'autant plus vital que les ports constituent un atout majeur de développement économique et d'attractivité de nos territoires.

M. Pascal Martin. J'en veux pour preuve le rôle essentiel que jouent les ports de Seine-Maritime dans l'économie locale. Ils contribuent à l'histoire, ainsi qu'au charme de la façade littorale de la côte d'Albâtre.

Je le dis avec un amical clin d'œil : peut-être nos collègues continentaux n'ont-ils pas toujours conscience que l'importance des ports dépasse très largement les seuls territoires littoraux… Qu'il s'agisse de plaisance, de transport ou de fret, les activités portuaires irriguent toute la croissance nationale.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera des deux mains la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et RDPI.)

(À suivre)