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Définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (proposition n° 504, texte de la commission n° 732, rapport n° 731).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, après des mois de travail, des mois d’auditions et de débats de qualité, nous voilà au terme d’un chemin parlementaire qui honore l’Assemblée nationale, le Sénat et, au-delà, la République tout entière.
À l’instant où vous allez vous prononcer sur ce texte important, je veux, au nom du Gouvernement, mesurer la portée de cet acte législatif. En effet, cette proposition de loi, qui vise à inscrire explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol, n’est pas un nouveau texte technique et juridique ; les débats parlementaires ont permis de souligner qu’elle est avant tout un texte de civilisation, d’humanité et, surtout, d’espoir.
La justice française s’est construite dans des moments où la loi s’est élevée pour dire, avec force, ce qui ne saurait plus être toléré. Ce texte s’inscrit dans la droite ligne de ces grandes avancées. Il répond à un tabou, il brise le silence, il nomme ce que des victimes ont vécu dans l’incompréhension et, parfois, la solitude.
À la lumière de drames récents, la société française a ouvert les yeux sur l’ampleur et la banalité de certaines violences. Le procès des viols de Mazan, le courage de Gisèle Pelicot, la mobilisation des associations et la libération de la parole invitent l’ensemble de la représentation nationale à agir, à légiférer.
Ce texte est le fruit d’un travail parlementaire exemplaire, transpartisan, mené avec rigueur par les délégations aux droits des femmes, les commissions des lois et l’ensemble des groupes politiques des deux chambres.
Je veux saluer ici l’engagement de Dominique Vérien, d’Elsa Schalck, et de tous ceux qui ont pris part à ce combat, sans esprit partisan, avec pour unique volonté de faire progresser le droit et la justice.
Jusqu’à présent, notre code pénal définissait le viol par quatre critères : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il ne disait rien du consentement. Cette omission aurait pu sembler anodine, mais elle a eu de lourdes conséquences. Le débat a été âpre pour déterminer s’il convenait d’intégrer cette notion dans la loi, dans la mesure où certaines associations y étaient défavorables.
Grâce au travail de ma collègue Aurore Bergé, dont je salue l’engagement, de la Chancellerie, dont je remercie les équipes, et du Parlement, en lien avec la société civile, vous allez voter pour mettre fin à cette ambiguïté. En effet, ce texte affirme clairement que le consentement est la pierre angulaire de la liberté sexuelle.
Désormais, la loi dira que le viol est un acte sexuel commis sans consentement, que ce consentement doit être libre, spécifique, préalable et révocable, et qu’il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de résistance.
Ce texte opère donc un renversement : plutôt que de scruter un comportement, de disséquer des gestes, des paroles, ou des silences, il s’agit désormais d’interroger.
Ce changement de paradigme est décisif. Il met fin à un système dans lequel le doute profitait trop souvent à l’agresseur, la victime devant prouver qu’elle avait eu la volonté de résister et qu’elle l’avait « suffisamment », si je puis dire, démontré.
Nous espérons tous que cette nouvelle donne recentrera le débat judiciaire, et notamment les procès, sur l’essentiel : la volonté ou non d’obtenir un accord explicite, libre et éclairé. Elle devrait permettre à la justice de mieux protéger, de mieux dissuader et de mieux éduquer.
Je tiens ici à rassurer les professionnels du droit, les magistrats, les enquêteurs de la police et de la gendarmerie : ce texte n’impose pas une preuve impossible à obtenir ; il ne contractualise pas la sexualité ; il ne remet en aucun cas en cause l’indispensable présomption d’innocence.
Simplement, il clarifie le raisonnement judiciaire pour donner des repères à la justice en vue d’apprécier, au cas par cas, la réalité du consentement.
À cet égard, je salue l’amendement adopté par la commission des lois du Sénat tendant à substituer la notion de « contexte » à celle de « circonstances environnantes » pour apprécier le consentement. Le Gouvernement aurait émis un avis de sagesse sur un tel amendement, mais il est entendu qu’il est nécessaire de tenir compte du contexte pour caractériser l’existence ou non du consentement.
Au-delà de son caractère répressif, je crois, comme Aurore Bergé, que cette proposition de loi a surtout une vocation éducative. Elle dit à toute la société, formellement, qu’aucun acte sexuel ne peut être imposé ; que le consentement ne se présume pas, mais s’interroge, se recherche, se recueille, se reçoit, se respecte.
Ce texte doit irriguer le plus largement possible notre culture commune et nos mœurs, au travers de l’éducation et de la formation – en particulier, il faut bien le dire, celles des hommes. Il doit nous conduire à nous questionner sur ce que nous souhaitons transmettre aux générations futures, à nos enfants, aux jeunes garçons comme aux jeunes filles, sur la liberté, le désir, le respect du corps de l’autre et de son propre corps et, de manière générale, sur la beauté de l’amour et l’échange que représente l’acte sexuel.
Ce texte nous permet d’inscrire pleinement notre droit dans le cadre posé par la convention d’Istanbul, de répondre aux recommandations du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) et de tenir notre place dans la diplomatie féministe voulue par le Président de la République.
Il prolonge l’engagement de la France pour la protection des mineurs, contre l’inceste, contre la prostitution des enfants, contre toutes les formes de violences sexuelles qui touchent les plus faibles. Il donne à la France la capacité de défendre, sur la scène internationale, une définition exigeante du consentement, conforme à nos valeurs. Il s’inscrit dans la continuité des grandes lois contre les violences sexistes et sexuelles, pour lesquelles des femmes et des hommes se sont si longtemps battus.
En tant que garde des sceaux, je sais la nécessaire prudence qu’impose toute modification de notre droit pénal. Je veux dire à la société que ce texte n’est qu’une étape. Il appartient désormais aux magistrats et aux enquêteurs de le faire vivre, sous le contrôle attentif du Parlement, qui ne manquera pas d’évaluer les effets de l’important travail qu’il a réalisé.
Je veux saluer la détermination de tous et remercier les parlementaires, ainsi que le Conseil d’État, qui nous a accompagnés, avec vigilance, dans l’élaboration de ce texte. Je remercie également les éducateurs, les soignants, les enquêteurs, les magistrats, tous les professionnels du droit qui, chaque jour, sur le terrain, accompagnent les victimes, préviennent les violences, font vivre la justice.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant ce texte, vous allez écrire une page importante de notre histoire pénale, faire honneur à la République et dire, avec force, que la liberté sexuelle est un droit fondamental, que le respect de l’autre est la condition première de toute civilisation et que la présomption d’innocence doit être absolument garantie.
Je vous invite donc à adopter ce texte, à porter haut cette exigence de clarté pour faire triompher la liberté sur la violence et la justice sur le silence.
Je vous remercie une nouvelle fois, madame la ministre, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre travail équilibré et de l’écoute que vous avez toujours eue pour les arguments juridiques. Ce travail, le vote qui interviendra dans quelques instants, j’en suis sûr, le consacrera. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le consentement est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles. Il est une évidence, qui aurait dû s’imposer depuis toujours.
Pourtant, il reste un concept volontairement déformé, caricaturé. Pourquoi ? Parce qu’il heurte des habitudes, des croyances ; parce qu’il dérange.
Il dérange, car il est intrinsèquement lié à une réalité que l’on préférerait mettre à distance. Cette réalité, occultée par les clichés, là voici : dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur, celui qui abuse, celui qui viole. Je répète : neuf fois sur dix ! L’agresseur n’est pas un inconnu tapi dans l’ombre ; il est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami, un collègue.
Cette proximité brouille les frontières et nourrit des doutes insupportables : « Pourquoi n’a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s’est-elle pas débattue ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit plus tôt ? »
Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique.
Parce que la peur, la sidération, la honte, le contrôle coercitif, les violences psychologiques, les abus d’autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles, qui paralysent, qui peuvent paralyser longtemps.
Parce que l’absence de cri, de lutte ou de résistance n’a jamais établi un consentement.
Parce que le silence d’une victime n’est jamais un consentement.
Parce que ne pas dire non ne veut pas dire oui.
Nous vivons un moment charnière. Le procès de Mazan en est le symbole ; Gisèle Pelicot en offre le visage : celui d’une femme debout.
Gisèle Pelicot était droguée par son mari pour être vendue à des inconnus recrutés sur internet, qui la considéraient « comme une poupée de chiffon, un sac-poubelle ». Pendant dix ans, son corps a été un terrain vague, son existence un cauchemar méthodiquement et chimiquement orchestré.
Ils ont été cinquante et un ; cinquante et un hommes ; cinquante et un visages terriblement ordinaires. Ce sont des voisins, des collègues, des pères de famille ; ce sont de ces hommes que nous croisons chaque jour, preuve que l’horreur a un visage familier.
Quand l’heure de répondre de leurs actes est venue et qu’il leur a fallu se rendre au tribunal, ils se sont présentés masqués, cachés sous des capuches ou des cagoules. Avaient-ils honte d’eux-mêmes ou simplement honte d’avoir été interpellés ?
Ce procès nous oblige. Il doit y avoir un avant et un après Mazan. Nous n’avons plus le droit de détourner le regard. Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu’elle est, avec ses violences, ses silences et ses complicités.
Nous devons nous hisser à la hauteur du courage de Gisèle Pelicot et de toutes celles qui ont porté plainte, mais aussi de toutes celles qui hésitent, de toutes celles qui renoncent par peur de l’épreuve du traitement judiciaire.
Nous devons donc redoubler d’efforts : si nous avons progressé au cours des dernières années pour mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux, si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d’accompagnement, ainsi que notre arsenal juridique, si nous avons commencé à graver dans la loi l’absence de consentement, le combat n’est pas pour autant terminé.
En inscrivant dans notre code pénal, par la loi du 21 avril 2021, le seuil de 15 ans, en deçà duquel il ne peut jamais y avoir de consentement, nous avons clarifié le travail de la justice.
Avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas comprendre ce qu’on lui suggère ou ce qu’on lui impose.
Avant 15 ans, un enfant ne peut pas consentir. C’est « non », c’est toujours « non ». Il s’agit là d’un interdit absolu, et il ne peut en être autrement.
Aujourd’hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant une vérité simple, incontestable et inaltérable : consentir, ce n’est pas ne pas dire non. Consentir, c’est dire oui : un oui explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté.
Il ne s’agit pas de caricaturer cette exigence, en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle. Il s’agit de protéger, de reconnaître et de rendre justice, car le viol n’est ni une fatalité ni un malentendu. Le viol est un crime : un crime qui brise, qui mutile et qui anéantit.
En la matière, nous avons une responsabilité historique.
Cette avancée législative majeure répond pleinement à un engagement formel du Président de la République. Elle bénéficie, en outre, du soutien constant de tous les membres du Gouvernement, et notamment de M. le garde des sceaux.
Je me réjouis aussi de l’engagement des parlementaires de tous horizons qui défendent cette avancée avec force et conviction, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
Je tiens à rendre hommage au travail remarquable des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, dont la mission et le rapport d’information ont joué un rôle décisif.
Je salue aussi l’engagement du Sénat dans ce combat. En témoignent le colloque organisé sur le sujet par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en novembre 2024, et la mission commune que cette même délégation a menée avec la commission des lois sur la prévention de la récidive du viol, dont les conclusions ont été présentées le mois dernier.
De même, je salue l’engagement sincère des deux rapporteures de la Haute Assemblée, toujours alliées sur ces sujets (Mmes les rapporteures sourient.), Elsa Schalck et Dominique Vérien.
Les travaux parlementaires, conjugués à l’avis éclairé rendu, dans de brefs délais, par le Conseil d’État, ont permis d’aboutir à une écriture qui rassure, encadre et sécurise.
Aujourd’hui, cette proposition de loi vous donne l’occasion d’inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental, principe de justice et de dignité : le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.
Il doit être libre, parce qu’aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit en fausser la nature. Une femme qui craint de perdre son emploi, une jeune fille face à son entraîneur, une femme sous l’emprise d’un conjoint violent peut-elle réellement dire non ?
Il doit être éclairé : comment consentir si l’on est droguée, soumise, ivre, en situation de vulnérabilité ou placée dans un rapport d’autorité ?
Il doit être spécifique, pour que nul ne puisse détourner son sens. Consentir à un acte n’est pas consentir à tous les actes, et le droit des contrats ne saurait justifier un quelconque droit de disposer du corps d’autrui.
Enfin, il doit être préalable et révocable, car personne ne doit être enchaîné par un consentement accordé une fois. Dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours, et le droit de dire non à tout moment doit être respecté.
J’ajoute que le consentement doit toujours être apprécié dans son contexte. Une relation hiérarchique, une dépendance économique, un climat de peur ou de manipulation sont des éléments qui ne peuvent être ignorés.
Ce n’est qu’en mettant en lumière les stratégies de coercition que nous pourrons démasquer ceux qui exploitent la vulnérabilité des autres.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le combat contre toutes les formes de violences exige une réponse juridique globale, structurée et ambitieuse. C’est pourquoi – il s’agit là d’une première – nous avons créé un groupe de travail parlementaire réunissant l’ensemble des forces politiques représentées à l’Assemblée nationale et au Sénat, sans exclusive, sans tabou, sans calcul partisan.
Avec des députés et des sénateurs de tous bords, nous travaillons à l’élaboration d’une loi-cadre contre les violences sexuelles et intrafamiliales, que les victimes soient majeures ou mineures. Je tiens d’ailleurs à remercier celles et ceux d’entre vous qui prennent part, très activement, à ce chantier.
Nous l’avons constaté une nouvelle fois hier, lors de la quatrième réunion de ce groupe de travail : face aux violences sexuelles, l’unité est à la fois souhaitable et possible. Pour éradiquer ce fléau, nous savons faire République.
M. le garde des sceaux l’a dit, au-delà des textes de loi, c’est un changement de culture que nous devons opérer, collectivement.
La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattue par chacune et chacun d’entre nous, tout le temps et à tous les niveaux.
Elle est là chaque fois qu’une victime est réduite au silence, chaque fois qu’un agresseur est excusé, chaque fois qu’un « non » est interprété comme un « peut-être ».
Elle est là quand on apprend à nos filles qu’elles doivent avoir peur et se méfier au lieu d’apprendre à nos garçons qu’ils doivent les respecter ; quand on insinue que les vêtements, l’attitude ou l’heure tardive justifient l’injustifiable et qu’après tout la victime « l’a bien cherché ».
Mettre fin à cette culture, c’est éradiquer ces mécanismes de domination. C’est éduquer. C’est refuser la complaisance et le déni. C’est dire clairement que la honte est du côté, non pas des victimes, mais de ceux qui violent ; de ceux qui minimisent ; de ceux qui détournent le regard et qui laissent faire, complices.
Aujourd’hui, nous pouvons faire un pas décisif vers une véritable culture du consentement.
Le présent texte ne changera évidemment pas tout, et nous devrons continuer de lutter contre toutes les formes de violence. Mais il peut marquer un tournant.
Il nous revient aujourd’hui de réaffirmer haut et fort que le corps des femmes leur appartient ; qu’aucun homme ne peut jamais prétendre avoir un droit sur lui ; que ce qui compte, ce n’est pas ce que l’agresseur croit, mais ce que la victime veut. Et cela, c’est déjà une révolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est point d’acte sexuel licite s’il n’est pas consenti. Or céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à une forme de pression, quelle qu’elle soit, ce n’est pas consentir.
Se taire ou se laisser faire, ce n’est pas consentir : c’est subir une contrainte provoquée par la peur – peur des coups, peur des représailles, peur de réveiller les enfants si l’on crie.
Se résigner lorsqu’un refus n’a pas été entendu, alors même qu’il a été exprimé des dizaines de fois, ce n’est pas consentir. C’est simplement dire que l’on n’a plus la force de lutter.
Ne pas réagir, ce n’est pas consentir : c’est trop souvent être dans un état de sidération tel que l’on n’est pas en mesure de se défendre.
C’est pour rappeler ces principes simples et les inscrire dans notre droit que nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, que je salue, visant à modifier la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles pour y inscrire la notion de consentement.
Ce texte, fondé sur l’important travail mené par nos collègues députées et sur leur rapport d’information rendu public en janvier 2025, apporte plusieurs aménagements au droit en vigueur.
Tout d’abord, il introduit une référence explicite à la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles, entendues en leur sens large, qui inclut le viol.
Ensuite, il précise que le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et toujours révocable.
Enfin, il préserve les acquis de notre droit pénal et de la jurisprudence en conservant les quatre pivots que sont la violence, la menace, la contrainte et la surprise.
Ces orientations font consensus : les amendements déposés en sont la preuve, puisqu’aucun d’entre eux ne tend à remettre en cause l’architecture adoptée en commission.
Qu’il me soit permis, cependant, de revenir sur certaines des évolutions apportées au texte par notre commission des lois.
Ma corapporteure Dominique Vérien et moi-même avons rapidement été confortées dans l’idée que cette proposition de loi avait une portée interprétative. Loin de rendre plus sévère le droit pénal, elle ne fait que graver dans le code pénal les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît la centralité du consentement depuis l’arrêt Dubas de 1857.
Enrichi des modifications adoptées par nos collègues députés pour tenir compte d’un avis particulièrement éclairant et précis du Conseil d’État, le texte transmis au Sénat était déjà extrêmement abouti. Nous nous sommes donc contentées d’y apporter deux modifications.
La première est une coordination, grâce à laquelle le périmètre matériel du viol sera le même pour toutes les victimes, quel que soit leur âge. En effet, nos collègues députés n’avaient pas effectué les modifications requises parmi les dispositions spécifiques aux mineurs. Dès lors, le présent texte risquait de placer ces derniers dans une situation juridiquement moins favorable que les majeurs. Nous ne pouvions pas laisser une telle incohérence s’immiscer dans notre droit : nous avons procédé aux coordinations requises.
La seconde porte sur les conditions dans lesquelles l’absence de consentement sera appréciée par le juge du fond.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale renvoyait, en la matière, aux « circonstances environnantes », terme emprunté à la convention d’Istanbul de 2011. Or cette notion n’est pas connue en droit pénal français. Elle aurait donc pu être source de difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes. Pis encore, elle est susceptible de provoquer des effets de bord négatifs pour les victimes : elle peut conduire à exploiter leur environnement, leur comportement, leurs relations ou leur passé, ce qui est l’exact contraire du but visé par cette proposition de loi.
Nous avons donc préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Nous pourrons ainsi tenir compte de tous les éléments susceptibles d’avoir vicié le consentement de la victime.
Mes chers collègues, avant de céder la parole à Dominique Vérien, j’attire votre attention sur le point d’équilibre que constitue la formule dégagée par nos soins en commission.
Le droit pénal est une matière sensible. Plus encore que tout autre domaine de la loi, il doit être modifié d’une main tremblante, car, si nous commettions une erreur de droit, ce sont les victimes qui en feraient les frais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en complément des propos d’Elsa Schalck, auxquels je m’associe évidemment sans réserve, je reviendrai sur les principes juridiques qui ont fondé la position de la commission sur les amendements que nous examinerons au cours de la soirée.
Elsa Schalck le rappelait à l’instant, on ne doit toucher à la loi pénale que d’une main tremblante, en s’assurant d’être soutenu par des certitudes quant aux multiples effets que l’on va produire dans l’ordre juridique et sur la base d’un travail approfondi, pour garantir la conformité de la loi nouvelle à la Constitution.
Une censure décidée à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aurait, en effet, des conséquences dévastatrices pour les victimes. C’est un risque que nous devons à tout prix éviter.
Je suis certaine que nous nous rejoignons sur ces principes. Il me reste à vous exposer comment nous les avons appliqués.
Tout d’abord, nous avons émis un avis défavorable ou une demande de retrait sur les amendements dont la portée juridique ne peut être définie avec précision en l’état de nos travaux.
Je le dis avec force et de manière solennelle : cette position n’ôte rien à l’importance des sujets auxquels ces amendements nous confrontent, qu’il s’agisse de la soumission chimique, chère Véronique Guillotin, pratique dont le procès des viols de Mazan a rappelé la cruelle brutalité, ou de la prostitution des mineurs de 15 ans, dont l’insuffisante répression, aussi réelle que choquante, est dénuée de lien avec la rédaction actuelle de la loi pénale.
Ce choix s’explique aisément : il n’est pas raisonnable de modifier la loi pénale sans avoir, au préalable, mené l’ensemble des travaux requis.
Nous ne saurions négliger les apports des auditions et du travail législatif tout entier, quelle que soit la qualité des réflexions préparatoires qui ont pu être menées, sous peine de priver notre mission de législateurs de son but essentiel : peser tous les arguments, sans exception et avec sérieux, pour rester les gardiens de l’intérêt général.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a été précédé d’un rapport sur lequel Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin ont travaillé pendant plus d’un an. Pour autant, l’examen de cette proposition de loi en commission, puis en séance à l’Assemblée nationale a donné lieu à des modifications substantielles, sans lesquelles la solidité du texte n’aurait pas été acquise.
Cet exemple doit nous inspirer. Je souhaite, en outre, que le Gouvernement s’engage à donner au Parlement le temps de mener un travail spécifique sur les autres sujets dont nous aurons à débattre, notamment la soumission chimique.
De même, nous avons émis un avis défavorable sur les amendements dont les dispositions présentent un risque juridique, dans la mesure où elles paraissent contraires à des principes constitutionnels.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je pense aux amendements visant à ériger en élément constitutif du viol des situations qui sont aujourd’hui constitutives de circonstances aggravantes de la même infraction.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et ce ne serait pas constitutionnel ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ce cumul n’est pas envisageable en droit, car il serait contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
Nous avons réservé un sort identique aux amendements visant à préciser, de bonne foi, mais à l’excès, la définition du viol et des autres agressions sexuelles. Bien que l’intention de leurs auteurs soit louable, nous nous devons de rappeler que la loi pénale est d’interprétation stricte.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous nous l’apprenez… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Tout ajout est de nature à limiter les marges de manœuvre du juge du fond, à l’empêcher de tenir compte de la diversité des situations auxquelles sont confrontées les victimes et, par voie de conséquence, à dégrader l’effectivité de la répression.
Enfin, nous avons émis un avis défavorable sur…