Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, l'assassinat de Carène Mézino, infirmière à Reims, dans le Grand Est, nous alertait avec horreur quant au fait que les lieux de soin n'étaient plus épargnés par la violence.

Il y a trois mois, un homme agressait un psychiatre et plusieurs infirmières au Nouvel Hôpital civil de Strasbourg.

Il y a deux mois, un homme menaçait de mort un médecin généraliste et dégradait son cabinet.

Depuis le début de l'examen de cette proposition de loi, nous avons souligné l'urgence de répondre à une violence qui s'installe insidieusement dans notre quotidien et frappe jusqu'à nos hôpitaux, nos cabinets médicaux, nos officines. Cette violence touche celles et ceux qui soignent, qui accompagnent, qui rassurent.

Ces actes ne sont ni des faits divers ni des accidents isolés ; ils sont devenus une réalité que l'on ne peut plus ignorer.

À ce titre, je veux redire ici combien nous saluons l'initiative du député Philippe Pradal et le travail mené au Sénat par la rapporteure Anne-Sophie Patru.

Ce texte n'est pas une réponse isolée. Il s'inscrit dans un effort plus large. Je pense notamment au plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé engagé par le Gouvernement.

La prise de conscience est désormais largement partagée. La libération de la parole, la médiatisation de certains drames et le travail des ordres professionnels ont permis de nommer ce que beaucoup vivaient sans le dire. Il revenait au législateur de prendre la mesure de cette réalité.

J'en viens aux dispositions de cette proposition de loi.

Mon groupe et moi-même sommes évidemment favorables à l'article 1er, qui étend à l'ensemble des professionnels exerçant dans les lieux de soins la protection prévue depuis 2003 pour les professionnels de santé. Cette extension était attendue. Désormais, la protection s'appliquera à tous les personnels employés par des prestataires extérieurs ou exerçant en libéral, dans des structures médico-sociales, dans des officines ou encore dans des laboratoires. Il s'agit d'une clarification indispensable pour reconnaître la diversité des acteurs exposés aux violences.

En ce qui concerne l'article 2, nous avions défendu la réintroduction du délit d'outrage, plutôt que celui d'injure ; c'est cette position qui a été retenue dans le texte final. Ce choix a une portée symbolique : il rappelle que l'outrage ne saurait être relativisé dès lors qu'il vise celles et ceux qui nous soignent. Cela envoie un signal fort. En effet, les agressions verbales, les menaces et les insultes ne relèvent plus de l'anecdote ; elles sont désormais pleinement qualifiées et réprimées.

Nous saluons également l'extension, à l'article 2 bis A, de la possibilité donnée aux ordres professionnels de se constituer partie civile lorsque l'un de leurs membres subit un outrage.

Soit dit en passant, ce dispositif n'est pas sans rappeler celui créé par la loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression, loi issue d'une initiative de notre ancienne collègue, devenue ministre, Nathalie Delattre.

Dans un contexte de sous-signalement des agressions, les mécanismes de ce type doivent être développés. En effet, la faculté de se constituer partie civile à la place d'un tiers facilite l'engagement des poursuites lorsqu'un professionnel victime hésite à porter plainte seul, ou se sent isolé dans sa démarche.

Cette dernière remarque vaut également pour l'article 3, qui élargit le droit de plainte par l'employeur, les ordres professionnels ou les URPS ; nous avons soutenu cette mesure.

Ces différents mécanismes permettront, je l'espère, de rompre la spirale du silence et de l'impunité. Ils traduisent un engagement clair : ne plus laisser un professionnel seul face à la violence. En les adoptant, nous envoyons aux établissements, aux directions et aux ordres un appel à la responsabilité en affirmant que les victimes ne sauraient porter sur leurs seules épaules le poids de leur propre protection.

De manière générale, on a su faire évoluer ce texte au fil des lectures, en restant fidèles à son esprit initial. On évite ainsi l'écueil d'une surenchère pénale, tout en répondant à une demande claire du terrain.

Cette proposition de loi est le fruit d'un dialogue constant entre l'Assemblée nationale et le Sénat, dont je salue la qualité.

Elle n'épuisera pas, à elle seule, la question de la protection des soignants. Elle ne réglera pas les causes profondes de la violence de notre société. Mais, sans être un remède miraculeux, elle apporte une réponse concrète, attendue et légitime.

Aussi, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'éprouve une réelle satisfaction au moment d'achever l'examen de cette proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

En effet, notre rapporteure Anne-Sophie Patru a veillé à ce qu'il ne subsiste dans ce texte que les mesures essentielles, qu'elle a tenu à sécuriser du point de vue juridique. Je tiens à l'en remercier.

Comme vous le savez, trop de professionnels de santé sont victimes d'insultes, de menaces ou d'agressions physiques. Cette situation est inacceptable. Aussi notre réponse pénale doit-elle être à la hauteur.

Malheureusement, le soutien qu'ont pu recevoir les soignants durant la période du covid-19 semble désormais bien loin. Selon l'Observatoire national des violences en milieu de santé, près de 21 000 actes de violence ont été commis en 2024 à l'encontre de professionnels de santé. Cela représente près de 55 faits par jours.

En outre, le nombre de signalements s'accroît : entre 2023 et 2024, il a augmenté de 6,6 % toutes professions confondues, et de 27 % pour les seuls médecins.

Bien sûr, ces chiffres ne prennent en compte que les faits signalés. Or bon nombre de victimes ne portent pas plainte, par découragement ou fatalisme face à une justice qui sanctionne souvent trop tard.

Quand bien même ils seraient en deçà de la réalité, ces chiffres suffisent à démontrer l'ampleur du phénomène dont sont victimes ces professionnels, qui ne font pourtant qu'exercer leur métier au service des autres.

Les drames que constituent le décès en mai 2023 de Carène, infirmière au CHU de Reims, après avoir reçu des coups de couteau, ou encore les attaques perpétrées en janvier 2025 contre 14 soignants d'un hôpital de Haute-Savoie nous rappellent les conséquences dramatiques de cette violence trop longtemps banalisée.

Comment ne pas faire le lien avec les agressions envers les élus, les forces de l'ordre, les enseignants ou même les pompiers ? Nous devons répondre à ce phénomène.

Les mesures que comporte ce texte constituent une base favorable pour renforcer la sécurité des professionnels de santé ; ainsi de l'élargissement du champ du délit d'outrage, ou encore de la qualification de circonstance aggravante quand la victime d'une agression sexuelle est un professionnel de santé.

Cette proposition de loi permet également aux employeurs des victimes, après avoir recueilli leur accord, de déposer plainte pour elles.

Enfin, nous avons veillé à instaurer le même degré de protection pour tout professionnel de santé, qu'il exerce dans un hôpital public ou en libéral. Pharmaciens, personnels de santé à domicile, laboratoires, maisons de santé : tous ces lieux de soins, toutes ces professions sont concernés.

J'espère que les dispositions que nous nous apprêtons à adopter amélioreront la prise en charge des signalements de violences et renforceront la sécurité des professionnels de santé. Bien sûr, ce texte ne résoudra pas à lui seul le problème. Nous devons apporter une réponse plus globale, qui repose sur une meilleure coordination des acteurs – de la police, de la justice – et sur une application rigoureuse des lois et des dispositifs existants.

En outre, nous devons continuer à prévenir la violence dès l'enfance et travailler sur les conditions d'exercice des professionnels concernés, notamment à l'hôpital.

Cette proposition de loi réaffirme le soutien que les élus et la société apportent aux soignants. Le groupe Union Centriste la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon le baromètre 2025 de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), la santé psychologique des soignants est extrêmement préoccupante.

Les soignants sont exposés à des situations de stress spécifiques ; leur charge de travail entraîne notamment un sentiment de ne pas faire convenablement son travail. Les incivilités, voire les violences physiques qu'ils subissent constituent un facteur très important de tension psychologique, notamment pour les femmes.

Ainsi, 75 % des soignants estiment que leur volume de travail est trop important et 59 % d'entre eux déclarent avoir tellement de travail qu'ils ne peuvent pas tout faire convenablement. À cela s'ajoutent des facteurs de stress organisationnel et de stress spécifique lié aux violences commises à leur encontre : 54 % des soignants sont confrontés à des situations de violences au travail, 41 % font face à l'incivilité de certains patients, voire, pour 30 % d'entre eux, à une agressivité physique.

La proportion de professionnels de santé disant subir des situations de violence au travail est de vingt points supérieure à celle des autres salariés. Il existe donc une prévalence des violences dans le secteur de la santé. Celle-ci touche en premier lieu les aide-soignants : 66 % d'entre eux rencontrent souvent au moins un type de situation violente dans l'exercice de leur pratique.

La commission mixte paritaire a trouvé un accord sur cette proposition de loi, qui traduit les mesures d'ordre législatif du plan interministériel pour la sécurité de nos professionnels de santé.

Nous espérons que ce texte apportera une réponse à l'insécurité des professionnels exerçant dans le secteur de la santé, même si nous demeurons sceptiques quant à l'efficacité de la surenchère répressive.

Les violences commises par des patients envers des accompagnateurs en psychiatrie, aux urgences ou dans les Ehpad sont souvent le fait de personnes juridiquement irresponsables. Aggraver les sanctions, comme le fait ce texte, n'aura aucune conséquence en la matière.

Pour réduire les violences commises sur les professionnels, il faudrait s'attaquer aux racines du problème, c'est-à-dire aux dysfonctionnements du système de santé.

Selon le rapport de Jean-Christophe Masseron et Nathalie Nion sur les violences à l'encontre des professionnels de santé, « les difficultés du système de santé, qui ne sont malheureusement pas nouvelles, potentialisent et acutisent aujourd'hui la problématique des violences en santé ».

Face aux insultes, aux outrages, aux dégradations, aux destructions, aux vols ou aux agressions physiques, nous devons a minima nous assurer que les directions des établissements garantissent aux victimes protection et soutien.

L'article 3 bis A, issu d'un amendement déposé par le Gouvernement en séance publique, tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel en rétablissant dans son intégralité le régime de la protection fonctionnelle des agents publics. Mon groupe avait déposé, en première lecture, un amendement en ce sens, qui avait été déclaré irrecevable. Aussi nous félicitons-nous aujourd'hui que l'article 3 bis A redonne une base légale à la protection fonctionnelle des agents de la fonction publique hospitalière.

En conclusion, le groupe CRCE-K votera pour ce texte.

Mme la présidente. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

6

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (proposition n° 504, texte de la commission n° 732, rapport n° 731).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, après des mois de travail, des mois d'auditions et de débats de qualité, nous voici au terme d'un chemin parlementaire qui honore l'Assemblée nationale, le Sénat et, au-delà, la République tout entière.

À l'instant où vous allez vous prononcer sur ce texte important, je veux, au nom du Gouvernement, mesurer la portée de cet acte législatif. En effet, cette proposition de loi, qui vise à inscrire explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol, n'est pas un nouveau texte technique et juridique ; les débats parlementaires ont permis de souligner qu'elle est avant tout un texte de civilisation, d'humanité et, surtout, d'espoir.

La justice française s'est construite dans des moments où la loi s'est élevée pour dire, avec force, ce qui ne saurait plus être toléré. Ce texte s'inscrit dans la droite ligne de ces grandes avancées. Il répond à un tabou, il brise le silence, il nomme ce que des victimes ont vécu dans l'incompréhension et, parfois, la solitude.

À la lumière de drames récents, la société française a ouvert les yeux sur l'ampleur et la banalité de certaines violences. Le procès des viols de Mazan, le courage de Gisèle Pelicot, la mobilisation des associations et la libération de la parole invitent l'ensemble de la représentation nationale à agir, à légiférer.

Ce texte est le fruit d'un travail parlementaire exemplaire, transpartisan, mené avec rigueur par les délégations aux droits des femmes, les commissions des lois et l'ensemble des groupes politiques des deux chambres.

Je veux saluer ici l'engagement de Dominique Vérien, d'Elsa Schalck, et de tous ceux qui ont pris part à ce combat, sans esprit partisan, avec pour unique volonté de faire progresser le droit et la justice.

Jusqu'à présent, notre code pénal définissait le viol par quatre critères : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il ne disait rien du consentement. Cette omission aurait pu sembler anodine, mais elle a eu de lourdes conséquences. Le débat a été âpre pour déterminer s'il convenait d'intégrer cette notion dans la loi, dans la mesure où certaines associations y étaient défavorables.

Grâce au travail de ma collègue Aurore Bergé, dont je salue l'engagement, de la Chancellerie, dont je remercie les équipes, et du Parlement, en lien avec la société civile, vous allez voter pour mettre fin à cette ambiguïté. En effet, ce texte affirme clairement que le consentement est la pierre angulaire de la liberté sexuelle.

Désormais, la loi dira que le viol est un acte sexuel commis sans consentement, que ce consentement doit être libre, spécifique, préalable et révocable, et qu'il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de résistance.

Ce texte opère donc un renversement : plutôt que de scruter un comportement, de disséquer des gestes, des paroles, ou des silences, il s'agit désormais d'interroger.

Ce changement de paradigme est décisif. Il met fin à un système dans lequel le doute profitait trop souvent à l'agresseur, la victime devant prouver qu'elle avait eu la volonté de résister et qu'elle l'avait « suffisamment », si je puis dire, démontré.

Nous espérons tous que cette nouvelle donne recentrera le débat judiciaire, et notamment les procès, sur l'essentiel : la volonté ou non d'obtenir un accord explicite, libre et éclairé. Elle devrait permettre à la justice de mieux protéger, de mieux dissuader et de mieux éduquer.

Je tiens ici à rassurer les professionnels du droit, les magistrats, les enquêteurs de la police et de la gendarmerie : ce texte n'impose pas une preuve impossible à obtenir ; il ne contractualise pas la sexualité ; il ne remet en aucun cas en cause l'indispensable présomption d'innocence.

Simplement, il clarifie le raisonnement judiciaire pour donner des repères à la justice en vue d'apprécier, au cas par cas, la réalité du consentement.

À cet égard, je salue l'amendement adopté par la commission des lois du Sénat tendant à substituer la notion de « contexte » à celle de « circonstances environnantes » pour apprécier le consentement. Le Gouvernement aurait émis un avis de sagesse sur un tel amendement, mais il est entendu qu'il est nécessaire de tenir compte du contexte pour caractériser l'existence ou non du consentement.

Au-delà de son caractère répressif, je crois, comme Aurore Bergé, que cette proposition de loi a surtout une vocation éducative. Elle dit à toute la société, formellement, qu'aucun acte sexuel ne peut être imposé ; que le consentement ne se présume pas, mais s'interroge, se recherche, se recueille, se reçoit, se respecte.

Ce texte doit irriguer le plus largement possible notre culture commune et nos mœurs, au travers de l'éducation et de la formation – en particulier, il faut bien le dire, celles des hommes. Il doit nous conduire à nous questionner sur ce que nous souhaitons transmettre aux générations futures, à nos enfants, aux jeunes garçons comme aux jeunes filles, sur la liberté, le désir, le respect du corps de l'autre et de son propre corps et, de manière générale, sur la beauté de l'amour et l'échange que représente l'acte sexuel.

Ce texte nous permet d'inscrire pleinement notre droit dans le cadre posé par la convention d'Istanbul, de répondre aux recommandations du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Grevio) et de tenir notre place dans la diplomatie féministe voulue par le Président de la République.

Il prolonge l'engagement de la France pour la protection des mineurs, contre l'inceste, contre la prostitution des enfants, contre toutes les formes de violences sexuelles qui touchent les plus faibles. Il donne à la France la capacité de défendre, sur la scène internationale, une définition exigeante du consentement, conforme à nos valeurs. Il s'inscrit dans la continuité des grandes lois contre les violences sexistes et sexuelles, pour lesquelles des femmes et des hommes se sont si longtemps battus.

En tant que garde des sceaux, je sais la nécessaire prudence qu'impose toute modification de notre droit pénal. Je veux dire à la société que ce texte n'est qu'une étape. Il appartient désormais aux magistrats et aux enquêteurs de le faire vivre, sous le contrôle attentif du Parlement, qui ne manquera pas d'évaluer les effets de l'important travail qu'il a réalisé.

Je veux saluer la détermination de tous et remercier les parlementaires, ainsi que le Conseil d'État, qui nous a accompagnés, avec vigilance, dans l'élaboration de ce texte. Je remercie également les éducateurs, les soignants, les enquêteurs, les magistrats, tous les professionnels du droit qui, chaque jour, sur le terrain, accompagnent les victimes, préviennent les violences, font vivre la justice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant ce texte, vous allez écrire une page importante de notre histoire pénale, faire honneur à la République et dire, avec force, que la liberté sexuelle est un droit fondamental, que le respect de l'autre est la condition première de toute civilisation et que la présomption d'innocence doit être absolument garantie.

Je vous invite donc à adopter ce texte, à porter haut cette exigence de clarté pour faire triompher la liberté sur la violence et la justice sur le silence.

Je vous remercie une nouvelle fois, madame la ministre, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre travail équilibré et de l'écoute que vous avez toujours eue pour les arguments juridiques. Ce travail, le vote qui interviendra dans quelques instants, j'en suis sûr, le consacrera. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le consentement est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles. Il est une évidence, qui aurait dû s'imposer depuis toujours.

Pourtant, il reste un concept volontairement déformé, caricaturé. Pourquoi ? Parce qu'il heurte des habitudes, des croyances ; parce qu'il dérange.

Il dérange, car il est intrinsèquement lié à une réalité que l'on préférerait mettre à distance. Cette réalité, occultée par les clichés, là voici : dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur, celui qui abuse, celui qui viole. Je répète : neuf fois sur dix ! L'agresseur n'est pas un inconnu tapi dans l'ombre ; il est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami, un collègue.

Cette proximité brouille les frontières et nourrit des doutes insupportables : « Pourquoi n'a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s'est-elle pas débattue ? Pourquoi n'a-t-elle rien dit plus tôt ? »

Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique.

Parce que la peur, la sidération, la honte, le contrôle coercitif, les violences psychologiques, les abus d'autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles, qui paralysent, qui peuvent paralyser longtemps.

Parce que l'absence de cri, de lutte ou de résistance n'a jamais établi un consentement.

Parce que le silence d'une victime n'est jamais un consentement.

Parce que ne pas dire non ne veut pas dire oui.

Nous vivons un moment charnière. Le procès de Mazan en est le symbole ; Gisèle Pelicot en offre le visage : celui d'une femme debout.

Gisèle Pelicot était droguée par son mari pour être vendue à des inconnus recrutés sur internet, qui la considéraient « comme une poupée de chiffon, un sac poubelle ». Pendant dix ans, son corps a été un terrain vague, son existence un cauchemar méthodiquement et chimiquement orchestré.

Ils ont été cinquante et un ; cinquante et un hommes ; cinquante et un visages terriblement ordinaires. Ce sont des voisins, des collègues, des pères de famille ; ce sont de ces hommes que nous croisons chaque jour, preuve que l'horreur a un visage familier.

Quand l'heure de répondre de leurs actes est venue et qu'il leur a fallu se rendre au tribunal, ils se sont présentés masqués, cachés sous des capuches ou des cagoules. Avaient-ils honte d'eux-mêmes ou simplement honte d'avoir été interpellés ?

Ce procès nous oblige. Il doit y avoir un avant et un après Mazan. Nous n'avons plus le droit de détourner le regard. Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu'elle est, avec ses violences, ses silences et ses complicités.

Nous devons nous hisser à la hauteur du courage de Gisèle Pelicot et de toutes celles qui ont porté plainte, mais aussi de toutes celles qui hésitent, de toutes celles qui renoncent par peur de l'épreuve du traitement judiciaire.

Nous devons donc redoubler d'efforts : si nous avons progressé au cours des dernières années pour mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux, si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d'accompagnement, ainsi que notre arsenal juridique, si nous avons commencé à graver dans la loi l'absence de consentement, le combat n'est pas pour autant terminé.

En inscrivant dans notre code pénal, par la loi du 21 avril 2021, le seuil de 15 ans, en deçà duquel il ne peut jamais y avoir de consentement, nous avons clarifié le travail de la justice.

Avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas comprendre ce qu'on lui suggère ou ce qu'on lui impose.

Avant 15 ans, un enfant ne peut pas consentir. C'est « non », c'est toujours « non ». Il s'agit là d'un interdit absolu, et il ne peut en être autrement.

Aujourd'hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant une vérité simple, incontestable et inaltérable : consentir, ce n'est pas ne pas dire non. Consentir, c'est dire oui : un oui explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté.

Il ne s'agit pas de caricaturer cette exigence, en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle. Il s'agit de protéger, de reconnaître et de rendre justice, car le viol n'est ni une fatalité ni un malentendu. Le viol est un crime : un crime qui brise, qui mutile et qui anéantit.

En la matière, nous avons une responsabilité historique.

Cette avancée législative majeure répond pleinement à un engagement formel du Président de la République. Elle bénéficie, en outre, du soutien constant de tous les membres du Gouvernement, et notamment de M. le garde des sceaux.

Je me réjouis aussi de l'engagement des parlementaires de tous horizons qui défendent cette avancée avec force et conviction, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Je tiens à rendre hommage au travail remarquable des députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, dont la mission et le rapport d'information ont joué un rôle décisif.

Je salue aussi l'engagement du Sénat dans ce combat. En témoignent le colloque organisé sur le sujet par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, en novembre 2024, et la mission commune que cette même délégation a menée avec la commission des lois sur la prévention de la récidive du viol, dont les conclusions ont été présentées le mois dernier.

De même, je salue l'engagement sincère des deux rapporteures de la Haute Assemblée, toujours alliées sur ces sujets (Mmes les rapporteures sourient.), Elsa Schalck et Dominique Vérien.

Les travaux parlementaires, conjugués à l'avis éclairé rendu, dans de brefs délais, par le Conseil d'État, ont permis d'aboutir à une écriture qui rassure, encadre et sécurise.

Aujourd'hui, cette proposition de loi vous donne l'occasion d'inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental, principe de justice et de dignité : le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.

Il doit être libre, parce qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit en fausser la nature. Une femme qui craint de perdre son emploi, une jeune fille face à son entraîneur, une femme sous l'emprise d'un conjoint violent peut-elle réellement dire non ?

Il doit être éclairé : comment consentir si l'on est droguée, soumise, ivre, en situation de vulnérabilité ou placée dans un rapport d'autorité ?

Il doit être spécifique, pour que nul ne puisse détourner son sens. Consentir à un acte n'est pas consentir à tous les actes, et le droit des contrats ne saurait justifier un quelconque droit de disposer du corps d'autrui.

Enfin, il doit être préalable et révocable, car personne ne doit être enchaîné par un consentement accordé une fois. Dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours, et le droit de dire non à tout moment doit être respecté.

J'ajoute que le consentement doit toujours être apprécié dans son contexte. Une relation hiérarchique, une dépendance économique, un climat de peur ou de manipulation sont des éléments qui ne peuvent être ignorés.

Ce n'est qu'en mettant en lumière les stratégies de coercition que nous pourrons démasquer ceux qui exploitent la vulnérabilité des autres.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le combat contre toutes les formes de violences exige une réponse juridique globale, structurée et ambitieuse. C'est pourquoi – il s'agit là d'une première – nous avons créé un groupe de travail parlementaire réunissant l'ensemble des forces politiques représentées à l'Assemblée nationale et au Sénat, sans exclusive, sans tabou, sans calcul partisan.

Avec des députés et des sénateurs de tous bords, nous travaillons à l'élaboration d'une loi-cadre contre les violences sexuelles et intrafamiliales, que les victimes soient majeures ou mineures. Je tiens d'ailleurs à remercier celles et ceux d'entre vous qui prennent part, très activement, à ce chantier.

Nous l'avons constaté une nouvelle fois hier, lors de la quatrième réunion de ce groupe de travail : face aux violences sexuelles, l'unité est à la fois souhaitable et possible. Pour éradiquer ce fléau, nous savons faire République.

M. le garde des sceaux l'a dit, au-delà des textes de loi, c'est un changement de culture que nous devons opérer, collectivement.

La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattue par chacune et chacun d'entre nous, tout le temps et à tous les niveaux.

Elle est là chaque fois qu'une victime est réduite au silence, chaque fois qu'un agresseur est excusé, chaque fois qu'un « non » est interprété comme un « peut-être ».

Elle est là quand on apprend à nos filles qu'elles doivent avoir peur et se méfier au lieu d'apprendre à nos garçons qu'ils doivent les respecter ; quand on insinue que les vêtements, l'attitude ou l'heure tardive justifient l'injustifiable et qu'après tout la victime « l'a bien cherché ».

Mettre fin à cette culture, c'est éradiquer ces mécanismes de domination. C'est éduquer. C'est refuser la complaisance et le déni. C'est dire clairement que la honte est du côté, non pas des victimes, mais de ceux qui violent ; de ceux qui minimisent ; de ceux qui détournent le regard et qui laissent faire, complices.

Aujourd'hui, nous pouvons faire un pas décisif vers une véritable culture du consentement.

Le présent texte ne changera évidemment pas tout, et nous devrons continuer de lutter contre toutes les formes de violence. Mais il peut marquer un tournant.

Il nous revient aujourd'hui de réaffirmer haut et fort que le corps des femmes leur appartient ; qu'aucun homme ne peut jamais prétendre avoir un droit sur lui ; que ce qui compte, ce n'est pas ce que l'agresseur croit, mais ce que la victime veut. Et cela, c'est déjà une révolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)