Sommaire
Mme Alexandra Borchio Fontimp.
Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur
Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur
Renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
(À suivre)
Présidence de M. Loïc Hervé
vice-président
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Alexandra Borchio Fontimp.
1
Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur
Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l'enseignement supérieur (texte de la commission n° 657, rapport n° 656).
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu moins d'un an, le 26 juin 2024, la commission de la culture adoptait les conclusions de la mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.
Cette mission, dont j'ai eu l'honneur de conduire les travaux aux côtés de Bernard Fialaire, avait révélé une réalité préoccupante : la banalisation progressive de l'antisémitisme dans nos universités, l'insuffisance des dispositifs de prévention existants et le sentiment d'abandon ressenti par de nombreux étudiants juifs.
Le 10 octobre dernier, nous déposions une proposition de loi visant à traduire les recommandations de cette mission. Le 20 février 2025, ce texte était adopté à l'unanimité par le Sénat, avant d'être voté par l'Assemblée nationale le 7 mai. Le 27 mai, en commission mixte paritaire, un accord a été trouvé entre les deux chambres, à l'unanimité moins une voix.
Permettez-moi de vous exprimer ma grande satisfaction de voir ce cheminement arriver à son terme. À rebours d'un débat public dans lequel beaucoup se sont fourvoyés, cette unanimité parlementaire constitue un signal fort et nécessaire.
La rédaction qui vous est présentée conserve toutes les modifications de fond adoptées par le Parlement avec l'avis favorable du Gouvernement. Elle enrichit chacun des trois piliers du texte.
L'article 1er généralise à tous les établissements d'enseignement supérieur l'obligation d'assurer une formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine.
L'article 2 renforce les obligations de prévention et de signalement. Il impose notamment la désignation d'un référent antisémitisme dans chaque établissement et la mise en place de dispositifs de signalement anonyme ; il oblige également les présidents d'université à rendre compte annuellement des actions menées.
L'article 3 modernise le régime disciplinaire en précisant les sanctions applicables aux actes antisémites et en renforçant les procédures de poursuite.
Cette rédaction reflète l'équilibre défendu par le Sénat.
Contrairement à ce que nous avons parfois pu entendre, le texte ne vise pas à hiérarchiser les différentes haines, ce qui serait absurde et contre-productif. Ses dispositions bénéficieront à la lutte contre l'ensemble de ces dérives, qui bien souvent se nourrissent mutuellement.
Dans le même temps, il reconnaît une place singulière à la lutte contre l'antisémitisme. Par son ancienneté et son ancrage dans notre civilisation, par les formes qu'elle a prises et qui continuent d'évoluer, cette haine est spécifique et doit être reconnue en tant que telle pour être véritablement combattue.
Si des données précises restent difficiles à établir en raison de l'insuffisance, que nous déplorons, des dispositifs de signalement, les témoignages recueillis lors de nos travaux révèlent une réalité alarmante : de nombreux étudiants juifs déclarent avoir envisagé de dissimuler leur identité par crainte de discriminations. Cette situation, qui illustre l'ampleur du phénomène, est inacceptable dans la République française. Quand des étudiants renoncent à fréquenter certains lieux et à participer à certains débats par crainte pour leur sécurité, l'essence même de l'université est menacée.
Je salue l'engagement de tous ceux qui ont œuvré à l'adoption du texte : le président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, Laurent Lafon, qui a su reconnaître l'urgence de travailler sur ce sujet ; mon collègue rapporteur Bernard Fialaire ; les rapporteurs de l'Assemblée nationale, Constance Le Grip et Pierre Henriet, qui ont fait preuve d'un esprit de coconstruction remarquable ; enfin vous, monsieur le ministre, qui avez contribué à enrichir le volet disciplinaire du texte.
Je salue plus généralement l'esprit de concorde qui a régné dans notre assemblée. Cette démarche collective illustre ce que peut accomplir le Parlement quand il s'empare avec responsabilité de sujets qui engagent l'avenir de notre société.
Ce texte ne permettra évidemment pas de faire face à toutes les difficultés. Il s'agit toutefois d'un indispensable jalon pour refuser que le poison de l'antisémitisme s'insinue plus longtemps dans nos universités, qui doivent redevenir pleinement des lieux de débat contradictoire et d'ouverture humaniste. Ce qui se joue au travers de cette lutte contre l'antisémitisme, c'est la capacité de notre société à préserver son caractère ouvert, pluraliste et démocratique.
Je vous engage donc, mes chers collègues, à voter pour l'adoption des conclusions de la commission mixte paritaire, ce qui permettra l'application de cette loi dès la prochaine rentrée universitaire. En agissant aujourd'hui, nous enverrons un message clair : la République ne transige pas avec l'antisémitisme et l'université française demeurera un espace de liberté et de dignité pour tous ses enfants. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un mois à l'Assemblée nationale, quatre mois au Sénat, je me présentais devant la représentation nationale pour apporter mon soutien à la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.
C'est pour moi un plaisir, probablement l'un des plus grands de ces derniers mois, de revenir dans cet hémicycle pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, qui marque l'aboutissement d'un processus législatif dont nous pouvons tous reconnaître la haute tenue.
Je remercie MM. les rapporteurs Levi et Fialaire d'avoir porté ce texte, après le travail fouillé qu'ils avaient fourni pour l'élaboration de leur rapport d'information, ainsi que les députés Constance le Grip et Pierre Henriet, qui ont fait un grand travail comme rapporteurs à l'Assemblée nationale. Je remercie enfin tous les parlementaires qui ont permis d'enrichir cette proposition de loi depuis les premières discussions au Sénat.
Le vote unanime de la Haute Assemblée était déjà un signal très fort envoyé à tous les étudiants de France, juifs ou non. L'accord auquel est parvenue la commission mixte paritaire est une nouvelle étape importante pour reconnaître le phénomène de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur et y apporter des réponses appropriées.
Ce texte législatif – j'en suis profondément convaincu – permettra de doter d'outils supplémentaires le ministère et les présidents d'université. Il vient compléter un ensemble de mesures que je soutiens avec force et constance depuis six mois.
En effet, comme vous le savez, la France vit actuellement un moment de hausse préoccupante des actes à caractère antisémite, qui n'ont malheureusement pas épargné le monde universitaire.
C'est pourquoi, dès mon arrivée, j'ai agi de manière résolue, en ayant recours aux outils à ma disposition pour le suivi et la punition des actes identifiés, mais aussi en mobilisant les ressources propres du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est-à-dire la formation et l'approche scientifique des phénomènes observés.
Sur le plan disciplinaire, mon discours n'a pas varié : aucune tolérance n'est envisageable face à des actes antisémites. Je me suis appuyé sur les recteurs pour obtenir des remontées rapides et précises de tous les signalements depuis l'ensemble du territoire. La coopération avec les autres ministères a aussi été déterminante : mes collègues ministres de l'intérieur et de la justice, conscients de l'enjeu, se sont pleinement engagés pour permettre un traitement rapide des signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.
Ces mesures de suivi et de signalement étaient absolument nécessaires. Elles répondaient au besoin exprimé par les représentants de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), que j'avais reçus dès les premières semaines de mon ministère.
Néanmoins, il m'a paru important de ne pas en rester là. Au-delà des chiffres, des signalements et de la gestion au cas par cas, il faut comprendre comment il se fait que nous observions, de nos jours, une telle résurgence de l'antisémitisme dans les universités et l'enseignement supérieur.
Cette interrogation m'a conduit à lancer le mois dernier, avec la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, un programme de recherche sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. En effet, la recherche a beaucoup à nous apprendre sur ce qui est à l'œuvre, et que nous ne pouvons pas nous contenter de regarder avec stupéfaction.
Comme vous le voyez, depuis six mois, le ministère a joué son rôle. Pour autant, ce texte nous permettra d'agir plus efficacement.
Il permet de réelles avancées, d'une part sur le signalement des actes, avec l'installation de référents « racisme et antisémitisme » dans les établissements au travers de la mission « égalité et diversité », d'autre part sur l'obligation de formation, pour les membres du conseil académique notamment. Le ministère travaillera à une offre en ce sens à l'échelle nationale.
Je souhaiterais également revenir sur une des améliorations importantes permises par ce texte : la mise en place de sections disciplinaires interacadémiques. Je tiens, une fois encore, à saluer le travail parlementaire qui a permis de faire figurer cette disposition dans le texte, sur l'initiative du sénateur Stéphane Piednoir, puis de l'y conserver dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Cette disposition répond à une demande très forte de l'écosystème de l'enseignement supérieur, en particulier des présidents d'université. Elle traduit aussi les recommandations du rapport de Khaled Bouabdallah et Pierre-Arnaud Cresson à propos de l'adaptation des procédures disciplinaires. Ces dernières seront beaucoup plus rapides et efficaces.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez comme moi que l'antisémitisme qui touche l'université ne lui est pas spécifique. Nous ne réglerons d'un coup ni l'erreur, ni l'ignorance, ni la violence trempée dans la bêtise et les préjugés.
Marc Bloch nous avait mis en garde : « L'erreur ne se propage, ne s'amplifie, ne vit enfin qu'à une condition : trouver dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable. En elle, inconsciemment, les hommes expriment leurs préjugés, leurs haines, leurs craintes, toutes leurs émotions fortes. »
Toutefois, nous pouvons réagir, nous pouvons contribuer à prévenir l'erreur et à la corriger. Le texte qui vous est soumis aujourd'hui nous y invite. Vous pouvez compter sur mon engagement et sur celui de l'ensemble de mon ministère pour faire vivre ses dispositions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue d'abord sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur
Chapitre Ier
Formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans les établissements d'enseignement
Article 1er
Le code de l'éducation est ainsi modifié :
1° Après la quatrième phrase de l'article L. 121-1, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Ils assurent une formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. » ;
1° bis À la première phrase du 3° de l'article L. 123-2, les mots : « les discriminations » sont remplacés par les mots : « l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine » ;
2° À la deuxième phrase du neuvième alinéa de l'article L. 721-2, les mots : « les discriminations » sont remplacés par les mots : « l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine » ;
3° Le chapitre Ier du titre VI du livre VII est complété par un article L. 761-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 761-2. – Les établissements d'enseignement supérieur assurent une formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. » ;
4° L'article L. 811-3-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils reçoivent à ce titre une formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. »
Chapitre II
Prévention, détection et signalement des faits d'antisémitisme, de racisme, de discrimination, de violence et de haine survenant dans l'enseignement supérieur
Article 2
I. – Le livre VII du code de l'éducation est ainsi modifié :
1° L'article L. 712-2 est ainsi modifié :
a) Les deux premières phrases du 10° sont ainsi rédigées : « Il installe, sur proposition conjointe du conseil d'administration et du conseil académique, la mission “égalité et diversité” prévue à l'article L. 719-10. Il présente chaque année au conseil d'administration un rapport sur l'exécution du plan pluriannuel en matière d'égalité entre les femmes et les hommes et sur l'activité de la mission “égalité et diversité”, qui rend notamment compte des actions menées par l'université en matière de lutte contre l'antisémitisme et le racisme et des signalements recueillis. » ;
b) (Supprimé)
2° La section 4 du chapitre IX du titre Ier est ainsi rétablie :
« Section 4
« Lutte contre les faits d'antisémitisme, de racisme, de discrimination, de violence et de haine
« Art. L. 719-10. – Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel créent en leur sein une mission “égalité et diversité” chargée de la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine.
« Ils veillent à ce que la mission “égalité et diversité” dispose des moyens humains et financiers nécessaires à son fonctionnement.
« Au sein de la mission, un référent qualifié est exclusivement chargé de la prévention, de la détection et du traitement des faits d'antisémitisme et de racisme.
« Art. L. 719-11. – La mission “égalité et diversité” assure le fonctionnement d'un dispositif de signalement des faits d'antisémitisme, de racisme, de discrimination, de violence et de haine garantissant l'anonymat des victimes et des témoins. Les signalements sont recueillis par des personnes disposant d'une qualification, d'une formation ou d'une expertise reconnue. Ils sont transmis au président ou au directeur de l'établissement et font l'objet d'un traitement statistique.
« Tout membre du personnel ayant connaissance d'un fait d'antisémitisme, de racisme, de discrimination, de violence ou de haine survenu dans ou en dehors de l'établissement, ayant un lien avec la vie universitaire, le signale sans délai auprès du dispositif mentionné au premier alinéa.
« Le président ou le directeur de l'établissement fait procéder dans les meilleurs délais au retrait des affichages, inscriptions, emblèmes et installations à caractère antisémite, raciste, discriminatoire ou incitant à la haine ou à la violence manifestement visibles des personnels et usagers de l'établissement.
« Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement le bilan quantitatif et qualitatif des signalements de faits d'antisémitisme et de racisme recueillis par le dispositif mentionné au premier alinéa. Ce bilan, établi le cas échéant à partir du rapport prévu à l'article L. 712-2, précise en particulier le nombre de signalements recueillis, la nature des faits signalés, les suites données et les mesures de prévention engagées.
« Art. L. 719-11-1. – Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel assurent la diffusion auprès de leurs usagers et personnels d'une information claire et accessible sur l'existence et le fonctionnement de la mission “égalité et diversité” mentionnée à l'article L. 719-10 ainsi que du dispositif de signalement mentionné à l'article L. 719-11. Cette information précise la possibilité pour les victimes et les témoins de bénéficier de l'anonymat.
« Art. L. 719-11-2. – Les modalités d'application de la présente section sont fixées par décret. » ;
3° Le chapitre II du titre III est complété par un article L. 732-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 732-4. – La section 4 du chapitre IX du titre Ier du présent livre est applicable aux établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général. » ;
4° L'article L. 771-12 est ainsi modifié :
a) À la fin de la deuxième phrase, les mots : « entre les hommes et les femmes” » sont remplacés par les mots : « et diversité” prévue à l'article L. 719-10 » ;
b) Après le mot : « universitaires », la fin de la troisième phrase est ainsi rédigée : « et sur l'activité de la mission “égalité et diversité”, qui rend notamment compte des actions menées par l'université en matière de lutte contre l'antisémitisme et le racisme et des signalements recueillis. » ;
c) Après la même troisième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il présente également un rapport sur l'évaluation de la situation professionnelle des personnes auxquelles l'université a délivré le diplôme national de doctorat au cours des cinq années précédentes. »
II et III. – (Supprimés)
Chapitre III
Procédure disciplinaire
Article 3
Le code de l'éducation est ainsi modifié :
1° L'article L. 712-6-2 est ainsi modifié :
a) Après la troisième phrase du dernier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il précise les modalités de formation des membres de la section disciplinaire à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. » ;
b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de violence ou de faits d'antisémitisme, de racisme, de discrimination ou d'incitation à la haine, toute personne s'estimant lésée par les agissements de l'enseignant-chercheur ou de l'enseignant poursuivi et s'étant fait connaître est informée de l'engagement de poursuites disciplinaires, de leur déroulement et de leur issue, selon des modalités précisées par décret en Conseil d'État.
2° Le second alinéa de l'article L. 811-5 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il précise également les modalités de formation des membres à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. » ;
2° bis Après le même article L. 811-5, il est inséré un article L. 811-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 811-5-1. – Dans chaque région académique, une section disciplinaire commune aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel est créée par le recteur.
« Elle est présidée par un membre de la juridiction administrative. Elle comprend des représentants de l'administration des établissements, des représentants du personnel enseignant et des représentants des usagers.
« Elle peut être saisie par le président ou par le directeur de chaque établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel de la région académique. Elle exerce alors, en lieu et place de la section disciplinaire prévue à l'article L. 811-5, le pouvoir disciplinaire à l'égard des usagers.
« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article. Il précise notamment la composition de la section disciplinaire commune, qui respecte la parité entre les hommes et les femmes, les modalités de désignation des membres et ses règles de fonctionnement. » ;
3° L'article L. 811-6 est ainsi modifié :
a) Au début, sont ajoutés neuf alinéas ainsi rédigés :
« I. – Sont passibles d'une sanction disciplinaire tous faits constitutifs d'une faute disciplinaire, notamment :
« 1° La méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires relatives à la vie universitaire ou du règlement intérieur de l'établissement ;
« 2° La fraude ou la tentative de fraude ;
« 3° Les faits de violence ou de harcèlement ;
« 4° Les faits d'antisémitisme, de racisme, de discrimination ou d'incitation à la haine ou à la violence ;
« 5° Les faits susceptibles de porter atteinte à l'ordre ou au bon fonctionnement de l'établissement.
« Les faits commis en dehors de l'établissement sont passibles d'une sanction disciplinaire lorsqu'ils présentent un lien suffisant avec l'établissement ou les activités qu'il organise.
« II. – Pour les faits mentionnés aux 3° à 5° du I, afin d'assurer la protection d'une ou de plusieurs personnes ou de l'établissement ou si les faits reprochés à l'usager sont constitutifs d'un trouble à l'ordre public au sein de l'établissement, le président ou le directeur de l'établissement peut décider d'interdire l'accès de l'usager à tout ou partie des enceintes et locaux de l'établissement dont il a la charge, aux horaires qu'il détermine, jusqu'à l'issue de la procédure disciplinaire. Cette interdiction est assortie de mesures permettant d'assurer la continuité de la formation de l'usager.
« Pour les faits relevant des 3° et 4° du même I, toute personne victime des agissements de l'usager poursuivi et s'étant fait connaître est informée de l'engagement de poursuites disciplinaires, de leur déroulement et de leur issue, selon des modalités précisées par décret en Conseil d'État. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ce décret précise également les mesures d'interdiction d'accès aux enceintes et locaux qui peuvent être décidées par le président ou le directeur de l'établissement à l'encontre des usagers faisant l'objet d'une procédure disciplinaire, ainsi que les pouvoirs d'investigation dont dispose le président ou le directeur pour l'établissement des faits susceptibles d'être portés à la connaissance du conseil académique constitué en section disciplinaire. »
Article 3 bis
(nouveau) (Supprimé)
Chapitre IV
Application outre-mer
Article 4
Le code de l'éducation est ainsi modifié :
1° Le tableau du second alinéa du I de l'article L. 165-1 est ainsi modifié :
a) La treizième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 121-1 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
b) La vingt-sixième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 123-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
2° Les articles L. 166-1 et L. 167-1 sont ainsi modifiés :
a) Le tableau du second alinéa du I est ainsi modifié :
– la huitième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 121-1 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
– la douzième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 123-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
b) Le troisième alinéa du 5° du II est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ils assurent une formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. » ;
3° Le tableau du second alinéa du I de l'article L. 775-1 est ainsi modifié :
a) La treizième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
« |
L. 712-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
|
L. 712-3 |
Résultant de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 |
» ; |
a bis) La seizième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 712-6-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
b) Après la quarante-troisième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
L. 719-10, L. 719-11 et L. 719-11-1 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
c) La quarante-huitième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 721-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
d) Après la quatre-vingtième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
L. 761-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
4° Le tableau du second alinéa du I des articles L. 776-1 et L. 777-1 est ainsi modifié :
a) La treizième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
« |
L. 712-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
|
L. 712-3 |
Résultant de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 |
» ; |
a bis) La seizième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 712-6-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
b) Après la quarante-cinquième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
L. 719-10, L. 719-11 et L. 719-11-1 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
c) La cinquantième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 721-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
d) Après la quatre-vingt-unième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
L. 761-2 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
5° Le tableau du second alinéa du I des articles L. 855-1, L. 856-1 et L. 857-1 est ainsi modifié :
a) La cinquième ligne est ainsi rédigée :
« |
L. 811-3-1 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
» ; |
b) Les septième et huitième lignes sont ainsi rédigées :
« |
L. 811-5 et L. 811-6 |
Résultant de la loi n° … du … relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur |
|
L. 821-1 à L. 821-4 |
Résultant de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 |
» |
Articles 5 à 7
(nouveaux) (Supprimés)
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d'aucun amendement.
Le vote est réservé.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Laure Darcos. « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir ! » Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces propos d'Émile Zola, dans sa Lettre à la jeunesse, datent de 1897. Près de cent trente ans plus tard, ils sont encore d'actualité.
Malgré la monstruosité qu'a été la Shoah, l'antisémitisme est bien vivace et même profondément enraciné dans notre pays. Il s'est fait une place de premier plan dans de nombreuses universités occidentales, qui sont devenues le théâtre d'actes ignobles contre nos compatriotes de confession juive.
À l'évidence, le pogrom perpétré par les terroristes du Hamas le 7 octobre 2023 a donné à l'antisémitisme une dimension nouvelle, en ravivant l'instrumentalisation du conflit israélo-palestinien. Au sein de l'université, neuf étudiants de confession juive sur dix ont été confrontés à des actes antisémites.
La réalité est glaçante : les agressions physiques, le harcèlement, les messages insultants sur les réseaux sociaux, le refus d'accueillir des étudiants juifs dans des groupes de travail, voire de les côtoyer dans les amphithéâtres, et les bousculades dans les couloirs sont une bien cruelle réalité.
Or ni la violence ni les discriminations n'ont leur place dans l'enseignement supérieur. L'université doit demeurer un lieu de débat et d'échanges, où la raison l'emporte sur toute autre considération.
Bien entendu, rien ne doit nous empêcher de critiquer la politique menée par Benyamin Netanyahou, qui a fait de Gaza un champ de ruines et un tombeau à ciel ouvert. Les souffrances des Gazaouis, affamés et régulièrement déplacés à l'intérieur de leur propre territoire, nous émeuvent profondément.
Dans ce contexte de guerre au Moyen-Orient, désormais élargie à l'Iran, La France insoumise et ses relais d'extrême gauche dans le milieu étudiant emploient sans complexe la pire rhétorique antisémite. C'est pourquoi la proposition de loi examinée aujourd'hui n'est pas seulement un texte important : c'est une nécessité et une urgence absolues.
Permettez-moi tout d'abord de saluer nos collègues Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire, dont le travail rigoureux dans le cadre de la mission d'information sur la multiplication des actes antisémites dans les universités a été décisif pour l'inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour.
Je souligne aussi la qualité des échanges approfondis que nous avons eus au sein de la commission mixte paritaire dont le Sénat examine aujourd'hui les conclusions. Malgré les manœuvres dilatoires de certains, visant à dénaturer le texte en gommant les spécificités liées à l'antisémitisme, nous sommes parvenus à un accord fidèle à l'esprit qui avait guidé les travaux du Sénat.
La commission mixte paritaire a ainsi conservé les mesures emblématiques adoptées par notre chambre pour prévenir, détecter et poursuivre les actes d'antisémitisme.
Néanmoins, ne soyons pas dupes. Le problème de l'antisémitisme « d'atmosphère », pour reprendre une expression du rapport de MM. Levi et Fialaire, ne se réglera pas au travers d'une simple proposition de loi, aussi ambitieuse et juste soit-elle. Il faudra une prise de conscience collective. Tout doit être fait pour lutter contre les préjugés et les représentations faussées de nos compatriotes juifs. En aucun cas nos étudiants ne doivent être les victimes expiatoires de la fuite en avant organisée par l'extrême gauche, qui n'hésite pas à flatter les plus bas instincts dans une perspective de mobilisation électorale, pour les prochaines élections locales et nationales.
Ensemble, agissons pour fortifier les valeurs républicaines et conforter le pacte social ! La France sera toujours plus forte que les tentatives de déstabilisation et de fracturation organisées par certains mouvements s'inscrivant dans une logique de rupture et de confrontation. La France sera toujours plus forte que l'antisémitisme et la division.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à soutenir sans réserve le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, comme le fera le groupe Les Indépendants que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui à cette tribune. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, notre vieux pays ne fut pas épargné par l'antisémitisme au cours de sa longue histoire. Il n'en demeure pas moins qu'il fut également, dans le passé, érigé en modèle pour les juifs dispersés dans le monde : « Heureux comme Dieu en France », disait-on dans les ghettos du Yiddishland.
Désormais, ce modèle est malmené, au nom d'un relativisme venu d'outre-Atlantique, au nom aussi de ressorts nouveaux qui ont, sinon supplantés, du moins dépassé un antisémitisme ancien, et ce au cœur même de l'université.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 91 % des étudiants juifs se disent victimes d'actes antisémites, 45 % ont subi des injures et 7 % ont été physiquement agressés en raison de leur confession. Quelque 91 % de ces jeunes Français craignent d'aller à l'université ou s'y rendent la boule au ventre, constamment sur le qui-vive.
Ils s'interrogent in fine sur leur place dans la Nation, car, au-delà même des actes recensés, se propage également un antisémitisme d'atmosphère qui s'installe sur de nombreux campus. Il est fait de harcèlement insidieux, de blagues répétées et de tags anonymes.
Il fallait réagir, et réagir fermement.
Avec cette proposition de loi, sur laquelle un accord a été trouvé en commission mixte paritaire, la première pierre de l'édifice d'une action plus globale et plus forte est posée. J'en remercie, du fond du cœur, Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire.
Au vu de la gravité des faits rapportés, nous aurions pu croire, après l'adoption de ce texte à l'unanimité par le Sénat en première lecture, que son parcours législatif serait une formalité. Il n'en fut rien ! À l'Assemblée nationale, il n'y eut pas de consensus, mais des débats clivants ; pas de consensus, mais la volonté méthodique de noyer la lutte contre l'antisémitisme parmi toutes les formes de discrimination et de racisme ! Cette méthode indécente se fonde sur une rhétorique finement rodée, dont nous avons pu être témoins en commission mixte paritaire.
C'est pourquoi je tiens à le réaffirmer à cette tribune : oui, il existe une spécificité intrinsèque à l'antisémitisme ; non, nous ne pouvons mettre sur le même plan la lutte contre les discriminations ou les violences sexuelles, aussi légitime soit-elle, et la lutte contre l'antisémitisme, tout simplement parce que cela n'est pas du même ordre. L'antisémitisme est pour une société la pire des alertes, le signal qui annonce le triomphe de l'obscurantisme.
Nous devons donc mettre des mots sur les actes. Oui, l'antisémitisme est étroitement lié, aujourd'hui, à la montée de l'islamisme dans notre pays ! Oui, il existe un lien entre wokisme, islamisme et antisémitisme ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Oui, l'antisémitisme est alimenté par des forces politiques qui foulent aux pieds les principes républicains et font régner la terreur sur certains campus ! Oui, si la politique de l'État d'Israël peut et doit être critiquée, comme son gouvernement, l'État juif est bien le seul au monde dont on revendique la disparition ! Là se trouve le nouveau visage de l'antisémitisme : derrière la haine d'Israël se cache bien la haine des juifs !
Il est impératif de mettre fin à cet engrenage et, s'il y a un lieu où il faut le faire, c'est bien l'université.
Là est tout le sens de cette utile proposition de loi : établir une nouvelle définition des motifs justifiant des poursuites disciplinaires ; inciter à sanctionner systématiquement les auteurs d'actes antisémites ; renforcer les relations entre directions et parquets ; créer une section disciplinaire commune aux établissements d'une région académique, conformément à l'amendement adopté sur l'initiative de notre collègue Stéphane Piednoir. Autant de mesures qui devraient permettre de rompre avec l'impuissance, que nous n'avons que trop ressentie lors de nos auditions, des autorités universitaires, lesquelles se contentent trop souvent de renvoyer vers les instances judiciaires, sans sanction interne.
Mes chers collègues, je me réjouis donc de l'issue positive qui se dessine pour cette utile proposition de loi. Si elle marque une étape, elle ne doit en rien être une finalité. Elle doit être le point de départ d'une action plus globale et plus forte, que seul le ministère pourra diligenter.
Vous pouvez compter sur notre soutien, monsieur le ministre. C'est ensemble qu'il faut combattre le poison de l'antisémitisme, qui n'est autre que le pire des cancers pour notre République.
Du fond du cœur, je souhaite ne plus jamais avoir à entendre, comme nous l'avons vécu pendant les auditions, des étudiants juifs, la boule au ventre et les larmes aux yeux, nous dire qu'ils se sentent mal dans notre pays, au cœur de notre République.
Les étudiants juifs, comme tous les juifs de France, ont pourtant toute leur place dans la République et dans nos universités. Ce sont des Français à part entière, qui ont autant que les autres le droit de vivre, d'étudier et de travailler ; voilà ce qu'il faut apprendre à l'université. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour ne jamais plus revoir de tels visages d'étudiants en larmes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Mme Samantha Cazebonne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines après la réunion, au Sénat, de la commission mixte paritaire et l'accord qui y a été trouvé, je me réjouis de voir aboutir ce texte important, dont les dispositions pourront ainsi être effectives dès la prochaine rentrée universitaire.
Notre pays connaît depuis quelques années, en particulier depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023, une nouvelle vague d'actes antisémites, qui est particulièrement visible dans l'enseignement supérieur.
Le Sénat a souhaité envoyer un signal clair et sans appel aux étudiants juifs comme aux auteurs de ces actes. Il l'a fait en reconnaissant la place particulière qu'occupe l'antisémitisme parmi l'ensemble des formes de racisme, de discrimination, de violence et de haine. Il l'a fait en témoignant de la peur bien réelle qui accompagne ces étudiants.
Il nous faut prendre collectivement conscience de la gravité de la situation. En 2024, le ministère de l'intérieur comptabilisait 1 570 plaintes pour des actes antisémites, alors qu'en 2022 elles étaient au nombre de 436. Nous savons que ces chiffres sont très probablement sous-estimés : les actes antisémites sont peu déclarés et les dispositifs de signalement ne sont pas assez performants. J'en veux pour preuve le fait que neuf étudiants juifs sur dix se déclarent victimes d'actes antisémites.
Aussi, il est nécessaire d'avancer sur cette question. Nos étudiants doivent pouvoir se sentir en sécurité à l'université.
À cette fin, cette proposition de loi donne aux établissements d'enseignement supérieur de nouveaux outils pour protéger leurs étudiants, sans toutefois porter atteinte à leur indépendance ; elle constitue en ce sens une avancée. Le groupe RDPI salue les travaux de la commission mixte paritaire, qui ont permis de maintenir les équilibres et les avancées salutaires proposées dans ce texte.
Pour conclure, je veux à nouveau remercier les auteurs de cette proposition de loi importante et saluer le travail de la commission mixte paritaire. Le groupe RDPI votera évidemment en faveur de ses conclusions, afin de protéger davantage nos étudiants, afin que l'enseignement supérieur soit un lieu d'ouverture, de débats et de lumières, et afin que chacun puisse apprendre et grandir intellectuellement dans un espace sûr. Ne baissons pas les bras face à l'obscurantisme ! (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre soutien. Je salue l'implication de tous ceux qui ont suivi, depuis le début, les travaux de la mission d'information sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, confiés à Pierre-Antoine Levi et moi-même, puis les nouvelles auditions auxquelles nous avons procédé au cours de l'élaboration de cette proposition de loi. Je vous remercie enfin, monsieur le ministre, de votre coopération et du soutien que vous apportez à ce texte.
La commission mixte paritaire a été conclusive, grâce à l'accord trouvé avec Constance Le Grip, présente aujourd'hui dans nos tribunes – je la salue – et Pierre Henriet, rapporteurs pour l'Assemblée nationale. Après l'adoption unanime de notre rapport d'information, puis, dans cet hémicycle, de la proposition de loi qui en était issue, il n'aura manqué qu'une seule voix en commission mixte paritaire. Cette voix manquante, comme les oppositions qui s'étaient fait jour à l'Assemblée nationale, confirme la nécessité de ce texte qu'ensemble nous avons défendu.
M. Laurent Lafon. Absolument.
M. Bernard Fialaire. Ce texte n'est pas une loi qui « réprime les étudiants mobilisés pour la Palestine », comme ont pu l'écrire ceux qui jouent un jeu dangereux, détournant le soutien légitime au peuple palestinien, d'abord par leurs propos ambigus, puis par des comportements qui confinent à l'antisémitisme.
Certaines réactions aux représailles de l'État d'Israël à la barbarie du 7 octobre ont dérapé vers des propos violents, des insultes et des intimidations envers les étudiants juifs ou supposés tels sur le simple fondement de leur nom. C'est précisément pourquoi notre commission, sur l'initiative de son président Laurent Lafon, a demandé un rapport d'information sur ce phénomène. Ce rapport est édifiant sur la situation que subissent les étudiants juifs.
Si la liberté d'expression, comme la liberté académique, doit être défendue sans faiblesse, il est des limites qui ne peuvent être franchies. Tous les racismes, discriminations, violences ou haines doivent être combattus, comme il est rappelé dans ce texte. Aussi, l'antisémitisme ne doit pas être exclu ou oublié parce qu'on le croirait, à tort, révolu, particulièrement à l'université, où l'on attendrait que des esprits éduqués et éclairés soient particulièrement sensibles à ce problème.
Nous ne devons pas céder à l'injonction de choisir entre la mémoire de la Shoah et celle du colonialisme, ou celle de l'esclavage et de ses crimes contre l'humanité. Il n'y a pas de hiérarchie dans l'horreur ; aussi, rien ne peut excuser les dérives antisionistes, lesquelles vont jusqu'à se confondre avec un antisémitisme nouveau. Celui-ci, à distinguer de l'antisémitisme primaire, réactionnaire et violent de l'extrême droite traditionnelle, est exploité à présent par une extrême gauche inconséquente, pour tenter de se rallier une frange radicalisée de la population.
M. Laurent Lafon. Très bien !
M. Bernard Fialaire. Notre texte, que je vous invite bien entendu à voter, se veut une réponse claire et mesurée aux besoins de sensibilisation à la lutte contre l'antisémitisme tout au long du parcours éducatif, de prévention, de détection et de signalement des actes antisémites, et d'adaptation de la procédure disciplinaire à la poursuite des faits d'antisémitisme, de racisme, de violence et de discrimination. L'actualité nous en rappelle encore chaque jour, hélas ! l'intolérable gravité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Laurent Lafon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un hasard du calendrier, le Sénat est appelé à se prononcer sur la version définitive de cette proposition de loi le lendemain de la parution du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui dresse un bilan particulièrement sévère de l'action des récents gouvernements en matière de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie.
Dans ce document, la CNCDH écrit : « alors que les actes racistes et antisémites n'ont jamais été aussi élevés, la réponse politique paraît inexistante ». Elle souligne en particulier l'absence de pilotage du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine jusqu'en avril 2024, ainsi que la récente vacance de six mois à la tête de la Dilcrah, tout cela au lendemain des attaques du 7 octobre 2023 et de la recrudescence des actes antisémites qu'elles ont suscités.
Le Sénat, notamment sa commission de la culture, a quant à lui pris la mesure de la situation en lançant dès le premier trimestre 2024 la mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, puis en inscrivant à l'ordre du jour la proposition de loi qui en est issue.
Je tiens à remercier les deux auteurs et rapporteurs de cette proposition de loi ; tout au long de cette année de travail, ils ont fait preuve de sérieux dans leur démarche et de détermination à parvenir à l'adoption de ce texte.
Nous avons ainsi mis en évidence l'inquiétant développement, dans les lieux de transmission du savoir, d'un « antisémitisme d'atmosphère », notion qui me paraît très bien décrire le phénomène diffus et difficile à combattre auquel nous faisons face.
Nous avons également préconisé d'organiser la lutte en trois volets – éducation, prévention et sanction – qui sont déclinés au fil des articles de la proposition de loi.
Au cours de la navette, des ajustements ont été proposés sur chacun de ces trois volets. À cet égard, je voudrais à mon tour saluer Constance Le Grip, corapporteure du texte à l'Assemblée nationale, et la remercier du travail qu'elle a mené dans un contexte beaucoup plus difficile qu'ici.
Certains de ces ajustements ont été retenus avec profit, notamment en ce qui concerne la rénovation du cadre disciplinaire.
Les enrichissements apportés au texte initial par le Sénat, sur l'initiative des rapporteurs, en commission, puis de Stéphane Piednoir, en séance, ont été complétés à l'Assemblée nationale par les rapporteurs et le Gouvernement.
Grâce à ce travail conjoint, la procédure disciplinaire et les mesures conservatoires qui seront à la main des présidents sont désormais définies et encadrées avec précision au niveau législatif.
Les victimes d'actes antisémites ou racistes, ou de violences sexistes et sexuelles, pourront par ailleurs voir leur dossier instruit avec la sérénité et le professionnalisme nécessaires, sous le contrôle d'un magistrat, dans le cadre des sections disciplinaires communes introduites par le Sénat.
Sur d'autres points, la position du Sénat, soutenue par les rapporteurs de l'Assemblée nationale, a prévalu ; je pense notamment au refus d'inscrire dans la loi la définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), ou encore à l'intitulé de la proposition de loi.
Des travaux récents ont d'ailleurs confirmé notre diagnostic sur deux aspects. Le rapport des Assises de lutte contre l'antisémitisme a souligné l'irréductible singularité de l'antisémitisme, qui ne peut être entièrement rapproché des autres formes de racisme. Il préconise par ailleurs un usage strictement opérationnel et pédagogique de la définition de l'IHRA.
Nous n'oublions pas, monsieur le ministre, les autres recommandations de la mission d'information, celles qui relèvent de votre pouvoir réglementaire ou de la compétence des établissements dans le cadre de leur autonomie.
Je pense notamment à la mise en place d'une structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme – vous y avez fait référence tout à l'heure –, que les rédacteurs du rapport des Assises appellent également de leurs vœux, ou encore à la désignation systématique au sein des universités de vice-présidents chargés de la lutte contre ces dérives, mesure qui fait ses preuves, semble-t-il, partout où elle est mise en place.
Mes chers collègues, nous faisons œuvre utile avec cette proposition de loi, qui aura des effets concrets sur l'organisation et la vie des établissements dès la rentrée universitaire prochaine.
En outre, la qualité et la sérénité des débats conduits dans cet hémicycle, ainsi que l'accord finalement trouvé entre les deux chambres du Parlement, permettent d'envoyer aux étudiants victimes et à nos concitoyens dans leur ensemble un indispensable message d'unité et de mobilisation des pouvoirs publics. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et RDSE, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Colombe Brossel et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous prononçons aujourd'hui sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.
Le constat est alarmant : notre pays fait face à une montée des paroles et des actes racistes et antisémites, créant un climat de haine et de rejet qui affecte directement le vivre-ensemble.
L'enseignement supérieur n'étant pas extérieur à la société, les universités ne sont pas épargnées par cette résurgence des violences antisémites et racistes, qui doit nous alerter toutes et tous. L'université, lieu d'apprentissage et d'ouverture, ne saurait devenir un espace de peur et d'exclusion.
Comme j'ai pu le dire lors de l'examen de ce texte en première lecture, nous sommes toutes et tous bien conscients du contexte dans lequel nous légiférons. Je le répète : lutter contre les amalgames, c'est lutter contre la montée de l'antisémitisme et du racisme.
Nous ne pouvons accepter que les juifs de France soient assimilés aux crimes de Benyamin Netanyahou. Relativiser les crimes commis envers des juifs, des Israéliens, c'est ne pas reconnaître aux juifs le statut de victimes.
Mettre les mots sur le génocide en cours à Gaza, se battre pour un État palestinien, demander des sanctions françaises et européennes face aux crimes commis par le gouvernement israélien, tout en reconnaissant le droit à la sécurité et à la souveraineté d'Israël dans le cadre des résolutions adoptées par l'ONU, ce n'est pas être antisémite.
Les mots ont un sens.
Cette proposition de loi permet des avancées. Comme en première lecture, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient une partie des mesures proposées.
Nous soutenons les outils mis en place pour prévenir, détecter et sanctionner les actes antisémites et racistes dans l'enseignement supérieur.
Nous soutenons l'inscription dans ce texte de références à la lutte contre « l'antisémitisme et le racisme, les discriminations, les violences et la haine », phénomènes qui – je le rappelle à mon tour, comme l'ont fait de nombreuses personnes lors des auditions que nous avons menées – doivent être abordés de manière non pas séparée, mais bien conjointe, pour être combattus le plus efficacement possible.
Cependant, à la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, certains points suscitent des questions, voire nous alertent.
Premièrement, l'incompréhension demeure quant au refus de la majorité sénatoriale, en commission mixte paritaire, de maintenir la référence au racisme dans l'intitulé du texte. En conservant cette référence, dans un objectif de clarté, de transparence et de cohérence avec le contenu du dispositif, nous aurions évité une certaine instrumentalisation des débats. Ce refus est un mauvais signe envoyé, alors même que ces derniers mois ont été marqués par une résurgence d'actes racistes et islamophobes – j'ai notamment une pensée pour Aboubakar Cissé et Hichem Miraoui, ainsi que pour leurs proches.
Deuxièmement, nous nous opposons fermement à l'ajout d'un alinéa sur les interdictions d'accès aux locaux universitaires. Ce point nous inquiète, bien qu'il soit passé relativement inaperçu dans le débat public. L'alinéa en question instaure un régime spécifique d'interdiction d'accès aux locaux, qui permettrait aux chefs d'établissement de frapper d'une telle mesure des étudiants faisant l'objet d'une simple procédure disciplinaire pour trouble à l'ordre public.
Ce glissement est préoccupant : il pourrait affaiblir les droits des étudiantes et étudiants, y compris ceux qui se sont simplement engagés dans des actions de mobilisation, des manifestations ou des blocages pacifiques, soit des formes d'expression politique et syndicale tout à fait légitimes dans le cadre universitaire.
Ce dispositif a été ajouté en commission mixte paritaire et nous n'avons à aucun moment eu l'occasion d'en débattre, ce qui est problématique ; nous nous inquiétons, en particulier, des raisons d'un tel ajout.
Enfin, nous déplorons la façon dont se sont tenus certains débats et la posture du Gouvernement vis-à-vis de ce texte. Je rappelle quelle fut notre indignation devant les propos entendus et les postures adoptées lors de l'audition de responsables d'université par notre commission, dans le cadre des travaux de la mission d'information dont ce texte est issu. Le débat dans notre hémicycle a néanmoins été constructif et les interventions des groupes politiques en séance se sont avérées mesurées. Je regrette qu'il n'en ait pas été de même à l'Assemblée nationale et dans certaines prises de position de membres du Gouvernement.
Plusieurs tentatives ont vu le jour pour intégrer dans la loi la définition de l'antisémitisme de l'IHRA, notamment via l'amendement défendu par Mme la députée Caroline Yadan ; or cette définition est rejetée par de nombreux organismes comme l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Ces différents points suscitent une inquiétude légitime quant à la mise en œuvre de ce dispositif dans le monde universitaire, notamment chez les étudiantes et les étudiants, ainsi que chez les chercheurs engagés sur les questions internationales.
Au regard de ces éléments, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a fait le choix de s'abstenir sur les conclusions de cette proposition de loi. Nous y invitent à la fois le parcours parlementaire de ce texte, certaines de ses dispositions et la manière dont le débat a été conduit.
La lutte contre l'antisémitisme, le racisme et les discours de haine doit se poursuivre avec détermination dans toutes les sphères de notre société. Le combat continue ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. David Ros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 20 février dernier, le Sénat adoptait à l'unanimité la proposition de loi visant à lutter contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. Puis, après l'examen du texte par l'Assemblée nationale en séance publique, le 7 mai dernier, au regard des nombreuses modifications adoptées par nos collègues députés, une commission mixte paritaire s'imposait.
Aussi ai-je participé à cette CMP, le 27 mai dernier, avec mon collègue Yan Chantrel, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; grâce au travail préparatoire des rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, ainsi que des présidents de commission – je salue Laurent Lafon –, elle s'est avérée conclusive. Le travail consensuel des deux chambres a permis de revenir globalement au texte voté au Sénat, non dénaturé de ses intentions initiales.
Le texte final qui nous est soumis ce matin est donc le fruit d'un long travail mené par les rapporteurs Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire, que je salue. Au nom de mon groupe et à titre personnel, je tiens à les remercier : dans la foulée de leur mission flash, ils ont travaillé sur cette proposition de loi avec la volonté d'auditionner toutes celles et tous ceux qui avaient été entendus au cours de leurs travaux d'information. Ils ont pris le temps nécessaire pour que les débats et les échanges puissent être libres et non faussés, en annonçant au préalable que le texte discuté serait amendable, si nécessaire. Et le même état d'esprit a prévalu durant la commission mixte paritaire : merci à tous les deux pour ce travail essentiel et exemplaire !
Essentiel, il l'est sans aucun doute, car le monde de l'éducation – en l'occurrence, celui de l'enseignement supérieur en général et de l'université en particulier – est un symbole universel : lieu du combat de la lumière face aux obscurantismes, il incarne la connaissance et la transmission. Cette valeur de symbole a rendu d'autant plus choquant le constat de l'explosion des actes antisémites au sein de l'enseignement supérieur ces derniers mois.
Ainsi, en 2024, 1 570 actes antisémites ont été recensés en France, contre 436 pour l'année 2022. En 2024, 192 actes antisémites ont été relevés dans le milieu scolaire et, en 2023, on comptait 78 signalements dans le seul enseignement supérieur.
Ces chiffres sont d'autant plus inacceptables, monsieur le ministre, que le plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine, dit plan Prado, fut lancé en janvier 2023 par des actions éducatives et préventives menées auprès du public scolaire et étudiant pour réduire les faits constatés.
Mais les attentats terroristes commis par le Hamas le 7 octobre 2023 ont démontré à quel point l'antisémitisme reste tapi dans l'ombre. Il ressurgit mécaniquement, nourri des ressorts de la haine, de la jalousie, de la bêtise humaine et de l'ignorance. Plus grave encore, il est alimenté par certains, qui occupent pourtant des fonctions publiques de premier plan, à des fins partisanes et électoralistes. Il y a là une plaie insupportable et un risque majeur pour notre République. La non-unanimité au sein de la commission mixte paritaire en est une triste illustration – une de plus. Comme le disait à juste titre Frantz Fanon, « quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous ».
Le texte vise, en trois articles, à mettre à la disposition des chefs d'établissement un arsenal législatif comprenant la formation à la lutte contre l'antisémitisme, à l'article 1er, la prévention, la détection et le signalement des actes antisémites, à l'article 2, et un encadrement juridique des procédures disciplinaires, à l'article 3.
Signalons par ailleurs que l'atmosphère des auditions, constructive et objective, a permis de retisser un lien de confiance avec des chefs d'établissement universitaire qui, malgré leur engagement quotidien – je tiens à le souligner –, avaient le sentiment d'avoir été injustement accusés de passivité, à tout le moins par certains.
Le travail législatif de l'Assemblée nationale a apporté au texte des changements tout à fait louables, notamment une modification de l'intitulé et l'ajout de mentions inscrites dans le code de l'éducation. Oui, l'objectif de cette proposition de loi est bien de lutter contre l'antisémitisme, le racisme ainsi que les diverses discriminations et la haine. Cependant, le titre retenu in fine, qui renvoie exclusivement à la lutte contre l'antisémitisme, est utile pour insister sur l'objet principal et spécifique de ce texte.
Mes chers collègues, l'adoption de cette proposition de loi permettra la création d'une section disciplinaire commune aux établissements d'une région académique et le prononcé d'une sanction disciplinaire pour les faits susceptibles de porter atteinte à l'ordre public ou au bon fonctionnement de l'établissement, tout en garantissant – c'est important – la continuité pédagogique aux étudiants concernés. Nous serons par ailleurs vigilants à ce que les autres manifestations universitaires étudiantes puissent continuer d'avoir lieu et défendrons sans relâche les libertés académiques.
La mise en œuvre de ce texte permettra enfin le renforcement de la prévention et du signalement, via l'obligation pour chaque établissement de nommer un référent spécifiquement chargé de la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.
Je conclurai en levant tout suspense : le groupe socialiste, que j'ai l'honneur de représenter, votera les conclusions de la commission mixte paritaire et ainsi se prononcera pour l'adoption de cette proposition de loi. Nous veillerons par ailleurs à ce que les moyens alloués aux universités, au-delà de leur dotation propre, permettent de rendre cette loi pleinement efficiente. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Être juif en France aujourd'hui, c'est être seul » : ainsi s'exprimait M. Paul Bernard dans une tribune récemment publiée par un grand quotidien du soir. Il y déplorait que son mal de vivre fasse écho, plus d'un siècle plus tard, au constat accablant de Charles Péguy, qui écrivait, dans Notre jeunesse : « C'est pas facile d'être juif », ajoutant : « Quand ils demeurent insensibles aux appels de leurs frères, aux cris des persécutés, aux plaintes, aux lamentations de leurs frères meurtris dans tout le monde, vous dites : C'est des mauvais juifs. Et s'ils ouvrent seulement l'oreille aux lamentations qui montent du Danube et du Dniepr vous dites : Ils nous trahissent. C'est des mauvais Français. »
Péguy écrivait ces lignes en 1910, quatre ans après la réhabilitation du capitaine Dreyfus et deux ans après la tentative d'assassinat dont ce dernier fut victime lors de la cérémonie du transfert des cendres d'Émile Zola au Panthéon. L'auteur des coups de feu, le journaliste antisémite et nationaliste Louis Grégori, reçut le soutien de l'Action française, qui estimait légitime de « punir deux traîtres ». Inculpé de tentative d'homicide volontaire avec préméditation, il fut acquitté.
Vinrent ensuite les lois antisémites de Vichy, la Shoah et, il y a bientôt vingt mois, les pogroms du 7 octobre. Aujourd'hui, M. Paul Bernard affirme qu'en France la haine antisémite « tranquille » devient une « pensée dominante » partout, et malheureusement aussi dans les amphithéâtres des universités. Dénonçant l'isolement croissant des juifs en France, il lance cet appel : « Il ne dépend que des autres, de tous les Français, de leur main tendue ou refusée, que cette solitude soit abolie. »
Avec le présent texte, nous répondons avec humilité à cet appel. Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité d'une mission d'information qui a établi, de manière incontestable, l'accroissement sans précédent des actes antisémites, manifestes ou latents, dans les universités.
La reconnaissance de cette situation insupportable s'incarne dans le titre même du texte, où le Sénat a tenu à conserver seul le terme « antisémitisme » lors de l'examen en commission mixte paritaire. Ce choix, certes symbolique, est une marque de respect que nous devons aux étudiants juifs : une distinction à la fois compassionnelle, réparatrice et mobilisatrice.
Dans les trois principaux articles du texte, la lutte contre l'antisémitisme est systématiquement associée à celle contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine.
J'ai lu avec consternation que ce texte serait une « criminalisation des voix de la paix » ou que son article 3 ouvrirait la voie à des « sanctions arbitraires contre les étudiants mobilisés pour la Palestine ». Comment peut-on confondre ces deux sujets, lutte contre l'antisémitisme et engagement pour la Palestine, sinon en supposant que chaque étudiant juif est forcément complice des crimes commis par le gouvernement de Benyamin Netanyahou à Gaza ? Déduire les opinions d'un individu de sa confession supposée, c'est une forme de racisme et une forme d'antisémitisme. (Très bien ! au banc des commissions. – M. le ministre hoche la tête en signe d'approbation.)
Il n'existe pas de définition de l'antisémitisme dans le droit français, et ce texte n'en propose pas. Seule la loi du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, en donne un contenu indirect, en sanctionnant notamment la négation des crimes contre l'humanité tels que définis à l'article 6 du statut du tribunal international militaire annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, dit statut de Nuremberg, en particulier la Shoah et les lois antisémites du régime de Vichy. Le Front national a toujours réclamé l'abrogation de cette loi, et un candidat à l'élection présidentielle, Éric Zemmour, a considéré qu'elle portait atteinte à la liberté d'expression.
Cette proposition de loi ne changera pas les mentalités. Mais je suis intimement persuadé qu'il est possible de lutter contre les préjugés antisémites par une meilleure connaissance de leurs ressorts et par un effort accru en faveur des études sur les cultures juives, qui constituent une part essentielle de l'histoire de notre nation. Je regrette qu'en 2023, monsieur le ministre, lesdites études juives ne soient plus représentées que dans trois centres de recherche en France. Seules six thèses ont été soutenues dans ce champ cette année-là, contre seize en 2010.
Monsieur le ministre, pour prolonger l'esprit de cette loi, il serait utile de mettre en œuvre une politique nationale ambitieuse en faveur des études juives. (Applaudissements.)
M. le président. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi dont la commission a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Union Centriste et, l'autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 327 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l'adoption | 326 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
2
Renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers (proposition n° 571, texte de la commission n° 726, rapport n° 725).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, madame la ministre chargée de l'autonomie et du handicap, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le parcours des élèves en situation de handicap et, plus généralement, des élèves à besoins éducatifs particuliers est un sujet majeur.
Tout commence à l'école : c'est là que se jouent l'avenir de tous les enfants, leur accès au savoir, à l'autonomie, à l'épanouissement.
Le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, est engagé avec détermination, depuis 2017, en faveur de l'inclusion des élèves en situation de handicap.
En 2017, nous accueillions 320 000 élèves. Ils sont 520 000 aujourd'hui.
En 2017, 2 milliards d'euros étaient consacrés à l'école inclusive. Aujourd'hui, ce sont 4,5 milliards d'euros, soit plus du double, qui sont investis pour accompagner la progression du nombre d'élèves à besoins particuliers scolarisés.
Cet engagement massif a permis d'étendre le maillage des unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) : on compte plus de 11 000 de ces dispositifs aujourd'hui, répartis de façon équilibrée entre premier et second degrés, au bénéfice de plus de 124 000 élèves.
Cet effort se poursuit, avec la création de 300 dispositifs Ulis supplémentaires chaque année, en veillant à renforcer leur présence notamment dans les lycées professionnels, pour garantir à chaque jeune une formation et une insertion adaptées.
Dans le cadre de la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, nous avons également mis en place des unités d'enseignement maternelle et élémentaire autisme (UEMA et UEEA), en lien étroit avec le secteur médico-social. Ces unités sont désormais présentes dans chaque département.
Nous menons aussi un effort constant pour soutenir nos élèves, grâce à un recrutement massif d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), dont le nombre est passé de 93 000 en 2017 à 143 000 en 2024.
Cette politique repose sur une action résolue, associant mise en place de dispositifs ciblés, outils de suivi personnalisés et attention renforcée à la formation et aux conditions de travail des personnels éducatifs. Elle repose également sur une collaboration étroite avec les familles et sur une coordination renforcée entre temps scolaire et périscolaire, pour assurer la continuité des parcours.
Cette proposition de loi est utile. Elle vise à répondre aux défis persistants soulignés dans le rapport de la Cour des comptes intitulé L'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, publié en septembre 2024.
Parmi ces défis, nous pouvons citer : des démarches administratives complexes pour les familles ; des coordinations encore insuffisantes entre l'éducation nationale et le secteur médico-social ; un besoin d'outils renforcés pour les enseignants et les accompagnants ; enfin, une accessibilité des locaux et des supports pédagogiques encore inégale.
Nous partageons ces constats. C'est pourquoi nous travaillons étroitement avec le ministère chargé de l'autonomie et du handicap.
Si les dispositions de la proposition de loi sont, pour certaines, de nature réglementaire, ce texte peut nous permettre des avancées structurantes. Je pense notamment aux pôles d'appui à la scolarité (PAS).
L'article 1er vise à renforcer le suivi individualisé, par la généralisation du livret de parcours inclusif (LPI). Des progrès notables ont été réalisés depuis le dépôt de la proposition de loi, en octobre 2024 : le nombre de ces livrets est passé de 309 000 à 450 000.
Le livret de parcours inclusif, application numérique dédiée, centralise toutes les informations sur le parcours de l'élève, ses besoins et les aménagements mis en œuvre. Il propose plusieurs plans adaptés à la nature des besoins, allant de difficultés passagères à des troubles reconnus par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
En élargissant le livret à tous les élèves rencontrant des difficultés, nous évitons toute stigmatisation et assurons un suivi fluide d'une classe à l'autre, d'un établissement à un autre.
Aujourd'hui, 70 % des livrets ouverts concernent le premier degré. Les familles peuvent désormais accéder au livret via un système d'information spécifique, tandis que les MDPH peuvent y déposer les projets personnalisés de scolarisation.
Cette dynamique de déploiement témoigne d'une forte appropriation de l'outil par les équipes éducatives et les partenaires, ce dont je me réjouis.
Toutefois, pour garantir l'équité territoriale, assurer la continuité des parcours et inscrire durablement le LPI dans le fonctionnement de l'école inclusive, sa généralisation doit être confortée par une base législative claire.
Voter cet article, c'est donner un ancrage juridique à un outil déjà largement éprouvé, en sécurisant son usage, en affirmant son caractère structurant dans l'accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers et en permettant une montée en charge cohérente et progressive à l'échelle nationale.
Nous répondrions ainsi à un impératif d'efficacité, de simplification pour les familles et de coordination entre les acteurs.
L'article 1er garantit également la pleine reconnaissance des AESH comme membres à part entière de l'équipe pédagogique. De fait, ces 140 000 personnels jouent un rôle essentiel pour les 330 000 élèves qu'ils accompagnent avec beaucoup d'engagement.
L'article 3 crée les pôles d'appui à la scolarité, expérimentés, cette année scolaire, dans quatre départements préfigurateurs.
Les premières évaluations réalisées par la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) sont très encourageantes.
Ainsi, 3 300 élèves ont bénéficié d'un appui par le PAS, principalement dans le premier degré, qui concentre les trois quarts des demandes, avec un délai de traitement moyen d'une douzaine de jours.
Qualitativement, le partenariat entre l'éducation nationale et le secteur médico-social est jugé fonctionnel. Les familles expriment globalement leur satisfaction et les PAS apportent des solutions concrètes pour éviter des ruptures de parcours, grâce à des réponses coordonnées en amont des notifications MDPH.
L'objectif est de garantir à chaque élève concerné un accompagnement adapté, lisible et mis en œuvre dans des délais compatibles avec les exigences de la scolarité, dans le respect du principe d'égalité d'accès à l'école pour tous.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce texte nous permettra d'aller plus loin ensemble, au service d'une école véritablement inclusive et fidèle à notre exigence républicaine d'égalité et de fraternité.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l'autonomie et du handicap. Monsieur le président, madame la ministre d'État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd'hui pour examiner la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers.
Avant toute chose, je tiens à remercier votre rapporteure, Mme Catherine Belrhiti, et l'ensemble des membres de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport pour le travail qu'ils ont réalisé sur cette initiative de la députée Julie Delpech.
Je veux saisir cette occasion pour redire devant vous mon soutien et celui de l'ensemble du Gouvernement aux familles et leur réaffirmer que notre objectif commun est avant tout l'épanouissement de tous les enfants et adolescents.
Je veux également remercier les acteurs de terrain, les élus, les associations, mais aussi les professionnels de l'éducation nationale et du secteur médico-social, ainsi que les services de l'État, de leur expertise, leur détermination et leur engagement quotidien.
Les enjeux de l'inclusion, d'autant plus lorsqu'ils concernent nos enfants, doivent dépasser les clivages politiques. C'est en ce sens que j'ai organisé, en mai dernier, une première réunion de travail législatif transpartisan sur le handicap, réunissant l'ensemble des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je réunirai à nouveau tous les groupes au début du mois de juillet, car c'est tous ensemble que nous pourrons continuer à avancer en faveur d'une société pleinement inclusive.
Depuis la loi fondatrice du 11 février 2005, qui a établi le droit de chaque élève à être scolarisé en milieu ordinaire, notre pays a accompli des avancées importantes en matière d'école inclusive. À l'époque, 150 000 élèves en situation de handicap étaient accueillis dans les établissements scolaires classiques ; aujourd'hui, ce chiffre atteint près de 520 000 élèves. Cette évolution illustre une transformation majeure dans notre manière de considérer le handicap et marque une réelle progression de l'école inclusive.
L'approche que nous défendons n'oppose en rien l'école au secteur médico-social. En revanche, elle place l'école en première ligne, avec un accompagnement progressif des professionnels du médico-social en fonction des besoins spécifiques de chaque enfant.
Avec la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, Élisabeth Borne, je partage la conviction que réussir l'inclusion scolaire exige un appui fort et structuré du médico-social au sein même de l'école.
Aussi, à chaque rentrée, nous consolidons les dispositifs communs, mobilisons davantage de ressources humaines et renforçons les appuis médico-sociaux pour mieux articuler et conjuguer les gestes professionnels des personnels de l'éducation nationale avec ceux du médico-social.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes ; ils traduisent des avancées concrètes pour les enfants et leurs familles, conformément aux engagements formulés par le Président de la République lors de la dernière Conférence nationale du handicap, laquelle est venue confirmer ces investissements, en accordant 400 millions d'euros supplémentaires à l'école inclusive, autant pour les enfants et 110 millions d'euros pour le repérage et l'intervention précoce.
Depuis 2017, ces efforts importants ont permis de renforcer les dispositifs et d'augmenter le nombre de solutions pour les élèves à besoins particuliers.
Ainsi, le nombre de dispositifs Ulis est passé de 8 620 en 2017 à plus de 11 000 aujourd'hui.
Quant aux AESH, acteurs essentiels de l'inclusion, leur nombre est passé de 55 000 équivalents temps plein (ETP) en 2017 à 85 000 aujourd'hui ; ils sont au total 140 000 professionnels.
Grâce à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (TND), 326 UEMA et 158 UEEA – il s'agit des unités externalisées d'appui aux enfants en situation d'autisme –, ainsi que plus de 100 professeurs ressources spécialisés dans les TND sont répartis entre les académies.
En outre, dans le cadre du plan « 50 000 solutions » annoncé par le Président de la République, nous poursuivons également la création de places en instituts médico-éducatifs (IME) et développons de nouvelles solutions pour accompagner les jeunes adultes qui sortent de ces derniers. D'ici à la fin de l'année 2025, 15 000 solutions nouvelles auront vu le jour, pour un investissement de 270 millions d'euros, dont près de 8 700 solutions à destination de nos enfants.
Cependant, comme j'ai eu l'occasion de le rappeler, le chemin reste exigeant. En effet, inclure un élève ne signifie pas seulement le scolariser : il faut aussi bien l'accueillir, l'accompagner, adapter les pratiques ! C'est tout le sens du plan de transformation de l'offre médico-sociale, qui permet à des professionnels d'intervenir directement dans les établissements scolaires et d'assurer une meilleure coordination des parcours.
C'est également dans cet esprit que s'inscrivent les pôles d'appui à la scolarité, qui illustrent cette coopération nouvelle entre l'éducation nationale et le secteur médico-social. Actuellement, 100 PAS ont commencé à fonctionner, et leur extension est en cours dans plusieurs territoires, comme La Réunion, la Meuse, le Vaucluse ou la Communauté européenne d'Alsace ; l'objectif est d'en déployer près de 500 à la prochaine rentrée. Chaque académie et chaque agence régionale de santé (ARS) en disposera.
Les 100 pôles d'appui à la scolarité qui existent aujourd'hui correspondent à 100 ETP d'enseignants supplémentaires et à 200 ETP du médico-social auprès des enfants et des enseignants.
Les 400 PAS supplémentaires qui seront mis en œuvre à la prochaine rentrée scolaire représenteront 400 nouveaux ETP d'enseignants et 800 ETP du médico-social.
Pour la rentrée scolaire de 2026, 400 millions d'euros sont prévus pour le médico-social, au service des quelque 3 000 PAS qui seront répartis sur l'ensemble du territoire.
Dans la phase de préfiguration, afin d'évaluer la pertinence des pôles d'appui à la scolarité, plusieurs évaluations ont été conduites. Des données quantitatives ont été récoltées et de nombreux entretiens avec les différents protagonistes ont été réalisés, qui ont démontré tout l'intérêt des PAS, qui permettent de mieux articuler les métiers.
La présente proposition de loi vient compléter ces dispositifs pour l'école inclusive.
L'inscription dans la loi du livret de parcours inclusif pour chaque enfant à besoins éducatifs particuliers, qui figure à l'article 1er, permettra ainsi de faciliter le suivi des besoins de l'enfant tout au long de sa scolarité.
Pour former davantage nos professionnels aux besoins éducatifs particuliers, l'article 3 prévoit, par ailleurs, que la formation initiale et continue des enseignants et des personnels administratifs et techniques porte également sur les adaptations pédagogiques aux besoins des élèves.
Enfin, l'article 3 bis B généralise les pôles d'appui à la scolarité pour accompagner les enfants et leurs familles dans la définition et la mise en œuvre d'aménagements spécifiques, pour mieux soutenir les enseignants et les accompagnants, pour aider à la formulation des demandes de compensation auprès des MDPH et pour mobiliser et coordonner les moyens matériels et humains de l'éducation nationale comme du médico-social.
Vous l'aurez compris, les dispositions qui figurent dans cette proposition de loi vont dans le bon sens. Elles nous engagent à continuer, à mieux faire, à aller plus loin, pour que chaque enfant ait pleinement sa place à l'école. (M. Laurent Burgoa applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre d'État, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pose le principe du droit de chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire.
En l'espace de vingt ans, de nombreux progrès ont été accomplis pour améliorer la scolarisation des enfants en situation de handicap. Je tiens, à cet égard, à saluer l'engagement des gouvernements successifs, qui se sont tous saisis de ce sujet.
Depuis 2006, le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a augmenté de 180 %.
Toutefois, l'école inclusive ne répond pas, aujourd'hui, aux attentes des élèves, des familles et des enseignants.
C'est dans ce contexte que s'inscrit le dépôt par notre collègue députée Julie Delpech de cette proposition de loi, qui vise à renforcer le parcours inclusif des élèves à besoins éducatifs particuliers.
Cette proposition de loi vise notamment à sécuriser et à faciliter le développement du livret de parcours inclusif, lequel doit renforcer le partage des informations entre les différents acteurs intervenant auprès de l'enfant. Il s'agit de l'un des engagements de la cinquième Conférence nationale du handicap.
Le texte initial comprenait également plusieurs dispositions visant à améliorer la formation des accompagnants d'élèves en situation de handicap, mais aussi des enseignants.
Il me semble important de préciser un point : si la commission a supprimé les articles en question, ce n'est pas parce qu'elle est opposée à un renforcement de cette formation, bien au contraire ! Nos travaux et recommandations le montrent. Toutefois, nous estimons que le Gouvernement n'a pas besoin d'un article de loi pour mettre en place cette formation accrue.
Madame la ministre, il s'agit d'un vaste chantier, auquel votre ministère doit mieux s'atteler.
J'en viens maintenant au cœur du texte : la transformation des pôles inclusifs d'accompagnement localisés, ou Pial, en pôles d'appui à la scolarité, ou PAS.
Au nom de la commission, je souhaite exprimer un regret sur les conditions dans lesquelles cette réforme majeure pour l'école inclusive a été examinée à l'Assemblée nationale.
L'article en question est issu d'un amendement déposé par le Gouvernement moins de trois heures avant le début de la séance publique, ce qui a empêché les députés membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'examiner en commission ou même de le sous-amender en séance.
Madame la ministre, si le Gouvernement n'est pas soumis au délai limite pour déposer ses amendements, je ne peux que vous enjoindre, au nom de la qualité des débats parlementaires, à nous laisser davantage de temps pour examiner vos amendements, notamment lorsqu'ils sont aussi structurants.
Les pôles d'appui à la scolarité apportent, selon moi, une réponse intéressante au défi de l'amélioration de l'école inclusive.
Leur périmètre d'action est plus large que celui des Pial, car ils incluent tous les élèves à besoins éducatifs particuliers.
Il me semble indispensable que la Nation accompagne davantage ces élèves, ainsi que les enseignants : aujourd'hui, 75 % de ces derniers indiquent rencontrer des difficultés avec des enfants désignés comme « perturbés » ou « à troubles de comportement ».
Les premiers retours d'expérience semblent montrer que les PAS améliorent les délais de réponse : en quelques jours, les familles et les enseignants ont un interlocuteur, et une première série de réponses est apportée dans un délai de quelques semaines à un mois. À titre de comparaison, le délai moyen pour l'examen d'un dossier par les MDPH est de 170 jours ; il peut même atteindre 250 jours dans certains départements.
Les enseignants des quatre départements concernés par les PAS préfigurateurs indiquent trouver une valeur ajoutée à ce système, grâce aux regards croisés de l'éducation nationale et du monde médico-social.
Une difficulté nous a été remontée s'agissant de la mise en œuvre par les PAS des premières réponses apportées. En effet, certains PAS prêtent des ordinateurs ou des stylos lecteurs à des élèves pour tester si cette solution leur convient. La difficulté survient justement lorsque le test est concluant et qu'il faut pérenniser cette aide matérielle : de fait, la prise en charge financière par l'État nécessite de passer devant la MDPH.
Il ne s'agit nullement de remettre en question le monopole de la MDPH pour l'évaluation du handicap et des besoins de l'enfant, mais il faudrait peut-être réfléchir à une procédure accélérée de notification pour les cas où le matériel testé convient à l'élève.
J'en viens aux craintes que les pôles d'appui à la scolarité suscitent. La commission de la culture les a entendues.
Le dispositif proposé par le Gouvernement pose un certain nombre de problèmes, raison pour laquelle nous l'avons modifié. Je le dis très clairement : les garanties que la commission a inscrites dans le texte sont des prérequis à toute mise en œuvre de cette réforme.
La première inquiétude concerne l'association effective du secteur médico-social.
Nous avons inscrit dans le texte le fait que chaque pôle doit être constitué de personnels de l'éducation nationale et du secteur médico-social. J'y insiste, car le croisement des regards avec le médico-social constitue, pour de nombreux enseignants, la valeur ajoutée du PAS.
La deuxième inquiétude a trait au transfert à l'éducation nationale de la définition du handicap. Tout comme vous, mesdames les ministres, j'ai reçu de nombreuses familles qui craignent que l'accompagnement de leur enfant en situation de handicap dépende non plus de ses besoins, mais des moyens de l'éducation nationale.
Là aussi, nous y avons répondu, en prévoyant que la mise en œuvre des notifications MDPH sera soumise à l'avis conforme d'un expert qualifié, spécifiquement désigné en fonction des besoins de l'enfant.
La troisième inquiétude porte sur la complexification de la saisine de la MDPH par les familles en cas d'obligation de saisir préalablement les PAS pour obtenir une réponse de premier niveau.
Nous avons supprimé cette obligation : il faut que les MDPH puissent être directement saisies.
Par ailleurs, nous avons fait de l'accompagnement des familles dans la préparation de leur dossier MDPH une mission à part entière des PAS, sans attendre l'échec de la réponse de premier niveau.
Reste la question des moyens. Je comprends les familles des enfants en situation de handicap qui redoutent que l'extension du périmètre des PAS à l'ensemble des enfants à besoins éducatifs particuliers se fasse à moyens constants, entraînant leur dilution.
Si ce n'est pas une raison suffisante à mes yeux pour rejeter le texte, cela fait peser sur le Gouvernement et sur vous-même, madame la ministre, un impératif moral : celui de donner des moyens suffisants à l'école inclusive, faute de quoi la création des PAS sera, au mieux, un coup d'épée dans l'eau et, au pire, la cause d'une dégradation de la prise en charge des élèves en situation de handicap.
Un nouvel échec, après celui des Pial, dont le rôle a, en définitive, été cantonné à la gestion des AESH, susciterait auprès des familles une très forte désillusion.
Nous attendons de votre part, à l'occasion de l'examen de ce texte, des engagements forts : il vous appartient de nous apporter des garanties fermes sur la mise en œuvre de cette réforme.
Mes chers collègues, de nombreux progrès quantitatifs ont permis de renforcer la scolarité des enfants en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers. Il est toutefois impératif de procéder à un saut qualitatif, face à une école inclusive aujourd'hui au bord de la rupture.
La présente proposition de loi est une tentative d'apporter plusieurs réponses. Son principal apport est de mieux prendre en charge tous les enfants à besoins éducatifs particuliers. Il s'agit d'une attente forte, tant des familles que des enseignants, aujourd'hui en souffrance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, madame la ministre d'État, madame la ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus de vingt ans, sous l'égide de Jacques Chirac, la France se dotait d'une grande loi sur l'égalité des droits et des chances, marquant une avancée majeure et ouvrant la voie à l'école inclusive.
Vingt ans après, des progrès immenses ont été réalisés dans tous les domaines de la vie, et l'inclusion est devenue l'une des composantes essentielles de nos politiques publiques.
Néanmoins, force est de constater qu'il demeure encore, naturellement, beaucoup à faire. S'agissant de l'école inclusive, nous devons tous faire preuve d'humilité.
Nous avons tous, à des degrés divers, exercé des responsabilités ; nous avons apporté des améliorations, mais nous n'avons jamais véritablement été au rendez-vous de cette ambition.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui y répond-elle ? J'en doute.
Le texte se résumait, à l'origine, à quelques mesures éparses : rapports, formations, stages, livrets de parcours inclusif… autant de mesures dont la portée n'est que très peu significative et qui relèvent du champ réglementaire et non de celui de la loi.
Le code de l'éducation n'est-il pas déjà suffisamment dense, complexe, obèse, pour qu'on l'épaississe encore par des alinéas prévoyant de simples remises de rapports ?
Le ministre n'est-il pas habilité à décider par lui-même, s'il le souhaite, de la distribution d'un livret de parcours inclusif aux élèves ?
A-t-il réellement besoin de l'aval du législateur pour décider de modules de formation supplémentaires dispensés aux professeurs ?
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr que non !
M. Max Brisson. J'en viens au cœur de cette proposition de loi, l'article 3 bis B, découvert trois heures avant le vote à l'Assemblée nationale, sans même avoir été examiné en commission.
Les Pial ayant été créé par la loi, leur transformation en PAS nécessitait de passer par la loi – Gabriel Attal avait déjà tenté de le faire en 2023, déjà par le biais d'un amendement de dernière minute.
Mesdames les ministres, cette méthode est pour le moins surprenante pour une décision qui mériterait étude d'impact et bilan chiffré !
Pis encore, le rôle du binôme constitué par le médico-social et l'éducation nationale, pourtant au cœur du projet, n'était à l'origine nullement précisé dans le texte. Or il est impératif que l'expertise réalisée par l'éducation nationale, avant l'intervention de la MDPH, soit certifiée et assurée par des personnels compétents, en particulier pour des handicaps tels que l'autisme, qui ne sont pas aussi visibles que d'autres.
Sur ce point, notre rapporteure, Catherine Belrhiti, a proposé une réécriture judicieuse, qui fixe clairement le rôle de chacun et dissipe ainsi le flou existant. C'est une excellente avancée.
D'autres amendements, dont nous allons débattre, visent à en préciser davantage encore les contours, avec le risque cependant que nous écrivions le règlement dans la loi, ce à quoi le texte initial nous contraint malheureusement.
Madame la ministre, la volonté d'anticiper, de prendre les devants et d'ouvrir les PAS à tous les enfants ayant des besoins éducatifs particuliers est compréhensible. Tous les enfants n'ont pas besoin d'une notification des MDPH, et les faire tous passer par ces organismes a engendré un engorgement, auquel s'ajoute le temps de réponse de l'éducation nationale aux notifications signifiées.
Toutefois, un écueil se profile : celui qui conduirait l'éducation nationale à profiter des PAS pour adapter l'école inclusive au nombre d'AESH dont elle dispose ; celui qui, finalement, la conduirait à établir un filtre face à la réalité, à mettre en place une détection pilotée par les moyens.
Même si nous considérons indispensable de faire preuve de responsabilité face à l'augmentation substantielle des budgets de l'école inclusive, victime d'un système dans lequel celui qui notifie ne paie pas, une réelle vigilance s'impose sur ce point.
À cet égard, je salue les amendements de notre collègue Cédric Vial, qui, pour y remédier, propose, entre autres, de définir un référentiel commun d'évaluation du handicap et des indicateurs de prescription pour cadrer les pratiques des MDPH.
Madame la ministre, si votre intention est louable, le véhicule d'une simple proposition de loi n'était pas adapté à l'ambition que nous devons avoir pour l'école inclusive.
M. Pierre Ouzoulias. Exactement !
M. Max Brisson. Notre pays mérite, sur le sujet, une grande loi, qui permettrait à la Nation de fixer enfin les missions qu'elle est en droit d'attendre de son école en matière d'inclusion.
Pour l'heure, je me félicite à nouveau que notre rapporteure ait réussi, par son excellent travail, à remettre sur les rails ce texte pour le moins bancal et à le mettre, à peu près, à la hauteur de l'enjeu.
Pour cette raison, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi, que nous veillerons à améliorer encore en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
(À suivre)