M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président Rapin, vous avez évoqué de nombreux sujets.
En ce qui concerne la simplification, vous connaissez l'ambition du Gouvernement. Nous ne pouvons pas opposer décarbonation et compétitivité. L'enjeu est bien sûr d'atteindre la décarbonation de notre continent, tant pour la lutte contre le réchauffement climatique que pour notre compétitivité, notre souveraineté et la réduction de nos dépendances.
Toutefois, nous devons atteindre cet objectif en accompagnant nos entreprises, en privilégiant l'investissement et non pas en rajoutant des normes ou des contraintes supplémentaires, qui pourraient renforcer la concurrence internationale, américaine ou chinoise, au détriment de notre industrie.
Nous portons cette ambition en vue de la révision des directives CSRD et CS3D, en veillant notamment à exclure de nombreuses PME et ETI de leurs mécanismes, en relevant les seuils et en réduisant drastiquement le nombre d'obligations de reporting.
Sur l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040, nous partageons entièrement votre philosophie. Avant de fixer précipitamment un nouvel objectif de décarbonation, précisons les conditions d'accompagnement des acteurs économiques.
Il faut ainsi assurer la nécessaire neutralité technologique – une ambition très forte de la France –, ouvrir le marché carbone à des acteurs extérieurs à l'Union européenne, ce qui relève du bon sens tant la lutte contre le réchauffement climatique revêt un aspect global, et mettre en œuvre le Clean Industrial Deal, notamment à l'aide d'une politique d'investissement. Telles sont les conditions que nous allons clairement fixer avant d'ajouter une échéance supplémentaire à la décarbonation.
Notre position sur l'accord avec le Mercosur a toujours été la même : nous nous opposons à l'accord en l'état, notamment pour protéger nos filières agricoles.
La France n'est pas opposée au libre-échange en soi, bien au contraire. En témoignent les récents accords conclus avec la Nouvelle-Zélande ou le Chili, ou encore les réformes des mesures commerciales autonomes (Autonomous Trade Measures, ATM) avec l'Ukraine l'an dernier. Toutefois, ces accords comportent des clauses miroirs et des clauses de sauvegarde permettant de protéger nos filières agricoles contre les risques de perturbation des marchés. Nous partageons l'ambition d'obtenir des clauses similaires avec nos partenaires dans l'accord avec le Mercosur.
Enfin, le ministre des affaires étrangères a indiqué que la Commission européenne, par l'intermédiaire de Kaja Kallas, avait lancé un examen du respect par Israël de l'article 2 de l'accord d'association qui lie ce pays à l'Union. La Commission devrait rendre ses conclusions au mois de juillet prochain, ce qui permettra un débat sur l'avenir de cet accord. La France a, en tout cas, soutenu la volonté de la haute représentante de mener à bien cet examen.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur deux points : la défense européenne et la diplomatie européenne.
Le programme Edip, présenté par la Commission en mars 2024 et visant à développer une approche structurelle en faveur du renforcement de l'industrie de défense européenne, n'a toujours pas été adopté. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en sont les discussions sur ce programme ? La vision portée par la France peut-elle réussir à s'imposer dans les négociations ?
En particulier, jusqu'à quel point défendre la clause de préférence européenne, que le Sénat a récemment soutenue avec force dans une récente résolution européenne ? Les États membres qui, comme la France, souhaitent définir des critères stricts pour l'éligibilité des entreprises et le contrôle des produits achetés, conformes à ceux du Fonds européen de la défense (FED), ne sont pas nombreux.
Aujourd'hui, 80 % des investissements des États membres dans le domaine de la défense sont réalisés auprès de fournisseurs extérieurs à l'Union, les États-Unis représentant à eux seuls 63 % d'entre eux.
Alors que les moyens sont loin d'être illimités, chaque euro doit être dépensé au service de la sécurité des Européens. Notre ambition doit être la plus élevée possible. C'est pour cela que les composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés ne sauraient représenter moins de 65 % des dépenses de défense, et qu'il faut même tendre vers un taux minimal de 80 %.
Nous avions alerté sur l'insuffisance du montant dévolu au financement du programme jusqu'à la fin de 2027. Le Parlement européen propose, quant à lui, de faire passer le budget du programme de 1,5 milliard à 21,5 milliards d'euros, et préconise d'utiliser pour cela une partie des prêts du dispositif Safe. Monsieur le ministre, comment envisager l'articulation pratique de ces transferts de fonds, sachant que les conditions d'éligibilité de ces deux programmes sont différentes ?
Le premier pilier du plan ReArm Europe consiste à autoriser les États membres à s'endetter davantage s'ils engagent des dépenses de défense. La Commission européenne les a donc appelés à activer de façon coordonnée la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance. À ce jour, seize pays sur vingt-sept ont officiellement demandé l'activation de cette clause, mais la France ne l'a pas fait. Pourquoi passer à côté de ce dispositif ? Monsieur le ministre, comment investir 650 milliards d'euros dans la défense, ainsi que l'a annoncé la Commission européenne, sans y faire appel ?
L'argent étant le nerf de la guerre, la présentation au milieu du mois de juillet prochain de la proposition de la Commission de cadre financier pluriannuel post-2027 est très attendue. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France sur la place qu'y occupera la défense ?
De premières pistes suggèrent que la défense sera intégrée à un fonds unique de compétitivité, ou encore que les efforts dans ce domaine et celui de la sécurité seront financés par la levée d'un nouvel emprunt européen. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ? La France, favorable à ce nouvel emprunt, peut-elle convaincre l'Allemagne et les pays « frugaux », qui y sont clairement réticents ?
J'en viens à mon second point, à savoir la diplomatie européenne. La prudence stratégique affichée par l'Union européenne pour limiter l'escalade régionale et soutenir la stabilité au Proche-Orient et au Moyen-Orient, où elle dispose de peu de leviers militaires, mais d'encore quelques intérêts économiques et diplomatiques, est un beau discours.
Cependant, ce discours occulte l'absence d'unité entre les États membres, la faiblesse institutionnelle de la diplomatie européenne, son manque d'influence directe sur Téhéran ou Jérusalem, sans parler de Washington. Finalement, à la vue des événements du week-end dernier, il masque mal l'échec de sa médiation et de sa tentative de préservation du dialogue. Faute d'une stratégie claire à long terme sur cette région, la diplomatie européenne ne fait que réagir aux événements.
Monsieur le ministre, la conclusion de l'examen mené par le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) sur le respect par Israël des droits de l'homme, prévu à l'article 2 de l'accord d'association de ce pays avec l'Union, a été transmise le 20 juin dernier aux États membres, et elle est claire. Plusieurs éléments indiquent qu'Israël violerait ses obligations de respect des droits de l'homme : blocage de l'aide humanitaire à Gaza ; niveau sans précédent de tués et de blessés parmi les civils ; attaques contre les hôpitaux et les installations médicales ; déplacement forcé de 90 % de la population ; attaques directes contre les journalistes.
Toutefois, au sein l'Union européenne, l'unanimité, ou tout au moins la majorité qualifiée, est requise pour passer à l'action. Monsieur le ministre, quelle est la position de la France sur la nécessité de réexaminer, voire de suspendre, l'accord d'association entre l'Union et Israël ? Allez-vous encore nous dire qu'il est urgent d'attendre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Gisèle Jourda, vos questions me donnent l'occasion d'évoquer les débats en cours sur les instruments de défense.
Pour ce qui concerne le programme Edip, notre ligne a toujours été claire : il faut renforcer l'investissement et l'acquisition de matériel européen. Le texte sur lequel le Conseil est en train d'aboutir prévoit qu'au moins 65 % des composants soient européens, en mettant en avant la nécessité de conserver l'autorité de conception. Le but est de garder le savoir-faire technologique, le contrôle des usages et des exportations. Il s'agit également de donner à nos industriels de défense européens la visibilité nécessaire pour qu'ils puissent monter en capacité, ainsi qu'ils nous le demandent.
Le Parlement européen fait des propositions ambitieuses en ce sens. Les rapporteurs de la proposition de règlement relatif au programme Epid, François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann, ont réalisé un travail remarquable. Ils proposent d'atteindre un seuil de 70 % de composants européens. Nous verrons comment se déroulera le débat en trilogue, mais en tout cas, notre ligne est évidemment de défendre la préférence européenne.
Vous avez demandé des précisions au sujet du transfert de fonds prévus pour le programme Safe vers le programme Edip, à hauteur de 20 milliards d'euros. J'ai abordé le sujet avec les rapporteurs de la proposition de règlement, et pour être tout à fait franc, je ne sais pas exactement comment un tel transfert fonctionnerait. Juridiquement et d'un point de vue opérationnel, les instruments sont en effet assez différents.
En revanche, je vous rejoins sur l'ambition de réabonder le programme Edip au-delà de son budget de 1,5 milliard d'euros prévu jusqu'en 2027. Nous aurons l'occasion de débattre de ce sujet au cours des prochains mois et des prochaines années.
Il conviendra d'affirmer, au travers du cadre financier pluriannuel, une ambition plus forte dans les domaines de la défense et du spatial dans la mesure où l'accès à l'espace, le déploiement du système Iris2 et le développement de la constellation de satellites en orbite terrestre basse (LEO) sont des enjeux absolument majeurs de souveraineté, notamment face à la concurrence américaine et à la militarisation de l'espace que l'on observe tant chez nos alliés que chez nos adversaires.
Enfin, nous devons aller plus loin dans la mobilisation d'instruments innovants, en contractant par exemple un emprunt commun. Les lignes bougent sur ce sujet. Au Parlement européen, certains, comme le président allemand du parti populaire européen (PPE), Manfred Weber, se sont prononcés en faveur d'un tel emprunt. Nous devons également réfléchir à d'autres types d'instruments.
Enfin, madame la sénatrice, la France utilisera bien sûr les instruments nouveaux, notamment par l'intermédiaire de Safe. Nous avons porté une voix importante et avons été moteur sur ces sujets, en doublant notre budget de défense au cours des deux mandats du Président de la République.
M. le président. Monsieur le ministre, merci de bien vouloir respecter votre temps de parole.
La parole est à M. Louis Vogel.
M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le soutien à l'industrie européenne de la défense est devenu un axe majeur de l'action de l'Union. En mars dernier, la Commission a dévoilé le livre blanc sur la défense européenne. Pour mieux préparer l'Europe aux scénarios les plus pessimistes, il est préconisé d'améliorer la mobilité militaire, de constituer des stocks et de renforcer nos frontières extérieures.
Il est effectivement temps de construire la fameuse Europe puissance dont on parle si souvent, mais que l'on ne voit toujours pas venir, tant sur les volets militaires et économiques que sur la compétitivité. Mes questions seront principalement orientées sur les applications concrètes de ce plan, notamment dans le domaine financier.
Premièrement, le programme ReArm Europe, renommé depuis Readiness 2030, vise à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros pour la défense. Parmi les préconisations pour atteindre cet objectif figure une dérogation au pacte de stabilité et de croissance, autorisant les États membres à dépenser davantage pour la défense sans être visés par la procédure de déficit excessif.
Rappelons-le, dans le cadre de notre loi de programmation militaire (LPM), la France dépense aujourd'hui l'équivalent de 1,7 % de son PIB dans le domaine militaire. Ces dépenses doivent atteindre 2 % entre 2025 et 2027, et l'augmentation doit se poursuivre à un rythme de 3,5 milliards d'euros par an en 2028, 2029 et 2030.
L'annonce de la dérogation européenne nous conduit à poser une question simple. Monsieur le ministre, s'agit-il d'exclure de la règle des 3 % de déficit l'ensemble des dépenses militaires dans la limite des 1,5 % prévus par le programme européen ?
Deuxièmement, la Commission européenne propose de donner aux États une facilité de prêt pour les dépenses de défense, garantie par le budget européen jusqu'à 150 milliards d'euros, qui deviendra l'instrument Safe. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les contours de cette opération un peu obscure, sachant que la proposition d'émission d'eurobonds semble avoir été écartée ?
Troisièmement, n'est-il pas temps d'aborder la question des fonds non consommés ? Je pense notamment aux prêts accordés aux États dans le cadre du plan de relance Next Generation EU de 800 milliards d'euros.
Quatrièmement, ces efforts ne devraient-ils pas s'accompagner d'une mobilisation de capitaux privés ? Ne faudrait-il pas accélérer l'union de l'épargne et de l'investissement, c'est-à-dire approfondir l'union bancaire et financière, en ayant recours à la Banque européenne d'investissement ? En effet, nous n'atteindrons pas cet objectif uniquement avec des fonds publics.
Un tel engagement pourrait notamment bénéficier à l'effort militaire, au réarmement scientifique, à une véritable industrie de défense européenne. L'Europe de la défense n'ira pas sans de grands investissements dans la recherche.
Cinquièmement, les rapports publiés par Mario Draghi et Enrico Letta en 2024 ont mis en évidence de profonds écueils structurels liés à l'économie européenne, aujourd'hui asphyxiée par des règles trop nombreuses et trop complexes. Aux termes du rapport Letta, l'un de ces écueils est le manque d'aboutissement du marché unique. La diversité des réglementations est un obstacle fondamental à la liberté de circulation des marchandises et des capitaux.
Je ne prendrai qu'un exemple, en matière d'innovation. Sur les cinquante leaders mondiaux des nouvelles technologies, seuls quatre sont européens. Cela ne rend absolument pas compte de la puissance européenne en matière économique.
Face à cela, la Commission a présenté en 2025 un programme appelé « boussole pour la compétitivité ». Ainsi que le président Rapin l'a évoqué, la simplification des normes est un axe prioritaire de ce programme. C'est le sens des fameux paquets Omnibus, qui visent à revenir sur des réglementations trop complexes, trop nombreuses, et à simplifier les règles auxquelles les entreprises sont soumises.
Dans cette perspective, il faut saluer la récente présentation du cinquième paquet Omnibus, précisément consacré à la défense. Toutefois, les choses demeurent complexes et les strates s'accumulent : ce paquet fait la jonction entre la « boussole pour la compétitivité » et le livre blanc de la défense européenne.
L'enjeu est clair : il faut accélérer les investissements et la production dans le domaine de la défense pour réarmer l'Union face à tous les enjeux sécuritaires dont il a été question.
Monsieur le ministre, on n'y voit pas très clair : quelles sont les perspectives envisagées à ce stade pour déployer l'ensemble de ces mesures indispensables ? Quelle sera la position de la France sur ce sujet lors de la prochaine réunion du Conseil européen ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Louis Vogel, concernant le fonctionnement des instruments européens, la facilité de financement de la Commission européenne permet aux États membres d'investir dans la défense et d'exclure de la procédure de calcul du déficit excessif les dépenses liées à la défense, notamment celles qui concernent les investissements et les acquisitions.
Avec le programme Safe, c'est la première fois que nous disposons de critères d'éligibilité de préférence européenne pour des dépenses qui seront, de fait, des dépenses des États membres, même si le prêt sera contracté par la Commission européenne. C'est une avancée majeure, avec le programme Edip, qui instaure un minimum de 65 % de composants européens et défend l'autorité de la conception.
Il s'agit de financer des projets émanant de deux États ou plus, que ces États soient membres de l'Union européenne ou qu'ils aient signé des accords de sécurité et de défense avec l'Union, comme c'est le cas de l'Ukraine, précisément mentionnée dans le document qui régit le fonctionnement du programme.
Il s'agit également de réduire nos dépendances, soulignées par le livre blanc pour la défense, au sujet des drones, du cyber, des capacités de frappe en profondeur, des ravitailleurs ou encore des satellites et des forces spatiales.
La voix de la France est très claire au sujet de la simplification : il faudra autant de paquets Omnibus que nécessaire pour réviser les directives CSRD et CS3D, les dispositions applicables aux RUP, au secteur de la défense ou encore aux PME et aux ETI.
Nous devons réduire la charge réglementaire qui pèse sur nos entreprises et nos acteurs économiques, et mettre fin aux barrières et aux tarifs que nous nous imposons. Il est beaucoup question des barrières et des droits de douane imposés par les États-Unis, mais des barrières et des frictions existent encore au sein du marché unique. Simplifions nos règles, réalisons l'union de l'épargne et de l'investissement pour lier la capacité de financement privé avec les besoins d'investissement dans tous les domaines que vous avez évoqués.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grands enjeux de notre temps, qu'ils soient économiques, stratégiques, environnementaux ou migratoires ont tous en commun cette réalité : nous ne pourrons relever seuls aucun des défis qui nous attendent, et donc chacun nécessitera une action coordonnée à l'échelle du continent.
Pour autant, l'indispensable action européenne doit-elle nécessairement se traduire par l'extension toujours plus grande des compétences de l'Union ou du champ d'action de la Commission ? Doit-elle nécessairement conduire à un empilement toujours plus important des normes et des budgets communautaires ?
Face à ces questions, l'exécutif européen ne semble pas beaucoup douter, tant ses projets se caractérisent depuis plusieurs années par une tendance excessive à la centralisation.
Dans un récent rapport d'information sur la dérive normative de l'Union européenne, la commission des affaires européennes du Sénat s'était inquiétée de cette dynamique. Elle avait notamment déploré les empiétements croissants sur les compétences des États membres, y compris dans des domaines touchant au cœur de la souveraineté nationale comme la défense et la sécurité.
Alors que les chefs d'État et de gouvernement poseront de nouveau la question des migrations lors de leur prochaine rencontre, demain et après-demain, je souhaite faire entendre une alerte de la commission sénatoriale des affaires européennes, dont je suis vice-président, au sujet d'un dossier essentiel à la politique migratoire, à savoir la révision de la directive sur le retour des étrangers en situation irrégulière, dite directive Retour.
Naturellement, je me félicite que la Commission européenne ait accédé aux demandes des États membres, parmi lesquels figurait la France. Il était absolument indispensable qu'elle remette sur le métier l'ouvrage que le Parlement européen avait bloqué lors du précédent mandat.
Bien que ce projet de révision soit largement perfectible, je me réjouis que des avancées utiles y soient proposées. Elles permettront par exemple de mieux prendre en compte certains enjeux de sécurité, de faciliter le recours à la rétention, d'élargir la définition des pays de retour ou encore d'imposer les obligations de coopération aux étrangers en situation irrégulière.
Toutefois, dans la droite ligne des décisions prises dans la plupart des textes du pacte sur la migration et l'asile, la Commission propose une nouvelle fois de réviser une directive en la remplaçant par un règlement. Une nouvelle fois, la logique actuelle d'harmonisation céderait donc à la logique d'uniformisation, sans pour autant que ce choix ait été étayé par une analyse d'impact.
En effet, ainsi que nos auditions l'ont établi, la Commission se contente d'affirmer que l'inefficacité actuelle des politiques de retour, certes patente, proviendrait des divergences des législations nationales. Cependant, elle ne cherche à aucun moment à démontrer la réalité d'un lien de cause à effet ou à évaluer la nécessité, la plus-value et les éventuels effets secondaires de sa démarche.
La Commission pousse dès lors avec insistance en faveur d'une reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour. De prime abord, ce dispositif semble de bon sens et respectueux des prérogatives nationales. Toutefois, par des effets de cliquet que nous avons déjà observés dans d'autres domaines, ce mécanisme risque fort de conduire, en fait ou en droit, à de nouvelles harmonisations non souhaitées, notamment en matière d'entrée et de séjour, de sécurité ou d'ordre public.
Or ne perdons pas de vue que l'objectif de la révision de cette directive devrait être avant tout opérationnel et non théorique. En d'autres termes, il devrait s'agir non pas de standardiser par principe ou par réflexe, mais de fournir aux États membres des outils pertinents pour conduire des politiques d'éloignement plus cohérentes et plus efficaces.
Cela suppose bien sûr un cadre commun, mais aussi la souplesse suffisante pour adapter ce cadre aux spécificités des pays membres, que ce soit par le Parlement, via une procédure de transposition que nous souhaitons, ou par le Gouvernement, lors de sa mise en œuvre sur le terrain.
Monsieur le ministre, au-delà des questions de fond, quelques orientations de méthode retenues à ce stade sur ce sujet fondamental ne nous paraissent pas opportunes.
Ne nous semblent pas davantage opportuns certains des contours d'ores et déjà tracés par la Commission sur un dossier tout aussi essentiel, que le président de la commission des finances a déjà abordé : le prochain cadre financier pluriannuel.
Celui-ci sera officiellement présenté dans trois semaines. Comme le président Raynal l'a indiqué, l'élaboration de chaque CFP est une quadrature du cercle dont la résolution prend toujours des mois. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la mouture du cadre financier pluriannuel pour 2028-2034 ne fera pas exception à la règle, tant s'en faut. Au contraire, l'équation sera encore plus complexe qu'à l'accoutumée, au point que certains, dont je fais partie, la trouvent inquiétante.
En premier lieu, l'Europe s'est créé des charges importantes avec le plan de relance. Malgré les engagements qu'elle a répétés pendant des mois, elle est aujourd'hui incapable de percevoir les recettes qui permettraient de les assumer.
Soyons à ce titre très clairs : alors que le débat sur de nouvelles ressources propres reste englué dans une impasse pourtant largement prévisible, l'idée même de recourir à un nouvel emprunt commun pour financer telle ou telle priorité est aujourd'hui plus qu'illusoire.
En second lieu, les discussions qui s'annoncent sont préoccupantes, car l'Europe semble bien en peine de dégager une stratégie budgétaire à la fois claire et réaliste. Des politiques traditionnelles très importantes que sont la PAC et la politique de cohésion, jusqu'aux nouvelles priorités que sont la défense, la sécurité, la transition énergétique ou l'innovation, l'Europe semble en effet vouloir tout financer, tout piloter, je dirais même tout régimenter.
La Commission, au travers de telle ou telle stratégie, de tel ou tel livre blanc, évalue régulièrement les besoins d'investissement propres à chaque secteur, qui se chiffrent toujours en centaines de milliards d'euros. Ces sommes incluent bien sûr les investissements privés qui, nous dit-on, pourront affluer grâce à la finalisation de l'union des marchés de capitaux, en chantier depuis plus de dix ans.
La vérité, c'est qu'il faudra faire des choix et procéder à une revue des priorités, laquelle devra se doubler d'une véritable revue des dépenses. Car la réalité budgétaire, implacable, est en premier lieu celle des contributions nationales.
Je le rappelle, dans les années 2010, la participation annuelle de la France au budget de l'UE s'élevait en moyenne à 20 milliards d'euros. Dans les années 2020, elle grimpe aux environs de 28 milliards d'euros.
Même si la France bénéficie du budget européen et du marché unique – n'en doutons pas –, il est clair que nos finances publiques, dont on connaît l'état calamiteux, seront incapables d'absorber de nouvelles hausses comparables durant la période 2028-2034.
Enfin, la structure envisagée pour le nouveau cadre financier pluriannuel nous interpelle. En particulier, nous nous interrogeons sur l'éventualité d'un budget découpé en vingt-sept plans nationaux – excusez du peu ! –, que l'on nous a présentés comme soumis à l'atteinte de jalons, à la réalisation d'investissements et à la mise en œuvre de réformes.
Une approche similaire avait déjà été adoptée en son temps pour la dernière réforme de la PAC, et nous en avions alors contesté le principe. Cela avait également été le cas concernant la facilité pour la reprise et la résilience, la FRR, nous nous en souvenons.
Cette fois-ci, la Cour des comptes européennes conteste la pertinence et les résultats de tels plans, qui nous semblent à proscrire. En effet, ils risquent tout d'abord d'entrer en concurrence les uns avec les autres au lieu de soutenir des politiques continentales. Ils risquent ensuite de rendre illisibles les objectifs politiques poursuivis par l'Union à travers son budget. Ils risquent, enfin, de rendre encore plus complexe l'absorption des crédits.
Surtout, ces plans supposent un renversement de logique inacceptable. Entendons-nous bien, il est parfaitement normal que l'Europe contrôle a posteriori l'exécution budgétaire des États membres, et qu'elle s'assure que celle-ci est conforme tant aux règles financières qu'aux objectifs définis par les politiques communes. Toutefois, conditionner a priori le déblocage des fonds et enserrer cette conditionnalité dans un tête-à-tête budgétaire avec la Commission apparaît particulièrement intrusif. Pour tout dire, à titre personnel, je trouve cela totalement inadéquat.
Veillons donc à ne pas aller trop loin et à ne pas faire de la défiance à l'égard des États membres un mode de gestion normal du cadre budgétaire européen.
Enfin, mes chers collègues, permettez-moi de dire quelques mots sur le conflit entre Israël et l'Iran. Ce qui s'est passé est à mes yeux une négation même de l'idée d'Europe. Notre Europe a été malheureusement absente, effacée, oubliée dans ce conflit. Elle ne doit pas le rester aujourd'hui.
Malheureusement, monsieur le ministre, nous n'en sommes déjà plus à nous demander pourquoi les interventions israéliennes et américaines ont commencé. La répression semble déjà s'abattre sur ceux et celles qui ont timidement cru, espéré ou soutenu que ces frappes pouvaient augurer un changement de régime.
Les belligérants se sont certes arrêtés, mais les Iraniens retrouvent la dureté du régime que l'on connaît. Nous nous souvenons de la manière dont le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a été étouffé. Des femmes courageuses ont été battues, emprisonnées pour avoir mal porté un voile, et assurément pour avoir voulu plus de liberté.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous désormais de la défense des valeurs de l'Europe ? La prochaine réunion du Conseil ne fournit-elle pas l'occasion d'inscrire une fois pour toutes les gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes ? La crainte de l'Europe à l'égard de la République des mollahs ne nous ramènera certainement pas nos otages, Cécile Kohler et Jacques Paris, ce que je déplore particulièrement, en qualité d'Alsacien.
Puisque nous abordons le sujet, monsieur le ministre, où en êtes-vous du contrôle des financements de l'Union à des organismes en lien avec les Frères musulmans, dont le Coran européen, financé à hauteur de 10 millions d'euros, est le dernier avatar ? Où en sont les programmes Erasmus dans les universités islamiques ? Où en sont les financements à Islamic Relief ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. André Reichardt. Monsieur le ministre, il est souhaitable que le Conseil prenne des décisions sur ces sujets. L'an dernier, selon la Cour européenne, l'Europe a perdu de vue 7,4 milliards d'euros de subventions accordées à des ONG, personne ne sachant comment cet argent a été utilisé. (Mme Anne Ventalon et M. Jean-François Rapin applaudissent.)