M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Reichardt, vous avez abordé des sujets majeurs.
Concernant l'immigration, la France soutient la réforme de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour. Il faut faciliter les expulsions.
Cette réforme doit s'accompagner d'un renforcement des instruments de l'Union européenne tournés vers les pays tiers, pour assumer un rapport de force avec les États de transit et de départ qui refusent de reprendre leurs ressortissants expulsés.
Pour cette raison, et nous aurons l'occasion de l'évoquer au cours du Conseil européen, la France défend la nécessité de conditionner la délivrance de visas, l'aide au développement ou encore les accords commerciaux au respect du droit international et à la reprise de leurs ressortissants par les pays tiers.
Le Gouvernement partage vos réserves et votre appel à la vigilance sur la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour. Le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau et moi avons eu l'occasion de l'indiquer à plusieurs reprises au commissaire européen aux affaires intérieures et aux migrations Magnus Brunner et aux services de la Commission européenne.
Vous avez évoqué la nouvelle architecture du cadre financier pluriannuel. Sur ce sujet que je n'ai pas encore eu l'occasion d'évoquer, la France demeure prudente par rapport aux discours que l'on peut entendre. C'est d'ailleurs ce que j'ai indiqué au commissaire chargé du budget, de la lutte antifraude et de l'administration publique Piotr Serafin. Il faut préserver la spécificité de certaines politiques. Ainsi, la PAC (politique agricole commune), la politique de cohésion ou encore le programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation qu'est le fonds Horizon Europe ne doivent pas être dilués dans un grand ensemble.
Monsieur le sénateur, je suis totalement en phase avec vous sur le fait qu'il ne faut pas renforcer la conditionnalité des fonds et les instruments de renationalisation sans véritable débat préalable. Cela pourrait donner lieu à une révision des traités et reviendrait à accroître les pouvoirs de la Commission européenne dans le rapport de force qui se joue avec les États membres. Je vous assure que la France sera particulièrement vigilante dans le cadre de la négociation du cadre financier pluriannuel.
Enfin, sur l'usage que fait la Commission européenne des fonds européens, la ministre fédérale des affaires européennes et internationales autrichienne et moi avons déposé au conseil des affaires générales une proposition visant à renforcer a priori et a posteriori leur contrôle. Celle-ci est d'ores et déjà ouverte à la signature de nos homologues. La Cour des comptes européenne a souligné le manque de transparence du déboursement de ces crédits, qui sont parfois alloués à des organisations proches des Frères musulmans, lesquels propagent des valeurs profondément contraires à celles, humanistes et universelles, de l'Union européenne. Pas un euro du contribuable européen ne doit financer les ennemis de l'Europe : nous défendons ce principe simple.
M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch. Monsieur le ministre, ce Conseil européen s'inscrit dans un moment charnière de notre histoire collective, qui suscite légitimement l'inquiétude de nos concitoyens. La multiplication des conflits ouverts, la montée des tensions entre puissances régionales et le brouillage des équilibres internationaux nous rappellent combien la stabilité, la diplomatie et la paix sont devenues des biens rares et à quel point il est essentiel pour l'Europe de les défendre avec constance et cohérence.
Dans ce contexte géopolitique trouble, l'Union européenne doit faire la démonstration qu'elle est plus qu'une addition d'États. Il lui faut apparaître comme une entité qui s'assume, capable de protéger ses citoyens, de défendre ses intérêts stratégiques et d'affirmer ses valeurs démocratiques sur la scène internationale.
Le programme stratégique 2024- 2029 vise à tracer un cap clair. Il y est affirmé la volonté de bâtir non seulement une Europe libre et démocratique, soucieuse de protéger les libertés fondamentales et l'État de droit, mais aussi une Europe souveraine, forte dans sa défense, sûre face aux menaces, compétitive et prospère.
Cela implique de renforcer nos instruments communs, de consolider notre unité politique et de faire bloc dans la durée face aux défis extérieurs comme aux tentations de repli. C'est dans l'unité, non dans la dispersion, que l'Europe trouvera la force d'agir.
Monsieur le ministre, face à la multiplication des crises, quelles mesures concrètes la France propose-t-elle pour transformer l'unité affichée des États membres en décisions fortes et coordonnées lors du Conseil européen ?
La guerre en Ukraine reste un rappel brutal de ce que signifie la vulnérabilité européenne. Elle est entrée dans sa troisième année et les dernières attaques d'une intensité inédite sur Kiev montrent que le régime de Moscou n'a renoncé ni à ses ambitions territoriales ni à sa stratégie de terreur. Le soutien que nous apportons à l'Ukraine est non pas une option tactique, mais une nécessité. Il s'agit de préserver la souveraineté d'un État agressé et de faire respecter le droit international.
Ce soutien doit aujourd'hui se structurer dans la durée, au travers de la mise en commun de nos moyens : il ne peut plus reposer sur des contributions fragmentées. J'y insiste : il nous faut mutualiser massivement nos moyens industriels et budgétaires. La France est-elle déterminée à être le porte-drapeau de cette ambition ? Quelle stratégie met-elle en œuvre pour ce faire ?
Parlons du front au Moyen-Orient, tout aussi préoccupant. Depuis plusieurs semaines, nous assistons à une escalade militaire directe entre Israël et l'Iran. Elle marque une rupture historique avec les logiques diplomatiques que l'Europe défendait jusqu'à présent. Cette mutation du conflit a conduit à des frappes sur des infrastructures stratégiques, à des représailles importantes et, surtout, à des pertes humaines considérables parmi les civils des deux pays. La situation intérieure de l'Iran demeure préoccupante et mérite toute notre attention. Ce nouveau conflit ne doit pas occulter la situation à Gaza, où un dispositif humanitaire solide et respecté reste attendu, comme l'a rappelé Gisèle Jourda.
L'Union européenne ne peut ni ne doit se contenter d'un rôle d'observatrice. Elle a la responsabilité, par la voix de ses États membres, de promouvoir les principes qui fondent son identité : respect du droit international, protection des populations, primauté du dialogue sur la violence. La diplomatie européenne doit donc s'attacher à empêcher l'embrasement régional, à rétablir des canaux de communication et à garantir un accès sûr et massif à l'aide humanitaire, notamment dans les zones les plus vulnérables.
Au-delà du théâtre immédiat des affrontements et en dépit du cessez-le-feu annoncé, les conséquences tragiques d'une extension du conflit restent considérables. L'un des risques majeurs identifiés concerne la fermeture du détroit d'Ormuz, ce passage maritime essentiel au commerce énergétique mondial, où transite près d'un cinquième de la consommation mondiale de pétrole. Toute interruption de la circulation dans ce corridor, même temporaire, entraînerait une réaction en chaîne qui aurait un effet sur les prix, l'approvisionnement et la stabilité économique mondiale.
Pour l'Europe et pour la France, ces menaces ne sont pas abstraites. Elles pèsent sur notre souveraineté énergétique, sur nos engagements commerciaux et sur notre capacité à préserver un ordre international fondé sur des règles. Dès lors, notre position ne peut être que celle d'un engagement diplomatique fort, équilibré, sans alignement automatique, mais avec une exigence constante, celle de la paix par le droit, du respect de la vie humaine et du refus des logiques de destruction réciproque.
Monsieur le ministre, le risque est réel. Quelles mesures d'urgence la France met-elle sur la table pour sécuriser nos approvisionnements énergétiques ? Qu'attend-elle pour bâtir enfin une stratégie de résilience partagée avec ses partenaires européens ?
Les tensions commerciales avec les États-Unis, nourries par le retour assumé d'une politique protectionniste à Washington, imposent à l'Union européenne une réponse ferme, mais constructive. S'il reste essentiel, le dialogue transatlantique ne peut s'accommoder d'un déséquilibre croissant qui pénaliserait les secteurs stratégiques européens.
La perspective de surtaxes renforcées sur nos exportations appelle une mobilisation diplomatique immédiate, mais également une réflexion de fond sur notre souveraineté économique. Nous ne pouvons plus dépendre de décisions unilatérales prises ailleurs. Il nous faut une politique commerciale autonome, lisible et, quand il le faut, défensive.
Face à la montée des tensions commerciales, la France est-elle prête à défendre une ligne offensive, avec des contre-mesures crédibles ? Quels outils concrets propose-t-elle pour que l'Union européenne se fasse respecter par Washington en défendant ses intérêts ?
Enfin, la mise en œuvre du pacte sur la migration et l'asile constitue une avancée notable dans un domaine trop longtemps fragmenté. L'organisation de procédures accélérées, la meilleure répartition de la charge migratoire entre États membres et le renforcement des agences spécialisées, comme Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, et l'AUEA, l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, marquent un tournant nécessaire.
Toutefois, cette réforme ne sera crédible que si elle est appliquée dans le respect des droits fondamentaux. Les équilibres sont fragiles et la pression aux frontières perdure. Il faut donc allier fermeté dans la gestion des flux et solidarité dans les responsabilités. Ce pacte ne convaincra que s'il résiste à l'épreuve des faits.
Comment la France garantit-elle que ses engagements en matière de solidarité et de droits fondamentaux ne resteront pas théoriques ? Quelles sanctions ou quels leviers prévoit-elle en cas de manquement par certains États membres ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Rohfritsch, j'ai eu l'occasion d'évoquer la situation de l'Ukraine dans mon propos introductif. Comme vous l'avez indiqué, l'une des priorités est de renforcer notre soutien et même l'interconnexion entre nos industries de défense. L'innovation est d'ailleurs visible en Ukraine, avec le développement des drones ces dernières années. L'instrument ERA (Extraordinary Revenue Acceleration), financé à partir des intérêts des avoirs gelés, doit être décaissé plus rapidement. C'est une priorité.
Nous poursuivrons notre engagement : nous apporterons un soutien économique et militaire et nous renforcerons les sanctions contre la Russie, en particulier contre son secteur énergétique, pour entraver son effort de guerre.
Sur le Moyen-Orient, j'ai eu l'occasion de parler de l'Iran, mais je tiens à dire un mot sur la situation à Gaza, dont il sera évidemment question lors du Conseil européen. La France a une ligne très claire : elle appelle à un cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages, à l'accès sans entrave à l'aide humanitaire pour la population de Gaza et à la relance d'un dialogue politique qui doit mener à l'existence de deux États, afin qu'une Palestine souveraine et autonome et, à ses côtés, Israël vivent en sécurité.
C'est tout le sens de l'initiative diplomatique qui a été lancée par la France et l'Arabie saoudite. Elle devait mener à la tenue d'une conférence à New York, il y a quelques jours. Celle-ci a été reportée. Elle devrait avoir lieu au cours de l'été pour créer une dynamique de reconnaissance mutuelle entre pays arabes et Israël, ainsi qu'une reconnaissance de la Palestine par la France et un certain nombre de nos partenaires.
Sur les droits de douane américains, la France défend une position claire et ferme. Comme je l'ai précisé, l'objectif est la désescalade, c'est-à-dire revenir à la situation précédente, et ce dans l'intérêt de tous. Pour ce faire, il faut être capable d'assumer un rapport de force et montrer que nous sommes en mesure de répondre.
La Commission européenne a fait adopter un premier paquet de contre-mesures visant les biens, à hauteur de 21 milliards d'euros, en réponse aux 25 % de droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium. Son application a été suspendue pour laisser place à la négociation qui sera menée jusqu'au 9 juillet prochain. Nous sommes en train d'examiner un deuxième paquet visant également les biens, à hauteur cette fois d'environ 90 milliards d'euros.
Nous pouvons aller plus loin. Vous savez que l'Union européenne, sous l'impulsion de la France, s'est dotée d'un instrument anti-coercition, qui permet d'élargir le champ des contre-mesures aux services, notamment par la taxation de ceux qui relèvent du numérique.
Je le répète : l'objectif de la négociation menée par la Commission européenne est la désescalade, mais, grâce à des contre-mesures potentielles, nous avons les moyens de répondre, de nous faire respecter et de défendre les intérêts des Européens.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le ministre, le Conseil européen se réunira demain et après-demain, les 26 et 27 juin. L'ordre du jour de cette rencontre était à l'origine fort vaste, allant des priorités économiques à l'Europe de la défense en passant par la lutte contre la criminalité organisée.
Sur ce dernier point, je signale que le Sénat vient de rendre un rapport important, issu des travaux de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis. Ses auteurs insistent notamment sur l'indispensable montée en puissance d'Europol dans le traitement du renseignement financier.
Évidemment, ce Conseil européen se concentrera surtout sur les conflits internationaux, qui ne cessent de se multiplier. De Conseil européen en Conseil européen, la situation internationale se dégrade et l'on peine à entendre une voix européenne forte et crédible, alors qu'elle est sans doute plus nécessaire que jamais. En effet, dans un monde où la dangerosité grandit de jour en jour, où le droit international est progressivement remplacé par l'acceptation de la force, la diplomatie ne peut pas abdiquer ni l'Union européenne oublier sa raison d'être, à savoir la paix.
Ainsi, la guerre en Ukraine est passée au second plan ces dernières semaines, alors que la situation est toujours aussi grave.
Il y a quelques jours, nous avons eu l'honneur de recevoir dans cet hémicycle le président de la Rada de l'Ukraine. Il nous l'a assuré avec inquiétude : son pays traverse actuellement la phase la plus dramatique de la guerre. Depuis plusieurs semaines, la Russie multiplie les offensives et lance des assauts massifs de drones, qui ont fait des dizaines de morts. La volonté d'attaquer les civils et les infrastructures non militaires, telles que les écoles ou les hôpitaux, est manifeste.
Aussi, notre soutien à l'Ukraine passe, tout d'abord, par la défense, notamment par le fait de sanctionner les entreprises européennes qui continuent à fournir des machines pour les usines d'armes russes.
Il repose également sur d'autres instruments, comme l'aide publique au développement, mobilisable et d'ores et déjà mobilisée pour préparer la reconstruction.
Surtout, notre action passe par la diplomatie. En premier lieu, nous soutenons le processus d'intégration dans l'Union européenne de la Moldavie, car, dans le contexte de la guerre en Ukraine, ce pays est un rempart. Certes, le chemin à parcourir est encore important, mais nous ne pouvons ignorer l'influence russe qui s'y exerce. En second lieu, nous maintenons une pression forte et constante pour aboutir à des négociations de paix.
Lors du dernier G7, marqué par le départ précipité de Donald Trump, aucune déclaration commune forte n'a pu être signée. Six mois après le retour au pouvoir du président américain, un constat s'impose : l'Union européenne et les États-Unis ne voguent plus dans la même direction.
La décennie que nous vivons est d'ores et déjà marquée par une reprise des conflits de haute intensité. L'Europe et la France doivent en prendre acte et en tirer toutes les conséquences, en commençant par la gestion de crise, de façon à aider nos compatriotes établis à l'étranger.
Les événements actuels au Moyen-Orient en sont l'exemple le plus criant : de la réponse européenne dépendra la sécurité des Européens qui vivent dans cette région du monde. Le groupe RDSE appelle avant tout à une désescalade durable de la violence. Il est nécessaire que notre pays insiste auprès de ses partenaires pour faire respecter le droit international et la primauté de la diplomatie. Il faut commencer par exiger de nouvelles négociations sur le nucléaire iranien.
En effet, les interventions militaires en Iran ont terrifié la population sur place et fait fuir ceux qui le pouvaient, mais ne provoquent visiblement pas de soulèvement susceptible de renverser le régime. Nous ne devons pas oublier les tragiques précédents irakien, libyen et afghan, qui ont montré la facilité avec laquelle un pays peut plonger durablement dans le chaos.
Ce propos m'amène à aborder la situation à Gaza.
Il faut d'abord rappeler que quarante-neuf otages – vivants ou morts – sont encore retenus par le Hamas dans l'enclave palestinienne. Le week-end dernier, l'armée israélienne a rapatrié les corps de trois personnes enlevées le 7 octobre 2023. Les otages encore entre les mains du Hamas doivent être libérés sans délai.
Pourtant, pour l'heure, aucun accord de cessez-le-feu incluant leur libération ne semble sur le point d'être conclu. Le groupe RDSE le regrette, d'autant que l'échec du précédent cessez-le-feu a conduit au blocage de l'aide humanitaire à Gaza. Depuis, la situation alimentaire s'est fortement dégradée. D'après un nouveau rapport de l'ONU, une personne sur cinq est menacée de famine au sein de l'enclave. Dans une déclaration commune, le Programme alimentaire mondial et l'Unicef ont alerté sur la situation de 71 000 enfants et de 17 000 mères qui ont besoin d'un traitement d'urgence pour malnutrition aiguë.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les conflits se multiplient et gagnent en intensité et en brutalité. Que ce soit à Kiev, à Tel Aviv, à Téhéran ou encore à Gaza, les civils sont toujours les premiers à souffrir de ces flambées de violence. L'Union européenne ne peut rester simple spectatrice de ces nouveaux théâtres d'affrontement. Nous espérons vivement que le caractère cardinal du droit international sera fortement réaffirmé au cours du prochain Conseil européen.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Briante Guillemont, la défense du droit international, du multilatéralisme et de la diplomatie sont la boussole de la France. Nous avons eu l'occasion de rappeler ce message, que ce soit au sujet du nucléaire iranien ou encore de la situation tragique à Gaza.
Sur l'Ukraine, la France a déjà mobilisé l'aide au développement, via l'Agence française de développement (AFD). Vous avez mentionné la venue du président de la Rada de l'Ukraine, M. Stefantchouk. À l'occasion de la réception à Paris du Premier ministre ukrainien par M. François Bayrou, nous avons renforcé le fonds de 200 millions d'euros créé pour accompagner nos entreprises dans l'effort de reconstruction. Celle-ci commence dès à présent. À cet effet, une conférence internationale se tiendra dans les prochains jours à Rome, à laquelle la France prendra part.
J'y insiste : l'effort français est d'ordre humanitaire, mais il touche aussi à la reconstruction économique et au soutien militaire. Il passe également par des sanctions, comme vous l'avez souligné.
Nous agissons en ce sens à l'échelle européenne, en partenariat avec nos alliés américains. En ce moment, un paquet de sanctions très ambitieux est examiné par le Sénat des États-Unis, sur proposition du républicain Lindsey Graham. Il contient des mesures secondaires ciblant les pays qui aident la Russie à contourner les sanctions sur l'énergie. L'effort se poursuit donc sur les deux fronts.
Je vous remercie d'avoir mentionné la Moldavie, qui est une priorité de l'action de la France. Notre pays et ses partenaires animent le Core group Moldavie pour accompagner cet État, notamment dans la lutte contre la désinformation et dans la résilience face aux attaques cyber. J'ai eu l'occasion de me rendre sur place après le référendum constitutionnel et l'élection présidentielle : pour faire basculer en sa faveur 10 % des suffrages, la Russie n'a eu qu'à débourser l'équivalent de ses dépenses militaires pour un jour de guerre en Ukraine, notamment par l'achat de voix via des réseaux comme Telegram.
Un accord a été signé entre le gouvernement de la Moldavie et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), l'agence française de lutte contre les manipulations de l'information. La coopération avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) a également été renforcée pour aider les Moldaves à préparer les élections législatives de la rentrée. Cette fois encore, il faut s'attendre à ce que le gouvernement réformateur pro-européen de Chisinau soit l'objet d'attaques cyber et informationnelles. En parallèle, il aura à mener des efforts économiques et des réformes.
Au-delà de la situation en Ukraine, ce pays est la ligne de front des démocraties.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Il est dans notre intérêt de continuer à accompagner et à soutenir les États exposés.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de débuter cette intervention sans aborder la question de l'Iran.
Ce week-end, en effet, les États-Unis ont détruit l'une des plus grandes menaces au monde : les installations nucléaires de ce pays. Pour cette raison, je suis tenté de saluer au nom du groupe Union Centriste cette initiative, même si j'ai bien conscience qu'elle pose la question du respect du droit international. Il faut, en la matière, éviter d'être « péremptoire » – le mot est à la mode dans cette maison – et préférer la vigilance et la prudence.
Je porterai un jugement similaire concernant l'action d'Israël. L'opération ciblée menée par ce pays vient porter un coup majeur au régime des Mollahs, qui domine – hélas ! – la République islamique d'Iran. Regrettons que l'Union européenne n'ait pas été consultée ni associée à cette décision. Le constat est implacable, monsieur le ministre.
Cela m'amène à aborder la question de l'Europe de la défense. Nous vivons une période charnière : invasion de l'Ukraine, tensions au Moyen-Orient, cyberattaques, menaces hybrides… Lors de la réunion de l'Otan qui se tient actuellement à La Haye, le secrétaire général, Mark Rutte, a appelé à rehausser les dépenses de défense européenne à 5 % du PIB d'ici à 2035.
Monsieur le ministre, que pensez-vous d'un effort aussi considérable ? Quels choix devront être faits ? Quelles répercussions faut-il anticiper ? Comme le rappelle le président du Conseil européen, « la paix sans la défense est une illusion ».
En effet, l'Union européenne souffre d'un déficit stratégique. Bien que plusieurs pays consacrent désormais plus de 2 % de leur PIB à la défense, allant ainsi au-delà du seuil fixé, nous restons trop dépendants du matériel en provenance des États-Unis. Presque la moitié des avions de combat européens sont d'origine américaine. Cette dépendance limite notre autonomie et affaiblit notre capacité à agir en temps de crise. C'est une évidence.
La Commission européenne, consciente de ces enjeux, a proposé un plan de 800 milliards d'euros, baptisé ReARm Europe/Readiness 2030, qui combine assouplissement des règles budgétaires pour financer la défense sans sacrifier le social ni les autres politiques, ligne de prêt de 150 milliards d'euros pour achats conjoints, soutien renforcé de la Banque européenne d'investissement (BEI). La philosophie de ce plan d'action est, certes, de dépenser plus, mais surtout de dépenser mieux et ensemble, pour éviter les redondances, favoriser l'interopérabilité et élaborer un véritable marché unique de la défense.
L'Europe ne peut plus se contenter d'initiatives symboliques. Il nous faut dévoiler rapidement des projets concrets, comme les boucliers antimissiles, les drones, la cyberdéfense, les munitions, la mobilité militaire… Les collaborations se multiplient : coopération structurée permanente, Initiative européenne d'intervention, Agence européenne de défense… Nous disposons désormais de cadres : utilisons-les. Il est tout aussi fondamental de procéder à un réarmement technologique autonome, non tributaire des Américains. Monsieur le ministre, ce point de vue français est-il partagé par nos partenaires européens ?
Voilà qui m'amène à aborder la question de la compétitivité européenne, car ces sujets sont inévitablement liés. La course mondiale à l'intelligence artificielle est dominée par quelques géants, notamment américains et chinois. Là encore, l'Europe ne peut plus rester spectatrice. Pour garantir sa souveraineté technologique, elle doit bâtir ses propres gigabases de données, c'est-à-dire des infrastructures massives qui serviront pour l'intelligence artificielle (IA). Cela exige une production électrique fiable, abondante et décarbonée.
L'Union européenne a lancé l'initiative InvestAI qui s'élève à 200 milliards d'euros, dont 20 milliards sont dédiés à quatre ou à cinq gigafactories d'intelligence artificielle. À l'occasion du dernier salon Viva Technology, à Paris, l'entreprise américaine Nvidia a annoncé la création de 200 nouveaux centres d'IA en Europe et de cinq gigafactories en partenariat avec le français Mistra AI.
Toutefois, il convient de poursuivre nos efforts en matière d'autonomie. Du fait de ces gigafactories, il faut s'attendre à une augmentation de la demande électrique européenne d'au moins 15 % dans la prochaine décennie. Il faut en avoir conscience dès maintenant et prendre les mesures qui s'imposent.
Ce défi est immense. La région Hauts-de-France mesure l'ampleur de la tâche, notamment dans le département du Nord, en particulier à Maubeuge. Le réarmement technologique sera rapidement bénéfique pour l'Union européenne. En effet, grâce à nos centres IA, nous serons souverains en la matière, donc moins dépendants des data centers américains ! Recrutements comme industrie seront relancés, car l'investissement de plusieurs milliards d'euros dans le réarmement créera des milliers d'emplois directs et indirects.
Plus largement, j'appelle à ce que nous nous emparions du rapport de Mario Draghi sur l'avenir de la compétitivité européenne. La concurrence mondiale s'intensifie. Les États-Unis et la Chine investissent massivement quand l'Europe est en perte de vitesse économique. L'enjeu est grave : il y va de notre avenir. Il faut éviter le déclassement économique, qui entraînerait notre marginalisation.
Ce rapport pose un diagnostic sans concession, voire inquiétant. Y sont proposées 176 mesures concrètes dans dix secteurs industriels et cinq secteurs transversaux. Il constitue la feuille de route de la Commission européenne pour la période 2024-2029. Le cœur du plan est clair : l'Europe doit investir entre 750 milliards et 800 milliards d'euros par an, soit 4 % à 5 % de son PIB, dans l'innovation, l'énergie décarbonée et les infrastructures.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous dans la mise en œuvre des préconisations de ce document ? Au mois de janvier dernier, la Commission européenne a présenté la boussole pour la compétitivité, un plan opérationnel directement inspiré du rapport Draghi. Au mois de mai, elle a dévoilé sa stratégie pour lever les barrières qui entravent le marché unique, notamment en matière de licences et de qualifications. Enfin, un régime simplifié pour les start-up est prévu en 2026, marquant ainsi la première concrétisation de l'approche de Mario Draghi.
Ces mesures vont dans le bon sens, mais il convient d'accélérer cette marche en avant face aux géants qui nous entourent. En effet, lors du sommet de l'Otan, la question des droits de douane entre l'Union européenne et les États-Unis sera sans doute abordée. Pour le dire sans ambages, je crains que la Commission européenne n'ait admis son impuissance : il est impossible de réduire, encore moins d'éliminer le socle de 10 % de droits de douane américains. Monsieur le ministre, je crains que l'ambition européenne ne se limite désormais à éviter une nouvelle augmentation après le 9 juillet. Qu'en est-il ?
Pour conclure, l'Europe ne peut plus se comporter en spectatrice, même engagée. En matière de sécurité notamment, nous devons assumer nos responsabilités et prendre en main notre destin. Une Europe de la défense forte et cohérente est notre assurance vie face à un monde incertain et dangereux. En matière de souveraineté, de paix et de solidarité, osons faire des choix stratégiques pour nos enfants, pour la paix, pour l'Europe et pour la France.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.