Alors oui, nous soutenons cette proposition de loi, parce qu'elle corrige une faille béante de notre système, parce que, au travers d'elle, nous réaffirmons que le droit est fait pour protéger non pas les délinquants et les criminels, mais les honnêtes gens. Les Français méritent la sécurité ! Nous la leur devons.

Qui visons-nous ici ? Des étrangers condamnés pour des crimes d'une particulière gravité. Nous parlons non pas de quidams, mais de criminels dangereux pour la société.

Il est devenu inacceptable qu'un étranger reconnu coupable de tels actes, promis à l'éloignement, puisse être relâché. C'est insupportable pour des millions de Français !

La loi actuelle est trop timorée, trop lente, trop faible. La rétention maximale de 90 jours ne suffit pas dans les cas les plus sensibles. L'obtention des laissez-passer consulaires prend du temps. Les échanges avec les pays tiers sont complexes. Et pendant ce temps, des bombes humaines peuvent être libres.

Nous le disons calmement, mais fermement : quand un individu a violé, quand un individu a tué, quand un individu a trahi l'hospitalité de la France, alors il ne doit pas marcher librement dans nos rues. Il doit être éloigné. Et s'il ne peut pas l'être immédiatement, alors il doit rester sous contrôle. À défaut de l'avion, il faut imposer la rétention !

Ce texte ne témoigne pas d'une dérive sécuritaire, il est un acte de bon sens. Il est non pas une offense à l'État de droit, mais un bouclier pour les Français. Il ne remet pas en cause nos principes, il leur donne de la force. Il respecte le juge, la Constitution et le droit européen. Il garantit surtout la sécurité des Français.

J'entends déjà les critiques. On parle d'atteinte aux libertés. Mais quelle liberté ont les victimes quand la République se montre faible avec leurs bourreaux ? De quelle liberté disposent nos concitoyens si la République n'est plus capable d'éloigner ceux qu'elle a condamnés ? La première des libertés, c'est de vivre en sécurité. C'est cela la justice ; c'est cela l'ordre républicain.

Le texte que nous examinons aujourd'hui répond à une exigence : protéger les Français avec lucidité, avec détermination et sans naïveté. Il prolonge un régime déjà existant pour les terroristes. Il l'étend à d'autres profils tout aussi dangereux. Il facilite l'action des services de l'État. Il met fin à des absurdités administratives. Il redonne à la puissance publique les moyens d'agir.

Mes chers collègues, l'autorité n'est pas un gros mot. L'ordre n'est pas une nostalgie. La fermeté, ce n'est pas l'inverse de la République. Au contraire, c'est la protection de la liberté, c'est la justice sociale, c'est la République debout. La fermeté, c'est la République vivante qui tient parole ; c'est la République qui protège ; c'est la République qui décide.

Nous avons trop attendu, trop reculé, trop regretté après coup. Aujourd'hui, il faut faire face ; il faut voter ce texte. Il faut, enfin, que l'État redevienne ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un rempart, un bouclier, une force. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, afin d'examiner les huit amendements qui ont été déposés sur le texte, la commission des lois demande une interruption de séance d'une durée d'un quart d'heure.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante,

est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive

Article 1er

(Non modifié)

La sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifiée :

1° Après le mot : « étranger », la fin de l'intitulé est ainsi rédigée : « condamné pour des faits graves ou dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » ;

2° L'article L. 742-6 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou s'il fait l'objet d'une décision d'expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » sont remplacés par les mots : « ou s'il fait l'objet d'une décision d'expulsion ou d'interdiction administrative du territoire » ;

b) Après le même premier alinéa, sont insérés dix-neuf alinéas ainsi rédigés :

« Le premier alinéa du présent article est également applicable à l'étranger :

« 1° (Supprimé)

« 2° Qui fait l'objet d'une condamnation définitive pour l'un des crimes ou des délits suivants :

« a) Le crime contre l'humanité et le crime contre l'espèce humaine prévus au titre Ier du livre II du code pénal ;

« b) Les crimes de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement prévus aux articles 221-1 à 221-5 du même code ;

« c) Les crimes de tortures ou d'actes de barbarie prévus aux articles 222-1 à 222-6 dudit code ;

« d) Le crime de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner prévu aux articles 222-7 et 222-8 du même code ;

« e) Les crimes et les délits de violences prévus aux articles 222-9 à 222-14-1 et 222-14-5 du même code ;

« f) Les crimes et les délits de viol et d'agression sexuelle prévus aux paragraphes 1 et 2 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II du même code et les infractions sexuelles contre les mineurs prévues au paragraphe 2 de la section 5 du chapitre VII du même titre II ;

« g) Les crimes et les délits de trafic de stupéfiants prévus aux articles 222-34 à 222-43-1 du même code ;

« h) Le crime de réduction en esclavage ou d'exploitation d'une personne réduite en esclavage prévu aux articles 224-1 A et 224-1 B du même code ;

« i) Les crimes d'enlèvement et de séquestration prévus aux articles 224-1 à 224-5-2 du même code ;

« j) Le crime de traite des êtres humains prévu à l'article 225-4-1 du même code ;

« k) Les crimes et les délits de proxénétisme prévus aux articles 225-5 à 225-9 du même code ;

« l) Les crimes et les délits de vol aggravé avec violences prévus aux articles 311-5 à 311-10 du même code ;

« m) Les crimes d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation prévus aux articles 410-1 à 421-5 du même code ;

« n) Les crimes et les délits d'association de malfaiteurs et de concours à une organisation criminelle prévus aux articles 450-1 et 450-1-1 du même code ;

« o) Les délits de menaces, d'actes d'intimidation ou de violences commis à l'encontre des personnes mentionnés à l'article 433-3 du même code ;

« p) Les délits de menaces ou d'actes d'intimidation prévus à l'article 434-8 du même code ;

« 3° Dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 1 est présenté par M. Chaillou, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L'amendement n° 5 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour présenter l'amendement n° 1.

Mme Audrey Linkenheld. Il s'agit d'un amendement de suppression de l'article 1er.

Comme l'a dit mon collègue Christophe Chaillou lors de la discussion générale, notre groupe est défavorable au principe même d'étendre la durée de rétention de droit commun, qui est aujourd'hui de 90 jours – soit une durée qui est déjà plus élevée qu'elle ne l'était il y a quelques années –, ainsi qu'à l'idée de porter la durée maximale de rétention à 210 jours dans un certain nombre de cas exceptionnels, comme c'est le cas pour les étrangers condamnés pour des actes de terrorisme.

Nous considérons qu'un tel allongement des délais n'est pas la solution aux difficultés réelles auxquelles nous faisons face pour garantir l'éloignement effectif des étrangers concernés.

Pour nous, la question de l'éloignement doit faire l'objet d'une réflexion en amont, y compris lorsque cet éloignement concerne des personnes condamnées au moment de leur détention, et non au moment de leur rétention. Une durée de rétention de 90 jours devrait normalement suffire à faire exécuter une telle décision.

Chacun sait que, si les mesures d'éloignement des étrangers échouent si souvent, c'est avant tout parce que nous manquons de moyens. Or ce manque de moyens ne pourrait que s'aggraver si l'on décidait d'allonger les délais de rétention administrative : cela signifierait en effet que l'on retiendrait davantage encore de personnes dans les centres de rétention administrative, des centres pourtant déjà bien remplis, où la situation est déjà très tendue, où la dignité des personnes n'est pas toujours respectée, et où la sécurité, y compris celle des personnels qui y travaillent, n'est pas non plus nécessairement garantie.

Cet amendement témoigne de notre volonté d'en rester au droit existant.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l'amendement n° 5.

M. Guy Benarroche. Notre groupe partage bien entendu les propos tenus à l'instant par notre collègue Audrey Linkenheld, de même que la volonté de prévenir la récidive des individus condamnés. Je le précise, car je ne voudrais pas que l'ambiguïté qui transparaissait notamment dans les propos de M. le ministre d'État perdure et puisse alimenter les polémiques. Pour autant, cette volonté ne doit pas servir de prétexte pour multiplier les mesures répressives à l'égard des étrangers.

La présente disposition, en autorisant le placement en rétention jusqu'à 210 jours des étrangers condamnés pour des infractions de nature délictuelle, même au seul motif que leur comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, soulève un certain nombre de difficultés juridiques : elle pourrait en effet être jugée irrecevable en raison de l'absence manifeste de proportionnalité entre la restriction de liberté et l'objectif que l'on cherche à atteindre.

Nous avons par ailleurs déjà souligné l'inefficacité de cette mesure au regard de son but, à savoir l'effectivité de l'éloignement.

De fait, la rétention administrative est utilisée par l'administration pour entretenir l'amalgame entre personnes étrangères et délinquance, un amalgame sur lequel nous vous alertons, parce qu'il s'inscrit, en vertu d'une tautologie hors de contrôle, dans une logique d'enfermement et d'expulsion.

Le taux élevé de libération par les juges judiciaires témoigne d'ailleurs de l'existence d'un certain nombre de pratiques illégales ou d'erreurs administratives. Cette position est partagée, entre autres, par la Cimade et l'Observatoire de l'enfermement des étrangers.

Enfin, je le rappelle, nous ne disposons d'aucune étude d'impact ni d'aucune analyse quant aux potentielles conséquences d'un tel allongement de la durée de rétention. Jusqu'à présent, en tout cas, aucun allongement de la durée de rétention dans les CRA n'a jamais permis de renvoyer chez eux les étrangers concernés ou de rendre effectives les obligations de quitter le territoire français.

Nous nous opposons à l'aggravation des restrictions de liberté induite par cet allongement de la durée de rétention de personnes enfermées sans condamnation, d'autant plus que le dispositif nous paraît totalement inefficace.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Lauriane Josende, rapporteure. La commission est défavorable à ces deux amendements identiques de suppression de l'article 1er, leurs auteurs souhaitant rouvrir un débat que nous avons déjà eu en première lecture.

L'article 1er a pour objet de donner le temps nécessaire à l'administration de mener à bien l'éloignement des étrangers les plus dangereux. Il s'agit d'une mesure essentielle pour protéger nos concitoyens.

On le sait, l'éloignement des étrangers les plus dangereux se heurte à des difficultés particulières, que personne ne conteste : obstruction des intéressés, risque de fuite, non-respect des mesures d'assignation à résidence, réticence des États étrangers à délivrer les laissez-passer consulaires, etc.

Dans ces conditions, l'éloignement est une course contre la montre, qui, à l'heure actuelle, ne s'achève que trop rarement en faveur de l'administration. Allonger jusqu'à 210 jours la durée de la rétention pour les étrangers les plus dangereux, c'est desserrer cette contrainte temporelle et accroître la probabilité d'un éloignement effectif.

Rappelons qu'en 2024, plus de la moitié des éloignements des étrangers relevant du régime réservé aux terroristes ont été réalisés au-delà du quatre-vingt-dixième jour de rétention. Autrement dit, sans l'allongement que nous proposons, moins de la moitié de ces éloignements auraient eu lieu.

Rappelons aussi que, même en la portant à 210 jours, la durée maximale de rétention reste très inférieure à celle qu'autorise la directive Retour – dix-huit mois, soit 540 jours – et qu'appliquent un grand nombre d'États européens.

Certes, il faudra aussi développer nos capacités de rétention – personne ne le conteste –, mais tel est précisément l'objet du plan « CRA 3000 » sur lequel le ministre d'État pourra certainement en dire davantage.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Vous avez eu raison, madame la rapporteure, d'évoquer le plan « CRA 3000 » : nous allons ouvrir dans quelques mois un nouveau CRA à Dunkerque, un autre à Dijon, un autre encore à Bordeaux ; nous avons aussi mis en place un programme pour augmenter le nombre de places dans les CRA existants, si bien qu'aujourd'hui nous accroissons très rapidement nos capacités d'accueil.

En revanche, je ne peux pas accepter certains des propos que je viens d'entendre : il est insupportable, monsieur Benarroche, de laisser penser que nous ferions un amalgame entre étrangers et individus dangereux. Je l'ai dit tout à l'heure à la tribune, vous essentialisez les étrangers quand vous dites qu'un étranger ne peut pas être dangereux.

M. Guy Benarroche. Je n'ai jamais dit ça !

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Je veux simplement que les Français sachent que le public concerné par le texte dont nous débattons est constitué de personnes ayant été condamnées pour des crimes contre l'humanité, des meurtres, des assassinats, des violences ayant entraîné la mort, des tortures, des actes de barbarie, des délits et crimes de violence, des délits et crimes de viols ou d'agressions sexuelles, des délits et crimes de trafic de stupéfiants, des crimes de réduction en esclavage, des crimes d'enlèvement et de séquestration, du proxénétisme, des vols avec violences aggravées, des crimes d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, et j'en passe. Pensez-vous vraiment, après avoir entendu cette liste d'infractions, que notre approche constitue un amalgame ? (M. Guy Benarroche proteste.)

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Nous visons des étrangers, non pas parce qu'ils sont étrangers, mais parce qu'ils sont dangereux !

La durée de rétention de 210 jours que nous proposons dans ce texte est, sachez-le, l'une des plus courtes en Europe, mais aussi l'une des mieux encadrées : d'abord, le juge des libertés sera appelé, selon une séquence préprogrammée, à donner son avis à trois reprises ; ensuite, si des faits ou des éléments nouveaux émergent, l'étranger pourra à tout moment demander au juge judiciaire d'intervenir.

J'ajoute, pour conclure, qu'il ne faut pas confondre détention et rétention, dans la mesure où, si l'étranger coopère et s'il nous donne son identité, il est parfaitement libre de partir.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement est, comme la commission, défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, vous n'êtes pas obligé de déformer la réalité pour trouver des arguments à opposer aux miens.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Vous non plus !

M. Guy Benarroche. D'abord, ni le groupe de M. Chaillou ni notre groupe n'ont jamais dit qu'un étranger ne pouvait pas être dangereux parce qu'il était étranger. Nous n'avons jamais dit ça !

Ensuite, il est un peu facile de citer à l'appui de votre démonstration, comme vous venez de le faire, un certain nombre de crimes particulièrement odieux. Vous oubliez de préciser que le texte prévoit aussi la possibilité de placer en rétention jusqu'à 210 jours des personnes présentant des menaces pour l'ordre public.

Notons qu'aujourd'hui la durée moyenne d'un séjour en CRA est d'environ une quarantaine de jours. Dès lors, très peu de personnes restent jusqu'à 90 jours dans un centre de rétention administrative. Par conséquent, pensez-vous qu'il soit efficace de porter à 210 jours la durée maximale de rétention ? Pensez-vous réellement que cela va changer quelque chose ?

M. Guy Benarroche. Enfin, vous savez très bien que l'inexécution d'une OQTF ne résulte pas uniquement d'erreurs administratives. Cela n'arrive que dans des cas exceptionnels, comme dans l'affaire qui a conduit au dépôt de cette proposition de loi. De même, son exécution ne dépend pas de la durée du séjour en CRA. Aujourd'hui, il n'y a aucun lien avéré entre la durée de rétention et le nombre plus ou moins grand d'OQTF exécutées.

Vous savez très bien que le nombre d'expulsions dépend essentiellement de notre puissance diplomatique et de notre capacité à faire en sorte que les étrangers concernés puissent retourner chez eux une fois les documents nécessaires obtenus.

Brandir des crimes odieux comme vous le faites, monsieur le ministre, peut produire un bel effet sur un certain nombre de journalistes, de médias, voire sur une partie de l'opinion publique, mais ce n'est pas la réalité, monsieur le ministre !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 5.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

(Non modifié)

L'article L. 743-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) La seconde phrase est supprimée ;

2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Le quatrième alinéa du présent article est également applicable lorsque l'intéressé fait l'objet d'une peine d'interdiction du territoire, d'une condamnation définitive pour l'un des crimes ou délits mentionnés à l'article L. 742-6 du présent code ou d'une décision d'expulsion ou d'interdiction administrative du territoire ou si son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

« Dans les cas prévus aux quatrième et avant-dernier alinéas du présent article, l'intéressé est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 est présenté par M. Chaillou, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L'amendement n° 6 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Christophe Chaillou, pour présenter l'amendement n° 2.

M. Christophe Chaillou. Cet amendement vise à supprimer l'article 2, lequel prévoit de généraliser le caractère suspensif de l'appel interjeté par le préfet contre une décision du juge des libertés et de la détention mettant fin à la rétention administrative, et ce à chaque fois qu'est visé un étranger sous le coup d'une mesure d'éloignement. En effet, un tel dispositif revient de fait à remettre en cause la décision du juge des libertés et de la détention et, surtout, conduit mécaniquement à allonger la durée de rétention jusqu'à la décision en appel.

Comme cela a été dit à plusieurs reprises, les CRA sont en situation de saturation. Monsieur le ministre, vous avez annoncé le déploiement d'un plan « CRA 3000 ». Or, vous le savez bien, un certain nombre de centres de rétention administrative n'ont pas le personnel leur permettant d'atteindre véritablement leur capacité d'accueil maximale. D'ores et déjà, il existe donc de nombreuses difficultés et les tensions sont très fortes.

Le fait de maintenir éternellement des personnes en rétention ne modifiera pas fondamentalement les choses. Contrairement à ce que j'ai entendu dire tout à l'heure, il est faux d'affirmer que le dispositif fonctionnera mieux si l'on prolonge de cent jours la durée maximale de rétention, sachant que le délai moyen pour qu'une décision d'éloignement du territoire soit prise est de quinze jours.

Par cet amendement de suppression, nous demandons le retour à la situation de droit commun. Nous souhaitons revenir à un dispositif plus censé, plus équilibré, qui respecte nos principes fondamentaux.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l'amendement n° 6.

M. Guy Benarroche. Pour compléter les propos de M. Chaillou, j'indique que l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des personnels qui travaillent dans les CRA, des services de police ou de ceux du ministère de l'intérieur, reconnaissent qu'une longue période d'enfermement en CRA, sans éloignement effectif, aboutit de fait à une dégradation de l'état de santé des personnes concernées, à une hausse des tensions au sein des centres, les personnels n'étant pas formés pour gérer ce type de situation, dans des lieux qui ne sont pas prévus pour cela, ainsi qu'à une saturation des juridictions.

Nous discutons régulièrement de la politisation des pouvoirs du préfet : non seulement ces pouvoirs sont appliqués de manière très variable selon les territoires, mais ils entraînent un recours abusif à la rétention administrative, faisant de celle-ci un outil de gestion de la politique sécuritaire plutôt qu'un moyen de garantir l'exécution des mesures d'éloignement. Cet empiétement du pouvoir administratif sur le pouvoir judiciaire va aussi à l'encontre du principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire, qui découle de l'article 64 de la Constitution.

Au vu de ces conséquences désastreuses, de la multiplication du nombre des rétentions administratives et de l'allongement de leur durée, qui ne permettent pas, j'y insiste, de rendre plus effectives les décisions d'éloignement, notre groupe s'oppose au caractère suspensif de l'appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention de lever une décision de placement en CRA.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Lauriane Josende, rapporteure. Ces deux amendements identiques visent à supprimer l'article 2. Or l'effet suspensif de l'appel contre la décision de remise en liberté est nécessaire et proportionné.

Une telle mesure est nécessaire tout d'abord parce que la remise en liberté immédiate des étrangers concernés reviendrait à priver l'appel d'objet. Dans l'hypothèse où la cour d'appel annulerait la décision de première instance et accorderait une prolongation de la rétention, quel serait l'effet de cette décision si l'étranger était libéré et – on ne peut en douter – s'était enfui ?

Elle est proportionnée, ensuite, parce que la remise en liberté immédiate d'un étranger qui a commis des faits graves ou qui présente une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public revient à créer un risque inacceptable pour la sécurité de nos concitoyens. L'actualité est malheureusement riche de tels exemples.

En outre, la durée pendant laquelle l'étranger est maintenu à la disposition de la justice est très brève, puisqu'elle ne peut excéder soixante-douze heures, soit le délai d'appel de vingt-quatre heures et le délai de quarante-huit heures dont dispose le juge d'appel pour statuer.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Le Gouvernement partage l'avis de la commission.

J'ajouterai deux éléments à l'argumentaire de Mme la rapporteure.

Premièrement, si l'on veut protéger les Français, il faut que l'appel du préfet soit suspensif. Croyez-moi, dans bien des affaires, si le préfet avait disposé d'un tel pouvoir, un certain nombre de Français auraient été beaucoup mieux protégés. Cela doit être notre obsession.

Deuxièmement, la portée de cette règle est assez modeste. Je rappelle que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile érige en principe que l'appel n'est pas suspensif, sauf exception, lorsque la personne est poursuivie pour terrorisme. L'article 2 prévoit tout simplement d'étendre cette exception à la liste des infractions particulièrement graves que j'ai citées tout à l'heure. Je ne l'ai d'ailleurs pas inventée, puisqu'elle figure à l'article 1er de la présente proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui viennent d'être développés par mes collègues. Je tiens seulement à préciser que l'une des raisons pour lesquelles nous avons déposé cet amendement de suppression de l'article 2 tient à l'incertitude qui est la nôtre – et je me tourne vers vous, monsieur le ministre – quant à la compatibilité de cette mesure, qui permettrait de suspendre les délais d'appel, voire les délais de recours, avec le pacte sur la migration et l'asile, dont vous avez vous-même parlé tout à l'heure.

Vous avez indiqué qu'à la rentrée prochaine vous feriez un point devant la représentation nationale sur la mise en œuvre de ce pacte, qui suscite beaucoup d'interrogations. Un certain nombre d'éléments de ce pacte relevant malheureusement – c'est ce qui semble se profiler – d'un règlement et non d'une directive, le Parlement ne pourra pas les examiner.

La commission des affaires européennes du Sénat a d'ailleurs indiqué, dans un avis motivé, qu'elle considérait que ce règlement n'était pas conforme au principe de subsidiarité. Aussi les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aimeraient-ils être certains que les dispositions de la présente proposition de loi seront bien conformes aux règles en matière de recours qui régiront prochainement notre droit, à la suite de la réforme de la directive Retour.

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.

M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Madame la sénatrice, il faut distinguer, d'une part, le pacte sur la migration et l'asile, et, d'autre part, la transformation de la directive Retour en règlement.

D'abord, le pacte sur la migration et l'asile est tout simplement un ensemble de règles en matière de contrôle des frontières extérieures. Il n'entre pas directement dans le champ de cette proposition de loi. Cela étant, ce pacte comprendra un certain nombre d'outils beaucoup plus restrictifs, par exemple pour les demandeurs d'asile, dont la probabilité d'obtenir le statut de réfugié est aujourd'hui inférieure à 20 % .

Ce pacte va aussi contribuer à accélérer les procédures et offrir la possibilité à ces demandeurs d'asile d'être placés en zone d'attente, et, donc, de rester sous la main, si j'ose dire, en attendant le terme de la procédure. Dans ce cas de figure, l'Allemagne, comme d'autres États, souhaiterait que l'appel n'ait plus du tout de caractère suspensif.

Ensuite, il y a la directive Retour, qui deviendra le règlement Retour. La Commission européenne a mis sur la table un projet de règlement qui prévoit de porter la durée de rétention de tous les étrangers, et pas seulement de ceux qui pourraient être dangereux, de dix-huit mois à vingt-quatre mois. Cette réforme du droit européen va nettement plus loin que les évolutions que nous envisageons, via notamment cette proposition de loi d'initiative sénatoriale, pour améliorer la protection des Français.