M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Mêmes causes, mêmes effets : avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Nous défendons cet amendement parce que la réforme prévue pour la gouvernance de l'audiovisuel public soulève de sérieuses inquiétudes, qui portent sur l'indépendance éditoriale et les principes démocratiques.

La présente réforme vise à attribuer des prérogatives exécutives au président-directeur général de la holding, lui octroyant ainsi des pouvoirs de décision et d'action sans précédent. La concentration du pouvoir entre les mains d'une seule personne se ferait au détriment des 16 000 employés, et transformerait les anciennes entreprises ainsi que leurs directeurs en simples exécutants. Cette nouvelle organisation, que nous dénonçons, les priverait de leur autonomie décisionnelle tout en complexifiant les procédures administratives.

Dans son rapport, Laurence Bloch propose d'aller encore plus loin en créant un poste unique de directeur de l'information, qui superviserait l'ensemble des journalistes de la holding, une centralisation du pouvoir inacceptable dans un secteur particulièrement sensible. Confier le contrôle de l'information de tous les médias publics à une seule personne augmenterait considérablement les risques d'ingérence étatique, d'immixtion d'intérêts privés ou de pressions extérieures. En cas d'intervention du pouvoir exécutif, un simple effet de cascade hiérarchique vers les rédactions transformerait l'audiovisuel public en audiovisuel d'État. (M. Roger Karoutchi s'impatiente.)

C'est justement pour mettre fin aux radios et télévisions d'État et à l'emprise politique de l'ère gaulliste que l'audiovisuel public fut divisé en plusieurs sociétés après 1974, sous l'impulsion de Valéry Giscard d'Estaing, à la suite de plusieurs années de vives contestations tant internes qu'externes à l'entreprise.

Plusieurs incidents survenus au cours des dernières années ont déjà mis en lumière la porosité des médias publics aux pressions des groupes conservateurs, au travers de la déprogrammation d'humoristes ou de programmes citoyens. On peut légitimement craindre qu'une centralisation accrue empire cette situation.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 72.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 65, présenté par Mmes S. Robert et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mme Rossignol, MM. Cardon et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Féraud, Mme Féret, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Roiron, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Remplacer les mots :

de définir les orientations stratégiques des

par les mots :

d'organiser la définition des orientations stratégiques du groupe en concertation avec les

La parole est à Mme Colombe Brossel.

Mme Colombe Brossel. Cet amendement de repli vise à assurer l'équilibre des pouvoirs au sein de la future société France Médias. À défaut de supprimer celle-ci, nous souhaitons limiter le plus possible les effets néfastes de la réforme pour les sociétés et le personnel de l'audiovisuel public.

Il a été répété à l'envi depuis des mois que cette société serait le chef d'orchestre des sociétés de l'audiovisuel public.

M. Max Brisson. C'est vrai !

Mme Colombe Brossel. L'objet de notre amendement – très constructif, là encore – est donc justement d'organiser une véritable « codéfinition » des orientations du groupe et de ses différentes unités.

Notre attachement à la liberté éditoriale et aux caractéristiques propres de chaque groupe de l'audiovisuel public nous fait adopter cette position d'équilibre. La société France Médias serait alors instituée comme une véritable médiatrice entre les différentes composantes de l'audiovisuel public, et non comme une entité qui en chapeauterait les différentes parties. Une telle codétermination des orientations stratégiques nous semble bien plus indiquée pour la gestion du service public de l'audiovisuel que l'introduction d'un mode d'administration managériale qui vise à se rapprocher de la gestion d'une société privée.

Nous craignons qu'une direction exécutive unifiée entraîne une dilution de ce qui fait aujourd'hui la spécificité de notre audiovisuel public, sa diversité et les différentes nuances qui la composent.

Le premier objectif affiché par la ministre et par les rapporteurs depuis le début de l'examen de cette proposition de loi en première lecture est la massification : massification des entités, des audiences et, en réalité, bien que ce motif n'ait pas été avoué officiellement, massification des économies.

Les défenseurs de cette proposition de loi se trompent lourdement sur la vocation du service public de l'audiovisuel. Cette vocation est non pas obligatoirement d'être le plus fort, le plus gros, le plus regardé, le plus massif, mais d'abord d'être le plus pluraliste possible. Or ce pluralisme nous semble mieux assuré dans la situation actuelle de l'audiovisuel public que par les termes de la présente proposition de loi.

M. le président. L'amendement n° 64, présenté par Mmes S. Robert et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mme Rossignol, MM. Cardon et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Féraud, Mme Féret, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Roiron, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Après le mot :

définir

insérer les mots :

et de réviser tous les cinq ans

La parole est à Mme Colombe Brossel.

Mme Colombe Brossel. Cet amendement a pour objectif d'instaurer une révision quinquennale des orientations stratégiques de la holding de l'audiovisuel public. Il s'agit d'un ajustement essentiel pour garantir une vision cohérente de l'audiovisuel public dans la durée et répondre ainsi aux défis de transformation auxquels sont confrontés les médias publics.

Comme l'a noté récemment la Cour des comptes dans différents rapports relatifs à l'audiovisuel public, le pilotage stratégique du service public audiovisuel souffre aujourd'hui d'un manque de lisibilité, de cohérence et de réactivité, faute d'un État actionnaire stable dans ses orientations et ses arbitrages.

Il faut rappeler que les orientations stratégiques sont certes définies par la holding, mais qu'elles figurent également dans les conventions stratégiques pluriannuelles, définies à l'article 3 – nous y reviendrons –, signées avec l'État. En d'autres termes, l'État est naturellement partie prenante à ces orientations stratégiques.

Or le schéma actuel ne doit pas être amené à se reproduire. Le rejet des derniers contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) par les commissions de la culture des deux assemblées, parce qu'ils ne respectaient nullement la trajectoire fixée, permet de souligner à quel point l'État actionnaire doit redevenir un État stratège en soutien réel de l'audiovisuel public, lequel est devenu un actif stratégique dans le contexte géopolitique actuel.

En prévoyant une révision stratégique tous les cinq ans, notre objectif est aussi d'adapter les médias publics aux mutations numériques, à la révolution induite par l'intelligence artificielle (IA) et à l'évolution des usages. L'accélération des transformations est aujourd'hui radicale. Il est fondamental d'instaurer des « clauses » de revoyure, pour s'assurer de leur alignement avec les priorités de l'État et celles des citoyens.

Enfin, cette révision régulière constituerait, pour le Parlement et les citoyens, un point d'étape démocratique. (Marques d'impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Elle créerait un rendez-vous régulier de réflexion, de débat et d'analyse sur les orientations stratégiques de l'audiovisuel public, renforçant ainsi son appropriation par les citoyens.

M. le président. L'amendement n° 66, présenté par Mmes S. Robert et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mme Rossignol, MM. Cardon et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Féraud, Mme Féret, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Roiron, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Remplacer la première occurrence du mot :

des

par les mots :

de la holding qui sont validées par les

La parole est à Mme Karine Daniel.

Mme Karine Daniel. Cet amendement vise à prévoir que les orientations stratégiques de la holding de l'audiovisuel public seront validées par les conseils d'administration des diverses sociétés qui la composent. À nos yeux, c'est un garde-fou démocratique supplémentaire dans le cadre d'une réforme qui, rappelons-le, suscite de fortes inquiétudes.

Pour notre part, si nous contestons la pertinence même de la création d'une holding, nous considérons, puisqu'il faut en débattre, qu'il convient d'en limiter les effets les plus nocifs pour le pluralisme, l'indépendance et la liberté de programmation des entités existantes.

Toute réforme organisationnelle du service public audiovisuel doit éviter un pilotage trop centralisé qui nuirait à la souplesse des opérateurs et à leur capacité à répondre aux spécificités de leur mission et de leur public. Radio France n'est pas France Télévisions et France Médias Monde n'est pas l'INA !

L'homogénéisation des orientations imposée d'en haut serait une erreur stratégique. Nous ne souhaitons pas que les sociétés de l'audiovisuel public deviennent les filiales passives d'une holding toute puissante qui caporaliserait les médias qui en dépendent. Elles doivent notamment demeurer maîtresses de leur ligne éditoriale et de leur stratégie numérique, même si une coordination peut exister entre les différentes entités pour atteindre des objectifs communs. C'est pourquoi nous souhaitons rééquilibrer les pouvoirs au sein de la holding, en soumettant les orientations stratégiques à l'aval des entreprises qui en relèvent.

D'ailleurs, dans son rapport, Laurence Bloch invite à un dialogue entre le PDG de la holding et les autres entités. Selon elle, la holding doit rester « une ombrelle juridique dans laquelle doit s'inscrire un dialogue permanent entre le PDG responsable des grands axes de la stratégie et les directeurs généraux délégués, professionnels du secteur en mesure de trouver les meilleurs chemins éditoriaux pour mettre en œuvre les principes stratégiques ». Or la structuration de ce dialogue est inexistante dans le présent texte. La gouvernance, telle qu'elle est matérialisée,…

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Karine Daniel. … est extrêmement verticale et centralisatrice, à rebours de cet espace de dialogue impératif.

M. le président. L'amendement n° 67, présenté par Mmes S. Robert et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mme Rossignol, MM. Cardon et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Féraud, Mme Féret, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Roiron, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Remplacer la première occurrence du mot :

des

par les mots :

du groupe après avis des

La parole est à M. David Ros.

M. David Ros. Nous sommes toujours plus constructifs et toujours plus souples, puisqu'il s'agit d'un amendement de repli du repli... (Sourires.)

Il s'agit de prévoir que, à tout le moins, les sociétés appartenant à la holding puissent rendre un avis sur les orientations stratégiques qui auront un impact décisif sur leurs missions, leurs priorités, leurs modalités d'action et surtout leur budget.

La présente proposition est d'ailleurs indissociable d'une analyse de l'article 3, sur lequel nous reviendrons, qui définit la composition du conseil d'administration de la holding.

En l'état, sauf erreur de notre part, France Télévisions, Radio France et l'INA ne seraient aucunement représentés au sein du conseil d'administration de la holding, sauf par le PDG de celle-ci, ce qui est clairement insuffisant.

Le choix de ce modèle de gouvernance est révélateur et déroutant : alors même qu'il était possible d'associer plus finement les directions des différents médias publics, le choix a été fait de les écarter. Cet arbitrage témoigne de la vision extrêmement verticale et centralisatrice qui préside à ce modèle de gouvernance, comme si, au fond, il fallait mettre au pas un audiovisuel jugé turbulent.

Pourtant, il était tout à fait possible de choisir d'autres formes de gouvernance. À titre d'exemple, puisque l'on a parlé de neutralité, le modèle suisse est particulièrement intéressant. La Société suisse de radiodiffusion et de télévision publique (SSR) est composée d'un conseil d'administration qui chapeaute quatre entités régionales auxquelles il soumet ses orientations stratégiques, afin de garantir une coordination entre les différentes entités et de préserver leur autonomie. Ce système coopératif et décentralisé n'a strictement rien à voir avec ce qui est proposé dans la proposition de loi. C'est un facteur de confiance et de fluidité entre la holding et les différents médias publics qui la composent.

Enfin, à notre sens, il y va des conditions d'un dialogue sain. Chaque média doit pouvoir défendre ses projets et ses priorités dans le respect de sa ligne éditoriale. L'expression de cette défiance n'est clairement pas le meilleur moyen d'enclencher une nouvelle dynamique et de favoriser l'acceptabilité de ce projet.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Mes chers collègues, j'ai le sentiment que vous n'êtes pas tout à fait favorables à cet article 1er ni au principe de la création de la holding… (Sourires.)

Si j'ai bien compris, vous cherchez, au travers de ces quatre amendements, à contourner le principe de la holding. Il est donc légitime de ne pas y être favorable, aussi intéressants soient-ils intellectuellement, car leur objet est incompatible avec l'article 1er. Par conséquent, l'avis de la commission ne peut qu'être défavorable.

Par ailleurs, notre collègue Ros a cité l'exemple de la SSR et de la Radio Télévision suisse (RTS) ; je signale que ces sociétés ont fusionné en 2010 et que, aujourd'hui, la télévision et la radio suisses fonctionnent très bien ensemble !

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Vive la Suisse !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 65.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 64.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 66.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 22 est présenté par M. Bacchi, Mmes Cukierman et Corbière Naminzo, M. Ouzoulias et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

L'amendement n° 62 est présenté par Mmes S. Robert et Monier, M. Kanner, Mme Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros et Ziane, Mme Rossignol, MM. Cardon et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Féraud, Mme Féret, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Narassiguin, MM. Redon-Sarrazy, Roiron, Uzenat et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L'amendement n° 221 est présenté par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3, première phrase

Supprimer les mots :

France Télévisions,

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour présenter l'amendement n° 22.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Vous l'aurez compris, nous nous opposons à ce projet de holding. Pour autant, au travers de cet amendement de repli, nous proposons d'exclure France Télévisions de cette holding.

France Télévisions est déjà un modèle de performance au sein du service public. L'intégrer à une structure globale, conçue comme un facteur de mutualisation forcée, risque non seulement de nuire aux autres entités, mais encore de fragiliser ce qui fonctionne bien aujourd'hui.

France Télévisions, c'est aussi l'audiovisuel public en outre-mer. Outre-mer La Première réunit toutes les chaînes des outre-mer. Je vais d'ailleurs profiter de cette occasion pour citer ces territoires, puisque l'on a beaucoup cité Paris, car il est possible que, du fait de cette réforme, on n'en entende plus parler ensuite : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna.

Dans nos territoires, l'audiovisuel public manque déjà de moyens. En 2025, France Télévisions consacre 440 millions d'euros à la création audiovisuelle et 80 millions d'euros au cinéma. C'est plus que Netflix, Disney Channel ou TF1. Elle est le premier pilier du soutien à la création en France et, en 2018, elle commandait plus de 405 millions d'euros d'œuvres patrimoniales, contre 256 millions pour TF1 et M6 réunis.

Comment pouvez-vous prétendre qu'une plus grande mutualisation soit profitable aux territoires éloignés de l'Hexagone ? Et puis, nos compatriotes hexagonaux ignorent encore tant de nos territoires, cette France de tous les océans du monde…

Comment, avec cette holding, pourra-t-on encore valoriser nos paysages, nos talents et nos cultures, aux côtés des collectivités territoriales ultramarines, comme c'est le cas aujourd'hui ? Comment maintenir les territoires ultramarins comme des terres de tournage si l'on persiste dans cette réforme ?

Ce projet de holding, tel qu'il est présenté aujourd'hui, ne renforce pas le service public ; bien au contraire, il menace son équilibre. (Marques d'impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Votez cet amendement, mes chers collègues, ne revenons pas à un contrôle colonial de l'information ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, pour présenter l'amendement n° 62.

Mme Karine Daniel. Cet amendement de repli vise à sortir France Télévisions du projet de holding France Médias.

Cette société a vu ses moyens diminuer drastiquement au cours des dernières années ; elle sera encore davantage fragilisée par son intégration dans une holding.

Les moyens budgétaires octroyés par l'État en 2025 devaient s'élever à 2 618 millions d'euros, dont 45 millions au titre du programme de transformation. Ils ont été ramenés à 2 567 millions d'euros lors de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, puis à 2 531 millions à la suite d'un arbitrage gouvernemental, à 2 520 millions lors du vote de la première partie du PLF, et finalement à 2 505 millions d'euros lors de l'adoption de la loi de finances. Ils sont ainsi inférieurs à ceux qui avaient été octroyés en 2019, sans compter l'inflation.

Comme si la baisse de la subvention publique ne suffisait pas, le texte que nous examinons prévoit en outre de plafonner les recettes commerciales – publicités et parrainages – sur la durée des futures conventions stratégiques pluriannuelles, soit entre trois et cinq ans.

Par ailleurs, le groupe France Télévisions est déjà constitué lui-même en interne sous forme de holding depuis la loi du 1er août 2000 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui a procédé à un regroupement des sociétés publiques de télévision.

France Télévisions est ainsi le premier groupe audiovisuel de notre pays, notamment en termes d'audience. Il regroupe plusieurs chaînes, dont France 2, France 3, France 4, France 5, France Info, la plateforme France TV, ainsi que les chaînes de l'outre-mer et le réseau La Première.

Le groupe détient également des participations dans plusieurs chaînes thématiques internationales. Il exploite par ailleurs, depuis la suppression de France O, voulue par le Gouvernement lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, un réseau de radios en outre-mer et possède plusieurs plateformes et sites web, dont le site france.tv. Toutes ces activités ne sauraient être mélangées à celles de la radio, de l'archivage ou de médias diffusant à l'international.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l'amendement n° 221.

Mme Monique de Marco. Je vais essayer de convaincre le Sénat de voter cet amendement de repli, qui vise à exclure France Télévisions du regroupement des sociétés de l'audiovisuel public français au sein de la holding France Médias.

L'an dernier, France Télévisions a pleinement démontré le rôle central qu'elle joue dans notre vie démocratique et dans la cohésion nationale. En diffusant les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, elle a permis à des millions de Français de vivre un moment de fierté collective. En organisant plus de 300 débats locaux pendant les élections législatives, elle a incarné une télévision de service public ancrée dans les territoires, accessible à tous et soucieuse de nourrir le débat démocratique.

Elle accomplit cette mission avec sérieux et professionnalisme, comme en témoigne le haut niveau de confiance dont elle bénéficie auprès du public : en effet, 60 % des Français considèrent comme fiable l'information qu'on y trouve, contre 31 % en moyenne pour les autres médias. Ce n'est pas un hasard, c'est le fruit d'années d'investissement, de rigueur journalistique et d'indépendance éditoriale.

France Télévisions n'a pas besoin de cette réforme, qui vise à diluer son identité, à fragiliser son indépendance et à soumettre sa gouvernance à un pouvoir centralisé.

Le présent amendement vise donc à préserver France Télévisions de la mise sous tutelle prévue dans cette proposition de loi. Préservons un modèle qui fonctionne, qui fait preuve de résilience dans un environnement médiatique en crise et qui continue à remplir pleinement ses missions de service public.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Dans la vie parlementaire, certains moments sont savoureux, et j'avoue que celui-ci en est un ! Il y en a d'autres que j'attends aussi avec gourmandise…

J'attendais donc de savoir, mes chers collègues, comment vous alliez défendre ces amendements : vous avez en effet soutenu avec conviction la création d'une holding qui regroupe l'INA, Radio France et France Médias Monde en excluant France Télévisions, en suivant une argumentation très structurée pendant deux minutes. Je trouve cela fabuleux, j'attends la suite avec impatience ! (On s'offusque sur les travées du groupe SER.)

L'avis est évidemment défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Monsieur le rapporteur, je vous rassure, nous allons proposer d'exclure les différentes sociétés une à une de la holding ; nous n'en sommes qu'à la première !

J'ai remarqué que vous n'utilisez plus l'expression de « BBC à la française », qui est, chacun l'a bien compris, le doux rêve poursuivi derrière ce projet de holding. En effet, lorsque les conservateurs et les réactionnaires sont arrivés au pouvoir au Royaume-Uni, la concentration leur a rendu la tâche très facile quand ils ont voulu amoindrir les pouvoirs de l'audiovisuel public. C'est ce qui s'est passé à la BBC, qui n'est plus que l'ombre d'elle-même…

Que s'est-il passé exactement quand les conservateurs sont arrivés ? Accusations de wokisme, chasse aux sorcières, désignation de personnalités proches du pouvoir au conseil d'administration, menaces sur le financement, déprogrammation d'émissions phares ou de documentaires gênants : la BBC est devenue un lieu d'intervention politique constante.

Ce sont surtout les coupes budgétaires qui sont à craindre après un regroupement de ce type. En octobre dernier, la BBC a subi 700 millions de livres sterling de coupes claires dans son budget de 3,5 milliards de livres, en raison d'un gel de ses ressources sur plusieurs années.

Quelles ont été les victimes prioritaires de ces coupes ? Les radios, précisément. BBC Radio 1 et BBC Radio 2 ont perdu près de 300 emplois. Les programmes d'information et d'investigation phares comme Newsnight, qui existait depuis 1980, ont disparu. L'audiovisuel extérieur, avec le BBC World Service, a perdu 185 emplois et a vu la fin de programmes phares diffusés depuis trente ans ou du réseau déployé en Asie, alors qu'il faut y lutter contre la désinformation.

Voilà ce qui nous attend avec la fameuse « BBC à la française » que vous souhaitez.

M. Max Brisson. Et en Allemagne ?

M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour explication de vote.

Mme Colombe Brossel. Ces amendements identiques sont des amendements de repli et nous allons égrener dans des amendements similaires les sociétés concernées.

Je parlerai non pas de l'Allemagne, cher collègue Brisson, mais de la Belgique ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous passez votre temps à nous opposer des modèles internationaux qui seraient tous plus convaincants les uns que les autres.

Mme Laurence Rossignol. Leur seul modèle, c'est Fox News !

Mme Colombe Brossel. Force est de constater que ce n'est pas le cas. Nous avançons avec des arguments rationnels, étayés, et nous arrivons à la Belgique.

M. Max Brisson. On va faire tout le Benelux !

Mme Colombe Brossel. En 2018, l'audiovisuel public belge a fait l'objet d'une réforme de grande ampleur. À la place des chaînes de télévision et de radio du groupe qui ont été supprimées, on trouve désormais un pôle consacré aux contenus, qui crée et fait l'acquisition de contenus, et un pôle médias, qui analyse les publics, valorise et distribue les sujets.

Mme Rachida Dati, ministre. Vous y êtes allée ?

Mme Colombe Brossel. Selon la société des journalistes de Belgique, cette réforme a entraîné une dégradation des conditions de travail ; en 2023, un rédacteur en chef qui était en arrêt pour burn-out s'est d'ailleurs suicidé sur son lieu de travail.

Du point de vue de l'organisation du travail, un journaliste politique peut désormais, par exemple, se voir demander de travailler pour la radio, la télévision et le numérique. Ces nouvelles tâches doivent être effectuées sur le même temps de travail, ce qui accentue la pression et a nécessairement des conséquences sur la qualité de l'information.

On le voit donc, il existe à l'étranger des contre-exemples éclairants illustrant le fait que le regroupement, la mutualisation à marche forcée, la suppression de l'indépendance et de la pluralité des modes de travail, d'intervention, des points de vue et des angles peuvent conduire à un appauvrissement de la qualité de l'information et même, dans les cas les plus graves – nous les redoutons –, à une dégradation des conditions de travail des journalistes.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.

Mme Monique de Marco. Je n'avais pas prévu d'évoquer la situation d'autres pays, mais je vais le faire !

Auparavant, je veux dire que je suis quelque peu déçue, car je pensais que nous aurions une véritable discussion. En commission, nous avons été frustrés : nous avons dû discuter à toute vitesse des amendements pour la séance. J'espérais donc que, comme vous nous l'aviez promis, le débat se tiendrait en séance. Or il n'y en a pas ! Vous repoussez d'un revers de main, en les ridiculisant, nos amendements, qui sont pourtant de simples amendements de repli. Mais nous irons jusqu'au bout, et nous évoquerons les différentes entités, l'une après l'autre.

Puisque vous le réclamez tous, et de Marco étant un nom italien, je vais donc parler de l'Italie (Ah ! sur des travées des groupes UC et Les Républicains.) et de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel dans ce pays.

Le système historique de répartition des chaînes entre partis politiques, dit « lottizzazione », a été modifié pour renforcer le contrôle gouvernemental. Sous le gouvernement Meloni, on a assisté à la levée des limitations de temps de parole pour les membres du Gouvernement et à l'accroissement du risque d'institutionnalisation politique de la Rai. Voilà jusqu'où l'on peut aller !

Je pourrais citer d'autres pays en exemple, mais le temps passant j'y reviendrai ultérieurement.