M. Claude Malhuret. La France a besoin de l'exact contraire.

M. Rachid Temal. Assumez votre politique !

M. Claude Malhuret. Elle a besoin de mesures qui engagent des économies urgentes et qui permettent davantage d'activité, de croissance et d'emploi.

La réalité est simple : la meilleure de toutes les mesures sociales, c'est un travail. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)

Mme Elsa Schalck. Exactement !

M. Claude Malhuret. Le budget que vous proposez, après que les socialistes vous ont tordu le bras, et surtout après que le déficit aura été aggravé par l'alliance de tous les démagogues de l'Assemblée nationale, ne le permettra pas. Depuis la dissolution, nous n'avons plus que des budgets de survie : ce projet de loi de finances n'est pas destiné à construire l'avenir. Il doit simplement donner au Gouvernement une chance d'éviter la censure.

M. Rachid Temal. Rappelez Édouard Philippe !

M. Claude Malhuret. Les trois années passées par Édouard Philippe à Matignon sont celles au cours desquelles le déficit a été inférieur à 3 % du PIB, je vous le rappelle !

M. Thierry Cozic. Grâce à François Hollande !

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, si nous vous en voulons un peu, nous comprenons vos difficultés. C'est pourquoi le Sénat va vous aider – non pas à faire plaisir aux socialistes, mais à leur résister.

M. Rachid Temal. Zéro proposition !

M. Claude Malhuret. Certes, nous n'avons pas le dernier mot, mais nous pouvons faire beaucoup, comme nous l'avons fait pour le budget de 2025.

Nous allons tout d'abord purger le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale de tout ce qui va dans le mauvais sens. Nous allons ensuite y ajouter tout ce qui va dans le bon sens. Puis nous continuerons le travail en commission mixte paritaire,…

M. Hussein Bourgi. Quelles propositions ? Vous ne faites que des critiques !

M. Claude Malhuret. … où, comme l'an dernier, les parlementaires raisonnables seront plus nombreux que ceux qui, même lorsqu'ils sont à jeun, sont toujours prêts à dépenser plus que des marins ivres.

M. le président. Il va falloir conclure.

M. Claude Malhuret. Nous recommencerons en deuxième lecture. (M. Lucien Stanzione martèle son pupitre.) Nous serons alors en fin année et, parmi tous les scénarios possibles, que vous connaissez, celui où, à la fin des fins, la raison l'emporte n'est pas du tout le moins probable.

Voilà notre feuille de route des prochains mois. Comme vous le dites, le Gouvernement proposera, nous débattrons, puis nous voterons.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Et nous résisterons !

M. Claude Malhuret. Nous vous donnons rendez-vous, monsieur le Premier ministre. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Rachid Temal. La parole est à la défense ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. François Patriat. Mes chers collègues, je vous remercie par avance de votre mansuétude : il est difficile de s'exprimer après un orateur si talentueux, mais je vais tout de même relever le défi ! (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en cette période troublée, est-il besoin de rappeler que les défis sont immenses ? Beaucoup, d'ailleurs, a déjà été dit sur ce sujet.

En fait, dans notre pays, tout le monde sait ce qu'il faudrait faire, mais bien peu acceptent les efforts nécessaires.

Monsieur le Premier ministre, l'Himalaya évoqué par votre prédécesseur reste d'actualité, mais votre expérience et votre sens du dialogue devraient nous permettre, comme nous l'espérons, d'affronter ce moment.

Nous traversons une crise institutionnelle sans précédent, qui paralyse notre pays depuis de longs mois et alimente un immobilisme mortifère, facteur de récession et de déclin.

Oui, la situation est grave. La réalité économique nourrit légitimement les inquiétudes. Le déficit public dépasse 5 % du PIB et la dette devient le premier poste de dépenses de l'État, devant l'éducation nationale.

M. Mickaël Vallet. Qui gouverne depuis huit ans ?

M. François Patriat. Nos entreprises gèlent leurs investissements, nos partenaires européens s'inquiètent et nos concitoyens perdent confiance dans les institutions. Il faut sortir de cette spirale destructrice.

M. Didier Marie. La faute à qui ?

M. François Patriat. Vous abordez cette période tumultueuse non seulement avec humilité – les Français vous en savent gré –, mais aussi avec fermeté et détermination. Il faudra tenir, monsieur le Premier ministre.

L'immobilisme n'est plus une option. La France a besoin de confiance et de stabilité. Elle ne se relèvera pas dans le vacarme, mais dans la lucidité, le courage et la responsabilité.

Notre ambition est claire : donner un budget à la France avant la fin de l'année. C'est là notre mission essentielle.

Nous voulons un budget qui mette un coup d'arrêt à l'accroissement de la dette et trace un chemin vers l'avenir ; un budget qui traduise le besoin de justice sociale et fiscale, mais n'ignore en rien les efforts nécessaires à notre crédibilité financière ; un budget pour que les entreprises puissent continuer d'investir et d'embaucher ; un budget qui permette à la France de conserver sa crédibilité à l'international.

Les élus du groupe RDPI prendront pleinement leur part au débat, notamment en défendant leurs amendements.

Ce budget, c'est l'urgence absolue, notre responsabilité première et notre devoir impératif face aux Français, qui attendent de nous, non pas des postures, mais des actes.

Les grands débats idéologiques, les positionnements stratégiques, les ambitions personnelles des uns et des autres n'ont rien à faire dans cet hémicycle. Les questions dont il s'agit seront tranchées par les Français lors de la prochaine campagne présidentielle, qui aura lieu en 2027 et pas avant.

N'en déplaise à M. Mélenchon et à sa horde de révolutionnaires de pacotille fauteurs de troubles, n'en déplaise à Mme Le Pen et à son armée de poutinistes obnubilés tant par leurs ambitions personnelles que par leurs promesses intenables, ces deux extrêmes, soudés par la haine, n'ont comme horizon que le désordre et le chaos.

L'irresponsabilité des extrêmes, leur refus du dialogue et leur goût pour l'obstruction ne font que miner la démocratie. Enfermés dans leurs logiques d'appareils, minéralisés dans leurs postures hostiles, ces partis ne proposent aux Français qu'une réponse politique binaire, avec chacun un bouc émissaire : les riches, pour l'extrême gauche, l'immigration, pour l'extrême droite, sont responsables de tous les maux.

Alors que les extrêmes ne cherchent que le tumulte, nous œuvrons pour la stabilité. Contrairement aux candidats d'ores et déjà déclarés, notre horizon ne s'arrête ni aux six mois qui nous séparent des élections municipales ni aux dix-huit mois qui nous séparent de la présidentielle.

Notre horizon, c'est la France, aujourd'hui comme demain : celle qui se réinvente, celle qui se réforme, celle qui prépare l'avenir. Il ne suffit pas de se payer de mots : il faut des actes.

Mes chers collègues, la République mérite mieux que la caricature et le chantage permanent à la censure. Pendant des années, une partie de l'opposition a dénoncé l'usage du 49.3 comme un déni de démocratie. Elle a appelé de ses vœux un Parlement fort, souverain et pleinement législateur. La décision de renoncer à cet article de la Constitution marque un tournant majeur dans l'équilibre de nos institutions : elle mérite d'être saluée, en particulier par les oppositions.

Monsieur le Premier ministre, en faisant ce choix, vous placez le Parlement face à ses responsabilités.

Cette décision n'est pas anodine. Il s'agit là d'un acte de confiance inédit envers la représentation nationale. Tâchons d'en être dignes. On ne peut pas réclamer le renforcement de la démocratie parlementaire et, dans le même temps, en refuser l'exercice.

Mes chers collègues, la France est debout parce que des responsables, de droite comme de gauche, ont choisi le réel contre les illusions, l'avenir contre le repli, la responsabilité contre la démagogie. C'est le chemin du Gouvernement et c'est la seule voie pour que notre pays résiste aux vents contraires.

Dans le désordre parlementaire, je suis heureux de constater une fois de plus que le Sénat demeure un véritable pôle de stabilité.

Notre expérience et notre ancrage territorial nous donnent le devoir d'agir, avec pour seule boussole l'intérêt général. Il est grand temps que ce dernier nous guide tous de nouveau, députés comme sénateurs, majorité comme opposition.

Si chacun de nous adoptait cette posture, nous sortirions rapidement de l'ornière dans laquelle nous sommes enlisés.

Agir pour mettre en œuvre les réformes que vous avez présentées, monsieur le Premier ministre : pour le pouvoir d'achat, pour la justice fiscale, pour faire en sorte que la décentralisation soit plus efficace et moins coûteuse.

Hier, vous avez annoncé la suspension de la réforme des retraites. Nous en prenons acte, l'urgence étant de sortir de la crise politique pour apporter l'apaisement et la stabilité dont le pays a besoin. Mais nos convictions n'ont pas changé. Nous attendons la discussion parlementaire, et nous souhaitons que le débat permette de faire émerger des mesures de compensation budgétaire réalistes et adaptées.

M. Didier Marie. La taxe Zucman !

M. François Patriat. J'attends de ceux qui ont obtenu gain de cause hier à l'Assemblée qu'ils ne s'opposent pas à des mesures nécessaires à l'équilibre budgétaire demain. Les conclusions de la conférence pour les retraites et le travail que vous souhaitez convoquer permettront de nourrir un débat qui aura lieu en 2027. Parce qu'il faudra bien, quoi qu'on en dise, assurer demain l'équilibre des régimes de retraite, et cela passera par les pistes que vous avez évoquées.

Bien sûr, certains ont pu avoir des regrets, être amers, compte tenu des travaux que nous avons menés sur les retraites. Néanmoins, aujourd'hui, il nous faut retenir le principe de réalité et essayer de calmer et d'avancer.

Nous devons bâtir des solutions qui permettent à chacun de garder la tête haute. Les négociations ne peuvent pas prospérer sur l'humiliation des uns et le triomphalisme des autres. C'est dans le respect mutuel que naissent les accords solides. Trouver des compromis ne signifie pas se compromettre. Le Sénat, rompu à un tel exercice, est plus que jamais appelé à jouer ce rôle éminent.

Le regard sénatorial s'impose aussi pour aborder avec exigence les défis des outre-mer, que je vous remercie d'avoir mentionnés. L'attente de nos compatriotes se fait criante face aux crises successives ; aujourd'hui, une véritable inquiétude naît.

Monsieur le Premier ministre, je connais votre attachement à ces territoires et votre engagement pour eux. Mais je vous le dis comme président du premier groupe ultramarin au Sénat : les outre-mer ne peuvent pas devenir la variable d'ajustement budgétaire. Les réponses à leur apporter ne doivent pas être guidées par une logique populiste. Les Ultramarins n'ont pas besoin de promesses illusoires ; ils ont besoin d'eau, de regain économique, d'une coopération régionale décentralisée, ainsi que d'autres produits. De même, il est crucial de proscrire tout traitement uniforme, en particulier dans le cadre budgétaire, pour répondre aux besoins spécifiques de ces territoires. Sans cela, c'est le pacte de confiance entre les outre-mer et la République qui pourrait être durablement fragilisé.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, entre le chaos des motions de censure à répétition et les immobilismes budgétaires, il existe une troisième voie : celle du compromis républicain et de la responsabilité collective. C'est cette voie que le groupe RDPI empruntera pour redonner à la France la stabilité qu'elle mérite et l'efficacité que ses citoyens sont en droit d'attendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici enfin réunis pour débattre. Votre déclaration de politique générale était annoncée pour la semaine dernière, monsieur le Premier ministre, mais comme vous aviez remis votre démission, vous y aviez renoncé. Mais, finalement, vous êtes redevenu Premier ministre vendredi soir et, entre-temps, vous avez composé un gouvernement. Nous sommes donc enfin réunis après ces valses-hésitations pour réagir à votre programme.

Et nous entendons – ô combien… – vous êtes soutenu par vos propres amis. J'oserais d'ailleurs m'adresser à certains, à commencer par Claude Malhuret, dont la charge a été lourde : en politique, les discours ne suffisent pas ; il faut aussi des actes. À celles et ceux qui trouvent que ce gouvernement ne répond pas à leurs attentes, je rappelle qu'une motion de censure sera soumise au vote demain à l'Assemblée nationale…

À l'heure où je vais prendre la parole, l'exercice est difficile : tous les commentateurs se sont entendus pour dire que la gauche « raisonnable » a tourné le dos à la gauche d'opposition claire à Emmanuel Macron, afin de faire le choix d'une forme de soutien sans participation. Dès lors, à quoi bon discuter ici puisque la censure ne serait pas votée demain ?

Monsieur le Premier ministre, comme vous avez vous-même recouru à une métaphore religieuse, en vous définissant comme un « moine-soldat », permettez-moi d'en utiliser une autre, celle du péché originel. (Murmures amusés sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce péché originel, c'est celui qui fait que vous êtes aujourd'hui Premier ministre, alors même que vous et vos amis avez été battus lors des élections législatives anticipées de l'été 2024. Certes, aucune majorité absolue n'est ressortie du scrutin, mais il y a une certitude : votre camp a été battu. Or, à quatre reprises, Emmanuel Macron a bafoué le vote des électeurs en nommant un Premier ministre issu de son camp !

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez beaucoup parlé de « rupture », de « volonté de compromis », de « coalition », laissant finalement reposer la responsabilité de tout cela sur les forces de gauche. Or vous ne pouvez pas masquer le fait que le seul responsable du chaos politique et institutionnel actuel, c'est le Président de la République ! Et, de vous à moi, les annonces que vous avez faites ne vous permettront pas de durer.

Bien évidemment, certains se satisfont d'un plat de lentilles pour prolonger le jour sans fin de la macronie. Mais quand les lentilles ne sont pas cuites, le plat est indigeste ! (M. Olivier Paccaud s'esclaffe.)

Nous sommes face à une réalité. La Constitution n'a jamais prévu que les gouvernants et les représentants du peuple ne respectent pas le suffrage de ce même peuple. Nous en sommes donc là aujourd'hui. Et vous continuez tant bien que mal à toujours vouloir garder le pouvoir contre l'avis de ceux qui se sont exprimés.

Monsieur le Premier ministre, en toute sincérité, cela ne marche pas et ne marchera pas.

Voyez-vous, nous sommes réunis dans un moment solennel : celui d'une crise politique que nous pouvons qualifier de « sans précédent » depuis 1958. Et nous ne pouvons que regretter que vous n'ayez pas recours au vote de confiance sur votre politique et votre projet. Celui-ci ne peut pas se résumer à la déclaration de politique générale. Dans un discours politique, l'essentiel est également souvent ce qui n'est pas dit. Votre projet budgétaire est la copie aggravée de celui de M. Bayrou.

Sommes-nous d'accord sur le gel de l'indexation des salaires et des pensions de retraite, la diminution de l'aide personnalisée au logement (APL), des minima sociaux, allant jusqu'à la non-indexation de l'allocation pour décès d'enfant ? La réponse est non !

Sommes-nous d'accord sur la hausse des franchises médicales ? La réponse est non !

Sommes-nous d'accord pour baisser de 5 milliards d'euros le budget aux collectivités territoriales ? La réponse est encore non !

Sommes-nous d'accord pour un nouvel acte de décentralisation qui ne garantit ni la libre administration ni l'autonomie fiscale aux collectivités ? C'est toujours non !

Pouvons-nous nous satisfaire du non-recours à l'article 49.3 alors qu'il existe des dizaines d'autres superpouvoirs aux mains du Gouvernement ? Là aussi, la réponse est non !

C'est l'un des points clés de l'enfumage auquel nous assistons. Il faut le dire clairement, l'exécutif garde la main sur le débat budgétaire, 49.3 ou non. Ce sont les lois de la Ve République. Rappelons-en quelques-unes : l'article 40, qui ne permet pas au Parlement d'engager des dépenses sans l'accord du Gouvernement ; le vote bloqué, par l'article 44.3 ; la possibilité d'une deuxième délibération ; enfin – cette liste n'est pas exhaustive –, le dispositif que vous avez tu, celui des ordonnances budgétaires.

Vous dites laisser du temps au débat, en sachant très bien que le délai constitutionnel de soixante-dix jours ne suffira pas. Les ordonnances sont donc un « super 49.3 » qui vous permettra in fine d'imposer votre budget.

Soyez clair : pouvez-vous nous dire que vous n'aurez pas recours aux ordonnances budgétaires ? Les Français doivent le savoir, la gauche doit le savoir. Parce que, voyez-vous, si, demain, certains vous épargnent une censure et vous croient profondément sincère quand vous dites renoncer à utiliser le 49.3, ont-ils seulement réfléchi à votre capacité à utiliser les ordonnances et à contraindre le Parlement à des compromis boiteux ?

Par exemple, dans votre déclaration de tout à l'heure, vous avez déclaré qu'il y aurait un texte sur la suspension des réformes. Mais vous veniez d'indiquer juste auparavant, entre quatorze heures et quinze heures, à l'Assemblée nationale : « Je pense qu'il faut que le Gouvernement dépose un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale dès novembre. » Vous le voyez, ce n'est pas qu'une question de mots. Le sujet, c'est celui de votre pouvoir d'organiser les débats et de contraindre jusqu'où vous le voudrez le débat au Parlement.

Monsieur le Premier ministre, la politique générale dévastatrice menée depuis 2017 et les dénis de démocratie successifs poussent nos concitoyens au dégagisme, à sortir tous ceux qu'ils jugent responsables de la situation.

Êtes-vous prêts à assumer cette exigence des citoyens ? Sommes-nous prêts à repenser ensemble notre rapport à la politique et aux institutions pour réellement redonner le pouvoir au peuple, qui lui seul détient le pouvoir de décider, conformément à la Constitution, et dont nous sommes simplement ses représentants ? Voyez-vous, je fais partie de ceux qui pensent que seul le peuple est souverain : seule sa décision m'importe. On peut toujours tordre le bras à la démocratie ; mais, à trop le lui tordre, c'est elle-même qui vous broie.

Mesdames, messieurs les ministres présents, mais qui êtes-vous ? À quoi avez-vous cru ? Avez-vous réellement cru qu'il n'y avait pas de lignes rouges entre nous ? Voilà des mois que la droite trace, comme elle vient de le faire, ses propres lignes rouges : maintien de la réforme des retraites, refus de la justice fiscale, refus de plus d'égalité. Avez-vous cru ces clivages dépassés ? Mais non ! Et je vous le dis avec franchise : vous ne les dépasserez pas ! Car servir les intérêts des nantis, c'est l'ADN d'Emmanuel Macron ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

La censure de votre gouvernement est donc une exigence pour sanctionner cette politique, qui a mis la France et son peuple à genoux. Et je m'adresse tout particulièrement à la gauche de cet hémicycle : si je ne fais pas de procès en trahison, je fais des procès en incompétence à ceux qui applaudissent des Premiers ministres ne présentant aucun projet de loi de nature à mettre en œuvre des politiques progressistes dans notre pays. Car c'est bien cela, la réalité ! (Murmures sur les travées du groupe SER.)

Si nous voulons tourner clairement et sans ambiguïté la page du macronisme, il faut ouvrir sans chausse-trape la voie de la justice fiscale et sociale. Or vous ne le permettrez pas. Laisser croire que votre gouvernement peut répondre aux aspirations populaires est, selon nous, une tromperie que nous ne pouvons pas accepter.

Monsieur le Premier ministre, vous allez répondre que j'ai tort. Mais, puisque vous êtes si sûr de vous et de votre méthode, pourquoi ne pas avoir demandé, comme François Bayrou l'a fait le 8 septembre, un vote de confiance ?

Celles et ceux qui vont voter la censure demain ne sont pas des irresponsables. Ce sont au contraire des élus courageux et responsables devant les Français, qui veulent encore et toujours l'abrogation de la réforme des retraites, et certainement pas une retraite par capitalisation. Ils sont responsables devant les Français, qui n'en peuvent plus de se serrer la ceinture et qui exigent la justice fiscale. Ils sont responsables devant les Français, quand le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances que vous avez déposés contiennent un lot de mesures qui vont broyer les travailleurs, ces mêmes travailleurs que vous avez tant cités hier !

Ce qui fait démocratie, c'est en premier lieu le respect du vote.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Cécile Cukierman. Si la crise du régime guette, c'est bien parce que ce pilier fondateur de la République, le suffrage universel, a été bafoué.

La censure d'un tel affront démocratique est inéluctable pour ne pas prolonger cette politique honnie. Nous y sommes prêts ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Akli Mellouli. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, c'est sur un fil d'équilibriste que le Gouvernement va devoir dérouler son action.

Monsieur le Premier ministre, si le sens du collectif l'emporte demain, vous souhaiteriez ouvrir un chemin commun malgré les divergences. Au sein du RDSE, tous exercés à la recherche du compromis, nous ne pouvons que vous encourager à retenir cette méthode.

Dans le contexte actuel, celui d'un quatrième gouvernement depuis un an, celui d'une crise politique enkystée qui frôle la crise de régime, celui d'une lassitude des Français, mon groupe vous souhaite de passer les sauts d'obstacles, mais, bien entendu, pas à n'importe quel prix.

Oui, le RDSE veut que notre pays retrouve une stabilité politique. Nous le devons à nos concitoyens, qui voient depuis des mois le triste spectacle des ambitions passer avant l'intérêt de la Nation et épargnent outre mesure par peur du lendemain., une telle prudence pouvant coûter a minima 0,3 point de PIB à notre économie.

Les effets de ce désordre politique touchent les Français, toutes les entreprises et les marchés financiers, qui le font payer aux investisseurs et à la dette. Il faut que cela s'arrête.

C'est aussi la crédibilité de notre pays vis-à-vis de nos partenaires européens qui est en jeu. Alors que le Président de la République souhaite relancer l'axe franco-allemand, c'est avec inquiétude que Berlin regarde une France devenue ingouvernable. La France a besoin de l'Europe et l'Europe a besoin de la France. Il est donc urgent de rassurer sur tous les fronts.

Monsieur le Premier ministre, vous conviez le Parlement à un exercice de responsabilité. Cela vaut en premier pour l'Assemblée nationale, si fracturée. Mais le Sénat doit prendre aussi sa part dans la recherche du dialogue et de la coconstruction. Ce sera difficile si chacun des groupes reste dans son couloir idéologique, comme on peut le regretter dans beaucoup de nos débats. Depuis la dissolution – nous le répétons –, il n'y a pas de majorité claire. Chacun peut continuer à travailler avec des œillères. Mais regardons le résultat depuis un an : une succession de petits textes, donnant le sentiment d'une absence de cap, faute de s'inscrire dans un cadre cohérent.

La France vit une crise inédite. Face aux urgences économiques et sociales, souhaiter maintenant une élection présidentielle est irresponsable. À court terme, la dissolution serait plutôt une punition que la solution. Ceux qui la réclament à l'extrême gauche portent le risque de faire le lit de l'extrême droite.

Pour mon groupe, la priorité est un budget pour 2026 qui réponde aux attentes des Français et qui rassure les acteurs économiques et les collectivités locales, un projet fidèle aux fondamentaux de notre pacte social et républicain, un projet qui ne promette pas seulement du sang et des larmes, car c'est d'espoir qu'ont besoin nos concitoyens.

Si la réduction du déficit est une nécessité, elle ne doit pas enfermer toutes nos politiques publiques. Et je salue votre volonté, monsieur le Premier ministre, de ramener l'objectif du déficit à 4,7 %.

Ainsi que notre collègue Raphaël Daubet l'a rappelé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, la récession de 1993 puis la crise de 2008 avaient déjà plongé le solde public à des niveaux proches de ceux que nous connaissons aujourd'hui. Chaque fois, il a fallu de sept ans à neuf ans pour ramener le déficit sous la barre des 3 %. Ne prenons pas le risque d'une rigueur qui gripperait le peu de croissance qu'il reste.

C'est un budget que nous voulons juste. Vous le savez, l'équité fiscale et sociale est une demande forte exprimée par nos concitoyens.

Oui, il y a la taxe Zucman. Oui, c'est vrai, elle va loin, et elle n'est pas sans écueils. Mais, comme le dit l'adage, qui peut le plus peut le moins. Les débats vifs autour de cette taxe auront eu le mérite de réveiller les consciences. Vous êtes prêt, monsieur le Premier ministre, au débat sur la fiscalité des grandes fortunes. Vous trouverez le RDSE sur ce terrain. Au fil des budgets, nous posons à chaque fois la question des holdings familiales et de l'optimisation fiscale, ou encore du niveau de la mise à contribution du capital.

À cet égard, je rappellerai que notre collègue Christian Bilhac avait fait adopter au Sénat une hausse du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Mais cette mesure avait fait les frais de la procédure de seconde délibération. Rassurez-nous, monsieur le Premier ministre : nous avons bien entendu qu'il n'y aurait pas de 49.3 à l'Assemblée nationale, mais, au Sénat, l'entêtement idéologique sur certaines travées nous conduira-t-il au vote bloqué ou à cette fameuse seconde délibération ?

Sans entrer dans le détail sur le budget de l'État, je soulignerai juste que mon groupe sera attentif au sort réservé aux finances des collectivités locales. Au regard du brouillard politique dans lequel nous vivons, ces dernières apparaissent comme un roc et un vecteur fondamental de la commande publique, une commande publique indispensable à la fois à la croissance et à la cohésion sociale.

Écoutez les élus locaux, qui réclament stabilité et visibilité. Ils demandent une pause dans les réformes institutionnelles. Ils ne veulent pas de nouveaux changements, après ceux qui ont été opérés, parfois à marche forcée. Je pense à la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, à la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) ou à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), à propos de laquelle je viens de remettre un rapport illustrant ce besoin de clarté à l'échelon décentralisé.

En revanche, nous sommes favorables à une réflexion sur de nouvelles relations entre l'État et les collectivités locales, pour plus de facilitation, d'accompagnement et de simplification. Nous vous soutiendrons dans votre volonté d'un État plus efficace pour un meilleur usage de la dépense publique, c'est-à-dire là où elle est indispensable : à l'école, dans la santé, dans la justice, dans les territoires, en particulier ultramarins, et dans la défense.

Je pense aussi à notre modèle social, qui demande des marges budgétaires pour être préservé, et aux attentes de la société sur de grands sujets, comme l'accompagnement de la fin de vie, un débat que nous avons ajourné. Le RDSE souhaite examiner rapidement les deux textes qui y sont consacrés.

Je n'oublie évidemment pas l'avenir de notre système de retraite. Vous avez décidé la suspension de la réforme de 2023. Cette rupture de fond était très attendue. J'espère cependant que seront conservées les avancées obtenues pour les femmes, pour les carrières longues ou hachées, ainsi que la prise en compte de la pénibilité au travail, que mon groupe a défendue.

Le Gouvernement l'a souligné, un tel arrêt aura un coût financier. C'est aux partenaires sociaux de trouver les moyens de garantir que cette pause ne soit pas financée par la dette publique. Cela ruinerait la confiance dans notre modèle, fondé en 1944 sur le principe de la solidarité et auquel le RDSE, comme la plupart des Français, reste attaché.

Monsieur le Premier ministre, comment ne pas vous souhaiter une bonne réussite ? À ce stade, votre double volonté de permettre le débat et de remettre le pays sur les rails de la stabilité semble sincère.

Au-delà d'adopter un budget, il est impératif de restaurer la confiance pour sortir d'une République maltraitée. Sans un minimum de concorde, nous, parlementaires, serons encore un peu plus fragilisés. Si la Ve République a été formatée pour une vie politique bipolaire, elle a encore les ressources pour surmonter une crise, sous réserve de pratiques politiques plus apaisées, expurgées des lignes rouges et tournées vers la recherche du consensus au service de tous les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)