M. Patrick Kanner. En creusant les fractures sociales et territoriales, cette politique a ouvert la voie aux populismes. Vous en portez une lourde part de responsabilité.
Je n'ai pas oublié la promesse faite le 7 mai 2017 par Emmanuel Macron, nouvellement élu Président de la République, au pied de la pyramide du Louvre : « Je ferai tout pour que les Français n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. »
Mme Marie-Arlette Carlotti. C'est réussi…
M. Patrick Kanner. En 2017, il y avait huit députés d'extrême droite. Aujourd'hui, ils sont 140. Voilà le résultat concret de vos choix.
M. Laurent Somon. Et LFI ?
M. Patrick Kanner. Malgré ce contexte, je salue votre décision de ne pas recourir à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous l'avions réclamé, parce qu'il fallait réparer une anomalie démocratique. Le Parlement reprend enfin la main, et c'est heureux. Gageons que les débats à venir seront l'occasion de corriger les mesures qui sont pour nous inacceptables.
Nous serons extrêmement vigilants et déterminés face à tout recul social. Notre ligne écarlate est claire : nous refusons que les plus modestes paient une fois de plus le prix des erreurs accumulées depuis 2017.
Monsieur le Premier ministre, il n'y aura pas de stabilité véritable sans justice sociale, il n'y aura pas de justice sociale sans justice fiscale, il n'y aura pas de croissance sans relance du pouvoir d'achat et il n'y aura pas de redressement sans confiance retrouvée avec les collectivités territoriales. Ce sont elles qui, souvent seules, avec courage et abnégation, pallient vos reculs en matière de solidarité, alors même qu'elles font face à des restrictions budgétaires toujours plus sévères, à des transferts de compétences sans moyens associés…
M. Loïc Hervé. Sous François Hollande, elles ont été servies !
M. Patrick Kanner. … et à des suppressions de recettes fiscales. Ce sont elles qui subissent vos critiques injustes de mauvaise gestion.
Quelle considération manifestez-vous pour nos territoires, quand vous leur demandez toujours plus en leur donnant toujours moins ? La « décentralisation providence » est devenue une « décentralisation pénitence ».
Je vous en conjure, reprenez à votre compte le principe de subsidiarité pour rendre plus efficace l'action publique.
Reprenez à votre compte l'indispensable confiance envers nos 500000 élus locaux, qui ne doivent plus douter de l'utilité de leur engagement.
Reprenez à votre compte l'extraordinaire créativité de nos collectivités territoriales, notamment les innovations que celles-ci déploient pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens et qui sont autant de réponses républicaines.
Et que dire des territoires ultramarins, une fois encore relégués au second plan de votre action ? Ils subissent un coup de rabot inacceptable. Votre projet de loi de finances (PLF) leur inflige près de 750 millions d'euros de coupes, pour un budget annuel d'à peine 3 milliards d'euros. C'est une véritable claque infligée à des territoires déjà fragilisés par la vie chère, la pénurie de logements et l'insécurité économique.
J'ai une pensée émue pour nos concitoyens mahorais, durement touchés par le passage du cyclone Chido, qui attendent encore des moyens à la hauteur des promesses gouvernementales.
Je pense aussi à la Nouvelle-Calédonie, où la situation demeure très préoccupante. Les orientations gouvernementales passées, éloignées de l'esprit de l'accord de Nouméa, ont pu accentuer les divisions. L'accord de Bougival, fruit d'un dialogue patient et constructif, doit être respecté et appliqué.
Ces exemples rappellent une même exigence : le respect de la parole donnée, qui suppose à la fois le respect des engagements pris et la fidélité aux valeurs républicaines.
Monsieur le Premier ministre, j'ai évoqué de nombreux enjeux budgétaires. Mais, au-delà des finances publiques, nombre de menaces pèsent sur notre démocratie ; des menaces qui se mesurent non pas en euros, mais en valeurs.
Protéger l'État de droit, qui est sacré et intangible, ne coûte rien, monsieur le Premier ministre.
Accorder à chacun une fin de vie digne et librement choisie ne coûte rien, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Renoncer à la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public ne coûte rien, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yannick Jadot. Et à la loi Duplomb ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. En revanche, soutenir l'extrême droite plutôt que le front républicain, comme ce fut le cas dans le Tarn-et-Garonne dimanche dernier, c'est faire payer le prix fort à notre démocratie ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Et LFI ?
M. Patrick Kanner. Vous l'aurez compris, nous ne serons jamais vos alliés.
M. Bruno Sido. Votre temps de parole est terminé !
M. Patrick Kanner. Si nos collègues socialistes ne vous censureront pas demain à l'Assemblée nationale, c'est aussi parce que, au regard des bouleversements qui traversent le monde, la voix de la France doit être forte.
Dans ce contexte anxiogène, nous ne vous censurerons pas demain, mais nous resterons une opposition exigeante ; et notre main ne tremblera pas si nous constatons que vos engagements ne sont pas tenus.
À la veille des quatre-vingt-dix ans du Front populaire,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Vous en rêvez encore ? C'est périmé !
M. Patrick Kanner. … je fais miens les mots de Léon Blum : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l'existence. » Voilà la base de notre engagement, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Rachid Temal. Applaudi par toute la droite, quel talent…
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, après avoir écouté les orateurs précédents, il m'a paru plus utile de vous parler avec mes sentiments,… (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Enfin !
M. Hervé Marseille. … quitte à renoncer à mon discours écrit.
Monsieur le Premier ministre, j'ai tout d'abord une pensée pour vos prédécesseurs, Michel Barnier et François Bayrou, que l'on a peu cités jusqu'à présent. Ils ont essuyé les plâtres pour essayer de construire des budgets de compromis. Ils ont échoué, d'autant qu'ils n'ont pas eu la faculté de renoncer à la réforme des retraites... L'un ou l'autre, s'il avait eu ce choix, serait sans doute encore ici. (Vifs applaudissements sur les mêmes travées.)
J'ai aussi une pensée amicale pour Manuel Valls, qui a beaucoup travaillé…
Mme Jocelyne Guidez. C'est vrai !
M. Hervé Marseille. … sur les différents sujets que vous avez rappelés, notamment sur le dossier de la Nouvelle-Calédonie. Son expérience était précieuse. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Premièrement, en écoutant les interventions précédentes, je l'ai constaté une fois de plus : nous sommes, depuis le début, face à un problème de méthode, qui trahit un problème de confiance.
Chacune des forces politiques de ce que l'on a appelé du nom barbare de « socle commun » a annoncé son soutien à votre gouvernement. Depuis que vous avez été nommé Premier ministre, nous sommes régulièrement venus à Matignon à votre invitation. Mais, semaine après semaine, vous avez refusé de dévoiler vos intentions. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. Roger Karoutchi. Voilà !
M. Hervé Marseille. Certains ont sollicité un contrat de gouvernement, en vain. On leur a répondu : « Dites-nous ce dont vous avez besoin, nous vous dirons comment vous en passer. » (Rires et exclamations sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mes collègues centristes ont souhaité obtenir des engagements un peu plus précis : ils ne les ont pas obtenus.
Au terme de ce processus, il fallait bien un budget, des orientations et un gouvernement. Or nous n'avons rien su des orientations retenues. Nous n'avons rien su du budget, que nous ne connaissons que depuis quarante-huit heures. Et nous n'avons rien su du Gouvernement, qui, très limité à l'origine – il ne comptait que quinze ministres –, dénombre aujourd'hui plus de trente membres. La situation aurait été plus simple si l'on avait retenu ce choix dès le départ.
Non seulement vous n'avez rien voulu dévoiler de vos choix – c'est à l'évidence un problème de méthode –, mais vous vous êtes enfermé dans le dialogue avec nos collègues socialistes.
M. Rachid Temal. Nos honorables collègues socialistes…
Mme Sylvie Robert. Jaloux ! (Sourires.)
M. Hervé Marseille. C'était certes nécessaire, car il fallait chercher un compromis. D'autres l'ont fait, je l'ai rappelé, sans pour autant y arriver. Il fallait bien un dialogue, mais, je le répète, vous vous êtes enfermé dans une discussion avec les socialistes, en oubliant les forces politiques qui vous soutiennent et qui, d'ailleurs, continuent à vous le dire.
J'ai écouté vos propos depuis hier, en particulier la déclaration d'intention succincte que vous avez faite devant l'Assemblée nationale et que vous avez développée aujourd'hui. Un certain nombre d'orientations méritent encore d'être précisées. En effet, vous avez théorisé ce que je suis tenté d'appeler le principe de Chevallier et Laspalès : « C'est vous qui voyez. » (Rires et vifs applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
J'ai été heureux de vous entendre rappeler, une nouvelle fois il y a quelques instants, que la dette était au cœur de vos préoccupations. C'était en effet indispensable.
Il faut faire des économies : on le dit depuis des mois et même depuis des années. Vous l'avez souligné, notre crédibilité internationale et tout simplement notre souveraineté l'imposent. Mais comment pouvons-nous rester crédibles aux yeux de nos concitoyens dès lors que nous avons abandonné une réforme majeure, après avoir proclamé urbi et orbi qu'elle était indispensable ? (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Très bien !
M. Hervé Marseille. Comment les convaincre qu'il est indispensable de faire revenir le déficit sous la barre de 3 % du PIB en 2029 ? Notre crédibilité est, sinon endommagée, du moins émoussée. Il faudra faire beaucoup pour être de nouveau entendus.
Avec Michel Barnier, nous sommes déjà passés de l'horizon 2027 à l'horizon 2029. Qui, aujourd'hui, peut croire que nous atteindrons l'objectif de 3 % en 2029 ?
M. Jean-François Husson. Personne !
M. Hervé Marseille. En effet, personne. Dans ces conditions, autant le dire et, malgré tout, essayer de le faire ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Au cours des dernières semaines, on a surtout parlé de l'objectif de 40 milliards d'euros d'économies fixé par François Bayrou. En revanche, on ne parlait plus depuis quelque temps du dossier des dépenses militaires. Vous confirmez aujourd'hui que ces crédits seront exclus des efforts d'économies, et je vous en remercie. En effet, ils sont bel et bien indispensables et, en ce sens, constituent une priorité. Mais leur maintien vient aussi alourdir notre problème de dette.
Deuxièmement, je tiens à insister sur l'équité fiscale.
Nous le répétons depuis longtemps : si les efforts sont nécessaires, ils doivent également être bien répartis. Vous l'avez dit dès hier dans votre déclaration de politique générale : il s'agira de prélèvements supplémentaires, pesant évidemment sur les plus fortunés.
Il y a longtemps que le Sénat formule des propositions en ce sens. Nous vous accompagnerons sur ce dossier, cela va sans dire, comme sur celui de la fraude fiscale, auquel notre collègue Nathalie Goulet est particulièrement attentive.
Un autre sujet a été simplement effleuré. Or je vous demande de le prendre en considération : il s'agit de l'accord avec le Mercosur.
Aujourd'hui, on a l'impression que nos agriculteurs sont abandonnés. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP, Les Républicains et GEST.) Cette question étant traitée à l'échelon européen, on a le sentiment que tout se passe ailleurs et que, en somme, pendant les soldes, les affaires continuent… Il ne faudrait pas que ce dossier aboutisse, à l'insu de notre plein gré, contre l'avis et les intérêts de nos agriculteurs.
Troisièmement, et enfin, j'appelle l'attention sur le pouvoir d'achat.
Monsieur le Premier ministre, vous avez fait un choix que, comme beaucoup ici, je n'approuve pas, mais qui est maintenant acté : l'abandon de la réforme des retraites. Dès lors, on aura du mal à trouver des solutions en faveur du pouvoir d'achat.
M. Jean-François Husson. Et voilà !
M. Hervé Marseille. En effet, on ne peut pas à la fois compenser une telle perte au titre des retraites, acquitter la charge de la dette et défendre le pouvoir d'achat.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Antoine Lefèvre. Il n'y a pas d'argent magique !
M. Hervé Marseille. Il va donc falloir trouver des solutions, ce qui suppose de faire des choix politiques. Or il faut porter ce débat sur la place publique.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et les recettes ?
M. Hervé Marseille. On ne peut pas dire que l'on va continuer à faire des économies, ce qui est effectivement nécessaire, tout en réservant des efforts au pouvoir d'achat et en s'efforçant de trouver de l'argent…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est pas difficile !
M. Hervé Marseille. … pour les retraites.
La première année, ce ne sont pas 400, mais 800 millions d'euros qu'il faudra dégager. Et la deuxième année, ce ne sera pas 1,5 milliard d'euros – cela, c'est le surcoût –, ce seront 3 milliards d'euros. Il faut donner les chiffres et dire comment on fait. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Max Brisson. Voilà !
M. Jean-François Husson. Absolument !
M. Hervé Marseille. Monsieur le Premier ministre, en conclusion, je reviendrai sur le problème de méthode que j'évoquais en préambule. Il faut que l'on sache où l'on va, avec qui l'on y va et comment l'on y va.
Bien sûr, les chiffres sont mauvais. On sait que la situation est très compliquée. Aujourd'hui, il faut simplement que l'on mette les choses sur la table.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Hervé Marseille. Que l'on discute pour trouver un compromis, ce n'est pas choquant : c'est tout simplement indispensable. Mais disons comment l'on procède, comment l'on finance et jusqu'où l'on va.
Je me tourne vers nos collègues socialistes, et pour cause, car c'est avec eux que se font les compromis. J'aimerais savoir ce qu'ils vont faire de leur côté ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Rachid Temal. On vous le dira !
M. Roger Karoutchi. Rien !
M. Mickaël Vallet. Si les socialistes censurent, vous verrez…
M. Hervé Marseille. Un compromis est un contrat. Mais, pour garantir la stabilité, on ne peut pas passer par un contrat révisable quotidiennement.
M. Kanner vient de nous dire en substance : maintenant que l'on a mangé les retraites, on va vous servir du Zucman. Et quand il n'y aura plus de Zucman, on va regarder dans le budget ce qui nous plaît et ce qui ne nous plaît pas ! (Rires et vifs applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Mickaël Vallet. Vous voyez, quand vous voulez vous comprenez ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Marseille. Je n'ai aucune difficulté à parler avec le président Kanner et l'ensemble de nos collègues socialistes : le rapport de force nous l'impose. Simplement, quand on discute, il faut savoir ce que chacun apporte.
M. Mickaël Vallet. C'est bien un rapport de force !
M. Hervé Marseille. Chers collègues, je vois le prix que nous devons payer pour assurer la stabilité gouvernementale. Mais j'aimerais aussi savoir ce que vous apportez.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. 69 voix…
M. Hervé Marseille. Je le répète, on ne peut pas passer par des tractations quotidiennes ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Rachid Temal. Nous défendons nos amendements !
M. Hervé Marseille. Sur la méthode, je suis très clair. Je l'ai dit dès le premier jour, même quand nous manifestions un certain mécontentement : nous soutenons le Gouvernement. Nous n'allons pas prétendre le contraire aujourd'hui ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Mais on ne peut pas soutenir à n'importe quelles conditions et n'importe comment. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Je souhaite donc des discussions à la fois claires et transparentes.
M. Mickaël Vallet. Avec nous, camarade ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. C'est le rôle du Parlement !
M. Hervé Marseille. Les différentes propositions doivent être mises sur la table. Les Français peuvent comprendre que l'on revienne sur telle ou telle position pour garantir la stabilité et obtenir des résultats, mais pas incessamment ou en catimini.
Je le répète, je souhaite simplement que l'on se réunisse autour d'une table, que l'on expose les chiffres et que l'on se dise les choses. Ensuite, on verra si nous tombons d'accord ou non.
M. Mickaël Vallet. C'est moins jupitérien !
M. Rachid Temal. Cela s'appelle le Sénat !
M. Hervé Marseille. C'est à ce prix que nous pourrons avancer, en toute transparence et au service des Français ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour les groupes Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Oscar Wilde, ruiné et même endetté jusqu'au cou, disait à la fin de sa vie : « Je meurs au-dessus de mes moyens. » (Sourires et exclamations sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) C'est exactement ce qui est en train de nous arriver.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Bravo !
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, on peut dire que le budget de 2026 s'annonce plus difficile encore à construire qu'un meuble Ikea. (Nouveaux sourires.)
Mme Annie Le Houerou. Facile !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ça va le faire ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)
M. Claude Malhuret. L'équation est pourtant simple : nous cumulons le taux de prélèvements le plus élevé et le déficit le plus abyssal de l'Union européenne. N'importe quel comptable débutant en tirerait cette conclusion évidente : la France, c'est « Gabegie le magnifique ». (M. Antoine Lefèvre rit.) Il faut faire des économies.
Curieusement, de nombreux médias, réseaux sociaux ou partis politiques préconisent, à l'inverse, d'augmenter encore les dépenses.
Aux deux extrémités de l'Assemblée nationale, vos ennemis, qui sont aussi ceux de la démocratie, se moquent du budget et de l'intérêt général. Leur seul but est de précipiter la crise institutionnelle.
L'extrême gauche guette l'étincelle qui mettra le feu aux poudres. Après avoir bloqué l'Assemblée nationale pendant trois ans, la secte a vu surgir un mouvement dont le nom comblait ses désirs les plus fous : « Bloquons tout ». (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
En martelant à toutes les tribunes que toute mesure d'économies provoquera la famine, le déluge et les invasions de sauterelles (Nouveaux sourires.), La France insoumise a tenté de récupérer une ébullition improvisée. Une fois de plus, heureusement, elle a échoué à la transformer en insurrection.
Pauvre extrême gauche ! En définitive, son bilan se résumera à une seule chose : un siècle à bouffer du curé pour finir par lécher les bottes des mollahs… (Rires et applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. On est au théâtre des Deux Ânes…
M. Claude Malhuret. L'extrême droite, elle, voit son heure venir, mais l'odeur du pouvoir la rend schizophrène. Marine Le Pen explique désormais qu'elle n'est ni de droite ni de gauche. Elle est devenue très « en même temps ».
M. Olivier Paccaud. Oui !
M. Claude Malhuret. Au même moment, Ciotti court les plateaux pour appeler à l'union des droites et Bardella fait la danse des sept voiles aux journées du Medef (Mouvement des entreprises de France). De deux choses l'une : soit les leaders du Rassemblement national ont des stratégies opposées, mais, dans ce cas, attention au grand écart ; soit ils jouent au good cop, bad cop pour gagner sur tous les tableaux, et cela va finir par se voir.
On ne sait plus s'il faut croire la madone des prolétaires ou le champion du CAC40, surtout quand la patronne s'accroche dur comme fer à la revendication la plus folle de la CGT : la retraite à 60 ans. Cette réforme, qui coûterait des dizaines de milliards d'euros, associée à la promesse d'une baisse des impôts, suffit à elle seule à disqualifier le RN.
Il faut avoir la franchise de le dire à tous les Français qui ont quelques économies : en votant pour l'extrême droite, ils sont tels une dinde qui voterait pour Noël. (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Pourtant, le vote RN continue de monter.
Mme Cécile Cukierman. Ce n'est pas avec de tels discours qu'il va baisser !
M. Claude Malhuret. Peut-être ceux qui l'envisagent se disent-ils que, après tout, les oies ont bien sauvé le Capitole… (Sourires.)
Vous n'avez donc pas grand monde avec qui discuter, monsieur le Premier ministre. Il restait le Parti socialiste. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Mon Dieu !
M. Claude Malhuret. Olivier Faure se tortillait depuis des mois comme un lombric (Rires et exclamations sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.), entre son tango avec LFI pour les élections et le refus, exprimé par la moitié de ses troupes, de baiser les babouches de Mélenchon. Vous l'avez tiré d'affaire,…
M. Mickaël Vallet. Et réciproquement !
M. Claude Malhuret. … en acceptant de laisser monter les enchères jusqu'où il le souhaitait : oubliés, les deux jours fériés travaillés ; abandonné, l'objectif de 40 milliards d'euros d'économies !
De même, vous avez accordé la suspension de la réforme des retraites, la reconduction de la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises – cela prouve une fois de plus que, en France, les impôts temporaires sont ce qui se rapproche le plus de la vie éternelle (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, la fiscalisation des actifs des holdings et la taxation des hauts patrimoines.
Mme Cécile Cukierman. Il leur en restera suffisamment ! Ils ne vont pas tomber dans la misère !
M. Claude Malhuret. Votre problème n'était pas d'acheter les socialistes, mais de ne pas les payer au prix auquel ils s'estiment. Malheureusement – permettez-moi de vous le dire –, vous avez payé très cher.
Permettez-moi aussi de vous dire que les hausses d'impôts ne comblent jamais le déficit : elles permettent seulement à l'État de dépenser encore plus. (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Nous comprenons bien que, pour gouverner dans les conditions actuelles, il faut à la fois un accord politique et des compromis. Il n'y a qu'une limite, c'est le seuil au-delà duquel le coût à payer pour sauver les meubles devient supérieur au prix des meubles... (M. Bruno Sido s'esclaffe.)
M. Mickaël Vallet. Ikea ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Malhuret. Beaucoup d'entre nous craignent que ce seuil n'ait été franchi.
Comme le dit Jean Tirole, prix Nobel d'économie, « nous continuons à déplacer les transats pendant que le Titanic coule ».
On raisonne comme si l'économie se limitait au partage d'un gâteau à taille fixe. Ainsi, le débat budgétaire que cherche à vous imposer le PS se résume à opposer les actifs aux chômeurs, les jeunes aux vieux, les riches aux pauvres, les entreprises aux ménages, les PME aux multinationales, les actionnaires aux autres agents économiques, le capital au travail et même les salariés aux robots. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
On ne résoudra rien tant que l'on n'aura pas le courage de dire que le bilan désastreux de la France depuis quarante ans et notre dette de 3 400 milliards d'euros s'expliquent très simplement par deux mesures qui ont coulé le pays.
La première, c'est la retraite à 60 ans, décidée sous Mitterrand,…
M. Thierry Cozic. Non ! C'est Macron avec sa politique de l'offre !
M. Claude Malhuret. … au moment où la démographie commandait de relever l'âge de départ, comme dans tous les autres pays. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Michel Rocard, et il s'exprimait en 1990. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
En Espagne, la retraite est à 67 ans.
M. Mickaël Vallet. Tout le monde part avant !
M. Claude Malhuret. Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, inviter un socialiste espagnol pour qu'il explique les finances publiques aux socialistes français ? (Vifs applaudissements sur les mêmes travées.)
La seconde mesure, ce sont les 35 heures (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.), décidées sous Jospin, qui ont tué notre compétitivité et, entre autres, ravagé l'hôpital public.
Mme Cécile Cukierman. Bien sûr ! Revenons aussi sur les acquis de 1936 !
M. Claude Malhuret. Il ne manque plus qu'une troisième mesure pour nous achever : la taxe Zucman, qui fera s'enfuir toutes les start-up de la tech et de l'innovation,…
Mme Cécile Cukierman. Caricature !
M. Claude Malhuret. … le carburant de l'économie des prochaines décennies, des domaines dans lesquels le retard de la France et de l'Europe est déjà catastrophique.
Mme Cécile Cukierman. On n'est pas sur CNews ici !
M. Claude Malhuret. La taxe Zucman est à la croissance ce que l'hydroxychloroquine était à la covid. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, elle ne figure pas parmi vos propositions, mais vous savez bien que, en l'absence de 49.3, elle risque de se retrouver dans le texte final du projet de loi de finances. Boris Vallaud a annoncé hier à l'Assemblée nationale que le groupe socialiste défendrait cette mesure, et Patrick Kanner vient de nous le confirmer.
Mme Annie Le Houerou. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Eh bien, censurez demain pour éviter le drame !
M. Claude Malhuret. Alors qu'une somme de menaces est en train de s'abattre sur le monde de la part de tous ceux qui veulent notre vassalisation, alors que l'Europe décroche et la France plus encore, la gauche française nous propose, comme si notre pays était seul au monde, de travailler moins, d'abaisser l'âge de la retraite, d'augmenter les impôts et d'aggraver la dette.
M. Rachid Temal. Mais c'est vous qui êtes au pouvoir, pas nous !