M. le président. Mes chers collègues, je vais suspendre la séance une dizaine de minutes, afin de permettre à la commission des lois de se réunir pour examiner la motion et les amendements déposés sur ce texte.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq,
est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025.
La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour la motion.
M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « je vous demande d'apporter à nos compatriotes de la Nouvelle-Calédonie la garantie de la France pour un avenir pacifique, une économie plus forte, une société plus juste ». Ces mots que j'emprunte à François Mitterrand sont toujours aussi vrais aujourd'hui qu'ils l'étaient en 1988.
Mes chers collègues, aujourd'hui, c'est à vous qu'il revient d'apporter la garantie de la France pour un avenir pacifique en Kanaky. Ce n'est pourtant pas le chemin que le gouvernement actuel et celui qui l'a précédé ont décidé de prendre.
Chacun de nous ressent un sentiment de déjà-vu. En effet, deux années ne se sont même pas encore écoulées depuis la dernière fois que nous avons été appelés à voter sur un texte de loi visant à reporter les élections provinciales.
Avons-nous déjà oublié les conséquences de nos choix pour le peuple de la Kanaky ? Nous, parlementaires, n'avons-nous pas tiré les leçons de nos erreurs ? Comment aurions-nous pu le faire quand nous étions derrière nos écrans à visionner dans l'inquiétude le chaos qui est né de nos choix ?
Au-delà du débat institutionnel, il y a un peuple. La situation et le sort de la Kanaky demeurent suspendus à des décisions nationales incertaines, conditionnés à un accord. Pendant ce temps, la réalité économique et sociale du pays, elle, se dégrade de jour en jour. Les entreprises peinent à redémarrer, les familles ne peuvent plus vivre dignement ni nourrir leurs enfants. Le secteur du nickel reste fragilisé et les territoires touchés par les événements de 2024 attendent toujours une véritable politique de reconstruction.
Dans ce contexte, il est impératif de décorréler le traitement politique de la Nouvelle-Calédonie du traitement économique et social. La réalité est que nous, parlementaires, hommes et femmes politiques, sommes détachés de ceux qui nous ont élus, détachés de leur quotidien, de leurs difficultés et de leurs souffrances.
Notre démocratie est ainsi faite que nous subissons l'instabilité d'un exécutif qui n'est pas capable de faire des compromis, qui est mû par une urgence que lui seul semble connaître. Ne vous méprenez pas : il existe bien des urgences en France, mais le report des élections provinciales n'en fait pas partie. Aucun agenda national ne commande ce nouveau report !
Il est dangereux que la Kanaky devienne l'otage de calculs politiques ou de décisions hâtives dictées par le calendrier parisien. Invoquer un calendrier de réforme incertain ne saurait justifier de prolonger les mandats de nos élus provinciaux et au congrès. Invoquer l'urgence nationale pour contourner le dialogue politique est une erreur. C'est la mauvaise méthode exécutée au mauvais moment par les mauvaises personnes.
Reporter les élections, c'est maintenir une période d'incertitude et de tensions sur le terrain, dans un territoire tributaire des aléas de la politique nationale, que vous comme moi représentons, et qui est surtout soumise à contestation. La majorité sénatoriale a toujours eu une grande méfiance du flou institutionnel ; or cet énième report ne ferait qu'accentuer un vide d'autorité locale qui n'a que trop duré.
Si nous soutenons le maintien du scrutin, c'est non pas pour plaire à telle ou telle partie, mais bien, ni plus ni moins, pour défendre l'État de droit, comme l'estime nécessaire une majorité sénatoriale – cette chambre étant un symbole de la sagesse républicaine. Voter en faveur du maintien du scrutin provincial est non pas un vote pro-indépendance, mais un vote pro-démocratie : il traduit un engagement républicain.
Mes chers collègues, rappelez-vous quand, sous le gouvernement de Lionel Jospin, le Sénat avait été saisi, le 13 ou le 14 avril 1999, d'une proposition de loi organique portant sur le report des élections de mai 1999. Le débat avait conduit à refuser ce report. L'Histoire aura donné raison à notre assemblée, puisque l'application de l'accord de Nouméa a garanti la paix sociale. Elle a également montré que la parole de la République a été respectée.
Rappelez-vous également l'année 2004, avec le premier cycle institutionnel en Kanaky et l'achèvement de la première mandature. Le premier transfert de compétences, notamment dans les domaines de l'enseignement secondaire et de la santé, n'était pas totalement effectif. À cette époque, une demande de report des élections avait été notamment sollicitée par une majorité loyaliste. Le débat du 26 février 2004 avait donné lieu à un second refus. En effet, pour le rapporteur Christian Cointat, « le renouvellement des assemblées provinciales dans les délais prévus constitu[ait] une garantie démocratique essentielle du processus de Nouméa ».
Le président de la commission de lois, René Garrec, du parti Union pour un mouvement populaire (UMP), avait alors ajouté : « Aucune circonstance technique ne saurait justifier de différer l'expression du suffrage universel. C'est dans la régularité du calendrier que la République démontre son autorité. »
L'Histoire au Sénat met en lumière les mauvaises personnes qui persistent à dire que le report des élections provinciales permettrait la mise en œuvre de « l'accord du 12 juillet 2025 ». Un accord de qui, et avec qui ? Il est là le cœur du débat : ledit « accord » de Bougival n'a pas la valeur d'un consensus. Sa publication au Journal officiel a permis de présenter un projet non signé comme un « accord », alors que ne figurent ni la liste des signataires ni les réserves.
Habiller maladroitement un projet contesté du mot « accord » n'en fera pas un accord. Les personnes présentes ne pourront nier qu'il était convenu de présenter le projet à leurs bases – ce que nous avons fait. Or le FLNKS, partenaire des accords historiques, et le sénat coutumier, représentant légitime du peuple kanak, l'ont formellement et fermement rejeté pour plusieurs raisons.
Le texte contredit les fondements et les acquis de la lutte du peuple kanak, à savoir la trajectoire vers la pleine souveraineté. Il aboutit à la minorisation politique du peuple kanak sur son propre pays par le dégel du corps électoral. Il opère une intégration définitive de la Kanaky à la République. Il vise, par une manœuvre, une manipulation politique, à désinscrire la Kanaky de la liste des pays à décoloniser de l'ONU.
Le FLNKS reste ouvert à la discussion pour achever le processus de décolonisation par la pleine émancipation tel que le prévoit le point 5 de l'accord de Nouméa. Comme l'a rappelé son président dans sa lettre ouverte aux parlementaires, le FLNKS avait accepté de continuer à discuter de la proposition de Deva, fondée sur une souveraineté partagée avec la France et non « dans la France ».
Si l'on s'inscrit dans un accord de décolonisation, peut-on parler de consensus lorsque ceux qui représentent le peuple colonisé refusent d'en être des parties ? Il n'y en a pas. Ceux qui se rêvent en Michel Rocard qualifient l'accord de « compromis historique ». En faisant cela, ils déshonorent l'esprit de ceux qui nous ont précédés et qui ont tracé le chemin du consensus.
Voter ce texte, ce serait un passage en force et une négation du droit du peuple kanak à disposer de lui-même conformément au droit international, mais ce serait également contraire à l'esprit de consensus qui a prévalu lors de la signature des accords politiques précédents, en 1988 et en 1998.
Dans ces conditions, la seule solution est de redonner la voix au peuple. En bloquant les élections, nous bloquons aussi toute possibilité réelle de dialogue sur l'avenir du territoire. Car, pour que des discussions institutionnelles soient légitimes, il faut des élus légitimes. Et pour cela, il faut des élections. Je reprendrai le propos tenu par Sébastien Lecornu, qui est aujourd'hui Premier ministre, le 14 décembre 2021 à l'Assemblée nationale : « En démocratie, les élections se tiennent à l'heure. »
La légitimité démocratique des institutions calédoniennes est affaiblie. Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir ne peut être pleinement légitime. Le maintien des élections est la condition pour renouer la confiance perdue dans les politiques, comme l'a démontré la journée du 13 mai 2024. Le report du scrutin provincial n'est pas un simple ajustement technique ; il constitue un acte politique majeur qui engage directement la légitimité démocratique du territoire.
L'argument selon lequel il y aurait un risque de contentieux si l'on maintient le gel du corps électoral ne tient plus. Par sa décision du 19 septembre 2025, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du gel du corps électoral provincial en Kanaky. Il n'existe donc ni motif d'urgence ni risque juridique avéré qui justifierait de suspendre encore l'expression du suffrage universel. Le cadre électoral est légitime et constitutionnel.
Je terminerai en vous disant, mes chers collègues, que notre responsabilité est engagée. Depuis les accords de Matignon-Oudinot, des hommes et des femmes politiques, au nom de la République française, ont choisi le courage et le respect.
Je vous demande d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable et de décider qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la proposition de loi organique. Le temps où nous aurons à décider n'est pas encore venu, mais il viendra.
Martin Luther King disait : « Chacun a la responsabilité […] de désobéir aux lois injustes. » Mais nous pouvons aussi nous opposer à l'adoption des lois injustes. Vous savez à présent ce qui est juste pour la Kanaky, votez en votre âme et conscience ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mmes Gisèle Jourda et Paulette Matray ainsi que M. Mikaele Kulimoetoke applaudissent également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. En effet, l'adoption de cette motion aurait comme conséquence que nous ne discuterions pas aujourd'hui du texte visant à reporter les élections en Nouvelle-Calédonie. Celles-ci devraient donc avoir lieu avant le 30 juin prochain.
Nous partageons un certain nombre de constats. Effectivement, la présente proposition de loi organique n'est pas un texte purement technique, et le report des élections n'est pas une simple disposition calendaire : il traduit un engagement politique qui a des incidences sur le plan démocratique.
Reporter les élections, comme nous l'avons dit lors de la discussion générale, n'est pas un acte neutre ; c'est un acte qui engage et qui a de véritables conséquences sur la légitimité des élus de Nouvelle-Calédonie.
Toutefois, je vous rappelle que le texte signé à Bougival – l'accord de Bougival – est le premier depuis plus de vingt-sept ans. Il faut donner une chance à cet accord, qui prévoit le report des élections, le calendrier du déroulement des scrutins qui se tiendront dans les mois à venir en Nouvelle-Calédonie et, surtout, l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel, très attendu par les habitants de ce territoire.
Maintenir les élections provinciales en l'état actuel du droit entraînerait un abandon des discussions et des avancées permises par l'accord de Bougival, et reporterait la possibilité de retrouver un consensus à un avenir très incertain. Nous avons bien conscience que l'acquis de Bougival a été quelque peu « ébréché ». C'est pourquoi il est essentiel de poursuivre les négociations afin d'obtenir des « bougés » et de trouver une issue permettant de parvenir à la concorde civile en Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, le projet de loi constitutionnelle adopté hier en conseil des ministres montre l'engagement du Gouvernement à trouver une solution en Nouvelle-Calédonie. Il est donc important que, ce soir, nous puissions voter le texte qui reporte les élections pour ne pas fragiliser le débat institutionnel en Nouvelle-Calédonie et donner une chance à l'accord de Bougival.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Naïma Moutchou, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Xowie, j'évoquerai rapidement quelques points en complément du propos, que je partage, de Mme la rapporteure, pour vous inviter à rejeter cette motion.
D'abord, l'accord de Bougival n'efface en rien la reconnaissance et l'émancipation du peuple kanak ni le chemin qui a été parcouru depuis des années. Bien au contraire ! Il y est clairement écrit que « les dispositions de l'Accord de Nouméa qui ne sont pas contraires au présent accord demeurent en vigueur ». Il existe donc bien un garde-fou.
Ensuite, il n'est pas exact de dire que c'est le report des élections qui aurait provoqué le chaos. Rappelez-vous, ce qui a créé le désordre, c'est le projet de loi constitutionnelle, lequel faisait l'unanimité des indépendantistes contre lui, ce qui n'est plus le cas.
Je rappelle que l'UNI-Palika (Union nationale pour l'indépendance-Parti de libération kanak), la force indépendantiste qui a voté au congrès pour le report des élections, soutient l'accord de Bougival.
M. Akli Mellouli. Il n'y a pas d'accord !
Mme Naïma Moutchou, ministre. En complément, j'ajoute un élément nouveau : le Groupe Fer de lance mélanésien, qui regroupe des pays mélanésiens et auquel appartient le FLNKS, a exprimé aujourd'hui même – nous sommes donc en plein dans l'actualité – son soutien à l'accord, dans le cadre de la quatrième commission de l'ONU. Nous pouvons y voir un signal positif.
Par ailleurs, j'indique que le texte que nous examinons est soutenu par six présidents de groupe, donc par six groupes sur huit, que le congrès a donné son accord, et le Conseil d'État son feu vert juridique.
M. Akli Mellouli. Cela se fait beaucoup en ce moment !
Mme Naïma Moutchou, ministre. Un ensemble d'éléments nous permettent donc aujourd'hui de porter le sujet à haut niveau.
En ce qui concerne l'état des lieux économique et social, j'abonde dans le sens de ce qui a été dit. Oui, il est dégradé, et même très dégradé. C'est bien la raison pour laquelle il ne faut pas que se tiennent ces élections : les circonstances ne le permettent pas. La mission interministérielle conduite par Claire Durrieu permettra d'avancer sur ce sujet, quel que soit le contexte institutionnel.
Enfin, comme je l'ai rappelé et comme l'a dit tout à l'heure le Premier ministre, il faut impérativement donner les moyens économiques et sociaux à la Nouvelle-Calédonie.
Je vous invite donc à rejeter cette motion ; sinon, nous enverrons un signal délétère aux Calédoniens, car cela ne les servirait pas. Ils demandent désormais de la clarté. (M. Akli Mellouli proteste.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, si votre gouvernement semble parfaitement s'accommoder d'un manque criant de légitimité démocratique, ce n'est pas ce que souhaite le peuple kanak pour ses institutions. Or, avec ce troisième report que vous nous demandez de voter, vous affaiblissez la légitimité démocratique des institutions calédoniennes.
Ces prorogations en chaîne du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ont des conséquences graves. Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir du pays ne peut être pleinement légitime.
D'une part, parce que ce report est justifié par un accord inexistant, rejeté par le FLNKS et le sénat coutumier.
D'autre part, parce que le congrès de la Nouvelle-Calédonie n'a pas été consulté, alors qu'il s'agit d'une mesure qui affecterait directement son fonctionnement interne et la durée des mandats de ses organes.
Le processus de cette proposition de loi organique contrevient à l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel qui préside à l'équilibre calédonien.
Le report prévu aggraverait encore cette délégitimation et fragiliserait la paix civile. Par ce texte, vous ne feriez que renforcer le sentiment de dépossession du peuple kanak et, en particulier, de sa jeunesse. Vous altéreriez la confiance envers l'État garant.
Nous vous offrons, à l'inverse, une porte de sortie pour le peuple kanak. En tenant le scrutin avant la fin de 2025, comme le prévoit aujourd'hui le droit, vous redonnerez voix et mandat à des élus légitimes, seule base solide pour des discussions loyales et apaisées.
Dans l'esprit des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, qui ont bâti la paix sur le dialogue et la reconnaissance d'un consensus constant, le peuple kanak souhaite restaurer un dialogue apaisé. Seuls des élus légitimes pourront le permettre. Choisissons l'apaisement et le dialogue, et non le passage en force. (M. Robert Wienie Xowie applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Vous l'avez dit, madame la rapporteure, reporter des élections n'est pas un acte neutre. Nous nous souvenons qu'en 2021, en passant en force pour organiser le troisième référendum d'indépendance de la Nouvelle-Calédonie en pleine pandémie, le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, a ravivé les tensions très vives au sein de la société kanake.
Les accords de Matignon et de Nouméa avaient pourtant permis une pacification et un chemin vers la nécessaire décolonisation de ce territoire. Depuis lors, tout a été fait pour jeter de l'huile sur le feu : le report des élections provinciales et la tentative de réforme en urgence du corps électoral l'an dernier ont mis la Kanaky-Nouvelle-Calédonie à feu et à sang, entraînant la mort de quatorze personnes. Ces erreurs tragiques ne doivent évidemment pas être répétées ; pourtant, je crains que ce ne soit ce que vous vous apprêtez à faire.
Certes, les discussions entre loyalistes, indépendantistes et autres blocs politiques calédoniens ont repris, et nous saluons tous les efforts en ce sens. Toutefois, parler d'accord, comme vous l'avez fait pour le cadre adopté à Bougival, est évidemment exagéré. Ce soi-disant accord que vous voulez inscrire dans la Constitution est en réalité un accord de principe pour poursuivre les discussions, et non un texte définitif, raison d'ailleurs pour laquelle le FLNKS refuse de le signer.
Par ailleurs, comment négocier un accord avec des indépendantistes dont une bonne partie était alors emprisonnée ? Cet accord n'a donc aucune légitimité et les discussions doivent être rouvertes.
Quant aux élections provinciales, elles n'ont que trop tardé. Il est temps que les Néo-Calédoniens renouvellent leurs représentants. Ce sera d'ailleurs bénéfique pour la bonne conduite des négociations, avec des mandats clairs pour chaque camp. Nous nous opposons donc à tout nouveau report. Il y a évidemment urgence à la pacification, mais celle-ci passe par des élections provinciales et la reprise du dialogue plutôt que par un passage en force.
Le groupe écologiste votera donc pour la motion de nos collègues communistes tendant à opposer la question préalable et apporte tout son soutien au peuple kanak, en lui souhaitant de retrouver la maîtrise de son avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRC-K.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 309 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Georges Naturel. Monsieur le président, madame la ministre, avant que mon propos ne débute, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, d'être présents ce soir. Depuis que je suis arrivé à Paris au début de septembre, je vois que, comme nous avons encore pu le constater tout à l'heure lors des échanges avec le Premier ministre, les élus nationaux sont concentrés, compte tenu de la situation politique, sur d'autres sujets que notre petit – ou plutôt grand ! – dossier calédonien. Nous sommes, de notre côté, préoccupés par ce qui nous arrive depuis maintenant quatre ans, et la situation en Nouvelle-Calédonie est compliquée.
Je veux également remercier les présidents de groupe qui, soutenus par le président du Sénat, ont déposé durant la période estivale la proposition de loi organique que nous allons étudier aujourd'hui.
Nous voici donc réunis pour la troisième fois afin de débattre d'une loi organique qui prévoit de reporter en Nouvelle-Calédonie la date des élections du congrès et des assemblées de province.
Il n'est jamais indifférent, dans une démocratie, de reporter une élection. Lorsque ce report se produit pour la troisième fois consécutive, il y a franchissement d'un seuil inédit ; il importe donc d'examiner avec la plus grande attention les raisons légitimes de ce report.
En Nouvelle-Calédonie, les élections provinciales auraient dû initialement se tenir en mai 2024. Elles ont d'abord été repoussées une première fois jusqu'en décembre 2024 pour permettre d'intégrer la réforme constitutionnelle du dégel du corps électoral. Puis, face au traumatisme des émeutes du 13 mai 2024 survenues à l'occasion du vote de cette réforme à l'Assemblée nationale et à la grave crise économique et sociale qui s'en est suivie, un deuxième report a été voté, fixant la nouvelle échéance au plus tard au 30 novembre 2025.
Aujourd'hui, c'est un troisième report qui nous est proposé, jusqu'au 28 juin 2026 au plus tard. Je souhaite impérativement que cette date ne soit pas dépassée. Autrement dit, les membres du congrès et des assemblées de province, élus pour un mandat de cinq ans, exerceront, de fait, un mandat d'une durée supérieure à sept ans.
Je le dis avec gravité : ces prolongations récurrentes sont dommageables à la légitimité démocratique des élus actuels et à l'acceptabilité des décisions qu'ils prennent. En conséquence, il aurait pu être souhaitable de retourner sans délai devant les électeurs.
À cette altération démocratique s'ajoute un autre risque : celui de l'enchevêtrement des échéances électorales. Car le premier semestre 2026 sera en lui-même une campagne électorale ininterrompue en Nouvelle-Calédonie : consultation référendaire des citoyens calédoniens sur l'accord de Bougival en février ; élections municipales en mars ; puis élections provinciales en mai ou en juin.
Ce calendrier saturé menace, je le crains, la lisibilité démocratique des échéances concernées et la sérénité des débats.
Pourtant, mes chers collègues, nous savons pourquoi les présidents des principaux groupes de notre assemblée ont déposé cette proposition de loi organique. Ce n'est ni par confort ni par opportunisme électoral, mais par nécessité, pour respecter le calendrier fixé par l'accord de Bougival et retrouver le chemin d'un consensus local qui semblait avoir été obtenu en juillet dernier et qui a été rompu depuis lors par une partie des indépendantistes.
La mise en œuvre de cette organisation institutionnelle nécessite du temps si l'on veut qu'elle soit acceptée par tous. Un temps dont la Nouvelle-Calédonie a besoin pour sortir de la tragédie du 13 mai, de ses morts, de ses ruines, de son économie brisée, un temps arraché à la violence, pour s'engager dans la reconstruction et consolider le dialogue entre Calédoniens.
C'est le temps qui nous est demandé aujourd'hui.
La Nouvelle-Calédonie reste un territoire de la République meurtri et convalescent qui nécessitera encore dans les mois à venir une attention toute particulière du Gouvernement et du Parlement.
Hier matin, le conseil des ministres a adopté un projet de loi constitutionnelle visant à réformer notre Constitution pour y intégrer les dispositions de l'accord de Bougival.
Dans les prochaines semaines, nous devrons déterminer, à l'occasion de l'examen du projet de budget pour 2026, le soutien financier que l'État accordera à la Nouvelle-Calédonie pour l'aider à se relever de ses blessures de mai 2024.
Au terme de tant de mois d'incertitude, l'accord de Bougival, signé le 12 juillet dernier, est donc moins un aboutissement qu'un fragile point d'équilibre et une promesse d'avenir. Il a redonné un souffle, une espérance à une société calédonienne affaiblie et traumatisée.
Le Conseil d'État, dans son avis du 4 septembre dernier, a bien noté le caractère exceptionnel de la prolongation des mandats actuels de plus de vingt-cinq mois au-delà du terme normal, mais il a jugé que la proposition de loi organique a un but d'intérêt général et qu'« elle ne paraît pas manifestement inappropriée à l'objectif qu'elle vise ». Autrement dit, la légitimité démocratique est certes amoindrie, mais la légalité de la démarche est acceptable et validée en droit.
Le 15 septembre dernier, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a également admis la nécessité de reporter les élections, en rendant à ce propos un avis favorable à la quasi-unanimité de ses membres, à l'exception du groupe UC-FLNKS et Nationalistes.
Enfin, l'histoire calédonienne enseigne que les accords qui durent sont ceux qui reposent sur un consensus large entre indépendantistes et non-indépendantistes, et qui sont acceptés par la population calédonienne, à l'instar des accords de Matignon puis de Nouméa. L'accord de Bougival ne pourra pas déroger à cette règle.
Or l'on ne peut ignorer que l'Union calédonienne a pour le moment rejeté ce sur quoi l'ensemble des représentants politiques présents à Bougival se sont accordés. Précisément, le délai supplémentaire qui nous est proposé doit être mis à profit pour donner, à l'aide de compléments ou de précisions figurant dans des annexes ultérieures, un peu plus de densité aux quelques fils du dialogue renoués à Bougival.
Le report des élections doit servir à convaincre que la paix se construit avec tous, surtout avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'accord. Je soutiendrai donc l'amendement déposé conjointement par six de nos présidents de groupe, qui vise à intégrer nommément l'objectif de poursuivre les discussions dans le titre de la proposition de loi.
Certes, le report des élections n'est pas une solution idéale. Une telle dérogation est pourtant nécessaire, non pas pour différer le rendez-vous démocratique ou prolonger artificiellement des mandats, mais pour préparer la consultation des citoyens dans les conditions nécessaires de clarté et de stabilité, ainsi que pour donner leur chance à un dialogue plus abouti et à des institutions réconciliées avec l'avenir.
Au fond, nous ne votons pas seulement pour le report du calendrier : nous votons pour le maintien d'un espoir, celui que la Nouvelle-Calédonie, meurtrie, puisse se relever, retrouver le chemin du développement, et s'inventer un avenir commun original dans la République.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à accueillir favorablement la présente proposition de loi organique, indispensable à la précision et à la mise en œuvre de l'accord de Bougival, afin que nous l'adoptions le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)